Le Serpent de la Martinique : Sa légende, ses moeurs, ses ennemis

HENRY DE LALUNG

Le Serpent de la Martinique a

A. P.

12241

MANIOC.org

Bibliothèque municipale de Bordeaux

MANIOC.org

Bibliothèque municipale de Bordeaux

HENRY DE LALUNG

Le Serpent de la Martinique

MANIOC.org

Bibliothèque municipale de Bordeaux

MANIOC.org

Bibliothèque municipale de Bordeaux

HENRY DE LALUNG

Le Serpent de la Martinique a

Sa légende, ses mœurs, ses ennemis.

Comment les Caraïbes et les Nègres soignaient ses piqûres.

ESSAI

DE MÉDECINE RÉTROSPECTIVE

« Maledictus es inter omnia animantia et bestias terrae » Genèse III, 14. « Serpentes tollent » St Marc XVI, 19.

ÉDITÉ PAR LES LABORATOIRES CORBIÈRE - 27, RUE DESRENAUDES - PARIS

MANIOC.org

Bibliothèque municipale de Bordeaux

LE

SERPENT

Chapitre I.

L

DE

LA

MARTINIQUE

La légende du Serpent.

vingt-cinq juin 1635, le capitaine Fel et David Michel, qui naviguaient de conserve depuis Dieppe, donnaient presqu’en même temps l’ordre de mouiller, à quelques encablures de l’anse où se blottit aujourd’hui le bourg de la Case-Pilote. Les civadières n'étaient pas ferlées qu’une troupe, commandée par de l’Olive et du Plessis, quittait les deux navires sur des embarcations mises à la mer hâtivement et gagnait le rivage à force de rames. Les premiers Colons français foulaient le sol de la Martinique.

Quand tout le monde eut atterri, les chefs de l’expédition prièrent le Père Pélican, religieux réformé de l’Ordre de Samt-Dominique, de planter la Croix, ce qu ’il fit avec le cérémonial d’usage, aux accents de l’hymne Vexilla Regis prodeunt. De l’Olive et du Plessis attachèrent ensuite au pied de « l’Etendard Triomphant de notre Rédemption » les armes de Sa Majesté, E

5

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

peintes sur un grand écusson ; puis on chanta le Te Deum, à la décharge des canons des vaisseaux.

Quelques sauvages Caraïbes qui assistaient à cette « action de piété et de réjouissance » — la plupart étaient alors partis en guerre contre les Arouagues, leurs ennemis du Continent — imitèrent, paraît-il, tous les gestes des Français, s’agenouillant et baisant la terre comme eux.

Une brève visite du pays permit à de l’Olive et à du Plessis de constater qu’il était montagneux, haché de précipices, infesté de serpents par lesquels ils faillirent être piqués plusieurs fois.

Le Père Labat dit, avec quelque exagération, dans son Nouveau Voyage aux Iles de /’Amérique, qu’à cette époque la terre était « comme couverte » de ces reptiles, qu’il y en avait de « vingt-cinq pieds de longueur et d’un pied et demi de diamètre », afin de justifier sans doute l’épithète de « monstrueux » qu’il leur accole. Nouvelle Hespéride, l’île, en l’absence des Caraïbes, était, comme on le voit, bien gardée.

Nos deux gentilshommes, ne voulant pas exposer la « Colonie » aux périls qu’ils venaient d’encourir, la firent réembarquer, et le lendemain les navires mettaient à la voile. Deux jours après, le vingt-huit juin 1635, ils arrivaient à la Guadeloupe.

Celle-ci, par bonheur, n’était pas si dangereusement habitée.

La crainte des serpents ne devait pas arrêter d’Esnambuc, « capitaine de Roy sur les mers du Ponant » et gouverneur de Saint-Christophe. Parti de cette île avec une centaine d’« habitants, tous gens de main accoutumés à l’air, au travail et à la fatigue des pays chauds », il abordait à la Martinique, un peu plus au Nord que de l’Olive et du Plessis, dans le croissant situé entre la Pointe-Lamarre et la Pointe-du-Carbet.

Le premier septembre 1635, celui que le P. J.-B. du Tertre, dans son Histoire Générale des Antilles, appelle le « Grand d’Esnambuc » et que les premiers Colons nommaient leur Père, Pierre Blain d’Esnambuc, natif d’Allouville, en Normandie, prenait — définitivement cette fois — possession de la Martinique, pour le Roi et les « Seigneurs-Associés de la Compagnie des Isles de l’Amérique ».

A quoi tient cette présence du serpent à la Martinique, alors qu’on n’en trouve pas à la Guadeloupe, non plus que dans toutes les autres Antilles, Sainte-Lucie exceptée? Le climat de ces îles est pourtant le même; leur constitution géologique, leurs reliefs sont identiques, leur flore semblable, leur faune — au serpent près — analogue. On n’arriverait pas à expliquer 6

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

le triste privilège que partagent la Martinique et Sainte-Lucie, si une légende caraïbe n’attribuait au serpent de la Martinique une origine qui nous paraît vraisemblable. La voici, racontée par le P. J.-B. du Tertre, de l’Ordre des Frères Prêcheurs, missionnaire apostolique aux « Ant-Isles » et contemporain des événements que nous venons de narrer : « Il n’est pas hors de propos de rapporter l’opinion des sauvages sur cette matière. Quelques-uns d’entre eux nous ont assuré qu 'ils tenaient par tradition très-certaine de leurs pères que cela venait des Arouagues, nation de la Terre-Ferme, auxquels les Caraïbes de nos îles font une très-cruelle guerre. Ceux-là, disent-ils, se voyant tourmentés et vexés par les continuelles incursions des nôtres, s’avisèrent d’une ruse de guerre non commune, mais extrêmement dommageable et périlleuse à leurs ennemis; car ils amassèrent grand nombre de ces serpents, lesquels ils enfermèrent dans des paniers et calebasses, les apportèrent dans l’île de la Martinique et là leur donnèrent liberté ; à fin que sans sortir de leurs terres, ils pussent, par le moyen de ces funestes animaux, leur faire une guerre immortelle ».

Cette ruse de guerre, qui dénote un raffinement inouï dans la vengeance, ne nous surprend pas des Arouagues que les premiers voyageurs nous dépeignent comme une des peuplades les plus cruelles de la « France Equinoxiale » : la Guyane actuelle. Ces Indiens, riverains de l’embouchure de l’Oyapok et de ses affluents côtiers, étaient, paraît-il, d’excellents marins.

Montés sur leurs bacassas — grandes pirogues à trois voiles carrées, auxquelles on pouvait ajouter des huniers — ils allaient jusqu’en Floride parfois, en longeant les Antilles. Rien d' étonnant que pour assouvir leur haine, ils aient capturé des serpents vivants — et nous savons qu’il existe aujourd’hui encore, à la Guyane, une espèce de serpent presque semblable à celle de la Martinique — pour aller les semer sur les côtes martiniquaises.

On peut même, non sans vraisemblance, supposer une erreur des Arouagues dans leur calcul des îles et que, croyant être arrivés à la Martinique, ils déchargeaient en réalité à Sainte-Lucie * une partie de leur venimeuse cargaison. Cette dernière, où on trouve les mêmes serpents qu’à la Martinique, n’en est séparée que par un bras de mer. * Sainte-Lucie — jadis Alouzie — fut occupée par les Anglais en 1639. Les Caraïbes les en chassèrent au mois d’août 1640. L’île fut ensuite colonisée par du Parquet, neveu de d’Esnambuc, pour Louis XIII et les Seigneurs-Associés de la Compagnie des Iles de l’Amérique. Après la faillite de la Compagnie, du Parquet racheta Sainte-Lucie, la Martinique, la Grenade et les Grenadins, pour la somme de 60.000 livres. L’île appartient à l’Angleterre depuis le traité de Paris de 1814.

7

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

Après s’être rendu compte de leur méprise, les sauvages se seraient empressés d’aller semer le reliquat sur la Martinique. Ne restait-il que quelques couples de serpents, c’était plus qu’il n’en fallait pour infester tout le pays, vu leur prodigieuse fécondité.

Quelle que soit son origine, le serpent fut un obstacle sérieux à la colonisation de la Martinique et de Sainte-Lucie. Aux premiers temps de l’occupation où l’on ne connaissait d autres remèdes que ceux qui étaient employés en France contre les morsures de vipères, combien de colons ne durent-ils pas périr sous les crocs du serpent ! Et quel secours attendre de « chirurgiens... » de fortune qui, au dire d’un contemporain, « ne savaient autre chose que saigner et razer ». En ces temps héroïques, nos aventureux compatriotes ne songeaient pas non plus à se faire accompagner de médecins. Le premier « médecin entretenu par le roi », M. de la Martinière — l’histoire nous a conservé son nom — n’arriva à la Martinique qu’en 1696. Après plus d’un siècle de colonisation et de destruction systématique, le serpent faisait encore de réels ravages à la Martinique et à Sainte-Lucie. En 1765, le gouverneur comte d’Ennery, qui avait recommandé aux curés et aux commandants des différentes paroisses des deux colonies, de tenir un registre exact des mortalités causées par la piqûre du serpent, « trouva le chiffre si élevé qu’il jugea prudent de le cacher, pour ne pas trop effrayer les esprits ».

Quel est donc ce serpent si terrible qui contraignait des hommes de la trempe de du Plessis et de l’Olive à quitter précipitamment la Martinique? Pour avoir eu, jadis, des dimensions aussi... imposantes que celles que lui prête le P. Labat, aurait-il, par hasard, le pouvoir de s’agrandir et de se rapetisser, comme ce serpent de la Dominique qui portait au milieu du front « une escarboucle de pierre fort luisante, laquelle il tire quand il va boire »?

Ce serpent n’a, bien entendu, jamais existé que dans l'imagination des Caraïbes et encore, « pour le voir, devaient-ils jeûner et s’abstenir de leurs femmes plusieurs jours » nous dit le P. Bouton dans sa Relation de l'Establissement des Français dans l'Isle de la Martinique.

Le serpent de la Martinique n’est hélas ! pas un mythe comme son congénère dominicain. Il est loin, à vrai dire, d’avoir « vingt-cinq pieds de longueur », quelque huit mètres, et « un pied et demi de diamètre », environ quarante centimètres. Il mesure plus modestement de un mètre cinquante à deux mètres et il est gros comme le poignet d’un adulte. Quelques beaux sujets peuvent atteindre deux mètres cinquante. En dépit de sa taille médiocre, 8

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

quand on la compare à celle de certains boas, le serpent de la Martinique est un des représentants les plus dangereux, peut-être le plus dangereux, de cette venimeuse famille, Borgia inter serpentes, des solénoglyphes. « Leurs crocs de devant sont pointus comme des aiguilles et recourbés en forme d’alêne de cordonnier. Il y a à chacun de ces crocs un petit pertuis qui pénètre depuis la racine jusqu’au bout et c’est par là que les serpents font glisser le venin qui est renfermé dans de petites bourses, aux deux côtés de la gueule, à l’endroit précisément où répondent les racines des dents ».

Vous avez reconnu dans la description du vieil auteur, les glandes à venin et les crochets sus-maxillaires, merveilleux instruments de mort, venimeuses et vivantes seringues de Pravaz.

Nous disions donc que le serpent de la Martinique est de la tribu des solénoglyphes. Pour le distinguer de ses cousins, les Crotales, dont il n'a pas la queue cornée, sonnante; des Trigonocéphales à la tête blasonnée d' un écusson central; des Lachésis et autres Atropos, la nature l’a marqué près de l’œil, d’une petite fossette borgne, d’où son nom de Bothrops. Il a des frères un peu dans toute l’Amérique du Sud : Bothrops jararaca et Bothrops à deux raies au Brésil, Bothrops alterné au Paraguay ; il en a même de verts et noirs à Ceylan, à Batavia, et son ancêtre n’est autre peut-être, comme nous l’avons vu, que le Bothrops atroce qu’on rencontre dans les bois de la Guyane hollandaise, non loin de Surinam.

Mais le Bothrops de la Martinique se différencie encore de ses frères lointains par ses écailles sourcilières, lisses, convexes, tellement distinctes qu’elles semblent déborder l’œil dont l’iris orange, avec des reflets rouges et la pupille verticale, lui donnent un air particulièrement féroce. Sa tête aplatie, triangulaire, en forme de fer de lance, lui a valu son surnom de lancéolé.

Nous l’appellerons donc désormais Bothrops Lancéolé, puisque son parrain, le grand herpétologiste Duméril, le veut ainsi *.

Ce n’était pas sous ce vocable qu’il était connu jadis. Le Père du Tertre le nommait Vipère jaune; Lacépède : Fer-de-Lance; Cuvier : Trigonocéphale jaune; Linné : Coluher glaucus; mais il paraît que ce n’était pas bien.

Sa peau bigarrée, tigrée, marquetée de taches noires, offre une incroyable diversité de couleurs. Chez certains bothrops lancéolés, elle est d’un jaune aurore ; chez d’autres d’un jaune laque maculé de brun-jaune ; quelques autres l’ont d’un gris velouté tacheté de noir, ou noire avec le ventre * Ce nom de Bothrops Lancéolé ne semble pas avoir eu l’heur de plaire à nos herpétologistes contemporains qui le remplacent, depuis peu, par celui de Lachésis Lanceolatus.

9

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

rose ou jaune ; d’autres enfin l’ont cendrée, lie de vin mélangé de noir ou de rose, jaune paille, jaune écorce d’arbre. Le bothrops gris, étoilé de taches noires, le plus commun, pousse même la coquetterie jusqu’à avoir les yeux allongés d’une bande noire très nette, pareille à un trait de koheul.

Avec des couleurs aussi vives, brillantes comme des émaux au lendemain de la mue ou chez les serpenteaux naissants, plus terne, à vrai dire, chez les vieux serpents, on se demande comment le bothrops n’est pas plus visible dans les halliers, dans les bois, dans les savanes, dans les champs de cannes à sucre qui rappellent, quand elles sont mûres, sa couleur dorée. Il y disparaît pourtant, et c’est là un de ses avantages. Jamais allongé, toujours enroulé en spirale, lové, il est sans cesse prêt à se détendre, rapide comme l’éclair, sur tout ce qui passe à portée de son jet meurtrier.

Cette surprenante diversité de couleurs a longtemps fait croire qu’il existait à la Martinique plusieurs variétés de serpents. Des ouvrages savants l’assurent. De vieux « habitants », en fumant leur « bout » — cigare long et mince, fait d 'un « macouba » noir, très fort, un régal pour les vrais amateurs — parlent encore à la veillée, du « petit serpent corail, ou serpent minute » qui vous fait passer de vie à trépas dans ce laps de temps. Ce n’était probablement qu' un jeune bothrops lie de vin et nous affirmons de la manière la plus formelle qu’il n’y a plus à la Martinique qu’une seule espèce de serpent. Toutes les variétés de couleur que nous avons décrites peuvent se voir sur les serpenteaux issus d’une même portée. Leur mère a la queue plus fine, plus effilée que le mâle et c’est, apparemment, la seule différence qui permette de distinguer les sexes.

Voilà l’ophidien qui exigea longtemps de la Martinique un lourd tribut en vies humaines.

Chapitre II.

Les mœurs du Bothrops lancéolé.

Sed et serpens erat callidior cunctis animantibus terra qua fecerat Dominus Deus.

Genèse III, 1.

Circular base of rising folds, that tower'd Fold above fold ; a surging maze !

His head the midst, Well stored with subtle wiles.

Milton, Paradise Lost.

Base circulaire de replis superposés qui montaient en forme de tour, Orbe sur orbe ; labyrinthe croissant, Sa tête, élevée au milieu, est pleine de fines ruses.

Milton, Le Paradis Perdu.

OUS allons maintenant vous faire voir le bothrops lancéolé « vivant»; vous le montrer en liberté, dans le domaine dont il était naguère le roi incontesté : les grands bois et les champs de cannes à sucre, ondulants et drus.

Cette « biographie » ne résulte pas, bien entendu, d' observations suivies.

N

11

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

On n’observe pas un serpent comme un animal domestique ; car, ou bien il nous voit et nous fuit, ou s’élance sur nous ; ou bien nous l’exterminons, ou nous le fuyons. Ce que nous savons des mœurs du bothrops résulte de milliers et de milliers d’observations fortuites, dont quelques-unes ont pu toutefois être contrôlées par de rares expérimentateurs. C’est ce que M. de Buffon résume en disant que l’histoire d’un animal sauvage — et nous ne croyons pas qu’il existe un animal plus sauvage que le bothrops — « est bornée à un petit nombre de faits émanés de la simple nature ».

Les récits des chroniqueurs ou de voyageurs d’antan, autre source d’information sur le bothrops, grouillent d’erreurs à son sujet ; bref, on a mis deux ou trois cents ans à connaître ce que nous présentons ici sous une forme synthétique.

Si vous n’avez vu le bothrops lancéolé qu’emprisonné dans la cage vitrée et chauffée à blanc d’une « ménagerie de reptiles vivants », comment soupçonneriez-vous dans cet animal somnolent, torpide, qui mange à peine, fuit les tracasseries, l’ophidien rapide, agressif, gros mangeur, qu’il est à « l’état de nature »? Il faut le voir dévaler un « morne », en embuscade dans une « pièce » de cannes et dans les grands bois où règne, en plein midi des tropiques, un étrange crépuscule vert; dans ses grands bois où la terre invisible, recouverte d’une couche millénaire de débris végétaux, exhale de bizarres parfums ammoniacés.

Voici justement un superbe bothrops gris qui sort du trou qu’il a volé à quelque crabe de terre — de gros crabes à la carapace bombée, bleu d’azur ou rouge brun tirant sur le marron — et où toute la journée il a dormi, solitaire, l’œil à demi-fermé, car les bothrops n’ont pas de paupière supérieure.

C’est maintenant la tombée du jour, il va se mettre en chasse. Il glisse, il coule absolument silencieux, en tâtant le sol de sa langue bifide. Son corps forme une série d’ondes successives, plus exactement une suite d' arcs de cercle depuis la tête jusqu’à la queue qui semble être le point de départ de ce mouvement ondulatoire *. Il dresse la tête, il s’arrête, se love au moindre bruit qu’il sent, parce qu’il est presque sourd et c’est par l’intermédiaire de son corps qu’il perçoit les sons. Il ne réagit en conséquence que pour ceux qui font * La reptation est loin d’être aussi simple que nous la faisons ici. Les quelques trois cents côtes d’un bothrops de taille moyenne, ses écailles ventrales, imbriquées les unes dans les autres, mais libres aux deux tiers de leur extrémité et qui servent de points d’insertion aux muscles costaux — les serpents n’ont pas de sternum — jouent un rôle capital dans la progression du bothrops. Ce sont ses pieds et ses jambes : « Squamis quasi unguibus et costis quasi cruribus innituntur », disait déjà Aristote.

12

Homme Caraibe des Isles Antilles Rocoue avec son are, et ses FlĂŞches dans la mais droite, et son bouton dans la gauche,

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

vibrer la terre. Il entend, si on peut dire, les pas de l’homme, et non sa voix.

Tirez un coup de fusil tout près d’un bothrops : s’il n’a pas vu l’éclair, il ne bronche pas, il n’a rien entendu.

Le bothrops a tout à coup ressenti une légère vibration, c’est un pilori, un de ces rats musqués, gros comme un lapin, qui hantaient jadis la sylve martiniquaise. Il s’approche sans bruit, il distingue l’animal dans une sorte de halo, de brouillard, car il voit aussi très mal. En moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, il se love à l’endroit précis où il sait que le pilori est à sa portée, se détend sur lui comme un ressort d’acier et lui enfonce ses crocs dans la chair. Il n’a pas bondi ; sa queue qui lui sert de point fixe n’a quitté le sol à aucun moment. Il s’est simplement détendu.

Le pilori a fait quelques mètres en se traînant ; mais le voilà presque complètement engourdi. Sans se presser, le bothrops s’approche, il l’enduit d’une bave gluante, replie ses dents venimeuses, rentre ses crocs de remplacement, ses crochets d’attente, ouvre une gueule immense et le gobe sur place. Il se traîne alors jusqu’à son trou dont il ne s’est pas éloigné de plus de deux cents ou trois cents mètres, ou reste béatement à le digérer sur les lieux.

Le bothrops n’aime pas, en effet, se déplacer. Quand il voyage, c’est de nuit, pour changer de terrain de chasse, si celui où il se trouve est dépeuplé.

Il traverse alors les routes et malheur au voyageur attardé qui le rencontre.

Les bothrops habitent aussi les champs de cannes. Ils sont sûrs d’y trouver une proie facile, excellente à leur gré : les rats. Protégés du soleil par la voûte des palmes, une « pièce » de cannes est pour nos serpents un raccourci de l’Eden. Ils ont fraîcheur et nourriture abondante. Leur présence ne déplaisait d’ailleurs pas aux anciens colons qui les appelaient « leur maréchaussée ».

