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Actuel no 27

l’estampe contemporaine

Actuel est une émanation du groupe Facebook

« Parlons Gravure »

Comité de sélection :

Sabine Delahaut

Jean-Michel Uyttersprot

Catho Hensmans

Comité de rédaction :

Sabine Delahaut

Richard Noyce

Christine Pinto

Jean-Michel Uyttersprot

Mise en page :

Jean-Michel Uyttersprot

Pierre Guérin

Relecture : Annie Latrille

Paul Diemunsch pour l’estampe en couverture et pour le tirage de tête de ce numéro : un tirage pour la revue et limité à 20 exemplaires (ci-dessus).

Sauf indication particulière, les visuels appartiennent aux auteurs. Les légendes des images sont à lire de gauche à droite et de haut en bas, les mesures sont celles de la surface imprimée, hauteur par largeur, sauf indications contraires.

(4) Paul Diemunsch

(14) Koichi Yamamoto

(20) Aurélie Vink

(26) Caroline Coolen

(32) Marilda Simonidhi

(38) Catherine Cheong Cheng Wa

(46) Enzo

(52) Xecon Uddin

(56) Destin, un roman graphique de scène

(59) Arbre pour mémoire

Pour toutes informations : magazine.actuel@gmail.com www.actueldelestampe.com

Éditeur responsable : K1L éditions. Contact publicités : magazine.actuel@gmail.com

Prix de vente : 20 €

ISSN : 0774-6008

EAN : 978-2-930980-49-2

Printemps 2023

Ont collaboré à l’écriture de ce numéro : Paul Diemunsch, Koichi Yamamoto, Aurélie Vink, Caroline Coolen, Pascal Hubert, Catherine Cheong Cheng Wa, Enzo, Xecon Uddin, Ariane de Briey, Galleri Heike Arndt DK Berlin

Irina, une de mes bonnes amies roumaines, a échappé à l’hiver en passant du temps sur la côte sud de l’Espagne, près du cap de Trafalgar. Ses photographies régulières du rivage à différents moments de la journée et dans différentes conditions météorologiques offrent une alternative bienvenue au temps habituellement froid et gris ici, au pays de Galles, et sa vision nettement créative du monde a donné lieu à des images inhabituelles.

L’une d’elles montre la plage et la mer par une journée ensoleillée. Au centre, une femme promène son chien, ils sont presque de la même couleur que le sable. Près d’eux, une jeune fille exécute un poirier, ignorée par un jeune garçon assis dans un trou à côté d’elle. Ce qui rend cette photo déjà merveilleuse encore meilleure, c’est la présence de trois petites figures au bord de la mer d’un bleu profond à gauche. Deux d’entre elles portent du rouge vif, et les points de couleur créent un équilibre parfait dans une image qui capture si bien ce que Cartier-Bresson appelait « le moment décisif ». Nous échangeons des messages sur cette image fascinante et Irina se demande si quelqu’un derrière elle a envisagé un cadrage plus large, qui l’incluait, et a pris à son tour une photo.

On pourrait continuer de cette façon avec une série d’images dont chacune reflète sa propre réalité, séparée par les intervalles de temps les plus brefs. Les philosophes et les poètes ont spéculé sur la nature du temps et du réel, et leurs idées ont été encore compliquées par les physiciens quantiques. La meilleure conclusion que nous puissions atteindre est peut-être que l’objectivité est beaucoup plus étrange que nous ne pouvons l’imaginer. Si c’est le cas, la création d’images devient alors une ressource précieuse que nous pouvons voir et à partir de laquelle nous pouvons tirer

nos conclusions pour stimuler notre vie imaginative personnelle. Et c’est, bien sûr, ce que tous les bons artistes ont toujours fait, pour créer leurs propres visions des mondes de l’observation et de l’imagination, puis pour les partager avec d’autres dans un processus continu d’autoréflexion, comme les photographies classiques prises à l’aide de miroirs se faisant face, chaque réflexion étant reflétée encore et encore, peut-être à l’infini. Ces pensées vagabondes conduisent à une considération de la nature de la gravure. Les textes sur les processus nécessaires pour créer le multiple sont chose courante. Il a moins été écrit sur la façon dont les résultats sont vus et interprétés par des personnes qui ne sont pas initiées aux mystères de l’atelier de gravure. Mais, comme de nombreux graveurs contemporains le savent bien, encourager l’amour de l’estampe est très bénéfique pour toutes les parties concernées. Il y a quelques années, j’étais à l’ouverture d’une exposition de lithographies d’artistes de nombreux pays. Je me suis retrouvé près de deux dames d’un « certain âge » qui regardaient les œuvres puis lisaient les cartels. Elles s’exclamaient avec un plaisir croissant : « Oh, c’est aussi une lithographie », puis : « J’ignorais que la lithographie pouvait faire tout cela ! » Il y a, je pense, une leçon pour tous les graveurs, quel que soit le média qu’ils choisissent !

