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Le facteur humain plutôt que commercial
MÉDECINE GLOBALE
La médecine devrait être moins axée sur l’économie et placer l’être humain et ses souffrances au cœur de ses préoccupations, plaide l’Académie de médecine humaine, basée à Zurich.
Nadja Venetz
L’Académie de médecine humaine (amm) est une association à but non lucratif, totalement indépendante sur le plan politique, financier et confessionnel, qui s’engage en faveur d’un système de santé humain et abordable en Suisse. Stephan Bachmann, directeur du REHAB Basel et membre du comité central de l’ASP, œuvre au sein de l’amm en tant que vice-président depuis sa création en 2009.
L’Académie de médecine humaine plaide pour un système de santé humain et abordable. Qu’est-ce que cela signifie exactement?
À l’amm, nous partons du principe qu’une personne qui nécessite des services de santé est une personne qui souffre et qui a besoin de toute notre attention. L’accent doit impérativement être mis sur l’être humain. Ce que nous critiquons, c’est l’économisation croissante qui me répugne, même en tant qu’économiste. Dans le modèle actuel du système de forfaits par cas, le danger réside dans le fait que l’accent ne soit plus mis sur la personne qui a nécessite un service, mais sur l’entreprise qui le fournit. Le patient devient ainsi un client. Nous condamnons fermement l’utilisation du terme de client dans ce contexte. Le patient souffre d’un mal contre lequel il ne peut pas se défendre et qu’il n’a, en règle générale, pas choisi ni provoqué luimême. La régulation de l’offre et de la demande n’existe pas dans le système de santé. Prenons l’exemple d’un patient dans le coma ou atteint d’un cancer. Ce sont des personnes en souffrance qui ont besoin de soins et pour lesquelles les mécanismes régis par le marché ont souvent un effet dissuasif. Ces facteurs sélectifs sont complexes: le système de forfaits par cas rémunère certaines prestations médicales mieux que d’autres. De ce fait, les médecins sont contraints d’adopter un schéma de pensée et de comportement commercial, et d’opter pour les mesures les mieux à même d’indemniser l’hôpital, au lieu de placer le patient et sa souffrance au centre de leurs préoccupations. Par ailleurs, la plupart des cliniques versent des parts variables de salaire, en partie liées aux objectifs de chiffre d’affaires et au nombre d’actes réalisés. Ce sont des mesures dissuasives flagrantes! Nous demandons donc des salaires fixes pour le personnel spécialisé. C’est le cas depuis longtemps au REHAB Basel. Tous nos employés, sans exception, touchent une rémunération fixe.
Comment l’association a-t-elle vu le jour?
L’Académie de médecine humaine a été fondée en 2009 par Christian Hess et Annina Hess-Cabalzar, qui ont tous deux marqué l’hôpital d’Affoltern pendant de nombreuses années. Lui en tant que directeur médical et elle comme psychothérapeute en chef. J’étais directeur de l’hôpital à l’époque. L’objectif de l’amm était, et est toujours, de promouvoir un système de santé humain et abordable. ÀAffoltern, nous avons pratiqué la médecine tel que nous le souhaitions pour toute la Suisse: l’être humain dans son individualité était au cœur du système, la volonté de l’individu primant sur ce qui était techniquement faisable. Découvrir en quoi consiste la souffrance a été le garde-fou de notre action. Nous ne nous sommes donc pas contentés de prescrire des médicaments, mais avons aussi mis en place une psychothérapie axée sur l’art. La médecine classique en formait la base solide, complétée par les sciences humaines, soit la psychothérapie, l’art-thérapie, la philosophie et l’éthique.
Quel concept de médecine représentez-vous?
Les époux Hess en ont formulé les principes de base dans leur livre «Menschenmedizin». Nous défendons un concept large de la médecine. Considérer l’hôpital comme un atelier au service de personnes qui viennent faire réparer un dysfonctionnement physique, est une vision très réductrice. Il ne s’agit pas juste d’une partie du corps blessée, mais d’une personne à part entière avec ses craintes, ses inquié-
tudes et ses espoirs. Un être humain ne se limite pas à un corps, c’est aussi un esprit et une âme. Il peut être judicieux d’approfondir les causes d’un accident. Comment en est-on arrivé là? L’art-thérapie et le suivi psychologique sont au programme des centres pour paraplégiques. ÀAffoltern, nous avons aussi proposé ces méthodes aux patients de l’hôpital de soins aigus qui n’étaient avec nous que pour quelques jours. Ces mesures, facultatives, ont été bien accueillies. S’exprimer par la peinture ou engager une conversation peut être très salutaire. En outre, cette thérapie est peu coûteuse, car elle ne nécessite pas d’équipement onéreux, et le bien-être général s’en trouve souvent renforcé.