Ils faisaient « grand carnage » des rats qui sont très friands de cannes* et mettaient le champ à l’abri des voleurs. Le seul ennui, c’est que les serpents n’hésitaient pas, à cette époque, à poursuivre les rats jusque dans l’intérieur des maisons. « C’est un signe infaillible qu’ils sont dans une maison quand on entend piper les rats » dit le P. du Tertre à qui Mme du Parquet, femme du Lieutenant général en l’île de la Martinique, « a asseuré qu’un soir, pen* Quand une canne à sucre est rongée, si légèrement que ce soit, par un rat — « ratée », disent les colons — elle fermente, s’étiole, se dessèche. Les pertes causées par ces rongeurs, dans les colonies voisines où les serpents ne modéraient pas leurs ravages, étaient très élevées. Des personnes malintentionnées ont raconté qu’on essaya jadis d’introduire le bothrops à la Guadeloupe. Nous nous refusons, jusqu’à preuve formelle du contraire, d’accorder créance à cet essai coupable d’une acclimatation qui, fort heureusement, ne réussit pas.

14

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

sant prendre sur le chevet de son lit le bonnet de nuit de son mari, elle prit à pleine main un gros serpent qui dormait ». Nos « gouvernantes », hâtonsnous de le dire, ne sont plus exposées aujourd’hui à de si dangereuses... rencontres, jadis assez fréquentes. Un gentilhomme « digne de foy » assurait encore au Révérend Père que « disnant avec un Prestre de l’Isle, il tomba une fois un serpent au milieu du plat qui était sur la table. Lorsque les habitants savent qu’il y en a un dans leur case, qu’ils ne peuvent découvrir, ils font du feu dans le milieu de la case et disent pour raison que le serpent fuit quand il le voit. Mais cela sert de peu, car il se fourre sous les coffres, dans les recoins, dans les paniers, dans les barils et dans d’autres choses semblables, dans la couverture et mesme jusque dans les licts ».

La mode créole des meubles et lits hauts sur pieds ne vient, peut-être, que de cette crainte du serpent. A la tombée du jour, un coup d’œil suffisait au colon pour s’assurer qu’il ne donnait pas l’hospitalité à un hôte aussi indésirable.

Les moins hardis se contentaient de rester dans le jardin, d’où, à la faveur de la nuit, ils se glissaient dans les poulaillers. Ecoutez ce qu’en dit le P. Labat : « Mon nègre étant entré au point du jour dans mon poulailler pour tâter les poules, en vit une qui était morte avec les ailes étendues et remarqua qu’il manquait quelques poulets ; il vint aussitôt m’en avertir, ajoutant qu’infailliblement il y avait un serpent dans le poulailler parce que les volailles en étaient sorties tout épouvantées et avec un empressement qui ne leur était pas ordinaire. « Quand le soleil fut levé, on vit le serpent qui était lové, c’est-à-dire plié et roulé en un coin avec la tête levée. Je le saluai d’un coup de fusil qui lui mit la tête en morceaux, après quoi mon nègre le tira dans la cour. Je lui fis ouvrir le ventre, on y trouva quatre petits poulets qu’il avait avalés. Ces oiseaux se sentant piqués ouvrent les ailes en expirant et se refroidissent en cette situation, de sorte qu’il serait impossible au serpent de les avaler, s’il attendait qu’ils se fussent refroidis en cet état. Les poulets qui étaient tout jeunes et presque sans force n avaient pu faire la même chose... On eut toutes les peines du monde, le soir, à faire rentrer les volailles dans le poulailler.

Elles venaient jusqu’à la porte, regardaient devant, tout effrayées, comme si elles eussent encore vu le serpent qui y avait été la nuit précédente. « Quoique la tête du serpent fût toute brisée, mon nègre ne laissa pas d’achever de la couper et de l’enterrer fort avant en terre, de crainte que quelqu’un, venant à marcher dessus, ne se piquât et ne se mit en danger d’y trouver encore du venin.

15

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

« Un de mes charpentiers tira la graisse qui était dans le corps du serpent en assez bonne quantité et m’enseigna à la conserver dans un flacon bien bouché, et m’assura qu’il n’y avait rien de meilleur pour les douleurs froides, la sciatique et autres semblables incommodités. On la fait fondre sur une assiette, ensuite on frotte la partie affligée avec des linges chauds pour ouvrir les pores et on l’oint avec cette graisse ainsi dissoute. J’ai éprouvé ce remède sur moi-même et sur d’autres, toujours avec un heureux succès. Cette graisse est blanche, ferme et n’a aucune mauvaise odeur ; elle se conserve aussi sans se corrompre, sans qu’on y apporte aucune précaution ».

Ce récit du P. Labat confirme une assertion antérieure de près d’un siècle du P. du Tertre : « Les poules attirent les serpents autour des cases, et vous voyez peu de personnes entrer dans un poulailler sans avoir soigneusement regardé de tous côtés. Si le serpent rencontre une poule qui couve, il se met sur les œufs, se fait couver par la poule jusqu’à ce que les petits soient éclos, lesquels il avale tout entiers et mord incontinent la poule et la fait mourir. Ils ont l’industrie de glousser et contrefaire les poules qui conduisent leurs petits. Je l’ai vu faire à un qui, en ma présence, après avoir tué la poule, avala neuf poulets qui avaient plus de trois semaines ».

Le bothrops est bien capable d’avaler neuf poulets de trois semaines ; mais nous doutons qu’il pousse « l’industrie » jusqu’à se faire couver par la poule pour gober les petits lorsqu’ils sont éclos. Tous les animaux ont peur du serpent. A sa vue, le cheval se cabre, le bœuf se détourne et s’enfuit et nous venons de voir, dans le récit très exact du P. Labat, la frayeur — même rétrospective — que les poules ont du serpent. Mais il y a une notation juste dans la narration du P. du Tertre, c’est le « gloussement » du bothrops. C’est un bruit assez semblable au claquement de la langue sur le palais. Nous avons eu l’occasion de l’entendre plus d’une fois et immanquablement, il nous annonçait la venue d’un serpent. On ne sait d’ailleurs pas comment le bothrops peut émettre ce gloussement, car il n’a pas de larynx. Ajoutons que le bothrops ne révèle par aucun bruit sa présence lorsqu’il est dans sa position de garde ou de chasse, quand il est lové.

Au menu du bothrops que nous sommes en tram de parcourir, il faut ajouter les oiseaux. Tapi dans les halliers, il les guette pendant des heures et les harponne quand ils se posent dans l’aire de sa fougueuse détente.

Nous ne croyons pas qu’il soit encore nécessaire de combattre la légende de la « fascination » du serpent. Cette attraction merveilleuse n’est en réalité que patience de chasseur qui attend, toute une journée parfois, que 16

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

l’oiseau vienne à sa portée sur quelque basse branche, ou qu’il descende à terre chercher sa nourriture.

Faute d’oiseaux, le bothrops se contente de crapauds ou de crabes, de petits lézards appelés anolis qui se gargarisent au clair de lune sur un timbre aigu.

Son régal, c’est le manicou,* marsupial nocturne extrêmement peureux, deux fois gros comme un lapin et qui ressemble au rat. Il a des yeux énormes, à fleur de tête, des oreilles droites, le poil noir entremêlé de gris sur le dos, jaune sous le ventre et une queue prenante, glabre à son extrémité, un peu plus longue que son corps.

La femelle raidit cette queue parallèlement à son échine et ses petits s’y suspendent, posés sur son dos. C’est sa façon de leur faire prendre l' air.

Entend-elle un bruit, vite elle replie sa queue sous son ventre. Automatiquement les petits s’engouffrent dans la poche abdominale où se trouvent « quatre paires de petits tétons » et, s’aidant de sa queue, elle saute de branche en branche, aussi preste qu’un écureuil. Le manicou se nourrit surtout de fruits et sa chair rappelle, avec un léger fumet, celle du cochon de lait. On comprend la prédilection du bothrops. Mais la meilleure proie ne le fera pas se déranger de plus de deux ou trois cents mètres. Il ne traquera donc pas le manicou dans le bois, mais il l’attend à l’affût, dans un «carré» d’ananas dont les manicous sont friands.

Le drame va se dérouler un peu avant le coucher de la lune. Le manicou, l’oreille au guet, s’approche du champ d' ananas. Il espère faire bombance et l’assassin est là, immobile, invisible, qui le poignarde d’un double coup de stylet empoisonné. La douleur et la surprise clouent le manicou sur place, mais il a vite fait de se ressaisir et le serpent ne s’est pas encore relové qu’il le lacère de ses griffes. Cependant, le venin agit, tout le tram de derrière du manicou est paralysé; il gratte désespérément le sol avec ses pattes de devant et, à l’aurore, le nègre qui ira cueillir des ananas trouvera l’assassin et la victime, morts à quelques mètres l’un de l’autre.

Le plus souvent, le bothrops esquive la brève contre-attaque du manicou ; il attend que le venin ait accompli son œuvre de mort, et quand l’animal ne bouge plus, il s’avance, l’aplatit autant qu’il peut en se roulant dessus, l’enduit d’un mucus visqueux et le hume. Mais la proie est de taille.

Il a beau ouvrir une gueule démesurée et bien que son œsophage soit aussi

* Voir reproduction page 10.

17

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

extensible que son estomac dépourvu de cardia, le râble du manicou ne veut pas passer. Si sa trachée, sans épiglotte, toujours béante, n’était pas située tout à l’entrée de la gueule, il étoufferait sûrement. Il peut à peine se traîner à l’abri d’une touffe d’herbe toute proche, avec le manicou aux trois-quarts sorti de son gosier. Il s’endort maintenant pour sept ou huit jours. Un cultivateur passe-t-il dans le voisinage, attiré par l’odeur putride, il découvrira le serpent et lui fera passer à tout jamais le goût du manicou.

Après avoir montré le bothrops aussi glouton, ajoutons qu’en d’autres circonstances il se montre d’une sobriété exemplaire. Il supporte, sans mal apparent, une diète absolue de plusieurs mois, à condition de lui donner à boire.

Car le bothrops boit, bien que la question ait été longtemps controversée. Il boit même de deux façons : tantôt en lapant l’eau avec sa langue, tantôt en enfonçant la tête sous l’eau. Dans les temps de sécheresse, si on les rencontre si souvent au bord des rivières, ce n’est pas seulement la fraîcheur qui les y attire, mais aussi le besoin de se désaltérer. Se contente-t-il seulement d’eau? Si on en croit une ancienne Notice sur le Serpent de Sainte-Lucie, le bothrops raffolerait de lait. Pour s’en procurer, il n’hésiterait pas à téter les vaches* et même... les femmes. L’auteur de la Notice spécifie « que, sur l’habitation Toutmassé, une négresse nourrice eut les deux seins successivement tétés par un serpent, pendant la nuit. Soit frayeur, soit présence d’esprit, elle attendit que l’animal se fût retiré, ce qu’il fit après avoir vidé les deux seins. Alors elle appela son maître qui vint à son secours et tua le serpent. Il était réellement plein de lait ; la négresse n’eut point de mal ».

Ce serpent suspendu au sein d’une belle créole figurerait assez heureusement, sous cette forme allégorique chère au XVIIe siècle finissant, la Martinique épuisée, à cette époque, par le bothrops. Mais ce ne serait qu' une allégorie, car la succion est anatomiquement impossible au serpent. Il n' a pas de lèvres pouvant s’adapter au mamelon ou au pis, ni de joues pour faire le vide et ses mâchoires sont absolument rigides.

Nous avons vu jusqu’ici évoluer le bothrops sur terre. Comment se comporte-t-il sur l’eau? Peut-il par exemple franchir une rivière lorsqu’il veut changer de terrain de chasse? On ne l’a jamais, à notre connaissance, surpris dans cette traversée d’ailleurs aisée, les rivières de la Martinique étant facilement guéables, sauf à leur embouchure et pendant les déborde* Un savant a consacré à ce sujet une thèse intitulée : Vaccam serpens emulgens.

18

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

ments de la saison des pluies. On sait toutefois que le bothrops nage. En présence de nombreux habitants de Saint-Pierre, massés sur la plage, un expérimentateur emmena un bothrops vivant à une portée de fusil en mer et lui donna la liberté. Aussitôt, le bothrops mit le cap sur le rivage, avançant avec rapidité et grâce. Quand la chaloupe d’où on le suivait s’approchait de lui, il s’arrêtait et se lovait dans la mer, aussi lestement qu’il l’eût fait sur le sol.

Dès qu’on s’éloignait un peu, il se remettait à nager, sa tête aplatie dominant toujours l’eau. Il atterrit « parfaitement frais », comme on dit en langage sportif ; mais en guise d’applaudissements, il reçut des coups de bâton.

Certains assistants se disputèrent même, au dire des journaux de l’époque, « l’honneur d’écraser les premiers cet ennemi du genre humain ».

On s’explique dès lors la présence du serpent dans les nombreux îlots qui entourent la Martinique : Gros-Ilet, îlot Villarson, en face du bourg de Sainte-Anne, etc. Un seul pourtant fait exception, l’îlot Duchazel, dans le « cohé » du Lamentin. On n’y a jamais trouvé de serpents, bien qu’à certaines époques de l’année, cet îlot devienne, par le retrait des eaux, une véritable presqu’île. Ce phénomène qu’on attribuait à la « nature barytique »? du sol n’a pu encore être expliqué.

Parce que le bothrops nage, il n’y avait qu’un pas à faire pour le transformer en plongeur et même en pêcheur. Ce pas a été franchi. On lui a attribué, gratuitement, ce que Lacépède dit d’un serpent de la Caroline : le Piscivore, « qu’on voit étendu autour des branches d’arbre qui pendent sur les rivières.

Il s’élance sur les poissons, les poursuit en nageant et en plongeant avec beaucoup de vitesse, en prend d’assez gros qu’il avale avec avidité ».

A l’encontre de son congénère du continent américain, le serpent de la Martinique est essentiellement terrestre. Quand on lui met la tête sous l’eau, il se débat et ne résiste pas plus d’un quart d’heure à l’immersion.

Aussi bons nageurs que soient les bothrops, ils ne laissent pas d’être entraînés par les crues subites de « l’hivernage ». On les trouve quelques jours plus tard, asphyxiés, à plusieurs kilomètres de l’endroit où ils ont été surpris, jonchant les terrains limoneux qui bordent la rivière assagie.

C’est à la suite d’une de ces crues que M. L. T..., qui se baignait dans le déversoir du canal de Gueydon — conduite d’eau de Fort-de-France — sentit tout à coup sur ses jambes comme un enveloppement mou. Croyant à une de ces racines souples que le courant entraîne parfois, il s’en débarrassait quand, à sa stupéfaction, il ramena un superbe bothrops gris, mort d’ailleurs, qui avait été charrié par le courant.

19

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

Il faut donc rayer la pêche des prouesses du bothrops et le poisson de son menu.

Il ferait gras toute l’année si un mal étrange ne venait, cinq ou six fois par an, arrêter pour une quinzaine de jours environ sa furie destructrice et nourricière.

Le bothrops se sent brusquement moins alerte. Son habit qui le moulait strictement, flotte un peu, s’accroche aux herbes, aux feuilles ; il n’effleure plus le sol aussi silencieusement; il fait entendre un léger friselis qui dénonce son arrivée et met en fuite le gibier. La chasse, de jour en jour moins bonne, coïncide du reste avec une perte progressive de l’appétit. Ses couleurs se foncent, deviennent ternes ; des pellicules blanchâtres, qui se mettent devant ses yeux, brouillent sa vue. Une sorte d’humeur suinte sous sa peau, il se sent de plus en plus faible. Décidément, il faut qu’il cherche quelque trou sûr pour s’y réfugier. Il a froid, il maigrit de jour en jour. Sa peau, trop large maintenant, crépite au moindre mouvement ; à la tombée de la nuit, il se traînera hors de son trou pour se débarrasser de cette vieille défroque. Il se frotte contre la branche épineuse d’un acacia, son épiderme se replie comme le doigt d’un gant qu’on retournerait et lentement, le bothrops qu’éclaire un indiscret rayon de la lune, sort de son ancienne peau, luisant comme un émail dans sa cuirasse d’écailles resplendissante. Il a mué.

Pendant que le bothrops regagne son trou, où il restera encore quelques jours pour laisser à son nouvel épiderme le temps de se raffermir, profitonsen pour examiner sa dépouille. Elle n’a pas une déchirure. Renversée, comme nous l’avons dit, depuis la tête jusqu’à la queue, elle nous montre la face qui était à l’intérieur, lorsqu’elle adhérait au serpent. C’est son moulage exact.

On croit voir sa tête en trigone, l’orifice du trou borgne qui lui a valu son nom, ses deux narines ; avec un peu d’attention, on distingue même le cercle de la cornée. Les écailles y sont nettement imprimées. Celles du dos, petites, serrées, ont une nervure qui les partage en deux. Au ventre, elles sont plus larges, rectangulaires, disposées comme les tuiles d’un toit. Celles de la queue sont doubles, symétriques et le « raphé » qui les unit a marqué la peau d’une mince ligne blanche.

Quand le bothrops juge que son épiderme peut affronter les intempéries, il tente une sortie. Mais son jeûne l’a singulièrement affaibli. Il se contentera de proies faciles : quelques petits crabes, des crapauds ou des anolis. Le lendemain il se risque à harponner plusieurs rats ; le troisième soir, il est tout à fait d’attaque, il braverait un manicou.

20

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

Réconforté, il ira, la nuit prochaine, faire sa cour à une femelle au ventre rosé, dont le terrain de chasse avoisine le sien. Il compte sur ses beaux atours pour la séduire d’emblée. Mais il n’est pas le premier : deux autres bothrops, animés des mêmes feux, l’encadrent. A la vue de ce troisième soupirant, la femelle épouvantée s’enfuit éperdument, ses trois amoureux à ses trousses. Ils dévalent des mornes à pic, traversent des halliers, franchissent un bois de campêche, escaladent des sentiers impossibles, la femelle toujours en tête. Un escarpement l’arrête et tandis que les deux premiers arrivés se battront pour la posséder, le troisième profitera de cette lutte où le vainqueur avale parfois son adversaire, pour l’envelopper de ses replis comme le plus tendre, le plus ardent, le plus ingénieux des amants. Dans cette union, la plus intime, la plus étroite qu’on puisse imaginer, littéralement confondu avec la femelle subjuguée, il va la pénétrer jusqu’aux oviductes de son pénis bifide, aux doubles glands violets entourés de pointes blanches, semblable à quelque étrange fleur radiée. Ils restent ainsi enlacés plusieurs heures « cordés ensemble comme les tourillons d’un gros câble », dit le P. Labat. « Ils se regardent la gueule ouverte, comme s’ils voulaient se dévorer, bavant et sifflant d’une manière très vilaine. O quelles amours ! » Dans son Voyage à la Martinique, paru chez L. Pelletier, libraire, rue Saint-André-des-Arcs, au coin de la rue des Grands-Augustins, le général de brigade J. R., prétend également que le bothrops ferait entendre, au cours de l’accouplement, « des sifflements horribles et perçants, touchants sans doute pour sa femelle ; mais effrayants pour les hommes et qui paraissent être plutôt le langage de la fureur que celui de l’amour. » Les bothrops qui sifflaient à la fin du XVIIe siècle, du temps du P. Labat et en 1770, époque à laquelle le général J. R.se trouvait à la Martinique, auraient-ils été affligés, depuis lors, d’une extinction de voix, pour qu’aucun auteur n’ait plus fait mention de ce sifflement? Interrogées sur ce sujet, les personnes les mieux renseignées sur les bothrops nous ont toutes affirmé qu elles ne les avaient jamais entendu siffler. A part le faible gloussement dont nous avons parlé — gloussement qui pourrait résulter du frottement des écailles ventrales sur le sol — le bothrops qui, répétons-le, n’a pas de larynx*, n’a aucun cri de guerre ni d’amour. Lorsqu’on l’irrite dans sa

* A moins qu’on ne veuille appeler ainsi, le petit bourrelet cartilagineux qui entoure l’orifice de la trachée. En tous cas, les bothrops n’ont ni cavités, ni cordes vocales.

21

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

cage, lors même qu’il expire sous les coups, il n’émet aucun cri; il ne laisse échapper aucune plainte.

Quand on surprend des bothrops dans la position où nous les avons laissés, le mâle furieux voudrait s’élancer sur vous. La femelle, d’ordinaire aussi agressive, essaie de fuir par une sorte d’instinct de conservation de la race ; mais, cadenassée au mâle, empêtrés l’un dans l’autre, on les tue assez facilement, à moins qu’ils n’aient eu la précaution de s’accoupler dans un endroit inaccessible. Dans ce cas, la disjonction s’opère naturellement, au bout de quatre ou cinq heures et les amants s’en vont chacun de leur bord.

Ils ne se reverront peut-être plus jamais.

C’est généralement en janvier et en février que les femelles sont en rut et elles mettent bas en juin et en juillet, ce qui porterait à six ou sept mois la durée de la gestation.