Paul Diemunsch

Lorsque j’ai commencé la gravure, je représentais des scènes qui illustraient des moments de l’histoire, qui la racontaient par un détour, sans l’évoquer de manière grandiloquente. Je cherchais des évènements qui avaient une portée singulière, et pour cela, je lisais des ouvrages historiques et j’écoutais des émissions qui me plongeaient dans le récit d’une séquence historique qui m’intéressait. Utiliser le passé pour évoquer le présent était à ce moment-là la manière que j’avais de conduire mes images. Par exemple, à travers Le Brûlement du Talmud, je me suis saisi d’une anecdote faisant apparaître le christianisme en France comme vulnérable, telle une colonne porteuse qui s’ébranle et qu’il faut reconsolider cycliquement, et parfois dans la violence. En 1236, Nicolas Donin, un juif converti originaire de La Rochelle, va trouver le pape Grégoire IX et l’informe que les juifs ont abandonné l’Ancien Testament et vénèrent à présent le Talmud. Il lui affirme que les juifs basent leur nouvelle loi sur un texte qui insulte et dégrade le Christ. Le pape, effrayé par cette nouvelle, émet une bulle papale qui somme les royaumes européens de brûler les exemplaires du Talmud dans lesquels figurent ces atteintes à la chrétienté. Louis IX engage donc un procès en 1241, lors duquel les autorités rabbiniques de Paris font face à un ensemble de princes, de clercs et d’universitaires. C’est la première fois que le clergé juge des non-chrétiens. L’heure est solennelle pour l’Église, car si les juifs ne se réfèrent plus à l’Ancien Testament, les prophéties justifiant le caractère messianique et sacré du Christ s’effondrent, et avec elles le Nouveau Testament. Le procès aboutit à une sentence extraordinaire, celle de brûler en place de Grève à Paris vingt-quatre charrettes du livre « infâme », le Talmud. Puis, j’ai commencé à représenter des évènements récents. La percussion de la porte cochère d’un ministère par les gilets jaunes m’a immédiatement rappelé des scènes de jacquerie que j’ai pu illustrer auparavant dans certaines de mes gravures. J’ai alors réalisé une de mes œuvres les plus volumineuses,

La Prise du ministère. En évoquant cet évènement anecdotique, en le figeant dans le métal, j’ai été grisé par cette manière de faire jaillir l’aspect historique du présent. Il s’agit d’un jeu, celui d’insérer de l’histoire dans le moment actuel et, inversement, de remodeler la portée des évènements présents afin de les penser autrement que tels qu’ils surviennent. Dans une autre gravure, La Ziggurat d’Ur, je me suis intéressé au rapport que Saddam Hussein entretenait avec le pouvoir et le peuple irakien. Son culte de la personnalité m’a toujours amusé, il s’imaginait comme le successeur de Nabuchodonosor, l’ancien roi de Babylone. Arrivé au pouvoir, il décida de rebâtir des monuments babyloniens afin d’enhardir les Irakiens, de les projeter dans l’histoire et de dynamiser la société irakienne par la refondation du patrimoine. Ainsi, il ordonna des chantiers vertigineux, fit reconstruire partiellement le palais royal et ses remparts, ainsi que des temples mésopotamiens, les ziggourats. À la manière de Prosper Mérimée confiant à Viollet-le-Duc la restauration de certains grands édifices français, Saddam Hussein souhaitait vitaliser les liens que les Irakiens entretenaient avec leur histoire, ce qui lui permit d’asseoir et de légitimer son pouvoir en Irak.

À présent, je réalise des images hybrides, en mutation, dans lesquelles les mondes et les temporalités s’interpénètrent, telle La Bataille du Parlement, dans laquelle des hordes de patriotes factieux marchent sur le Parlement européen, lui-même défendu par les forces du mal du Seigneur des anneaux.

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La gravure a permis aux artistes d’échapper aux lois coercitives qui lient la peinture au pouvoir, générant ainsi des représentations moins honorifiques et plus populaires ou caricaturales. Parfois scabreuses et méchantes. Elle est, à mon sens, le médium du récit historique des perdants. Par mes œuvres, je cherche à employer le langage critique de ce support dans un contexte contemporain. Chaque ouvrage est pour moi le moyen d’évoquer une rupture, de figurer une bataille virtuelle livrée contre un groupe, telle une résolution du désir de justice très présent dans les sociétés contemporaines. Les questions du contre-pouvoir et de la réaction sont centrales dans mon travail.

De plus, la gravure pose sans cesse le défi de l’humour par la représentation, tant dans le détail que dans le sujet traité ; c’est donc aussi par ce biais que passe le plaisir de produire des images. Je me sens pour ainsi dire conduit, peut-être emporté malgré moi, par la dimension sarcastique et populaire que le support gravé a toujours charriée dans l’histoire. Rembrandt l’utilisait pour montrer des loqueteux qui urinent, les révolutionnaires des têtes de nobles sur des piques. Je conçois l’image gravée comme un pistolet à bouchon, une arme inoffensive, une joie momentanée de renverser le rapport de force, de vilipender les valets du pouvoir à travers des scènes. Il y a dans les gravures de la fin du XVIIIe siècle un aspect prométhéen, une recherche de l’affranchissement et du meilleur qui passe par la représentation dégradante de l’adversaire. Je me sens porteur de cet élan qui, dans le cas présent, vise plus à exalter qu’à condamner. Aussi, la gravure a selon moi une fonction, celle de cibler et de brocarder, tel un bulletin d’agitation. Il s’agit d’être à la fois précieux et potache, d’user d’une débauche de moyens au service d’un pied de nez ou d’un camouflet.

En couverture : Le Brûlement du Talmud à Paris, 2019, eau-forte et burin, 28 × 42 cm

Page 2 : Édouard Leclerc, 2023, eau-forte, 9 × 6 cm, édition de tête pour ce numéro de la revue.

