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Volume XXII, n˚ 02 Montréal, 15 janvier 2015

www.itineraire.ca

Jacques Languirand

Quelle voie prendre en 2015 ?

Zoom : Claude Lyrette Francis Dupuis-Déri : Un monde anarchique Naomi Klein : Ceci change tout La résilience des survivants de l'Holocauste


refusons.org

l’austérité Détruit l’austérité est un échec l’austérité N’est pas une solution


Claude Lyrette Camelot No : 319 | Âge : 57 ans Point de vente: métro Sherbrooke

C

laude a beaucoup changé depuis son arrivée à L'Itinéraire en 2006. La musique, les arts, la culture et la science prennent une place plus importante dans sa vie. «J'ai rencontré beaucoup de gens généreux et bons, développé beaucoup d'amitiés et de complicité, et créé des relations avec mes clients avec qui j'aime faire un peu d'humour. Ça m'a redonné confiance et la force de me sortir de ma souffrance. En redécouvrant mes intérêts et des passe-temps, j'ai l'impression que ma vie est en train de prendre un tournant positif.»

L'an passé, Claude a d'ailleurs rendu visite à sa famille en Abitibi pour la première fois en 20 ans. «J'ai été reçu à bras ouverts », dit-il avec le sourire. Ces retrouvailles lui ont permis de renouer avec ses proches et de faire la paix avec son passé d'itinérance. «J'avais cessé de contacter ma famille parce que j'avais trop honte. Je me sentais coupable de ma situation, et je ne voulais pas leur expliquer l'inexplicable. Je vivais donc seul depuis le début des années 90, car je ne voulais pas les faire souffrir». Pendant toutes ces années, Claude reconnaît qu'il a connu toutes sortes de problèmes. Atteint de l'hépatite C, il a dû suivre récemment un traitement curatif de huit mois pendant lequel il a eu un épisode psychotique. «Je pensais mourir, j'avais peur de l'hôpital. Mon état était vraiment lamentable. Heureusement, c'est passé maintenant et je vais beaucoup mieux », affirme-t-il. Mais sans aide, sans l'aide de celle qu'il appelle la fée des étoiles de la clinique l'Actuel, Claude confie qu'il ne sait pas où il en serait aujourd'hui. Cette épreuve difficile lui a tout de même permis de prendre conscience des petits bonheurs de la vie. «J'en ai fini avec le superflu, les artifices, les gens négatifs. Je ne m'en fais plus avec ce que les autres pensent de moi. Vive la simplicité! C'est pour ça que je n'ai pas de projet à long terme. Je suis très heureux dans l'instant présent et équilibré. J'espère que L'Itinéraire continuera de me donner l'autonomie dont j'ai besoin pour continuer de m'épanouir.» Et avant de retourner vendre ses magazines, Claude avait une petite demande spéciale. Il tenait à dire à sa mère qu'il lui envoyait une tonne d'amour, de même qu'à sa sœur, son conjoint et ses nièces. Même au loin, il ne les oublie pas. TEXTE : MICHAËL GIGUÈRE PHOTO : GOPESA PAQUETTE 15 janvier 2015 | ITINERAIRE.CA

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Le Groupe L'Itinéraire a pour mission de réaliser des projets d'économie sociale et des programmes d'insertion socioprofessionnelle, destinés au mieux-être des personnes vulnérables, soit des hommes et des femmes, jeunes ou âgés, à faible revenu et sans emploi, vivant notamment en situation d'itinérance, d'isolement social, de maladie mentale ou de dépendance. L'organisme propose des services de soutien communautaire et un milieu de vie à quelque 200 personnes afin de favoriser le développement social et l'autonomie fonctionnelle des personnes qui participent à ses programmes. Sans nos partenaires principaux qui contribuent de façon importante à la mission ou nos partenaires de réalisation engagés dans nos programmes, nous ne pourrions aider autant de personnes. L'Itinéraire c'est aussi plus de 2000 donateurs individuels et corporatifs qui aident nos camelots à s'en sortir. Merci à tous !

NOS PARTENAIRES ESSENTIELS DE LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ

La direction de L'Itinéraire tient à rappeler qu'elle n'est pas responsable des gestes des vendeurs dans la rue. Si ces derniers vous proposent tout autre produit que le journal ou sollicitent des dons, ils ne le font pas pour L'Itinéraire. Si vous avez des commentaires sur les propos tenus par les vendeurs ou sur leur comportement, communiquez sans hésiter avec Shawn Bourdages, chef du développement social par courriel à shawn.bourdages@itineraire.ca ou par téléphone au 514 597-0238 poste 222.

PARTENAIRES MAJEURS

Nous reconnaissons l'appui financier du gouvernement du Canada par l'entremise du Fonds du Canada pour les périodiques, qui relève de Patrimoine canadien. Les opinions exprimées dans cette publication (ou sur ce site Web) ne reflètent pas forcément celles du ministère du Patrimoine canadien.

PRINCIPAUX PARTENAIRES DE PROJETS ISSN-1481-3572 n˚ de charité : 13648 4219 RR0001

DU MONT-ROYAL

Desjardins

L'ITINÉRAIRE EST MEMBRE DE

RÉDACTION ET ADMINISTRATION 2103, Sainte-Catherine Est Montréal (Qc) H2K 2H9 LE CAFÉ L'ITINÉRAIRE 2101, rue Sainte-Catherine Est TÉLÉPHONE : 514 597-0238 TÉLÉCOPIEUR : 514 597-1544 SITE : WWW.ITINERAIRE.CA RÉDACTION Rédactrice en chef par intérim : Mélanie Loisel Chef de pupitre, Actualités : Martine B. Côté Chef de pupitre, Société : Gopesa Paquette Responsable à la production écrite des camelots : Patricia Gendron Infographe : Louis-Philippe Pouliot Stagiaires à la rédaction : Michaël Giguère Journaliste indépendant : Alexis Aubin Collaborateurs : Denyse Monté et Ianik Marcil Adjoints à la rédaction : Sarah Laurendeau, Hélène Filion, Lorraine Pépin, Hélène Mai, Carolyn Cutler, Marie Brion Photo de la une : Jacques Nadeau Révision des épreuves : Paul Arsenault, Lucie Laporte, Michèle Deteix

Le magazine L'Itinéraire a été créé en 1992 par Pierrette Desrosiers, Denise English, François Thivierge et Michèle Wilson. À cette époque, il était destiné aux gens en difficulté et offert gratuitement dans les services d'aide et les maisons de chambres. Depuis mai 1994, L'Itinéraire est vendu régulièrement dans la rue. Cette publication est produite et rédigée par des journalistes professionnels et une cinquantaine de personnes vivant ou ayant connu l'itinérance, dans le but de leur venir en aide et de permettre leur réinsertion sociale et professionnelle. Convention de la poste publication No 40910015, No d'enregistrement 10764. Retourner toute correspondance ne pouvant être livrée au Canada, au Groupe communautaire L'Itinéraire 2103, Sainte-Catherine Est, Montréal (Québec) H2K 2H9

Québecor est fière de soutenir l'action sociale de L'Itinéraire en contribuant à la production du magazine et en lui procurant des services de télécommunications.

ADMINISTRATION Direction générale : Christine Richard Chef des opérations et des ressources humaines : Duffay Romano Conseiller aux ressources humaines et matérielles : Philippe Boisvert Responsable du financement : Gessi Vanessa Sérant

ÉQUIPE DE SOUTIEN AUX CAMELOTS Chef du Développement social : Shawn Bourdages Agent d'accueil et de formation : Pierre Tougas Agente de soutien communautaire : Geneviève Labelle Agent de soutient milieu de vie : Marianne Bousquet Agent de développement : Yvon Massicotte

CONSEIL D'ADMINISTRATION Président : Philippe Allard Vice-Président : Jean-Marie Tison Trésorier : Guy Larivière Administrateur : Stephan Morency Conseillers : Geneviève Bois-Lapointe, Martin Gauthier, Julien Landry-Martineau, Jean-Paul Lebel

VENTES PUBLICITAIRES 514 597-0238

CONSEILLÈRES : Renée Larivière 450-541-1294 renee.lariviere18@gmail.com Ann-Marie Morissette 514-404-6166 am.mori7@itineraire.ca

GESTION DE L'IMPRESSION TVA ACCÈS INC. | 514 848-7000 DIRECTEUR GÉNÉRAL : Robert Renaud CHEF DES COMMUNICATIONS GRAPHIQUES : Diane Gignac COORDONNATRICE DE PRODUCTION : Édith Surprenant IMPRIMEUR : Transcontinental


15 janvier 2015 Volume XXII, n˚ 02

ACTUALITÉS

CARREFOUR

CULTURE

ÉDITORIAL

REPORTAGE

7 Le Canada à Paris

par Mélanie Loisel

8 ROND-POINT 10 ROND-POINT INTERNATIONAL

COMPTES À RENDRE

par Ianik Marcil

11 Le dîner est offert RENCONTRE

14 Un monde anarchique

19 Ceci change tout par Kevin Gopal

ACTUALITÉ

26 Je mange des vidanges

MARIE-ANDRÉE B. MARIO REYES ZAMORA CINDY TREMBLAY MARC MASSY MARC SENÉCAL RICHARD T. SERGE DUMONT

38 Le théâtre qui parle de ma vie, de notre vie

HORS PISTE

42 Le devoir de mémoire

par Jean-Guy Deslauriers

DANS LA TÊTE DES CAMELOTS

CHEMIN FAISANT

par Linda Pelletier

12 12 18 18 32 32 32

13 Huit saluts à huit amis

par Pierre Saint-Amour

DOSSIER

Mots de camelots

par Alexis Aubin

ACTUALITÉ

30 C’est quoi, le problème?

par Marie-Andrée B.

40 VIVRE 41 PANORAMA LIVRES

par Mélanie Loisel

44 LE JOSÉE FLÉCHÉ 45 DÉTENTE 46 A PROPOS DE LA... NATURE

33 L'hôpital des pauvres 35 RAPSIM 37 CARREFOUR

28 Renouer avec ses racines

50 % DU PRIX DE VENTE DU LES CAMELOTS SONT DES MAGAZINE LEUR REVIENT TRAVAILLEURS AUTONOMES

Louise et moi sommes des fidèles depuis 11 ans. Nous avons notre camelot habituel sur la rue Masson et apprécions chaque numéro. André Villeneuve

Dans l’article sur « De jeunes dentistes redonnent le sourire à des jeunes dans la rue » publié dans le numéro du 1er janvier de l’Itinéraire, je tenais à remercier Dr. Daniel Kandelman pour son soutien académique et pour sa vision de la santé publique. Je le remercie également de la liberté d’action

qu’il m’a donnée et de la confiance qu’il m’a manifestée. Grâce à lui, j’ai eu le courage de créer des stages « hors les murs ». Dr Denys Ruel

ÉCRIVEZ-NOUS ! à COURRIER@ITINERAIRE.CA Des lettres courtes et signées, svp! La Rédaction se réserve le droit d'écourter certains commentaires.


Donner, c'est encourager

JOUR APRÈS JOUR les aptitudes dont font preuve nos camelots.

Vos dons nous permettent de financer entre autres notre programme d'écriture. Grâce à notre équipe de journalistes et de bénévoles, c'est plus d'une cinquantaine de personnes qui peuvent ainsi s'exprimer, développer leur talent et retrouver confiance en eux. « Quand j'ai découvert le magazine L'Itinéraire  et la possibilité de pouvoir écrire dedans, j'ai  tout de suite réalisé que l'organisme m'aiderait  à refaire surface. J'adore partager mes textes  et les personnes qui me lisent disent que j'ai  une belle plume. Ça m'encourage et m'aide à  me reconstruire une identité. Grâce à l'écriture  et à mes lecteurs, j'ai le sentiment d'avoir  trouvé une nouvelle famille. » — Michel Dumont Camelot à L'Itinéraire.

PHOTO: GOPESA PAQUETTE

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Le Canada à Paris Pendant que vous lirez cet article, environ 64 000 tonnes de gaz à effet de serre seront rejetées dans l'atmosphère. C'est ce que produirait une automobile pour faire non pas une, mais 2 500 fois le tour de la Terre. À ce rythme-là, celle qu'on se plaît à appeler la planète bleue ne le sera peut-être plus pour longtemps sans un plan de lutte sérieux contre les changements climatiques.

ÉDITORIAL

MÉLANIE LOISEL | Rédactrice en chef par intérim

L'

année 2015 sera donc importante voire vitale pour assu- tout qu'on prévoit la disparition complète de la banquise arcrer l'avenir de l'humanité. En décembre prochain, les chefs tique à l'été 2020. Ces changements climatiques pourraient d'États sont attendus à Paris en vue de signer un nouveau avoir des impacts majeurs sur les communautés inuites vivant protocole qui fixera les objectifs planétaires de réduction de gaz à dans le Grand Nord. Or, depuis son arrivée au pouvoir, le goueffet de serre (CO2). Les discussions s'annoncent tendues alors que vernement Harper refuse systématiquement de participer à la les pays émergents comme l'Inde et la Chine, qui lutte contre les changements climatiques. Le sont de grands émetteurs de CO2, souhaitent que Canada est même le seul pays à s'être retiré du les pays occidentaux, pour ne pas dire les Étatsprotocole de Kyoto sous la pression du lobby Avec son Unis, montrent d'abord l'exemple. des sables bitumineux. Ce comportement irresponsable d'Ottawa nous Malgré les tensions, il y a tout de même des entêtement place maintenant dans une position fort inconsignes encourageants depuis que Washington et fortable en vue des prochaines discussions sur le Pékin se sont entendus sur des cibles de réducpétrolier, le climat où le Canada sera inévitablement relégué tion de CO2 l'automne passé. Les pays présents gouvernement à la conférence de l'ONU à Lima au Pérou sont aux ligues mineures. En tant que pays nordique, aussi parvenus à conclure un accord pour assurisque pourtant d'être parmi les premiers à Harper met ainsi, on rer la poursuite des négociations en décembre. ressentir les effets des changements climatiques Certes, les experts jugent que ces ententes sont à plus ou moins sans qu'on n'ait un mot à dire. Avec son entêtetrop timides, que les objectifs ne sont pas assez pétrolier, le gouvernement Harper met ainlong terme, toute ment élevés, il n'en demeure pas moins qu'on sent une si, à plus ou moins long terme, toute la population véritable volonté des grands pays émetteurs de canadienne en danger, en plus de lui faire porter la population CO2 de faire leur part. un lourd fardeau financier. canadienne en Ces dernières années, les preuves scientifiques Si les États-Unis, la Chine, et les autres pays se sont accumulées et démontrent clairement émetteurs de CO2 commencent enfin à prendre danger au sérieux le réchauffement de la planète, c'est que les catastrophes naturelles s'accumuleront parce qu'ils ont compris que les dégâts causés si rien n'est fait pour maintenir le réchauffement par les changements climatiques coûteront des mondial en deçà de 2 °C. Avec la demande mondiale d'énergie qui risque de doubler d'ici 2050, on estime que la milliards de dollars et que toute l'économie mondiale en souffrira. température de la planète pourrait augmenter à 6 °C en moins d'un L'ouragan Sandy, par exemple, a coûté 19 milliards de dollars à l'État siècle. Avec un réchauffement aussi rapide, on peut s'attendre à des de New York en 2012. Le gouvernement a beau ignoré volontaireprécipitations accrues qui causeront d'importantes inondations, ment les données scientifiques, il ne pourra faire abstraction des des sècheresses majeures qui créeront des famines, des incendies chiffres. Qu'il le veuille ou non, aucun pays n'échappera aux remous de forêts qui détruiront des espaces vitaux et la fonte des glaces qui de l'économie mondiale causés par le réchauffement planétaire. Au moins pour cette raison, il devrait s'assurer de faire réellement paroccasionnera la montée des eaux des océans. Au Canada, on devrait particulièrement s'en préoccuper sur- tie des négociations à Paris.

