Dossier de presse I : poésies & théories, Idriss Aberkane

I dr i ss Ab er ka n e

p o é s i e s

&

t h é o r i e s

i

poésie & théories Idriss Aberkane révèle sa première œuvre poétique, fruit de plus de quatorze ans de travail.

Titre Auteur Pages Format Prix Parution Collection

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I Idriss Aberkane 400 pages 130 X 190 mm 28 € 10 Mars 2020 Poésie

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Florilège de poésies mystiques & de théories scientifiques

Ce recueil se compose d’essais et de poèmes à lire

dans la non-linéarité où ils sont présentés. Bien qu’il évoque souvent le matériel et la réalité soufie, il n’en a pas plus la subtilité ou la qualité, qu’un essai médical ne remplace la pratique clinique.

En peu de mots cet ouvrage cherche à perpétuer la vie de la poésie par des poèmes qui ne sont que des éclosions possibles à l’ombre de celles d’Eliot, Pound, Perse et d’autres. La conscience aiguë de leur insignifiance devient inévitable face à la diversification des activités et productions humaines.

Idriss aberkane : Considéré comme un « petit génie » des neurosciences appliquées, Idriss Aberkane est titulaire de trois doctorats. Agé d’à peine 33 ans, il a déjà donné plus de 500 conférences dans le monde entier dont 8 TEDx sur quatre continents et conseille plusieurs gouvernements sur leur système éducatif. Il est également éditorialiste La maison d’édition Victor Le Brun se distingue par la diversité et la richesse de ses publications. Des astuces de grandsmères aux domaines pratiques de la vie quotidienne, en passant par des romans ou des beaux livres, les éditions Victor Le Brun offrent au grand public un héritage des plus généreux. Plus qu’un pari, mettre à l’honneur le patrimoine culturel français et en partager ses merveilles, est en réalité la vocation de la maison.

au Point. Ses essais et livres — « Libérez votre cerveau » et « L’Âge de la connaissance » ont été traduits, entre autre en Coréen, Chinois, Japonais, Russe et Grec.

Soi a son désir wasteland derviches 4

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PREMIÈRE PARTIE

The Stanford poems

…Ibn Arabi – entre autre auteur du Traité sur la Production des Cercles1 que l’on a déjà rapproché du dernier chant du Paradis de Dante – développe une conscience aiguë de ce que les plus hautes défaillances de l’Humain puissent provenir non pas de sa chair ou de son idéation individuelle mais de ses rapports à un monde supérieur, notamment dans l’imagination créatrice. L’art de concevoir, ou mieux – et c’est le point de vue du modernisme qui le distingue le mieux du classicisme – d’être habité par une idée est aux mystiques infiniment plus difficile que d’agir pour manifester l’idée dans la matière. Aussi, la matière peut faire émerger l’idée. La nature manifeste bien ce qui peut nous inspirer des lois, des formules mathématiques, des règles d’harmonies auxquelles Antoni Gaudi (1852-1926) a su par exemple prêter une attention neuve, naïve : géniale. L’analyse fractale n’est apparue en mathématiques que bien après les observations de botanique – par exemple – qui auraient pu la suggérer à l’esprit éveillé, attentif. Une pomme de pin, une fougère, ou le chou romanesco2 exhibe des formes que notre histoire des sciences ne parvient hélas qu’à identifier (a posteriori donc) à la notion d’autosimilitude, là où ces formes – bien plus anciennes que l’Humanité – auraient pu les lui suggérer au contraire. Comme disent les ingénieurs : quand on n’a qu’un marteau, tout les problèmes sont des clous. Il est bien plus difficile de laisser le monde nous suggérer des idées que d’identifier et d’imposer les nôtres dans le monde. Un des sens de cette histoire soufie l’illustre : 1 Ibn Arabi, Traité sur la Production des Cercles (Kitâb inshâ’ ad-dawâ’ir al-ihâtiyya) traduction de Paul fenton et Maurice Gloton, texte Arabe établi par H. S. Nyberg. Paris : Editions de l’Eclat 1996.

2 B. Oleracea du cultivar Botrytis

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Un aigle, épuisé, vint s’effondrer sous une fenêtre. Un des habitants de la maison le trouva, qui n’avait jamais vu d’aigle auparavant. Il vint le nourrir tout en compatissant en ces termes : « pauvre oiseau, tu es vraiment mal en point. Qu’est-ce donc que ce bec recourbé, et ces vilaines griffes ? ». Aussi tout en choyant et rassasiant l’aigle, l’homme s’occupa-t-il à lui tailler les serres et à lui mutiler droit le bec, avant de le laisser s’envoler : « Va, pauvre bête ! maintenant tu ressembles plus à un oiseau ».3

••• Je vois au moins deux dimensions vivantes dans le Waste Land. D’une part il s’agit d’une poésie donc il s’inscrit dans l’Histoire Naturelle de la poésie, et notamment on peut penser qu’il est le fruit d’un arbre co-planté dans l’âme d’Eliot par Baudelaire lui-même, des Fleurs du Mal ayant fleuri en lui, ainsi que les Quatrains d’Omar Khayyam qu’Eliot avouera être son influence la plus primordiale en poésie, et de la compréhension apaisante du mal terrible de ce monde Eliot tire son contemplatif « Shantih, shantih, shantih ». D’autre part le Waste Land est un vortex. Le sentiment d’Eliot, comme une graine en croissance, attire à lui les nutriments dont il a besoin et en cela malgré tout il les choisit – c’est l’expression même de la poésie, une fabrication qui commence par le choix4. Donc en cela il construit un ordre, mais un ordre qui n’est pas rationalisé, un ordre qui émerge : cet ordre typique du vivant.

Aussi cet ordre peut sembler désordre, d’autant plus qu’il est très souple c’est-à-dire qu’il peut résister à beaucoup de variations5 ce qui suscite souvent la méprise de le croire arbitraire. Rappelons l’art poétique de Verlaine :

Il faut aussi que tu n’ailles point Choisir tes mots sans quelque méprise : Rien de plus cher que la chanson grise Où l’Indécis au Précis se joint.6

3 D’après une version d’Idries Shah.

4 Et comme le choix c’est la liberté, il y a un lien fondamental entre poésie et liberté.

5 On peut arracher des lignes au Waste Land, amputer certains de ses vers voire en changer l’ordre, le poème conservera une grande part de sa puissance ou mieux : se fortifiera, comme dans le vivant une mutation peut être délétère ou bénéfique. Ce qui fait dire aux uns que la versification libre d’Eliot est donc arbitraire fera dire aux autres que l’ordre du poème a la souplesse et la richesse d’un organisme vivant.

Baudelaire, lui, écrit dans la dédicace à Arsène Houssaye de ses Petits poèmes en prose (Le Spleen de Paris, (1862) Paris : Poésie/Gallimard 2006 p 103.) « Nous pouvons couper où nous voulons, moi ma rêverie, vous le manuscrit, le lecteur sa lecture ; car je ne suspends pas la volonté rétive de celui-ci au fil interminable d’une intrigue superflue. Enlevez une vertèbre, et les deux morceaux de cette tortueuse fantaisie se rejoindront sans peine. Hachez-la en nombreux fragments, et vous verrez que chacun peut exister à part. Dans l’espérance que quelquesuns de ces tronçons seront assez vivants pour vous plaire et vous amuser, j’ose vous dédier le serpent tout entier. » 6 Paul Verlaine, l’Art Poétique (composé en 1874) vv.5-10. cité in collection littéraire Lagarde & Michard, XIXème siècle, Paris : Bordas 1963. pp. 510.

