Sparse 16 (sep. 2016)

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À l’origine de cette vague bigarrée, l’ex-ministre de l’Économie et ex-banquier d’affaires chez Rothschild & Cie : Emmanuel Macron. Dans la vie, Manu a d’autres hobbies que les costards et la réforme de la loi Travail. Il aime aussi libéraliser l’économie de tout un pays. Avec la fameuse loi Macron, donc. Il y a un an, ses réformes ouvrent le marché des transports interurbains aux compagnies d’autocars et pètent en deux le monopole d’État de la SNCF et les règlements qui le protégeaient. Grâce à ça, tu peux maintenant aller à Auxerre pour pas cher. On dit merci. À l’époque, Manu le socialiste (nan, je déconne) justifie ses réformes par la création de « dizaines de milliers d’emplois » (environ mille après un an) ; les cars « permettront aux pauvres de voyager ». Il avait raison : les « pauvres », étudiants, ouvriers, retraités, représentent la majorité des passagers des grandes compagnies de bus. Principalement parce que les prix sont extrêmement attractifs, en particulier lors des premiers mois d’exploitation, avec parfois des offres de trajet à un euro pour un Dijon-Paris. Ces tarifs extrêmes résultent de la forte concurrence entre les cinq compagnies présentes à l’ouverture du marché il y a un an, qui mettent à exécution un principe économique selon lequel moins les prix sont chers, plus les clients sont nombreux et plus l’entreprise développe son importance dans le secteur pour viser au monopole. Aujourd’hui, des cinq compagnies, il n’en reste que trois. Révolution de couleurs. Avec cinq outsiders en compétition, la lutte est féroce. Les tarifs dévissent, les compagnies ne font pas leur beurre, et forcément c’est bancal. C’est pourquoi l’Allemand Flixbus a mis la main sur une bonne partie du britannique Megabus, désormais emmerdé par les taxes découlant du Brexit pour sa division européenne, afin de réduire la concurrence et se renforcer par la même occasion.

En face, Ouibus, qui appartient à la SNCF, a absorbé Starshipper, mastodonte du transport en autocar dans le sudouest de la France. Seul Isilines continue son bout de chemin en solitaire, soutenu par la maison-mère Transdev, également taulier de la compagnie internationale Eurolines. Avec ses bus verts, Flixbus continue d’éprouver en France un modèle économique qui a largement fait ses preuves en Allemagne, depuis la libéralisation des trajets par autocar en 2013 : l’entreprise ne possède ni bus, ni chauffeurs. Elle se lie à des « partenaires », c’est-à-dire des PME déjà en place qui se chargent de fournir les engins et le personnel en échange d’un coup de peinture verte, de l’expertise marketing de Flixbus et surtout de ses clients. C’est un deal donnant-donnant : l’entreprise allemande se fait du pognon sans investir dans une flotte d’autocars et les partenaires récupèrent un important réservoir de passagers et des lignes régulières pour faire tourner le biz. Un modèle aujourd’hui pompé par ses concurrents Ouibus et Isilines, comme nous l’explique Raphaël Daniel, de Flixbus en France : « on est leader en terme de passagers transportés, avec deux millions à la fin de l’été. On veut faire du car le moyen de transport de référence. Cette image du bus où tout le monde vomissait, c’est complètement fini. » Pour sa ligne Paris-Genève, qui fait étape à Auxerre, Dijon et Lons-le-Saunier, Flixbus s’est associé à l’entreprise jurassienne Transarc. D’après la direction, sur les 350 bus de sa flotte, seulement 5% sont dédiés à ce partenariat. Pour le reste, il s’agit majoritairement de transport scolaire, ou des « lignes subventionnées » selon les mots de Raphaël Daniel. La compagnie allemande multiplie ainsi les partenariats avec des PME, qui n’en font pas forcément leur activité principale. Du côté de Transarc, 21 chauffeurs ont été embauchés en CDI à temps complet depuis le rapprochement avec Flixbus : « Nous avons fait tous les investissements nécessaires à ce partenariat. Ce n’est pas encore tout à fait concluant mais les choses devraient s’améliorer ». Pas concluant... All inclusive. Avec des prix si bas, à quoi s’attendre en montant dans un de ces autocars ? Tu en as sans aucun doute déjà éprouvé le confort pendant tes folles années scolaires, mais les transporteurs ont ajouté des extras pour attirer les clients : wifi gratuit, snacks et boissons à la vente dans certains bus ou encore prises électriques pour recharger téléphones et ordinateurs. Néanmoins, certains passagers restent exigeants, comme Flo : « le chauffeur s’est trompé de direction quand on l’a pris. Le wifi est ultra lent et le bus est toujours en retard. Et la gare routière de Bercy ressemble à un hangar désaffecté. » Pour Yo, « le confort est pas ouf, mais pour le prix c’est normal. » Les utilisateurs réguliers de ces lignes en ont vu, entre le chauffeur qui se trompe de route malgré le GPS, le bus en retard de deux heures qui te fait patienter dans le parking de Bercy, où tu accèdes via un chemin boueux par temps de pluie, ou celui qui décide de faire sa pause réglementaire de trente minutes au Lac Kir à 4h du mat’ quand tu devais

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