15 janvier 2015 | ITINERAIRE.CA

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Une nouvelle murale pour la Mission

PHOTO: JACQUES NADEAU

Depuis 125 ans, la Mission Old Brewery est une ressource inestimable pour nombre de personnes sans-abri. Le Pavillon Patricia-Mackenzie, destiné aux femmes, est désormais orné d'une nouvelle murale intitulée Éclosions, réalisée par l'artiste Annie Hamel et six apprentis-muralistes. Pour la chef des services aux femmes Florence Portes, l'œuvre extérieure fait office de message de bienvenue : « La murale nous permet d'accueillir les femmes en beauté, en leur disant : « nous sommes ici pour vous et nous allons vous accompagner afin de vous aider à retrouver une juste place dans notre communauté ». (MBC)

Un Google pour enfants L'omniprésente compagnie est en train de plancher sur un Google Junior, une version de ses produits pour les moins de 13 ans. Les parents seraient-ils plus confiants de voir leur progéniture flâner sur le web sachant que leur version de YouTube et Google Images serait paramétrée pour eux? C'est l'idée que défend Pavni Diwanji, la vice-présidente de l'ingénierie. « Ainsi, si ma fille tape le mot train, elle tombera sur le célèbre dessin animé Thomas le train et non sur les horaires de train, » a-t-elle déclaré. Sachant que les moteurs de recherche accumulent des données personnelles souvent transformées en publicités ciblées, le projet soulèvera sûrement bien des objections. (MBC)

PHOTO: 123RF.COM/AKZ, BELCHONOCK

ROND-POINT

PAR MARTINE B. CÔTÉ, MICHAËL GIGUÈRE ET GOPESA PAQUETTE

Créer une Journée internationale de la toilette peut faire sourire sur le coup. Mais derrière cette initiative de l'ONU se cache un enjeu majeur. 2,5 milliards d'humains n'ont pas accès à des installations sanitaires dans le monde. Ce manque d'installation a pour conséquence de nuire à la scolarisation des femmes, de causer la mort de 1000 enfants chaque jour de maladies diarrhéiques, de contaminer des sources d'eau potable et d'augmenter les agressions envers les femmes. Inaugurée le 19 novembre dernier, cette journée s'inscrit dans un appel à l'action en faveur de l'assainissement. Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a rappelé que les solutions comprennent des modifications techniques simples et un travail d'éducation pour modifier les habitudes. Les Nations unies estiment que chaque dollar investi en assainissement de l'eau réduit les pertes de productivité et les coûts de santé de huit dollars. (GP)

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ITINERAIRE.CA | 15 janvier 2015

Le nombre d'unités de logements sociaux qui n'ont pas été construites au Canada en raison de l'annulation des programmes de financement pour de telles habitations. Source : Stephen Gaetz, Tanya Gulliver et Tim Richter (2014) : L'état de l'itinérance au Canada 2014. Toronto : The Homeless Hub Press.

ILLUSTRATION: LOUIS-PHILIPPE POULIOT

Journée internationale de la toilette


Offrir une pause Des parents en crise, à bout de nerfs ou soudainement incapables de fournir les soins de base à leurs enfants, c’est une réalité taboue mais bien vivante. Avant de commettre l’irréparable, les parents en détresse temporaire peuvent compter sur la Maison Kangourou. Seul organisme du genre au Canada, la maison accueille les 0 à 12 ans pour une période allant de quelques heures à 15 jours. La fondatrice et directrice générale, Josée Fortin a ellemême de durs moments à l’âge de 12 ans. À 26 ans, elle entreprend des études universitaires qui la conduisent jusqu’au doctorat. La Maison Kangourou, c’était d’abord son appartement, qu’elle transforme en centre d’accueil d’urgence. Puis, elle a pu mettre la main sur une maison, située sur Sherbrooke, dans l’arrondissement MercierHochelaga-Maisonneuve. Des éducatrices spécialisées et des infirmières associées au Centre hospitalier SainteJustine, notamment, sont présentes pour prendre soin des enfants. Financée entièrement par le mécénat, la Maison aurait bien besoin de récolter des dons à même vos poches généreuses… (MBC)

Bienvenue à Montréal Ce sont 70 % des nouveaux arrivants au Québec qui s'installent à Montréal. La Ville publie pour la première fois un guide qui leur est destiné. Découvrir et vivre à Montréal couvre toutes les facettes de la vie québécoise et montréalaise, de la laïcité à la primauté de la langue française, en passant par l'égalité hommes-femmes et la non-discrimination sur l'orientation sexuelle. Le guide contient des informations en apparence anodines, mais savoir qu'on dit 4½ plutôt que de s'étendre dans une grande description d'un logement quatre pièces avec salle de bain peut être utile! Les immigrants trouveront pratique de découvrir que le boulevard Saint-Laurent sépare l'est et l'ouest de la ville et qu'il existe un Montréal souterrain de plus de 30km de long, comprenant huit stations de métro et plus de 2000 commerces. «C'est pour échapper à l'hiver québécois», croiront-ils! Par ailleurs, nos amis du monde (et nous aussi!) apprendront qu'un seul billet d'autobus ou de métro leur permet de transporter jusqu'à cinq enfants. (MG) Pour télécharger le guide : ville.montreal.qc.ca/diversite

Contre le harcèlement dans le métro parisien Quiconque a déjà pris le métro parisien a remarqué le lapin jaune utilisé pour afficher des consignes de sécurité. Le groupe Osez le féminisme a détourné les fameuses affiches pour lancer une campagne contre le harcèle-

ment sexuel. Plutôt que de dire son habituel « Attention ! Ne mets pas tes mains sur la porte, tu risques de te faire pincer très fort», l'animal incite plutôt les utilisateurs du métro à ne pas mettre les mains… sur les fesses des femmes! Un grand nombre d'usagères du métro dénoncent les mains baladeuses, les sifflements et les commentaires sexistes. La campagne Take back the Metro fait référence au Take back the night qui a cours aux ÉtatsUnis. (MBC)

15 janvier 2015 | ITINERAIRE.CA

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PHOTO : JON WILLIAMS

ÉTATS-UNIS | Gain de cause

L'arrestation d'Arnold Abbott en novembre dernier à Fort Lauderdale pour avoir nourri 200 personnes a provoqué une vague d'indignation à travers le monde. Un mois plus tard, un juge de la Cour locale a ordonné à la municipalité de suspendre l'ordonnance imposant des contraintes sévères à la distribution extérieure de nourriture. C'est la troisième fois depuis 1999 que la ville voit de telles ordonnances déboutées en Cour. M. Abbott distribue des repas au même emplacement depuis 1991 et n'entend pas arrêter. Il affirme avoir déjà confronté le Klu Klux Klan et n'être aucunement intimidé par la mairie contre qui, il promet de poursuivre son combat pour la dignité des itinérants. (Real Change)

UKRAINE | Charité mal ordonnée

En temps de guerre, l'aide aux itinérants est souvent loin d'être la priorité dans un pays. Or, les Ukrainiens demeurent très sensibles à la situation des sans-abri malgré le conflit qui fait rage depuis presqu'un an dans l'est du pays. Même si la plupart des organismes de charité viennent principalement en aide aux soldats blessés, les responsables des refuges maintiennent des services essentiels aux plus démunis. Il faut dire que les premiers refuges ne sont apparus dans les grandes villes ukrainiennes qu'en 2006 avec l'appui d'ONG internationales et de donateurs privés. (Prosto Neba)

PHOTO : PROSTO NEBA

ROND-POINT INTERNATIONAL

PHOTO: REUTERS/JORGE DAN LOPEZ

MEXIQUE | Le cri d'un peuple

La colère gronde depuis la disparition cet automne de 43 étudiants au sud de la capitale alors que les recherches ont permis de déterrer des charniers à travers le pays. Les déclarations contradictoires des autorités qui mènent l'enquête suscitent l'ire des groupes de parents et des citoyens. Ceux-ci dénoncent l'incompétence et la corruption du gouvernement qu'ils estiment responsable de plus de 100 000 morts et disparus depuis le début de la guerre contre les cartels de la drogue en 2006. La protestation s'amplifie avec des émeutes à travers le pays. Le Mexique vivra-t-il son printemps en 2015? (IPS)

Le virus du VIH continue d'évoluer rapidement dans le monde. Malgré sa propagation, les gens qui en sont atteints développent tout de même moins la maladie. Selon une étude effectuée sur 2000 femmes en Afrique, le SIDA est en recul. Les chercheurs affirment que les thérapies ont donné naissance à une forme moins virulente du virus et ont affecté sa capacité à se reproduire. Pour la première fois dans l'histoire de l'épidémie, le nombre de nouvelles transmissions est plus bas que celui des séropositifs en traitement. Depuis 30 ans, le SIDA a fait près de 40 millions de victimes et 35 millions sont encore séropositifs. Les chercheurs préviennent qu'il est trop tôt pour crier victoire et que le virus reste très dangereux, mais gardent espoir qu'une fin se profile à l'horizon. (Reuters)

L'Itinéraire est membre du International Network of Street Papers (Réseau International des Journaux de Rue - INSP). Le réseau apporte son soutien à plus de 120 journaux de rue dans 40 pays sur six continents. Plus de 200  000 sans-abri ont vu leur vie changer grâce à la vente de journaux de rue. Le contenu de ces pages nous a été relayé par nos collègues à travers le monde. Pour en savoir plus, visitez www.street-papers.org.

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ITINERAIRE.CA | 15 janvier 2015

PHOTO : NACHO DOCE

AFRIQUE | Voie de sortie?


Le dîner est offert Dans une petite annonce, un organisme offre un stage non rémunéré de trois mois en communication. Les tâches demandées sont exigeantes et nécessitent des compétences de haut calibre. Il ne s'agit pas ici de simplement répondre au téléphone ou de classer des papiers. Le stage permettra à celle ou celui qui occupera le poste d'acquérir une précieuse expérience. En prime, et c'est ainsi que se termine l'offre, on précise que « le dîner est offert ».

COMPTES À RENDRE

IANIK MARCIL | Économiste indépendant

L

oin de moi l'idée de jeter la pierre à cet orga- térité. Du coup, les organismes communautaires nisme sans but lucratif qui ne dispose sans devraient offrir les services que l'État refuse maintedoute que de moyens financiers très limités. nant d'assumer avec un budget réduit. Mais bien plus, les entreprises privées, à but lucratif, Moyens qui sont probablement de moins en moins importants avec les multiples compressions budgé- celles-là, recourent de plus en plus aux stages non rémunérés. Pressées par leurs actionnaires ou simtaires de nos chers gouvernements. En revanche, cette offre de stage est emblématique plement par la concurrence féroce, elles cherchent de plusieurs problèmes fondamentaux. Peu de sta- à réduire leurs coûts, particulièrement ceux reliés au tistiques existent à cet égard, mais on peut affirmer développement de nouveaux projets, de nouveaux sans risque de se tromper que les stages non rému- produits et de nouveaux marchés. Or, il s'agit là égalenérés se multiplient, autant dans ment d'une perverles organismes sans but lucratif que sion de notre système dans l'entreprise privée. Naguère, La multiplication des économique. Pressées ces stages s'intégraient essentiellepar la concurrence, ment à des programmes d'études. stages non rémunérés notamment, les entreDans ce contexte, les stages sont prises sont forcées de incontestablement légitimes. que l'on constate chez réduire au minimum L'Allemagne, par exemple, a nous reflète le sousleurs coûts. Les stages développé avec succès des prorémunérés degrammes de collaboration entre financement chronique non viennent alors un outil les institutions d'enseignement des organisations de gestion des coûts. et les entreprises afin de faciliter De l'autre côté, les l'intégration au marché du travail communautaires. jeunes et moins jeunes des diplômés. Il s'agit dans ce cas diplômés n'ont d'autre de compléter la formation des choix que d'accumuétudiants par ces stages. La multiplication des stages non rémunérés que ler de l'expérience, puisque à peu près toutes les l'on constate chez nous reflète le sous-finance- offres d'emplois en exigent. ment chronique des organisations communautaires. Abdiquer devant cette logique de la gratuité ne Leurs budgets sont exsangues et le gouvernement fait qu'empirer les choses : c'est envoyer le signal Couillard a le culot de prétendre que ces organismes que tout travail ne mérite pas salaire, et cela réduit pourraient, sinon devraient, prendre le relais de l'État donc à zéro la valeur économique du travail de ces dans la fourniture des services publics à la popula- mois de stages. Il ne s'agit rien de moins que d'une tion. Tout cela en réduisant de façon éhontée leur vile exploitation de ce qui devrait être le plus noble : financement sous le couvert de l'idéologie de l'aus- le travail. Mais au moins, le dîner est offert.

15 janvier 2015 | ITINERAIRE.CA

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MOT DE CAMELOT Rigoureuse honnêteté Dans l'État de New York, trois étudiants colocataires qui avaient acheté un divan de seconde main pour 20 $ ont découvert 40 000 $ en argent liquide dans leur acquisition. Mais au milieu du trésor, il y avait aussi un relevé de compte et un nom. Elles ont décidé de rendre l'argent à la veuve de 91 ans qui l'avait caché là. Qu'auriezvous fait, vous, dans la même situation? Personnellement, l'appât du gain me ferait d'abord hésiter. Aucune chance de me faire prendre ; personne ne le saurait à part moi. Je pourrais voyager et me payer la garde-robe de mes rêves. Mais la question cruciale que je me poserais est la suivante: suis-je capable de vivre avec cela sur la conscience ? Une roue de conséquences négatives pourrait s'enclencher. Les remords, la culpabilité et la honte sont des sentiments négatifs qui peuvent causer beaucoup de dégâts. La situation serait encore pire si je tentais de justifier mon geste et de nier mes valeurs, car la réalité finirait par me rattraper. Ayant vécu une partie de ma vie dans la fuite de la réalité, mon expérience m'a appris que tous mes gestes avaient des conséquences. Me cacher et vivre dans le mensonge ce n'est plus le genre de vie que je recherche. Ce que je désire le plus, c'est de me sentir sereine en agissant de manière bienfaisante. Être honnête me demande toutefois beaucoup de courage et grâce aux encouragements de mes clients, j'ai la force d'y arriver. Je vous remercie de tout mon cœur.

