L'abolition de la traite des Noirs, par M. Blanc (Jean) Avocat.. Epigraphes

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L'ABOLITION DE LA

TRAITE

DES NOIRS,

PAR M . B L A N C ( JEAN ) , AVOCAT.

EPIGRAPHES. Nullius servilis sententiœ autor. TACITE.

il marche dans sa force et dans sa liberté.

Ducis.

B O U R G E S , IMPRIMERIE

D E A. B R U L A S S ,

PLACE CROIX-DE-PIERRE, H.° 9. SEPTEMBRE

1827,

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L'ABOLITION DE LA

T R A I T E DES NOIRS,

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L'ABOLITION DE LA

TRAITE DES NOIRS, PAR M . B L A N C ( JEAN ) , AVOCAT.

ÉPIGRAPHES. Nullius servilis sententiœ autor.

TACITE. Il marche dans sa force et dans sa liberté. Ducis.

B O U R G E S , IMPRIMERIE PIACE

DE

A.

BRULASS,

CROIX-DE-PIERRE, SEPTEMBRE

0

N.

9.

1827.

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PRÉFACE.

L'ABOLITION de l a traite des Noirs est un des actes les plus remarquables et les plus philantropiqués des sociétés policées de l'Europe. Cette émancipation a le double mérite de rendre l'homme à sa dignité première, en l'arrachant à l'avilissement où l'esclavage l'avait plongé, et d'anéantir un trafic également réprouvé par la Nature et la Divinité. Quelle absurdité , en effet, de croire que l'homme, quelle que soit sa couleur, ait été destiné à devenir l'esclave d'une autre espèce d'hommes ! L a civilisation a dû élever l'un audessus de l'autre , et la raison nous apprend que les animaux seuls ont été créés pour les besoins et les plaisirs de la race humaine. Ce qui doit nous confirmer dans cette opinion, c'est que l'homme blanc habitant de l'Europe et de l ' A s i e , l'homme noir et rouge indigène de l'Afrique, et les naturels cuivrés de l'Amérique et de la Nouvelle-Hollande, sont tous suscep-


VI

PRÉFACE.

tibles de s'élever progressivement à l'état de société et de civilisation, et que ce préjugé ( que l'homme blanc a seul la raison en partage ) a été propagé par les fauteurs intéressés de l'esclavage. L'émancipation des Noirs était un sujet riche, grand, qui prêtait aux plus beaux développemens; aussi deux académies l'ont-elles proposé : L'académie d'Amiens, i l y a cinq à six ans; et celle des Belles-Lettres de Paris, en 1824. Je l'ai envisagé sous le rapport de la morale, de la religion, de la politique et de l'humanité. J'ai puisé dans toutes les relations des voyageurs qui ont pénétré dans l'intérieur de l ' A frique. C'est ainsi que j'ai mis à contribution MungoParck, Mollien , Levaillant, Golberry, Brown , Grandpré, L y o n , etc., etc. J'ai trouvé d'heureux et d'innombrables matériaux dans un écrit de l'abbé Grégoire ( l a Littérature des Nègres ) , ouvrage remarquable, et par la pureté du style et l'exactitude des c i tations. J'ai extrait les passages les plus saillans des brochures où les forfaits des négriers sont signalés : Le Cri des Noirs ( Clarkson ) ;


PREFACE.

VII

Des peines infamantes à infliger aux négriers (Grégoire); Seconde pétition contre la traite des Noirs ( Morénas ) ; Relations des horreurs commises sur les Noirs ( extrait du discours du duc de Broglie ). Enfin mes recherches se sont étendues jusques dans les voyages faits dans nos colonies. J'ai ajouté un épilogue : c'est un hommage rendu à Petion et à Boyer. L e second morceau du Recueil n'est qu'une traduction de quelques vers anglais gravés sur la tombe de Napoléon, ainsi que nous l'apprend un article de la Revue britannique. L e troisième est une traduction d'un certain nombre de versets du livre d'Isaïe, pris çà et là. Enfin, les quatrième et cinquième sont deux fragmens d'un petit poëme sur les Abeilles, qui n'est point encore terminé et qui ne verra le jour qu'autant que les extraits que je donnerai de temps en temps recevront du public un accueil favorable. L o i n de moi l'idée de donner quelque célébrité à mon n o m , je n'en ai ni l'intention ni le talent; mon seul but a été de consacrer aux muses quelques momens de loisir, et d'offrir à mes


VIII

PRÉFÀCE.

concitoyens quelques échantillons de mes tra­ vaux poétiques. Trop heureux si j'ai pu mériter leurs suffrages!


L'ABOLITION T R A I T E D E S NOIRS. ÉPIGRAPHES, Nullius servilis sententive autor.

TACITE. Il marche dans sa force et dans sa liberté; Ducis.

L A nature o u t r a g é e a reconquis ses droits ; Sa v o i x s'est fait entendre à l'oreille des rois, E t des noirs Africains l a race i n f o r t u n é e N ' e s t plus à l'esclavage à jamais c o n d a m n é e .

Q u e l droit a Consacré ce tribut

criminel?

N e sommes-nous pas tous enfans de l ' E t e r n e l ? E t sous le joug des B l a n c s , pour abaisser sa tête, L'habitant de l ' A f r i q u e est-il n é leur c o n q u ê t e ? N o n , les hommes d ' E u r o p e et ceux du S é n é g a l A u banquet de l a v i e ont tous un droit égal 5 J a m a i s , dans sa f a m i l l e , on ne v i t un b o n père Rendre un de ses enfans l'esclave de son f r è r e . 8


( 2 ) A u x yeux des fiers c o l o n s , les Africains proscrits Furent toujours l'objet de leurs profonds m é p r i s ; Ces hommes du D é s e r t , loin de leurs doux r i v a g e s , E p r o u v a i e n t tous les jours les plus sanglans outrages ; E t devant leurs b o u r r e a u x , effrayés et t r e m b l a n s , O n les crut d e s t i n é s à ramper sous les B l a n c s . M a i s , pour justifier leur affreux é g o ï s m e , L e u r c r u a u t é , ce j o u g , œ u v r e du despotisme, Q u e leur reprochent donc ces hommes i n s e n s é s ? E s t - c e leur peau d ' é b è n e et leurs cheveux frisés ? L e s A f r i c a i n s , usant d'une juste r e v a n c h e , N ' o n t - i l s pas à leur tour horreur de leur peau blanche? L e s B l a n c s ont peint en noir leur T i p h o n

odieux;

L e s N o i r s ont peint en blanc l'ennemi de leurs D i e u x .

V e u t - o n de leur m o r a l c o n n a î t r e la noblesse, Q u e de traits g é n é r e u x ! que de d é l i c a t e s s e ! F i d è l e s s e r v i t e u r s , amis tendres, discrets, L e u r c œ u r est un asile o ù dorment vos secrets. Deviennent-ils l'objet d'un trait de bienfaisance, R i e n n ' a r r ê t e l'élan de leur reconnaissance; E t leur â m e de feu guette l'heureux moment D e payer un bienfait par un beau d é v o u e m e n t .

C'est avec cet a m o u r q u e , dans la c o l o n i e , L e s Noirs payaient les soins de Paul et V i r g i n i e ; E t t o i , vieux serviteur, c o m m e un p è r e attentif, T u fixais sur leurs pas u n œ i l toujours a c t i f .


( 3 ) Dans leurs jeux i n n o c e n s , l o i n du petit domaine ; Un j o u r , les é t o u r d i s , que le plaisir e n t r a î n e , S'égarent ; le soleil avait fini son cours ; M a i s leurs m è r e s , h é l a s ! les attendaient

toujours.

Plus de d é l a i s ; tu p a r s , suivi d u bon F i d è l e ; L e chien cherche leur trace et ta v o i x les appelle ; Sans prendre de repos tu parcours les

guérets,

Interroges les monts et l ' é c h o des f o r ê t s ; L e bruit le plus l é g e r te tient sur le qui-vive; T u p r ê t e s au z é p h i r une oreille attentive ; E t , retrouvant enfin les folâtres a m a n s , T u presses, sur ton c œ u r , ces deux ê t r e s charmans.

L e s belles actions sont aussi f a m i l i è r e s A ces N o i r s a b r e u v é s d'injures j o u r n a l i è r e s ; Souvent sur leurs tyrans ils versent leurs bienfaits, E t se vengent ainsi des maux qu'ils leur ont faits.