Page 5 : La Bataille du parlement, 2022, eau-forte, 48 × 46 cm

Page 6 : L’Attrape-coquin, 2018, eau-forte, 35 × 25 cm

Page 7 : Le Sac du château de Gaillon, 2017, eau-forte, 19 × 35 cm

Page 8 : Patrick Balkany, 2019, eau-forte, 18 × 13 cm

Page 9 : Éric Zemmour, 2022, eau-forte, 18 × 13 cm

Page 10 : La Prise du ministère, 2019, eau-forte, 48 × 40 cm

Page 11 : La Ziggurat d’Ur, 2019, eau-forte, 15 × 35 cm, Urbains, 2022, eau-forte, 15 × 12 cm

Pages 12 et 13 : Jésus et Obélix, 2023, eau-forte et aquatinte, 27 × 40 cm

Page 60 : Le Cabinet de réflexion, 2018, eau-forte et pointe sèche, 15 × 14 cm

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Page 14 : Kasane, 2021, burin sur cuivre, Chine collé, 56 × 52 cm

Page 15 : Futago, 2021, burin sur cuivre, Chine collé, 27 × 60 cm

Page 16 : Hazami, 2021, burin sur cuivre, Chine collé, 60 × 45 cm

Page 17 : Mutsuashi, 2022, burin sur cuivre, Chine collé, 60 × 45 cm

Page 18 : Namikeshi, 2022, burin sur cuivre, Chine collé, 65 × 35 cm

Page 19 : Owarino Hajimari, 2020, eau-forte, aquatinte, Chine collé, 78 × 58 cm

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Koichi Yamamoto

Bisymétrie et combinaisons

La gravure sur cuivre au burin est un procédé simple de gravure en creux, mais qui apporte un langage visuel complexe de valeurs et de formes. Je suis intéressé par la découverte de l’illusion de formes inattendues avec un contenu qui est fait de tels langages visuels. Mes œuvres graphiques et mes cerfs-volants représentent une recherche pour découvrir la qualité dynamique des compositions symétriques statiques. Pour la communication, j’ai choisi le cerf-volant comme véhicule et la gravure comme langage. Impression par pliage : c’est un moyen efficace de créer des images bisymétriques. L’impression en taille-douce libère une grande quantité d’encre de la plaque au papier, ce qui permet de réimprimer de papier en papier. Ce procédé est souvent appelé impression fantôme ou transfert de deuxième génération. Habituellement, les impressions « fantômes » sont moins contrastées

que le premier tirage. Mon approche est de créer une ligne de gravure profonde pour augmenter l’espace pour l’encre afin que le second transfert soit aussi contrasté que la première impression. La phase suivante du développement consiste à créer une nouvelle image par-dessus l’autre. Puisque deux images ont un accord compositionnel de bisymétrie, même une combinaison arbitraire peut justifier la synthèse. Une composition visuellement équilibrée peut être vue simultanément et dans le processus de compréhension, l’esprit humain tend à donner un sens à l’ensemble. La troisième phase consiste à visualiser les possibilités de combinaison. L’objectif est de créer un « match making » avec un nombre disponible d’images. La combinaison potentielle est infinie. Je trouve que ce modèle ressemble à la variabilité génétique qui se produit dans le monde naturel. J’utilise cette idée pour réaliser des combinaisons d’images.

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Koichi Yamamoto est un artiste qui fusionne le traditionnel et le contemporain en créant des approches uniques et innovantes du langage de la gravure. Koichi a travaillé avec des gravures sur cuivre méticuleuses et des monotypes à grande échelle. Il a obtenu un baccalauréat en beaux-arts au Pacific Northwest College of Art de Portland, dans l’Oregon, puis s’est installé à Cracovie, en Pologne, pour produire des œuvres et étudier la gravure sur cuivre à l’Académie des beaux-arts de Bratislava, en Slovaquie. Il a étudié à l’Académie des beaux-arts de Poznań, en Pologne, puis a obtenu un MFA à l’Université d’Alberta, au Canada, en 1999. Il a également travaillé comme designer textile à Fredericia, au Danemark. Les gravures de Koichi explorent les questions du sublime, de la mémoire et de l’atmosphère. Ses œuvres ont été exposées partout dans le monde. Il a enseigné à l’Université d’État de l’Utah et à l’Université du Delaware et est actuellement professeur à l’Université du Tennessee à Knoxville, aux États-Unis. https://www.yamamotoprintmakin.com/

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Aurélie Vink

Mes premières gravures, qui s’articulaient autour de lignes parallèles et de formes géométriques, ont été influencées par les compositions architecturales après une formation d’architecte d’intérieur. En 2016, elles s’orientent vers des formes plus organiques. Mes estampes (gravure en taille-douce, en relief ou lithographie) reflètent un univers abstrait qui tend vers le monde végétal ou vers des paysages imaginaires.

Je réalise souvent mes estampes à l’aide de plusieurs matrices (plaques de cuivre ou pierres lithographiques) de même format que je travaille indépendamment. Celles-ci seront superposées au moment de l’impression. Opérer de la sorte me permet de désamorcer le piège de l’habitude, tant au niveau de la composition que des matières. D’autre part, le résultat inattendu qui se manifeste ainsi me propose de nouvelles voies que je n’aurais pu imaginer autrement. Chaque nouvelle estampe contient la suivante en puissance par une espèce d’autogénération et engendre une suite de variations fuguées par les différentes surimpressions. Mes recherches sur les processus aléatoires par la juxtaposition de ces matrices, les traces fortuites de l’encre et des outils m’offrent de nouvelles explorations par de multiples configurations inattendues. Les matières, les surfaces et les lignes s’agencent alors en réseaux déliés ou compacts. La couleur s’est également immiscée dans ma démarche sous forme de modulations de nuances translucides. Ainsi se donne à voir le jeu des figures et des surfaces par le truchement de processus hybrides oscillant constamment entre le hasard et le vouloir.