Le ventre de la mère grossit progressivement. Tous également bien formés, les œufs, logés dans les oviductes dilatés et soutenus par un repli du péritoine, forment deux grappes parallèles qui vont du cloaque aux ovaires.

Chaque œuf a deux membranes : la première semblable à du «parchemin mouillé», la seconde plus mince, presque transparente. L’intérieur est rempli d’un jaune gluant et d’une matière blanche plus fluide, le tout sillonné de vaisseaux, qui aboutissent aux enveloppes de l’œuf. Un de ces vaisseaux, plus développé, est fixé au ventre du petit bothrops * qui est enroulé en spirale au centre de l’œuf, la tête en haut, la queue en bas.

Il n’y a qu’un seul serpenteau dans chaque œuf, quoi qu’en dise le P. Labat. Mais son récit est si pittoresque que nous le transcrivons ici : « Il pensa m’arriver dans ce temps-là — en 1698 — un accident terrible.

J’étais dans les bois à faire abattre des arbres dont j ’avais besoin pour quelque charpente, lorsque je vis un de nos nègres qui se retirait avec précipitation du pied d’un arbre où il coupait des lianes. J’en voulus savoir la raison. Il me dit qu’il y avait un gros serpent entre les racines de cet arbre. La curiosité me porta à m’en approcher pour le voir et comme il me montrait, du bout du doigt, le heu où il était, je me trompai, je crus qu’il me montrait une racine plus éloignée, ce qui fit que j’avançai tout le corps sur le lieu où était le serpent, de manière que mes bras, mon visage et ma poitrine étaient à la discrétion de cet animal qui pouvait me mordre où il lui plaisait. On peut juger de ma peur quand je * Le point d'implantation du cordon ombilical, se trouve à la jonction du quart inférieur et des trois-quarts supérieurs du corps de l’animal.

22

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

vis le danger où j' etais. Je me retirai bien plus vite que le nègre et j’appelai du monde pour tuer le serpent. On coupa deux perches fourchues avec lesquelles deux nègres le percèrent en même temps, ce qui n’empêcha que l’un d’eux ne pensât être mordu, le serpent ayant glissé sa tête dans une ouverture qui était à une des racines de l’arbre. On lui coupa la tête et ensuite on tira le corps qui avait près de neuf pieds de long et plus de cinq pouces de diamètre. C’était assurément le plus gros que j’eusse encore vu. Sa tête avait au moins six pouces de large. Quand on eut tiré le corps hors des racines de l’arbre et des lianes qui l’environnaient, nous nous aperçûmes que c’était une femelle qui était pleine et, en remuant le corps, nous vîmes sortir quelques petits serpents par les plaies que les souches lui avaient faites. C’était une trop bonne prise pour la négliger. Je fis fendre le ventre d’un coup de couteau et j’eus le plaisir de voir comment les petits serpents y étaient renfermés. Je vis donc que les œufs étaient attachés les uns au bout des autres par une espèce de boyau ou de membrane. Ils étaient de la grosseur des œufs d’oie, mais plus pointus. Leur coque, comme celle des œufs de tortue, était comme du parchemin mouillé. Les petits étaient dans ces œufs au nombre de treize, quatorze ou quinze, longs d’environ six pouces et de la grosseur d’un petit tuyau de plume à écrire. Ils étaient de toutes sortes de couleurs. Ces méchants petits animaux sortaient à mesure qu’on déchirait la coque qui les renfermait, ils se lovaient en même temps, c’est-à-dire qu’ils se mettaient en rond, la tête élevée sur leur lof et mordaient un bâton avec lequel je les tuais, autant de fois qu’ils le pouvaient attraper. J’en tuai de compte fait soixante-quatorze qui étaient contenus dans six œufs. Un autre s était rompu dans le temps, qu’on tirait le corps de la bête hors des broussailles dont la plupart des petits qu’il renfermait s’étaient sauvés ».

De pareilles portées sont aujourd’hui très rares. La moyenne — déjà respectable — est d’environ une quarantaine d’œufs. Nous tenons du docteur Hue que le plus grand nombre qu’il ait compté s’élevait à soixante-sept. En 1916, nous avons disséqué une femelle qui était pleine de quarante-huit œufs.

Quand elle échappe aux césariennes à coup de « souches », dans le genre de celle que lui firent subir les nègres du P. Labat, la femelle, arrivée à terme, se débarrasse de son vivant fardeau par une de ces nuits chaudes et humides de l’hivernage commençant, au mois de juillet.

Les rares personnes qui ont assisté à sa parturition disent qu elle se traîne péniblement, semant ses œufs de distance en distance. Ceux-ci se rompent instantanément et le serpenteau en jaillit, pareil à un bijou émaillé.

23

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

En quelques heures, et sur une aire de deux ou trois cents mètres, elle donnerait ainsi le jour à une quarantaine de petits bothrops. Le directeur de l’ancien jardin zoologique de Saint-Pierre dit avoir observé une de ses pensionnaires à qui il fallut trois jours pour mettre bas tous ses petits. Cet accouchement « au ralenti » peut physiologiquement s’expliquer par le manque d’espace et l’emprisonnement de la parturiante.

Il existe à la Martinique une tradition selon laquelle la mère bothrops suivrait à rebours le chemin parcouru pendant la parturition — chemin imbibé d’un arrière-faix muqueux — et qu elle dévorerait les petits qui ne se seraient pas écartés de l’endroit où elle les a déposés. Aucune assertion catégorique, aucune observation précise ne sont venues, jusqu’ici, apporter un commencement de preuve à cet « on dit » où nous ne voyons, hélas, qu’un conte issu de l’imagination populaire. Comme Saturne, la femelle du bothrops dévorerait ses petits ! Une preuve, au dire de certaines personnes, étayerait cette fable : le nombre relativement restreint des serpents qui existent, en comparaison de la multitude d’œufs qu’on trouve dans le corps des femelles.

L’argument, certes, ne manquerait pas de poids, si on ne songeait à l’enfance des petits bothrops, la plus abandonnée de toutes les enfances. Une fois posés par terre, leur mère ne les connaît plus. Livrés à eux-mêmes ils n’ont que l’instinct pour apprendre à distinguer leurs aliments, à fuir, à trouver un abri. Le soleil les brûle, le torrent les entraîne. Combien en restera-t-il d’une portée? Bien assez, direz-vous !

Félicitons-nous de ce désintéressement de la femelle du bothrops pour sa progéniture, car si elle avait à nourrir tous ses petits, aucun être vivant ne résisterait à la furie qui anime les mères à ce moment de leur existence : hommes, rats, oiseaux, mamcous, tout y passerait et le bothrops régnerait aujourd’hui en maître sur la Martinique déserte.

Abandonnés par leurs mères, les petits bothrops, dont la piqûre est presque aussi dangereuse que lorsqu’ils sont adultes, se réfugient sur les arbres. Ils se nourrissent d’anolis, de grenouilles, d’msectes, de petits oiseaux dont ils gobent aussi les œufs. Ils ne descendront de leur retraite que dans plusieurs mois, quand ils sauront bien se servir de leurs crocs, la tête pleine de « fines ruses » et parfaitement robustes.

Ils n’auront pas trop de toute leur finesse et de toutes leurs forces, pour se garantir de leurs ennemis.

24

Chapitre III.

Les ennemis du Bothrops.

Inimicitias ponam inter te et mulierem, et semen tuum et semen illius ; ipsa conteret caput tuum et tu insidiaberis calcaneo ejus.

Genèse III, 15.

Ecce dedi vobis potestatem calcandi supra serpentes.

S. Luc X, 19.

A

et hargneux par nature, se précipitant sur tout ce qui passe à portée de sa détente meurtrière, aussi bien sur l’homme que sur les animaux, le bothrops voit un ennemi, sinon une proie, dans chaque être vivant. Tous le lui rendent mesure pour mesure. La plupart en ont peur ; quelques-uns le bravent. Ses victimes — nous l’avons vu pour le manicou — l’assaillent parfois. Certains oiseaux, surtout lorsqu’ils sont attaqués près de leurs nids, se défendent vaillamment ; jusqu’au rat, son gibier par excellence, qui lui fait souvent de cruelles morsures. Les fourmis les dévorent quand ils muent. « Les cochons aussi les mangent », dit le P. Labat. Il s’agit des cochons sauvages, espèce aujourd’hui disparue et qui GRESSIF

25

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

sont «tout différents de ceux que nous avons en France » écrit un des premiers voyageurs. « Ils sont plus courts d’un bon tiers, ont la hure plus grosse; mais ils ont peu de lard et leur peau, principalement celle des vieux mâles, est épaisse d’un bon pouce. Leurs oreilles sont courtes ; ils n' ont presque point de queue et ils portent leur nombril sur leur dos. On en voit de tout noirs et d’autres qui ont des taches blanches. Leur grognement est beaucoup plus effroyable que celui des pourceaux domestiques. On les nomme lavaris. Cette venaison est difficile à prendre, à cause que ce sanglier ayant un évent sur le dos, par lequel il respire et rafraîchit ses poumons, il est presque infatigable à la course et s’il est contraint de s’arrêter et qu’il soit poursuivi des chiens, comme il est armé de deux horribles dents bouclées comme des cornes de béliers et tranchantes, il déchire tous ceux qui ont l’assurance de l’approcher » Les iavaris, hélas! n’ont pu débarrasser la Martinique des bothrops, comme certains cochons dont parle Aelien, qui purgèrent la Campanie « d’une espèce de serpents très dangereux ».

Les bothrops sont ennemis les uns des autres. Nous les avons vus se battre et se dévorer pendant le rut des femelles ; ils s’entre-mangent aussi pour posséder une proie, pour être seuls maîtres d’un terrain de chasse giboyeux.

Mais l’ennemi inné du bothrops serait, suivant une tradition — nous n’osons dire une observation — la couleuvre indigène ; la couresse.

Il y en avait jadis trois espèces. La petite couleuvre grise, au ventre gris blanc ou dont la robe verte s’agrémente, sur toute la longueur du dos, de deux stries longitudinales, blanches ou jaunes. Elle dépasse rarement 90 centimètres et n’est pas beaucoup plus grosse que le pouce. Aussi timide que peu dangereuse, « dès qu elle aperçoit une personne, elle s’enfuit avec diligence, ce qui est cause qu’on les appelle courreresses » au dire de Rochefort, dans son Histoire Naturelle et Morale des Iles Antilles de F Amérique.

C’est la seule qui existe actuellement à la Martinique.

Les deux autres espèces, nous semblent être de véritables boas, d’après les descriptions qu’en ont laissées les PP. du Tertre et Labat. « Les unes, dont la peau de dessus le dos est toute marquetée de noir et de jaune, ont quelquefois cinq ou six pieds de longueur et, quoique l’agréable variété de leur peau récrée la vue, elles ont un regard affreux qui fait rebrousser chemin aux plus hardis. Les autres sont toutes noires, beaucoup plus grosses et plus longues que les précédentes. Il s’en voit de neuf à dix pieds et de la grosseur du bras et de la cuisse. Mais, quelque prodigieuses 26

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

qu’elles soient, elles n’ont aucun venin et même plusieurs habitants en ayant sur la couverture de leurs maisons, qui est faite le plus souvent de feuilles de palme ou de cannes de sucre, ils ne les chassent pas, à cause qu elles dénichent et dévorent tous les rats et font la guerre aux serpents. Mais il faut tout dire, elles font aussi la guerre aux poules qu elles suffoquent si elles ne sont pas assez puissantes pour les engloutir. Toutes ces couleuvres ont la tête ronde et longue comme celles des anguilles, ce à quoi on les distingue aisément du serpent qui l’a plate et triangulaire. Elles n’ont point de crocs comme les vipères, mais seulement des dents assez longues, fortes et aiguës. Cependant elles ne mâchent pas ce qu’elles avalent, elles ne font que le sucer et l’engloutissent tout entier ».

Ces couleuvres monstrueuses durent être pour les bothrops des adversaires redoutables ; chassant le même gibier, ils devaient se rencontrer à l’affût et se livrer des batailles homériques. D’après le P. Labat, les combattants « ne viseraient à autre chose, qu’à se prendre la tête l’un l’autre ; car celui qui peut gober ou engloutir la tête de son ennemi, l’étouffe dans le moment et achève de l’avaler en le suçant. Il arrive souvent, que le serpent donne, quelque coup de croc à la couleuvre qui va aussitôt se frotter à une herbe qu’on appelle la malnommée, herbe fine, pointue, assez douce au toucher, mais fort âpre au goût : on en trouve partout. Cet attouchement la guérit et la fait revenir sur le champ au combat ». Le duel finirait par un festin. Il est à présumer que ces couleuvres, malgré leur taille, n' étaient pas toujours les mangeuses, car l’espèce a complètement disparu de la Martinique, alors que l’on y trouve encore des bothrops.

Le même antagonisme existerait entre les petites couleuvres grises ou vertes et les bothrops. La rencontre aurait heu au bord d’une rivière. La couresse happerait le serpent et l’entraînerait sous l’eau. Selon Moreau de Jonnès, qui, au XIXe siècle, prolonge la tradition du P. Labat, la couleuvre cesserait un instant de combattre, pour aller se rouler sur des herbes qui guérissent ses blessures ; il indique même le nom botanique de la malnommée : l’euphorbia hirta ou pilulifera. Une tradition similaire existe à Sainte-Lucie.

Dans la Notice déjà citée, Beaucé affirme que « les couresses tuent les serpents en les frappant sur la tête. Pendant ce combat à outrance, où la victoire semblerait devoir rester au serpent, chaque fois que la couresse est mordue, elle se roule sur des feuilles de coton ou de pied-poule et revient à la charge jusqu’à ce que son ennemi succombe. C’est alors qu elle le hume en commençant par la tête ».

27

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

Malgré la protection, le véritable respect, que cette croyance a valu à la couresse — c’est presqu’un animal tabou — pourquoi trouve-t-on aujourd hui à la Martinique environ trente bothrops pour une couresse? Il serait vraiment singulier que le champ de bataille restât au vaincu. Disons tout net que nous pensons que la couresse, loin de manger le serpent, fait plutôt partie de son menu.

Pour la première fois, au milieu du XIXe siècle, un expérimentateur s’avisa de contrôler toutes les assertions gratuites des voyageurs d' antan.

Il mit en présence deux couleuvres des plus fortes qu’il pût trouver — elles avaient deux pieds et demi — et un bothrops d’un peu plus de cinq pieds. La première fois c’était dans une cage : « les couleuvres, dans une attitude qui exprimait la frayeur, fuyaient au plus haut de la cage, s' y blottissaient et se tenaient aussi loin que possible du serpent qui, impassible, semblait ne pas les voir. La deuxième fois, on les parqua ensemble dans une savane. Toujours les couresses s’éloignaient et chaque fois qu’on les contraignait à passer près du serpent, si celui-ci faisait mine de s’élancer, les couleuvres accéléraient leur fuite. Enfin on les laissa plusieurs jours dans la même cage où ils vécurent en parfaite intelligence». Le bothrops n’aurait pas été gavé de rats, nous sommes presque sûr qu’on aurait retrouvé les deux couresses dans son estomac.

On trouve à Sainte-Lucie et à la Dominique, des couleuvres beaucoup plus grosses que la couresse de la Martinique, rappelant par leur taille celles qui ont été décrites par les voyageurs anciens : ce sont les Clibros. On les appelle aussi « têtes de chien » parce qu’elles ont la tête grosse et courte et qu elles sont toujours disposées à mordre « ainsi que les mâtins qui gardent une basse-cour », pour employer la métaphore du P. Labat.

Ces clibros seraient des ennemis acharnés du bothrops, si on en croit une expérience du lieutenant Tyler, que nous extrayons des Proceedings of the Zoological Society, Londres 1849. Voici d’abord la description du clibro en style herpétologique. Le clibro, Brachyruton plumbeum, Opisloglyphe, Coluber Constrictor, a cinq à six pieds de long et trois à quatre pouces de grosseur, deux cent trente-six plaques abdominales et soixante-douze souscaudales. Il a une couleur d’acier, le ventre blanc. Sa tête est couverte de larges écailles, son œil bleu terne. Il a quatre dents à la mâchoire supérieure, deux à l’inférieure. Il se nourrit de grenouilles, de lézards, d’anohs, de petites couleuvres, d’oiseaux, de volailles et, à Sainte-Lucie, il mange les bothrops lancéolés. Le venin de ce dernier, dit le lieutenant Tyler, n a aucun effet sur le clibro. « J’ai vu des clibros, mordus impunément par le bothrops, ne 28

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

pas discontinuer de l’avaler ; car le clibro ne tue jamais d’avance sa proie, il l’avale vivante. J’ai retiré de son ventre des couleuvres ainsi avalées vivantes et qui continuaient très bien de vivre après. « Ayant placé dans un tonneau un clibro de même taille qu’un bothrops, quoique d’un diamètre deux fois moindre, le clibro saisit le bothrops par le milieu du corps et l’enroula autour de lui. Le bothrops le mordit jusqu’au sang.

Ils s’arrêtèrent quelques instants. Le clibro, cachant sa tête sous son corps, se glissa jusqu’auprès de la tête du bothrops, puis se précipita dessus, la saisit dans sa gueule et commença ainsi la déglutition de son ennemi, opération qui dura trois heures. On m’a dit que le clibro, blessé par le bothrops, allait se frotter sur certaines herbes. J’ai plusieurs fois constaté qu’il ne prenait pas toujours cette précaution ».

Une expérience aussi concluante devait décider les autorités martiniquaises à introduire le clibro dans notre colonie des Antilles. Avant d’en commander un stock important, le contre-amiral Vaillant, alors gouverneur, fit venir de Sainte-Lucie deux forts clibros. On les mit dans une cage avec un bothrops lancéolé qui avait à peu près les mêmes dimensions et la population de Saint-Pierre fut conviée à ce spectacle, pour le rendre plus authentique. Clibros et bothrops parurent vivre d’abord en excellente intelligence.

Lové et comme indifférent, le bothrops lancéolé, tapi au fond de la cage, surveillait pourtant attentivement les moindres mouvements de ses adversaires qui, très agiles, grimpaient aux parois de la cage. Poussé contre le bothrops pour l’exciter, l’un des clibros fut mordu jusqu’au sang. La morsure n’eut pas de suite fâcheuse, hâtons-nous de le dire. L’expérience du lieutenant Tyler ne se trouvait confirmée qu’en partie, hélas! Laissés ensuite dans la même cage pendant plusieurs jours, le bothrops et les clibros ne se firent aucun mal et menèrent une véritable vie de famille. Tous les détails de cette décevante expérience sont relatés dans la France d’Outremer du mois de mars 1853. Inutile d’ajouter que l’introduction du clibro à la Martinique se borna à ces deux spécimens. Ceux qu’on comptait importer, sont restés dans les bois et les savanes de Sainte-Lucie, où, d’ailleurs, il y a plus de bothrops qu’à la Martinique.

Voici enfin un ennemi sérieux du bothrops : le Serpentaire, volatile bizarre qui tient de la buse et de l’échassier, à la tête huppée et dont le cou s’adorne d’une fraise de plumes. Ses longues pattes écailleuses se terminent par des serres puissantes. L’amiral de Mackau en introduisit un couple à la Martinique en 1825.

29

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

On les avait déposés au jardin zoologique de Saint-Pierre, dit un contemporain, le docteur Guyon, et là, « j’ai été souvent témoin de la manière dont le serpentaire se défait du bothrops. Par des coups de pattes lancés perpendiculairement sur la tête, avec une précision et une vigueur incroyables, il a bientôt étourdi son adversaire ; après quoi, tandis que d’une patte il l’assujettit sur le sol en le serrant avec force, le saisissant avec le bec derrière la nuque, par un mouvement rapide, il lui luxe les vertèbres. Rien n’est beau comme l’animal lorsque, apercevant le serpent, son œil s’anime, brille et que tout son corps frémit ».

La malchance voulut que la femelle mourût quelque temps après son arrivée à Saint-Pierre. La difficulté des relations entre le Cap, dont le serpentaire est originaire, et la Martinique, ne permit malheureusement pas de donner suite à une acclimatation qui aurait, peut-être à tout jamais, débarrassé le pays du bothrops.

On devait, une vingtaine d’années plus tard, et à l’instigation de MM. de Chastaigné et Pécoul, y introduire un ennemi sérieux du bothrops : la mangouste de l’Inde.

Les auteurs anciens donnent sur cette bête des détails d’une « fantaisie » absolument ahurissante. Hérodote — pourvu qu’il n’ait pas écrit l’histoire comme l’histoire naturelle ! — fait de la mangouste d’Egypte, proche parente de la mangouste indienne, une sorte d’animal fabuleux qui s’introduit dans la gueule des crocodiles endormis et dévore leurs entrailles.