A p r è s s'être affranchi d'un honteux esclavage, U n N o i r fixe à son char la fortune volage P a r un travail constant sagement d i r i g é ; T a n d i s que son p a t r o n , dans les e x c è s p l o n g é , Dissipant ses t r é s o r s , fruits odieux du c r i m e , S'était de l'indigence ouvert l'affreux a b î m e . O sublime b o n t é d'un mortel g é n é r e u x ! L'esclave q u ' i l rendit jadis si m a l h e u r e u x , Q u ' i l accablait de c o u p s , brisait dans les tortures, D ' u n despote b a r b a r e , oubliant les injures,


(4) L ' e n r i c h i t de ses dons et semble heureux encor L o r s q u ' i l voit son bourreau puiser dans son t r é s o r . I l a , de ses a ï e u x , les goûts s i m p l e s , antiques; I l a , dans ses f o y e r s , ses vertus d o m e s t i q u e s ; E t , p o u r u n serviteur a c t i f , i n t e l l i g e n t , I l se montre toujours g é n é r e u x , indulgent. T e n d r e é p o u x , quel respect pour l a f o i conjugale! B o n p è r e , à sa tendresse est-il tendresse égale ! I l est a m i des m œ u r s , i l est s o b r e , p i e u x , E t , m ê m e a p r è s leur m o r t , honore ses a ï e u x . L o r s q u e de la famille un des membres s u c c o m b e , D e larmes et de fleurs i l va c o u v r i r sa t o m b e ; E t du parent c h é r i , qu'enferme le c e r c e u i l , L o n g - t e m p s au fonds du c œ u r i l conserve le deuil» I l aime avec ardeur ; mais sa m è r e c h é r i e E s t le premier objet de son idolatrie. V o i t - i l , dans l'œil du m a î t r e , é c l a t e r l a f u r e u r , C'est pour sa m è r e , h é l a s ! q u ' i l frémit de terreur : Sur m o i s e u l , l u i d i t - i l , fais tomber ta c o l è r e ; M a i s , au n o m de ton D i e u , ne maudis pas m a m è r e . L ' é q u i t é sert de guide à cet ê t r e i n g é n u , E t , pour l u i , le mensonge est un c r i m e i n c o n n u . Sur le tombeau d'un fils, idole de sa v i e , U n e pauvre N é g r e s s e avec orgeuil s'écrie : O m o r t , tu l'as f r a p p é , mais de l a v é r i t é Ses l è v r e s n'ont jamais souillé l a p u r e t é S


( 5 ) O u i , le voilà ce N o i r q u e , par de longs outrages, O n mit toujours au rang des animaux sauvages; M o i n s brillant , i l est v r a i , mais plus simple et moins f a u x , B l a n c s , i l a vos vertus et n'a pas vos d é f a u t s !

V i e n t - i l à secouer sa froide insouciance, I l sait cueillir aussi les fruits de la s c i e n c e ; A u plus profond savoir i l s'élève souvent; E t le n o i r Angelo fut un homme savant. C e n'est jamais en vain que le malheur l ' i m p l o r e . N o b l e h o s p i t a l i t é , c'est chez l u i qu'on t ' h o n o r e ! T r i s t e et mourant de faim , p r è s des murs de S é g o , A u pied d'un arbre assis, le voyageur M u n g o S'attendait à passer, sous un é p a i s feuillage, L a nuit que m e n a ç a i t uu effroyable

orage.

U n e femme s'approche e t , voyant sa d o u l e u r , S'attendrit sur le sort du pauvre v o y a g e u r ; « Q u e l d e s t i n , l u i d i t - e l l e , en ces lieux solitaires, » T ' a c o n d u i t , pauvre B l a n c , d u pays de tes p è r e s ? » P a r c k l u i peint ses m a l h e u r s , ses m a u x , et les dangers D o n t i l est a c c a b l é sur ces bords é t r a n g e r s ; L a faim qui le tourmente et l a soif q u i l'embrase. « Suis-moi, v i e n s , malheureux, t'abriter sous m a case. » C h a r m é de cet a c c u e i l , de ce ton familier, I l l a suit en silence au toit hospitalier ; E l l e allume sa lampe et d é r o u l e sa natte ;


( 6 ) « C o u c h e - t o i , maintenant, si le s o m m e i l te

flatte.

U n p o i s s o n , un peu d'eau composent son r e p a s , Repas faible et f r u g a l , mais pour l u i plein d'appas.

B i e n t ô t un d o u x s o m m e i l vient fermer sa p a u p i è r e ; I l oublie et ses maux et la nature e n t i è r e . M a i s à peine M o r p h é e a rafraîchi ses sens, S o u d a i n , d'un chant p l a i n t i f , les sons attendrissans L ' é v e i l l e n t ; i l é c o u t e ; un c h œ u r compose et chante Sur l u i , sur ses m a l h e u r s , cette chanson touchante :

Le vent mugit au sein des airs, A flots précipités l'onde arrose la terre ; Le pauvre Blanc, dans ces déserts , Vient s'asseoir à l'abri du palmier solitaire. Plaignons tous l'homme blanc et calmons son chagrin Que sa douleur doit être arrière ! Pour apprêter son lait i l n'a point une mère; Sa femme n'est point là pour lui moudre sou grain.

N o b l e amant de la g l o i r e , a-t-on v u le g é n i e B r i l l e r dans la m i s è r e et dans l'ignominie ? P e u t - i l prendre l'essor, lorsque dans l'avenir L ' e s p é r a n c e jamais ne vient le soutenir? A h ! si l ' A f r i q u e encore offre un aspect sauvage, C'est toi qui l'entretiens, odieux esclavage ! L o i n d'orner ses c ô t e a u x , d'enrichir ses g u é r e t s D e s pampres de B a c c h u s , des t r é s o r s de C é r è s , A u lieu de dissiper l'ignorance stupide


( 7 ) O u i , depuis trois mille a n s , couvre ce sol a r i d e , L ' E u r o p é e n franchit l ' i m m e n s i t é des mers P o u r aller fomenter, au sein de ses d é s e r t s , L a d i s c o r d e , l a haine et les guerres sanglantes ; I l c o l p o r t e , en tous l i e u x , les liqueurs enivrantes, Redoutable f l é a u , plus terrible cent fois Q u e le serpent B o a qui rampe dans ses bois : Pernicieux p r é s e n s ! funestes bagatelles, Causes de tant de sang et de tant de querelles!

L e s N o i r s , de la moisson ont fini les travaux E t m é d i t e n t soudain quelques projets

nouveaux.

U n chef d é t e r m i n é , dans l'ombre et le s i l e n c e , Observe ses vassaux, leur v o i t brandir la lance ; I l calcule leur n o m b r e , leur f o r c e , leur a r d e u r ; I l ne r ê v e b i e n t ô t que combats et grandeur, E t , pour faire un essai, cherche

quelqu'aventure.

A r m é s jusques aux dents, par une nuit o b s c u r e , Ils s'avancent sans bruit à travers la f o r ê t ; P o u r quelques coups de m a i n leur arme est en a r r ê t . Quelles horreurs, grands D i e u x ! A i n s i d è s loups avides S ' é l a n c e n t tout à coup sur des troupeaux t i m i d e s , J e t t e n t l'effroi partout et vont au fond des bois D é c h i r e r en lambeaux leur v i c t i m e aux a b o i s ; T e l , ces noirs ravisseurs, affamés de p i l l a g e , F o n d e n t , tous à l a f o i s , sur un faible Egorgent

sans

village,

pitié h o m m e s , f e m m e s , veillards ;


( 8) L'incendie et l a mort volent de toutes parts; E t , lorsqu'ils sont gorgés de v o l et de carnage, Ils traînent les vaincus dans un long esclavage. Souvent les deux partis vendent les prisonniers A p r è s s ' ê t r e l i v r é des combats meurtriers ; E t ces infortunes, victimes g é m i s s a n t e s , Sont conduits, par les Blancs, dans leurs maisons

flottantes.

L à , quels e x c è s , hélas! de tant de c r u a u t é Pourrai-je raconter l a froide a t r o c i t é ? I l s arrivent à b o r d ; quel a c c u e i l ! ô scandale! A t t a c h é s deux à d e u x , jetés à fond de c a l e , Pendant u n long v o y a g e , et l a uuit et le jour Ils sont ensevelis dans cet affreux s é j o u r ; Sortent-ils quelquefois de leur prison obscure P o u r disputer aux vers un peu de n o u r r i t u r e , U n e c h a î n e c r u e l l e , aggravant leurs tourmens, Contre leur d é s e s p o i r règle leurs mouvemens.

L e navire est-il p l e i n ? ô honte! ô barbarie! Ces îlotes n o u v e a u x , fatigués de la v i e , Occupent moins d'espace, en ce séjour de d e u i l , Q u ' i l s n'en occuperont, un j o u r , dans le c e r c u e i l . C o u c h é s sur le p l a n c h e r , nuds et c h a r g é s de c h a î n e s , Ils souffrent quelquefois des douleurs plus qu'humaines.

F a u t - i l , de leurs tourmens de plus affreux Entendez-vous s o r t i r , de ces vivans

tableaux:

tombeaux ,


( 9 ) C e s cris plaintifs et s o u r d s , p o u s s é s dans l e u r

langage,

A u secours ! B l a n c s ! de l ' a i r ! c r i s d ' h o r r e u r et de rage!

Les

N o i r s , depuis l o n g - t e m p s , v o u s les ont

prodigué.