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Née à Namur en 1983, Aurélie Vink est graveuse, professeur d’arts plastiques et architecte d’intérieur. Attirée et passionnée par l’art depuis l’enfance, elle est diplômée en 2006 en architecture d’intérieur à Saint-Luc, se forme au même moment en gravure à l’Académie des beaux-arts de Wavre, où elle obtient son diplôme en 2010. Depuis deux ans, elle apprend la lithographie à l’académie RHok à Etterbeek. Aurélie Vink a participé à plusieurs expositions collectives et concours, dont celui de La Louvière, et au Prix découverte du Centre d’art de Rouge-Cloître en 2019. Pendant onze ans, elle a travaillé en architecture d’intérieur pour progressivement changer de métier et aller vers l’enseignement. Depuis 2013, elle enseigne les arts plastiques pluridisciplinaires et la gravure à la Haute Écolede pédagogie Galilée.

Internet : https://aurelievink.wixsite.com/gravure Instagram : aurelie.vink

Page 20 : EXO-22-03, 2022, lithographie, 37 × 26 cm

Page 21 : LIN-19-01, 2019, aquatinte et vernis mou, 30 × 25 cm

Page 22 : LIN-20-02, 2020, pointe sèche et vernis mou, 30 × 25 cm

Page 23 : LIN-20-04, 2020, pointe sèche et vernis mou, 30 × 25 cm

Page 24 : LIN-19-02, 2019, aquatinte, 30 × 25 cm

Page 25 : EXO-22-03, 2022, lithographie, 16,8 × 11,6 cm

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Tout comme Caroline Coolen (1975) assemble de manière associative différents matériaux dans son œuvre sculpturale, elle utilise le collage comme technique dans son œuvre graphique. Elle colle ensemble diverses gravures sur bois découpées pour en faire des œuvres murales uniques sur papier. Cela lui donne la liberté de composer une œuvre au fur et à mesure, loin d’une idée ou d’une image préconçue. La gravure sur bois lui permet d’arriver à une écriture différente de celle de sa main qui dessine. Imprimer plusieurs fois une gravure sur bois offre la possibilité d’expérimenter et de varier les couleurs et les tons. Elle construit ses gravures sur bois en plusieurs couches superposées. Avec chaque couche, l’œuvre gagne en profondeur et en signification.

Caroline a beaucoup voyagé à travers l’Europe de l’Est, riche en histoire, en culture populaire et en nature intacte. Elle trouve la beauté dans la vie quotidienne, ordinaire, avec les traditions et les coutumes populaires. Pour Arslan (2022), il s’agissait d’un tapis tissé à l’image d’un lion, qu’elle a vu lors de son voyage dans l’est de la Turquie. Ce motif étrange et rare l’a inspirée. Après une recherche, elle a trouvé le village où les artisans fabriquaient autrefois le tapis. Le motif du lion n’est plus produit depuis longtemps, mais ils ont tout de même pu lui montrer les modèles. Ce dessin technique est devenu le point de départ de cette œuvre monumentale, où la superposition des différentes impressions représente la superposition des frontières sous lesquelles se cachent d’autres frontières et civilisations plus anciennes.

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Caroline Coolen

Caroline Coolen, née à Bree en 1975, vit et travaille à Sint-Truiden, en Belgique.

Elle a étudié la sculpture à l’Académie royale des beaux-arts et à l’Institut supérieur des beaux-arts d’Anvers. Caroline Coolen expose régulièrement dans son pays et à l’étranger.

Elle a remporté plusieurs prix – tels le prix Parkstad Limburg (Pays-Bas) et le grand prix Ernest Albert de dessin et de graphisme – et a été invitée à plusieurs reprises au Centre européen de la céramique, à Oisterwijk (Pays-Bas), et au Centre Frans Masereel, à Kasterlee (Belgique).

Outre ses sculptures, installations et dessins autonomes, elle présente également des œuvres dans des espaces publics, ainsi que dans des collections privées et publiques. Elle a déjà publié deux monographies, Raw (2010) et Carlina Vulgaris (2018).

www.carolinecoolen.com

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Avec son intérêt pour les « bords effilochés du monde », comme elle aime à le dire ellemême, il n’est pas surprenant que son regard d’artiste se soit posé sur le chardon. Le motif du chardon apparaît sous de nombreuses formes dans son œuvre et est chargé de symbolisme. Chez nous, la plante est souvent considérée comme une herbe indésirable et combattue. Le chardon est une plante pionnière épineuse qui pousse en masse sur les terrains vagues, près des bâtiments abandonnés et des anciennes usines. En raison de ses épines, le chardon est également devenu l’un des symboles de la souffrance et du sacrifice du Christ. Dans les peintures des vieux maîtres d’Europe du Nord, comme Lucas Cranach, le chardon poussait au pied de la croix. Ainsi, dans la tradition chrétienne, le chardon ne signifie pas grand-chose de bon. En même temps, le chardon est une plante médicinale et curative, autrefois associée à la sorcellerie. Le nom russe du chardon peut être traduit littéralement par « damner le diable », expulser les puissances impures, en d’autres termes : guérir