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L’ordre intime chez Eliot est en fait légitimé par la plus fondamentale des nécessités ici bas : la préservation de l’existence. Et c’est là de l’existence du poème autant que celle de toute la poésie qu’il est question. De plus l’expression du moi intérieur que véhicule tout poème est trop vaste pour tenir dans un être guindé de plans et d’images superficiels de lui-même. A partir de ces quelques observations, et admettant que la forme du Waste Land n’avait pas de précédent connu mais a de nombreux précurseurs, je crois qu’il est juste de parler de ce poème comme d’une forme poétique en soi, dans laquelle le présent recueil – comme il aurait pu être un recueil de sonnets – se propose de s’épanouir : je parlerai donc d’un « recueil de wastelands ».

Dans cette conception de l’ordre la poésie est d’autant plus belle qu’elle ne s’impose pas d’autre but qu’elle-même, comme le vivant n’a pour seul but que de vivre, mais que de ce but émergent des formes puis des fonctions contingentes, immensément

variées

et

inattendues.

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Ainsi le poème devrait se lire l’esprit un peu endormi, comme sous thiopental, « like a patient, etherised, upon a table » en laissant tomber les effets de ses mots et de ses phrases successivement dans « nos esprits tendus comme des toiles », comme écrit Baudelaire dans Le Voyage : nous le verrons plus loin. L’opposé le plus significatif à cet état de lecture que demande le poème serait celui que demande l’article de journal. D’une façon intéressante, les deux états sont très souvent inversés de nos jours : le lecteur d’un journal à demi endormi dans les transports en commun ne remet plus rien en doute de l’article qu’il lit. Ni il n’en critique les positions, ni il n’en allonge les informations par l’exercice d’une conscience aiguë de ses propres connaissances. Par contre, le lecteur d’un poème croit devenir de plus en plus critique, alors que sa critique tient simplement à ce qu’il lit le poème comme il aurait dû lire un article de journal. Ces deux exercices de la conscience ne sont pas encore miscibles, et en première lecture le poème doit être lu dans la confiance absolue à son auteur avec un effacement le plus parfait du soi. C’est par ailleurs un très bon exercice à l’exercice d’une voie mystique.

••• Luc Benoist (1893-1980) note, toujours quant à l’indétermination en littérature :

Quand Homère – qui en est plein comme Platon, Cervantes ou Shakespeare – cite un proverbe, il emploie l’aoriste, c’est-à-dire l’indéterminé, tout comme lorsqu’il décrit un phénomène cyclique de la nature.7 (…) Le verbe n’exprime pas seulement, ni surtout, ni toujours les aspects, les modes ou les temps des grammairiens. En Hébreu la forme du verbe ne distingue pas le présent du passé ou du futur. De même que dans l’aoriste des Grecs ou le perfectif des Russes, tout y agit dans l’indéterminé.

Rien n’y est saisissable qu’un pur effort8 (…) Tout mot porte ainsi le secret de sa force. Il désigne le pouvoir, la tendance, la destination – les kabbalistes diraient la destinée – des êtres. Il qualifie l’objet, non en tant qu’objet, mais en tant qu’agissant.9

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7 Luc Benoist La Cuisine des Anges Paris : Edouard Pelletan 1932 p. 76.

8 Luc Benoist ibid p. 79 9 Luc Benoist ibid. p. 80

[POÉSIES] Voleur de fleurs « En ce flocon d’homme trois cents mois comprimés d’ignorance. Sais-tu la tristesse ? Il marche mort par les rues de suie rance. Sourire aux lèvres une pièce en main il pense. Savoir jouer avec de ses doigts, qu’il aura l’air magicien. A son cou la soie, sur la pomme d’Adam. Les bretelles qui tranchent sur les tissus bouffants. Trois mendiants, trois coins de rue, grand air indifférent : « Rien que l’environnement. « La pièce à sa poche il se voit embrassant le sein doux boutonné de sels de bains, et s’amuse du sourire benêt de ce larbin, chaque matin. D’amour trop tendre et sans pouvoir. Ce sein ce soir dans sa soie et névrose soupirera : « majesté ! « Mon plaisir, salive-t-il, dans cette ivresse d’or rose « Il vend des graisses végétales hydrogénées « C’est là le train du monde et je n’ai que du bien à en dire « Il est fait pour toi, dans toute brillance saumâtre « Et tu es fait pour l’autre alors laisse-le te faire sourire « L’indigo, couleur varice en marbre sous les peaux, a tout le respect des chairs pies et cotons pendus qui les pleurent » « Mais mon ego demeure » « Nafs-I-Ammara, c’est plus beau. Ici le grain se meurt « Tu chevaucheras à cru ta béhéma domptée. Quelle parade alors : son poil tout brossé d’ivoire frémira à tes souffles comme des encensoirs, te rendra fier et de ce plein noir tu serviras droit en ta chair « prières et litanies à boire. « Tout coulera à tes capillaires. Tout poison, tout antidote, les émétiques, tous les contraires de toutes les sphères : une lumière « Dans les lumières des capillaires « Viens ! visite : »

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DEUXIÈME PARTIE

Au Dhikr de la Mer Il ne s’agit pas ici de produire un système philosophique, ni un système de pensée réduit, parcimonieux au sens d’Occam ; il ne me dérangerait pas, eût été philosophiquement, d’en appeler à un « autre monde ». On peut par exemple maintenir la vieille structure de l’existentialisme et surtout celle, plus belle je crois, du post-existentialisme de Camus en mentionnant malgré tout un « autre monde ».

Medice cura te ipsum – et Mohandas Gandhi (1869-1948) disait : vous devez être le changement que vous voulez voir dans le monde – dans son excellent traité de psychologie soufie « Les maladies de l’âme et leurs remèdes » le Cheikh Al-Sulamî (né en 937 ou 942 à Nishapur) expose :

Une des maladies de l’âme est la profusion de paroles. Celle-ci a deux origines : le désir de suprématie qui porte le murîd1 à vouloir faire étalage de sa science et de son éloquence ; l’ignorance de ce qu’il faut dire.2 Talleyrand (1754-1838) relate : Je vais aller entendre la lecture de la note de quarante pages, envoyée au Foreign Office avant-hier. Quand on a raison, on n’écrit pas quarante pages.3 1 Synonyme de « murîd » : « chercheur de vérité » 2 Al Sulamî : Les Maladies de l’Ame et leur remèdes traduit de l’arabe par Abdul Karim Zein Milan : 1990 p.48 3 Charles Maurice de Talleyrand-Périgord : Mémoires du prince de Talleyrand, Albert de Broglie (ed) Paris : Calmann-Lévy 1894.

Copie de l’exemplaire de l’Université du Michigan p. 358, numérisé le 18 juin 2008, retrouvé sur google books.