C e s superbes dedains dont vous les fatiguez; V o u s n ' ê t e s , à leurs y e u x , que des

antropophages

Q u i , p o u r les d é v o r e r , visitez leurs rivages. S u r les e a u x , d i s e n t - i l s , les B l a n c s sont s o u v e r a i n s ; M a i s l a terre est à n o u s ; o ù sont les suzerains? S o u v e n t à l ' i m p r o v i s t e , ainsi que des

pirates,

Ils viennent enlever nos fils à leurs P é n a t e s , E t , les t r a î n a n t soudain sur leurs palais

flottans,

Ils d é c h i r e n t alors leurs membres palpitans. Ils n'ont n i l a i t , ni grains sur leurs plaines mouvantes, E t l e u r faim a besoin de v i c t i m e s v i v a n t e s .

S e m b l a b l e s , p o u r la r u s e , au c h a c a l c a r n a s s i e r , Ils viennent sur nos bords p o u r se rassasier. C'est au N o i r , c e p e n d a n t , c'est à sa docte

école

Q u e le B l a n c o r g u e i l l e u x doit l'art de l a p a r o l e ; C e s l i e u x , o ù l'esclavage é l è v e ses b a z a r s , Sont l'antique berceau des s c i e n c e s , des a r t s ; D a n s les temps r e c u l é s , cette sauvage

Afrique

Fut pour tous les savans une terre classique. Et des Neuf S œ u r s , H o m è r e , i m m o r t e l favori, D e ses grandes leçons jadis y fut nourri ; H é r o d o t e et Platon visitèrent ces rives Q u i , du savoir humain, recelaient les archives»


( 10 ) Si l'Evangile un jour leur était r é v é l é ! V o u s , ministres d ' u n D i e u sur l a c r o i x i m m o l é , Q u i des t r é s o r s d i v i n s ê t e s toujours si r i c h e s , V o l e z dans leurs d é s e r t s , d é t r u i s e z leurs F é t i c h e s , P r ê c h e z , convertissez M u s u l m a n s et P a ï e n s , E t r é p a n d e z partout le culte des C h r é t i e n s . A p r è s a v o i r r e ç u des l u m i è r e s n o u v e l l e s , V o u s le v e r r e z b i e n t ô t , ce peuple de f i d è l e s , D é c h i r e r le bandeau q u i l ' a d é s h o n o r é E t surgir d u n é a n t grand et r é g é n é r é . C ' e s t alors q u e , l a n c é sur u n n o u v e a u

théâtre,

O n verrait si p o u r l u i l a nature est m a r â t r e .

t e berceau d ' A p o l l o n , la G r è c e a r u l o n g - t e m p s L ' i g n o r a n c e a b r u t i r ses n o m b r e u x habitans ; D e s beaux a r t s , p a r l a s u i t e , elle d e v i n t l a m è r e ; M a i s c'est a p r è s m i l l e ans qu'elle a v u n a î t r e H o m è r e ; C'est a p r è s un long cours de gloire et de r e v e r s Q u e R o m e , de V i r g i l e , a d m i r a les beaux v e r s .

T r e i z e s i è c l e s , enfin , t ' o m b r a g a i e n t , n o b l e F r a n c e ! Sans q u ' o n e û t , d'un beau s i è c l e , e n t r e v u

l'espérance.

L e G r a n d L o u i s parut : s i è c l e s des temps p a s s é s , B e a u x s i è c l e s des C é s a r s , v o u s f û t e s é c l i p s é s !

N a g u è r e s , dans les b o i s , errant à L e Russe é t a i t v o i s i n de l ' é t a t de

l'aventure, nature;

P i e r r e v i n t ; et b i e n t ô t , v a i n q u e u r à P u l t a v a ;


( 11 ) A u rang des

nations son peuple s ' é l e v a ;

Son g é n i e effaça sa g r o s s i è r e e n v e l o p p e , E t ce p e u p l e , avec l u i , p r i t un r a n g dans

l'Europe.

Laissez le N o i r errer sur ses sables b r û l a n s Q u ' i l p r é f è r e à l ' é c l a t de vos palais b r i l l a n s ; A u x lieux o ù de sa vie a c o m m e n c é

l'aurore,

I l voit avec plaisir n a î t r e le soir e n c o r e ; I l aime la f r a î c h e u r du villageois T a b b a , L e s nobles palavers de son g r a n d

Baobad;

L à , s o u v e n t , i l d é p l o i e une m â l e é l o q u e n c e , D ' u n p r i n c i p e , avec a r t ,

tire une c o n s é q u e n c e ;

A v o c a t et p l a i d e u r , sans longueur et sans f r a i s , U n seul instant v o i t n a î t r e et finir son p r o c è s .

L a i s s e z - l e à ses d é s e r t s , à ses arides p l a i n e s ; A son ciel d é v o r a n t , à ses sources l o i n t a i n e s ; E n corps de nations q u ' i l puisse s ' é t a b l i r , P a r ses t a l e n s , un j o u r , q u ' i l veuille s ' e n n o b l i r , E t b i e n t ô t on v e r r a cette s t é r i l e terre E n f a n t e r , à son t o u r , son R o u s s e a u , son

Voltaire,

U n P e r r a u l t , architecte et savant à la f o i s , P o u r é l e v e r aussi des l o u v r e s à ses

rois.

M a i s n o n , l ' E u r o p é e n l ' e n l è v e â sa p a t r i e ; I l jette le d é g o û t dans son â m e flétrie ;

Pour

quelques p i è c e s

d'or

le

livre à des bourreaux


( 12 ) Q u i l e c o u r b e n t , a u x c h a m p s , sous le j o u g des taureaux ; E t le m a l h e u r e u x N o i r , jouet de leurs c a p r i c e s , P e r d quelquefois l a v i e a u m i l i e u des s u p p l i c e s .

D é v o i l e r a i - j e i c i des forfaits i n o u i s Q u ' e n un p r o f o n d m y s t è r e o n c r o y a i t e n f o u i s ? O monstres o d i e u x ! N o n , de telles annales N ' o n t jamais d é g r a d é les peuples c a n n i b a l e s ! V o y e z - v o u s ces f o r b a n s , ces l â c h e s n é g r i e r s T r a n s p o r t e r s u r les mers ces N o i r s , leurs p r i s o n n i e r s , Q u e , d ' u n j o u g a b h o r r é , les traites affranchissent!.... M a i s , q u o i ! . . . . dans le lointain quelles v o i l e s blanchissent E s t - c e u n v a i s s e a u , l'effroi des affreux attentats Q u e les rois ont p r o s c r i t d u sein de leurs é t a t s ? D e ces vils assassins v i e n t - i l p u n i r les c r i m e s ? V i e n t - i l , de leurs t y r a n s , d é l i v r e r les v i c t i m e s ? O n o b s e r v e . . . . o n s'agite..., O t e r r e u r ! ô r e v e r s ! C'est un vaisseau r o y a l . . . . c'en est fait des p e r v e r s ; C o m m e n t fuir le d a n g e r ? . . . . l e n a v i r e s'avance.... P l u s d'ancre de salut.... l e u r s u p p l i c e c o m m e n c e . M a i s quel trait de l u m i è r e , ô b o n h e u r ! C e s tonneaux p l e i n s de N o i r s e n t a s s é s . . . . engloutis sous les eaux.... I l s ont dit : C e s c e r c u e i l s , l a n c é s dans les a b î m e s , O n t s a u v é les brigands en d é r o b a n t leurs c r i m e s .

D i r a i - j e les h o r r e u r s dont l e lache c o l o n A . s o u i l l é s i l o n g - t e m p s l a terre de C o l o m b ?


( 13 ) T o u s les j o u r s , dans les b o i s , son refuge

ordinaire,

U n esclave fuyait u n m a î t r e sanguinaire ; M a i s , p o u r d o n n e r l a chasse à ces N o i r s

déserteurs,

C a r r e l a l l a c h e r c h e r des chiens d é v o r a t e u r s ; D e l'île de C u b a l a m e u t e

antropophage,

D e S a i n t - D o m i n g u e à peine a t o u c h é le r i v a g e , E t , p o u r m e t t r e à l'essai ces v o r a c e s l i m i e r s , M a l h e u r a u x A f r i c a i n s q u ' o n t r o u v a les p r e m i e r s .

D é p l o r a b l e s effets d ' u n e x e m p l e funeste ! E t l'enfance t i m i d e , et l a f e m m e

modeste,

D o n t le c œ u r est e n c l i n aux plus d o u x

sentimens,

N e se faisaient q u ' u n j e u des p l u s c r u e l s t o u r m e n s .

U n N o i r , e x p e r t dans l'art de l a p â t i s s e r i e ( Q u e l art est é t r a n g e r â sa vaste i n d u s t r i e ) , D a n s ses g â t e a u x , u n j o u r , o u b l i a son talent ( C o m m e nous q u e l q u e f o i s le N o i r est i n d o l e n t ). S o u i l l e r a i - j e mes vers d u trait le plus i n f â m e ? C e t ê t r e i n f o r t u n é , p a r l ' o r d r e d'une f e m m e D o n t i l a v a i t , h é l a s ! t r o m p é le g o û t b l a z é , F u t j e t é , tout v i v a n t , dans u n f o u r e m b r a s é .