Aristote, la dit si timide, qu’elle appelle à son secours d’autres mangoustes quand elle doit combattre un gros serpent. C’est pourquoi, d’après Horapollon, la mangouste, en écriture hiéroglyphique, désigne un homme pusillanime qui ne peut se passer de l’aide de ses semblables. Aélien, au contraire, prétend que la mangouste attaque seule le serpent. Mais... spectatum admissi risum teneatis, elle prendrait, au préalable, la précaution de se rouler dans la fange qu’elle laisse sécher au soleil. C’est cuirassée de boue qu elle oserait affronter le serpent, en ayant soin de protéger son museau avec sa queue repliée.

Le premier enfin, Jean-Hugues Linschot, dans sa Navigation des Indes, semble parler, de visu, de ce « petit quadrupède qui ressemble à un furet.

Il y a une inimitié naturelle entre cette bête et le serpent, lequel elle attaque soudain qu elle le voit et le mange ».

La comparaison du navigateur hollandais est exacte. Comme le furet, la mangouste a le corps allongé, gracile. Tous deux ont le museau pointu, de toutes petites oreilles, une queue opulente. Mais la mangouste a le poil 30

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

plus long, plus soyeux, gris moucheté avec des reflets roux ; son nez et ses yeux sont roses et son cri, quand elle se bat avec les serpents, rappelle celui d’un chat en colère.

La mangouste s’apprivoise facilement. Kempfer qui en avait une, dit, dans ses Amœnitates Exoticae, qu’elle le suivait partout comme un petit chien... instar caniculi. Cette bête « qu’on appelle sauvage » est, en effet, mille fois plus sociable que bien des animaux domestiques. Celles qu’on introduisit à la Martinique et qui s’acclimatèrent parfaitement, quittaient souvent les bois, où nous les verrons aux prises avec les bothrops, pour Venir chez les hommes. Il y a seulement une quarantaine d’années, la plupart des familles créoles habitant la campagne, avaient leur mangouste domestique.

Quand une mangouste adopte une maison, il ne faut pas l’enfermer. enfants ne la maltraitent pas, si les chiens la laissent tranquille, elle ne Si les s’en ira pas ; car il n’existe pas au monde d’animal plus curieux et le nombre des objets qu’une mangouste peut découvrir dans une maison est incalculable.

Elle est plus prisonnière de sa curiosité — une curiosité inlassable, maladive, ancestrale — que si on la mettait en cage. En signe de bienvenue, il suffit de lui donner quelques petits morceaux de viande crue, un peu de jaune d’œuf et vingt-quatre heures ne se sont pas écoulées, qu’elle se frôle aux jambes du maître, câline comme un chat. Elle grimpe sur ses genoux, brûle son museau à sa cigarette, essaie d’entrer dans ses poches, intriguée par le tic-tac de sa montre. Descend-elle, c’est pour courir, affairée, d’une pièce dans l’autre.

Il faut qu’elle se rende compte de tout ; elle monte sur les tables, sur les sièges, sur les lits, fourre son nez rose dans les couvertures, perpétuellement agitée, l’oreille aux aguets, tressautant au moindre bruit, au plus léger frôlement. On reste toute une journée parfois sans la voir. Elle est dans le jardin. Elle inspecte les haies, les « lisières », fouille les carrés de gombos, de choux caraïbes. Le soir, on la voit revenir à l’heure du dîner, le poil trempé par la dernière averse, les babines légèrement teintées de rouge.

Pendant son absence, elle a peut-être tué deux ou trois bothrops.

Les mangoustes, du point de vue humain, n’ont qu’un défaut, elles aiment le sang des poulets et, de temps en temps, elles en saignent un. Mais que sont six ou dix poulets quand on songe au nombre considérable de bothrops qu elles tuent, à la sécurité dont elles entourent les maisons, leur seule présence suffisant à en éloigner les serpents.

Malheureusement, les petits cultivateurs nègres, pour qui l’élevage des volailles est une source de profit, ne l’entendaient pas ainsi. Ils se mirent 31

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

à tendre des pièges aux mangoustes et à les détruire. D’autre part, le nombre des bothrops ayant sensiblement diminué, les mangoustes qui éprouvaient plus de difficulté à se ravitailler, mangèrent des crapauds. Elles contractèrent une épizootie qui les décima. Maintenant elles se font de plus en plus rares, et comme les bothrops deviennent plus nombreux, on pense aujourd’hui, comme il y a un peu plus de cent ans, à faire venir des Indes des couples de mangoustes.

Concevez-vous la surprise et l’émotion des bothrops quand, à cette époque, ils virent pour la première fois cette petite boule de poils gris qui les attaquait résolument ; eux devant qui les chevaux, les bœufs, fuyaient épouvantés. La nouvelle de l’arrivée de cet ennemi inconnu, à peine gros comme un chat, dut se répandre rapidement chez les serpents. De la pointe des Salines à la Grand’Rivière et des anses d’Arlets à la presqu’île de la Caravelle, toute la gent bothrops fut sur ses gardes. Les premières journées des mangoustes se passèrent en reconnaissances, en brèves escarmouches pour déloger les rats des trous qu’elles convoitaient. Les mangoustes qui avaient flairé partout l’odeur appétissante du serpent, considéraient le pays comme un merveilleux terrain de chasse et voulaient s’y installer à demeure. A peine remises des fatigues du voyage, et après s’être fait les dents sur quelques couresses, les mangoustes déclarèrent la guerre aux bothrops...

C’est la fine pointe du jour. Le pipiri, l’oiseau du matin des tropiques, s’égosille au faîte d’un filao. Une de nos mangoustes est devant son trou.

Elle s’étire, se secoue comme un chien, lustre sa fourrure, se gratte avec ses pattes de derrière, puis avec ses pattes de devant, fait un bond pour éprouver la souplesse de ses muscles et part à l’aventure. Le nez à terre, elle flaire sur le sol les traces du serpent, s’arrête, semble hésiter ; a-t-elle perdu la piste?

La voici qui prend une autre direction. Cette fois elle est sur la bonne voie.

Le serpent ne doit pas être loin, car tout le corps de la mangouste frémit, ses yeux deviennent rouges, son poil se hérisse — on la dirait deux fois plus grosse — sa queue se gonfle comme un rince-bouteilles et de temps en temps elle pousse son cri de guerre, Fououit... ! Fououit... ! Est-ce une feinte? Elle passe sans le voir à côté d’un bothrops tapi contre le tronc d’un gommier dont il a la couleur grise. Le bothrops se détend sur elle ; mais la mangouste a fait un saut de côté et le serpent ne s’est pas encore relové qu elle se précipite sur lui et le mord derrière la tête, à l’endroit où le cou se rétrécit. Le bothrops fouette le sol de sa queue, se débat, secoue la mangouste 32

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

dans tous les sens. Elle a beau se cramponner, enfoncer ses griffes dans la chair du serpent, serrer sur la nuque du reptile l’étau de ses dents, le bothrops, dont la douleur décuple les forces, l’envoie rouler, étourdie, pantelante, à dix mètres du champ clos.

La mangouste s’ébroue, reprend ses esprits et retourne attaquer le bothrops qui s’est placé dans sa position de garde. Elle tourne autour de lui, de cette démarche saccadée, sautillante, un peu ridicule mais si bien équilibrée, qu’elle peut sauter dans n’importe quelle direction, avantage précieux quand on a affaire au serpent. Dans cette ronde de mort, le bothrops se déplace d’un mouvement imperceptible et présente toujours sa tête aplatie, aux yeux haineux. La mangouste tourne toujours, elle irrite le serpent de ses fououit ! fououit ! Celui-ci prend son temps, darde ses crochets, vise bien son coup et s’élance sur la mangouste qui, à cet instant précis, fait un formidable saut en hauteur. Le bothrops passe en dessous ; son corps en tombant produit un bruit mou. Au même moment, la mangouste se précipite sur lui et le mord de nouveau derrière la tête. Le serpent perd son sang, il essaie encore, par des soubresauts, de se débarrasser de la mangouste ; mais affaibli par l' hémorragie, ses réactions sont de moins en moins violentes et, bien qu’il ne bouge plus, la mangouste, toujours agrippée au dos du reptile, fouille de ses dents pointues la plaie béante du cou.

Quand la mangouste a des petits, elle traîne jusqu’à son trou la dépouille du bothrops pour en régaler sa progéniture. Nous avons rarement vu spectacle plus attendrissant que celui de la courageuse petite bête, charriant dans sa gueule un adversaire bien plus gros qu’elle et dont la queue la dépasse de dix longueurs. Notre mangouste se contentera donc de boire le sang du bothrops, de ronger quelques petits morceaux de chair autour de la plaie qu’elle a faite, abandonnant aux fourmis le cadavre du serpent. En deux ou trois heures, il n’en restera plus que le crâne et le chapelet des vertèbres, nettoyés comme une pièce d' anatomie.

C’était naguère un passe-temps pour les colons que de reproduire « en chambre » le combat que nous venons de voir se dérouler dans les bois.

Pour une « gourde » — environ cinq francs — un nègre apportait un bothrops vivant qu’on enfermait avec la mangouste dans une pièce vide de meubles.

Par des ouvertures pratiquées dans les cloisons, par les « jalousies » on pouvait suivre les phases de la lutte. La tactique de la mangouste est toujours la même.

Elle tourne autour du serpent, le harcèle dans les encognures où il se love, l’excède de ses fououit, fououit, mais ne l’attaque jamais la première. C est 33

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

seulement quand, par un saut en hauteur ou de côté, elle a évité la détente du serpent et sans lui laisser le temps de se remettre dans sa position de garde, qu elle fond sur lui et lé mord derrière la tête.

Une tradition créole dit que la mangouste est insensible à la piqûre du bothrops. La preuve du contraire est facile à faire. Les voyageurs anciens assurent que quand la mangouste est blessée par le serpent, elle se frotte sur certaines herbes — Kempfer parle de l’ophiorhiza mungo — qui la guérissent.

C’est encore faux. Dans la lutte entre la mangouste et le bothrops, tout est question de coup d’œil, de souplesse. Les mangoustes évitent le plus souvent les crocs du serpent. Mais si elles sont piquées, comme il arrive quand les femelles sont prêtes à mettre bas et qu elles sont moins agiles, elles se trament, engourdies par un froid mortel, et en quelques minutes elles expirent.

Mais le véritable ennemi du bothrops, c’est le colon martiniquais.

C’est d’abord cette poignée de braves que nous avons vu arriver de SaintChristophe, sous la conduite de d’Esnambuc. Plus tard, ce sont les gentilshommes, partis de tous les coins de France, pour «faire des Estabhssements aux Isles de l’Amérique ». Ce sont les « engagés », véritables esclaves blancs qui, pour payer leur transport, servaient leurs maîtres pendant trois ans, comme les nègres devaient le faire jusqu’en 1848. Bravant la fatigue, les fièvres, sans cesse harcelés par les Caraïbes, tels sont ces colons martiniquais qui, du jour où ils débarquèrent dans l’île et jusqu’à ces dernières années, avec un courage, une ténacité infatigables, firent aux bothrops une guerre sans merci.

Quelques chiffres pris au hasard dans de vieilles correspondances, dans des « états » anciens, donneront une idée du nombre des serpents qu’ils détruisirent. « Lors du nettoyage d’une savane, écrit M. Pécoul, j’ai fait tuer trois cents serpents ». M. Brière de l’Isle raconte à un de ses amis « qu’il y a une semaine ses nègres ont tué vingt-deux « vipères » dans un seul carré de cannes». Le docteur Guyon qui, de 1818 à 1823,a tenu registre des bothrops tués sur les terrains militaires du Fort-Bourbon — une douzaine d’hectares tout au plus — en compte deux mille trois cent quatre vingt-treize, vipereaux compris. A cette époque, le général Donzelot allouait une prime de cinquante centimes par tête de serpent. On en apportait sept cents par trimestre, en moyenne, pour les seuls environs de Fort-Royal. Et il y en avait bien davantage sur les hauteurs de Saint-Pierre. M. Lalaurette, qui gérait 34

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

une habitation dans ces parages, écrit : « Nous avons tué six cents serpents dans une savane d’environ quarante « carrés », pendant la première année de ma gestion. L’année suivante, et dans la même savane, nous en avons encore tué trois cents ». Dans le tout petit enclos du presbytère du Fort, M. l’abbé Gobert en a détruit vingt-neuf en sept ans. Et nous pourrions en dire autant de toutes les paroisses de l’île : Trinité, Saint-Esprit, Macouba, Marigot, Trou-au-Chat, Diamant, Marin et à Sainte-Anne où, « dans les bois qui couvrent le rivage, il y a une pépinière de serpents, dont nous faisons grand carnage », selon M. Cornette de Saint-Cyr. Le Grand Dictionnaire des Sciences Naturelles, sur des renseignements fournis par MM. Bonodet et Moreau de Jonnes, fixe à soixante en moyenne, le nombre des serpents tués par hectare de cannes.

Voici comment se pratiquait cette destruction. Au moment de la récolte, on commençait à couper la « pièce » de cannes par les bords. Les serpents s’enfuyaient de quelques mètres. Quand on arrivait à eux, ils se sauvaient un peu plus loin et ainsi de suite jusqu’à un bouquet de cannes central, qu on laissait intact et où on mettait le feu. Tous les nègres de la plantation assistaient à cet autodafé de serpents et tuaient, à l’aide de longues «gaules» de bambou, ceux qui essayaient de s’échapper du brasier.

Lorsqu’on ne ménageait pas ce bouquet central de cannes, négresses et nègres alternés travaillaient à la coupe sur une même file sous l’œil et le fouet, hélas ! du « Commandeur » noir. Sa voix, qui se mêlait au bruit soyeux des cannes tombant sous les coutelas, rappelait de temps en temps aux esclaves de prendre garde aux serpents. — « Neg ! Tention sèpent ! Pouen gad sèpent !» Dès qu’on en apercevait un, tout « l’atelier » reculait. Il fallait voir alors, racontent les contemporains, la fuite éperdue des négresses et entendre leurs clameurs d’épouvante. C’est pour les contenir, qu’on plaçait généralement une négresse entre deux nègres. L’émotion passée, le plus hardi des travailleurs s’avançait et tuait le serpent. Trop souvent, malheureusement, le noir, occupé à sa tâche, ne voyait pas le bothrops qui se détendait sur lui. Avec une résignation voisine du fatalisme, il s’écriait : « Moin pris »! Je suis pris ! et il sortait des rangs. Ses voisins ne se dérangeaient parfois même pas pour le secourir et tandis que sa femme ou son fils le soutenait pour gagner sa case, le travail reprenait comme si rien ne s’était passé.

Les cannes tombaient toujours avec un bruit de soie froissée. — « Neg tention sèpent ! Pouen gad sèpent ! » claironnait la voix du commandeur.

35

Negre domestique aux Isles de l'Amerique coupans des Cannes à sucre

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

On comprend que le bothrops ait été une véritable obsession pour les nègres de la Martinique. A la veillée, dans les cases, c’était un sujet fréquent de conversations. Dans les innombrables contes créoles qui forment tout un folklore, où transparaît l’âme sauvage de l’Africain, tamisée par la douceur créole — folklore empreint d’un charme naïf et que nous espérons défricher quelque jour — le serpent joue le rôle d’un être malicieux, d’un « esprit » dont il faut se garder d’encourir la colère. C’est toujours « Compè Sèpent ».

Il n’y aurait sûrement pas un grand effort à faire, pour persuader aux nègres martiniquais, que le diable est encore enfermé sous la peau bigarrée du bothrops.

Cette hantise du serpent était la même chez le blanc. Marchait-il dans les champs pour inspecter ses cultures, chassait-il ? ses yeux étaient sans cesse aux aguets. Au moindre frôlement, ce n’était pas au vent, ce n' était pas à l’insecte qu’il pensait, mais au serpent. Quand il rentrait chez lui, à la tombée du jour, et que son cheval faisait un écart, il savait qu’un bothrops traversait la route. La nuit il se faisait précéder d’un flambeau de résine et s’armait d’un bâton pour fouiller les halliers. Il inspectait soigneusement sa maison avant de se coucher. Bref, le bothrops inquiétait tout travail comme tout plaisir. Si forte est l’impression qu’il laisse, de nos jours encore dans le souvenir, qu’en France même, et pendant des années, le Martiniquais qui se promène en forêt, se tient instinctivement sur ses gardes. Il lui faut réfléchir pour ne pas sauter en arrière au moindre bruit suspect, se croyant toujours sous la menace de la détente meurtrière du bothrops.

Dans cette lutte à mort entre l' homme et le bothrops, comment se comporte le bothrops? Jadis, quand il poursuivait les rats jusque dans l’intérieur des maisons, dans les « cases à bagasse » — résidu des cannes pressées dont on se sert comme combustible — le bothrops, paraît-il, se faisait timide, comme pour dissimuler sa présence. De fait, on cite peu d’accidents survenus dans les maisons.

Dans les bois, son attitude est tout autre. Quand son odeur — une odeur fade de poisson, sensible aux seuls odorats très subtils — quand son odeur ne trahit pas sa présence, le bothrops qui, répétons-le, est difficilement visible, se détend sur vous quand vous passez près de lui.

Toutefois, poursuit-il l’homme, comme l’ont prétendu le P. Dutertre et l’auteur de l’article « Trigonocéphale » dans le Grand Dictionnaire des Sciences Naturelles ? Eh bien, non ! L’expérience de nombreux colons martiniquais est exprimée dans cette lettre de M. Duchâtel que nous extrayons du journal 37

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

Les Antilles. « J’ai souvent attaqué des serpents, dans les trous mêmes où ils s’étaient réfugiés ; tourmentés, ils mordaient la « gaule », ils étaient visiblement dans une grande fureur, ils allongeaient sous la gorge une sorte de poche, ce que les nègres appellent « tirer la mangeole ». Jamais l’un d’eux ne m’a poursuivi. Dans les bois, lorsqu’ils cherchent à fuir, je les ai poursuivis de très près, je les ai vus s’arrêter, se mettre en garde, mais jamais aucun n’a couru sur moi ; le pays ne serait point habitable, s’il en était autrement ».

En somme, le bothrops fuit l’homme, plutôt qu’il ne le recherche. Mais, ne croyez pas qu’il fuie comme un lâche. Sa progression, d’abord lente, sournoise, hésitante, entrecoupée d’arrêts et de mises en garde, s’accélère dès que la distance qui vous sépare de lui devient plus grande ; il dresse alors la tête, se hâte de plus en plus, jusqu’à ce qu’il ait atteint quelque hallier touffu.

C’est l’image de la plus savante, de la plus courageuse retraite.

Mais, si le serpent, serré de près, croit ne plus pouvoir se confier dans la fuite, il se love, dresse sa tête menaçante au-dessus de son lof et attend bravement. Il suffit alors qu’on dépose son chapeau ou sa veste au voisinage du bothrops, pour qu’il ne bouge plus, comme médusé. On a tout le temps d’aller chercher un fusil, pour lui mettre la tête en bouillie.

Somme toute, le bothrops est plutôt craintif. Son grand avantage, c’est d’être invisible. Mais dès qu’on l’aperçoit, son arrêt de mort est signé. « Serpent vu, serpent perdu » dit un proverbe créole. Aussi, avant 1848, les riches « habitants » se disputaient-ils aux criées d’esclaves, certains nègres qui reconnaissaient les serpents « au flairer ». Le P. Labat avait le bonheur de posséder un de ces nègres, qui l’accompagnait souvent dans ses déplacements. Un matin qu’il était dans les bois avec lui, le nègre qui marchait devant s’arrêta tout à coup et lui dit : « Mon Père, regardez à vos pieds, il y a ici près quelque serpent.

Je lui demandai où il était ; il me répondit, je ne sais pas, mais je le sens ; et, m’ayant fait tenir en repos, le visage tourné vers le lieu d’où lui était venue l’odeur, il me dit de sentir en retirant mon haleine. En effet, dans le moment je sentis une odeur fade et douceâtre. Je lui dis ce que je sentais. Il me répliqua c’est un serpent qui n’est pas loin d’ici et il doit être gros, car l’odeur qu’il exhale est bien forte et vous l’allez sentir encore davantage. En effet, il n’eut pas sitôt jeté quelques pierres vers l’endroit d’où venait l’odeur, que je la sentis plus vivement. C’était parce que le serpent s’était remué. Nous découvrîmes, un moment après, le serpent que nous avions senti et selon la coutume, nous le tuâmes. Cet animal avait environ six pieds de long et était gros comme le bas de la jambe ».

38

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

Les chiens aussi les « éventent « dit le P. du Tertre. Un botaniste du XVIIIe siècle, qui séjourna quelque temps à la Martinique, le P. Louis Feuillée, raconte qu’il a eu plus de cinquante fois la vie sauvée, au cours de ses herborisations, « grâce à son chien qui arrêtait les vipères à quinze pas ».

Dans cette lutte contre les bothrops où tous les moyens étaient bons — certains colons les pêchaient à la ligne comme de vulgaires poissons — les Martiniquais trouvaient dans les oiseaux un auxiliaire tout à fait imprévu.