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Un des attributs divins dans le soufisme est « Celui qui réduit », d’où on à tiré le vocable « Algèbre », de la racine JBR, notamment : réduction, qui réduit. Mais montrer le résultat d’une réduction, en mathématiques comme en poésie, en philosophie ou dans le mysticisme, n’indique pas forcément comment réduire. On peut donc faire tenir toute une littérature en quelque ou en un vers, de même qu’à la mort l’individu se résume au mieux à une épitaphe. Eliot choisira : « In my beginning is my end / In my end is my beginning », dont on pourrait retracer l’origine au moins jusqu’à l’emblème de François 1er, la salamandre qui comme le phénix renaît de ses cendres, par sa belle petite fille Marie, Reine des Ecossais qui en avait fait sa devise. La salamandre est ainsi l’emblème du village d’Usson en Auvergne où Marguerite de France fut assignée à résidence pendant dix-neuf ans. parmy les déserts, rochers et montagnes d’Auvergne4 Comme Eliot chantera “Even among these rocks”, et comme il intitulera son grand poème “Choruses from “The Rock”” Il faut rejouer en littérature les tâtons de l’humain, parce que la littérature fait justement partie de ce qui reste au monde ; là où c’est son effet sur l’âme qui sera éternel cette part prégnante (au sens de René Thom) de son cycle de vie, sa manifestation saillante, le poème « physique », est condamnée à rester au monde : je crois que dans l’autre monde nos poèmes terrestres sont triviaux et qu’on ne les emporte pas dans la tombe. En d’autre termes, la littérature fait partie intégrante du monde, et chez les soufis le monde a une particularité à la fois essentielle et existentielle : Ce monde est fait pour vous, et vous êtes faits pour l’autre monde.

Dans sa préface à Anabase de 1926 Valéry Larbaud rappelle que dans le grand poème de St-John Perse le poète se trouve étranger, qu’il traite le monde (ainsi que le conseille le modèle prophétique dans le soufisme) comme un lieu d’émerveillement passager qu’il traverse toujours comme un étranger. Ainsi dans Anabase si le poète fonde une ville, la voit naître et grandir, et s’en émerveille, il la laissera derrière lui à la fin de son poème-voyage intérieur, pour poursuivre sa route.

Ces paysages lui sont intérieurs ; il les voit dans un miroir situé au plus profond de sa conscience ; il les voit et il s’en étonne ; il en prend possession et pourtant il s’y sent étranger ; non pas nationalement étranger mais humainement étranger. Il est l’homme pour qui cette planète reste toujours un sujet d’étonnement5 4 Brantôme ibid p.172. En comparaison Eliot chantera « Even among these rocks »…

5 Valéry Larbaud Préface pour une édition d’Anabase, in La Nouvelle Revue Française, volume 26 (1926) Paris : Gallimard p.67. copie d’un exemplaire de l’Université du Michigan, retrouvé sur google books, numérisé le 25 avril 2007. i - poèmes & thérories

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Al Sulamî indique :

Une des maladies de l’âme est d’oublier qu’elle ne peut vivre tant que tu ne l’as pas tuée ; autrement dit, le murîd ne vit pas pour l’Au-Delà (al‘âkhira) tant qu’il ne meurt pas au monde (al-dunyâ). Tu ne vis en Dieu qu’après ta mort à tout autre que Lui. Ainsi que l’a dit Yahyâ bin Mu’âd al Râzî : « Dieu préserve des mauvais penchants de l’âme celui qui se rapproche de Lui en s’effaçant ». Cela signifie que le murîd doit défendre à son âme de suivre ses penchants (shahawât) et doit l’entraîner vers la vérité qu’elle déteste et qu’elle refuse.6 Ainsi :

Une des maladies de l’âme est son désir violent (hirs) de s’établir dans ce monde et de s’enrichir.

Le remède correspondant, c’est que le murîd sache que le monde est une demeure passagère et que l’Au-delà seul est durable. Et l’homme intelligent est celui qui travaille pour sa demeure éternelle et non pour les étapes de son voyage ; car les étapes (marâhil) ont une fin et seule subsistera la station (maqâm) dans le séjour durable ; et l’homme intelligent est celui qui travaille pour son lieu de retour. Dieu Très-Haut a dit : « Certes la vie de ce monde est un jeu, un divertissement, une parure (…) » (Coran 57, 20)7 6 Al Sulamî Ibid p. 37. Le traducteur mentionne ensuite un hadîth qudsi (tradition de Mahomet) qui révèle : « Ô monde, sers ceux qui Me servent et fatigue ceux qui te servent » 7 Al Sulamî Ibid p.55 12

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Une des maladies de l’âme est son goût pour les affaires de ce monde et le bavardage.

Le remède correspondant c’est que le murîd s’emploie à invoquer (dhikr) Dieu constamment pour que cela le défende du souvenir (dhikr) du monde et des mondains et l’empêche de s’enfoncer dans les mêmes gouffres qu’eux.8 Une des maladies de l’âme est que, lorsqu’elle est satisfaite, elle loue démesurément ce qui la satisfait, et, lorsqu’elle est en colère, elle blâme démesurément ce qui la met en colère.9

••• Une autre histoire soufie raconte qu’un homme demanda à un maître s’il était licite de boire du vin en Islam. Ce à quoi le maître répondit : « cela dépend de la grandeur de ton âme. Si ton âme tient dans une bassine, à y verser un verre de vin elle deviendra rouge. Mais si ton âme est comme la mer, alors tu pourras y verser autant de vin que tu veux, cela n’en changera pas la couleur ». Richesse, succès et reconnaissance, toutes choses et affaires mondaines, doivent être traités de la même manière. Ainsi, puisque l’abandon de soi dans l’ivresse divine est l’aboutissement de la quête mystique, le soufi – infiniment exigeant – cherche à ne se saouler que d’absolu et entraîne son âme à ce seul goût, à n’être enivrée de rien d’autre.

C’est ici un point de vue complémentaire à celui de l’art poétique chez Yves Bonnefoy et de sa conception de l’esthétique sensuelle, comme on le verra à la fin de cet essai. Le déchirement entre l’aspiration sensuelle – qui sert, le drame humain est là, des besoins vitaux comme celui de s’alimenter et de survivre – et l’aspiration mystique de l’âme persiste et domine la condition humaine. Saint-John Perse travaille à le domestiquer, à mon sens, quand, s’offrant un point de vue dominant et la conscience intime d’une ville en construction, il oriente la beauté sensible vers l’abstrait qu’il en dote en chantant « ce monde est plus beau qu’une peau de bélier peinte en rouge », et transcende le sensible à la façon de Leopardi (cette peau devient une peau puis la beauté même, comme quest’ermo colle devient questo mare).

On trouvera dans Chercheurs de Vérité (Seekers after Truth) par Idries Shah, un conte soufi d’un intérêt remarquable pour ce propos, celui de « La poche magique »10. Il raconte l’histoire de trois frères qui entendent un jour parler du sort d’une princesse lointaine, Nafisa, qui se trouve être obsédée par les figues. Sa passion pour ce fruit la possède au point qu’elle en mange inlassablement, jour et nuit. Son père le roi, comme souvent dans les contes, promet sa main à quiconque parviendra à la libérer de cet attachement pour les figues et saura se montrer digne du royaume. Chacun des frères part armé de figues avec pour stratégie d’en dégoûter la princesse, chacun se trouve croiser sur son chemin le même vieux derviche pour leur en mendier quelques unes, mais seul le dernier en route, le cadet Arif, propose de se séparer de la totalité de ses charges de fruits ainsi que des montures, voulant demeurer attentif aux opportunités originales qui pourraient s’offrir à lui sur son chemin. Le derviche lui retourne une seule des figues sèches dont il lui a fait don, et lui coud une pièce de tissu à l’emplacement du cœur pour y placer le fruit. La poche ainsi formée est enchantée, et peut produire une inépuisable série de figues sèches, dont Arif se sert pour arracher par le dégoût la princesse à sa passion. Il l’épousera après d’autres épreuves. Idries Shah précise : 8 Al Sulamî Ibid p.52 9 Al Sulamî Ibid p.49 10 Idries Shah « La Poche Magique » in « l’art que personne ne possède » in Chercheurs de Vérité (trad. Jean Néaumet) Paris : Albin Michel (1984) i - poèmes & thérories

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Voilà comment Arif devint l’époux de la princesse Nafisa11 ou Petite Ame, puis roi du Pays de l’Acacia, Balad as Salam, le Pays de la Paix et de l’Accomplissement.

