L'Histoire de Simon

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L’histoire de Simon Chapitre I L’éveil d’un artiste

Bramejean. Mon lieu-dit, en Provence. J’ai grandi dans un mas provençal. J’ouvrais ma fenêtre et je voyais des champs de pommes et de brugnons. Les journées étaient sans fin. On était une quinzaine d’enfants. On mangeait des brugnons dans le noir. Quand ma mère, Valérie, criait « À table ! », à vingt-et-une heure trente, il faisait déjà nuit. Il y avait un truc de grande liberté et de confiance. Mais je me suis beaucoup ennuyé durant cette jeunesse. Alors je m’inventais des personnages. Au collège, je faisais de la danse cinq fois par semaine. J’avais pour objectif d’entrer à l’Opéra de Marseille. Mais il y avait le regard des autres. Les remarques. Vers 13 ans, j’ai arrêté du jour au lendemain. Une déchirure. Je me suis mis à chanter. J’avais un groupe. On faisait des reprises, de No Doubt à du Céline Dion. Il fallait que je m’exprime artistiquement. Sans cesse. Je sentais une pression de mon entourage, de mes voisins. Ils disaient « Ah Simon, c’est un artiste, c’est sûr, il va faire la Star Ac’. » J’étais exubérant. Hyperactif. Je faisais aussi des pubs télé. Une idée de ma mère. J’adorais ça. A travers son amour, son soutien inconditionnel, ma mère m’a donné une confiance immense. Dès le collège, je savais que j’allais faire de la mode, que ce serait Paris. Le lycée, à Salon de Provence, a été une délivrance. Les gens et leur ouverture d’esprit, ça m’a fait du bien. Je me suis beaucoup amusé. Mais les brugnons et les pommes m’avaient gavé. Je n’en voulais plus de ce Sud. J’avais même perdu mon accent.

Chapitre II La naissance de Jacquemus

18 ans. Dernier été dans le Sud. Pour économiser, j’ai travaillé avec ma mère et ma tante sur les marchés. Elles aidaient mes grands-parents, grossistes en fruits et légumes. On riait et chantait « Téléphone-moi » de Nicole Croisille, tous les trois dans le camion. Je me suis installé à Montmartre en août. J’avais attendu d’être là tout ma vie. Mais Paris, ce n’est pas Les Demoiselles de Rochefort. Les gens ne dansent pas dans la rue et c’est très gris. En septembre, je suis rentré à l’école de mode. J’en rêvais depuis gamin. Je venais jouer ma vie et je me retrouvais avec des ploucs qui ne connaissaient même pas Yves Saint-Laurent. On m’a mis dans la case du rebelle. Tout ce que je faisais, on me disait que c’était trop simple. Mais je n’avais pas envie de dessiner des pomponnettes de haute couture avec des frisous partout. J’avais toujours fait des croquis, mais je n’ai jamais eu la patience, ni le goût du dessin. En revanche, j’ai toujours aimé draper. Créer des vêtements avec d’autres vêtements. Ma mère a porté la première jupe que j’ai faite à neuf ans. J’avais arraché un rideau en lin, fait des trous, brutalement, avec des ciseaux, pour fabriquer une jupe serrée, avec un laçage en lacets de Converse. Ma mère l’a mise pour venir me chercher à l’école. Elle était si belle. Tout lui allait. Cette école de mode, ce moule, je détestais. Puis, au bout d’un mois, j’ai perdu ma mère. Soudainement. Un coup de fil. « Ta maman a eu un accident, tu dois venir. » En arrivant dans le Sud, j’ai tout de suite compris. J’ai dormi une dernière fois à côté d’elle. J’ai pris une énergie folle. Je suis sorti transformé de cette chambre. Ça fait céleste mais je savais qu’elle était en moi. Quelques jours après l’enterrement, je suis rentré à Paris. Si je ne repartais pas là, je ne repartais plus. J’ai arrêté l’école. Je me suis trouvé un stage d’assistant d’un directeur artistique puis j’ai travaillé dans les grands magasins. Un matin, je suis allé au siège et je leur


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