Interview Souad Houssein - Femmes d'Afrique

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Souad Houssein

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SOUAD HOUSSEIN

«… Pour marquer plus fortement sa plus-value et son authenticité, le cinéma africain doit d’avantage puiser dans la richesse de l’histoire et de la littérature de son continent » Comme l’a démontré la dernière édition du Festival Panafricain du cinéma et de la télévision (FESPACO) qui s’est tenue à Ouagadougou du 25 février au 4 mars 2017, le cinéma africain a amorcé une nouvelle phase de son évolution marquée notamment par un renouvellement des talents et un accroissement des financements privés qui promettent de meilleures perspectives de distribution et de diffusion de films à travers les opportunités offertes par le numérique.

Pour analyser ces nouvelles tendances et défis que traversent le cinéma africain nous avons interviewé Madame Souad HOUSSEIN, (originaire de Djibouti) qui a suivi de près cette évolution en tant qu’expert du cinéma africain à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).

ma d’Afrique francophone depuis 1999, date à laquelle j’ai intégré la Direction du cinéma et des médias de l’OIF. A cette époque, ce cinéma surtout le cinéma d’Afrique subsaharienne francophone dépendait en grande partie de financements publics bilatéraux et multilatéraux provenant essentiellement

Vous êtes impliquée depuis près d’une vingtaine d’années dans le soutien au cinéma francophone du sud. Outre cette expérience vous êtes aussi connue comme étant une militante du cinéma africain pourriez-vous nous dire comment vous avez perçu personnellement l’évolution de ce cinéma ?

J’ai pu observer trois différentes phases dans l’évolution du ciné-

du Nord. C’était l’âge d’or du Fonds francophone de production audiovisuelle du Sud de l’OIF qui pouvait octroyer des montants pouvant aller jusqu’à 120 000 euros par long métrage.

D’autres institutions telles que TV5MONDE, Canal France International, le Conseil international des radios et télévisions francophones (CIRTEF),

The second phase was characterized by the erosion of public funding from 2006 and the disengagement of certain institutional donors

le Fond européen ACP, le Fonds Sud du Centre national du cinéma Français, ou encore le Fonds image Afrique du Ministère français des Affaires étrangères apportaient aussi des contributions conséquentes.

Durant cette période, paradoxalement, peu de films de cette région étaient produits mais ceux qui se faisaient étaient relativement bien financés. Les thématiques en vogue à l’époque portaient sur la dialectique entre tradition et modernité, les rapports avec les Occidentaux etc. Les films étaient conçus pour un public et des critiques plutôt du Nord. Ils étaient généralement produits par des producteurs basés au Nord. La principale ambition à l’époque était de montrer les oeuvres dans les festivals et d’y obtenir une récompense.

La seconde phase s’est caractérisée par l’érosion des financements publics à partir de 2006 et le désengagement de certains bailleurs institutionnels. Les cinéastes africains ont dû s’adapter de force. Inspirés par le modèle de production du Nigéria, le géant de la production cinématographique au niveau continental, et surtout par l’avènement du numérique, bon nombre de jeunes

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cinéastes se sont mis à réaliser leurs films avec de petits budgets et parfois seuls. De nombreux festivals de cinéma se sont créés un peu partout en Afrique. Il y a eu également l’émergence de réalisateurs issus de sous régions peu représentées auparavant telles que l’Océan Indien et l’Afrique de l’Est. Le film de genre a fait son entrée avec des thématiques plus diversifiées explorant le registre de l’humour, de la politique ou de l’action. En dépit de cette conjoncture, les cinéastes ont fait preuve d’inventivité pour : réaliser à tout prix et montrer leurs films en Afrique. Désormais les films sont produits de plus en plus par des professionnels africains.

Enfin la troisième phase qui a commencé à mon avis vers 2012 a annoncé une certaine renaissance du cinéma africain. Elle est marquée par la multiplication des partenaires financiers. Certains Etats africains ont mis en place des Fonds nationaux d’aide à la production (comme en Côte d’ivoire ou au Sénégal etc). Des partenaires privés tels qu’Orange studio et Canal +. Ont fait leur entrée. Ce partenariat publicprivé pourrait donner un second souffle et contribuer à une meilleure visibilité du cinéma africain.

Au niveau du contenu ce cinéma aborde des thématiques reflétant les préoccupations socio-politiques, existentielles, environnementales des Africains.