Page 26 : Polilla - Death Heads Hawkmoth (gauche), 2021, gravure sur bois imprimée sur métal, 117 × 200 × 10 cm, Polilla - Emperor Moth (droite), 2021, gravure sur bois imprimée sur papier, collé sur métal, 115 × 200 × 10 cm, Thistles, 2021, bronze

Page 27 : Red Forest, 2018, gravure sur bois et fusain sur papier, 240 × 360 cm

Page 28 : Fest, 2021, gravure sur bois, 290 × 240 cm, crédit photo : Arno Roncada

Page 29 : Culprits of Death, 2020, gravure sur bois (laser), crédit photo : Peter Cox

Page 30 : Thistlebud, 2014, gravure sur bois, 370 × 240 cm

Page 31 : Moonman, 2013, gravure sur bois et peinture acrylique, 370 × 240 cm

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Page 32 : Poisson enraciné II, 2019, manière noire, aquatinte, eau-forte et pointe sèche, 38,5 × 10 cm

Page 33 : Aller Retour, 2019, aquatinte, eau-forte et manière noire, 20 × 30 cm

Page 34 : Vanité, 2019, manière noire, aquatinte, eau-forte et burin, 24,5 × 20,5 cm

Page 35 : Tête de poisson, 2019, eau-forte, aquatinte, pointe sèche et burin, 17 × 17 cm

Page 36 : Envol, 2019, manière noire, aquatinte, sucre et burin, 45,5 × 25 cm

Page 37 : Le Bar, 2019, manière noire, aquatinte, sucre, pointe sèche et burin, 10 × 39,5 cm

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Marilda Simonidhi

C’est dans la petite couronne francilienne, au sud de Paris, que Marilda Simonidhi mène ses recherches artistiques autour de la gravure, hors du temps et avec un plaisir inégalé à chaque étape du processus de création. Cette intemporalité provient en partie du partage entre sa vie artistique et la direction de l’atelier de gravure ETR Balistic Graphique d’Arcueil, où se mêlent conseils aux artistes et projets éducatifs. Sa vocation est née dès ses premières rencontres avec la gravure aux Beaux-Arts de Turin, où elle est fascinée par le travail du cuivre et des encres : « Cela a été un coup de foudre » (Aimez-vous l’art ? – Interviews dessinées, Frédéric Elkaïm et France Dumas, Éd. Magellan & Cie). Depuis lors, elle s’investit totalement dans cet apprentissage, car la gravure est une passion qui demande discipline, patience et aucune hésitation à se salir les mains.

Sa relation avec l’art se traduit en exigences très pointues pour obtenir des estampes précises grâce à une parfaite maîtrise des différents outils qui s’offrent à elle pour composer des œuvres en ne laissant rien au hasard. Dans ces dernières, exclusivement noir et blanc, nuancées de palette de gris, nous voyons des noirs intenses et précis réalisés à la manière noire, des jeux de contraste fort et doux, des teintes de gris mat, léger, dur et tendre, obtenues à l’aquatinte, des traits décisifs travaillés aux burins, des attaques franches opérées grâce à l’eau-forte, et encore bien d’autres effets.

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C’est non seulement par cette habileté que son but ultime se révèle, mais aussi grâce à une combinaison de ces différents traitements des matrices. Elle amène la lente gestation de ses créations vers des images traduisant l’exactitude de sa volonté de composition, d’intensité et de détails. De plus, Marilda traite l’acte d’imprimer au même niveau que celui des techniques de gravure qu’elle emploie, car pour elle un graveur doit non seulement connaître la théorie des techniques d’impression, mais aussi savoir s’en servir pour exploiter au maximum les capacités de révélation artistique de ce processus de reproduction. Marilda aime partir d’une plaque métallique nue où des imperfections, d’origine ou provoquées, révèlent des formes et des nuances qu’elle pourra cultiver par la suite. Elle utilise rarement une seule technique puisque s’impose toujours la recherche d’un délicat équilibre entre la métamorphose de la matière et la représentation du réel. Les objets de prédilection de Marilda sont ceux qui permettent aux textures de s’épanouir, d’être travaillées. Pour tel sujet elle va exploiter ses passions autour de la mer : ainsi se dévoilent les gravures Le Bar, Bar en émergence et Tête de poisson, qui offrent à la réflexion une interaction du vivant avec son environnement. L’animal n’y est jamais totalement représenté, il émerge de la matière en totale fusion avec elle. Mais le clin d’œil de Aller Retour est peut-être tout simplement la représentation d’une allégorie de la vie après un festin dont ont profité de joyeux convives.

D’autres objets sont liés à leur temporalité avec notre monde. En effet, elle capture la vie éphémère de papillons dans sa gravure Envol qui pourrait représenter une évolution de l’âme et le changement

de forme. La gravure nous emmène dans une nuit sombre, où notre regard est fasciné par le ramage du lépidoptère qui se déploie dans toute sa splendeur, à l’image du paon. A contrario, une temporalité figée se retrouve dans des structures osseuses : ainsi un crâne, présenté comme Vanité, montrant l’usure du temps qui crée des reliefs et des surfaces minérales hétérogènes. Cette perception sied aussi aux animaux comme le montre le Crâne de sanglier qui, avec son large sourire narquois, nous rappelle à un monde du vivant bien éphémère.