Valorisons les Valoristes Depuis que je suis petit, je me disais qu'un jour je pourrais avoir une compagnie de recyclage. À défaut d'en avoir une, j'ai eu la chance de coopérer avec les Valoristes. C'est une coopérative de récupération de bouteilles et de cannettes consignées (y compris celles qui sont écrasées). Les Valoristes reçoivent de l'argent en échange. Ils étaient installés cet été à un endroit inutilisé (angle De Maisonneuve et De Lorimier). Un aspect important du projet c'est le contact entre les participants. Ça permet de briser l'isolement. Une grande partie des Valoristes participent au projet pour avoir un revenu complémentaire. Ils permettent de nettoyer la ville. Cette année ils ont ramassé des centaines de milliers de contenants. J'ai rencontré des gens formidables et découvert des personnalités charmantes. Je suis un peu triste que le projet ne soit que temporaire, mais heureux de savoir qu'il y a des chances que le projet soit encore là l'année prochaine. Actuellement Les Valoristes sont à la recherche d'un emplacement pour l'hiver. Grâce à cette coopérative, j'ai aussi pu ramasser des languettes de cannettes récupérées qui servent à fabriquer des fauteuils roulant. Je récupérais en moyenne 200 languettes chaque demi-heure. En quelques jours, j'ai ainsi ramassé autant de languettes que durant les deux dernières années. Ce projet me donne espoir dans l'humanité. Je me rends compte qu'il y a des gens qui veulent changer la société pour le mieux. Donc, longue vie aux Valoristes et continuons à sensibiliser les gens en faisant un petit geste pour l'environnement et pour les générations futures.

MARIO REYES ZAMORA Préposé à la cuisine MARIE-ANDRÉE B. Camelot, métro Préfontaine

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HORS PISTE

Huit saluts à huit amis JEAN-GUY DESLAURIERS | Camelot, Promenade Masson.

J'

ai l'impression que tout se bouscule, que tout va beaucoup trop vite. Je n'ai plus mes repères, je me sens comme désorienté, mon entourage fragilisé. Tous ces décès, huit l'an passé, c'est dérangeant, déstabilisant, pour vous, pour moi, pour nous tous. Je ne peux m'empêcher de penser à tous ceux qui meurent, seuls dans la rue, dans l'oubli, dans la solitude et la détresse. Tous ceux que la morgue s'empresse d'aller chercher pour aussitôt les faire disparaître, sans laisser de mot. C'est comme une urgence d'effacer toutes les traces d'une grande souffrance mal adressée. Les planètes seraient-elles mal alignées ? La pleine lune est-elle à ce point toxique au point de nous propulser dans une série d'épreuves causant un malaise, une remise en question, un doute sur la suite des choses? Sac à poubelle que ça fait chier ! Cette obligation de chuchoter pour ne pas hurler très haut, très fort. Cet inconfort qui nous habite occupe l'espace qui était autrefois celui de nos amis disparus. Parler et crier à pleins poumons toutes ces frustrations me semble tout à fait justifié. C'est le seul remède. Tabarnak que c'est provoquant la mort ! I love all of you so much ! J'ai tellement le goût d'aller vous rejoindre. Nous arrivons tous à L'Itinéraire avec notre maudit sac à poubelle comme seul bagage. C'est à nous, c'est notre seule propriété et nous voulons bien le protéger. Nous arrivons au journal comme des réfugiés de notre propre nation. Nous avons besoin d'encadrement et de sécurité. Notre besoin de sortir de l'isolement est pressant. Se sentir compris et aimer est notre principale requête. Nos besoins les plus fondamentaux ne sont pas comblés. La société s'en moque, nos familles ne le savent pas. À nous de se démerder. Comment m'adapter à cette géométrie et à toutes ces règles qui semblent régir nos vies? Cette dimension de la vie qui nous amène à la mort m'échappe. Pourquoi tout cela m'apparaît-il comme une malformation, comme une injustice, comme un simple malentendu ? Comment combattre ce mal de vivre dans une société

mal en point, indifférente et fâcheusement insouciante ? Merde que je suis en colère! Contre qui ? Je l'ignore, mais je sais que je suis dérangé et bouleversé. To young to leave. J'ai juste le goût de pleurer. Le cœur va m'éclater! Je vous aime pour toujours. Sac à poubelle que j'ai d'la rage ! Notre famille n'est pas la seule à traverser autant d'épreuves, mais je vous dis que huit en huit c'est vraiment énorme et très difficile à gérer. Ces gens-là nous les avons connus, nous avons été émerveillés par leurs talents. Nous avons apprécié leur gentillesse, leur beauté. Ils nous ont charmés par leur générosité, leur grandeur. C'est fou cette impuissance qui m'habite. Je combats, mais je ne sais même pas qui je combats ou qui combattre. C'est le spark dans les yeux de mes chums camelots qui m'étonne le plus. C'est l'incompréhension. Je ressens la confusion. C'est le silence. Témoignage d'amour, de colère, pourquoi ? Jusqu'où sommesnous responsables, redevables? Ce mal de vivre rentre par la porte d'en arrière, s'installe et va se faire un plaisir d'entretenir nos démons et leur garantir le climax. Celui qui tue…l'orgasme mortel. Je me sens tout à coup inquiet, c'est comme une sorte de peur. J'ai tellement de tristesse… Salut dans la nuit. Love ! Ce texte m'a pris tout mon courage. C'est lourd. Ma chum m'aide énormément. Merci Paskale. Les difficultés sont énormes. Je pleure, je m'autorise. C'est une sécurité que Paskale m'explique. Dis-moi, dis-moi tout. Pleure. Je vous aime pour toujours! LOVE!

Nous arrivons tous à L'Itinéraire avec notre maudit sac à poubelle comme seul bagage.

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Un monde anarchique Francis Dupuis-Déri est né à Montréal en 1966. Il obtient un doctorat en science politique à l'Université de la Colombie-Britannique et devient chercheur au Massachusetts Institute of Technology, puis au Centre de recherche en éthique à l'Université de Montréal. Il enseigne à l'UQÀM. Depuis 1990, il a publié romans, nouvelles, poésie, d'innombrables articles, mais surtout des essais. Il est également membre fondateur du collectif d'humoristes les Zapartistes. Militant engagé, il a affiché publiquement ses convictions anarchistes, s'est opposé à la guerre en Afghanistan et tient un discours résolument antimilitariste. PAR PIERRE SAINT-AMOUR PHOTOS : GOPESA PAQUETTE

Ma question est simple : avez-vous des loisirs ?

(Éclats de rire) Ma conjointe trouve que je n'en ai pas assez. Comme écrire est une de mes passions, j'écris dans mes temps libres. Ce n'est peut-être pas très original, ni très sain, mais écrire me donne l'impression d'avoir une prise sur la réalité sociale. Je dis souvent à la blague qu'écrire me permet d'économiser les frais d'un psychologue. Quand je lis des mauvaises nouvelles dans le journal, je réagis en écrivant. Il peut s'agir d'un livre, d'un article, ça dépend.

Avez-vous un livre en préparation ?

Actuellement, l'enseignement m'accapare beaucoup. Mais, au cours de l'hiver, je vais terminer un livre sur le féminisme.

Dans L'anarchie expliquée à mon père, vous écrivez qu'au XVIIIe siècle, le mot « démocratie » avait une connotation péjorative similaire à celle que le mot « anarchie » peut avoir aujourd'hui. Pourquoi ?

Au XVIIIe siècle, en France et aux États-Unis, quand les révolutionnaires de ces deux pays vont fonder les démocraties modernes, ils n'utilisaient pas le mot « démocratie » pour désigner leur projet de société, mais le mot « république ». Les révolutionnaires étaient contre la monarchie, qui était l'ennemi, et pour la république, qui était un système électoral. À cette époque, il y avait des courants plus radicaux, plus égalitaristes, plus proches des pauvres. On traitait les défenseurs de ces courants de « démocrates », ce qui était une insulte. Les monarchistes accusaient donc les républicains d'être des démocrates, tandis que les républicains répliquaient que les démocrates, c'était les égalitaristes proches des mouvements populaires. L'élite politique de cette époque, qui était proche de

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l'élite économique, craignait en fait le côté trop égalitariste des démocrates. Les égalitaristes attaquaient les riches, voulaient une redistribution plus juste de la richesse et une participation politique plus grande aux prises de décision. L'élite politique avait peur de ce mouvement populaire, et, pour elle, la démocratie, c'était quelque chose de mauvais. Cela ressemble beaucoup à ce que l'on entend aujourd'hui par le mot « anarchie ». Il va falloir attendre 60 ans pour que les élus intègrent le mot « démocratie » à leur discours. Ceux-ci avaient compris que c'était une bonne façon de gagner des votes. En fait, il s'agissait d'une bonne stratégie de marketing électoral. Le peuple aimait qu'on lui dise : « Nous sommes avec vous. Nous défendons vos intérêts. Nous sommes des démocrates. » Le système n'avait pas changé, c'était simplement un changement de nom pour désigner la même chose.

Comment définissez-vous l'anarchie ?

Le mot « anarchie » est aujourd'hui un terme passablement galvaudé. L'anarchie est une philosophie de vie, une philosophie politique qui soutient que les gens sont capables de s'organiser ensemble, sans chefs, ce qui est plus égalitaire et plus juste. Sans chefs, les gens seront plus libres, solidaires les uns des autres et appelés à prendre des décisions ensemble pour l'ensemble.

Pourquoi l'anarchie ? Qu'est-ce qui vous rebutait dans le marxisme, par exemple ?

C'est une très bonne question. Au XIXe et au XXe siècle, il y a souvent eu des alliances entre les anarchistes et les marxistes sur la critique du capitalisme. Mais là où les deux ne s'entendent pas - et c'est là que je considère que les marxistes ont tort - c'est sur la


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qui n'est pas forcément formalisée dans un traité savant. J'ai beaucoup appris de mon militantisme. J'ai découvert l'anarchie dans les livres, mais surtout dans des organisations militantes, qui n'avaient pas de chefs. C'est là que j'ai compris que tout était possible. Ce sont mes camarades militants qui m'ont éduqué, finalement.

Croyez-vous qu'une société fondée sur les principes de l'anarchie soit un projet réalisable dans un monde dominé par le capitalisme sauvage et l'exploitation des individus ? En d'autres mots, l'anarchie est-elle une utopie ?

Depuis une quinzaine d'années, le mouvement anarchiste représente une force politique réelle dans la société, mais qui ne peut concurrencer le pouvoir de l'État, qui est beaucoup plus grand. Si on rêve d'un Québec anarchiste dans un avenir immédiat, on risque d'être déçu. Le rapport de force est trop inégal. question des chefs et de la hiérarchie. Les marxistes, on le sait, sont organisés dans une structure hiérarchique. Ils ont des chefs, des grades. Anarchistes et marxistes partagent cependant la même critique du système capitaliste, du système électoral. Les anarchistes - dont je suis - rejettent l'idée de hiérarchie.

Comment êtes-vous devenu anarchiste ?

Difficile de répondre précisément à cette question. C'est par des rencontres culturelles, je crois. Par la musique, entre autres choses. Je viens d'une famille relativement aisée de la rive-sud de Montréal. Il n'y avait pas beaucoup d'anarchistes dans mon entourage, mais j'étais entouré de livres. À quinze ans, je lisais des livres sur l'anarchisme, sur le marxisme, sur le colonialisme. Mais ce sont les livres traitant de l'anarchisme qui m'ont le plus interpellé. En musique, le groupe punk Bérurier noir, dans les années 80, véhiculait des idées anarchistes. Je me retrouvais dans ces textes. D'autres aussi ont eu de l'influence, comme Léo Ferré, Georges Brassens, René Binamé.

En tant qu'intellectuel, n'avez-vous pas l'impression d'être coupé de la base militante, qui n'a pas reçu la même éducation que vous ?

Oui, des fois. Il y a aussi une question de temps. Militer, ça demande du temps. Difficile pour moi de concilier travail et militantisme. Avant d'être professeur, je militais davantage. Quoi qu'il en soit, il est certain qu'un professeur d'université possède un statut privilégié. Cela peut créer des interférences avec les autres. Cependant, mon travail s'inspire énormément des mouvements sociaux, au sein desquels j'y retrouve de l'intelligence, une pensée analytique,

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Et ailleurs dans le monde ?

Dans des pays qui vivent de graves crises sociales, ou dont le système est déstabilisé, peut-être. Ce qui est certain, c'est qu'il y a des gens, des réseaux sociaux qui s'inspirent des principes de l'anarchie. Il peut s'agir d'initiatives locales, comme des coopératives autonomes autogérées. Parfois, c'est plus fédéré, avec l'idée de toujours revenir à la base pour prendre les décisions. C'est le principe de la démocratie directe. Comment organiser cette société à grande échelle ? Ce sera à travers les réseaux qui existent déjà. Une chose est sûre : le système capitaliste actuel ne fonctionne pas. L'anarchie est sans doute un système imparfait, mais il demeure possible, réalisable. Et c'est ce à quoi j'aspire.

Selon vous, comment se porte, à l'heure actuelle, la société québécoise ?

Ça va mal depuis plusieurs années. Vous, à L'Itinéraire, pouvez en juger les effets catastrophiques. L'élite politique, économique et culturelle est corrompue, tout le monde le sait. Et ces gens qui en font partie continuent dans la même direction, car ils sont totalement coupés des intérêts de la majorité. En fait, ils s'en désintéressent, car leur base, c'est ceux qui les financent. L'élite politique prétend que les contestataires véhiculent des idées du passé, alors que c'est elle-même qui défend des idées de la fin du XIXe siècle. Cette élite essaie constamment de faire basculer le système à l'avantage du capital, du patronat, de la bourgeoisie, des riches et des compagnies privées. Au bout du compte, ce sont les programmes sociaux qui écopent.

Depuis les années 70, assiste-t-on à un virage à droite ?

Depuis la fin des années 70, le virage à droite est très clair. Au Québec, cela a commencé au début des années 80, lorsque le Parti Québécois s'en est pris à la fonction publique. C'est ce même parti qui a amorcé les premières réflexions néolibérales et qui est à l'origine du durcissement des lois visant les syndicats. Cette tendance n'est pas exclusive au Québec. On retrouve la même tendance aux États-Unis, en France et en Angleterre. Les partis socialistes ou néo-démocrates ont intégré ce discours dans leurs programmes au point de n'avoir de socialiste que le nom de leur parti.

Les compressions budgétaires annoncées par le premier ministre Philippe Couillard vont toucher directement la classe moyenne et les moins nantis. Une politique d'austérité pour rééquilibrer le déficit budgétaire estelle la solution pour relancer l'économie ?

Je ne suis pas économiste. Mais, pour ce que j'en comprends, non. Si je me fie aux explications fournies par l'IRIS (4), quand il y a des politiques d'austérité mises en place, c'est toujours la majorité qui s'appauvrit, alors que la minorité s'enrichit. Quand le gouver-

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RENCONTRE

nement affirme que les compressions vont relancer l'économie, c'est à l'avantage des mieux nantis. L'écart entre les riches et les pauvres va continuer à se creuser, mais aussi l'écart entre les gens « ordinaires » et les compagnies privées. Celles-ci vont s'en mettre plein les poches, pendant que la qualité de vie de la majorité va se détériorer.

