Moto journal juin 2017 thai ta route

VOYAGE INITIATIQUE // Une blonde, un guide et une Honda

Thaï

La Thaïlande du nord est un pays de rencontres.

Celle entre trois pays (avec le Laos et la Birmanie), celle avec un peuple d’une incroyable gentillesse. Celle, aussi, de routes magnifiques qui vous amèneront aux confins du royaume de Siam et peut-être aussi, comme moi, aux confins de vous-même.

PAR Sophie Bernard PHOTOS Fred Berthault

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VOYAGE INITIATIQUE // Une blonde, un guide et une Honda

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Loin des plages de sable blanc, la Thaïlande du nord offre bien d’autres paradis à ceux qui aiment l’aventure à moto

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Certains mots annoncent d’eux-mêmes la couleur. Asphalte, par exemple, à l’oreille, ça glisse, ça chante, ça sonne, ça siffle comme un pet de lapin sur de la toile cirée. Enduro, c’est l’inverse. Rien qu’à le prononcer, on sent que ça accroche, ça ripe, ça percute, ça cogne.

Dans ma petite tête, le mot enduro en cachait bien d’autres comme end of the road, dur et endurance. J’y voyais, aussi, une approche de la moto un peu plus physique, plus fun, plus roots, plus proche de la nature et des hommes.

C’est donc avec zéro expérience en off-road, une petite dose d’inconscience, un brin de mental, un poil de condition physique et une bonne touche de dérision que je décidais de vivre la plus grande aventure de ma petite vie de motarde : un trip off-road dans le nord de la Thaïlande.

Direction Chiang Mai, à 800 km au nord de Bangkok. Celle qu’on appelle la Rose du Nord, capitale de l’artisanat thaïlandais, est une

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[1] Un petit village perdu niché au fond d’une vallée avec en arrière-plan les plantations de thé luxuriantes et rafraîchissantes.

[2] Chacun son truc : moi, je rigole, Fred, lui, s'occupe de l'itinéraire.

[3] C’est le matin, mais impossible de refuser un bon verre de gnôle locale proposé par ces paysans, pas tous très très frais. La portion de jungle qui suivra me paraîtra bien plus facile…

[4] Timide rencontre avec une petite fille de l’ethnie Padaung, dans un village loin de ceux fabriqués pour les touristes.

[5] Longer le Mékong, majestueux fleuve-frontière, et se dire qu'à quelques brassées, c'est le Laos.

[6] Dans les campagnes, les stations-service sont si minuscules qu’elles semblent parfois pousser au milieu de la végétation.

[7] Sur un asphalte parfait, les virolos s'enchaînent et, bien sûr, on roule à gauche !

[8] End of the road, nous n'irons pas plus loin. Derrière la barrière, c'est le Myanmar.

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ville agréable nichée au cœur des plus hautes montagnes du pays. Un point de départ idéal pour réaliser deux belles boucles de quelque 1 000 km, l’une partant à l’est vers la frontière birmane, l’autre à l’ouest en direction du Triangle d’or. L’idée était de combiner journée d’enduro et journée de roulage, un mix parfait, le tout sous le haut pilotage de Fred Berthault, d’Enduro Découverte.

SACRÉ MERDIER

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« En enduro, ce qui compte, c’est le mental, la lecture du terrain, la technique et la condition physique. » Tel fut le brief de Fred, quand il évoqua le programme qui m’attendait dès le lendemain de mon arrivée. L’innocente que je suis s’est endormie bercée par ces mantras en se disant, qu’après tout, « j’en cochais deux sur quatre. » Mon moral et ma forme physique allaient devoir contrebalancer mon manque total de pratique ; ça devait pouvoir le faire. ►

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Une blonde, un guide et une Honda

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Le lendemain, quand j’ai embrassé du regard ce qui s’ouvrait devant moi – une côte parsemée de cailloux, pour ne pas dire de rochers –, j’ai compris en un instant que je mettais mise dans un sacré merdier. La seule image qui me vint immédiatement à l’esprit fut celle des yacks croisés dans l’Himalaya qui gravissent la montagne en défiant les lois de la gravité. Sauf que je n’étais pas un yack. Ma monture, une petite 250 CRF L, était bien plus légère, et pour la mener au terme de ce qui m’apparut comme un voyage au bout de l’enfer, il n’y avait que ma petite pomme, complètement débutante.

TROUILLE AU VENTRE OU RAGE ?

Georges Moustaki disait, en parlant de la moto : « C’est une mécanique qui demande qu’on la conduise et de ne pas être conduite par elle.

