Le Serpent de la Martinique : Sa légende, ses moeurs, ses ennemis

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LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

plus long, plus soyeux, gris moucheté avec des reflets roux ; son nez et ses yeux sont roses et son cri, quand elle se bat avec les serpents, rappelle celui d’un chat en colère. La mangouste s’apprivoise facilement. Kempfer qui en avait une, dit, dans ses Amœnitates Exoticae, qu’elle le suivait partout comme un petit chien... instar caniculi. Cette bête « qu’on appelle sauvage » est, en effet, mille fois plus sociable que bien des animaux domestiques. Celles qu’on introduisit à la Martinique et qui s’acclimatèrent parfaitement, quittaient souvent les bois, où nous les verrons aux prises avec les bothrops, pour Venir chez les hommes. Il y a seulement une quarantaine d’années, la plupart des familles créoles habitant la campagne, avaient leur mangouste domestique. Quand une mangouste adopte une maison, il ne faut pas l’enfermer. enfants ne la maltraitent pas, si les chiens la laissent tranquille, elle ne Si les s’en ira pas ; car il n’existe pas au monde d’animal plus curieux et le nombre des objets qu’une mangouste peut découvrir dans une maison est incalculable. Elle est plus prisonnière de sa curiosité — une curiosité inlassable, maladive, ancestrale — que si on la mettait en cage. En signe de bienvenue, il suffit de lui donner quelques petits morceaux de viande crue, un peu de jaune d’œuf et vingt-quatre heures ne se sont pas écoulées, qu’elle se frôle aux jambes du maître, câline comme un chat. Elle grimpe sur ses genoux, brûle son museau à sa cigarette, essaie d’entrer dans ses poches, intriguée par le tic-tac de sa montre. Descend-elle, c’est pour courir, affairée, d’une pièce dans l’autre. Il faut qu’elle se rende compte de tout ; elle monte sur les tables, sur les sièges, sur les lits, fourre son nez rose dans les couvertures, perpétuellement agitée, l’oreille aux aguets, tressautant au moindre bruit, au plus léger frôlement. On reste toute une journée parfois sans la voir. Elle est dans le jardin. Elle inspecte les haies, les « lisières », fouille les carrés de gombos, de choux caraïbes. Le soir, on la voit revenir à l’heure du dîner, le poil trempé par la dernière averse, les babines légèrement teintées de rouge. Pendant son absence, elle a peut-être tué deux ou trois bothrops. Les mangoustes, du point de vue humain, n’ont qu’un défaut, elles aiment le sang des poulets et, de temps en temps, elles en saignent un. Mais que sont six ou dix poulets quand on songe au nombre considérable de bothrops qu elles tuent, à la sécurité dont elles entourent les maisons, leur seule présence suffisant à en éloigner les serpents. Malheureusement, les petits cultivateurs nègres, pour qui l’élevage des volailles est une source de profit, ne l’entendaient pas ainsi. Ils se mirent 31


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