Dans la langue d’origine de cette histoire, le même mot – jaib – désigne à la fois la poche et le cœur, et le mot pour « figue » est presque homonyme de celui qui désigne l’argile – tin – la terre, et donc les choses qui nous environnent.

Par sa petitesse d’âme, la précieuse Nafisa est soumise à ne vibrer de plaisir ou de déplaisir qu’au fil de l’interminable neuvaine de figues ou de manque de figues, de choses matérielles, qu’elle ne peut s’empêcher de dévorer. Le personnage d’un prince ou d’une princesse convient bien pour illustrer dans un conte la toute puissance sur le monde et l’impuissance sur soi-même.

A l’expression « avoir les pieds sur terre », je pense – et c’est un argument de cet essai – qu’il faut adjoindre le sens second de la locution « ne sutor ultra crepidam » qui émerge de cette confrontation.

••• En définitive la révolte que prône Camus face au silence déraisonnable du monde me semble avant tout un effort démesuré sur soi-même.

L’une des maladies de l’âme c’est que le murîd croit être dans la station de la patience (al sabr) alors qu’en fait il est dans une station qui exige la gratitude (al shukr)12

La patience implique d’attendre un but, un signe, un sens… L’incapacité à vivre sans ces fins relève alors d’un état d’ingratitude spirituelle qu’il faut apprendre à dépasser, un des pires dangers pour la psyché, qui mène facilement au suicide sitôt que l’on n’a plus rien à attendre, alors qu’il faudrait vivre sans attendre, ne pas attendre avant de vivre (et ni vivre pour attendre, ni attendre pour vivre).

11 Nafîsa signifie « Petite Âme », à partir du mot « Nafs »,. Dans leur Livre des Prénoms Arabes, (Beyrouth : Al Bouraq 2000) Younès (Eric) et Néfissa Geoffroy notent aussi : « Nafîs / Nafîsa : précieux ; de grande valeur. Nafîsa, arrière-petite-fille de Hasan (Petit fils du Prophète), sainte et théologienne des 8-9èmes siècles, enterrée au Caire. » op. cit. p. 202 12 Al Sulami ibid p. 82 14

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« Connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux ». A l’époque où la science était une, cette citation en fondait la totalité : philosophie, sciences humaines, sciences naturelles,et toute forme de gnose. Tout était à réunir dans ce point central qu’est le Soi, c’est-à-dire la sphère autonoétique issue du « Sois ! ». Ainsi plus l’Humain a séparé ses savoirs, plus il s’est séparé lui-même.

Quand tu te connaîtras comme âme universelle, Le foyer dont tu n’es qu’une pâle étincelle T’absorbera : ton cœur ne pourra plus changer.

Le « moi » plein de désirs, qui seul fut l’étranger, Ne t’empêchera plus de descendre en ton être.13 La connaissance de l’âme est au centre, apparent ou caché, du chant de tous les poètes, parce que les poètes sont des humains professionnels et que la quête de tout être humain est dans la gnose de l’âme.

J’ai écrit que tout ce recueil ne vaut pas mieux qu’un vers : To be or not to be, that is the question. Or le Lyrisme c’est le chant de l’être. Et quand cet être est lui-même partie d’un être plus grand, comme disons un neurone dans une colonne, une colonne dans une population, une population dans le cortex cérébral… ou un homme dans une nation, un homme dans l’Humanité, l’Humanité présente dans l’Humanité universelle, le lyrisme se transcende à travers la hiérarchie floue14 et entrelacée des niveaux de complexité de l’organisation du Réel. On peut chanter son être ou mieux : celui de l’autre, et enfin le Nôtre. La poésie peut suivre cette forme d’évolution, du lyrisme égocentré au lyrisme allocentré, jusqu’au lyrisme absolu. Malgré la situation actuelle du monde, je crois que le chant de tout notre être a un bel avenir devant lui.

De même l’homme fait partie d’un tout dont l’accomplissement est inéluctable : « les hommes constituent une vérité unique même s’ils sont nombreux et cette vérité n’agit qu’en vue de fortifier l’humanité en l’homme. C’est qu’en réalité l’homme n’est point multiple. Dieu a dit : « Votre création et votre résurrection sont pour Lui15 comme celles d’un seul être (Coran : 31,28). »16 Pour René Girard la nature mimétique du désir implique que « tout désir est désir d’être »17, une belle approche au titre même du présent recueil : Sé al suo disire, et à ces vers qui se trouvent de part et d’autre de ma mention d’une « caouane18 de plumes » dans le poème Sé al Suo disire.… Si seulement, par ailleurs, ce désir d’être que théorise Girard pouvait justement se manifester dans l’auto-organisation d’une économie non plus de l’avoir mais bien de l’être… la structure socio-économique de la mondialisation s’en verrait profondément changée. Enfin en français, Sé al Suo Disire se traduit efficacement Soi(t) à Son désir.

13 Maurice Bouchor, Le Chant de Vishnou. Les Symboles Paris : G. Charpentier et Cie (1888) p. 118.

14 Qui ne s’inscrit pas dans le bon ordre de l’inclusion en théorie des ensembles. Le non typage de la pensée humaine fait par exemple qu’un humain peut penser l’Universer qui le contient, et l’idée même de la correspondance du microcosme au macrocosme implique de toute façon que l’Univers soit contenu par les entités qu’il contient, ce qui nous oblige à dépasser le concept de bon ordre pour lui trouver le meilleur substitut mathématique qui lui fait encore défaut.

15 Et dans le Coran comme dans les hadiths Dieu parle de Lui-même à la première ou à la troisième personne.

16 Cheikh Khaled Bentounès, Bruno Solt (ed) Ibid p 38.

17 René Girard : Quand ces choses commenceront Arlea p. 28.

18 La belle tortue caouanne (Caretta caretta) est une tortue marine en voie d’extinction à notre époque. J’ai pris son nom, caouanne, parce qu’en français il sonne comme le nom du monde en arabe « Kawn », dans le grand livre d’Ibn Arabi : as shjarat al Kawn, l’arbre du monde. i - poèmes & thérories

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Ce qui caractérise en effet le vivant, c’est d’être essentiellement, avant toute autre chose. Le vivant, tel que nous apprenons à le connaître, est en permanence soumis à la pression de ne pas être à laquelle il oppose celle d’être. Que ce processus soit immédiatement ou en différé accompagné de perception puis de conscience me semble une question en suspens. Il peut s’établir un certain délai, crucial dans l’Histoire Naturelle et a fortiori dans notre Histoire, une certaine avance entre l’être, la perception, la conception et la conscience partielle d’être, et plus certainement un monde entier finement glissé entre le début de la vie matérielle et le début de la vie mentale. Il faudrait écrire : « je suis donc je pense donc je suis », l’être de la subjectivité est chez Homo sapiens intriqué dans l’être de la matérialité même si JeanYves Heurtebise postule qu’un système auto-organisé qui soit également parfaitement auto-représentatif, c’est-à-dire dont le fonctionnement dégage une représentation du soi qui le recouvre entièrement, ne soit pas impossible. Si tel est le cas l’Homme pourra se décrire parfaitement lui-même un jour – nous avons cependant tout un champ d’étude associé à cette possibilité, celui de la Gnose Divine (Dieu étant le « Connaissant en Soi ») et de sa correspondance à la gnose comme mission humaine… Descartes, qui a amplement réfléchi sur le rapport de l’être à la connaissance, écrira cependant :

Car il est de la nature de l’infini que ma nature, qui est finie et bornée, ne le puisse comprendre.19 L’avance initiale possible (et suggérée par l’observation biologique) de la vie matérielle sur la vie consciente est d’une importance gigantesque pour tout un individu, pour toute l’humanité. Cela étant, les deux vies, matérielle comme consciente – comme la vie consciente serait une vie dans la vie – commencent par l’être. La seconde est une option chez le commun des mortels.