Le rapport est plus juste, moins passif. » Georges avait raison, mais je ne le savais pas encore. C’est pourquoi, sur les premiers mètres, je fis tout le contraire avec une théorie simple : si je mettais les gaz, ma moto me ferait survoler d’elle-même, comme par enchantement, les obstacles tel un jeune cabri. Que nenni. Ma petite Honda m’emporta dangereusement tout droit vers un fossé de plus de 15 mètres. Sentant le drame approcher, Fred se planta devant moi en lâchant : « Mais tu es une vraie débutante ! » Eh oui, Fred. Dès lors, ce fut une évidence, l’aventure moto allait se doubler d’une aventure humaine pour nous deux, une sorte de docu-fiction à

la frontière entre Strip-tease ou Pékin express qu’on aurait pu facilement sous-titrer : la Blonde, le guide et la Honda. « Tu charges les cale-pieds, tu gardes un léger filet de gaz, tu te mets debout pour anticiper ta trajectoire. » Ce n’est pas que je sois une fille butée, mais, malheureusement, en enduro, c’est un peu comme dans l’amour, le corps a ses raisons que la raison ignore. Le mien a mis un peu de temps à intégrer le fait que c’était en effet à la verticale que je subirais le moins la piste.

Après vingt minutes d’escalades périlleuses, agrémentées de premières chutes, c’est simple, je ne sentais plus ni mes bras, ni mes épaules, mais j’étais étrangement joyeuse. ► [ 78 ] Moto Journal

[1] Charger les cale-pieds, se mettre debout, regarder loin...

Oui, j’ai compris, mais ce n’est pas encore gagné.

[2] Après 17 km dans la rivière, je suis rincée, mais je nage dans le bonheur. Fière de m’être sortie de ce parcours qui n’est autre qu’un des tronçons du GS Trophy Asie !

[3] L’avantage dans la jungle, c’est que tu ne peux pas vraiment te perdre car il n’y a qu’un chemin, enfin, une trace.

[4] Sophie, la lecture de terrain, tu connais ? Plus d’une fois, la lecture topographique me plongea dans un roman entre fantasy et sciencefiction !

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VOYAGE INITIATIQUE // Une blonde, un guide et une Honda Plus rien ne semblait pouvoir m’arrêter.

Ni la liane qui s’accrocha à mon guidon comme pour mieux me garder là, ni la branche que je pris dans la tronche à m’en faire pisser le nez, ni le cochon sauvage suicidaire sorti de nulle part qui faillit me transformer en pâté.

Non, ma trouille au ventre s’était transformée en une véritable rage d’avancer et de ne jamais abandonner. Chaque kilomètre parcouru,

aussi difficile soit-il, était récompensé par la découverte de panoramas somptueux sur les plaines du Doi Inthanon, le plus haut sommet de Thaïlande, avec ses 2 565 m. Grandiose.

L’enduro révélait là son autre facette, celle de pouvoir m’emmener aux confins d’une Thaïlande sauvage, vierge de touristes, à la rencontre des peuples des montagnes.

L’accueil de ces derniers fut plus que chaleureux. Je me souviens encore de ces villageois qui m’offrirent, à 10 h du matin, de l’happy water, un alcool local à 60°, rien que ça.

Je vous garantis qu’après une bonne lampée de cet arrache-boyaux, l’enduro en devient lui aussi encore plus happy, à la limite de vous faire percevoir les rochers comme de vulgaires petits cailloux.

« LA CORDE ? C’EST POUR TE SORTIR DE LA RIVIÈRE » A la fin de mon premier jour d’enduro, soit quelque 30 km parcourus en quatre heures, j’étais fourbue, éreintée, aussi sale à l’extérieur qu’heureuse à l’intérieur. Tant mieux, car ça n’allait pas s’arrêter là. Fred m’avait réservé une petite surprise pour le lendemain : remonter une rivière pendant 17 km dans la jungle. Youpi. Si on m’avait dit qu’au bout de trois ans de permis, je ferais une épreuve du dernier GS Trophy, j’aurais bien rigolé. Autant, tout du moins, que quand Fred m’expliqua avec

détachement que la corde qu’il emportait avec lui était faite pour me sortir de la fameuse rivière. Je découvris ainsi que l’enduro pouvait se révéler assez aquatique. On y sue à grandes eaux, on évite de faire de l’apnée sous son casque tout en étant équipé tel un scaphandrier, on se prend de bonnes vagues de stress et on nage dans le bonheur… Eh bien ce jour-là, ma moto et moi allions nous prendre pour Moïse, voire Jésus. Poussez-vous les singes, j’arrive. « Quand l’eau frise à la surface, c’est que tu peux y aller. Si elle est calme, alors c’est que c’est profond. » Simple et évident. Je ne sais

pas ce qui fut le plus difficile entre la boue, les ornières, la trajectoire à tenir avec de la flotte jusqu’aux genoux, ou encore les contorsions pour passer sous les troncs d’arbres, mais je réussis. A mon avis, les moustiques en parlent encore. Fred fut un super maître de stage (pour ne pas dire : moi, une super élève), car pas une seule fois il n’eut besoin de sortir sa corde ; ni pour se pendre, ni pour me sortir du caniveau.

Un vrai team, comme au GS Trophy !

Au sortir de la jungle, les routes thaïlandaises sont majoritairement en parfait état – l’asphalte y est parfois tellement lisse qu’on pourrait y repasser ses fringues. Mais surtout, ce qui est génial pour tous les accros du bitume, c’est le nombre de virolos. La boucle entre Mae Hong Son et Hot totalise ainsi la petite somme de 1 864 virages d’affilée.