Enfin, des métamorphoses se réalisent concrètement dans la série des enracinements (Poisson enraciné et Sur un piédestal). Ces estampes représentent une hybridation du vivant avec des racines, comme pour signifier une recherche permanente de fondations pour entretenir la vie. Ainsi Marilda met en lumière leurs missions collectives, nourricières, familiales et si traditionnellement discrètes aux yeux des hommes. Dans cette œuvre, ce qui captive les sens, ce sont les textures, les formes, les mouvements, le rythme de la nature, construits dans des compositions hybrides, le plus souvent dans des univers silencieux où des éléments familiers sont disposés de manière ordonnée et non chaotique.

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Pascal vice-président de l’association ETR Balistic Graphique
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Diplômée de l’Académie des beaux-arts de Turin, Marilda Simonidhi se spécialise à la peinture et à la gravure puis elle s’installe en France en 2001. Elle fréquente l’atelier de l’imprimeur Daniel Moret et les cours de burin de Marc Robert à l’École Boulle. Aujourd’hui, elle partage son activité entre la direction de l’atelier de gravure ETR Balistic Graphique à Arcueil et ses propres recherches artistiques. Elle s’y investit fortement, comme dans un laboratoire où elle réinvente les procédés de fabrication des estampes, tout en maîtrisant la chaîne complète de production des gravures, de la création des matrices jusqu’aux impressions finalisées, en combinant de multiples techniques : eau-forte, aquatinte, sucre, pointe sèche ou manière noire, pour interpréter ses sujets de façon contemporaine.

https://www.marildasimonidhi.fr/

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Page 38 : Un été en France, 2014, eau-forte sur cuivre, papier chinois imprimé en couleurs jet d’encre posé en chine-collé, 23 × 35 cm C’était en 2006. Une amie de Macao, Tracy, prévoyait de venir étudier en France avec moi. On est allées à Toulouse où l’on a rendu visite à Alice Kok, une étudiante des Beaux-Arts présentée par l’enseignant de photographie Frank Lei, pour nous informer sur les études en France et passer les vacances d’été. Par une chaude journée, nous sommes allées au bord d’une rivière pour nous rafraîchir.

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Catherine Cheong

Depuis mon enfance, j’aime dessiner, c’est une passion, un plaisir. Un crayon à la main, je dessine au hasard sur le papier, trait par trait, chaque trait est une sorte de concentration. Peu importe que ce soit une ligne droite, une ligne croisée, une ligne ondulée, une ligne en spirale ou un cercle, c’est comme une empreinte gestuelle, une façon de m’exprimer, un genre de libération émotionnelle.

J’aime aussi colorier des albums avec des personnages de dessins animés japonais. Parfois, je décalque ces personnages pour produire plusieurs dessins à colorier, ou je découpe des images dans des magazines. Je réorganise la mise en page des images et des éléments découpés un par un sur une feuille blanche, pour construire la narration.

En 2010, j’ai suivi un cours de gravure pour adultes à l’atelier du Musée des arts de Macao avec le maître graveur James Wong Cheng Pou, qui nous a appris à faire de la gravure en creux (taille-douce) au vernis mou, en manière de crayon, pour reproduire les images ou les dessins. J’ai retrouvé ce plaisir d’enfant, en particulier l’étape où l’on décalque des dessins ou des images existants.

À cette époque, la plupart des tirages de mes camarades de l’atelier étaient en noir et blanc ou monochromes. Comme j’aimais beaucoup les couleurs, et que je voulais réaliser une estampe en multicouleurs, j’ai eu la curiosité de demander à Maître Wong comment effectuer une taille-douce en couleurs. Il a présenté la méthode de chine-collé, une plaque, une couleur, aquarellée à la main sur les tirages noir et blanc. Cela m’a beaucoup intéressée. Ainsi, j’ai eu l’idée d’imprimer des images numériques en couleurs sur le papier fin généralement utilisé pour le chine-collé.

De cette façon, après plusieurs essais, j’ai réussi à imprimer une image numérique sur ce papier. Cela me permet de combiner avec la gravure en taille-douce. Petit à petit, j’ai développé mon propre style de création des estampes “multicolores”, avec un seul passage, en mélangeant les techniques traditionnelles de l’impression en taille-douce et l’impression moderne à jet d’encre sur papier, posé en chine-collé. Comme j’ai ajouté des images numériques en couleurs à la technique traditionnelle du chine-collé pour colorer les images. C’est nouveau pour moi, et sans perdre la tradition. Mais je ne sais pas comment définir cette façon de faire des tirages dans une catégorie déjà bien établie. Peut-on l’appeler des estampes “multicolores” ? Je ne sais répondre mais je suis satisfaite d’avoir maîtrisé cette méthode de travail.