Sur le plan international, les exactions commises par l'État Islamique au Proche-Orient ne justifient-elles pas l'intervention militaire du Canada ?

Depuis 150 ans, l'Occident, dans son rapport avec les pays arabes ou les pays musulmans, a maintenu une approche coloniale. Quand les colonies se sont émancipées, les puissances occidentales ont voulu contrôler leurs ressources, en contrôlant les élites politiques. Les despotes sont devenus nos amis, comme en Arabie Saoudite. Nous avons hérité d'un rapport complètement intoxiqué avec ces peuples et on continue à le faire. Quand il y a des problèmes, on largue des bombes, on envoie des avions de guerre, des soldats. Comment se fait-il qu'on ne se rende pas compte que ça ne fonctionne pas ? À chaque fois, la solution qu'on propose, c'est de faire la guerre.

Mais, en même temps, des gens meurent ...

C'est sûr. Mais les gens meurent partout. On meurt en Afrique, en Amérique Latine. Même ici, il y a des gens qui meurent.

En effet. Il y a eu beaucoup de camelots qui sont morts cette année.

Et il y a eu les femmes autochtones, des centaines de femmes disparues ou assassinées. Le gouvernement fédéral nie l'existence du problème. Si une puissance étrangère bombardait Ottawa pour faire agir le gouvernement sur cette question, je doute qu'il s'agirait d'une bonne solution. Si on se faisait bombarder, il y aurait plus de morts, plus de destruction, plus de malheur. Ça déstabiliserait le pays. Des forces étrangères en tireraient profit. C'est exactement ce qu'on fait au Proche-Orient en ce moment. Pour sauver des gens de la mort, on procède à des bombardements qui tuent des gens. Ce n'est pas exactement la meilleure idée. En Afghanistan, par exemple, il y a eu 30 000 morts. Que reste-t-il au final ? Des écoles qui ne sont pas fonctionnelles, le droit de vote qui est une véritable farce, une insécurité omniprésente et des centaines de milliers de mines antipersonnel qui réduisent les enfants en bouillie. Si on considère toute l'énergie déployée et les milliards de dollars dépensés, on peut dire qu'il s'agit d'un désastre.

D'après le constat que vous faites de l'état du monde, n'êtes-vous pas habité par un sentiment de révolte permanent ?

Tout à fait. La colère, la révolte, c'est ce qui me pousse à écrire.

C'est ce qui me porte aussi à militer. L'apathie généralisée me met également en colère. En fait, il devrait y avoir des gens qui manifestent dans la rue tout le temps.

On estime, à Montréal seulement, que le nombre d'itinérants se situe autour de 30 000 individus. Ce nombre serait en constante progression. Quelles conclusions tirez-vous de ces statistiques pour le moins alarmantes ?

Il est clair qu'il s'agit d'un échec social, d'un échec des institutions aussi. Des gens ont pris des mauvaises décisions ou évité d'en prendre alors qu'ils auraient dû. Bien sûr, il y a des organismes communautaires, des travailleurs sociaux qui agissent, mais ce n'est pas suffisant. Dans le centre-ville, c'est la police qui gère l'itinérance. Faire la guerre à la pauvreté, pour elle, ça revient à faire la guerre aux pauvres. On gère donc la misère par l'usage de la répression. Ça ne peut pas fonctionner. Les partis politiques, depuis 20 ou 30 ans, ont pris un virage à droite. L'itinérance en est une conséquence concrète. Qu'une société riche comme le Québec ne trouve pas de solution pour aider plus efficacement ces gens-là est totalement absurde. La richesse existe. On pourrait faire bien davantage pour contrer cette misère.

Qu'est-ce que les gouvernements devraient faire ? Augmenter les prestations d'aide sociale ? Augmenter le salaire minimum ?

Naturellement, on devrait disposer des ressources suffisantes pour résoudre ce problème, mais ce serait aux gens en situation d'itinérance de proposer des solutions ou des idées. On en revient à la démocratie directe. Il faut écouter les gens qui ont des besoins. Ce sont eux qui vont apporter les solutions. Si on en revient aux bases de l'anarchie, ce sont les gens directement concernés par les enjeux qui sont les mieux placés pour trouver les solutions. Quand les solutions arrivent de Québec, elles ne sont généralement pas adaptées à la réalité du milieu.

Que pensez-vous de L'Itinéraire ?

Pour moi L'Itinéraire, c'est super important. Quand on m'a approché pour donner cette entrevue, j'étais ému. Fier aussi. L'Itinéraire est un exemple d'une prise en charge collective. Ici, les gens s'entraident, la société aussi vous vient en aide. Des rapports plus humains avec le public se créent.

Gardez-vous un espoir dans l'avenir de l'humanité ?

Oui, malgré tout. Personnellement, je reste émerveillé devant la capacité de résistance des gens. Pour peu que l'on reste informé de ce qui se passe dans les réseaux communautaires ou dans les réseaux militants, on comprend qu'il est permis d'espérer. Les gens sont capables d'accomplir des choses extraordinaires.

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MOT DE CAMELOT

La femme invisible L'indifférence Je vends L'Itinéraire depuis juin. Parfois je trouve cela difficile d'être camelot et de voir les regards négatifs des gens. Malgré toute la gentillesse qu'on peut recevoir, il reste des gens qui ne comprennent pas la situation des camelots. Si nous sommes rendus à vendre le magazine L'Itinéraire, c'est souvent parce que nous avons des difficultés personnelles dans nos vies et que nous cherchons à nous en sortir. Nous sommes des humains et nous avons des émotions également. J'apprécie beaucoup tous les mots gentils que nous pouvons recevoir, tous les sourires et tous les bonjours, mais malheureusement, il reste encore beaucoup d'incompréhension face à l'itinérance. L'itinérance n'est pas une maladie, c'est une situation qu'on ne choisit pas toujours. Depuis juin, L'Itinéraire m'aide beaucoup à prendre confiance en moi-même, à affronter le regard des autres sans me sentir jugé. Maintenant, je vends le magazine avec fierté. J'apprécie beaucoup quand les gens arrêtent et prennent le temps de me demander comment je vais. J'aimerais donc remercier tous mes clients ainsi que tous ceux qui arrêtent pour me dire bonjour. Vous ne le savez peut-être pas, mais vous ensoleillez vraiment ma journée.

Chaque nuit, elle pleurait en silence Ses déchirures dépassaient la science Elle voulait connaître l'amour et l'amitié Elle a eu droit à une trahison sans pitié Elle marchait les épaules recourbées Son corps n'était plus qu'une poupée Elle priait Dieu pour enlever cette cruauté Elle sortait de son corps pour éviter ces atrocités Quand il avait fini, elle le regardait Il avait chaud et il suait Par ces ordres par terre elle dormait Elle se sentait seule et personne ne la consolait Ce n'était qu'une enfant Mais très femme intérieurement Elle n'a pas eu le choix de toute façon Son premier amour lui a passé un savon Elle ne pourra jamais l'oublier Il vient la voir dans ses cauchemars Tout pour la perturber et la déséquilibrer Elle voudrait le noyer dans une mare Elle est en combat avec le pardon Les gestes sont immondes et brisent le fond Elle a décidé de se pardonner à elle-même Le poids d'une planète parti elle s'aime

CINDY TREMBLAY Camelot, angle 28e/Beaubien MARC MASSY Camelot rue Mont-Royal/Berri

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NAOMI KLEIN

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Ceci change tout

PHOTO : ED KASHI

Naomi Klein affirme que seule une restructuration complète du capitalisme pourrait nous donner une chance d'éviter des changements climatiques catastrophiques. L'auteure et militante native de Montréal est célèbre internationalement pour ses écrits critiques envers la mondialisation capitaliste ainsi que pour sa couverture des mobilisations internationales altermondialistes. Kevin Gopal, rédacteur en chef du journal de rue britannique The Big Issue in the North, a réalisé une entrevue avec Mme Klein dans la foulée de la parution de son nouveau livre, This Changes Everything (en français Ceci change tout : capitalisme contre climat). PAR KEVIN GOPAL TRADUCTION PAR HÉLÈNE PÂQUET

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PHOTO : MADOC

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lus tôt cette année, le PDG de la plus importante société pétrolière et gazière du monde s'est joint à une poursuite anti-fracturation hydraulique visant un projet d'érection d'un réservoir suspendu de 49 m près de sa demeure, au Texas. Rex Tillerson, d'Exxon, estime que la valeur de la propriété risquerait d'être affectée. C'est le genre de détail exquis et teinté d'ironie que l'on retrouve dans le dernier opus de Naomi Klein. Mais c'est aussi dans ce genre de choses qu'elle vient puiser de l'espoir. Des entreprises comme Exxon sont viscéralement attachées à l'extraction de carburants fossiles, selon l'auteure, et ce, même si l'avenir de la planète dépend de notre capacité à laisser ces carburants dans la terre. Mais au fur et à mesure que les réserves de pétrole traditionnel diminuent, les compagnies d'énergie recherchent des moyens qu'elles disent être « toujours plus novateurs » de fournir du gaz et du pétrole – dont la fracturation hydraulique, par laquelle on doit asperger à haute pression de la roche de schiste à l'aide de quantités phénoménales d'eau et de produits chimiques pour fracturer le roc et en extraire le gaz naturel. Et cela n'a pas lieu à des kilomètres au large des côtes ni dans les terres ancestrales de peuples indigènes, qu'on a trop souvent tendance à ignorer. Cela se produit au pied de jardins et de cours Des entreprises de gens comme ce monsieur Tillerson – qui n'aiment évicomme Exxon demment pas l'idée. sont viscéralement La fracturation est bien loin d'être une initiative plus attachés à propre au pétrole traditionl'extraction nel. Des recherches récentes suggèrent que les émissions de carburants de méthane issues de la fracturation rendent l'opéfossiles. ration bien plus malpropre que le prétendent ceux qui la défendent. Le méthane est un gaz à effet de serre bien plus dangereux que le CO2. De telles méthodes d'extraction ne font que rendre plus difficile d'éviter le réchauffement de deux degrés centigrades de la température globale qui, au dire des scientifiques, aura des répercussions catastrophiques, dont la fonte des nappes glaciaires et la hausse du niveau des mers. Vue sous cet angle, affirme Naomi Klein, la fracturation – qui a aussi donné lieu à des manifestations au Québec, au Canada, aux États-Unis et en Europe – a moins l'air d'une innovation que d'un signe du désespoir lié à une dépendance extrême. Mais si la crise est allée jusqu'à forcer Tillerson à consulter ses avocats, elle ouvre aussi la porte à des possibilités.


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Appel à un changement fondamental

ils sont déjà là et des catastrophes touL'avant-dernier livre de Naomi Klein, La Stratégie du choc, jours plus graves se dirigent vers nous, exposait comment les dirigeants politiques se sont servis peu importe ce que nous ferons, écrit de catastrophes naturelles comme l'ouragan Katrina ou Naomi Klein. Mais il n'est pas trop des crises économiques pour faire avancer les politiques tard pour éviter le pire, et il nous reste de droite visant la privatisation, pour couper dans les dé- encore du temps pour changer et être penses publiques ou abaisser les impôts. beaucoup moins brutaux les uns envers Son nouveau livre, Ceci change tout, démarre là où nous les autres lorsque surviennent de tels avait laissé La Stratégie du choc, tout en étant «quelque désastres. Et je crois que cela a énorchose de différent», explique-t-elle. «Il traite du choc des mément de valeur [traduction libre].» citoyens et de la réponse progressiste à la crise qui s'attaque Dans son livre, le vaste travail de aux racines mêmes de la cause du désastre. C'est un anti- recherche de Naomi Klein la conduit dote à la stratégie du choc.» d'abord à Washington, à la conférence du Heartland Institute, « le plus imporL'antidote, selon Naomi Klein, n'implique rien de moins tant rassemblement de personnes travaillant à nier le gigantesque consensus qu'un renversement du modèle économique du libre scientifique voulant que l'activité humaine provoque le réchauffement de la plamarché, lors duquel le pouvoir des ennète ». Elle y entend une suite de conférenciers convaintreprises sera dompté et les dépenses cus que les changements climatiques sont un complot gouvernementales augmentées afin communiste visant à s'attaquer au mode de vie américain, La solution n'est de construire une économie faible en avant de découvrir que plusieurs de ces conférenciers bépas uniquement carbone qui permettra aux citoyens néficient d'un financement des grandes pétrolières. de reprendre en mains la démocratie l'affaire d'installer L'hypocrisie verte à partir de la base. Il ne s'agit pas simplement d'installer des ampoules plus des ampoules plus Bien qu'elle souligne à quel point ces personnes ont tort à l'égard de la science, elle convient toutefois qu'elles sont écoénergétiques. écoénergétiques. bien plus honnêtes que certains qui prétendent être du «Il est trop tard pour empêcher les côté de l'environnement. changements climatiques de survenir; Elle se montre particulièrement cinglante à l'endroit des grands groupes environnementaux qui se sont laissés envahir par des intérêts des entreprises. Elle cite en exemple l'histoire renversante de l'organisme Nature Conservancy, qui a repris du géant pétrolier Mobil des portions de terrain de la baie Galveston, au Texas, afin de protéger l'un des derniers sites de reproduction du tétras des Prairies, une espèce menacée. En 1999, l'organisme a creusé son propre puits gazier à même ce territoire. Cette anecdote est tout aussi ahurissante que l'histoire de Tillerson et de son procès contre la fracturation, mais les grands groupes environnementaux contribuent de bien d'autres façons à faire progresser les intérêts des grandes sociétés énergétiques, souligne Naomi Klein, surtout lorsqu'ils appuient des solutions «de marché» aux changements climatiques, «qui ont rendu un service extrêmement précieux au secteur des combustibles fos-

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En 1999, l'organisme environnemental Nature Conservancy a creusé un puits gazier dans site protégé.

siles dans son ensemble». Les grands groupes écologistes ont été séduits par l'accès qu'ils ont obtenu aux coulisses du pouvoir et ont ainsi commencé à appuyer des solutions gagnantes qui, à leur avis, seraient profitables pour l'environnement tout en inquiétant aucunement la poursuite des profits. Selon Naomi Klein, il s'agit là d'une illusion dangereuse. Elle cite en exemple le monde opaque des marchés du carbone, qui nous distraient non seulement de la priorité qui est de stopper la pollution, mais contribuent aussi au réchauffement planétaire. Elle évoque des études qui «offrent des preuves irréfutables que les manufacturiers jouent avec le système en produisant encore plus de puissants gaz à effet de serre afin d'être payés pour les détruire.» La prose objective de Naomi Klein ne fait qu'ajouter à la logique cauchemardesque de ses affirmations. Elle met en pièces les techno-optimistes défendant les projets de géo-ingénierie, telles que des miroirs dans l'espace qui capteraient la lumière du soleil pour la détourner de la Terre, et «l'option Pinatubo» qui imiterait les effets du volcan des Philippines en répandant des gouttes d'acide sulfurique dans l'atmosphère pour empêcher la chaleur du soleil d'atteindre le sol. Calmement, l'auteure explique que ce genre de projet risque de faire du bleu du ciel une chose du passé, empêcherait les astronomes de voir les étoiles, réduirait la capacité des génératrices d'énergie solaire – alerte à l'ironie – et entraînerait de graves sécheresses en Afrique. Elle se tourne ensuite vers les philanthropes qui versent de grosses sommes d'argent pour trouver des solutions aux changements climatiques. Richard Branson a promis par exemple d'investir 3 milliards de dollars dans la recherche

pour trouver une solution de rechange faible en carbone pour les avions à réaction. Utiliser les profits provenant des entreprises qui dépendent des carburants fossiles pour s'attaquer aux changements climatiques est exactement ce dont nous avons besoin, selon elle. Elle se désole toutefois de constater, après des recherches, que le milliardaire Branson n'a dépensé qu'une fraction de cet argent, s'est insurgé contre les taxes sur le carbone et a mis sur pied une nouvelle compagnie aérienne polluante qu'il a habillée, relations publiques aidant, d'une belle patine vert écolo. Et il a continué de profiter de subventions provenant des contribuables britanniques pour exploiter ses entreprises de transport ferroviaire. C'est là que Mme Klein trace un lien efficace entre l'environnementalisme et des questions politiques plus larges. N'aurait-il pas été mieux que la Grande-Bretagne ne privatise pas son service de transport ferroviaire, se demande-t-elle, et le convertisse plutôt à l'électricité, avec une énergie provenant de sources renouvelables?