••• Si le rôle de la poésie, comme de toute forme d’art, est de permettre l’élévation du niveau de conscience, pourraitelle relever ce type de défi ? Je pense que la poésie – par la faute du langage – n’est pas faite pour ce défi précis de la prise de conscience d’un lieu à un autre, mais qu’elle peut permettre de développer des niveaux de conscience dont – dans une certaine mesure – elle seule sait percer le secret (« et ce monde est plus beau / qu’une peau de bélier peinte en rouge », par exemple). Comme j’ai essayé de le développer dans la partie précédente de cet essai, cette approche n’est pas contradictoire avec celle d’Yves Bonnefoy. Cependant si ma problématique était de permettre à des ingénieurs sur terre d’acquérir rapidement l’exacte même conscience d’un problème que celle d’astronautes en mission, ou bien à des chercheurs de l’Université de Stanford l’exacte même conscience que celle de travailleurs agricoles à Richard-Toll au Sénégal, la poésie actuelle ne me suffirait pas. Le langage seul ne pourrait pas suffire, même si dans l’espace du langage s’intriquent ces très curieux objets fractals que sont les poèmes. Malgré tout l’effort, des réalistes en littérature n’est ni vain ni accompli. Il reste un monde que je ne sais justement pas mesurer, dont l’ampleur dépasse ma conscience, d’objets de conscience que notre littérature a ignoré, un monde caché dont le mouvement moderniste a essayé de relancer l’exploration, là où le néoclassicisme (véritable) préfèrerait explorer la combinatoire des objets de conscience déjà saisis auparavant. Construire plus sur le terrain connu versus explorer plus de ces terrains inconnus. L’histoire de Mullah Nasrudin cherchant ses clés à la lumière d’un réverbère alors qu’il les a perdues chez lui brise le néoclassicisme et la pétrification mentale, le « penser confiné » qu’il implique sous couvert de ses versions corrompues de la « rigueur », de l’« excellence » et du « mérite ».

19 René Descartes. De Dieu, qu’il existe. In Œuvres philosophiques, Panthéon Littéraire. Paris : Société du panthéon Littéraire p 77. Copie d’un original de la bibliothèque universitaire de Lausanne, numérisé le 14 nov 2008, retrouvé sur googlebooks.

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L’expressionisme aussi, notamment dans les théories de Jean-Yves Heurtebise, est un effort très riche qui travaille dans la torsion ces niveaux de conscience autrefois inexprimés dans l’Histoire et qui donc étaient appelés à être redécouverts en permanence. On comprends encore une fois comment l’exploration peut être plus verticale que l’exploitation. En effet, si l’exploitation (néoclassique) de l’art des niveaux de conscience transmissibles ignore simplement l’exploration de ceux que l’on ne sait pas représenter (en peinture, en poésie ou autres…), l’Humanité sera condamnée à les redécouvrir en permanence, perdant ainsi une verticalité bien plus riche encore. Mais si à l’inverse, comme l’a fait Proust, on rend des niveaux de conscience accessibles par exemple à la lettre – et ils auraient pu l’être à tout moment : rien d’exogène n’empêchait le ou les auteurs de l’épopée de Gilgamesh d’écrire à la Proust – le processus de verticalité de l’évolution sur l’évolution peut poursuivre sa route sans tourner en rond et, grâce aux changements de paradigme, sans fantasmer et s’auto-glorifier à courir derrière un point d’accumulation sans jamais le dépasser. L’auteur de la prochaine génération, qui n’a jamais rencontré Proust peut récupérer le niveau de conscience de la madeleine imbibée de tilleul et aller plus loin – il est encore très bon, cependant, qu’il lui soit donnée aussi la liberté de l’ignorer totalement. C’est selon moi un point crucial de l’essai d’Eliot : tradition and the individual talent déjà cité dans l’essai de la première partie.

•••

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[POÉSIES] « C’est long, la traversée ?

Pas tant que ça, mon colonel, mais le mécanicien s’est suicidé comment ? étranglé et là-bas ? rien, mon colonel, des sous-hommes je vous assure vraiment ? des psychopathes et des violeurs quel beau temps la plage là-bas vaut vraiment le détour un bon thé fermenté, au citron turbidescent, le soir l’odeur de figues et de marjolaine… de pêches braisées et parfumées, kabyles mielleuses et coeurs morbidescents ce clocher… il sonne bien clairement mon colonel, c’est son enterrement mais qu’avez-vous au pied ?

J’ai marché sur un tesson c’est douloureux, je sais, comme un gros coup de câble sur la plante, le mordant en plus

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oh, mon colonel, vous avez du en voir J’ai connu la douleur comme on connaît le vin. Jeune, fraîche et verte, à celle qu’on carafe, brune et forte, ou qui ne se révèle qu’après quatre ans à l’air l’important alors, le mépris, l’être ailleurs Non plutôt l’appétit, la faim, de douleur vous savez, mon colonel… nous arriverons demain ? au matin, j’ai fait suiffer votre arme de poing tant mieux, tant mieux… » A la froideur de lune se craquèlent nos tombes molletonnées de pins décomposés … Sur ses myrtes infects entre tes noirs cyprès ? vous, sales festivals qui palpitez de lampions Je suis l’antépoète, Je, Ai lâché sur vous de la hyène castrée de rire hordes à débusquer vos joies et Je ne crains pas l’alcool, ne crains plus l’hubris Lamento meutes à détraquer vos fois : Me voilà.

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TROISIÈME PARTIE

Au Port Pinardier Le Waste Land traite du rapport de l’Homme à l’espace-temps. Il est intéressant d’étudier ici la possibilité d’une réelle technologie issue de cet état de fait que l’Homme utilise le monde à des fins mentales, dont les perspectives pour l’extension et la maturation de la vie mentale humaine sont pharamineuses.

L’exposition « Les Portes du Ciel » au musée du Louvre (6 mars-29 juin 2009) présentait une pièce intéressante : un sarcophage en grauwacke sur l’extérieur duquel furent gravés des passages du Livre de Morts (dont la proximité avec la Commedia est logique, puisque les deux textes ont le dénominateur commun : « l’Homme, sa vie, sa mort »).

La pièce est référencée comme Sarcophage de la Dame Tanethep, IIème siècle avant J-C, Dans les collections du musée du Louvre : E84 (N352-D39). L’exposition note : Tous les textes sont tirés du Livre des Morts, dont ce cercueil constitue un véritable équivalent tridimensionnel.

Le paradigme de l’énaction et le « co-constructivisme » d’Edgar Morin sont très proches sur ce point, et on l’a souvent remarqué :

c’est-à-dire que je parle de la collaboration du monde extérieur et de notre esprit pour construire la réalité1 Michel Foucault écrit aussi simplement :

le langage s’entrecroise avec l’espace2 Et Luc Benoist : 1 2

Edgar Morin dans un entretien du 10 avril 2008 pour le site nonfiction.fr, repris par wikipedia.fr.

Michel Foucault, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 9.