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Ensuite, j’ai réalisé une série du thème de la Rencontre, avec des portraits et des paysages mémorisés lors de mes premières études à l’étranger, en France, où je n’avais jamais voyagé seule dans un pays si lointain. Mal préparée sans doute, je n’avais aucune idée de comment j’allais envisager ce voyage. Avec naïveté, je m’y suis lancée avec le seul courage de mon cœur. En arrivant, je ne parlais pas du tout le français et je ne connaissais pas le pays non plus. Chaque pas a été un défi que j’ai affronté sans peur. Mais après la rencontre avec les propriétaires, les colocataires et les collègues, etc., tous de nationalité et cultures différentes, je me suis rendu compte que l’amitié dépassait la barrière de la langue. Je pense que la relation entre les gens et la relation avec des objets est un lien très riche d’émotions. C’est un sentiment fascinant, à la fois abstrait et impénétrable. Les gens et les objets tissent la trame des histoires que je raconte à travers mes gravures, j’essaie d’ajouter des symboles et des objets les concernant dans mes dessins, je montre ce qui est significatif, intéressant dans mes relations avec eux. La connaissance des différentes facettes de l’humain me permet de me comprendre moi-même plus profondément. J’ai vécu une étape inoubliable de ma vie pendant ces quatre ans d’études dans le sud de la France, en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Techniquement, cette série d’œuvres est basée sur les images photographies. J’ai donc d’abord combiné les images dans un fichier avec le logiciel Adobe Photoshop pour obtenir l’effet que je voulais. J’ai reproduit cette image sur la plaque de cuivre en utilisant la méthode de la manière de crayon. Je suis ensuite passée par le processus de gravure à l’eau-forte. Une fois la morsure terminée, rincée,

séchée, encrée, etc., j’ai fait la première épreuve d’impression à l’encre noire. Si l’effet n’était pas aussi bon que souhaité, je répétais les étapes du processus pour la traiter ou la modifier afin de répondre à mon exigence. Après avoir imprimé une bonne épreuve, j’ai récupéré le fichier numérique que j’avais préparé au début ; je l’ai retouché avec l’image/ fichier couleur originale dans Photoshop, pour être sûre que les images coïncidaient et que la taille de l’image que je souhaitais imprimer sur papier fin était bien positionnée. J’ai imprimé cette image sur le papier fin, j’ai procédé à l’impression avec la technique du chinecollé pour le tirage final. Quelle excitation à chaque passage de la presse ! Quand on découvre le résultat, c’est comme si un magicien avait utilisé sa magie pour transformer une image sur la plaque de cuivre en un dessin sur papier. Heureusement, mon travail a été réalisé avec succès, comme je le souhaitais.

Page 40 : Hui Ling, 2014, eau-forte sur cuivre, papier chinois imprimé en couleurs jet d’encre posé en chine-collé, 35 × 25 cm

Une colocataire taïwanaise, enseignante d’art. Son rêve est d’étudier et de réaliser un film en France. J’ai appris d’elle la ténacité et la persévérance pour suivre son rêve

Page 41 : Rié, 2014, eau-forte sur cuivre, papier chinois imprimé en couleurs jet d’encre posé en chine-collé, 35 × 25 cm.

Une camarade au cours de langue française à Aix-enProvence. C’est une cuisinière japonaise, qui est venue en France pour approfondir sa connaissance de la cuisine française. J’ai vécu chez elle pendant une courte période lorsqu’elle était partie travailler en Italie. Je me suis donc occupée de son chat Gigi. Malheureusement, il est parti pendant mon déménagement. J’en ai toujours été désolée.

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J’ai continué à expérimenter ma technique pour créer des œuvres plus grandes. Composée en 2015, Macau People est la plus grande que j’aie réalisée jusqu’à présent.

Le contexte de ce travail récompensé est lié à certains souvenirs de Macao, où j’ai grandi. Les habitants de Macao de statut social inférieur sont représentés dans l’œuvre, comme les pauvres gens de la rue : la vieille dame qui ramasse des ordures ; le vieil homme qui pousse le chariot de la poubelle est sans-abri, il marche toujours la tête baissée ; un autre vieil homme à la boîte en fer est quelqu’un que j’ai vu dans mon enfance, cela fait des années que je n’ai pas entendu le son de son gong plat quand il colporte de l’huile ; je crois qu’il est parti. Peut-être que je ne peux pas m’empêcher d’être sensible aux pauvres que je rencontre dans les rues, ils provoquent toujours ma compassion et mon désir de leur offrir de l’aide, mais je ne sais pas comment. Ils m’émeuvent et me donnent envie de les prendre en photo. Par le biais de la photographie et de la gravure, j’ai voulu capturer les personnages du côté authentique des moyens de subsistance par opposition au « glamour » de Macao.

Pages

42 et 43 : Macau People (Les Gens de Macao), 2015, eau-forte sur cuivre, papier chinois imprimé en couleurs jet d’encre posé en chine-collé, 42 × 80 cm
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Catherine Cheong Cheng Wa est artiste, graveur, graphiste, curatrice indépendante. En 2003, elle obtient un diplôme en design graphique à l’Institut polytechnique de Macao, puis elle part en France pour approfondir ses études, et en 2008, elle est diplômée de DNAP, spécialisée dans l’installation d’art vidéo, à l’École supérieure d’art et de design de Toulon. Après son retour à Macao, elle travaille au département de la culture du gouvernement, en tant que graphiste d’expositions d’art. En même temps, elle pratique la gravure à l’atelier du Musée d’art de Macao avec le maître James Wong. En 2015, elle remporte un prix à la 2e Triennale de gravure de Macao, un concours international de gravure, avec son œuvre Macau People, qui l’a encouragée à repartir en France pour continuer ses recherches dans son domaine artistique. Actuellement, elle est étudiante en deuxième année de master d’art plastique à l’université Paris 8, son sujet de mémoire de maîtrise porte sur l’évolution de l’estampe contemporaine. En tant qu’artiste, la plus grande partie de son inspiration artistique provient d’expériences personnelles, de la croissance et de l’expression des émotions intérieures. Elle explore les différences culturelles, des contradictions et des interactions qui apparaissent entre les personnes, le monde, l’environnement social et la nature, ainsi que la perception de la vie et les sentiments de l’âme. En utilisant différents langages artistiques et plusieurs médias, dont l’installation, la vidéo, la gravure, la photographie, elle peut exprimer ce qu’elle ressent, sa pensée, son désir de communication avec l’extérieur. catherinecheong8.wixsite.com/website facebook.com/catherinecheongchengwa Instagram catherine_cheong

