Québec : le faire-savoir des savoir-faire

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l'invention sUr le terrain

REPORTAGE AU QUÉBEC

Le faire-savoir des savoir-faire Le croisement des connaissances de chercheurs, de professionnels et surtout de citoyens est au cœur de la dynamique de l’économie sociale et solidaire du Québec. L’initiative Parole d’excluEs, qui lutte contre la précarité et l’exclusion sociale par la mobilisation des citoyens du nord-est de Montréal, en est l’un des symboles. Le Bâtiment 7 dans un ancien quartier ouvrier de Montréal, le village de Saint-Camille ou encore le studio ambulant de Wapikoni mobile sont d’autres illustrations de ce rapport plus attentif aux savoirs et savoir-faire du terrain.

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u béton, un parking et des trafics louches en dessous d’appartements tenus par des gangs : tel était il y a une petite quinzaine d’années le paysage de l’Îlot Pelletier. Changement d’ambiance en ce samedi 9 juin 2018 ensoleillé : ce quartier de l’arrondissement de Montréal-Nord fête son « bazar ». Le parc de stationnement de deux ou trois milliers de mètres carrés est en partie devenu la Voisinerie. La grisaille des murs, de l’asphalte et des pots d’échappement a laissé place à une table de bois, des plantes, un verger, deux jardins potagers et une petite bicoque de travail décorée de peintures d’enfants. Il y a aussi la ruche, perchée sur le toit de l’immeuble, et, juste à côté, un Centre de la petite enfance (CPE) de quatre-vingts places qui soufflera trois jours plus tard sa première bougie d’existence avec un spectacle de clown. Jeunes et vieux du coin, francophones et anglophones, d’origines européenne, africaine, du Nord au Sud, haïtienne ou encore latino-américaine préparent les repas, installent les tables, palabrent, vendent, s’échangent fringues et autres babioles. Ils ont concocté la journée eux-mêmes avec le soutien des deux OBNL (organismes à but non lucratif, équivalent québécois de nos associations loi de 1901) qui ont remplacé l’organisation criminelle du premier étage : l’Accorderie, système d’échange de services via une bourse de temps, et Parole d’excluEs, créé en 2006 afin de « lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale à travers la prise de parole, la mobilisation et l’accompagnement de démarches citoyennes »1. VISIONS SOLIDAIRES POUR DEMAIN N° 3

vireZ-Moi ces GanGs De l’iMMeUBle, QU’on PUisse PrenDre Un caFé Son jeune garçon dans les bras, Leonardo Munoz slalome entre les stands, puis grimpe l’escalier extérieur jusqu’au premier espace communautaire ouvert il y a un peu plus de dix ans par Parole d’excluEs dans des quartiers considérés comme défavorisés du nord-est de Montréal. « Ce local communautaire, explique le chargé de mobilisation citoyenne de l’organisme sans but lucratif, c’est notre premier lieu de prise de parole. Avant, cet édifice et celui d’à côté étaient possédés par des criminels, il y avait des logements armes, jeux, trafic de femmes, la totale quoi ! Juste se retrouver, discuter, prendre un café dans un lieu sécurisé, ce n’était pas possible dans le quartier. » C’est ici, à l’Îlot Pelletier, qu’a été lancé ce projet au long cours, à la conjonction de trois univers : le mouvement social et citoyen, puis l’économie sociale comme on appelle au Québec l’économie sociale et solidaire, via Patrice Rodriguez, visionnaire à l’origine du projet et fondateur de plusieurs initiatives, aujourd’hui décédé ; ensuite le logement social, via un OBNL dénommé la Shapem ou Société d’habitation populaire de l’est de Montréal ; et puis le monde de la recherche, grâce à la création d’un « incubateur universitaire ». « Personne ne voulait prendre en charge la reconversion des édifices dont la police venait d’évincer les gangs de rue, se souvient Jean-Marc Fontan, sociologue à l’Université du Québec à 55


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