L'INVENTION SUR LE TERRAIN
VIVRE ENSEMBLE
Zutique, la bande originale des Grésilles Comment faire revivre un quartier dit « sensible » tel que les Grésilles dans la banlieue de Dijon ? L’installation de l’association culturelle Zutique au neuvième étage de la barre HLM Boutaric a permis aux habitants de se parler, de se découvrir, voire de monter des projets ensemble. Bref, de remettre le collectif en musique.
C
’est un son de musette qui se diffuse à tue-tête, un flonflon qui fleure bon le parfum du bal populaire. Le jovial Dédé, accordéoniste à ses heures, retraité à temps plein depuis qu’il a quitté les services techniques de la ville, n’est pas peu fier de se rappeler le bon vieux temps, quand il avait l’âge des gamins qui s’agitent dans la pièce d’à côté. Dans la joie et la bonne humeur tandis qu’il joue, les enfants font des pleins et des déliés de toutes les couleurs, des dessins géométriques rouges, jaunes, bleus… Les plus distraits pourraient y déceler un lien surréaliste avec les motifs abstraits de Mondrian. Sauf qu’ici, ce n’est que du concret : les enfants de l’accueil de loisirs Champollion sont là pour réaliser une partie de la signalétique qui doit servir à tout leur quartier, les Grésilles, selon les directives du graphiste Eltono, street artiste qui a eu l’idée de cette singulière œuvre collective. « En faisant participer tout le monde à la création, cela devient un moment de cohésion sociale, et c’est aussi un moyen pour que les habitants s’approprient le résultat », insiste celui qui est missionné depuis plusieurs mois pour « cofabriquer » ces balises colorées, autant de « nouveaux repères » installés sur les murs ou gravés dans le bitume de cette partie de la ville en pleine mutation. AU JARDIN DES VOISINS, REMETTRE DE LA COULEUR DANS LA GRISAILLE Chaque dessin indiquera un lieu public implanté au cœur des Grésilles, le vaste quartier populaire de Dijon dont les barres 70
HLM furent synonymes des promesses du modèle français durant les glorieuses années 1960. À l’époque, toutes les populations s’y côtoyaient, du jeune cadre encore dynamique à l’ouvrier spécialisé, du Bourguignon grandi dans le fût au primo-arrivant pur jus… Et puis, les années ont terni le cliché, et la crise a achevé les espoirs de faire cohabiter des populations que tout semblait désormais éloigner. Les plus fortunés sont partis, les autres sont restés, peu à peu stigmatisés comme « sensibles » - traduisez « différents ». Un demi-siècle plus tard, l’heure est à la reconstruction du « vivre ensemble ». Elle passe d’abord, du moins officiellement, par une réhabilitation du bâti, entamée dans les années 2.0, qui a fait tomber peu à peu tous les « grands » ensembles. Il ne subsiste plus aujourd’hui que deux barres : la Réaumur, désormais murée, squattée, appelée à être bientôt détruite, tandis que l’autre, Boutaric, est encore bel et bien là, debout. Dehors, il fait nuit en plein midi. Ambiance d’été caniculaire, ciel surchargé d’éclairs. Dédé et tous les gamins, sans oublier les médiateurs sociaux et quelques femmes venues en voisines, se réfugient illico au Jardin des Voisins, local d’une vingtaine de mètres carrés de l’association des habitants de l’esplanade Boutaric. Samira Hassini, la vaillante présidente, ne peut s’empêcher de railler Dédé, la mascotte toute désignée des quelque douze membres que compte l’association. Qu’il pleuve, qu’il vente, qu’il tonne, en short ou emmitouflé, il vient tous les matins s’occuper du jardin partagé, niché le long de la grise barre. Il y a des bacs individuels pour les membres adhérents, des bacs collectifs où tout le monde peut se servir, VISIONS SOLIDAIRES POUR DEMAIN