De plus, nous reconnaissons que la maladie, comme la santé, fait partie de la vie, tout comme la vie commence avec la naissance et se termine avec la mort, du moins au sens terrestre. Lever le tabou de la mort est un autre cheval de bataille de l’Académie. L’hôpital d’Affoltern dispose d’une unité de soins palliatifs phare. Permettre à une personne gravement malade de mourir avec dignité dans un cadre palliatif fait partie d’un système de santé humain. Dans ce domaine, des progrès importants ont toutefois été réalisés dans toute la Suisse ces dernières années.
Comment se traduit concrètement votre engagement?
Nous sommes une petite équipe solide avec peu de moyens; rien que des spécialistes qui travaillent bénévolement. Faute de ressources, nous ne pouvons prétendre avoir une influence fondamentale sur le système de santé suisse. Le «Café Med» est notre principal fleuron en termes d’impact externe. Dans un café, des médecins à la retraite se mettent gratuitement à la disposition des patients qui souhaitent un second avis. Ils donnent leur appréciation sur le traitement envisagé et indiquent les alternatives possibles. Nous constatons que le besoin est grand. De nombreux profanes sont dépassés par la complexité du système de santé. L’opinion d’un spécialiste peut être très utile. Mais nous nous en tenons à cette consultation unique. Une même personne ne peut pas passer trois ou quatre fois. Le premier «Café Med» a été fondé à Zurich, à l’initiative de Brida von Castelberg, l’ancien médecin-chef de la clinique gynécologique de l’hôpital Triemli de Zurich. Elle est aussi membre du comité de l’amm. Cette offre est disponible dans plusieurs villes germanophones de Suisse. Par ailleurs, nous avons organisé plusieurs conférences sur des thèmes différents. Nous recevons actuellement une large approbation pour ce que nous faisons, aussi de la part des médias.
Quelles sont vos motivations personnelles?
Dans mon travail quotidien, les sujets d’éthique médicale sont très présents. Coma éveillé, paralysie médullaire, lésion cérébrale grave ou double traumatisme; ce ne sont pas les destins les plus faciles que vivent nos patients. On évolue toujours dans cette zone de tension entre la médecine et l’éthique. Je m’intéresse également aux questions philosophiques, c’est pourquoi j’ai passé le CAS «Médecine et philo-
Quelle évolution pensez-vous être réaliste pour le système de santé suisse?
À l’aune de la maxime d’une médecine abordable et axée sur l’être humain, je souhaite que nous tirions le meilleur parti des moyens dont nous disposons pour notre activité principale envers les patients, tout en ayant un personnel spécialisé satisfait qui saura trouver les conditions dans lesquelles faire du bon travail. Je suis persuadé que nous obtiendrons une meilleure qualité si nous utilisons les ressources actuelles de manière plus ciblée. Tout cela semble très abstrait et reste extrêmement complexe à mettre en œuvre. C’est toujours difficile lorsque le système est dirigé par de puissants acteurs comme les cantons, les prestataires de services (cliniques et hôpitaux) et les assureurs. Les intérêts sont parfois très différents et les changements prennent alors beaucoup de temps. Mais j’ai le sentiment que la majorité des personnes qui travaillent dans ce système de santé sont très engagées et ont une ex-
Le vice-président
Stephan Bachmann s’engage pour une médecine globale et abordable.

sophie» à l’Université de Lucerne. Finalement, ce sont les thèmes fondamentaux de la vie qui me motivent. En outre, les échanges interprofessionnels sont très importants pour moi. Je suis membre de plusieurs comités dont la composition est très différente, et je tire un grand profit de ces rencontres. Notre comité compte aussi des médecins, des infirmiers, des thérapeutes, des administrateurs, etc. Il gère l’amm de la même manière que nous aimerions qu’un hôpital soit géré. cellente attitude. Ce n’est pas comme si nous voulions faire prendre un cap radicalement différent à la plupart d’entre elles. Je crois qu’en Suisse, nous sommes sur la bonne voie. Posez-vous vous-même la question: aimeriez-vous être hospitalisé ailleurs qu’en Suisse?
Vous trouverez des informations détaillées sur l’Académie de médecine humaine ainsi que sur les dates du «Café Med» sur le site Web: www.menschenmedizin.com.