L à , d u c o q m a t i n a l le chant fier et s o n o r e N ' a n n o n ç a i t plus alors le l e v e r de l'aurore ; C ' é t a i t , des A f r i c a i n s , les longs g é m i s s e m e n s ; C ' é t a i t des fouets cruels les affreux sifflemens. Quoi,

vous le torturez! mais il est si

paisible;


( 14

)

M a i s i l a , plus que v o u s , l ' â m e noble et sensible ; I l c o n n a î t le m a l h e u r et devient son a p p u i . O P a r c k ! c'est encore toi q u i vas parler pour l u i : « C e n'est pas sans c h a g r i n q u ' a p r è s un l o n g v o y a g e , » A p r è s m i l l e d a n g e r s , dans un pays s a u v a g e , » J e quittai ces bons N o i r s ; par les plus tendres soins » Ils avaient quelquefois s o u l a g é mes besoins. » L e s o i r , étais-je l a s . . . . l e u r p i t i é tendre et d o u c e » M e p r é p a r a i t u n lit de feuilles et de mousse. » A v a i s - j e s o i f . . . . s o u d a i n , du plus p r o c h a i n r u i s s e a u , » D a n s le c r e u x de leurs mains ils m ' a p p o r t a i e n t de l ' e a u , » D e s p r i è r e s , des v œ u x . . . , v o d à la r é c o m p e n s e » Q u e je pus l e u r offrir p o u r tant de b i e n v e i l l a n c e . T e l est cet h o m m e , e n f i n , dont on dit tant de m a l , A q u i l ' o n donne à peine un instinct a n i m a l . B a r b a r e s ! quels talens p o u r r a i t d o n c faire é c î o r e C e t ê t r e i n f o r t u n é que le c h a g r i n d é v o r e , Q u i , d è s le p o i n t du j o u r , c o u r b é sous les

fardeaux,

B a t t u , mourant de f a i m , s u r c h a r g é de t r a v a u x , N e p e u t , m ê m e la n u i t , a v o i r assez de terre P o u r g o û t e r , dans son b a g n e , un repos s a l u t a i r e , E t n ' a p e r ç o i t j a m a i s , dans son m a l h e u r e u x

sort,

Q u ' u n o p p r o b r e é t e r n e l , des tourmens et l a m o r t . I l ne reverra plus sa natale

demeure;

Sous un j o u g o d i e u x , e s c l a v e , i l faut q u ' i l meure : I l faut que ses s u e u r s , des avares c o l o n s ,


( 15) J u s q u ' à son d e r n i e r souffle, engraisse les s i l l o n s .

C e p e n d a n t ils ont d i t , ces N o i r s de S a i n t - D o m i n g u e , C o n f o r m é s c o m m e n o u s , de nous q u i les d i s t i n g u e , C e s B l a n c s i m p é r i e u x ? S o n t - i l s n é s plus p a r f a i t s ? D i e u f û t - i l , p o u r e u x s e u l s , p r o d i g u e de b i e n f a i t s ? C e s c h e f s - d ' œ u v r e n o m b r e u x , o u v r a g e d u grand E t r e , N ' a v o n s - n o u s pas c o m m e e u x , a p p r i s à les c o n n a î t r e ? i l s c o m m a n d e n t , h é l a s ! et c'est nous q u i s e r v o n s ; Ils p r é s e n t e n t le j o u g et nous le r e c e v o n s ; E t quoique ses é g a u x , cette r a c e

superbe,

N o u s foule sous ses pieds c o m m e de v i l s b r i n s d ' h e r b e . M a i s de nous o p p r i m e r q u i l e u r donne les d r o i t s ? E s t - c e c o m m e plus forts o u c o m m e p l u s adroits ? N o s m e m b r e s sont n e r v e u x , notre c o r p s est r o b u s t e ; Q u a n d nous portons des c o u p s , nous savons f r a p p e r juste; N o u s n ' a v o n s p a s , c o m m e e u x , u n ton d u r , m e n a ç a n t ; N o t r e a i r est tendre et d o u x , notre œ i l v i f et p e r ç a n t . N o u r r i s dans les d é s e r t s de l a Z o n e T o r r i d e , D a n s nos veines c i r c u l e u n s a l p ê t r e f l u i d e ; N o u s s o m m e s , à la c o u r s e , aussi p r o m p t s que l é g e r s ; N o u s s a v o n s , a u x c o m b a t s , m é p r i s e r les dangers. S i , de notre c ô t é , l a fortune u n j o u r p e n c h e , N e doivent-ils pas c r a i n d r e une juste r e v a n c h e ? N o u s p o u v o n s , dans leurs s e i n s , v e r s e r de n o i r s p o i s o n s , E t dans leurs magasins secouer les tisons. D e q u o i se p l a i n d r o n t - i l s , s i , dans leurs flancs perfides N o u s e n f o n ç o n s aussi nos poignards h o m i c i d e s ?


(

16

)

L e s N o i r s se sont v e n g é s : s'ils ont é t é cruels , V o u s les aviez instruits ; sont-ils s i c r i m i n e l s ? I l s ont assez l o n g t e m p s souffert l ' i g n o m i n i e ; E t depuis d e u x cents a n s , de v o t r e t y r a n n i e , N ' o n t - i l s pas é p r o u v é tous les raffinemens ? B l a n c s , v o u s avez r e ç u de justes c h â t i m e n s !

Q u a n d , p o u r c a l m e r , de l ' o r , l a s o i f q u i v o u s d o m i n e , E n v a i n , pendant le j o u r , dans le fonds d'une

mine,

L ' e s c l a v e , sous les y e u x d ' u n s u r v e i l l a n t b r u t a l , A r r a c h a i t à la terre ce funeste

métal,

P o u r le r é c o m p e n s e r de ses longues f a t i g u e s , D e s c o u p s , v o i l à le p r i x dont v o u s é t i e z p r o d i g u e s . P a r d ' h o r r i b l e s e x c è s , v o u s outragiez les moeurs 5 E t vos c œ u r s i n h u m a i n s riaient de leurs c l a m e u r s .

D e s b o r d s d u S é n é g a l , l a N é g r e s s e venue A u x regards d ' u n C r é s u s , offerte toute nue, A i n s i q u ' u n v i l t r o u p e a u , dans u n m a r c h é p u b l i c , D e v e n a i t u n objet d u plus honteux trafic. C e p e n d a n t cette femme est modeste et p u d i q u e ; J u g e z de sa d o u l e u r , q u a n d , p o u r un p r i x

modique,

E l l e t o m b e au p o u v o i r d ' u n m a î t r e i m p é r i e u x Q u i , sur e l l e , assouvit ses g o û t s l u x u r i e u x ; M a i s q u i , b i e n t ô t l a s s é de ses faveurs s e r v i l e s , Sans p i t i é , l a r e l è g u e aux charges les plus v i l e s , E t s o u v e n t , de sang f r o i d , est l ' i n f â m e assassin D e l'esclave et d u fruit que r e n f e r m a i t s o n sein.


( 17 ) t a Négresse

a

pourtant tout ce q u ' i l faut

pour plaire

Q u a n d l ' é d u c a t i o n et la guide et l ' é c l a i r é ; U n port majestueux, de l ' e s p r i t , de beaux y e u x , U n e a i m a b l e g a î t é , l ' a i r d o u x et g r a c i e u x , U n double rang d ' i v o i r e , une bouche v e r m e i l l e , Un

organe q u i charme et le c œ u r et l ' o r e i l l e ,

Cette i n g é n u i t é , ce sourire d i v i n Q u e dans l a f e m m e blanche o n chercherait en v a i n . J a m a i s son p i e d m i g n o n , p r é s e n t de l a

nature,

N e fut dans un soulier f o r m é p a r l a t o r t u r e .

Cette b e l l e , p a r é e a v e c s i m p l i c i t é , P o s s è d e de l a g r â c e et de l a d i g n i t é ; Sa parure modeste avec art est p l a c é e S u r ses formes d ' é b è n e et sa taille é l a n c é e ; Ses cheveux relevés sont bouclés avec goût, Et lé goût le plus pur se fait sentir partout. D ' a g r é a b l e s talens l a distinguent encore ; E l l e e x c e l l e dans

l'art

c h é r i de T e r p s i c h o r e ,

E t s o u v e n t , de sa v o i x les accens Ont,

enchanteurs

au sein des c o n c e r t s , c h a r m é ses auditeurs.

B o n s N o i r s , au j o u g des B l a n c s cessez de v o u s soumettre; D i e u m ê m e n'est q u ' u n p è r e et n'agit pas en m a î t r e , E t c o n t r e ses enfans s ' i l l u i p l a î t de

sévir,

IL les punit s o u d a i n , mais sans les asservir.

