Water to Water

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« Ce grand circuit des eaux n’est-il pas l’image de toute vie? N’est-il pas le symbole de la véritable immortalité? Le corps vivant, animal ou végétal, est un composé de molécules incessamment changeantes, que les organes de la respiration ou de la nutrition ont saisies au dehors et fait entrer dans le tourbillon de la vie; entraînées par le torrent circulatoire de la sève, du sang ou d’autres liquides, elles prennent place dans un tissu, puis dans un autre, et dans un autre encore; elles voyagent ainsi dans tout l’organisme jusqu’à ce qu’elles soient enfin expulsées et rentrent dans ce grand monde extérieur, où les êtres vivants, par millions et par milliards, se pressent et se combattent pour s’emparer d’elles comme d’une proie et les utiliser à leur tour. Aux yeux de l’anatomiste et du micrographe, chacun de nous, en dépit de son dur squelette et des formes arrêtées de son corps, n’est autre chose qu’une masse liquide, un fleuve où coulent avec une vitesse plus ou moins grande, comme en un lit préparé d’avance, des molécules sans nombre, provenant de toutes les régions de la terre et de l’espace, et recommençant leur voyage infini, après un court passage dans notre organisme. Semblables au ruisseau qui s’enfuit, nous changeons à chaque instant; notre vie se renouvelle, de minute en minute, et si nous croyons rester les mêmes, ce n’est que pure illusion de notre esprit. »

Elysée Reclus, Histoire d’un ruisseau, Actes Sud, 2005, p. 194


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