Quand les oiseaux voient un serpent, dit le P. Labat, « ils volent autour de lui, ils crient comme des désespérés et si quelque personne passe auprès, bien loin de s’effaroucher ils viennent autour d’elle, ils s’approchent, ils crient et semblent demander du secours contre leur ennemi. On ne manque guère de leur rendre service en cette ocassion, en tuant le serpent. C’est un vrai plaisir de voir la joie de ces petits animaux, quand ils voient le serpent étendu par terre ; ils voltigent autour de lui, crient, s’approchent de ceux qui les ont délivrés de leur ennemi, comme s’ils voulaient les remercier. J’ai eu plusieurs fois ce divertissement ». Plus récemment, M. Louveau de Laguigneraye nous racontait qu’attiré un jour le long d’une haie par les cris d'un « sisi » il tua un petit serpent. Aussitôt, l’oiseau de voler sur une autre branche en continuant ses piaillements, nouveau serpent trouvé et tué pareillement. Le manège se renouvela sept fois.

C’est grâce à cette destruction continuelle, parachevée par les mangoustes, que la Martinique a pu être presque délivrée aujourd’hui des bothrops.

A part quelques « chasseurs de choux » — nègres qui vont dans les « grands bois » couper des palmistes nains dont le cœur, le chou palmiste, est un régal pour les gourmets — on entend assez rarement parler maintenant de personnes piquées par les bothrops.

Il n’en n’était pas de même autrefois. Nous avons dit qu'au XVIIIe siècle le nombre des morts causées par les piqûres du serpent était si élevé que le comte d’Ennery jugea prudent de le cacher pour ne pas « effrayer les esprits ».

Le docteur Guyon, arrivé à la Martinique en 1814, écrit, dans une thèse qui fait autorité : « La vipère fer de lance est une véritable calamité ; car il ne se passe pas de jour qu elle ne fasse de nombreuses victimes. Les blancs et les nègres qui succombent annuellement à sa morsure, donnent un chiffre assez élevé ».

Nous lisons dans une lettre de M. Auguste de Venancourt, datée de 39

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

1835 : « En l’espace de sept mois, j’ai, en ma qualité d’officier de l’état civil d’une petite commune, rédigé l’acte mortuaire de dix-huit personnes piquées par des serpents ». En 1849, le lieutenant Tyler fixe à environ deux cents le nombre des personnes piquées à Sainte-Lucie, dont la population, à cette époque, était de vingt mille habitants. Vers 1850, on estimait encore à deux ou trois par commune — il y en avait alors une trentaine à la Martinique — les morts causées annuellement par la piqûre du serpent.

Or, la proportion des décès étant d’environ seize ou vingt pour cent personnes piquées, on voit, à une date assez récente, le nombre, encore imposant, d’accidents causés par la piqûre du bothrops.

Chapitre IV.

L

Comment le Bothrops pique-t-il ?

moment qui intéresse le plus dans la vie du bothrops, c'est celui où il pique. Or, son attaque soudaine, rapide, l'émotion qu'on éprouve, même quand on se sait protégé par des bottes montantes ou des vêtements épais, ne permettent guère de l’observer de façon précise. Essayons autrement et moins dangereusement. Procurons-nous un bothrops vivant, enfermons-le dans une cage vitrée et, après l’avoir excité à travers la trappe au moyen d’un bâton, présentons-lui un rat. Il se détend aussitôt sur le rongeur. En même temps, sa gueule blanchâtre, hideuse, s’ouvre démesurément. Ses crochets venimeux, jusque-là repliés, E

41

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

se redressent, sortent, brillants comme des stylets fourbis à neuf, de la game muqueuse qui les renfermait et il les enfonce dans la chair de ranimai. Sa tête joue le rôle d'un marteau et sa mâchoire inférieure lui sert de point d’appui.

A mesure que les crochets pénètrent, le poison est refoulé dans le canal, traversant les crocs, par la contraction des muscles maxillaires. Il dégage alors ses crochets et va se relover dans un coin de la cage. Le tout n’a pas duré plus de trois secondes. L’injection est d’autant plus copieuse que le serpent est plus vigoureux et qu’il est plus en colère. Les chiens qui sont piqués au cours des expériences après irritation du bothrops, meurent bien plus vite que ceux qui sont piqués dans les bois, à l’improviste.

D’autres circonstances contribuent à rendre la piqûre plus dangereuse : le rut, l’état de gestation et le temps plus ou moins long depuis lequel le bothrops n’a pas piqué. Les nègres « preneurs » de serpents le savent bien qui font « voyer » le bothrops sur un objet quelconque, afin qu’il se décharge de son venin avant de le capturer — voyer est un terme créole qui signifie faire détendre le serpent.

Notons que l’ouverture elliptique — comme celle d’une aiguille à injections hypodermiques — par laquelle s’écoule le venin, n’est pas située à l’extrémité même du crochet, mais à un millimètre environ de sa pointe, ce qui facilite l’inoculation.

Le mécanisme de la piqûre, qui paraît aujourd’hui assez simple, a été longtemps une énigme. Jusqu’en 1666, on a cru que le venin des serpents avait son siège dans le fiel et que de là il montait aux gencives « par certains vaisseaux ». Les expériences de Rédi et de Charas commencèrent à éclairer la question d’un jour nouveau, bien que Charas fasse consister le venin dans les « esprits irrités» et que le liquide qui s’écoule des glandes, soit encore pour lui une « innocente salive ».

Nous avons choisi à dessein l’exemple du rat, pour styliser en quelque sorte la piqûre du bothrops. Mais, lorsqu’il s’agit de l’homme ou d’un animal au derme moins tendre que celui d’un rat, les choses ne se passent pas aussi facilement. A cause de la courbure de ses crocs, le serpent a souvent du mal à les dégager. L’effort qu’il fait déchire quelquefois la peau. Comme d’autre part, sous l’effet du saisissement, il est naturel de retirer le bras ou la jambe lorsqu’on se sent mordu, il arrive qu’on traîne le serpent pendant plusieurs mètres, avant qu’il puisse se libérer. Ses crocs enfoncés profondément se cassent parfois dans la plaie. Les crochets venimeux sont, en effet, fragiles comme du verre mince. Aussi, la Nature a doté les bothrops de crochets 42

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

dits « d’attente », qui sont des crocs implantés dans des alvéoles de la mâchoire supérieure et communiquant avec les glandes à venin, comme les crochets en exercice, tout à côté desquels ils sont placés.

On s’est longtemps demandé si le bothrops piquait à la fois avec ses crochets en exercice et ses crochets d’attente. Nous avons interrogé sur ce sujet, maints vieux nègres « panseurs » réputés. Ils ont été unanimes à nous répondre qu’ils n’avaient jamais vu « deux trous côte à côte » ; mais toujours deux ou plusieurs piqûres séparées par toute la largeur de la gueule du serpent. Il semble donc qu’au moment de piquer, le bothrops replie ses crochets d’attente. Dans l’expérience du rat nous n’avons également remarqué que deux trous par lesquels s’écoulaient de minces filets de sang. Ces ouvertures, espacées d’environ quatre centimètres, n’étaient pas placées sur une ligne horizontale, ce qui nous fait croire que le serpent incline légèrement la tête au moment de frapper. La distance qui sépare les piqûres varie, bien entendu, avec la taille du serpent. On nous a cité le cas d’une personne piquée en même temps à la face interne et à la face externe du mollet. Le bothrops encerclait toute la jambe dans sa gueule.

Parfois le serpent ne pique qu’avec un seul croc, soit parce que la position de sa victime ne lui permettait de faire usage que d’un seul crochet ; soit parce que son croc en exercice et son croc d’attente, étaient cassés d’un côté et que d’autres crochets, les crochets « de remplacement », n’étaient pas encore abouchés à la glande venimeuse. Ces crochets de remplacement, au nombre de trois ou quatre paires, sont fixés dans le tissu des gencives supérieures. Leur taille va en diminuant ; ceux qui se trouvent presque à l’entrée du gosier, ont à peine trois ou quatre millimètres.

Les crochets en exercice et les crochets d’attente, sont beaucoup plus grands. Celui qui fut à la fois l’Hérodote et le Pline des Antilles, le P. du Tertre, dit qu’ils sont « pour l’ordmaire longs d'un pouce ; j’en ai vu et apporté en France de longs comme la moitié de l’index ». La longueur du croc importe peu du reste. Même les crochets des petits serpents, qui ont environ un centimètre, sont bien assez grands pour pénétrer jusqu’au tissu cellulaire souscutané où l’absorption du venin a lieu aussi rapidement que si l’inoculation était faite dans un muscle. Ces venins sont de trois sortes, au dire du P. du Tertre « l’un un peu jaunâtre et épais comme de la gomme et c’est le moins dangereux, l’autre pareil à de l’eau un peu trouble et enfin un autre, clair comme de l’eau de roche et je crois que c’est le plus subtil et le plus dangereux ».

43

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

Généralement, le bothrops ne pique qu’une seule fois, souvent aussi il frappe à coups redoublés. M. de Lavillegégüe nous citait le cas d’un nègre de son « habitation » qu’une femelle, sur le point de mettre bas, avait piqué à sept reprises. Le serpent s’était enroulé autour de la jambe qui portait les traces de quatorze piqûres.

Dans les expériences faites sur les rats, lorsqu’on n’a pas irrité le bothrops au préalable, souvent ce dernier ne se précipite pas immédiatement sur l’animal ; on dirait qu’il prend son temps. Il peut ne pas injecter son venin à la première détente et faire plusieurs jets « à blanc ». Le même fait a été constaté maintes fois pour des personnes sur lesquelles des bothrops s étaient élancés, sans faire usage de leurs crocs.

Le bothrops ne peut-il piquer qu’en se détendant? Il n’en est rien.

Un simple détour de tête lui suffit pour enfoncer ses crochets venimeux.

C’est pourquoi, quand on veut prendre un bothrops vivant et qu’on l’a fixé au sol avec une branche fourchue, il faut toujours le saisir très près de la tête.

Un nègre de la Rivière Duclos, preneur de serpents émérite et doué d’un rare esprit d’observation, nous a fait remarquer que le bothrops se détend toujours dans le même sens, selon la concavité de son lof et qu’il se love régulièrement de droite à gauche. Cette habitude provoque à la longue une sorte de contracture musculaire qui rend extrêmement difficile l’enroulement du serpent en sens inverse, quand mort, on veut le garder dans un bocal rempli d’alcool. Les « apothicaires » qui faisaient jadis commerce de bothrops en conserve, avaient déjà observé cette singularité, qui ne s’explique pas anatomiquement.

Femme Caraïbe des Isles Antilles Rocouée et parée tres magnifiquement, portant un perroquet sur la main droiete, et on panier Caraibe dans la gauche,

Chapitre V.

Les effets de la piqûre du Bothrops.

une douleur vive, fulgurante, annonce au blessé vient de lui arriver. Cette douleur est beauqui l’accident coup plus aiguë que celle que produirait une épine ou un objet coupant. Mead a pu piquer des chiens avec un crochet en fer semblable au croc du serpent, sans leur arracher un cri, tandis que ces mêmes animaux, piqués avec une véritable dent venimeuse, poussaient des hurlements.

La douleur fait vite place à la peur. Les personnes qui viennent d’être piquées et qui connaissent les dangers qu elles courent, sont froides, tremblantes, leurs yeux sont hagards, leurs traits décomposés. Le pouls est petit, concentré la respiration courte, haletante. Certaines s’évanouissent à côté du bothrops qui les a frappées, ce qui permet au serpent de renouveler ses piqûres.

G

ÉNÉRALEMENT

46

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

La plupart du temps, ces accidents se dissipent dès que le blessé est pansé et qu’il se croit à l’abri du danger ; mais parfois la peur peut provoquer la mort. Blot cite le cas d’un nègre qui accompagnait M. Fonteny Gachet à la chasse sur les terres du Lorrain et qui tomba tout d’un coup en poussant un cri épouvantable. Quand on s’approcha de lui pour le relever, il n’était déjà plus. Le reptile qu’on aperçut aussitôt se sauvant dans les broussailles, indiqua quelle pouvait être la cause de cet accident. L'examen du corps ne fit, paraît-il, découvrir que deux légères piqûres au niveau du tendon d’Achille, sans la moindre trace de gonflement. Une autre fois, c’est une négresse qui, en sarclant des caféiers sur l’habitation de son maître, aperçoit un énorme bothrops. Saisie d’épouvante, elle fait un saut en arrière pour l’éviter ; mais le reptile s’élance aussitôt sur cette femme et l’atteint au sein droit. La malheureuse profère un seul cri en tombant ; des nègres s'empressent de la transporter à la maison de son maître, distante d’une vingtaine de pas ; elle expire dans le trajet.

La mort dans ces deux cas semble plus due à la peur qu’à l’action du venin. L’absorption la plus rapide, à notre connaissance, est celle que signale le docteur Guyon : une piqûre à l’œil qui fut mortelle en moins d’un quart d’heure. Mais ces cas de mort subite, ou presque, sont extrêmement rares.

Entre autres effets de la peur, signalons des ictères instantanés très visibles chez le blanc, et qui, pour être moins apparents chez les nègres, n’échappent pourtant pas à un examen des sclérotiques.

La frayeur passée, les accidents locaux se déclarent. Le bras ou la jambe, qui sont les parties du corps le plus souvent atteintes, se refroidissent, prennent une teinte livide, enflent ; la sensibilité s’émousse, disparaît parfois complètement. Dans les circonstances les moins graves, lorsque les vêtements ont retenu la majeure partie du venin ou que le bothrops, qui s’élance à tort et à travers sur tout ce qui passe à sa portée, se trouvait à court de venin, l’enflure, parfois considérable, se résout en cinq ou six jours ; le blessé entre en convalescence et au bout d'une semaine il peut reprendre son travail.

Malheureusement les choses ne se passent pas toujours aussi bénignement. La tuméfaction, d’abord bornée aux environs des piqûres, s’étend de proche en proche au-dessus comme au-dessous. Malgré une fièvre parfois très élevée, le malade se plaint d’une sensation de froid intense, de douleurs à l’épigastre ; il a des nausées suivies de vomissements, des vertiges, des syncopes, ses idées se brouillent et il tombe dans une somnolence voisine du coma.

47

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

Le P. Labat qui, en 1694, eut l’occasion de confesser un nègre piqué par un serpent, dit que le pauvre garçon lui « faisait compassion ». Il avait été mordu à trois doigts au-dessus de la cheville par un serpent qu’on lui fit voir. On espérait que le serpent étant mort, le venin agirait avec moins de force. « J’en demandai la raison qu’on ne put me dire. J’appris seulement qu’ils prétendaient avoir une longue expérience de ce qu'ils me disaient, fondée sur la sympathie. Le blessé était couché sur une planche au milieu de sa case, entre deux feux, couvert de quelques blanchets, c’est-à-dire de gros draps de lame où l’on passe le sirop dont on veut faire du sucre blanc. Avec tous ces feux et ces couvertures, il disait qu’il mourait de froid et cependant il demandait sans cesse à boire, assurant qu’il sentait en dedans un feu qui le dévorait, avec une prodigieuse envie de dormir. Ce sont les symptômes ordinaires du venin qui arrête le mouvement et la circulation du sang et cause ainsi ce froid extraordinaire dans les parties éloignées du cœur et en même temps cet assoupissement involontaire, pendant que tous les esprits, retirés au dedans, y excitent un mouvement violent, cause de la chaleur intérieure et excessive qui l’obligeait de demander si souvent à boire. Je voulus voir sa jambe que je trouvai horriblement enflée. Je le confessai et j’en fus fort content, il est vrai que pour l’empêcher de dormir, je lui tenais une main que je remuais sans cesse ; il était âgé de dix-neuf à vingt ans et assez sage ».

A un siècle de distance, Bonodet confirme l’observation très juste du P. Labat : « Ceux qui meurent ne paraissent pas éprouver une agonie bien cruelle et ils périssent dans une sorte de léthargie qui commence aussitôt qu’on est mordu ». C’est pour lutter contre cette somnolence que les panseurs nègres, dans toute leur naïveté africaine, n’ont rien imaginé de mieux que de faire battre du tambour autour du malade pour le tenir éveillé. Malgré les soins qui lui sont prodigués, son pouls se ralentit, ses extrémités se refroidissent, sa respiration devient plus faible, sa face prend une teinte bleue sombre que le docteur Guyon compare à celle du visage des cholériques ; son corps se couvre d’une sueur visqueuse, les syncopes se répètent et au bout de sept à huit heures, il expire. Quelquefois ces troubles ne provoquent pas si rapidement la mort. Vers le troisième ou le quatrième jour, selon Blot, il s’établit des sueurs abondantes, l’assoupissement diminue et le malade semble revenir à la vie.

Dans d’autres cas, la fièvre persiste, bientôt on observe de l’oppression, le blessé est secoué par des quintes de toux accompagnées d’expecto48

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

rations « rouillées » : bref il présente tous les symptômes d'une congestion pulmonaire. Cet accident est si fréquent qu’il est généralement reçu parmi les habitants de la Martinique que la piqûre du bothrops détermine toujours une « fluxion de poitrine ». Le docteur Guyon l’a observée trois fois : une fois le troisième jour, deux fois le cinquième jour. Selon les panseurs nègres, elle ne se déclare qu’au huitième ou au neuvième jour, parce que la congestion pulmonaire n’existe pour eux qu’à l’apparition des crachats striés de sang.

Les poumons ne sont pas les seuls organes sur lesquels le venin agisse.

Le cœur, les reins, l’intestin même n’échappent pas à ses effets pernicieux.

Décrivant la mort d’un de ses compagnons, le P. du Tertre dit que le venin lui gagne le cœur, les syncopes le prennent et il tombe pour ne jamais se relever.

Le docteur Guyon, médecin du 26e de ligne, eut, vers 1814, l'occasion de soigner un soldat piqué à la main. Celui-ci se plaignait de douleurs violentes à l’abdomen. Mon ventre, mon ventre ! criait-il sans cesse. Il mourut trentesix heures après. A l’autopsie, l’intestin grêle présentait une « teinte livide qui ne s’étendait ni à l’estomac, ni au gros intestin ».

Les hématuries sont d’observation courante à la suite des piqûres du bothrops.

La suppuration est un des accidents les plus fréquents : le membre piqué double ou même triple de volume. On y sent un empâtement mollasse, fluctuant : c’est le phlegmon dans toute son horreur. Il faut avoir vu, dit Blot, ces membres tuméfiés, couverts de placards violets, pour s’en faire une idée.

On dirait d’une énorme ecchymose, semblable à celle qui résulterait d’une violente contusion. La suppuration s’établit en moins de deux ou trois jours, la peau se décolle et si elle n'est convenablement incisée, tombe en gangrène. Les tendons, les os, sont mis à nus, les articulations sont ouvertes ; tout le membre est disséqué vivant. Si le malade ne succombe pas à la résorption purulente, il faut procéder à l’amputation. Ceux très rares qui guérissent ont des fistules, des ankylosés, des déformations hideuses. Quelle habitation n’offrait jadis l’affligeant spectacle de quelques-uns de ces estropiés de la piqûre du bothrops !

Parfois, le venin met plusieurs jours avant d’agir. Le docteur R. de Lavison cite le cas d’un nègre de l’habitation Degage qui fut piqué sur les deux heures de l’après-midi par un bothrops de moyenne dimension. Ce nègre alla se faire panser chez son maître, n’eut presque pas d’accidents pendant 4

49

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

deux jours, lorsque, dans la nuit du troisième jour, il fut pris de convulsions et mourut avant qu’on ait eu le temps de le secourir.

Ces effets « à retardement » ne sont pas moins bizarres que les paralysies, les hémiplégies, les pertes partielles ou totales de la vue, de la parole, qu’on a observées à la suite de la piqûre du bothrops.

Quelle multiplicité, quelle diversité de conséquences pour... quelques gouttes de venin ! Et nous n’avons pas encore parlé de l’action du venin sur le sang.

Ce qui frappe le plus dans les rares comptes rendus d’autopsie de personnes piquées par le bothrops — le docteur Guyon en cite une, le docteur R. de Lavizon trois — c’est l’altération du sang. L’ouverture des grosses veines ne laisse voir aucun de ces caillots si fréquents en toute autre circonstance.

Partout, le sang est extrêmement fluide, d’une couleur et d’une consistance vineuse. Il semble littéralement dissocié, avoir perdu toute « force de cohésion ». On conçoit qu’il s’échappe des capillaires, des petits vaisseaux, pour se répandre dans les tissus, produisant ces infiltrations dont les membres piqués sont le siège. On dirait d’immenses ecchymoses. Les fibres musculaires même sont infiltrées, « gorgées de sang noir » dit le docteur Guyon. Semblable état du sang est contraire à toute idée de « coagulation ». On ne saurait donc dire avec Fontana, que le venin « coagule » le sang. Il le « dissout » plutôt.