Que retenez-vous de ces trois phases que vous venez de brosser?

La première leçon à tirer c’est que pénurie de financements ne rime pas forcément avec ca-

tastrophe. Comme dans d’autres domaines, l’impact de la coopération cinématographique pour l’Afrique n’est pas strictement lié à l‘importance de l’investissement financier. Parfois des montants limités mais investis à un moment critique et sur une niche porteuse peuvent s’avérer très utile. Par exemple, soutenir des bourses d’aide au développement

«La dernière leçon que je tirerais c’est que le temps où les bailleurs décidaient du sort et du contenu du cinéma africain est en passe d’être révolue car les jeunes générations de cinéastes souhaitent aujourd’hui plus d’autonomie et d’indépendance dans leur création et dans la maitrise du processus de production.» de longs métrages ne nécessite pas de gros investissements mais peut s’avérer crucial car cela permet d’apporter de la notoriété et de la reconnaissance à un projet et surtout d’aboutir à un scénario bien écrit qui trouvera plus aisément des partenaires. De manière générale, la mise à disposition «d’expertise» est souvent plus efficace que la dotation financière stricto-sensu.

La deuxième leçon à tirer est l’importance de l’investissement dans la durée comme a pu le faire l’OIF. Cette démarche permet non seulement de mesurer les ef-

fets à court terme mais également de susciter un impact à moyen et long terme de l’action engagée. A cet égard, nous ne pouvons que nous réjouir de constater que l’appui durable à la production du cinéma africain a permis d’une part, d’alimenter le patrimoine cinématographique africain d’œuvres de qualité. D’autre part, cela a contribué à une certaine amélioration des conditions de production et de promotion sur le terrain grâce aux efforts de plaidoyer des réalisateurs africains. En effet, certains cinéastes ayant connus le succès ont décidé depuis quelque temps de quitter le Nord pour venir mettre leur expérience et leur expertise au service des jeunes générations de leur pays.

La dernière leçon que je tirerais c’est que le temps où les bailleurs décidaient du sort et du contenu du cinéma africain est en passe d’être révolue car les jeunes générations de cinéastes souhaitent aujourd’hui plus d’autonomie et d’indépendance dans leur création et dans la maitrise du processus de production. Ils sont prêts à faire feu de tout bois pour aller chercher les financements là où ils pourront les trouver.

Quels sont selon vous les principaux défis du cinéma africain aujourd’hui ?

Près de 60 ans après sa naissance force est de constater que le cinéma de l’Afrique francophone se trouve à la croisée des chemins.

Pour choisir sa voie et aller à la conquête du public international, il doit répondre à mon avis à deux enjeux majeurs qui portent sur son contenu et sa commerciaN° 76 N° JUILLET 76 JULY 2017

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Pour aller à la conquête d’un public africain et planétaire et pour devenir plus compétitif le cinéma africain doit non seulement améliorer sa qualité technique mais aussi et surtout renforcer son authenticité. Pour marquer plus fortement sa plus-value et son authenticité, le cinéma africain doit d’avantage puiser dans la richesse de l’histoire et de la littérature de son continent. Il faut qu’il puisse se différencier des autres cinématographies du monde et révéler la spécificité de son aura.

Il me parait dommage qu’encore aujourd’hui on apprécie ce cinéma souvent que comme un sujet d’étude, il est temps qu’il sorte du cercle de l’ethnologie et exprime autre chose que l’essentialisme ou l’exotisme dans lequel il semble souvent être confiné.

Il est important de proposer davantage de films « grand public », de films dits «populaires» mais de grande qualité. Pour cela, l’Afrique dispose d’un patrimoine historique, des mythologies grandioses, de grandes figures et héros légendaires qui n’ont pas été suffisamment exploités dans le cinéma. L’histoire africaine contient de grandes thématiques qui montrent la contribution significative des Africains à l’Humanité et qui pourrait susciter l’identification du public africain, renforcer sa confiance en soi. A cet effet, la collection de L’Histoire générale de l’Afrique de l’UNESCO constitue une mine de sujets pour les cinéastes africains.

De même il me parait urgent de puiser davantage sur la richesse de la littérature écrite africaine reconnue internationalement.