D e s m a î t r e s ! d r o i t s affreux aux droits d i v i n s contraires! s


( 18 ) A u x y e u x de l ' E t e r n e l tous les h o m m e s sont f r è r e s . L ' h o m m e en c a p t i v i t é n'a plus n i feu ni l i e n ; II n'a plus de p a t r i e , i l n'a pas m ê m e un D i e u ; Il ne peut ê t r e é p o u x , i l ne peut ê t r e

père;

L e d e s o r d r e , v o i l a le seul bien q u ' i l e s p è r e . R o i s d u M o n d e , jadis les G r e c s et les

Romains

A b u s a i e n t quelquefois de ces droits i n h u m a i n s ; D e s esclaves à R o m e , à Sparte des î l o t e s , Souffraient aussi le joug des plus affreux

despotes;

E t q u a n d ces c o n q u é r a n s p l a ç a i e n t l ' h o m m e si b a s , C ' é t a i t un d r o i t acquis p a r le sort des c o m b a t s . S o u v e n t a u c h a m p d ' h o n n e u r , en exposant l e u r v i e , Ils v o y a i e n t à leur tour l e u r l i b e r t é r a v i e ; P r i s o n n i e r s , sous le j o u g ils é t a i e n t e n t r a î n é s . M a i s o ù sont v o s dangers q u a n d vous les e n c h a î n e z ? L e p o i n t d'honneur n'est r i e n dans votre â m e p e r v e r s e , E t l ' h o m m e n'est p o u r v o u s q u ' u n objet de c o m m e r c e . L e N o i r d é s sa naissance est stupide et m é c h a n t : J a m a i s vers u n but noble a-t-il eu du R é p è t e n t chaque j o u r ses d é t r a c t e u r s

penchant, perfides?

V o y e z - v o u s , d i s e n t - i l s , ces brigands h o m i c i d e s , Dessaline et C h r i s t o p h e , et cet affreux

carnage

Qai d ' H a ï t i l o n g - t e m p s a r o u g i le r i v a g e ? N ' a - t - o n pas v u les B l a n c s , au sein des grands m a n o i r s , P l u s f é r o c e s encor que ne le sont ces N o i r s ? C r o m w e l ne f u t - i l pas u n monstre r é g i c i d e ?


(

19

)

L e fils de C h a r l e s - Q u i n t , u n tigre i n f a n t i c i d e ? D u p o u v o i r absolu tel est l'affreux é c u e i l ; U n desposte sans frein r é p a n d toujours le deuil ; L ' a u t o r i t é sans borne aveugle , endurcit l ' h o m m e . . . . E l l e fit C h a r l e s - N e u f , d o n n a T i b è r e à R o m e .

M a i s , sous u n h o m m e i l l u s t r e , o n v i t les A f r i c a i n s D e v e n i r tout à c o u p d'heureux

républicains :

Sous ce l é g i s l a t e u r tout p r i t une autre face ; D'un

h o n t e u x esclavage i l effaça l a trace ;

L e N o i r v i n t a d o r e r le D i e u de l ' U n i v e r s D a n s ces l i e u x o ù n a g u è r e i l d o r m a i t dans les fers ; E t ces gibets affreux, instrumens de Ont

vengeances,

fait p l a c e aux palais des arts et des

sciences.

A v e c de sages lois le c o m m e r c e fleurit ; D e s longs m a l h e u r s p u b l i c s l a source se tarit ; Et

d ' h o m m e s é c l a i r é s l a patrie e n r i c h i e ,

V o i t l ' o r d r e s u c c é d e r à l'affreuse

Toi,

anarchie*

q u i fus si souvent le fléau des humains ,

D e leurs c œ u r s quelquefois l u connais les chemins, A l b i o n , de ton sein tu bannis l ' e s c l a v a g e ; P o u r ton h i s t o i r e , un j o u r quelle b r i l l a n t e p a g e !

O p r o d i g e ! ce b i l l si long-temps

attendu,

C e m é m o r a b l e b i l l est à peine rendu , Q u ' u n r a y o n d u s o l e i l , entr'ouvrant le nuage , Semble e n v o y é d u c i e l c o m m e u n d i v i n

hommage. 2*


( 20 ) P e u p l e b l a n c , abandonne un c o m m e r c e infernal ; Que

la raison h u m a i n e , é l e v a n t son

E n t r e les fils d ' A d a m r a m è n e

fanal,

l'équilibre,

E t que les N o i r s enfin respirent u n air l i b r e .

A h ! depuis d i x - h u i t ans A u joug E u r o p é e n

que le s o l

d'Haïti

n'est plus a s s u j e t t i ,

D e p u i s q u ' à son profit l e N o i r p r o p r i é t a i r e , D e l ' i m m o r t e l C o l o m b a fait v a l o i r l a t e r r e , Cérès-fait

dans ses c h a m p s o n d o y e r ses é p i s ;

O n v o i t des v e r d s gazons s ' é l e v e r les t a p i s ; A u x soupirs d o u l o u r e u x , à l a s o m b r e tristesse, S u c c è d e n t en tous l i e u x des transports d ' a l l é g r e s s e .

C e n'est plus maintenant p o u r l ' h o m m e au c œ u r d ' a i r a i n Q u e le N o i r d u C o n g o cultive son

terrain;

I l s'est enfin soustrait à ce j o u g q u i r é v o l t e ; C ' e s t p o u r l u i q u ' i l t r a v a i l l e ; et s'il s è m e , i l r é c o l t e . A

son g r é , de M o r p h é e i l goutte les p a v o t s ;

O n ne l u i r a v i t plus l e fruit de ses t r a v a u x .

Souverains ( vainement l ' a v a r i c e en m u r m u r e ) , V o u s avez entendu le c r i de l a N a t u r e ; L e s i è c l e l i b é r a l m a r c h e à pas

de

géant;

E t l'esclavage enfin rentre dans le n é a n t . V o i l à les r é s u l t a t s de la p h i l o s o p h i e ; E n é c l a i r a n t le m o n d e , elle le v i v i f i e , E t son d i v i n

flambeau,

dans le sein des

congrès.


(

21

)

Tie l a p h i l a n t r o p i e active les p r o g r è s .

L a traite est abolie ; a i n s i , clans sa

patrie,

L e N o i r peut e x e r c e r son heureuse i n d u s t r i e . D e son corps m u s c u l e u x d é p l o y e r

la vigueur;

11 n'a plus d ' u n despote à c r a i n d r e l a r i g u e u r ; Qu'il

coule d é s o r m a i s des jours purs et p r o s p è r e s ,

E l è v e ses e n f a n s , d o r m e p r è s de ses p è r e s .

T o i , q u i souvent p o u r l u i , g é n é r e u x é c r i v a i n , D é p l o y a s les t r é s o r s de ton esprit d i v i n , G r é g o i r e , tous les j o u r s , dans son n a ï f l a n g a g e ; O n entendra le N o i r t'offrir un d o u x h o m m a g e . E h ! q u i le d é f e n d i t avec plus de

chaleur?

Q u i fit c o n n a î t r e m i e u x ses v e r t u s , sa v a l e u r , E t sapa c o m m e t o i ces p r é j u g é s barbares C r é é s et r é p a n d u s p a r des h o m m e s

avares?

Illustres orateurs q u ' e n f e r m e le t o m b e a u , F r a n k l i n , savant R a y n a l , é l o q u e n t M i r a b e a u , P h i l a n t r o p e s d u j o u r que l ' i n j u s t i c e offense, E t q u i des N o i r s sans cesse avez pris l a d é f e n s e , D ' u n e l i b e r t é sage i m m o r t e l s v é t é r a n s ; T o i , q u i de l ' A m é r i q u e as c h a s s é les tyrans,. L a f a y e t t e , et v o u s tous dont les efforts

sublimes

O n t au joug à v e n i r soustrait tant de v i c t i m e s ; P o u r vous, j u s q u e s aux c i e u x , l e s N o i r s

reconnaissans

O n t fait de l e u r a m o u r p a r v e n i r les accens. L i b e r t é ! L a f a y e t t e ! o u i , ces n o m s , avec

gloire,


( 22 ) Arriveront

ensemble au temple de m é m o i r e .

E t toi n o u v e l H e n r i , toi que la F r a n c e a d o r e , Q u i d'un r è g n e si d o u x nous annonce l ' a u r o r e , E t q u i portes déjà ce surnom plein d'attraits Q u ' à ton aïeul jadis ont d o n n é les F r a n ç a i s , L e B i e n - A i m é ; g r a n d r o i , ton â m e philantrope E s t en faveur des N o i r s d ' a c c o r d avec l ' E u r o p e ; N o n , tu ne voudrais pas qu'au sein de tes é t a t s L'Africain

fût le seul q u i ne te b é n î t pas.

L e M o n d e u n j o u r d i r a : C e p r i n c e auguste et sago A p r o t é g é l a charte et b a n n i l'esclavage.

ÉPILOGUE.