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L’homme est si surnaturel, disait justement Léon Bloy, que ce qu’il réalise le moins, ce sont les notions de temps et d’espace (…) Il serait apparemment moins faux de dire que la parole exprime l’espace à travers le temps.

Car notre espace n’est qu’une coupe instantanée et toujours provisoire au milieu d’un devenir continu où les apparences des choses rendent visibles le frottement, le bourgeonnement terminal du temps qui pousse3 Peut-être qu’après avoir sorti le langage du réel dans la direction de l’abstraction il faudra l’y replonger à des fins d’ergonomie et aussi de systématisation : c’est-à-dire ici en vue de soumettre l’espace et le réel eux-mêmes à l’abstraction. Il y a cet exemple des maquettes de foie divinatoires en argile qui servaient proprement d’aide mémoire à l’« hépatoscopie » dans l’Antiquité. Le premier ouvrage de la belle série publiée par la Bibliothèque Nationale de France L’Aventure des Ecritures présente la photographie d’une de ces maquettes4. Il y est noté entre autre :

Cet objet fait partie d’un lot de 32 foies, aides-mémoires pour les devins ou modèles pour une école d’augures, trouvés dans le palais de Mari.5 Et du foie à la planète Terre, comme utilisation de l’espace pour écrire nous avons les fascinants géoglyphes qui parsèment le monde, du désert Nazca à l’Australie occidentale, de Cuzco à la Scandinavie… écrire, mais écrire dans l’espace-temps, pour les esprits de la terre et du ciel, écrire pour les esprits d’abord, pour qui, s’ils sont omniscients, toute action est légende, c’est-à-dire que tout mérite d’être lu puisque tout sera lu par eux.

Dans le même livre sur la page en vis-à-vis de la photographie de la maquette de foie est montrée une « tablette d’écolier »6. La légende indique aussi :

Ici, le jeune scribe, en serrant sa tablette maladroitement, lui a imprimé la forme de sa main.7 Et que n’a-t-il pas écrit ainsi, en inscrivant dans la matière et son espace l’empreinte de sa main qu’un jour peut-être nous saurons lire et extrapoler comme aujourd’hui nous ne parvenons pas à aller au-delà des « caractères durs » dans la paléontologie. L’empreinte même de la main du scribe, quelle écriture déjà ! Et tout le mouvement impressionniste, tout l’art de Rimbaud, la torsion des expressionnistes, tout Proust, quel génie pour faire de la subjectivité une donnée transmissible et rapprocher ainsi l’Histoire écrite de l’Histoire de la vie mentale qui est encore à naître car on ne sait pas l’écrire, et dont les précurseurs seront sans doute les éléments de l’Histoire de la subjectivité. Dans sa préface à l’ouvrage sur la naissance des écritures Jean-Pierre Angremy (Alias Pierre-Jean Rémy 1937-2010) cite avec brio un passage d’Alphonse de Lamartine (1790 – 1869) (Raphaël : pages de la vingtième année) qui poursuit bien cette notion de l’empreinte comme écriture, et du monde comme supérieur au mot : 3 Luc Benoist, La cuisine des anges, Éd. Edouard Pelletan, Paris, 1932, p. 101.

4 Référéncée : « Mari [Syrie, Moyen-Euphrate] début du IIème Millénaire avant J-C. Argile, H. 6.65 x L. 10.5 x ép. ? 2,4 cm, Musée du Louvre, AO19837.

5 L’aventure des écritures, Naissances (Tome 1), ouvrage collectif, Paris, Bibliothèque Nationale de France,1997, p. 24.

6 Référence dans l’ouvrage : Basse Mésopotamie, fin du IIIème millénaire av. J-C. Argile, diam 7,4 x ép. 2,5cm, Musée du Louvre, AO 7755.

7 L’aventure des écritures, Naissances (Tome 1), op. cit., p. 25.

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Il improvisait quelquefois, le soir, sous les pins de la villa Pamphili, en présence du soleil couchant et des ossements de Rome épars dans la plaine, des stances qui me faisaient pleurer ! Mais il n’écrivait rien.

– Raphaël, lui disais-je, pourquoi n’écris-tu pas ? « Bah ! me disait-il est ce que le vent écrit ce qu’il chante dans ces feuilles sonores sur nos tètes ? Est ce que la mer écrit les gémissements de ses grèves ? Rien n’est beau de ce qui est écrit. Ce qu’il y a de plus divin dans le cœur de l’homme n’en sort jamais. L’instrument est de chair ; la note est de feu. Qu’y veux-tu faire ? Entre ce qu’on sent et ce qu’on exprime, ajoutait-il avec tristesse, il y a la même distance qu’entre l’âme et les vingt quatre lettres d’un alphabet ! c’est à dire l’infini. Veuxtu rendre sur une flûte de roseau l’harmonie des sphères ? »8 Les grands problèmes des fondements des mathématiques, à l’ère formaliste qu’a porté le vingtième siècle en incubant les travaux de Gottlob Frege (1848-1925) pour en venir au positivisme logique et aux principes du tractatus logico-philosophicus, ont posé la question du rapport du monde aux mathématiques – vues comme le langage suprême, un statut que peuvent se disputer les noumènes (au niveau du prégnant), les phénomènes (au niveau du saillant) et les mathématiques. On attribue la réflexion suivante à David Hilbert : « Le Physicien dispose toujours de cette machine à calculer qu’est la Nature »… Hilbert a ainsi posé son immensément profond sixième problème, toujours non résolu mais en fait si proche des considérations du personnage de Raphaël dans le précédent texte de Lamartine : peut-on axiomatiser la Physique ? J’ignore si Hilbert était un lecteur intéressé du Yi-King ou de Schopenhauer mais cette question, « peuton saisir dans un langage formel la totalité de l’Univers prégnant comme saillant » (car le principe du rasoir d’Occam ferait prendre le risque de n’en saisir que le saillant, c’est-à-dire l’observable au détriment du prégnant, ce qui est un défaut de sous-optimalité dans la démarche scientifique) a l’ambition de mettre ce que Schopenhauer appelait la Représentation en adéquation avec le Réel tout entier…

Il nous est à l’heure actuelle inacessible de démontrer qu’une chose est physiquement impossible. Cette assertion, non typée au sens de Russel, est elle-même circulaire donc ne doit pas être interprétée dans une sémantique rigoureuse mais seulement par l’intuition du sens dont on ne peut faire l’économie dans la communication de tous les jours, qui est au-delà de la logique typée. Un théorème de possibilité s’exprime facilement dans l’Univers physique : pour démontrer qu’une chose est possible il suffit de la faire, ce qui est une instance du principe d’expérience énoncé entre autre par Roger Bacon. Mais un théorème d’impossibilité physique est une chose qui nous est inaccessible, bien qu’elle soit en effet paradoxale à énoncer : s’il est impossible de démontrer qu’une chose physique est impossible, alors il est impossible de démontrer cet impossible-là… Cependant, si la Physique est axiomatisable, si la réponse au sixième problème de Hilbert est « oui », on peut tirer profit de la structuration, manifeste comme cachée, du Réel pour l’utiliser comme une gigantesque machine à calculer en appui aux mathématiques telles que nous les concevons à l’heure actuelle (c’est-à-dire notamment basées sur une rigueur formelle qui nous soit énonçable). C’est cette même idée qui ressort du titre de l’ouvrage du logicien Rudolf Carnap : La structure logique du monde. J’ai postulé, 8 Alphonse de Lamartine, Raphaël : Pages de la vingtième année, Paris, Pagnerre éditeur, 1859, pp. 3-4. Copie d’un exemplaire de l’Université de Harvard, numérisé le 14 mai 2008, retrouvé sur Google Books.