Voici, à ce sujet, un exemple typique. Un nègre de Fond-Canonville, qui avait un ulcère à la jambe fut piqué par un bothrops à trois ou quatre centimètres au-dessus de cet ulcère. Le nègre fut pansé ; mais quelques minutes après, la surface de la plaie se mit à saigner et le malade succomba à l’hémorragie que rien ne put arrêter.

Cette fluidité du sang rend très dangereuses les amputations à la suite des piqûres du bothrops. Les malades meurent très souvent d’hémorragies capillaires. Ce fut le cas d’un opéré du docteur R. de Lavizon. « Les ligatures furent trouvées intactes après la mort et pendant la vie le sang coulait par nappes et non par jets ; il était extrêmement fluide ».

Ce nègre, qui sans l’amputation serait mort de la gangrène, avait été déjà piqué deux fois. Il est donc faux de croire, comme l’enseignait Ulysse Aldrovandi, qu’une première piqûre met à l’abri de celles qui se produiraient par la suite : Remediis liberati, periculo vacant si postea admorsi fuerint.

Les effets du venin sont les mêmes sur les animaux. Le rat meurt presque instantanément, les chiens en quelques minutes, le bœuf, le cheval, en douze ou quinze heures.

50

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

« Je me rappelle, dit le docteur Guyon, une vache qui, à la suite de plusieurs morsures, se trouvait tellement ballonnée qu’on eût dit qu’un boucher l’avait soufflée. Le reptile qui l’avait piquée fut apporté au FortBourbon pour en toucher la prime. C’était une femelle de grande taille et dont le ventre était plein de vipereaux qui n'auraient pas tardé à voir le jour. Parmi les phénomènes généraux, l’assoupissement est celui qui me frappa le plus.

J’ai observé, comme chez l’homme, des congestions et des hémorragies pulmonaires. L’animal dont je viens de parler respirait difficilement et rendait par le museau une écume sanguinolente et parfois du sang pur ».

Est-il exact, comme on le prétend à la Martinique, que la piqûre du bothrops soit sans action sur le porc? Laissons encore la parole au docteur Guyon : « Le vingt février, à huit heures du matin, je fais passer dans la fesse gauche d’un cochon, par sept ou huit piqûres, tout le venin contenu dans les vésicules de deux bothrops. Peu après l’expérience, légère tuméfaction des parties piquées. Le vingt et un, à six heures du matin, gonflement de toute la fesse gauche au-dessus et au-dessous des piqûres jusque sur l’abdomen et la poitrine ; derme tout noir, extrémités froides, pupille dilatée, mouvements du cœur fort lents. L’animal mourut à sept heures ».

Poursuivant ses expériences, le docteur Guyon voulut vérifier quelle pouvait être l’action du venin sur le reptile lui-même. « Le vingt-trois août 1823, à deux heures de l’après-midi, j’enfonce successivement dans la queue et dans le dos de deux bothrops, les crocs pleins de venin d’un bothrops tué depuis quelques instants ; deux heures et demie : trois incisions sur le plus fort des deux bothrops dont deux sur le dos et l’autre sur la queue. L’animal était furieux, il voulait s’élancer sur ma main à travers le vase de verre où il était enfermé. « 24, matin, la piqûre et les plaies rendent une sérosité extrêmement abondante qui a mouillé tout le sol sur lequel sont les reptiles. « 25, les plaies faites par le bistouri tendent déjà à se cicatriser : les deux reptiles paraissent ne pas souffrir. Aucun accident n’est survenu depuis ».

D’autres expériences n’ayant pas eu plus d’effet, le docteur Guyon conclut que le venin du bothrops « exerce une action délétère sur tous les animaux vertébrés des trois premières classes, excepté sur le reptile lui-même ».

Nous avions déjà vu que la piqûre du bothrops était sans action sur le clibro de Sainte-Lucie. Il est regrettable que le docteur Guyon n’ait pas étendu ses expériences à la couresse, cet ennemi soi-disant invulnérable du 51

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

bothrops, car des anolis, des anguilles, des scinques qu'il piqua au cours de ses expérimentations, moururent.

L’expérience faite sur les bothrops mériterait d’être renouvelée. Jusqu’à preuve plus ample du contraire, nous ne voyons pas pourquoi le venin du bothrops n’agirait pas sur le serpent lui-même.

Notre doute se confirme à la lecture de ce récit de Lacépède : « Le capitaine Hall ayant mis auprès d’un serpent à sonnettes ou boiquira, un serpent blanc sain et vigoureux, ils se mordirent l’un l’autre ; le serpent à sonnettes répandit même quelques gouttes de sang, il ne donna aucun signe de maladie ; mais le serpent blanc mourut en moins de huit minutes. On tourmenta le boiquira assez pour le forcer à se mordre lui-même et il mourut en douze minutes ».

Voilà des expériences bien contradictoires. Il est vrai que l’une porte sur le bothrops, l’autre sur le boiquira et que « Nature, comme dit Montaigne, s’est obligée à ne rien faire qui ne fût dissemblable ».

Quel expérimentateur tranchera ce... nœud de vipères ?

Chapitre VI.

Y a-t-il des plantes qui éloignent les Bothrops ?

Les Charmeurs de Bothrops.

Omnia duplicia, unum contra unum..

Ecclésiastique, XLII, 25.

E

même temps qu’ils exterminaient les bothrops, les colons de la Martinique cherchaient par des moyens défensifs, à se préserver de leurs piqûres. Nous avons vu que les riches habitants se faisaient escorter de nègres qui flairaient les serpents ou de chiens qui les « arrêtaient ». Au temps du P. du Tertre, les chasseurs qui les appréhendaient le plus, prenaient de grandes bottes pour se mettre à l’abri de leurs morsures.

Cela leur sert de peu, dit le dominicain, « puisqu’elles ne garantissent que la jambe et ne les défendent que des serpents qui sont à terre et non pas des autres qui sont perchés sur les branches des arbres ou sur l’éminence de quelque rocher, lesquels se dardent indifféremment sur toutes les parties du N

53

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

corps. Les deux derniers qui ont été mordus pendant mon séjour dans l’île, le furent à l’épaule et au bras ».

Ce fut surtout dans les vertus de certains végétaux que les colons martiniquais placèrent leur confiance pour se prémunir des piqûres du bothrops. Comment, pensaient-ils, dans cette multitude inimaginable de plantes si généreusement semées sur le sol des Antilles, n’en existerait-il pas une qui fut antipathique au serpent? Chaque chose n’a-t-elle pas son contraire dans la création? Comme la fougère, le frêne, la rue, la bétoine passaient naguère en France pour être répulsives au serpent, de même à la Martinique, la liane douce, aristolochia anguicida, (Jacquin,) le roucou, avec les graines duquel les Caraïbes se peignaient en rouge, le tabac, étaient réputés, autrefois, pour éloigner les bothrops. Aussi, jadis, les Martiniquais avaient-ils coutume d’en planter au voisinage de leurs maisons.

La malnommée* était, paraît-il, de beaucoup la plus efficace : un vrai « thrésor » selon le P. du Tertre, « car cette plante est toute remplie d’un lait qui coule à la rupture de ses branches et qui tue les serpents. Le R. P. Feuillet m’a assuré qu’il en avait vu faire l’épreuve sur un petit serpent, qu’une goutte de ce lait fit mourir à l’instant ».

Certaines de ces plantes dégagent une odeur si repoussante pour les bothrops, qu’ils fuyaient ceux qui s’en étaient frottés. C’est le cas du « Bois de Couleuvres » qui est « si utile » que le P. du Tertre lui consacre un chapitre spécial de son Traité de Plantes et des Arbres des Antilles.

C’est une liane « qui se plaît dans les lieux humides. Lorsqu elle y rencontre des arbres, elle s’y attache par de petites chevelures de racines et s’élève en serpentant jusqu’en haut. Son bois, qui n’a pour l’ordinaire qu'un pouce ou deux de grosseur, est vert en quelques endroits ; en d’autres, il est gris, mêlé de noir, tortu et si semblable à une couleuvre, que ses tronçons, jetés dans un lieu obscur, font peur parce qu’on les prend pour des serpents.

Ses feuilles sont grandes comme celles de la serpentine. Elles n’ont au commencement aucune découpure ; mais il s’y fait de petites ouvertures comme si on les avait percées d’un couteau. Il y a une telle antipathie entre cette plante et les serpents, qu’ils la fuient et qu’ils ne mordent jamais ceux qui la portent en la main ou sur eux et qu’ils crèvent et meurent sitôt qu’ils en sont touchés. Il me souvient d’avoir vu, au pied d’un arbre tout couvert de cette plante, sur le bord de la rivière du fort Saint-Pierre dans l’île de la * Euphorbia pilulifora. Voir la reproduction de cette plante, page 40.

54

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

Martinique, sept ou huit serpents de différentes grandeurs, dont quelques-uns étaient aussi gros que le bras, morts sur les tiges de cette plante. Ce que je fis voir à un chirurgien, nommé l’Auvergnat, et à quelques autres personnes qui, depuis, en ont fait telle estime que non seulement ils en conservaient à leur maison, mais même en emportaient toujours sur eux pour s'en servir au besoin ».

La vogue de ces plantes « contraires » au serpent ne devait pas hélas résister à l’expérience et dès la fin du XVIIe siècle, leurs prétendues vertus « antiophiotiques » étaient bien décriées.

Le P. Plumier qui se trouvait à la Martinique vers cette époque, croyait encore pourtant aux vertus du « bois de couleuvres ». Ce P. Plumier était un minime provençal à qui le P. Labat reconnaît, entre autre talents, un génie merveilleux pour la botanique et une main admirable pour dessiner les plantes.

Partout ailleurs il parle sans aménité de son confrère qu’il trouvait « caché, dissimulé ». Il avait été envoyé aux « Isles » par Louis XIV avec un autre Provençal, médecin et chimiste réputé : Surian. Le minime dessinait « les figures des plantes entières et disséquées ; le chimiste en tirait les huiles, les sels, les eaux et autres minuties ». Surian, dont le P. Labat fait un portrait poussé au noir — « c’était, dit-il, la copie la plus parfaite de l’avance qui ait jamais été tirée d’après nature » — ce pauvre Surian qui devait mourir quelques années plus tard, empoisonné avec sa femme et ses deux enfants en expérimentant des herbes qu’il croyait « doucement purgatives », se brouilla avec le minime. Tous deux revinrent en France après dix-huit ou vingt mois de travail, « chargés de graines, de feuilles, de racines, de sels, d’huiles et autres « babioles » et quantité de plaintes l’un contre l’autre ». Il y a apparence que le P. Plumier avait plus de raison que le chimiste ou qu’il fut mieux écouté, puisque Surian fut congédié et que le minime fut renvoyé aux îles pour y travailler de nouveau.

Voici à quelle occasion : « un médecin anglais avait publié un livre de plantes de l’Amérique, dans lequel il avait fait graver une soixantaine d’espèces de fougères. On crut qu’il était de l’honneur de la Nation d’en découvrir davantage et comme on ne connaissait personne dans tout le royaume plus capable de soutenir le poids de cette grande affaire que ce minime, on lui en donna la commission. Il y avait six mois qu’il était arrivé à la Martinique, quand, après avoir épuisé toutes les fougères de la BasseTerre, des Pitons du Carbet et des Mornes de la Calebasse, il vint à la Cabesterre pour y en chercher d’autres. Son mérite personnel et la gloire de la nation pour laquelle il travaillait firent que je le reçus avec toute la civilité 55

Dracontium maius

Scanden

Solus perforatis,

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

possible et que je l’aidai de toutes mes forces à grossir son magasin de fougères ».

Nous ne jugeons pas comme le P. Labat aussi « singulier qu’inutile » le renvoi du P. Plumier aux Antilles, car le savant botaniste, outre son Traité des Fougères, illustré de cent soixante-douze merveilleuses planches — le « record » anglais était battu de loin — rapporta en France la matière de deux autres ouvrages qui, au même titre que la Flora Antillarum, de Tussac, et la Flore Médicale, de Descourtilz, sont considérés comme de véritables monuments iconographiques de la botanique antillaise.

Nous voilà bien loin, direz-vous, du « bois de couleuvres » et des bothrops. Nous y sommes en plein, au contraire. C’est que le P. Plumier, dans ses herborisations, ne manquait jamais de se munir d’un morceau de ce bois qu’il croyait, sur la foi du P. du Tertre, doué du pouvoir d’éloigner et de tuer les serpents.

Le minime voulut un jour en éprouver la vertu. Les résultats de ses expériences sont consignés dans ses Feuillets de Voyage, sous le titre « : Observations sur la vipère de la Martinique ». Ce manuscrit, resté jusqu’ici inédit, se trouve avec divers textes et des dessins de plantes, d’oiseaux, de reptiles, d’insectes, dans un carton in-folio coté : Manuscrits du P. Plumier 1 -37, à la Bibliothèque du Muséum d’histoire naturelle. « Le 4 mai de l’année 1696, revenant du cul-de-sac Frégate de la Martinique, au cul-de-sac François, avec le sieur de la Martinière, médecin du Roi, nous eûmes rencontre d’un serpent, que le dit sieur de la Martinière prit en vie. Environ une heure après, nous lui présentâmes un tronçon de la plante que j’ai appelée dans mon premier volume des plantes de l’Amérique, Dracontium Scandens, amplis foliis perforatis, pour éprouver sa vertu, suivant ce qu’en rapporte le R. P. du Tertre dans son Histoire Naturelle des Antilles, où il nomme la même plante « bois de couleuvres ». « Ce serpent ne l’eût pas plus tôt devant le nez, qu’ouvrant la gueule comme s’il l’eût voulu mordre, il resta roide mort et toujours la gueule ouverte. Cet accident nous réjouit extrêmement, nous persuadant qu'effectivement la plante l’avait étouffé par sa vertu. Je disséquai ce serpent, quatre heures après sa mort, je trouvai que le cœur palpitait encore. « Pourtant, pour me rendre plus certain de la vertu de cette plante, je fis toutes mes diligences pour recouvrer quelqu’autre serpent en vie.

J’en recouvrai un le 6 juin suivant, je lui présentai un tronçon de la même plante. Il s’allongea peu après par deux fois, comme s’il eût souffert quelque convulsion, surtout la dernière fois, que je le croyais expirer. Mais ensuite, il 57

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

devint aussi vigoureux qu’auparavant. Je lui fis mordre la plante plusieurs fois, sans que pourtant il témoignât le moindre mal du monde. Je crus que le bois n’avait pas assez de vertu à cause que je l’avais cueilli depuis quelque temps, et que même il commençait à pourrir. J’en fus chercher de la plante fraîche que je lui présentai et que je lui fis mordre plusieurs fois, mais sans aucun effet. De quoi étant fort surpris, je me mis à penser d’où pouvait provenir la mort du premier serpent ; je fis réflexion que nous l’avions laissé durant une heure exposé à l’ardeur du soleil, où nous l’avions attaché contre une pierre dans une prairie. Je me persuadai que ce pouvait bien être la chaleur du soleil qui l’avait tué, et non pas la plante. Pour m’en assurer, je mis ce second à l’ardeur du soleil, où il n’eût pas demeuré un demi-quart d’heure, qu’ouvrant de temps en temps la gueule, comme de rage, il resta roide comme le premier, ce qui me fit juger que je ne m’étais pas trompé dans ma conjecture. Mais n’étant pas encore content de cette expérience, je tâchai d’en avoir un troisième. Quelques jours après, le sieur Tartonne, autrefois maître chirurgien major des galères de Sa Majesté, à Marseille, et pour lors exerçant la médecine, la chirurgie et la pharmacopée, au fort Saint-Pierre de la Martinique, m’en montra un en vie qu’il gardait depuis quelques jours dans une calebasse, et sur qui il avait mis plusieurs tronçons de la même plante, sans que pourtant il en eût reçu aucun mal. Je lui dis alors que je ne croyais pas que la dite plante eût la vertu de tuer les serpents et que celui qui était mort lorsque nous y mîmes la plante devant, avait été tué plutôt par la chaleur du soleil, et je lui rapportai ce que j’en avais expérimenté. Le 6 juin, je le priai de me laisser mettre celui-ci au soleil, pour mieux expérimenter la chose.

En effet, nous attachâmes ce serpent au milieu d’une allée, à l’ardeur du soleil, où il n’eût pas demeuré un demi-quart d’heure que, faisant tous ses efforts pour se tirer du soleil, il commença à ouvrir la gueule de rage ; un peu après tout son corps demeura immobile et roide comme un bâton ; mais la tête remua durant plus d’une heure, tirant toujours la langue, tordant les lèvres et poussant même le larynx, jusque hors la gueule. Le soleil venant à se couvrir, il n’expira pas tout à fait, nous le remîmes en cet état dans la calebasse où il mourut pourtant, un peu après, ce qui me confirma davantage dans mon sentiment. « L’année suivante, 1697, me trouvant au mois de janvier le long de l’étang de Miragoane, proche le petit Goiave de l’Isle Saint-Domingo, je fis rencontre d’une couleuvre jaune, tirant sur le châtain et marquetée de grandes taches noires et longue de 5 pieds et 8 pouces. Je la pris en vie et l’attachai contre le pied d’un petit arbre, exposée au soleil, voulant éprouver s’il arriverait aux couleuvres ordinaires ce qui était arrivé aux serpents de la Marti58

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

nique qui sont de véritables vipères. Un peu après qu elle eût senti la chaleur du soleil, elle fit de très grands efforts pour s’en retirer, mais ne pouvant fuir, elle mettait sa tête à l’ombre du pied de l’arbre qui était là, nonobstant cela, après plusieurs grandes contorsions et débats, j’aperçus qu’elle commençait à ouvrir la gueule de la même manière que les serpents de la Martinique. « A la fin, environ trois quarts d’heure après que je l’eus attachée à l’ardeur du soleil, tout son corps devint immobile, et n’ouvrait plus que la gueule, jetant de la bave, tordant les mâchoires et faisant même sortir son larynx tout ouvert, et étendu jusque sur les lèvres, après quoi elle expira entièrement, tenant toujours la gueule ouverte. Elle était si -chaude après sa mort, que je ne pouvais pas même la manier. « Toutes ces expériences me firent connaître que l’ardeur du soleil seule avait tué le premier serpent de la Martinique, et non pas la vertu de la plante. Il me survint pourtant un doute, si c’était véritablement l’ardeur du soleil qui eût étouffé tous ces serpents, ou si, plutôt, ils ne se seraient pas étranglés eux-mêmes par les efforts qu’ils faisaient en voulant fuir, car je les avais tous attachés par le col avec de la ficelle... en ayant touvé un autre, le long du même lac, et long d’environ quatre pieds, je ,le liai par la queue contre une souche à l’ardeur du soleil, où après plusieurs débats, il mourut enfin, une heure après, en tordant ses mâchoires, mais sans avoir ouvert la gueule comme les autres. Il jeta par la bouche, un peu avant de mourir, un petit ver blanc, long d’environ un pouce et presque épais d’une ligne ».

Comment se fait-il que le P. Labat écrive à la date de 1697 que le P. Plumier n’était pas encore revenu de son erreur au sujet du bois de couleuvre ? « Si je l’avais cru, j’en aurais chargé tous nos nègres pour les garantir des serpents dont nous avions une assez bonne quantité dans nos campagnes.

Mais comme il vit que je n'ajoutais pas beaucoup de foi à son rapport, il me pria de faire prendre un serpent à fin de faire devant moi l’expérience de sa liane. Cela fut bientôt exécuté. On m en apporta un qu’on avait fait entrer dans un gros flacon de verre. Je mis le flacon entre les mains du Père pour voir comment il ferait mourir le serpent. Il jeta un morceau de cette liane dans le flacon et l’y laissa un temps considérable, sans que le serpent en ressentît ou qu’il en témoignât aucune incommodité. Cette première épreuve commença à le faire douter de la vertu prétendue de sa liane. On mit ensuite le serpent hors du flacon pour voir s’il s’enfuirait à l’approche de la liane. Non seulement il n’en fit pas le semblant, mais n’ayant rien de meilleur à mordre, il mordait la liane quand on l’approchait trop près de lui ou qu’on l’en touchait. A la fin, 59

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

je fis tuer le serpent et le Père minime se désabusa des vertus de sa liane, qu’il croyait si sûres, qu’il les avait déjà écrites dans son journal, après avoir fait avec sa diligence et sa propreté ordinaires, la figure de la liane, de sa racine et de ses feuilles, avec plusieurs serpents étendus auprès d’elle ».

Nous ne croyons pas que le P. Plumier ait antidaté son observation pour prévenir les sarcasmes du P. Labat dans des mémoires dont le franciscain ne pouvait pas soupçonner l’existence. Nous pensons plutôt qu’il s’agit d’une erreur de mémoire du P. Labat, généralement exact dans sa chronologie.

Celui-ci place en 1697 une aventure qui dut avoir lieu plus tôt et qui, vraisemblablement, incita le P. Plumier à faire ces « observations sur la vipère de la Martinique » dont nous avons été heureux de donner ici la primeur.