Du désespoir à l'espoir

Naomi Klein reconnaît que ce lien entre la politique et les préoccupations environnementales remonte au moins à la génération de l'activisme pour la justice sociale de

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Seattle, dont elle avait parlé dans son premier livre, No Logo. «L'une des forces Naomi Klein voit aussi un espoir dans les travaux de de ce mouvement a été d'abattre les obstacles entre le travail et l'environnement, Mark Jacobson, professeur en génie civil et de l'envidéclare-t-elle. Mais le climat n'était pas au cœur de ce mouvement.» ronnement à l'Université Stanford, et en ceux de Mark À l'époque, elle croyait que le manque d'organisation et le rejet du Delucchi, de l'Université de Californie, qui a publié en leadership et des hiérarchies étaient avantageux pour les jeunes mou- 2009 une étude montrant comment l'ensemble de vements sociaux, mais avec les changements climatiques qui sont de- l'énergie nécessaire dans le monde pourrait être fourvenus une question toujours plus urgente, et les mouvements récents nie par les ressources éoliennes, hydriques et solaires tels que Occupy ou le Printemps arabe qui ont tout embrasé avant de dès 2030 – à condition qu'il y ait une volonté politique s'éteindre, elle dit qu'on ne peut plus se permettre un «fétiche pour l'ab- en ce sens. L'échéancier est serré, mais suffisant pour sence de structure». prévenir les pires effets des changements climatiques. «Nous avons traversé une période difficile, remplie de désespoir. Beaucoup de Compte tenu de la volonté politique, comment gens ont abandonné parce qu'ils se sont beaucoup investis et qu'ils se sont fait pourrions-nous payer pour une telle transformation? écrabouiller ou que rien ne s'est produit. La principale faiblesse était d'être essen- Une taxe sur les transactions financières, l'abolition tiellement en opposition.» des abris, une taxe de un pour cent imposée aux milL'urgence de freiner le réchauffement climatique fait liardaires, des compressions dans les peur. Naomi Klein s'appuie particulièrement sur les travaux dépenses militaires, une taxe sur les du Centre Tyndall pour la recherche sur le changement cliémissions de carbone et la suppresLes grands matique et sur son directeur adjoint à l'Université de Mansion graduelle des subventions pour groupes chester, Kevin Anderson, qui « réalise les travaux les plus les carburants fossiles permettraient importants du monde en science du climat » à l'aide d'estid'accumuler un montant net de deux écologistes ont mations conservatrices et dit « les suivre avec honnêteté billions (2 trillions en anglais) de doljusqu'à leur conclusion. » été séduits par lars par an, selon Naomi Klein – «ce

PHOTO : MADOC

l'accès qu'ils ont obtenu aux coulisses du pouvoir.

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DOSSIER

qui suffirait certainement à commencer de très bon pied une grande transition».

Une mobilisation diversifiée

L'auteure refuse de culpabiliser les individus à propos de l'empreinte carbone de leur mode de vie. «Beaucoup de gens se sentent incompétents à agir parce qu'ils n'ont pas de parfaites habitudes de vie. Les gens qui sont les moins en mesure de s'offrir le petit surplus écolo de bien des produits sont de la classe ouvrière. Mais l'ampleur des mesures nécessaires et l'urgence d'agir font en sorte qu'ils ne peuvent être exclus.» «Si on incluait uniquement les personnes dont la vie est un pur exemple de vertu au chapitre du carbone, on se retrouverait avec un mouvement d'environ dix personnes.» Elle tire plutôt espoir des gens qui sont non seulement opposés à l'extraction de carburants fossiles là où leur gagne-pain et leur bien-être sont menacés, mais qui proposent aussi leurs propres solutions économiques et environnementales : les agriculteurs et les Autochtones du Canada qui s'opposent à l'extraction des sables bitumineux, le mouvement anti-minières des Grecs, les activistes contre la fracturation hydraulique en France, un ensemble qu'elle nomme «Blockadia», qui n'est «pas un emplacement précis sur la carte, mais plutôt une zone de conflit transnationale et mobile». La métamorphose du mouvement Occupy Wall Street lui donne aussi espoir, il n'est pas disparu lorsqu'il a arrêté de faire les manchettes, mais s'est plutôt transformé en Occupy Sandy, un mouvement collectif de soutien aux victimes de la catastrophe naturelle qui a frappé le nord-est des États-Unis en 2012. Le tout a commencé par une discussion sur les changements climatiques avec les gens de la classe ouvrière et a marqué selon elle «une étape décisive», dans un monde où l'action environnementale est souvent l'apanage des classes privilégiées. Ces espoirs ont atteint un point culminant le 21 septembre 2014, lors de la grande Marche populaire pour le climat, à New York et dans 160 autres pays. «C'était un réel moment d'espoir. Honnêtement, je n'avais pas ressenti d'espoir depuis longtemps, mais j'y ai vu beaucoup de gens que je n'avais pas vus depuis longtemps. Et ce n'était pas juste que les gens étaient nombreux, mais ils étaient tellement diversifiés! La marche reflétait

ce qu'est New York, pas seulement Manhattan, mais aussi le Bronx ou le Queens.» «Nous devrions aussi nous inspirer des progrès de l'Allemagne vers les énergies renouvelables. L'une des différences du mouvement actuel est l'accent que l'on met sur l'appropriation et en Allemagne, les modèles d'énergie à propriété locale sont en émergence. Ce n'est pas l'affaire de quelques rêveurs utopiques, mais ce genre de progrès démontre bien à quel point des politiques nationales solides, bien conçues, peuvent entraîner une réponse efficace.» Son livre, conclut Naomi Klein, traite du «chemin pour réduire l'impact des changements climatiques en fonction de la science. Et ces transformations sont réellement populaires.» This Changes Everything: Capitalism Vs The Climate est publié chez Knopf Canada. Pour ce dernier essai, Naomi Klein a remporté le prix Hilary Weston de la Writers' Trust pour un essai. Une version française du livre est prévue en 2015 (Ceci change tout : capitalisme contre climat).

Livres

No Logo : la tyrannie des marques, 2001 Journal d'une combattante : Nouvelles du front de la mondialisation, 2003 Mourir pour McDo en Irak : Colonisation américaine, résistance irakienne, coécrit avec Jean Bricmont et Geoffrey Geuens, 2004 La Stratégie du choc : La montée d'un capitalisme du désastre, 2008 This Changes Everything: Capitalism vs. the Climate, 2014

Films

The Take (en) coréalisé avec Avi Lewis, 2004 La Stratégie du choc (The Shock Doctrine) réalisé par Michael Winterbottom et Mat Whitecross 2009

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Je mange des vidanges Mardi, fin d'après-midi. En voiture, direction les poubelles. Nous allons récupérer des aliments, une activité communément appelée dumpster. Le dumpster diving consiste à récupérer la nourriture périmée ou abîmée, jetée à la poubelle par les commerçants lorsqu'elle ne répond plus aux standards du marché. TEXTE ET PHOTOS : ALEXIS AUBIN

P

rès de la moitié des 4 milliards de tonnes d'aliments produits annuellement dans le monde finiront dans les dépotoirs. Pourtant, ils sont souvent tout à fait comestibles. Premier plongeon chez un grossiste d'aliments biologiques, dans le quartier St-Léonard. L'un saute dans la benne et les autres attendent qu'il leur tende les denrées encore emballées. Au travers des vieux emballages de plastiques, du liquide répandu d'un bol à soupe éclaté, on trouve des plats préparés qui n'ont jamais touché les tablettes; du pain, des jus et des légumes souvent en parfaite condition. Les aliments périmés ne sont généralement pas insalubres. Selon l'Agence canadienne d'inspection des aliments: «La date de péremption n'est pas une garantie de la salubrité de l'aliment. Elle constitue plutôt une indication pour les consommateurs de la fraîcheur et de la durée de conservation potentielle des aliments non ouverts et ce sans altération.» Ces réglementations, bien qu'elles veillent à la santé des consommateurs, encouragent le gaspillage alimentaire.

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ACTUALITÉ

Ceux qui pratiquent le dumpster se nourrissent en quelque sorte de l'absurde surproduction que génère la logique marchande et les lois qui la régissent. Certes, la gratuité est un facteur de motivation. Mais il n'en demeure pas moins que cette pratique est souvent perçue par ses adeptes comme un pied-de-nez au système de consommation actuel. Marianne, une habituée de la récupération de nourriture nous dit: «Le dumpster c'est génial parce que ça nous permet de partager sans compter. On trouve tellement de bouffe dans les poubelles, qu'on en redistribue». Les chercheurs de nourriture tiennent tout de même à préserver une bonne cohabitation avec les commerçants en s'efforçant de laisser les lieux aussi propres, si non plus, qu'avant leur récolte. Il n'en demeure pas moins que faire les vidanges contrevient aux lois sur la propriété privée. À quelques pas de là, alors que l'on cherche des denrées dans un autre conteneur à déchets, un propriétaire nous interpelle: «Qu'estce vous faites là? Ce sont mes poubelles, je vais appeler la police, tu comprends? La prochaine fois que je te vois, c'est moi qui vais te mettre dans la poubelle». Les commerçants sont mitigés vis-à-vis cette pratique. Alors que certains donnent directement leurs surplus, d'autres barrent leur poubelle pour en empêcher l'accès. Eau de javel, déchiquetage, poubelles compressées sont des pratiques utilisées pour empêcher les fouilles dans les conteneurs. Malgré les embûches, nous suivons notre parcours, le coffre de la voiture se remplit arrêt après arrêt, au point d'être plein à craquer. Il ne reste plus qu'à partager le butin, le nettoyer pour consommer ces rebuts entre amis. De retour à la maison tout est soigneusement lavé, plongé dans un bain rempli d'eau et de vinaigre, on se partage la récolte autour d'une grande table avant de se mettre à la cuisine tous ensemble.

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Renouer avec ses racines L'animateur de radio Jacques Languirand a passé plus de quarante ans de sa vie à passer par quatre chemins pour mieux nous faire connaître le monde et surtout, pour mieux nous connaître. Longtemps perçu comme un homme exubérant avec un petit côté délirant, il est devenu au fil du temps une figure de sagesse. Dans sa biographie « Le cinquième chemin » écrite par Aline Apostolska, l'octogénaire nous rappelle que peu importe les voies que nous suivrons dans l'avenir, nous avons tous besoin de racines. Voici un extrait qui nous amène à réfléchir sur le chemin que nous devrions peut-être tous emprunter en 2015 et ces prochaines années…

Qu'est-ce que tu voudrais dire à la jeunesse québécoise?

Je voudrais leur dire que c'est plus important d'avoir les pieds solides que la tête enflée. Si tu n'as pas de références, tu flottes… […] C'est douloureux pour moi de voir cette société montgolfière qui flotte dans le vent. Si tu n'as pas de racines, ou que tu les as oubliées, tu ne vas nulle part.

Quels sont tes mythes fondateurs personnels alors?

J'ai beaucoup écouté mes maîtres. Toujours des professeurs de vie plus âgés. J'en ai pris conscience il y a longtemps. En 1972, Par 4 chemins est née de la perte de mes fondations et de mes valeurs profondes. Je pensais que je les avais perdues. Puis je me suis rendu compte que je ne les avais pas perdues. Je me suis remémoré mes valeurs fiables, j'ai eu besoin de me le remémorer à moi-même à travers les auditeurs.

Tu t'es soigné en soignant les autres?

Ce sont les fondations du fait d'être utile socialement. Le sens de ma vie est d'avoir retrouvé ces valeurs et d'avoir rendu service en les transmettant.

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Par contre, tu n'as pas eu de racine-mère…

Non, Je me la suis fabriquée en la fournissant aux autres. Je me suis fabriqué des parents que je n'avais pas eus.

Comment?

J'ai réussi, très jeune à intéresser des gens intéressants. Ça été ma plus grande habileté dans la vie. Je me suis inconsciemment intéressé à ceux qui avaient quelque chose à m'apprendre à l'extérieur de chez moi où personne ne me parlait.

C'est un instinct de survie. Quand on examine ta vie, on dirait que tu t'es jeté dedans avec avidité.

Oui, c'est vrai. Je pensais que je n'avais aucune racine. Puis je me suis rendu compte, avec le recul, que j'en avais. Je me suis reconstruit en retrouvant le souvenir de mes ancêtres paysans et leur mentalité de fourmi bâtisseuse. J'ai retrouvé ça en moi. Ç'a été mon mythe fondateur. Jeune, j'ai été proche des gens âgés, ça m'a amené à inventer ma vie. J'ai découvert qu'il fallait bâtir et être utile. Cette habileté que j'ai en moi, je l'ai éveillée pour intéresser les plus âgés. Dès 12 ans, j'ai vécu comme ça. C'est mon

secret. Je n'ai rien fait d'autres de toute ma vie, au fond. J'ai bâti mes racines pour moi, puis j'ai essayé de le faire pour les autres.

C'est ce que tu voudrais dire aux jeunes?

Oui, les convaincre de l'importance de s'engager dans le monde, d'être utiles et agréables, d'intervenir dans la société.

Quel chemin prendre en 2015?

Depuis plusieurs années, Jacques Languirand est aussi le porte-parole du jour de la Terre. Ce grand amoureux de l'humanité s'est engagé dans un long combat pour protéger tant notre planète bleue que ceux qui l'habitent. Alors qu'il est encore temps de lutter contre les changements climatiques, il nous fait part de quelques-unes de ses réflexions qui devraient nous guider en 2015 et pour les années à venir. Extrait des pages 321 à 323.