ILLUSTRE p r é s i d e n t d'un peuple jeune Q u i d'un si v i f é c l a t brille dos son

encore,

aurore,

D o n t le m â l e c o u r a g e , on chassant ses b o u r r e a u x , A fait d'un peuple esclave un peuple de h é r o s , D e ces vers faits sans art daigne accepter l ' h o m m a g e . I m p l a c a b l e ennemi de l ' i n f â m e

esclavage,

J e peins votre b o n t é , v o s t a l e n s , vos vertus ; J e fais voir à vos pieds vos tyrans

abattus,


( 23 ) E t le N o i r habitant des d é s e r t s de l ' A f r i q u e R e p e u p l a n t à son tour les champs de l ' A m é r i q u e , N o n p l u s , c o m m e jadis sous un joug a b h o r r é , V e r s la terrre courbant son front

déshonoré,

M a i s l i b r e , i n d é p e n d a n t , levant sa t ê t e a l t i è r e , E n v i r o n n é déjà d'une v i v e

lumière,

F o r m a n t un peuple enfin qui sent sa d i g n i t é

Et

marche dans sa force et dans sa liberté.

Q u e l a v e n i r b r i l l a n t ! à quelle d e s t i n é e P e u t a r r i v e r un j o u r cette île f o r t u n é e ! A i n s i R o m e p a r u t , s ' e m b e l l i t , se f o r m a ; P e t i o n est R o m u l u s et B o y e r est N u m a ; E l l e aura quelque j o u r un C a t o n , u n E m i l e , U n S c i p i o n p e u t - ê t r e . . . . un H o r a c e , un V i r g i l e ; E t b i e n t ô t o n v e r r a ces h o m m e s des d é s e r t s , Q u e l ' o n c o u v r i t n a g u è r e et d ' o p p r o b r e et de

fers,

Surpasser en t a l e n s , en l u m i è r e , en c o u r a g e , C e u x q u i les ravalaient à l a brute sauvage : O n v e r r a leurs vaisseaux fendre les flots a m e r s , F r a n c h i r d'autres d é t r o i t s , d é c o u v r i r d'autres m e r s , E t rapporter enfin, au sein de l e u r p a t r i e , L e s t r é s o r s d u c o m m e r c e et c e u x de l'industrie.


( 24 )

VERS GRAVES SUR LA TOMBE DE NAPOLÉON

PAR

UN

VOYAGEUR ANGLAIS, EN R E V E N A N T DE L ' I N D E ,

SALUT triste v a l l o n o ù , l o i n des m o r t s v u l g a i r e s , R e p o s e seul en p a i x l ' h o m m e si g r a n d n a g u è r e s . F i l s d'un v o l c a n des m e r s , redoutable

rocher,

T o i q u i , sur l ' O c é a n , sers de guide au n o c h e r I s o l é , sur les flots l a n c é p a r la N a t u r e , T u devais au h é r o s s e r v i r de s é p u l t u r e . C ' e s t un feu souterrain q u i jadis t'a f o r m é ; M a i s c'est d u feu d u c i e l q u ' i l é t a i t a n i m é . T o n front des mers d'Atlas d o m i n e l a surface ; Sa m é m o i r e d u temps d o m i u e r a l ' e s p a c e ; M é t é o r e effrayant é t e i n t par les revers E t dont la trace reste au sein de l ' U n i v e r s , T r a c e tout à la fois gigantesque, Ah! La

dans sa p r é v o y a n c e

éternelle.

et sage et

Nature é l e v a ce r o c triste et

maternelle,

lointain

P o u r ê t r e le t o m b e a u de l ' h o m m e d u destin.


( 25 ) S a i n t e - H é l è n e p a r a î t c o m m e u n l é g e r nuage ; L e v o y a g e u r é m u , vers son fatal r i v a g e , A r r ê t e sa p e n s é e et fixe ses regards Q u e l s nobles s o u v e n i r s , dans l ' U n i v e r s é p a r s , C e t t e île tout à c o u p en son â m e r é v e i l l e ! C ' e s t là que des guerriers repose l a m e r v e i l l e . T u ne p e u x redouter

le t é n é b r e u x o u b l i ;

T e r r e o ù N a p o l é o n v i e n t d ' ê t r e enseveli ; D e s secousses en v a i n effaceraient ta t r a c e , L e s é t o i l e s encor diraient : V o i l à sa p l a c e .

A d i e u , s a c r é v a l l o n ; a d i e u , s é j o u r de deuil O ù git un d e m i - D i e u dans un h u m b l e

cercueil

L o i n des bords f o r t u n é s que la Seine f é c o n d e , O ù jadis i l é t a i t le seul m a î t r e d u M o n d e .


( 26 )

LA VENUE DU MESSIE, ÉGLOGUE

SACRÉE.

O fILLES de S i o n , que vos v o i x a n g é l i q u e s P o u r un sujet d i v i n entonnent des cantiques ! L e s fontaines, les c h a m p s , l ' o m b r a g e des f o r ê t s , L e P i n d e , les N e u f S œ u r s , p o u r m o i n'ont plus d'attraits. O t o i , q u i du T r è s - H a u t c o m m a n d e s les p h a l a n g e s , Q u i tiens le p r e m i e r r a n g dans le c h œ u r des A r c h a n g e s , T o i q u i purifias les l è v r e s d ' u n

mortel

A v e c le feu s a c r é que tu pris sur l ' a u t e l , I m m o r t e l S é r a p h i n échauffes m o n g é n i e , I m p r i m e à mes concerts une d o u c e h a r m o n i e , A la t e r r e , un instant, fais que je dise a d i e u , R e n d s mes a c c o r d s d i v i n s , je chante

l'Homme-Dieu.

T o u t plein de l ' a v e n i r , u n P r o p h è t e s ' é c r i e : U n e V i e r g e est e n c e i n t e , un fils l u i d o i t la D e ta l i g e , ù G e s s é ! je v o i s n a î t r e une

vie;

fleur


( 27

)

Où se reposera l'esprit saint d u Seigneur ; S u r elle descendra l a m y s t i q u e c o l o m b e (I) : Silence... terre et c i e u x . . . r o s é e heureuse... t o m b e . Illustre rejeton ! ton p a r f u m p r é c i e u x S ' é t e n d r a sur le m o n d e , e m b a u m e r a les c i e u x : T e r r e , r e j o u i s - t o i , l a manne que tu cueilles E s t le fruit des t r é s o r s q u i tombent de ses feuilles. E s p r i t s a i n t , tu seras l'esprit de v é r i t é , E t l ' e s p r i t de science; et l'esprit d ' é q u i t é ; T u ne jugeras pas sur un s i m p l e o u ï - d i r e . F u i s sa p r é s e n c e , i m p i e , i l pourrait te m a u d i r e ! V i l s abus d u p o u v o i r vous serez r é p r i m é s ; M a l h e u r aux oppresseurs! et gloiro a u x o p p r i m é s ! Majestueuse fleur! t o n heureuse influence A ton peuple c h é r i donne une autre e x i s t e n c e ; L ' o p p r o b r e v a s'enfuir de ton nouveau s é j o u r Q u i sera calme et p u r c o m m e l'est un beau j o u r .

(I) Il y a ici une belle allusion à divers passages de ture ou la venue de Dieu est, a n n o n c é e ,

non

l'Ecri-

par une tem-

p ê t e , m a ï s par un son doux et m ê m e par un parfait silence. L'histoire d'Elie en fournit un exemple, l'autre se justifie par ces paroles d'Eliphas , qui dit que Dieu lui a parlé en songe. « Quelqu'un, dit-il, s'offrit à mes yeux, je n'en distinguai point les traits j il se fit un silence et j'entendis une voix. » Job.

Ch. IV. v. 16.


( 28 ) T u deviendras l ' a p p u i d u p a u v r e e n sa d é t r e s s e ; T u porteras l a vie a u sein de l a v i e i l l e s s e , E t l a j u s t i c e , alors l a balance à l a m a i n , E t e n d r a l ' o l i v i e r s u r tout le genre h u m a i n ; D e l ' A r c h a n g e d é c h u , ta b o n t é paternelle P l o n g e r a dans l ' o u b l i l a fraude c r i m i n e l l e . T o n c h a r m e tout puissant, refuge d u malheur, A u m i l i e u des r e v e r s c a l m e r a l a d o u l e u r . J e v o i s à tes c ô t é s l ' i n n o c e n c e i n g é n u e Depuis long-temps,

h é l a s ! à l a terre

inconnue.

M o m e n s p r é s e n s fuyez ; a c c o u r s , temps solennel Q u i dois nous a m e n e r le j o u r de l ' E t e r n e l . E x a u c e notre attente, enfant d i v i n , a r r i v e : L a N a t u r e t ' a t t e n d ; l'ivresse l a plus v i v e B r i l l e dans tous les y e u x ; de suaves odeurs S ' é l è v e n t vers les cieux d u c a l i c e des fleurs D e p l a i s i r ; les f o r ê t s agitent leur f e u i l l a g e ; L e fier L i b a n s'incline en te rendant h o m m a g e ; S a r o n , en t o n h o n n e u r , a fait b r û l e r l ' e n c e n s ; E t le C a r m e l fleuri t'offre

aussi ses p r é s e n s .