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A titre d’exemple je rappellerais le succès planétaire du film d’animation intitulé « Kirikou et la sorcière » réalisé en 1998 par Michel Ocelot qui était basé sur l’adaptation d’un conte africain.

C’est vous dire le potentiel !

Quant à la commercialisation de ce cinéma, il y a encore beaucoup de choses à faire. Certes la reconnaissance internationale du cinéma africain dans un Festival aussi prestigieux que le Festival du film de Cannes reste un objectif intéressant pour la carrière d’un cinéaste et pour la visibilité de son pays d’origine. Mais la destinée d’un film ne peut reposer que sur cet objectif-là. Il faut mettre en place tout un circuit de distribution de diffusion et de rentabilisation des films africains. Il faut que cet effort soit accompagné par la formulation des politiques nationales et continentales pour renforcer la formation et la professionnalisation.

Il faut favoriser l’émergence d’un «Star-system » permettant la va-

lorisation des acteurs. Enfin il est important de mettre en synergie les stratégies d’aide au cinéma africain des différents partenaires impliqués.

Justement en réponse à ces défis que vous avez évoqués, l’OIF, à votre initiative d’ailleurs, avait lancé en 2010 un projet de fonds panafricain d’aide au cinéma ; qu’en est-il de ce projet aujourd’hui ?

Je voudrais d’abord rappeler que l’OIF s’était fortement impliquée dans l’aide au cinéma des pays d’Afrique francophone à un moment où très peu d’institutions s’intéressaient à ce cinéma. C’est un grand militant du cinéma panafricain originaire de Tunisie, Tahar Chériaa qui a été l’initiateur du Fonds francophone de production audiovisuelle du sud de l’OIF. Tahar Chéria a été aussi à l’origine de la création des deux premiers et plus grands Festivals panafricains du cinéma : les Journées cinématograp-

hiques de Carthage (JCC) et le FESPACO. Compte tenu de ce legs, il était tout à fait logique que l’OIF se lance dans cette initiative de Fonds panafricain au moment même où les financements pour le cinéma africain se réduisaient.

Je suis fière d’avoir contribué, avec plusieurs autres personnes, à cette entreprise ambitieuse qui consistait à mettre en place un mécanisme de financement à l’échelle continentale pour mobiliser des partenariats privés-publics autour de la production de films africains. Une des nouveautés de ce Fonds était sa démarche de solidarité interafricaine dans le domaine du 7ème art. Il prévoyait la mise en place d’une Fondation pouvant récolter des Fonds auprès des pays africains, des partenaires internationaux mais aussi du secteur privé, intéressés à aider des films africains reflétant les visions et points de vue africains sur le monde et pouvant assurer une relève des talents. L’autre nouveauté c’était le souci de mettre en place une structure neutre, légère, autonome et efficace facilitant le traitement des dossiers de manière transparente et rigoureuse selon des critères retenus. Une dernière nouveauté du projet fut son ambition panafricaine qui allait au-delà de l’Afrique francophone. Dès son annonce à Cannes en 2010, ce projet a suscité beaucoup d’intérêt de la part des professionnels et notamment de la Fédération panafricaine des cinéastes (FEPACI), de d’une vingtaine de pays africains ainsi que de l’UNESCO. Comme tout projet nouveau qui essaie de rompre avec certaines

habitudes, cette initiative n’a pas manqué de rencontrer des difficultés pour sa mise en place opérationnelle. Des divergences sur la gouvernance plus que sur le fond sont apparues entre les différents acteurs concernés retardant ainsi sa concrétisation. En gros le projet a été victime de son succès comme on dit. Mais plus de 7 ans après son lancement cette idée audacieuse reste plus que jamais pertinente et d’actualité.

Pour preuve : la multiplication de projets ayant une ambition panafricaine.

Fort de ses acquis et de ses enseignements le projet de Fonds panaf-

ricain est donc toujours à l’ordre du jour même s’il nécessite d’être revu à la lumière des nouvelles tendances et d’être réorienté notamment sur l’exploitation de la richesse de l’histoire et de la littérature africaines. Lors de la dernière édition du FESPACO, le Président de la FEPACI, Cheick Omar SISSOKO a lancé un appel à la Secrétaire générale de l’OIF pour mener à bien ce projet.

Mme Michaelle Jean a clairement répondu à cet appel en réaffirmant l’engagement de l’OIF pour que le cinéma africain fasse une percée significative sur le marché international.

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