1 864 VIRAGES… ET AUTANT DE SOURIRES Oui, 1 864 ! Et je ne vous parle pas de bière, mais bien d’une route incroyable à inclure assurément dans les best-of des routes mythiques – il est d’ailleurs possible de se voir remettre un certificat pour avoir brillamment négocié les 1 864 épingles ; moi, je n’ai acheté ►

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Culminant à 2 565 mètres, la chaîne montagneuse du Doi Inthanon se déploie jusqu’à la frontière birmane. Seul le tout-terrain permet d’accéder à ces splendides panoramas ►

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5 que le tee-shirt souvenir. Quant à l’ouest de la région, la moto permet d’aller au plus près de la frontière birmane. Ici, les check-points sont légion et les réfugiés birmans, fuyant la junte militaire, y sont aussi nombreux. Bienvenue dans le territoire des nombreuses tribus montagnardes comme les Hmongs, les Karens ou encore les Shans, reconnaissables à leurs vêtements indigo, leurs tissus brodés parés de pièces d’argent. Promus au rang de curiosité touristique, les Padaungs sont célèbres pour les colliers en spirale que portent les femmes, dites femmes-girafes. Heureusement, la connaissance parfaite de la région par Fred permet d’éviter les villages fabriqués de toutes pièces pour les touristes. C’est ainsi en pirogue que j’allais à la rencontre de cette minorité sans terre ni ressource, et qui ne vit que de la vente de ses tissages et petits objets ethniques. Les sourires et l’accueil des populations resteront gravés longtemps dans ma mémoire.

ET AU MILIEU COULE LE MÉKONG La Honda 250, c’est sympa, sauf qu’après une centaine de kilomètres, la selle se transforme en tapis de fakir. Aussi, pour aborder la deuxième boucle qui allait me mener jusqu’au

Triangle d’or, le changement avec une Honda CBX 500 fut salvateur pour mon arrière-train.

Tant mieux, car, au guidon de ma nouvelle monture, ce fut un réel bonheur de rouler au cœur de cette région pittoresque parsemée de plantations de café, de thé, de fraises (délicieuses) ou encore de cultures de roses.

Le sulfureux Triangle d’or, qui tient sa réputation de la culture du pavot à opium, reste aujourd’hui encore une plaque tournante du trafic. Pour autant, il n’est aucunement besoin de substances illicites, hormis le plaisir de conduire, pour apprécier le calme et la sérénité des berges du Mékong. Si la borne frontalière est à vrai dire aussi excitante qu’une très belle pompe à essence, il n’en reste pas moins étonnant et magnifique de rouler seulement à quelques brassées du Laos et de la Birmanie.

Le roi est mort, mais la Thaïlande est on ne peut plus vivante ! Plus que jamais, ce Shangrila (paradis) vous attend si vous êtes passionné de belles routes, de paysages magnifiques, de rencontres enrichissantes et de tracés enduro intrépides et intenses.

Cette aventure fut incroyable d’apprentissages.

Moi qui voulais faire un stage off-road, [ 82 ] Moto Journal

[1] Les moussons ravinent les sols et multiplient les ornières dans lesquelles je m'efforce de ne pas aller. Ne pas les regarder, ne pas les regarder !

[2] Si c’est dans les vieux pots qu'on fait les meilleures soupes, c’est aussi dans les bouibouis en bord de route !

[3] Une bouille à croquer !

Dès leur plus jeune âge, les Thaïlandais sont fiers de leurs pays et ils ont raison.

[4] En croisant des membres des multiples ethnies montagnardes, surtout les enfants, c'est à chaque fois une explosion de couleurs et de sourires.

[5] Seul Fred est capable de te débusquer un coffee truck avec des cookies au chocolat à la sortie de la jungle. Une pause plus que bienvenue pour se remettre de mes émotions et les idées en place. Passer de la boue de la jungle à l’asphalte peut parfois provoquer un soudain élan de sur-confiance.

je fus largement gâtée. Un défi que je n’aurais pu évidemment accomplir sans la patience et les conseils avisés de Fred qui m’accorda sa confiance pour m’amener au bout de la jungle, mais, surtout, au bout de moi-même.

Car une chose est certaine, avec ce voyage, je découvris une toute nouvelle façon d’apprécier la moto. En plus, du bonheur intact de rouler qui me procura irrésistiblement ce sentiment unique de liberté, la moto me révéla un autre plaisir : celui de m’amener au-delà de mes limites, de découvrir une nouvelle parcelle de mon propre paysage, de revenir en quelque sorte à mon élémentaire, ou, devrais-je plutôt dire, à l’élémen-terre. 

INFOS PRATIQUES Fred Berthault organise des trips pour des groupes ou en individuel de huit, dix ou douze jours de décembre à avril. Le circuit peut être mixte (piste et route) ou non. Le vol aller-retour Paris-BangkokChiang Mai coûte environ 700 €.

Plus d’infos sur : http://enduro-decouverte.fr, fredendurodecouverte71@gmail.com