D a n s l e sein d u d é s e r t , q u e l est c e c r i de joie ? U n D i e u v i e n t . . . u n D i e u vient... p o u r l u i tracez l a v o i e ! Soudain ce m o t s a c r é se r é p a n d e n tout l i e u , E t les é c h o s des monts r é p è t e n t D i e u . . . D i e u . . . D i e u ! R e ç o i s , t e r r e , r e ç o i s ce d é p ô t ineffable ;


( 29 ) C'est u n d o n d u T r è s - H a u t ; i l est i m p é r i s s a b l e t A b a i s s e - t o i , m o n t a g n e , à son d i v i n a s p e c t ; C è d r e s , i n c l i n e z - v o u s , saisis d ' u n saint respect ; M a r b r e , ramollis-toi ; v a l l o n s , é l e v e z - v o u s ; C r o i s s e z , fleuves, croissez : i l est n é p a r m i n o u s , L e Sauveur a n n o n c é p a r les anciens O r a c l e s ; A v e c l u i n a î t l a g r â c e et le temps des

miracles»

C o n s o l e - t o i , p é c h e u r , i l absout tes f o r f a i t s ; G e n t i l , viens et jouis de ses augustes traits ; S o u r d , entends de sa v o i x l a d i v i n e h a r m o n i e D o n t tu savoureras l a d o u c e u r

infinie;

A v e u g l e , o u v r e les y e u x , v o i s l a c l a r t é d u j o u r ; M u e t , p o u r le S a u v e u r , chante l ' h y m n e

d'amour,

L ' U n i v e r s n'entendra n i s o u p i r s , n i m u r m u r e s ; L ' e n f e r , sur le m é c h a n t , suspendra ses t o r t u r e s ; L e b o i t e u x v a b o n d i r a i n s i q u ' u n faon l é g e r , E t dans ses n o i r s cachots l a m o r t v a se p l o n g e r .

T e l o n v o i t u n berger , p o u r ses

brébis

chéries,

F a i r e c h o i x d ' u n c i e l p u r et de saines prairies ; L e j o u r , son oeil a c t i f les o b s e r v e , les s u i t , E t gardien v i g i l a n t i l les soigne l a nuit. I l porte dans son sein l'agneau q u i vient de n a î t r e D e l'herbe l a plus tendre i l s'empresse à le p a î t r e D ' u n e i n d o c i l e m è r e étouffant les m é p r i s , L u i fait d o n n e r u n l a i t que demandent ses c r i s . D a n s le s i è c l e à v e n i r , t e l , p o u r l a r a c e h u m a i n e ,

Sera

de ce pasteur

la bonté souveraine.


( 30 ) L ' u n contre l'autre alors de f é r o c e s guerriers N e dirigeront plus leurs g l a î v e s meurtriers ; D a n s nos c h a m p s d é s o r m a i s l a trompette b r u y a n t e N e fera plus b r a n d i r l ' é p é e é t i n c e l a n t e . E n t r e les nations plus de haine et de c h o c ; L a lance est une f a u l x , le c i m e t e r r e un s o c . I l ne vous v e r r a pas avec

indifférence,

V o u s qui dans sa b o n t é mettez votre e s p é r a n c e . T e l l ' a i g l e , d é p l o y a n t ses vastes aîles

d'or,

S ' é l è v e vers les c i e u x p a r u n b r i l l a n t e s s o r ; T e l , p o u r v o u s , le T r è s - H a u t , de ses bienfaits p r o d i g u e , Saura vous é l e v e r sans effort, sans fatigue. M o m e n s p r é s e n s f u y e z ; a c c o u r s , t e m p s solennel Q u i dois nous amener le j o u r de l ' E t e r n e l . D e superbes palais e m b e l l i r o n t l a terre ; L e fils a c h è v e r a l'ouvrage de son p è r e ; A l ' o m b r e de sa vigne i l se v e r r a v i e i l l i r ; L a m a i n qui sèmera viendra pour recueillir. D a n s les d é s e r t s b r û l a n s , dans les arides p l a i n e s , L ' h o m m e entendra c o u l e r l'eau pure des

fontaines;

E t sur ces mers de s a b l e , o ù croissaient des b u i s s o n s , S ' é l è v e r o n t s o u d a i n des tapis de gazons ; L ' o l i v i e r fleurira

dans les vallons s t é r i l e s ;

D a n s les antres p r o f o n d s , noirs s é j o u r s des L e s o l sera c o u v e r t de joncs et de roseaux.

reptiles,


(31

)

N o b l e s p a l m i e r s , chassez les faibles arbrisseaux ; G u é r e t s , c o u r o n n e z - v o u s de moissons o n d o y a n t e s ; M y r t h e s v e r d s , r e m p l a c e z les parasites plantes. L e s raisins suspendus v o n t r o u g i r et g o n f l e r ; A travers le v i e u x c h è n e un m i e l p u r v a c o u l e r ; E t le l o u p et l'agneau q u ' u n m ê m e enclos r a s s e m b l e , D é s o r m a i s r é u n i s , demeureront

ensemble.

D é j à le l é o p a r d bondit p r è s du c h e v r e a u , E t le l i o n se c o u c h e à c ô t é d u taureau. L ' h o m m e avec le serpent, si peu d'accord

naguère,

F e r o n t cesser entre eux une é t e r n e l l e g u e r r e . U n e n f a n t , entonnant le c h a m p ê t r e p i p e a u , C o n d u i r a sans effort le d o c i l e troupeau ; I l p o u r r a sans d a n g e r , jusque dans l e u r r e p a i r e , T o u c h e r le b a s i l i c , agacer l a v i p è r e . O temps m i r a c u l e u x ! ô m o m e n t s o l e n n e l ! A l o r s i l b r i l l e r a l e j o u r de l ' E t e r n e l . I l sera p a r m i vous l'auteur de ces m e r v e i l l e s ; I l vous consacrera ses t r a v a u x et ses v e i l l e s ; 11 v i v r a p a u v r e , o b s c u r , l o i n des p l a i s i r s m o n d a i n s ; V a n i t é s ! v o u s serez l'objet de ses d e d a i n s . D ' a b o r d i l s e m b l e r a s o r t i r de l a p o u s s i è r e ; I l ne vous offrira qu'une f o r m e g r o s s i è r e ; M a i s b i e n t ô t , v e r s les c i e u x , l ' U n i v e r s é t o n n é L e v e r r a s ' é l e v e r de g l o i r e e n v i r o n n é ,


( 32 ) Lorsqu'au

prix

de son s a n g , conduits

â l a lumière,

V o u s aurez r e c o u v r é v o t r e v e r t u p r e m i è r e .

S i o n , r e v e i l l e - t o i , c o n t e m p l e ta g r a n d e u r , V o i s t o n front c o u r o n n é d'une v i v e

splendeur;

L ' é p o q u e d u p a r d o n est enfin a r r i v é e , E t s u r t o i , d u Seigneur l a g l o i r e s'est l e v é e . V o i s ces rois p r o s t e r n é s vers tes s a c r é s p a r v i s , C e s r o i s jadis s i fiers, à tes lois a s s e r v i s , >

H u m b l e s comme, l'insecte enseveli Sous l ' h e r b e , D e v a n t ta m a j e s t é c o u r b e r leur front sUperbe. D e s p r é s e n s de Saba tes autels sont couverts ; D e v a n t e u x v a fumer l'encens de l ' U n i v e r s . B r i l l a n s t r é s o r s d ' O p h i r , parfums de l ' I d u m é e , V o u s allez e m b e l l i r l a v i l l e b i e n - a i m é e .

L e s c i e u x é t i n c e l a n s devant t o i vont s ' o u v r i r j D ' u n é c l a t r a d i e u x ils v i e n d r o n t te c o u v r i r .

N o n , t u ne seras plus l a v i l l e solitaire, L e s enfans d u Seigneur habiteront l a t e r r e , T e l s que les grains de sable e n l e v é s a u x d é s e r t s , Q u e le b r û l a n t auster balance dans les airs :

Illustres r e j e t o n s , sa joie et s o n o u v r a g e , D e s t i n é s à porter sa g l o i r e d ' â g e en â g e . O n ne vous v e r r a p l u s , p a r u n heureux

retour,

C h a s s e r l ' o m b r e des n u i t s , ramener u n beau j o u r ,


( 33 ) S o l e i l m a j e s t u e u x , d o u x é c l a t de l a l u n e , L e D i e u sera p o u r v o u s une c l a r t é c o m m u n e ; V o s r a y o n s sur l a terre a r r i v e r a i e n t en v a i n : Ils seraient a b s o r b é s p a r s o n é c l a t d i v i n .

L a terre peut u n j o u r ê t r e r é d u i t e en p o u d r e , L a m e r peut s ' é p u i s e r et le c i e l se d i s s o u d r e . Pour

v o u s q u i d u T r è s - H a u t respecterez

les lois

E t q u i de la justice aurez c o n n u les d r o i t s , A l l i a n c e é t e r n e l l e et p a i x i n é b r a n l a b l e ! L a p a r o l e d i v i n e est u n e , est i m m u a b l e .