Jacques Languirant : Le cinquième chemin

Par Aline Apostolska, Les éditions de l'Homme. 370 pages.


ACTUALITÉ

PHOTO JACQUES NADEAU

Quel chemin prendre en 2015?

Depuis plusieurs années, Jacques Languirand est aussi le porte-parole du jour de la Terre. Ce grand amoureux de l’humanité s’est engagé dans un long combat pour protéger tant notre planète que ceux qui l’habitent. Alors qu’il est encore temps de lutter contre les changements climatiques, il nous a fait part de quelques-unes de ses réflexions qui devraient nous guider en 2015 et pour les années à venir.

Prendre conscience Ouvrir nos yeux

Ce qui n'est pas visible est souvent difficile à croire. On se le figure, mais c'est comme si un voile nous empêchait d'y voir clair. Un voile opaque, tel un voile de plastique, brouillant ainsi toute visibilité. Imaginez maintenant ce voile sur un océan. Une gigantesque plaque de déchets flottante se nourrissant des débris au passage. Loin de nous, on a peine à croire à ce huitième continent, mais le Pacifique, lui, abrite bel et bien cet étranger. Un étranger fabriqué par nous, nos déchets de plastique et notre inconscience. Loin de nous, rien n'y paraît, mais poissons, oiseaux et espèces marines côtoient cet étranger et en ingèrent des particules. C'est ainsi que ce voile de plastique nous revient, bien malgré nous. Un voile étiolé et effrité, qui laisse entrevoir la réalité. Le voyez-vous ?

Mieux respirer

À moins que nous n'y portions attention, l'air va et vient dans nos poumons sans que nous ne fassions d'efforts particuliers. C'est ce souffle, instinctif et naturel, qui nous permet d'avancer, de réfléchir, de vivre au quotidien. Arrive alors un moment où un obstacle se présente, une précipitation s'installe. Inspirations et expirations s'accélèrent, s'entrecroisent frénétiquement. Le corps déploie ses attirails lourds afin de maintenir une respiration constante, nécessaire. Ce souffle en est un de vie, pour nous, tout comme pour notre planète qui en redemande, attend sa bouffée d'air salvatrice.

Cette année, fêtons, mais fêtons différemment! Fêtons nos changements et l'amélioration de nos comportements. Avec la répétition naissent des habitudes qui nous imprègnent de façon innée, sans que nous le réalisions. Ces automatismes presque mécaniques rythment nos vies, guident nos gestes. Bon ou mauvais, un geste habituel aussi insignifiant soit-il peut se révéler lourd de conséquences pour notre belle planète. Le mauvais peut nous faire sentir coupables ; le bon nous rendre fiers. De l'un vers l'autre, le changement d'habitudes s'opère déjà. Réemploi, recyclage ou compostage, transports en commun ou covoiturage, les actions positives nous accompagnent pour modifier progressivement notre conscience environnementale. De nouvelles pratiques plus responsables nous transforment. Continuons donc, progressons et encensons chacune de nos victoires. Bonne année 2015!

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DANS LA TÊTE DES CAMELOTS

C’est quoi, le problème? Nous avons tous nos soucis, nos bobos, nos ennuis. Mais la Terre, elle, de quoi souffre-t-elle? Un bilan de santé de notre société mérite d’être fait en ce début de nouvelle année. Si on vous donnait une baguette magique, à quel problème majeur vous attaqueriez-vous? Les camelots nous confient ce qui, pour eux, ne tourne pas rond sur notre planète ronde!

La pollution

La guerre

Le plus gros problème dans le monde, selon moi, est la guerre. Je crois que ça ne devrait pas exister, car ça tue plein de gens, particulièrement des enfants. La guerre, ça rend les gens malheureux et c’est complètement inutile. Il n’y a rien de plus innocent qu’un enfant et aucun ne mérite de vivre cela. MARC MASSY | Camelot Mont Royal/ Lanaudière

La pauvreté

Le plus grand problème est vraiment la pauvreté. Regardez autour de vous, il y a un manque de logement sociaux, les gens n’arrivent plus à bien se nourrir et il y a de l’itinérance. Les gouvernements ne pensent pas aux pauvres et ça va de pire en pire! JOHANNE BESNER | Camelot Beaudry/ Amherst

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La pollution est le plus grand problème de notre planète! On s’empoisonne mutuellement, on pollue l’eau, l’air, la terre! On surpêche, on empiète sur des terres pour construire des centres d’achat. On ne respecte plus l’environnement et au final, c’est nous qui allons payer pour tout ça! ALEX PÉLOQUIN | Camelot métro Berri


La technologie

L’hommerie

Le plus gros problème actuellement? L’homme! Où il y a des hommes il y a de l’hommerie! Nous sommes tous, par nature, égoïstes et nos besoins passent avant ceux des autres. Nous avons peur d’en manquer alors on est prêt à profiter. On mange son prochain au lieu de s’entraider et c’est vraiment dommage! Par chance qu’il existe encore des gens qui sont prêts à aider.

La technologie en général est aujourd’hui un énorme problème! Les machines, les voitures, Facebook… Ceux qui les possèdent ou qui l’utilisent oublient carrément la valeur humaine. Par exemple, quand tu travailles, tu n’es pas avec ta famille. Quand tu conduis, tu es seul à fixer la route. À la maison, tu utilises ton ordinateur, ton téléphone ou tu écoutes la radio, la télé. Le contact est devenu froid. Il y a toujours cette curiosité, au travers cette technologie, d’en savoir plus et d’en avoir plus. CYBELLE PILON | Camelot St-Zotique/ St-Hubert

JEAN-PIERRE MÉNARD | Camelot St-André/ St-Zotique

La pollution

Le problème actuel c’est la pollution. Il suffit de regarder la couche d’ozone et les dégâts qui sont faits sur notre planète. La pollution est responsable de plein de maladies. Nous n’allons pas survivre si nous continuons comme ça. CÉLINE MARCHAND | Camelot St-Denis/ Maisonneuve

L’ignorance

L’ignorance est le mal de notre monde, la mère de tous les vices, quoi! Elle engendre l’intolérance, le sectarisme. Je crois que beaucoup de gens ne veulent fondamentalement pas savoir et, malheureusement pour eux, ça les amène volontairement ou non à se marginaliser de la société. GUY BOYER | Camelot St-Denis/ Duluth

Le stress

Le monde est stressé, ça n’a pas de bon sang! Ça court toujours, ça n’a pas le temps de rien faire. J’arrive au métro à 5h45 le matin et il y a déjà des gens qui courent comme si c’était le seul train. Tout cela, et la peur d’arriver en retard, est malheureusement lié au facteur de production de notre société. Il faut toujours être performant. GAÉTAN PRINCE | Camelot métro Bonaventure et promenade Masson

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MOT DE CAMELOT Mon ami Bill Economou

Bonne année 2015

Il y a plusieurs Bill qui sont très connus. Nous n'avons qu'à penser à Bill Gates, Bill Clinton et le vénérable Bill Cosby qui a fait rire la planète pendant de nombreuses années. Moi, mon ami, il n'est pas aussi connu que ces trois Bill, mais il gagne à être connu. Je côtoie Bill le samedi au marché Atwater et c'est toujours avec joie que je le retrouve. Contrairement à plusieurs camelots qui croient qu'il y a tout le temps trop de vendeurs près d'eux, Bill et moi travaillons à quelques mètres l'un de l'autre et devinez quoi, il a toujours sa clientèle fidèle et j'ai développé une autre clientèle. Pour célébrer nos ventes, j'invite souvent Bill à venir manger mes fameux «Big Marc» sur le grill. J'ai essayé de lui faire autre chose, mais nous revenons toujours aux burgers. Bill et moi avons cette chose en commun, soit une bonne fourchette. Quand je suis avec Bill, je me sens un petit peu comme Batman, Bill c'est Robin. Il me pose des questions pour que je valide, même s'il sait déjà les réponses. Je joue le jeu et me sens valorisé. Bill, c'est de l'or en barre et je ne me passerais pas de son amitié, ni lui de mes «Big Marc». Plus important encore, Bill est un écrivain. Il réussit admirablement avec ses livres qu'il vend sans publicité, sans librairie, je vous le dis, un par un! Un client satisfait à la fois. On m'a dit qu'à part quelques auteurs connus, qui vendent principalement des livres de cuisine, il est très difficile de vivre de sa plume au Québec, surtout lorsqu'on sait que vendre 500 exemplaires est un grand succès. Mon ami Bill, lui, en a vendu pour sa part plus de 550 copies de «My impressions of Greece» et plus de 200 copies de son livre sur le marché Atwater. Chapeau Bill! Congratulations! Je vous invite à venir nous voir, le duo dynamique du samedi au marché Atwater!

Il est le temps de vous souhaiter à tous une bonne et heureuse année 2015. Comme à chaque début d'année, nous essayons de prendre de meilleures décisions et des résolutions plus positives. Le négatif, ça n'apporte absolument rien à part nuire à la personne. Pour ma part, je m'efforce d'être plus tolérant, plus enthousiaste, plus positif et plus souriant dans mon quotidien. Mon plus grand défi est d'avoir une tolérance envers moi-même, pour m'aider à contrôler mes rages et mes frustrations, afin de ne pas blesser les gens autour de moi. De plus en plus, malgré les belles améliorations que j'ai faites au fil des années, je deviens intolérant parfois face à moi-même. C'est dans ces moments que je réalise que je dois toujours travailler sur mon attitude avant de travailler sur les autres êtres humains. Sur ce, j'espère que vous passerez une belle et heureuse année 2015 en paix avec vous-mêmes (et avec moi-même)! Bye bye 2014, une année affreuse pour moi. Merci de m'encourager année après année, ça me fait chaud au cœur.

MARC SENÉCAL Camelot, SAQ marché Atwater

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RICHARD T. Camelot, Place-des-Arts

L'intermédiaire Les personnes en sevrage méritent d'être aidées, non pas par un sauveur, mais par un intermédiaire. Ce dernier est envoyé par la divine Providence, qui ne fait qu'envoyer cet intermédiaire pour sauver la personne. Celui qui n'a pas eu de problèmes de drogues dans sa vie peut se considérer très chanceux, car il est né sous une bonne étoile. Si vous ne voulez pas continuer à vivre dans des hôpitaux psychiatriques et que vous continuez à consommer, seulement la chance pourra vous aider. Vous devez attendre que votre intermédiaire se présente à vous. Pour ma part, j'ai eu la chance d'être sauvé par lui.

SERGE DUMONT Camelot, Renaud-Bray rue Saint-Denis


CHEMIN FAISANT

L'hôpital des pauvres LINDA PELLETIER | Chroniqueuse de rue

Y'

a pas d'oreiller pour tout le monde alors Marie, la préposée, m'en fabrique un avec une taie bourrée de couvertures mises à la Jean-foutre, hyper inconfortable. Plus tard, elle me dit qu'un patient a quitté : «Je le désinfecte et vous l'apporte bientôt». Ouache! Quelle vision dégueu! En plus, j'ai vu la tête du client, y'avait une sale gueule. Elle aurait pu dire : «Un patient est parti, je vais vous rapporter un oreiller tout propre». Laisse faire les détails! En plus, lorsqu'elle m'apporte l'oreiller, elle veut m'enlever celui qu'elle m'avait bourré de couvertures. Je réponds : «Non je vais le garder comme deuxième oreiller». Elle me dit qu'elle n'a pas le droit de me le laisser. Je lui rétorque : «Tantôt j'avais le droit, c'était un oreiller, maintenant c'en n'est plus un!» Elle me dit que c'est dans les règlements. Bizarre! À chaque fois que j'ai été hospitalisée à l'urgence en psychiatrie, y'a toujours eu un ou une folle du personnel plus cinglé que les patients. À l'urgence, on ne peut garder que ses lunettes et prothèses, c'est tout. On n'a même pas le droit à l'étui de lunettes, ce que je trouve aberrant, car il y a beaucoup plus de chances de se blesser avec les branches des lunettes qu'avec l'étui. Pas le droit à mon baume à lèvres non plus. J'ai toujours besoin de m'enduire les lèvres de baume. C'est médicamenté, alors ça crée une dépendance, donc je m'en mets aux cinq minutes. Pourquoi je ne change pas de marque donc? Eh ben, ce n'est pas de vos affaires. Mais non, c'est une joke ! Je l'achète parce qu'il colore les lèvres, qu'il goûte la menthe et je l'aime, quoi! Tiens, j'arrête d'écrire et je m'en mets une couche. Ah! Ça fait du bien! Alors donc, je demande mon baume aux cinq minutes à la Marie. Ça la fatigue de lever son cul de sa chaise rien que pour ça. Marie soupire, elle n'est pas contente. Même si j'ai vu qu'elle était à boutte, j'ai argumenté : - Pourquoi tu ne me le laisses pas, mon baume? - Ah! Je n'ai pas le droit, j'ai des patients confus qui pourraient se blesser avec. - T'es sérieuse? Avec un baume à lèvres? - Ben on ne sait jamais. Bon, garde-le, mais cache-le bien comme il faut O.K.? - O.K. c'est quand même pas une bombe atomique, que je sache ! - Non, mais y'a des patients si confus bla bla bla… - Ben oui! Ils pourraient se le fourrer dans l'œil ? Fin de ma première soirée à l'urgence de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont. Aujourd'hui jeudi, je me sens choyée, car on a aiguisé mon crayon de cire, le seul autorisé pour écrire. Wow! Après le déjeuner, j'ai demandé à prendre une douche. De 9 h 30 à 16 h, je crois que je l'ai demandé quarante-neuf fois! On me répondait sans cesse : «Quand nous serons deux pour surveiller ton coqueron, je pourrai t'y amener.» Bien sûr, ils ne disaient pas «coqueron», mais étant donné l'endroit où j'étais confinée, c'est ce que je ressentais. À 16 h 15 arrive un autre, à qui je demande sur un ton de grande exaspération : «Quand est-ce que je vais pouvoir prendre ma douche?» Il me répond : «Mais jamais! On ne peut pas vous faire prendre une douche, à cause des coupures budgétaires.» «Les coupures budgétaires! que je m'exclame. On a coupé l'eau des douches! Nous voilà déménagés en Haïti! Je ne m'en étais pas rendue compte.» Hé ben, ça lui a cloué le bec, au mec! Mais l'infirmière à qui, depuis le matin, j'avais demandé de prendre une douche près de cinquante fois a alors trouvé une préposée en deux minutes et j'ai enfin pu prendre une bonne douche. Comme quoi avoir le sens de la répartie, ça peut finir par payer, parfois. Sauf que l'infirmière s'est vengée en me rentrant une piqûre dans le bras : «Pour me calmer.»

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Un bon plan avec des moyens… qui sont à bonifier Le Plan d'action interministériel en itinérance du gouvernement du Québec dévoilé en décembre contient plusieurs bonnes pistes d'actions, mais ses moyens sont largement insuffisants. Sans investissements supplémentaires, il y a fort à craindre que ce plan ne réussisse pas à endiguer l'accroissement de l'itinérance, qui est constaté année après année, tant à Montréal que dans plusieurs régions.