Les plantes soi-disant capables d’éloigner et de tuer les bothrops s’étant, à l’usage, révélées impuissantes, les colons de la Martinique eurent recours à d’autres végétaux dont le suc, absorbé ou inoculé, était sensé rendre les piqûres moins dangereuses et conférer même une sorte d’immunité. Le guaco aurait été doué de ces propriétés. Alibert s’en fait l’écho dans ses Nouveaux Eléments de Thérapeutique et de Matière médicale : « Pour se prémunir contre la morsure des serpents, les nègres procèdent de la manière suivante : ils font six incisions, deux aux mains, deux aux pieds et une à chaque côté de la poitrine. Ils expriment le suc des feuilles du guaco qu’ils versent sur les incisions. Avant l’opération, on fait prendre deux cuillerées de suc à celui qui va être initié, on l’avertit qu’il doit prendre le même suc chaque mois, pendant l’espace de cinq à six jours ; car s’il néglige de le faire quelque temps, il aura besoin d’une nouvelle inoculation. Toutefois, l’usage le plus ordinaire est de porter sur soi des feuilles de cette plante dans les lieux infestés de serpents pour s’en délivrer ; car l’odeur leur imprime un état de stupeur ou d’étourdissement ».

Le guaco, Mikania guaco, Wildenow, dont Mutis fit connaître le premier, en 1781, les propriétés « antiophiotiques », est une liane originaire de l’Amérique centrale. En 1791, Vargas relatait dans un périodique de Santa-Fé les expériences qu’il fit avec le guaco. « Il garantit de tout fâcheux accident ceux qui s en sont inoculés ou qui en ont bu le suc. » Les vertus du guaco furent vite connues à la Martinique. Les Petites Affiches de Saint-Pierre publièrent de copieux extraits du Traité d’Alibert et de l’article de Vargas, des passages d’une lettre où Mutis disait au naturaliste Zéa : « Personne ne meurt à présent de la morsure des serpents ». Tout le monde réclama du guaco. On en fit 60

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

venir des plants de la « Nouvelle Grenade », bien à tort d’ailleurs ; car il existe à l’état naturel, à la Martinique, deux mikanies : la Cordifolia et la Mikania Scandens, presque semblables au guaco, qui devait se montrer inopérant contre le bothrops. Serait-ce parce que les espèces de serpents n’étaient pas les mêmes ?

Pourtant de Humboldt, dont la bonne foi et l’attention ne peuvent être soupçonnées, a vu un serpent des plus venimeux, le serpent corail, détourner sa tête à l’approche d’un bâton trempé dans du suc de guaco. Le docteur Guyon fit à plusieurs reprises la même expérience avec des bothrops qui, chaque fois, mordaient le bâton avec colère. Quant à la prétendue immunisation conférée par l’inoculation du guaco, elle n’a pas non plus été confirmée par l’expérience. La Gazette de Curaçao cite le cas d’un habitant qui, plein de confiance dans le guaco qu’il s’était inoculé,jouait avec un serpent à sonnettes «comme avec un enfant ». Cela dura six ans. Mais un jour on oublia de donner à manger au serpent ; ce dernier mordit l’homme jusqu’au sang. Cinq minutes après, l’imprudent tombait comme frappé d’une attaque d’apoplexie.

Le guaco fut abandonné, comme le Dracontium du P. Plumier, pour... la racine du citronnier. Dans La Martinique en 1842, M. de la Cormllère prétend que les nègres « preneurs » de serpents mâchent cette racine pendant quelque temps, puis s’en couvrent les mains et que c’est grâce à ce préservatif que les serpents ne les piquent jamais. Ce serait là le fameux « secret » de ces nègres qu’on voyait autrefois jongler avec les serpents et faire mille tours dans les fêtes des bourgs. Ils les mettaient autour de leur cou, sur leur tête, enfonçaient la gueule du serpent dans leur bouche, devant l’assistance ébahie.

Tous ces nègres étaient des charlatans qui opéraient avec des serpents démunis de leurs crocs. Les crochets qu’ils montraient à l’assistance, étaient les crochets de remplacement : les crochets non montés. Plus rarement, ils laissaient les véritables crocs, mais obstruaient leurs ouvertures avec de la cire ou en faisant mordre les bothrops dans une boule de glu d’arbre à pain.

D’ailleurs tous ces nègres finissaient par être piqués. Dans ce cas, ils disaient « qu’ils ne s’étaient pas frottés » ou qu’un confrère jaloux avait fait disparaître leur charme, les avait « démontés ».

Il faut bien conclure, hélas ! que jusqu’à maintenant, on n’a pas encore trouvé la plante qui éloigne les bothrops et immunise contre ses piqûres.

On devait être plus heureux, comme nous allons le voir, avec les végétaux qui entrent dans la composition des remèdes de la piqûre du bothrops.

61

OURAGAN

Chapitre VII.

AUX

ANTILLES

Comment on soignait les piqûres du Bothrops.

Les vieux traitements français, les remèdes caraïbes.

Les « Panseurs » nègres.

Terra medicas fundit.

Pline, Hist. Nat.

Caraïbes de la Martinique qui étaient plus exposés que les colons aux piqûres du bothrops, puisqu’ils vivaient nus, se soignaient L avec des plantes dont ils gardaient jalousement le secret. Quand les mieux intentionnés d’entre ces « amériquains » pansaient nos compatriotes, ils allaient en cachette cueillir les herbes nécessaires, les faisaient infuser ou les broyaient tellement, qu’il était impossible de les reconnaître.

Mais les femmes indiennes, moins discrètes, ou plus sensibles, et dont quelES

62

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

ques-unes avaient des « accointances » avec les Français, leur révélèrent les plantes qui entraient dans la composition des remèdes.

Dès la fin du XVIIe siècle, la médication caraïbe remplace complètement les vieux traitements européens, que les colons utilisaient seuls aux premiers temps de l’occupation. Ces anciennes prescriptions, encore marquées au coin de la scolastique, évoquent toute une « époque », où la médecine, influencée par la théorie récente des « esprits animaux », ne s était pas complètement libérée des pratiques de l’alchimie.

Voici, dans leur archaïque naïveté, quelques-uns de ces vieux traitements épars dans des ouvrages aujourd’hui rarissimes et que les voyageurs d’antan prônaient, sur la foi des « plus fameux médecins de la Faculté de Paris ».

Des remèdes qu’on peut employer heureusement pour rabattre la force du venin, nous poserons premièrement qu’ils doivent être mis en usage et par dehors et par dedans.

Par dehors, la première chose qu’on doit faire est de lier promptement la partie blessée au-dessus de la plaie, en prenant garde toutefois de ne pas trop serrer, parce que la partie supérieure s’enflammant « attire, nonobstant la ligature, le venin qui, trouvant une partie enflammée, y cause des désordres irrémédiables ». Cela fait, on appliquera une ventouse sur la blessure et l’ayant ôtée, on fera trois ou quatre scarifications et même il est très salutaire de dilater le plus que l’on peut la plaie, après quoi on posera derechef la ventouse jusqu’à trois ou quatre fois et cela attire parfaitement le venin. On met ensuite un emplâtre de thériaque, ou de toute autre substance ayant la faculté « d’amortir le venin », tels que le galbanum, la cendre de sarment de vigne dissoute dans de l’huile rosat, la fomentation du vin cuit avec la racine de serpentaria, ou la feuille d’armoise, les aulx et les oignons parce qu’ils sont « vaporeux, fumieux et de tenue substance », dit Ambroise Paré, la fiente de pigeon, le sang de tortue de terre séché et mis en poudre, la chaux vive mélangée à de l’huile et du miel « et semblables ».

Par dedans, il faut user de tous les remèdes qui fortifient le cœur, réjouissent et réveillent les esprits, car ceux-ci se retirent et laissent toute les parties du malade fort froides et disposées à la corruption. On se servira avec succès de thériaque, de mithridat, de confection d’Alkermes, de baume d’Egypte et du Pérou, de rue, de scordeum, de scorçonnaire.

Il serait aussi à désirer, dit Rochefort, que tous les habitants de la Martinique eussent l’usage de cet excellent antidote, qui a été éprouvé en 63

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

tant de lieux, qui est connu sous le nom fameux d’Orviétan et qui se débite à Pans, au bout du Pont-Neuf, au coin de la rue Dauphine, à l’enseigne du Soleil.

Car cet admirable secret, a entre plusieurs autres qualités rares, la vertu de chasser le venin de toutes sortes de serpents. Voici la façon dont ceux qui ont été mordus s’en doivent servir. Il en faut prendre la grosseur d’une fève, dissous dans du vin. Et après, il faut faire des scarifications sur la morsure et tirer le sang par le moyen de la ventouse. Puis y appliquer un peu d’orviétan et prendre garde que le patient demeure éveillé, au moins l’espace de douze heures. Ce puissant remède se peut conserver en sa bonté plusieurs années, pourvu qu’on ne le tienne pas en un lieu chaud où il se puisse dessécher. Et s’il devient sec, il le faut remettre en sa consistance avec du miel rosat.

Quant au régime de vivre qu’on doit suivre lorsqu’on est piqué du serpent, il faut avoir soin de tenir chaudement le malade, en évitant cependant tous les aliments qui échauffent et brûlent le sang, ou qui engendrent l’humeur mélancolique. Il se faut abstenir entièrement de la purgation et de la saignée, de peur d’attirer le venin de dehors au dedans, si ce n’est que le mal eût gagné les parties nobles. Dans ce cas, il faudrait purger assez copieusement et user de bains et de choses capables d’ouvrir les pores et de provoquer la sueur.

Quelque ardeur aussi que ressente le blessé, il ne faut pas qu’il boive d’eau ; mais qu’il se serve de « ptisane » faite avec du gros mil et du jus d’orange.

Outre ces remèdes, le P. du Tertre, «pour la consolation des habitants et pour s’acquitter en partie des obligations qu’il leur doit », en donne d’autres plus faciles et que la commodité rendra plus « considérables » ; car ils sont présents dans toutes les Indes, comme les feuilles de petun verd pilées et appliquées sur la plaie ; manger promptement une écorce de citron tout frais, car elle a la vertu de « munir le cœur » contre le venin. La salive d’un homme qui soit à jeun, appliquée sur la morsure, est aussi très efficace.

Si on peut avoir la bête qui a fait le mal, il faut couper sa tête, la broyer et l’appliquer sur les piqûres qu’on aura incisées légèrement. Ce remède est pour ceux qui sont mordus dans les bois. « Il est si asseuré que Mathiole le tient pour le plus certain ».

Un autre « très asseuré » est de plumer le derrière d’un gros poulet et de l’appliquer sur la blessure. Il attire tellement le venin par le fondement, qu’il mourra entre les mains de celui qui l’appliquera. Celui-là mort, il faut en remettre un second et ainsi consécutivement, jusqu’à ce que le poulet ne meure plus.

L’invention de cette bizarre ventouse semble devoir revenir à Ambroise 64

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

Paré qui dit à propos des morsures de la vipère : « On pourra aussi mettre sur la playe et entre autres, le cul des poulailles qui ponne ou, en lieu d’icelle prendre des coqs ou poules d’Inde, parce qu elles ont plus de vigueur d’attirer que les communes et, si elles meurent, en remettre d’autres.Si on veut, on pourra fendre les dites volailles toutes vives, lesquelles, d’un discord naturel, résistent au venin, parce que les poulailles sont de nature fort chaude. On pourra également prendre des petits chiens ou chatons, lesquels étant fendus seront appliqués tout chauds sur la playe et sur les scarifications, les y laissant jusqu’à ce qu’ils soient refroidis ; puis on en remettra d’autres tantqu' il sera besoin».

Mathiole recommande d’appliquer des grenouilles fraîchement ouvertes sur les morsures et de « humer » du bouillon de grenouilles, « mangeant par après la chair. Il n’y a pas de plus souverain remède contre les piqûres de toutes sortes de serpents ». Si ce que cet auteur assure est vrai, dit le P. du Tertre, il faut avouer que la Providence divine a généreusement pourvu la Martinique, car j’y ai vu des grenouilles qui avaient plus de quatorze pouces et larges à proportion. Elles repairent non seulement le long des rivières, mais partout dans les bois les plus éloignés des eaux. Elles ne coassent pas comme celles de l’Europe mais, pendant la nuit, elles aboient comme des chiens.

Elles sautent quelquefois de la hauteur d’un homme. Tous les habitants en mangent et je les ai trouvées très excellentes.

Un des remèdes les plus prompts et les plus sûrs, selon le P. du Tertre, est de boire, dans du vin, un peu de racine râpée de ce « bois de couleuvres » dont nous avons parlé. Mais le dernier, et le plus efficace de tous, « selon l’avis des plus fameux médecins de la Faculté de Paris auxquels je l’ai communiqué, c’est de prendre incontinent qu’on est piqué, le poids d’un écu d’une poudre composée de rates et de cœurs de serpents. C’est le plus assuré contrepoison qui soit au monde ». Ce remède, très recherché jadis, formait la base de la poudre dite des « Dames Ursulines de Saint-Pierre ». Il devait être aussi appliqué extérieurement. Comme il provoquait, paraît-il, une transpiration abondante, il fallait avoir soin de tenir le blessé dans un endroit chaud.

Il était recommandé de ne rien lui donner à manger pendant quarante-huit heures ; mais il pouvait boire des « potions confortatives ,* de peur que le venin ne gagne le cœur, avant que le remède opère ».

On se demande quelle pouvait être l’efficacité de ces vieux traitements.

Pas très grande assurément, puisque les colons de la Martinique les abandonnèrent, dès qu’ils connurent les remèdes Caraïbes. Voici quelle était leur manière de soigner.

65

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

Les Caraïbes commençaient par lier avec un lambeau d’écorce fraîche de « mahot » à une main au-dessus de la partie piquée. Puis, en passant le doigt sur les plaies, ils s’assuraient que les crochets du serpent n’étaient pas restés dans les chairs et dans ce cas ils les enlevaient en élargissant les piqûres. Ils se servaient à cet effet de dents « d’agouti », rat sauvage de forte taille. Ils pressaient ensuite fortement les muscles tout autour des plaies pour les faire saigner ; les frottaient avec du citron et les faisaient sucer par leurs femmes.

Cette pratique est moins dangereuse qu’on le croit généralement et que le dit le P. du Tertre : « car si celui qui suce a la moindre égratignure autour des gencives ou dans la bouche, ou qu’il avale la moindre goutte de sa salive envenimée, il est certain qu’il en mourra sur le champ. C’est ce qui arriva à un nègre de M. le Gouverneur de la Martinique qui, voulant secourir un sauvage mordu d’un serpent, en lui suçant le venin de l’épaule, s envenima le cœur et mourut à ses pieds en lui sauvant la vie ». On sait aujourd’hui que le venin, absorbé par les voies digestives, est absolument inoffensif. Quant aux écorchures de la bouche, un simple rinçage avec de l’eau-de-vie préserve la personne qui suce de tout accident fâcheux. Les femmes caraïbes ne manquaient pas de prendre cette précaution. Elles se servaient de « ouicou », boisson alcoolisée faite avec des « cassaves » * fermentées.

Quand il ne se présentait pas de femmes bénévoles, les Caraïbes ventousaient les piqûres à l’aide de petites calebasses. Dans l’intervalle, ils avaient broyé des plantes qu’ils appliquaient sur les plaies et dont ils donnaient à boire les sucs au blessé. Nous relevons dans l’herbier antivemmeux des « Sauvages », les noms de la liane douce, de la liane laiteuse, du chardon béni, de l’épineux blanc, ainsi que du tabac, du trèfle caraïbe, du mouron, de la malnommée, de la liane percée ou « bois de couleuvres » dont le P. du Tertre — renseigné sans doute par un colon, qui lui-même le tenait de quelque femme indienne — signale déjà les vertus.

Nous reparlerons de ces plantes à l’occasion des traitements employés par les nègres, héritiers des méthodes caraïbes qu’ils compliquèrent et surchargèrent de pratiques superstitieuses **. Certains nègres, en effet, se sauvaient des habitations — nègres marrons — et se réfugiaient aux « carbesterres », chez les Caraïbes. Ces nègres, que les Indiens faisaient travailler plus rudement * Les « cassaves » sont des galettes de manioc que les femmes caraïbes faisaient cuire sur des plaques d’argile. Elles montrèrent aux Français à les fabriquer. A l’aube de la colonisation, nos compatriotes ne connurent pas d’autre pain. ** Ils demandaient par exemple au blessé s’il n’avait pas accompli certains actes et dans ce cas, ils traversaient trois fois la rivière la plus proche.

66

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

que les Français, apprirent des sauvages d’autres remèdes que ceux dont se servaient déjà les premiers colons. Ils apprirent également à soigner les fluxions de poitrine, les abcès, les phlegmons résultant des piqûres du bothrops. Les Caraïbes leur firent connaître aussi, hélas ! plusieurs plantes vénéneuses dont ils n’eurent, une fois rattrapés, que trop souvent l’occasion de se servir contre leurs maîtres. En quelques heures, ils faisaient périr toute une famille créole ; les enfants ne trouvaient pas grâce devant eux. Ils tuaient les bestiaux qu’on voyait le matin dans les savanes, le ventre ballonné, les pattes raides. Aveuglés par la haine, leurs frères de couleur eux-mêmes n’étaient pas épargnés, pour la seule satisfaction de causer une perte matérielle au maître abhorré. Plus que les ouragans ou les tremblements de terre, et presque au même titre que la piqûre du bothrops, ces empoisonnements par les esclaves furent une calamité pour la Martinique. Il s’est pourtant trouvé un homme au cœur généreux, dont les écrits dénotent une grande élévation de pensée, pour faire l’apologie — et non pas « l’apothéose » comme il l’écrit — de ces empoisonnements : l’abolitionniste Victor Schoelcher. Dans un sophisme qui déchaîne rétrospectivement en nous un cyclone d’indignation, le fils du marchand de faïence de la rue Grange-Batelière va jusqu à soutenir que « le poison est au nègre ce que le fouet est au maître : une force morale * ».

C’est pour limiter le nombre de ces empoisonnements qu’une ordonnance du Code noir « faisait défense à tous esclaves de l’un et l’autre sexe de composer et distribuer des remèdes en poudre ou en quelque autre forme que ce puisse être et d’entreprendre la guérison d’aucune maladie à l'exception de la morsure du serpent ; voulons même que les esclaves qui, sous prétexte de faire des remèdes pour la morsure des serpents, en auraient composé ou distribué qui n’y seraient pas propres et qui ne pourraient servir que pour guérir d’autres maux, soient condamnés aux peines portées par ces présentes ».

L’autorisation accordée aux nègres par la vieille ordonnance royale sanctionnait un état de fait établi depuis plusieurs années. Dès le début du XVIIIe siècle, le traitement des piqûres du bothrops était abandonné aux mains de nègres connus sous le nom de « panseurs de serpents ».

Ces « panseurs » formaient une caste à part. Ils ne frayaient pas avec les autres nègres, n'étaient pas astreints, comme eux, à travailler dans les champs de cannes, dans les fabriques de sucre ou les « guildiveries ». On les voyait dans leur case enfumée, occupés à la préparation de leurs remèdes. * V. Schoelcher . Des Colonies françaises. Abolition immédiate de l'esclavage. Pagnerre, 1842 67

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

Ils triaient, pilaient, faisaient bouillir ou macérer les plantes dans du «tafia».

A la tombée du jour et quand la lune croissait — car alors, disaient-ils, la sève est plus forte — ils allaient dans les bois cueillir les simples en marmonnant des incantations qui se perdaient dans la nuit. La profession était assez lucrative pour leur permettre rapidement d’acheter leur liberté. Certains refusaient de se déranger et il fallait qu’on portât les blessés chez eux ; d’autres soignaient à domicile. Il y avait même, dans les cas graves, des « consultations » de panseurs ! Entre eux existait un certain esprit de corps. Jamais un panseur n’aurait touché au pansement fait par un « confrère » avant d’en avoir été prié par celuici ; ou à moins d’avoir reconnu à certaines « marques » que son collègue avait abandonné le blessé. Enigmatiques et mystérieux, ils alliaient les prières chrétiennes aux pratiques de la sorcellerie.

Comme les Caraïbes, ces panseurs plaçaient un lien au-dessus de la piqûre « et s’il se rencontrait une jointure, ils liaient encore au-dessus de l’articulation ». Ils suçaient ou ventousaient les plaies, posaient même des sangsues. Aux anciens traitements, ils empruntèrent les scarifications dont ils abusaient parfois. Ils donnaient à boire au blessé des décoctions ou des macérations de plantes dans du tafia et appliquaient le marc en cataplasme sur les plaies. Le premier appareil était levé au bout de douze heures et remplacé par un second qu’ils laissaient encore douze heures, au bout desquelles ils jugeaient de la guérison ou de la mort par la diminution ou l’augmentation de l’enflure et par la quantité de venin que le cataplasme avait attiré.

Souvent, dès le premier cataplasme, lorsque le panseur constatait des symptômes graves et prévoyait que la vie du malade était sérieusement menacée, il refusait, pour ne pas compromettre sa réputation, de continuer le traitement.