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et continue à croire, que l’on peut utiliser les phénomènes pour constituer une logique, qu’il existe une « logique phénoménale » une « p-logique » qui tiendrait effectivement à l’usage du Réel comme structure de preuve, renversant ainsi les considérations de Pierre Simon de Laplace (1749-1827) sur le déterminisme. En effet, si ce que l’on a appelé le « démon de Laplace » serait une entité qui aurait une représentation totale du monde incluant la sienne propre, la p-logique tiendrait plutôt à faire du monde son propre démon, et à fonder une très élégante logique de l’être dont l’objectif ne soit plus celui d’une sémantique mais d’une puissance : une logique non plus légitimement fondée par l’obtention du vrai ou du faux mais seulement par celle de l’être. Reste que le monde comme démon de Laplace laisse malgré tout la possibilité d’être trop finiment complexe pour se décrire lui-même, comme toute théorie capable d’exprimer au moins l’arithmétique élémentaire ne peut calculer sa cohérence, et de n’être pas infiniment complexe comme ce que nous appelons “Dieu”, le seul être capable de tout décrire, et de se décrire lui-même.

••• De plus la possibilité précède la démontrabilité, et il n’est pas besoin de se préoccuper de la valeur de vérité de ce prédicat : il est, c’est tout. Ainsi je ne ferai pas toujours ici de sciences au sens de Karl Popper, c’est-à-dire que ce que j’écrirai ne sera pas toujours réfutable. Par contre il sera, ce qui constitue déjà un critère très puissant dans les méthodes d’acquisition de la connaissance. Au critère de réfutabilité, impuissant à saisir la métaphysique comme la métamathématique, je préfère de loin le critère de systématisation (qui est d’ailleurs un critère d’« essérité » : to be or not to be, that is the question), c’est-à-dire qu’est une science, au sens le plus profond (un savoir, une compréhension, une connaissance, une conscience…) ce qui est systématique : ce qui saisit tout. Il faut alors adjoindre à ce critère un critère d’esthétique ou de simplicité : est une science ce qui saisit tout avec le moins. C’est l’esprit illimité de ce dont le principe du rasoir d’Occam est une lettre limitée. Ainsi, l’on peut perdre une vie à essayer de saisir un par un les nombres entiers, mais que l’on peut aussi dire « N », l’ensemble des nombres entiers, utiliser la capacité du cerveau à manipuler des ensembles sans les typer, ce qui s’est avéré une qualité immense dans notre histoire des idées, et aussi prendre conscience de ce que le cerveau ne manipule que des étiquette superficielles dans sa pensée, ce qui est un défaut majeur de la qualité précédente. Comprendre les forces et les faiblesses de notre pensée, puis de notre écriture, précèdera la création de nouvelles technologies issues de la pensée, comme le média qui saura externaliser la mémoire épisodique pour structurer la mémoire de travail. Ce média nous l’appellerons l’hyperécriture.

•••

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Mais l’écriture dans la chair est un nouvel embarcadère pour le littérateur. Elle crée, il me semble, une nouvelle forme, que j’appelle l’Hyperécriture. Cette notion est assez simple : considérons d’abord que tout média n’est que l’externalisation d’un aspect de la vie mentale, d’un module de notre esprit. L’écriture alors, à n’en pas douter, externalise au moins la « mémoire de travail ». Mais il existe un grand nombre d’autres modules que nous pourrions externaliser, à commencer par notre mémoire épisodique et notre mémoire biographique. Il y a déjà la méthode des lieux, et les arts de mémoire, par lesquels les polymathes d’antan, et les athlètes de la mémoire d’aujourd’hui, spatialisent ce qu’ils doivent mémoriser pour mieux le retenir.

D’un point de vue neurotechnologique le sujet est fascinant. D’une part les corrélats neurologiques de l’écriture sont assez bien connus. On part donc d’un média ancien, l’écriture, et on étudie sa trace neurologique pour isoler une forme de rivière cérébrale, bien caractérisée, qui emprunte le faisceau arqué, et connecte typiquement des neurones spécialisés dans la reconnaissance de formes (graphèmes) à des neurones spécialisés dans la reconnaissance de sons (phonèmes). C’est parce que nous connaissons des corrélats neuronaux des phonèmes et des graphèmes que nous pouvons établir une physiologie de l’écriture. Eh bien d’un autre côté, nous connaissons aujourd’hui des corrélats neuronaux essentiels des lieux, qui ont été à l’origine du Prix Nobel de Physiologie ou Médecine en 2014, et il s’agit de l’hippocampe et du cortex entorhinal. Par ailleurs, l’étude des corrélats physiologiques des noèmes, “objets de la pensée intentionnelle” selon Husserl, même s’ils sont bien plus distribués et réseautants que les corrélats des lieux, a déjà fait des progrès considérables.

••• Le vent du désert que nous chante ici Burton est ainsi rapproché du « Conte des sables » de cet autre soufi occidental (Sir Fairfax Leighton Cartwright) par Idries Shah dans The Sufis :

Un ruisseau bouillonnant parvint à un désert, et s’aperçut qu’il ne pouvait pas le traverser.

Ses eaux se perdaient de plus en plus vite dans le sable fin9. Le Ruisseau dit tout haut : « Mon destin est de traverser ce désert, mais je ne vois pas comment. » C’est là la situation du disciple qui a besoin d’un maître, mais qui n’a confiance en aucun : la pathétique situation humaine.

9 Dans A Dream within in a Dream déjà cité, Edgar Allan Poe voudrait sauver un grain de sable de la mer, le sable de l’eau.

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La voix du Désert répondit dans le langage secret de la nature : « Le vent traverse le désert, et tu le peux aussi.

– Mais chaque fois que j’essaie, je suis absorbé par le sable ; et même si je devais me ruer contre le désert, je n’irais pas bien loin.

– Le vent ne se rue pas contre les sables du désert.

– Mais le vent peut voler, moi pas.

– Tu penses de façon erronée. Essayer de voler par toi-même est absurde. Laisse le Vent te porter au-dessus du sable.

– Mais comment cela se peut-il ?

– Laisse-toi absorber dans le Vent. » Le Ruisseau s’écria qu’il ne voulait pas perdre ainsi son individualité.

S’il permettait cela, peut-être n’existerait-il plus jamais. « C’est là, répondit le Sable, une façon de raisonner, mais qui n’a aucun rapport avec la réalité. Quand le Vent absorbe l’humidité, il lui fait traverser le désert, puis il la laisse tomber sous forme de pluie. Celleci, de nouveau, devient une rivière.

– Mais comment puis-je savoir si cela est vrai ?

– C’est ainsi, et tu dois le croire, autrement tu seras simplement absorbé par les sables pour former, dans plusieurs millions d’années, un marais stagnant.

– Mais si c’est ainsi, serai-je la même rivière que je suis aujourd’hui ?

– Tu ne peux de toute façon demeurer le ruisseau que tu es aujourd’hui.