INFO RAPSIM

PIERRE GAUDREAU | Coordonnateur du RAPSIM

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es organismes en itinérance attendaient avec impatience la sortie de ce Plan d'action, qui doit déployer la forte Politique nationale de lutte à l'itinérance adoptée il y a près d'un an. Qu'allait faire le nouveau gouvernement de cette Politique gagnée après huit ans de luttes ? Une Politique est certes pérenne, mais son application peut être très relative, selon les gouvernements, cela s'est souvent vu.

Une bonne cohérence

Il faut souligner et saluer la cohérence dans la vision globale que l'on trouve dans la Politique adoptée sous le Parti Québécois et le Plan d'action adopté par les Libéraux. Ainsi, on y retrouve la reconnaissance que l'itinérance se vit dans différentes réalités, qu'il faut agir en amont et en aval sur le phénomène, comme le titre du plan le décrit bien « Mobilisés et engagés pour prévenir et réduire l'itinérance.» Le plan prévoit des actions dans tous les axes de la politique : le logement, la santé et les services sociaux, le revenu, l'éducation et la réinsertion, la cohabitation et la judiciarisation. Aussi de nombreux ministères sont interpellés par la mise en œuvre de ce plan.

Des actions et des moyens inégaux

Parmi les mesures intéressantes du plan annoncé par la ministre Lucie Charlebois, le RAPSIM relève le développement du logement social avec soutien communautaire, dont 500 unités pour sans-abri sont prévues cette année. C'est un investissement significatif de 43 millions. Cependant, la révision des

programmes en cours à Québec menace le développement de cette action essentielle pour prévenir et réduire l'itinérance. En ce qui concerne la santé et les services sociaux, la somme de 6 millions annoncée par la ministre permettra de consolider et de développer des services importants, tant dans le réseau institutionnel que communautaire. Ces investissements sont concentrés à Montréal où l'Agence de la santé a dégagé plus du tiers des fonds récurrents. Il faut à la fois applaudir et s'inquiéter de l'action forte de l'Agence, car le ministre Barrette a annoncé la disparition de l'Agence, elle qui doit pourtant piloter la mise en œuvre du Plan d'action sur une base régionale. Des pistes d'actions intéressantes se retrouvent aussi en ce qui a trait à la formation, de même qu'au niveau de la cohabitation.

Rien sur le revenu

Là où le plan fait cruellement défaut c'est en ce qui concerne le revenu. Aucune mesure n'est prévue pour améliorer le revenu des personnes seules ni adapter les programmes pour favoriser la réinsertion sociale. La Politique nationale de lutte à l'itinérance identifie pourtant bien cette question comme étant une cause importante de l'itinérance. Elle identifie aussi des actions à mener pour prévenir et réduire le phénomène. Pour que ce plan fasse progresser la lutte à l'itinérance, cela prendra des investissements dans les programmes sociaux. Le ministre Carlos Leitao prépare déjà son deuxième budget. Faudra lui rappeler, de même qu'aux 11 ministres signataires du Plan d'action en itinérance, que les actions fortes et pertinentes prévues doivent être soutenues par des moyens beaucoup plus importants.

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CARREFOUR La famille de L'Itinéraire célèbre Noël C'est autour d'un bon repas servi par le Petit Extra que la famille de L'Itinéraire s'est réunie le 8 décembre dernier au Lion d'Or pour célébrer le temps des Fêtes. Au programme de cette belle soirée: concours des mots de camelots, concours de la Une et le traditionnel Talent Show. Soulignons la participation de Josée Blanchette, membre du jury du concours des mots de camelots, et la visite de Manon Massé, députée de Sainte-Marie—St-Jacques. L'Itinéraire tient à remercier chaque personne qui a fait de cette soirée un succès, en particulier les organisatrices : Geneviève Labelle (agente de soutien communautaire) et Nancy Trépannier (préposée à la distribution). PHOTOS : GOPESA PAQUETTE

Le côté créatif de L'Itinéraire Le sourire aux lèvres, les participants de L'Itinéraire ont fièrement exposé leurs œuvres à l'exposition artistique mi-annuelle du CREP (Centre de ressources éducatives et pédagogiques) du 18 novembre dernier. C'était l'occasion de souligner leurs belles réussites! Grâce à un partenariat avec l'Université Concordia, ils ont réalisé des créations de photomontages, d'enregistrement vocal numérique, et même un costume de clown! Et puis, grâce à un partenariat avec l'UQÀM, ils ont créé des poèmes originaux. Félicitations à tous les participants! Depuis 2008, le CREP offre à L'Itinéraire un programme qui vise l'intégration sociale et socioprofessionnelle des participants, via des suivis individuels, des ateliers de formation et des activités dans la communauté. Sur la photo, Denis de L'Itinéraire accompagné de Chloé, étudiante de Concordia qui l'a accompagné dans ses projets.

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Le théâtre qui parle de ma vie, de notre vie À 31 ans, je n'étais jamais allée au théâtre... Je suis allée voir trois pièces durant la saison d'automne 2014 ! Découvrir le théâtre sur une scène et non pas lors d'une lecture obligatoire à l'école, c'est une tout autre histoire. PAR MARIE-ANDRÉE B.

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a représentation à laquelle on assiste est unique, sûrement différente de celle de la veille ou du lendemain. On sent l'énergie investie par les acteurs. On est proche des personnages, on se sent comme des témoins d'une réalité vécue. Je me suis d'ailleurs identifiée à certains personnages. Le théâtre peut être bien ancré dans la réalité. Plusieurs thématiques abordées me rejoignent : les rêves brisés, les relations familiales dysfonctionnelles, la vie de campagne, la pauvreté, la toxicomanie, la quête d'amour et d'un sens à la vie. L'expérience du théâtre a éveillé chez moi une passion et je vous invite à me suivre dans mes découvertes. Mon initiation a eu lieu au théâtre La Licorne. L'œuvre qu'on y jouait était Pour réussir un poulet, de Fabien Cloutier. Pour faire suite à l'écriture de mon article sur la pièce (voir L'Itinéraire du 15 novembre 2014), plusieurs personnes m'ont demandé d'où venait le titre de la pièce. Voici la réponse de l'auteur : « Tout d'abord parce que je trouve que ça titille la curiosité. Je trouve que ça sonne bien et que ça ouvre l'imaginaire. Mais aussi parce que la notion de «bon est ce qu'on mange» est pas mal présente dans la pièce. J'avais envie d'exprimer que la bouffe est un bon indicateur des inégalités. » Les personnages de la pièce sont issus d'une classe sociale qui en arrache. Il peine à se payer de quoi manger trois fois par jour. Pour ce qui est d'une alimentation saine et équilibrée, on repassera. Plus tard, je me suis retrouvée au théâtre Prospero. J'y ai vu Les paroles, de Daniel Keene. L'histoire est celle

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d'un couple en quête de sens. Ils vagabondent de ville en ville à la recherche de réponses à leur questionnement existentiel. Ils sont pauvres, épuisés, affamés, exclus du reste du monde. Le spectacle est visuellement magnifique, il se déroule sur une scène lumineuse recouverte de sable noir. Les acteurs s'expriment davantage par des mouvements que par des mots. Ils marchent sur la pointe des pieds et traînent une valise comme un boulet. Quelque temps après, je suis retournée au théâtre Prospero, mais cette fois pour la pièce Le chant de Meu de Robin Aubert. Ce dernier a créé l'histoire de deux amis très proches qui se retrouvent en plein milieu d'un drame qui les dépasse. Les deux hommes sont brisés et leur amitié est compromise. L'histoire se déroule dans un milieu rural. C'est une œuvre dans laquelle le décor est presque inexistant, il faut l'imaginer. Les images sont plus évoquées que montrées.


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ne Mise en sc è Jean-Simo ne de n Traversy du 26 janv   ier au 13 fé vrier 2015 Théâtre La Licorne

REPORTAGE

Mise en scène de Louis-Karl Tremblay du 21 avril au 9 mai 2015 Théâtre Prospero

sur la généalogie émotive transmise de parents à enfants. Thomas, porté par un profond désir de changement, entreprend une quête d'identité et de vérité. Il va redéfinir son lien affectif avec sa mère et ils vont ensemble redécouvrir l'amour.

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Mise en scène d'Emanuel Robichaud du 17 février au 7 mars 2015 Théâtre Prospero

Florent Siaud Mise en scène de ril 2015 du 17 mars au 11 av pe Théâtre Pros ro

d'Ivan Viripaev

Illusions

PHOTOS: SHARON JAME, ADRIENNE SURPRENANT ET ALEXIS AUBIN

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a vie de Thomas, joué par l'auteur lui-même, bascule lorsque sa mère lui révèle des secrets de famille enfouis depuis des années. Il porte un héritage familial pesant et lourd de conséquences. Cette pièce est une réflexion

e drame rempli d'émotions fortes nous parle de traumatisme d'enfance, de survie et de fuite dans un monde imaginaire. Nine est cruellement privée de son enfance par l'abandon de sa mère et les sévices de son père qui la tient séquestrée durant un an. Une fois libérée, Nine rencontre une multitude de thérapeutes dont un qui réussit à gagner sa confiance. La jeune fille s'ouvre petit à petit pour apprendre à vivre autrement dans un monde où il y a plus de lumière. Cette pièce a été régulièrement mise en scène depuis sa création en 2000.

de Suzie Bastien

Le désir de Gobi

de Mikael Lamoureux

Les têtes baissées

Comme j'ai eu la piqûre du théâtre, j'ai consulté les deux programmations des deux théâtres que j'ai visités et je vous recommande quatre pièces en ce début d'année 2015.

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onstellatio ns est u ne mantique qui explo comédie rore les re hommeslations femmes. notion du E lle ab h d'une vie d asard dans le déve orde la e couple. E loppemen t st-ce qu'il la pièce, il existe ? Da y a une sc ns ène qui se d'une fois répète, m à l'autre d ais es duites. Il n e nécessit variations sont intro e qu'un in ment pour fime chan dé gelement dif clencher des événe me férents. En amour, les nts totasont infinie possibilité s... s

en question pourrait remettre ue iq ph ul Pa essionne : a distribution impr s convictions. utin, Evelyne vo Bo vid Da i, Ahmaran et Marie-Ève De la Chenelière ent en trent aires relat Pelletier. Quatre le la vie conjuga de les faits saillants de ps. iés depuis longtem deux couples mar r ou m d'a s ire les histo Ceux qui aiment s ur to re ser all les ns seront comblés ! Da illusions et les fanles , té ali ré la tre en vos -vous à perdre tasmes, attendez soilo ph ur ve re à sa repères. Cette œuv

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VIVRE Une envie sous la douche Faire pipi sous la douche permettrait de sauver la planète. L'idée paraît farfelue et pourtant, l'Université d'East Anglia, en Angleterre, a demandé à ses étudiants de se soumettre à ce petit rituel matinal pour économiser l'eau. Les deux instigateurs de l'expérience, appuyés par leur recteur, ont fait le calcul : uriner chaque matin sous la douche plutôt que dans la toilette permettrait d'économiser l'équivalent de 26 piscines olympiques par an! Au Brésil, l'organisme SOS Forêt Atlantique a déjà lancé une campagne semblable auprès des citoyens brésiliens, estimant que pour chaque personne qui évite de tirer la chasse d'eau, ne serait-ce qu'une fois par jour, on économise 4380 litres d'eau potable par année. (Source : citizenpost.fr)

Paquet de bonnes choses Certains aliments peuvent grandement aider à diminuer le goût de fumer. Différentes études ont démontré que le lait, le yogourt, de même que les fruits et les légumes modifient le goût de la nicotine au point de laisser une sensation désagréable au palais des fumeurs. Résultat : l'envie d'allumer une cigarette disparaît totalement. Un autre truc : après avoir fumé, sucer un clou de girofle pour prolonger le goût de la nicotine dans la bouche ce qui permettra de repousser le prochain clou... de cercueil, celui-là. À l'inverse, café, bière, vin, cola, augmentent l'impulsion de fumer. On suggère de remplacer le paquet de cigarettes par un paquet de même taille rempli de bâtonnets de carotte et de céleri, fruits séchés, amandes, petites gâteries, qu'on apportera partout. Info : jarrete.qc.ca et mondesansfumee.ca

Du plaisir à la pelle! Zoocide : l'autre combat Est-ce indécent de s'occuper des animaux quand il y a tant à faire pour les humains? « Non! ». Le moine bouddhiste (végétarien) Matthieu Ricard est catégorique. Il s'explique dans son plus récent ouvrage Plaidoyer pour les animaux. Selon ce qu'il rapporte, 70 milliards d'animaux terrestres et 1000 milliards d'animaux marins sont tués chaque année pour nourrir le monde, ce qui constitue pour lui un zoocide devant lequel nous ne pouvons rester indifférents. Vouloir remédier à des massacres humains tout comme à la cruauté dans les abattoirs, les arènes de corridas et ailleurs, relève de la même bienveillance qu'il faut avoir envers tous les êtres sensibles sur cette terre, insiste l'émule du Dalaï-lama. Pour lui, « toute souffrance mérite d'être soulagée ». (Source : neo-planete.com et agoravox.fr/ tribune-libre/article/entretien-avec-matthieu-ricard)

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Puisqu'il est recommandé de pratiquer une activité physique pendant au moins 30 minutes chaque jour pour être en forme, bénissons la neige qui nous en donne l'occasion aussi généreusement. Pelleter est en effet un exercice bénéfique, hautement aérobique, musculaire et brûleur de calories, mais ça comporte aussi des dangers. Voici des règles élémentaires pour éviter les accidents : 1Boire beaucoup d'eau, la déshydratation étant peu ressentie quand il fait froid. 2- Éviter de gros repas du genre œufs-bacon-patates ni cigarette-café avant d'attaquer la pelle, pour ne pas augmenter le rythme cardiaque. 3- Limiter à quinze pelletées par minute, et seulement quinze minutes à la fois suivies de pauses de deux à trois minutes. 4- Plier les genoux pour soulever la neige, forcer avec les muscles des cuisses et non avec le dos. 5- Ne pas lancer la neige derrière soi, ni trop haut. Info sur participaction.com

PHOTOS : 123RF.COM/MONIKA MLYNEK, OLENA AFANASOVA, PAT138241, NATALIYA DEMYDCHYK

PAR DENYSE MONTÉ | montex9@videotron.ca


PANORAMA

PAR MARTINE B. CÔTÉ

Deux nouveaux spectacles au Planétarium Le nouveau Planétarium, ouvert depuis plus d'un an et demi vient de renouveler sa programmation et propose deux nouveaux spectacles dans ses salles toutes neuves. Dans le Théâtre du Chaos, les spectateurs ne se font pas prier pour s'étendre sur les « bean bags », ces fauteuils mous depuis lesquels ils regardent l'écran hémisphérique au-dessus de leur tête. Vertiges est une expérience de haute voltige : philosophique, scientifique et émotive. D'une durée de 20 minutes, accompagnée d'une trame sonore parfaite, la projection questionne le rapport au temps en nous en mettant plein les sens. Dans l'autre salle, on retrouve un spectacle un peu plus traditionnel. Mais oubliez les anciennes présentations très scientifiques qui ont longtemps fait les heures du Planétarium : Tempo est une présentation assez basique de quelques grandes notions d'astronomie, avec une narration faite en direct. On sent que le nouveau Planétarium veut élargir son public au lieu de nourrir les convaincus pour susciter de futurs intérêts pour le ciel. Planétarium de Montréal Ouvert du mardi au dimanche

Détails et bande-annonce sur Espacepourlavie.ca/planetarium

PHOTO JEAN-FRANÇOIS GRATTON

Le journal d'Anne Frank au théâtre Le prolifique Éric-Emmanuel Schmitt propose son adaptation toute personnelle du touchant journal intime de la jeune Anne Frank, 13 ans, obligée de se cacher durant deux ans avant d'être déportée dans un camp où elle mourra à quelques jours de la fin de la guerre. L'auteur a pu compter sur de toutes nouvelles archives pour actualiser la pièce. La metteure en scène Lorraine Pintal dirige 11 actrices et acteurs, dont Paul Doucet, Marie-Hélène Thibault et Mylène Saint-Sauveur, dans le rôle-titre, qui fait ses débuts au théâtre. Intrigante proposition.