Il allait gravement chercher un bothrops vivant, presque toujours dépourvu de ses crocs, qu’il avait apporté dans une calebasse. Il le prenait, l’enroulait autour de son cou, lui parlait et feignait d’écouter ses réponses. Le reptile lui révélait alors que c’était un « serpent voyé » — un serpent envoyé par quelque sorcier ennemi — qui avait piqué le malade et que, malgré tout son art, il ne parviendrait pas à guérir une semblable blessure.

Moreau de Jonnes entendit en 1807 un esclave mandingue faire une réponse analogue à un nègre des Trois-Rivières. Les précautions que prit le Mandingue et l’état où se trouvaient les plantes ne permirent pas à de Jonnes de les reconnaître avec certitude ; cependant « l’odeur d’une d elles me laissa peu de doute qu’il n’employât une eupatoire que je crois être l'eupatorium macrophyllum de Linné ». En désespoir de cause, raconte l’officier, on envoya 68

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

chercher au Trou-au-Chat un jeune mulâtre qui avait dans ce genre de guérison une réputation plus méritée. Il nettoya les piqûres avec du citron, se rinça la bouche avec du tafia et se mit à sucer les plaies sans crainte, ni dégoût. « Le blessé qui était mourant quand je le quittai résista pourtant ; car je le vis un an après : il avait en partie recouvré l’usage de la jambe où il avait été piqué, mais il lui était resté une atrophie du bras ».

Le mulâtre qui avait été appelé en dernier ressort dut avoir recours à d’autres plantes, car chaque panseur avait sa « recette » qu' il prétendait infaillible.

Blancs et nègres avaient une entière confiance dans le panseur. Jamais ils n’appelaient un médecin lorsqu’ils étaient piqués par un serpent. « Quand j’arrivai à la Martinique en 1814 avec le 26e de ligne, écrit le docteur Guyon, les médecins du pays à qui je m’adressai pour avoir des renseignements sur ce genre de blessures ne purent m’en donner que d' incomplets, la plupart n’en ayant vu que par hasard. Ceci n' étonnera point lorsque j’aurai dit qu’il est des habitants qui sembleraient craindre que la présence d’un médecin ne fût préjudiciable au malade, en rompant ou en dérangeant le charme sous lequel ils supposent que le « panseur » l’a placé ».

Jusqu’à ces dernières années, aucun changement ne devait s’opérer dans les esprits et, en dépit de coupables et funestes erreurs commises par les panseurs — Blot dit que son père a vu des nègres « débrider, inciser sur des artères considérables, diviser ces vaisseaux et les malades mourir d' hémorragies ». Rufz cite le cas d’un capitaine marseillais, piqué par un bothrops, à qui le panseur fit... des injections sous-cutanées de tafia pour arrêter la suppuration ! ! ! — la confiance des Martiniquais en ces panseurs de serpents n’avait pas varié. Rufz, qui écrivait vers 1850, en donne un exemple frappant. C’est celui de Zadig, nègre de son habitation, qui, en « coutelassant » des halliers, fut piqué au poignet par un bothrops. L’enflure considérable, la fluctuation très sensible, indiquaient un gros épanchement de pus. Rufz proposa au nègre d’inciser le phlegmon. Zadig lui témoigna le désir de ne rien faire sans consulter le panseur qui l’avait soigné. Le médecin 1 envoya chercher immédiatement et lui expliqua le danger que courait Zadig si on n’ouvrait pas l’abcès. Le panseur le laissa parler et répondit qu’il savait un moyen de «faire fondre les dépôts». « Tu sais, reprit le docteur, le moyen de faire fondre des dépôts comme celui-ci? — Oui ! — Tu en es bien sûr? — Oui! —Songe à ce que tu vas faire ! — N’ayez pas peur ! » Il était imperturbable. Alors se tournant vers Zadig, le médecin lui dit : « Tu as entendu tout 69

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

ce que je viens de dire, tu as bien compris tous les dangers que tu cours si cet abcès n' est pas ouvert. — Oui, maître ; le panseur l’empêchera d’ouvrir ; je ferai ce qu’il dira. » Devant une telle foi, il n’y avait qu’à se retirer, c’est ce que fit le médecin créole. Comme c’était à prévoir, il y eut décollement des muscles, ouverture de l’articulation, ankylosé et déformation de la main, dont les doigts restèrent ramassés les uns contre les autres. A quelque temps de là, le panseur se présenta pour toucher son paiement. « Que demande-t-il ? dit Rufz. — Un demi-doublon repartit le nègre — Donne-lui plutôt cent coups de bâton. Je ne sais, ajoute Rufz, s’il paya le panseur de la monnaie que je lui conseillai ».

Comme le Mandingue dont parle Moreau de Jonnes, les panseurs s’efforçaient de tenir secrets les simples qui entraient dans la composition de leurs remèdes. Les précautions qu’ils prenaient ne devaient pas toutefois empêcher les colons de la Martinique de connaître ces plantes et plus d’un blanc se piquait d' en savoir là-dessus autant que les nègres. Déjà le P. Labat prônait les vertus de la « liane à serpent : Mikania Scandens. Il parle de ses feuilles attachées aux branches par une queue longue et déliée, de ses fleurs qui n’apparaissent qu’à l’extrémité des branches « comme de petites grappes chargées de petits grains ronds ». Cette liane exhale une forte odeur qui surprend d’abord l’odorat et qui augmente quand on la frotte. On broie sa racine et sa tige et on en fait une tisane que l’on donne aux blessés, puis on applique le marc sur les plaies. Le marc attire le venin « et la tisane a la vertu d’empêcher qu’il ne gagne et qu’il ne corrompe les parties nobles ».

Le P. Labat parle encore des étonnantes propriétés de la « liane laiteuse ». La description qu’il donne de cette plante — tige faible, revêtue d’une première écorce hachurée, sèche, grossière, et d’une seconde fine et douce ; feuilles assez épaisses d’un « vert gai »; fleurs à cinq pétales d’odeur aromatique « fort douce et fort agréable » ; fruit ovale dont l’enveloppe rouge et sèche s’ouvre d’elle-même à maturité — nous fait croire qu’il s’agit du Cisampelos Pareira. La tige et les feuilles sont remplies d un suc épais, blanc et visqueux comme du lait. Ceux qui ont été piqués doivent sucer ce lait.

Après avoir fait ratisser la première écorce, ils mâchent la seconde avec le bois et appliquent le marc en manière de cataplasme sur la morsure. Ce marc attire le venin « que l’on voit comme une matière verdâtre et virulente sur le cataplasme, quand on le lève pour en mettre un autre, ce qu’il faut faire de six heures en six heures ». On fait encore avec le même bois, légèrement pilé, une tisane qu’on donne à boire à discrétion au blessé.

70

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

Ces deux lianes, dit le dominicain, ont leurs partisans. « Quelques-uns préfèrent la seconde à la première et ne manquent pas de raisons pour soutenir leur opinion que les autres combattent puissamment. Comme je n’ai point acheté aux écoles de médecine le droit de juger bien ou mal de toutes ces choses, je me garderai bien de rien décider sur cette dispute et en attendant qu’ils s’accordent, je vais décrire un arbre qui guérit parfaitement les morsures des serpents les plus dangereux. J’en puis parler comme témoin oculaire, m’en étant servi pour guérir un nègre de notre habitation de la Martinique.

Je ne sais pas comment les Indiens appellent cet arbre, ni si le P. Plumier l’a baptisé et enrôlé dans quelque régiment d’arbres supposés de même espèce*.

Pour nous autres, qui ne cherchons pas tant de façons, nous nous contenterons d’appeler son fruit : noix de serpent. C’est une amande ovale, environnée d’une ligne enfoncée qui semble la vouloir partager en deux dans son plus grand diamètre. La coque qui est dure, d’une médiocre épaisseur, grise, renferme une amande de même figure, couverte d’une pellicule grise. Le dedans est très blanc et de la consistance des amandes ordinaires. Dès qu’on se sent mordu, il faut casser la coque pour en tirer l’amande, la mâcher et appliquer le marc sur les trous que les dents du serpent ont faits et, s’ils sont éloignés, en mâcher deux et les appliquer sur les trous après en avoir légèrement scarifié les environs. On enveloppe ensuite la partie blessée. Au bout de deux heures, on lève l’appareil et on met un second cataplasme. Ce marc fait élever de petites vessies qui sont remplies du venin comme une eau claire et roussâtre.

On les perce pour l’en faire sortir et on applique ce même cataplasme jusqu’à ce qu’il cesse de faire élever les vessies. Pour l’ordinaire, il n’est pas besoin d’un troisième appareil. On met sur les scarifications un emplâtre d’onguent rosat pour refermer les blessures et on se trouve parfaitement guéri. J’ai dit qu’il fallait empêcher de dormir ceux qui ont été piqués. Ce remède exempte de ce soin ; car l’amande, mâchée par le blessé, excite un si grand picotement dans la bouche, avec une si abondante salivation, qu’il n’a pas le temps de songer à fermer les yeux. Le nègre que je fis traiter avec cette amande fut en état de travailler au bout de trois jours. J’ai goûté de cette amande, sa chair est blanche et ferme ; mais je doute qu’il y ait rien au monde de plus amer et de plus cuisant ».

Les voyageurs venus aux Antilles après le P. Labat donnent de nombreux autres remèdes plus ou moins inspirés des pansements nègres. D’année * Les Caraïbes de Saint-Domingue l’appelaient Avila et le P. Plumier Nandhiroba Scandens foliis hederaceis angulosis.

71

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

en année la liste s’en allonge. Nous avons eu en mains un Cahier de recettes contre les piqûres de serpents, écrit par le « géreur » d’une habitation, vraisemblablement aux environs de 1830.

Nous en extrayons les plus typiques. Voici le traitement des nègres « Caplaou ». Après ligatures, scarifications et ventousage, comme d’habitude, prendre un morceau d’écorce d’acacia de huit pouces de long, d’un pouce et demi de large. Le dépouiller de sa pellicule verte. Piler en ajoutant du tafia.

Laisser déposer, en donner un verre à madère au malade. Si le serpent est gros, trois verres. Le marc sera ensuite appliqué sur les piqûres, mêlé avec du tafia et du sel.

Les panseurs de la Basse-Pointe et de l’Ajoupa-Bouillon employaient le traitement suivant. Un « gros » et demi * de graines de bois d’Inde : amomis caryophyllata ; un gros et demi de graines de chardon béni : eryngium fetidum ; long comme le doigt d’écorce d’épineux blanc : zanthoxylon aromaticum.

Pulvériser le tout et mettre à macérer dans une bouteille de tafia. Donner au malade deux ou trois verres à liqueur. Imbiber une compresse qu’on applique sur les piqûres. La renouveler de temps en temps.

Voici un des rares pansements à base de plantes émollientes : herbe grasse : commelyna elegans ; herbe puante : cassia occidentalis ; tabac vert.

Une poignée de chaque. Piler dans un mortier ; exprimer le suc à travers un linge, mélanger à du tafia et faire prendre le tout au malade. Appliquer le résidu des feuilles sur les piqûres, en ayant soin de l’humecter de tafia.

Vingt-quatre heures après, faire bouillir pendant une heure environ, des feuilles de figues-bananes sèches ; tige et feuilles de patates bord de mer : ipomea pes caprae ; ajouter du tafia et faire tremper dans cette décoction alcoolisée la partie piquée.

M. Prévoteau assure avoir pansé plus de cinq cents personnes, sans en avoir perdu une seule, avec la racine du coton : gossypium arhorescens. Prendre une racine d’un pied de long ; enlever la pellicule noire, broyer en ajoutant du tafia. Laisser déposer et donner à boire au blessé. Frotter la partie piquée de haut en bas avec le marc, en renouvelant le tafia au fur et à mesure qu il s évapore.

Beausoleil, panseur réputé des hauteurs de Saint-Pierre, employait la « recette » suivante : Faire boire au blessé, au plus tôt, une infusion de trèfle femelle et de graines de bois d’Inde. Appliquer sur les piqûres un cataplasme de : racines de l’envers : maranta, moussache, arrow-root des anglais ; feuilles * Terme d’ancienne métrologie. La 128e partie d’une livre et le 8e de l’once.

72

Mulastre qui fume, et qui est vestu de la manière que des malastres esclave sont Vestris dans les Isles françoises de l'amerique,

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

de semen-contra, écorce de bois immortel : erythrina corallodendron et un pied-poule : eleusine indica. Frictionner en descendant avec l’infusion, Pour résoudre l’enflure : cataplasme de pain, vin et suif. En cas de fluxion de poitrine, donner une tisane faite avec de la malnommée rouge : euphorbia, en ajoutant une cuillerée de tafia et six gouttes d’Eau de Luce — préparation à base d’ammoniaque — à raison d’une tasse tous les quarts d’heure. On mettra des vésicatoires au côté. S’il y a de la gangrène, pansez avec le mouron, l’arada et la racine de citronnier.

Nous n’en finirions pas de passer en revue tous ces pansements où nous relevons entre autres les noms de la pistache bâtarde : grotalaria refusa ; du bouton d’or : pyrèthre caraïbe ; de la calebasse d’herbe : cucurbita langenaria; de l’herbe à couteau : carex ; de l’ortie piquante, du bananier, du citronnier, de la verveine : héliotropum indicum ; de la liane à glacer l’eau, du gigiri : cesamum orientale ; du Gombo-musc ; abelmoschus moschatus, etc., etc.

Voilà des traitements qui ne déplairaient pas à Pline qui dit, si justement, que la terre abonde en remèdes, non plus qu’à Dioscoride « Prince des Simplicités », comme se plaisait à l’appeler Galien.

Mais quel était en fin de compte le résultat de ces traitements? Rufz estimait les guérisons à quatre vingt dix-huit pour cent personnes piquées.

Des renseignements puisés dans les vieilles correspondances nous amènent à penser que l’estimation du médecin créole est au-dessus de la réalité. Le chiffre de quatre vingt pour cent — moyenne excellente d’ailleurs — nous semble davantage approcher de la vérité. Bien entendu, il ne s’agit pas de guérisons totales. Les blessés ne mouraient pas, mais ils restaient parfois affligés de paralysies partielles, d’amauroses, de mutisme, d’atrophies musculaires.

In cauda... optimum, le « géreur » qui a donné les recettes que nous venons de voir termine son « cahier » par un moyen expéditif, douloureux, mais radical pour guérir les piqûres du bothrops. « Flanguez », autrement dit élargissez les piqûres, faites saigner abondamment en meurtrissant les chairs environnantes, frottez vigoureusement avec du citron. Tamponnez et mettez sur les blessures une demi-cuillerée à café de poudre à canon. Serrez les dents et approchez votre cigarette.

Malgré les résultats intéressants qu’ils donnaient, ces traitements semblent aujourd’hui vieillots quand on songe aux travaux des Phisalix, Calmette, Bertrand, Noguchi, Flexner, Vital Brazil, Lamb, Délezenne, sur la sérothérapie anti-venimeuse.

74

LE

SERPENT

DE

LA

MARTINIQUE

Mais certaines coutumes sont ancrées si profondément dans l’esprit du Martiniquais que nous nous demandons si, venant à être piqué aujourd’hui, il ne s’empresserait pas de faire appeler le panseur — il y en a encore — au lieu d’aller à l’hôpital le plus proche, où il ne doit certes pas manquer de sérum anti-bothrops.

VEUE DU FORT ROYAL DE LA MARTINIQUE.

Bibliographie

MANUSCRITS Plantœ Antillanœ. — Bibliothèque Nationale. Nouv. Acq. Fr. 3539-42, 3 vol. pet. in-f°.

Manuscrits du P. Plumier. — Bibliothèque du Muséum d'Histoire Naturelle, 1-37.

IMPRIMÉS AELIEN.

— De historia animalium cum nova elephantorum descriptione. Lugduni Rovillum,

1565. in-12

— Navigatio ac itinerarium Johannis Hugonis Linscotani in Orientalem sive Lusitanorum Indiam. Hagæ-Comitis. Ex officina Alberti Henrici, impensis authoris

LINSCHOT.

et Cornélii Nicolai, anno 1599, in-f°.

PARÉ.

— Les Œuvres de M. Ambroise Paré, conseiller et premier chirurgien du Roy. Gabriel Baron, 1575, in-f°.

(R. P. Jacques). — Relation de V'establissement des Français depuis l’an 1635 en l’Isle de la Martinique, l’une des Antilles de l'Amérique. Des mœurs des sauvages, de la situation et des autres singularités de l’Isle. Paris, Sébastien Cramoisy, 1640,

BOUTON

in-8°.

ALDROVANDUS

(Ulysse). — Serpentum et Draconum historiœ libri duo. Bononiæ, 1640.

(César de). — Histoire Naturelle et Morale des Isles Antilles de l’Amérique.

Roderdam, Arnout Leers, 1665, in-4°.

ROCHEFORT

(R. P. Jean-Baptiste) du. — Histoire générale des Antilles habitées par les Français.

Thomas Jolly, 1667-71, 4 vol. in-40.

TERTRE

76

(Francesco). — Osservatione intorno alle vipere. Florence, 1686, in-4°.

REDI

(Moïse). — Nouvelles expériences sur la vipère où l’on verra une description exacte de toutes ses parties, la source de son venin, ses divers effets et les remèdes exquis que divers artistes peuvent tirer de cet animal. Paris, chez Laurent d’Houry, 1694, in-8°.

CHARAS

(Richard). — Mechanica expositio venenorum, ex anglico sermone in latinum versa a Joshua Nelson. Lugduni Batavorum. G. Langerak, 1737, gr. in-40.

MEAD

(R. P. Jean-Baptiste). — Nouveau Voyage aux Isles de l' Amérique. Paris, Jean de Nully, 1742, 8 vol. in-12.

LABAT

— Lettre sur la vipère de la Martinique.' République des Lettres et des Arts, année 1786.

BONODET.

— Traité sur le venin de la vipère, sur les poisons américains. Florence 1791, 2 vol. in-4°.

FONTANA.

Grand Dictionnaire des Sciences Naturelles (Article Trigonocéphale).

(Chevalier F. R. de). — Flora Antillarum, Paris, 1808-1827, 4 vol. in-f°.

TUSSAC

(Alexandre). — Monographie du Trigonocéphale des Antilles ou grande vipère fer de lance de la Martinique. Paris, Migneret, 1816 in-8°.

MOREAU DE JONNES

(J.-Ch.). —Dissertation sur la morsure de la vipère fer-de-lance. Thèse, Paris, 1823, in-8°

BLOT

(J.). — Des accidents produits par le venin de la vipère fer-de-lance sur les animaux vertébrés des trois premières classes et plus particulièrement sur l’homme. Mont-

GUYON

pellier 1833.

DESCOURTILZ

— Notice sur le serpent de Sainte-Lucie

BEAUCÉ.

RUFZ

(M.-E.). — Flore pittoresque et médicale des Antilles. Paris, 1833, 8 vol. in-8°

(D ). —Mémoire sur les empoisonnements pratiqués par les nègres. — Annales d’Hygiène et de Médecine Coloniale, 1844. r

TYLER. RUFZ.

— Proceedings of the Zoological Society. London, 1849, in-40,

— Enquête sur le serpent de la Martinique. Paris, Germer Baillière, 1859, in-8° (Jacques). — Des accidents causés par la piqûre du serpent de la Martinique et de leur traitement. Thèse Montpellier, 1865.

ENCOGNÈRE

CHARRIEZ

(Dr Auguste). —De la piqûre du serpent de la Martinique. Thèse, Paris, 1875, in-4°

LABOULBÈNE.

— Tome X du Dictionnaire Encyclopédique des Sciences Médicales (Article

Bothrops).

et BOCOURT. — Reptiles de l’Amérique Centrale. Paris, Baillière, 1870-95, 13 livraisons, in-4°.

DUMÉRIL

(Dr J.-J.). — La faune des halliers, des savanes et des forêts. Le bothrops lancéolé.

Feuilleton du journal Les Colonies, février 1892.

CORNILLAC

(Dr). — Expériences sur la neutralisation du venin du serpent fer-de-lance, trigonocéphale, faites au camp Balata, Martinique. Archives de Médecine navale, 1894,

TRICARD

in-4°.

BASSIÈRES

(E.) La lutte contre le serpent. Journal Officiel de la Martinique, 29 janv. 1916.

77

Table des Chapitres

CHAPITRE

—

I : La légende du Serpent de la Martinique II : Les mœurs du Bothrops lancéolé

5 11

—

III : Les ennemis du Bothrops

25

—

IV : Comment le Bothrops pique-t-il ?

41

— —

V : Les effets de la piqûre du Bothrops VI : Y a-t-il des plantes qui éloignent les Bothrops ?

46 53

Les charmeurs de Bothrops.

Observation du P. Plumier.

—

VII : Comment on soignait les piqûres du Bothrops

BIBLIOGRAPHIE

62 76