C ' e s t le t e m p s d u M e s s i e à l a terre a n n o n c é ; L e Sauveur est v e n u , s o n r è g n e est

commencé

3


( 34 )

LES ABEILLES, POEME

E N QUATRE

CHANTS.

CHANT PREMIER. JE chante les e s s a i m s , ce peuple a i m é du ciel, Q u i f a ç o n n e l a c i r e et r e c u e i l l e le m i e l ; V e n e z , i n s p i r e z - m o i , nobles s œ u r s c l ' A o n i e ! J e d i r a i ses t r a v a u x , ses m œ u r s et son g é n i e , Les

soucis de l a reine a u sein de ses é t a t s ,

Sa p o l i t i q u e habile et ses fougueux D u trône héréditaire on la verra Et,

combats.

bannie,

n o u v e l l e D i d o n , guider sa c o l o n i e .

L ' h o m m e enfin t r o u v e r a , dans ces petits

objets.

U n a d m i r a b l e i n s t i n c t , de m e r v e i l l e u x secrets.

D é e s s e des j a r d i n s , riante et jeune F l o r e , J e p a r l e r a i des dons que ta m a i n fait é c l o r e , D e s parfums que l ' a b e i l l e e n l è v e aux fleurs des c h a m p s : D e s p l u s c h a r m a n s tableaux viens e m b e l l i r mes chants.


( 35 ) Daignez me p a r d o n n e r , ô V a n i è r e ! ô Virgile ! S i j ' o s e p r o f a n e r d a n s , m o n essor

fragile,

U n sujet p l e i n d ' a t t r a i t s , de vos t r é s o r s o r n é ; C h e z v o u s , à p l e i n e m a i n , m a muse a m o i s s o n n é . V i r g i l e ! à ce n o m c h e r a u x filles de

Mémoire,

Q u e v i n g t s i è c l e s entiers q u ' i l r e m p l i t de sa g l o i r e O n t m i s a u p r e m i e r r a n g des plus grands é c r i v a i n s , Q u e l p o ë t e ne r e n d des h o m m a g e s d i v i n s ? Q u e l l e p e r f e c t i o n ! soit q u ' e n ses

Géorgiques

11 c é l è b r e les c h a m p s p a r ses a c c o r d s m a g i q u e s ; S o i t qu'à l ' o m b r e d u h ê t r e , au sein d ' u n d o u x r e p o s , I l chante les bergers sur ses j o y e u x p i p e a u x ; Soit q u ' i l p e i g n e , e m b o u c h a n t l a t r o m p e t t e h é r o ï q u e » L a p i é t é d ' E n é e et sa v e r t u s t o ï q u e , D e d e u x jeunes amis les nobles d é v o u e m e n s , L e s malheurs de D i d o n , ses a m o u r e u x l o u r m e n s ; Soit q u ' i l nous montre A n t h o r , au p r i n t e m p s de son â g e , S u c c o m b a n t sans h o n n e u r sur un lointain r i v a g e , E t tournant vers A r g o s ses regards attendris ; Q u e l l e v a r i é t é ! q u e l c h a r m e en ses é c r i t s !

O n dit que des essaims les nombreuses peuplades V i v a i e n t jadis sans l o i s , é t a i e n t jadis n o m a d e s ; Q u ' e l l e s ne consultaient que leurs seuls i n t é r ê t s , E t se plaisaient au sein des plus s o m b r e s

forêts,

S u r le s o m m e t des m o n t s , o ù , dans les l i e u x tranquilles. D e v i e u x t r o n c s l e u r servaient et d'abris et d'asiles. O n les v o y a i t aussi dans les flancs tortueux


( 36 ) D e ces r o c s , à c o u v e r t des vents i m p é t u e u x ; M a i s le p a r f u m des

fleurs,

les plantes balsamiques

L e u r firent m é p r i s e r les demeures antiques P o u r des d ô m e s n o u v e a u x au sein de nos c i t é s . H o m m e s , de quels t r é s o r s v o u s avez h é r i t é ! M a i s u n d o n p l u s u t i l e , u n d o n n o b l e et s u b l i m e , F u t l ' a m o u r d u t r a v a i l q u i toujours les a n i m e ; I l v o u s s e r v i t d ' e x e m p l e , et chaque c i t o y e n . A p p r i t à p r é f é r e r le b i e n p u b l i c a u s i e n .

A y e z s o i n de c h o i s i r p o u r v o s c h è r e s abeilles L e s l i e u x o ù l e p r i n t e m p s é t a l e ses m e r v e i l l e s , O ù sont de d o u x a b r i s , d u s i l e n c e , u n a i r p u r , U n ruisseau q u i n o n l o i n r o u l e son eau d ' a z u r .

V o u s placerez encor votre peuple timide A u p r è s d'une fontaine ou d'un fonds g r a s , h u m i d e , D o n t les b o r d s f o r t u n é s sont toujours e m b e l l i s D u m é l a n g e enchanteur des roses et des l i s ; D e l ' o m b r a g e des fleurs le s o l semble j o u i r ; E t l ' o n d e en les baignant les fait é p a n o u i r ; E l l e s passent b i e n t ô t , mais l a fertile graine M u r i t , tombe et r e n a î t autour de l a f o n t a i n e ; E t le ruisseau q u i fuit en cet e n d r o i t c h a r m a n t S e m b l e , p o u r l ' a d m i r e r , c o u l e r plus lentement.


( 37 )

ÉPISODE DU PREMIER

CHANT.

UN l i m a ç o n u n j o u r , t r a î n a n t sa l o u r d e é c h o p e ; Sur un rucher n o m b r e u x pointa son t é l e s c o p e . S o u d a i n , à cet a s p e c t , l ' a n i m a l d é l i r a n t V e r s l e v i l l a g e aîlé s'avance e n c o n q u é r a n t . Il e n t r e , se p r o m è n e , e x a m i n e les ruches : D e q u e l c ô t é , d i t - i l , tendrai-je m e s e m b û c h e s ? Le

monstre é t a i t à j e u n ( l a f a i m chasse l a p e u r ) ;

I l aborde u n essaim q u ' i l r e m p l i t de stupeur. G r a n d e r u m e u r alors dans l e

petit

royaume;

L a reine et ses sujets s'agitent sous l e c h a u m e . Quelquefois l a couleuvre, a u x replis

tortueux,

L a n ç a i t vers le palais s o n d a r d i m p é t u e u x ; L a peuplade avait v u des monstres plus é n o r m e s , M a i s jamais d'aussi l a i d s , jamais d'aussi d i f f o r m e s . L e d ô m e est s o n r e f u g e ; et q u o i q u e seul a u bas L e fanfaron r e m p a n t les p r o v o q u e a u x combats ; N o u v e l H o r a t i u s , i l défie une a r m é e . D u plus n o b l e c o u r r o u x l a r u c h e est a n i m é e : V o y e z - v o u s s'avancer cette S é m i r a m i s Qu'entourent

ses époux et ses

enfans

soumis?


( 38 ) C h a q u e p a r t i s ' o b s e r v e , i l est sur l e q u i - v i v e E t p a r a î t é p r o u v e r l'angoisse l a plus v i v e . A u signal de l a r e i n e , o n v e r r a m i l l e

dards

S u r le g é a n t c o r n u f o n d r e de toutes p a r t s ; M a i s , h é l a s ! tu m o u r r a s , amazone i n t r é p i d e Q u i v i e n d r a s l a p r e m i è r e attaquer cet A l c i d e . C e p e n d a n t au c o m b a t l ' e s s a i m est d é c i d é ; Le

f o r b a n tout à c o u p p a r a î t i n t i m i d é ;

E t q u a n d l a foule i m m e n s e autour de l u i b o u r d o n n e , S o n orgueilleuse audace a u s s i t ô t l ' a b a n d o n n e . P e r c é de c o u p s , i l pousse une f a i b l e c l a m e u r , R e n t r e dans sa c o q u i l l e , i l y languit et m e u r t . O m e r v e i l l e u x effet de l ' i n s t i n c t d'une abeille ! ( D e v a n t l u i l a r a i s o n n'est plus une m e r v e i l l e . ) D u cadavre déjà l'épaisse exhalaison D ' u n e o d e u r m o r b i f i q u e infectait l a m a i s o n , D é j à , p o u r se soustraire à cette h o r r i b l e p e s t e , L ' e s s a i m a l l a i t quitter u n s é j o u r si funeste ; ( M a i s que n'enfante pas u n p e u p l e i n g é n i e u x ? ) I l f o r m e une c l o i s o n d ' u n m a s t i c p r é c i e u x : Cette é n o r m e c o q u i l l e , o ù le brigand s u c c o m b e , F u t jadis son b e r c e a u , c'est a u j o u r d ' h u i sa t o m b e .

FIN.






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