Le journal d'Anne Frank

Mise en scène de Lorraine Pintal Au TNM, jusqu'au 7 février

Miron : un homme revenu d'en dehors du monde C'est un film hors normes qu'a imaginé Simon Beaulieu, celui à qui ont doit un documentaire sur le peintre Serge Lemoyne et un portait émouvant de Gérald Godin. Cette fois, il propose une expérience cinématographique en forme de kaléidoscope pour raconter le grand Miron. Ce n'est pas un documentaire journalistique. Personne ne revient sur le parcours du poète. C'est plutôt un collage d'archives qui laisse les images nous raconter l'homme et aussi l'atmosphère politique du Québec de ces années-là. D'une grande beauté, déstabilisante, parfois, mais qui, on se permet de le penser, aurait plu à monsieur Miron. En DVD et sur les ondes de Télé-Québecle 18 janvier 20 h

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Le devoir de mémoire PAR MÉLANIE LOISEL

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était le 27 janvier 1945. Ce jour-là, l'humanité découvrait l'horreur du camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau en Pologne. Lorsque les soldats de l'Armée rouge y sont arrivés, il ne restait plus qu'une poignée d'hommes et de femmes à l'allure de morts vivants. Le régime hitlérien avait déjà tué plus d'un million de personnes, des juifs surtout, mais aussi des tsiganes, des homosexuels, des prisonniers de guerre. Il y a 70 ans, on révélait une sombre page de notre histoire qu'il ne faut jamais oublier. « Plus jamais…» Ces deux petits mots résonneront toujours dans ma tête. Je revois encore Henri Engelberg fondre en larmes après m'avoir raconté son histoire dans un café de Bruxelles en ce beau samedi après-midi du printemps. Aussi inimaginable que cela puisse paraître, cet homme de 90 ans, qui me semblait si fragile, a survécu à dix camps de concentration et d'extermination pendant la Deuxième Guerre mondiale. Je ne pouvais y croire, mais je devais y croire. Lorsqu'il a remonté sa manche pour me montrer son numéro des camps tatoué sur son avant-bras, le cœur m'a fait mille tours. Doucement, j'ai glissé mes doigts sur son matricule, puis on s'est serré et j'ai séché ses larmes… « Je te promets de ne pas oublier, de ne pas t'oublier. » Sa femme Marianne était là avec son sourire radieux. Elle respirait le bonheur. Elle et Henri étaient si beaux à voir. Je me suis mise à croire en l'amour. L'amour qui guérit les pires blessures même s'il ne peut effacer la mémoire. Mais les tourtereaux m'ont plutôt parlé de tendresse. Ils m'ont confié que pour survivre, à ce qui nous semble insurmontable, il faut surtout de la tendresse…Il faut des mots, des gestes, de la délicatesse, de la douceur, de l'attention, de l'écoute, de la présence, du partage, du respect…

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LIVRES La nuit d'Elie Wiesel

Comme bon nombre de récits des camps d'extermination, Elie Wiesel témoigne dans La nuit de son calvaire pendant ses mois passés à Auschwitz puis dans le camp de concentration de Buchenwald. Dans ce premier livre, Wiesel, originaire de la Roumanie, revient sur la perte de sa famille et surtout de celle de son père qui est mort à ses côtés sans qu'il ne puisse rien faire. Apeuré dans un grand dortoir obscur, il raconte cette nuit où il a refusé de répondre à son père mourant. Ce moment déchirant le marquera pour le reste de sa vie. Sans passer par mille détours, ni chercher les belles métaphores, Wiesel témoigne à sa façon de la barbarie humaine et des choix déchirants qu'ont dû faire les Juifs pour sauver leur peau.

Si c'est un homme de Primo Levi Écrit en 1947, Si c'est un homme est un des premiers grands témoignages des horreurs de l'Holocauste. Avec sa plume singulière, Primo Levi raconte Auschwitz dans toute la déchéance et la désincarnation de l'Homme. L'écrivain d'origine italienne explique sans détour la folie des nazis de vouloir anéantir une partie de l'espèce humaine. Levi trouve les mots, qui donnent parfois froid dans le dos, pour témoigner des dernières heures de ces hommes et de ces femmes exterminés à cause d'une idéologie qui dépasse l'entendement. Ayant lui-même échappé aux chambres à gaz, Lévi dénonce la cruauté des nazis tout en montrant la force de l'humanité entre les déportés et les rescapés. Grand classique de la littérature concentrationnaire, Si c'est un homme est une lecture indispensable pour réaliser, ne serait-ce qu'un instant, jusqu'où l'homme peut sombrer et peut faire souffrir son prochain.

Oui, il est possible de survivre si les hommes et les femmes choisissent de se faire du bien. Henri Engelberg, qui nous a finalement quittés à l'été, a bien survécu. Et il n'est pas le seul. Son ami Henri Kichka a lui aussi résisté à la barbarie des nazis. Il est sorti vivant d'Auschwitz. Et à 88 ans, il se tient encore bien droit, fier d'avoir tenu tête, pour pouvoir encore aujourd'hui témoigner des humiliations et des souffrances dont sa famille et lui ont été victimes. Comment a-t-il fait? Pour quelles raisons? À ces questions, les survivants de l'Holocauste répondent souvent qu'ils l'ont fait pour garder vivante la mémoire de leur mère, de leur père, de leurs frères et sœurs qui, eux, n'ont pas eu cette chance… Au crépuscule de leur vie, ces survivants ont peur d'être oubliés, que leur histoire soit oubliée et que l'humanité ne sombre à nouveau… Il y a quelques mois, j'ai donc fait la promesse aux deux Henri de garder leur mémoire vivante. J'ai fait la même promesse à mon ami Martin Gray, qui a survécu au ghetto de Varsovie, au camp de Treblinka, et après la guerre, à la perte de sa femme et de ses quatre enfants dans un incendie de forêt. Dans les années 70, son histoire racontée dans le célèbre livre Au nom de tous les miens, avait d'ailleurs fait grand bruit autant au Québec qu'en Europe. L'hiver dernier, il m'a aussi accordé sa dernière grande entrevue dans Ma vie en partage que nous avons publiée aux éditions de l'Aube. Pendant plusieurs mois, j'ai donc eu l'immense privilège de poser toutes les questions qui me traversaient l'esprit parce que je voulais comprendre… Je voulais savoir d'où venait cette volonté de vivre de ces hommes et de ces femmes qui ont connu la faim, le froid, la peur, la peine, l'injustice, la souffrance, tout ce qu'on appelle le Mal… J'ai compris bien des choses, mais j'ai surtout compris qu'il fallait se tenir debout devant l'imbécillité humaine pour assurer notre dignité. Mais j'ai surtout compris que la vie était sacrée et qu'aucun être humain n'avait plus de valeur que soi-même.

Maus d'Art Spiegelman Beaucoup plus facile à lire mais tout aussi noire, la bande dessinée Maus illustre le régime hitlérien d'une façon fort percutante. L'auteur américain Art Spiegelman transforme les nazis en chats et les juifs en souris. Avec ces personnages, il revient ainsi sur le drame de son père, d'origine polonaise, qui a vécu et subi la déraison des nazis en se retrouvant dans le camp d'extermination d'Auschwitz. Prix Pulitzer en 1972, Maus trace un portrait sombre d'une période meurtrière qui a laissé des marques profondes dans plusieurs familles même après la guerre. De nombreux survivants de la Shoah n'ont jamais totalement réussi à reprendre une vie normale au point d'affecter celle de leurs enfants. Art Spiegelman le démontre bien et le sait trop bien. Ses parents sont sortis vivants des camps, mais sa mère s'est suicidée quelques années plus tard.

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1 2 3 HORIZONTALEMENT 1. Études 4 des mollusques. 2. Goberas. - Aire de vent. 3. Viser. 5 - Commence 4. Répéter. - Cérémonies. 5. Note. 6 - Échassier. - Oiseau. 6. Animaux fabuleux. - Drogue. 7 de libre-échange. - Hitlérien. 7. Accord 8. Pronom. - Brillât. 8 - Fervent. 1 9.10.Demeure. 4 Âge. - Éditées. 9 VERTICALEMENT 1. Cactacée couverte de mamelons 9 épineux. 2. 10 Ravitailler.

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7 1 HORIZONTALEMENT 6 1. Vaporisait. 9 1 2. Récolte. - Pronom. 3. Plantes.7- Versus. - Raccorderais. 4 9 14. Radiations. 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 A L grecque. A C O -LRivale. O G I E S 1 M5. Lettre L E R A S N N E 2 A V A 4 I R E - Né. R D E B U T E 3 M6. Unités. R I T E S 4 I T E R E R 6I B I enS roche A8 P rougeâtre. I E 5 L7. Transformation

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HORIZONTALEMENT 1. Vaporisait. 2. Récolte. - Pronom. 3. Plantes. - Versus. 4. Radiations. - Raccorderais. 5. Lettre grecque. - Rivale. 6. Unités. - Né. 7. Transformation en roche rougeâtre. 8. Deux. - À lui. - Mouche. 9. Explosif. - Transpires. - Orient. 10. Crochet. - Nazi. - Dieu gaulois. VERTICALEMENT 1. Abondance et rapidité de la parole. 2. Moines bénédictins. 3. Fleur. - Pot. - Travailleur social. 4. Donnâmes comme certain. 5. Défaut. - Pneumopathie. 6. Fétiche. - Usages. 7. Marxistes. 8. Remarquable. 9. Note. - Reliquat. 10. Alu. - Devîntes muets (verbe pronominal). 11. Sept. - Qui a une grosse charpente. 12. Trame. - Propres.

3. Dieu du foyer. - Arrête. 4. Aigle sans bec ni pattes. Solution dans le prochain numéro 5. Intellectuelles. 6. Métal. - Parti politique québécois disparu. 7. Palefrenier. - Gaga. Jeu -réalisé 8. Foncer. Passage. par Josée Cardinal | joseecardinala1@yahoo.ca 9. Signal sonore. - Pénis. 10. Futilités. 11. Greffées. - Largeur. NIVEAU DE DIFFICULTÉ: DIFFICILE 1er janvier 2015 12. Chef-lieu de Solutions canton de l'Orne.du - Millésimes.

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8. Deux. - À lui. - Mouche.Z U 9. Explosif.T - Transpires. -ZI Orient.L M I E 10. Crochet. - Nazi. - Dieu gaulois. 7 3 8 9 2 1 6 4 5 VERTICALEMENT 2 5 1 6 4 7 8 3 9 1. Abondance 9 4 6 5et8rapidité 3 7 de 1 la 2 parole. 8 1 9 7 5 2 4 6 3 2. Moines bénédictins. 5 7 4 3 6 9 1 2 8 3. Fleur. 3 6 - Pot. 2 4 - Travailleur 1 8 5 9 social. 7 6 8 5 2 3 4 9 7 1 4. Donnâmes comme certain. 1 9 3 8 7 6 2 5 4 4 2 7 1 9 5 3 8 6 5. Défaut. - Pneumopathie. 6. Fétiche. - Usages. 7. Marxistes. 8. Remarquable. 9. Note. - Reliquat.

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4 6 5 8 2

7 1 2 4 6 2 8

Placez un chiffre de 1 à 9 dans chaque case vide. Chaque ligne, chaque colonne et chaque boîte 3x3 délimitée par un trait plus épais doivent contenir tous les chiffres de 1 à 9. Chaque chiffre apparaît donc une seule fois dans une ligne, dans une colonne et dans une boîte 3x3.

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A PROPOS DE LA...

NATURE Vous arrivez devant la nature avec des théories, la nature flanque tout par terre.

Le génie et la nature ont conclu une alliance éternelle : ce que le premier promet, la seconde l'accomplit certainement.

PIERRE-AUGUSTE RENOIR

La barrière la plus immuable de la nature se situe entre les pensées d'un homme et celle d'un autre. WILLIAM JAMES

JOHANN FRIEDRICH VON SCHILLER

La nature ne vise pas un but particulier, mais un but universel. RALPH WALDO EMERSON

L'intuition est l'incarnation la moins entravée de la nature.

Cet espoir que nous avons tous d'être compris, rassurés, consolés par la nature, l'angoisse crée un vide que la nature remplit, fertilise.

HÉLÈNE GRIMAUD

L'art de la médecine consiste à distraire le malade pendant que la nature le guérit.

MARIE-CLAIRE BLAIS

VOLTAIRE

La nature, pour être commandée, doit être obéie.

EMILY DICKINSON

FRANCIS BACON

Nous comprenons la nature en lui résistant. GASTON BACHELARD

L'essentiel est d'être ce que nous fit la nature; on n'est toujours que trop ce que les hommes veulent que l'on soit. JEAN-JACQUES ROUSSEAU

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ITINERAIRE.CA | 15 janvier 2015

CHRIS CARTER (X FILES )

Il y aura toujours deux mondes soumis aux spéculations des philosophes : celui de leur imagination, où tout est vraisemblable et rien n'est vrai, et celui de la nature où tout est vrai sans que rien ne paraisse vraisemblable. RIVAROL

L'art est une démonstration dont la nature est la preuve. GEORGE SAND

La nature agit, l'homme fait. EMMANUEL KANT

PHOTO: 123RF.COM/75TIKS

La nature est ce que nous savons sans avoir l'art de l'exprimer.

La nature hait la normalité.



Chez Tim Hortons, si nous ne pouvons servir notre café de première qualité dans les vingt minutes suivant sa préparation, nous ne le servons tout simplement pas. C’est pour cette raison qu’à chaque nouvelle carafe que nous préparons, nous y inscrivons l’heure. De cette façon, vous êtes assurés que nous vous servons un café toujours savoureux.


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