Tu n’as pas le choix ; il semble seulement que tu l’aies. Le Vent transportera ton essence, ta partie la plus fine. Lorsque tu deviendras à nouveau une rivière dans les montagnes au-delà des sables, il se peut que les hommes te donnent un autre nom ; mais toi, essentiellement, tu sauras que tu es le même. Aujourd’hui tu te donnes le nom de telle ou telle rivière simplement parce que tu ignores quelle partie de cette rivière est ton essence. » Alors le Ruisseau traversa le désert en s’élevant dans les bras du vent hospitalier qui le souleva doucement et avec précaution dans les airs, puis le déposa avec une tendre fermeté au sommet des montagnes

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d’un pays lointain. Maintenant, dit le Ruisseau, J’ai appris ma véritable identité. » Mais il se posait encore une question, en dévalant le flanc des montagnes : « Pourquoi ai-je été incapable de faire ce raisonnement par moi-même, pourquoi a-t-il fallu que les Sables me le disent ? Que serait-il arrivé si je n’avais pas écouté les Sables ? » Soudain une petite voix, venant d’un grain de sable, répondit au Ruisseau : « Seuls les Sables savent, car cela ils l’ont vu déjà ; de plus, ils s’étendent de la rivière jusqu’à la montagne. Ils forment le lien, et ils ont leur fonction à remplir, comme toute chose. La manière dont le ruisseau de vie doit se conduire pendant son voyage est écrite dans les Sables. »10 Trois personnages : Le Ruisseau, le Sable, le Vent, et la terrible possibilité de rester stagner dans le sable des millions d’années, car le Ruisseau ne peut retourner d’où il vient. « I had not thought death had undone so many » “a persona che mai tornasse al mondo”.

10 Idries Shah, Les Soufis et L’ésotérisme, op. cit., p. 327-328.

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[POÉSIES] III. …On voit… on voit… …un bon tortionnaire qui nourrit un quasi-cadavre aux yeux grand ouverts vêtu d’orange, vêtu de bleu ventre empli creux, le nez empêtré de tuyaux c’est beau.

Je vois quelques-uns de ses derniers mots entre des dégâts de scalpels ou brûlures de mégots, sur les pommettes, puis les yeux sous les canettes pleines de nourriture forcée injectée par le nez et des mots très lourds, des mots très légers « ah ah ! mon ami, mon ami moi je t’aime. Tu verras, au-delà, on rira bien de tout ça pas ne souffre, et je ris, ah je ris, et souris, farci oui, brûle-moi les bras, la nuque et la chair, mon estomac : un poulpe aigre renversé et toi… tu m’as torturé mais sache… on se reverra, mon ami, et nous jouerons aux cartes on mangera une bonne salade grecque versée d’houmous et de tarama, on rigolera toi et moi ma femme - déjà là - nous jouera un très bon repas devant Dieu, tu verras, c’est comme ça, tu n’y échapperas pas

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et encore je te dis, je ne fais pas le portrait d’un roi : je n’emprunte pas le style que tu attends de moi, je ne cherche pas à restituer ce que tu crois Juste ce que je vois, la tête au ciel, les yeux au miel, les yeux bien ouverts au scalpel devant Dieu quand tout finira, on dansera, on rêvera, on sera mieux que meilleurs amis on boira des eaux de rose où flotteront des pignons dans une nuit, pâte et crème d’une pistache perse, douce au belvédère dans la compote agréable d’une glace au bon lait de chèvre on se racontera des souvenirs : tu te souviens, la fois, ami, on s’est disputé pour je ne sais quoi tu te souviens ? je ne m’en souviens presque pas on fêtera, on s’aimera, ma femme nous dorlotera prends mes mots, senteurs de mer et pleines de fruits, je veux te dire Adieu, tu verras Adieu, tu verras Adieu » Et il est mort dans ses bras.

•••

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V. J’aime un miroir qui fait mon nez sien et yeux palpant de Rimmel noir : qu’il soit le sien, cœur masculin, d’un sacrifice en plein vagin il s’ouvre cent mille vallées fertiles riantes de milliards de gamins Je commanderai à la genèse, Mère, y jouerai à Dieu le Paradis bien sous mes pieds et n’ayant plus vu de prophètes, je serai comme l’Antépoète, comme celui qui rêve mieux ne rejoindre qu’en tout dernier Dieu qui le sera et bien pourquoi ?

Celui brillante et amoureux qui nous fera fin, œil de Cieux Je commanderai à la genèse élue de déluges et délices grèges, dans la même verve que son amant Je ferai sang, jardins d’enfants que jamais ne demeure un blanc (car Dieu est noir donc Il est blanc) De vie mes mamelles peupleront les plus hauts transfinis j’aurais tout amant dôme d’un amour à mort tes yeux lui procréeront les yeux nous jouirons dans la cour des Grands ! …

Friends of my youth, a last adieu ! haply some day we meet again ; Yet ne’er the self-same men shall meet ; the years shall make us other men : The light of morn has grown to noon, has paled with eve, and now farewell !

Go, vanish from my Life as dies the tinkling of the Camel’s bell.1

1

Richard Burton, “The Kasidah”.

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TABLE DES MATIÈRES

Mise en garde Prologue « Siena mi fé, »

Premier Livre : The Stanford Poems Premier Essai : sur l’ordre et la séquence Grand Sorcellerie Ghazal au Khidr L’Antépoète The Love Waltz of A. Tower Waterman Jr. Rumi Rêve Bergson Sé al Suo Disire

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Deuxième Livre : Au Dhikr de la Mer Deuxième Essai : sur la Vie et la Mort Des Nouvelles de l’Antépoète Banshee Blanche Oniromancien Karl Valentin Cinématique du « Trésor Caché » Apnée Un Dhikr de la mer

Troisième Livre: Au Port Pinardier Troisième Essai : sur le dépassement Langueur de l’Antépoète Le Sens du Mot « Adieu » Jusqu’au Port Pinardier Forsaken Land Dominaria® Quichotte le Noir

Epilogue « disfecemi Maremma »

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p o é s i e s

&

t h é o r i e s

I d r i s s Aber k a ne

L’écriture a sa propre mouvance dans notre vie mentale, dans notre château intérieur. Quand elle nous pénètre, elle façonne notre architecture et se façonne elle-même.

Ainsi, l’auteur Idriss Aberkane, nous confie qu’il « rêve une hyperécriture comme un jardin de notre vie mentale, et comme un art simple et universel de nous jardiner l’esprit, en ordonnant élégamment les objets qu’il habite », et nous suggère de « … spontanément chercher ce que l’on cherche, là où on ne le cherche pas ». Voilà une invitation qui nous fait sourire, et est de ce fait naturellement attrayante. Que doit-on chercher ? S’agit-il d’une énigme ?

Ici, le mystère est à l’image du titre « I ». Une lettre, une seule qui préside et révèle un livre, un florilège de poésies qui pense la Poésie, les mots, et les lettres. « I » certains y verront l’initial d’Idriss, d’Intelligence, d’Infini, d’Invisible ou d’Indivisible. D’autres opteront pour la représentation d’un nombre complexe en mathématiques. D’autres encore y liront la traduction du « je » anglais. Chacun cherche à sa façon. Et si cet essai révélait tout cela à la fois ? Sous nos yeux et entre nos mains une ballade spirituelle nous est offerte.

Indéniablement une forme nouvelle de poésie « mémoire-voyage », cet ouvrage est une conscience, celle d’Idriss Aberkane lui-même qui vit la pensée lui permettant de révéler sa propre pensée : « si le monde est la plus vaste des écritures, le monde nous sert de mémoire ». Alors comme il l’écrit un peu plus loin « quand nous domestiquons notre vie mentale, nous écrivons l’histoire, et nous faisons parmi les plus grandes choses qu’il soit donné de faire à l’Humanité. » Composé donc de théories et de poèmes, cet essai semblera parfois énigmatique, troublant, d’autres fois limpide et vivifiant mais toujours empreint d’une précieuse profondeur, aussi déroutante que la sincère naïveté d’un enfant. Nous devinons ici l’avant-propos d’un Petit Prince naissant.