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L’artiste contemporain William Kentridge (1955 –) continue à travailler à l’eau-forte pour témoigner de son époque. Il aborde dans ses œuvres la question de la mémoire collective et le danger que représente la normalisation de l’injustice et de l’oppression. Il exprime à quel point il est important de préserver les sentiments de choc et d’horreur que doit inspirer tout événement tragique ou violent afin que la société puisse reconnaître sa responsabilité1 Ce travail a obtenu la médaille d’or lors de la 2e Triennale de gravure de Macao 2015, concours international, ce qui a été pour moi un grand encouragement à approfondir mes connaissances et m’a donné l’envie de me concentrer sur cette passion pour développer ma propre création. En 2017, j’ai décidé de repartir en France pour continuer mes études en master arts plastiques. J’espère que les études universitaires me permettront de renforcer mes connaissances, mes compétences en écriture et ma théorie de la création, en particulier dans le domaine de l’art de l’estampe. Je souhaite continuer mes recherches tout en enseignant la gravure après mon master.

Grâce à ce mélange de techniques d’impression traditionnelles et numériques, il est possible de conserver la texture des plaques en taille-douce, où l’encre est pressée manuellement sur le papier d’une manière unique qui ne peut être remplacée par l’impression numérique, et tout en préservant l’image photographique en couleurs. Au cours de mes études, je continue également à rechercher une coïncidence et une ressemblance entre la figure colorée et la gravure en noir et blanc, quand les images photographiques en couleurs correspondent aux dessins en noir et blanc de la gravure, tout comme j’aimais remplir les couleurs correspondantes sur les figures en noir et blanc existantes de l’album coloriage lorsque j’étais petite.

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1 Bill Fick & Beth Grabowski, Manuel complet de gravure, Paris, Groupe Eyrolles, 2017. Traduit de l’anglais par Jérôme Wicky (première édition) et Marie-Christine Guyon (deuxième édition) (la première édition a été publiée en 2009 par Laurence King Publishing Ltd. Londres).

Pages 42 et 43 : Vers la mer, 2016, eau-forte sur cuivre, papier chinois imprimé en couleurs jet d’encre posé en chine-collé, 35 × 23 cm

Lorsque j’habitais à Toulon, j’allais souvent à la plage pour regarder la belle Méditerranée couleur d’azur.

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Enzo

Donner à voir les invisibles. Graver leur condition dans le bois. Imprimer leur trace que l’on s’efforce d’effacer. C’est l’objectif que s’est donné Enzo quand il a commencé à creuser les blancs, il y a trois ans. À travers notamment une série de gravures qui fixent le quotidien d’un livreur à vélo anonymisé, sans tête, littéralement invisibilisé. Un travail toujours en cours, narratif, voire séquentiel. Ou encore à travers une série de portraits d’accidentés du travail, réalisé pour illustrer une enquête publiée par la revue Oblik . Une sorte de pont avec le travail qu’Enzo effectue en tant qu’auteur de bande dessinée et illustrateur pour la presse, mais aussi en tant que journaliste à Alternatives économiques. Un écho, surtout, aux romans graphiques et gravés du début du xxe siècle, qui portaient haut les couleurs de l’estampe protestataire. Mais qui étaient aussi un formidable témoignage sur leur temps. Les gravures de Félix Vallotton ont préfiguré le dessin de presse. Celles de Frans Masereel ont fortement influencé la bande dessinée. Graver, c’est une manière de remonter à ces sources. En essayant de les remettre au goût du jour. Déjà, en 2018, Enzo avait célébré à sa manière l’anniversaire de Mai 68 en sérigraphiant une série d’affiches contestataires, fortement inspirée de l’esthétique de l’atelier de l’École des beaux-arts. Mais avec des slogans reflétant les préoccupations du moment. Après la sérigraphie, la gravure s’est imposée comme le moyen d’aller un cran plus loin dans le do it yourself, dans la volonté d’être autonome du premier coup de crayon à l’impression. Et puis, à l’heure du numérique, où l’on nous somme d’être toujours plus productifs, graver, c’est faire un pas de côté.

C’est assumer de prendre le temps. De ralentir. Un exercice salutaire.

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Toutes les estampes sont des gravures sur bois

Page 46 : Porte-à-porte 7, 2021, 16 × 11 cm

Page 47 : Porte-à-porte 12, 2022, 16 × 11 cm

Page 48 : Porte-à-porte 1, 2022, 22 × 15 cm,

Porte-à-porte 2, 2022, 22 × 15 cm,

Porte-à-porte 3, 2021, 30 × 22 cm,

Porte-à-porte 4, 2022, 30 × 22 cm

Page 49 : Porte-à-porte 13, 2021, 16 × 11 cm

Page 50 : Orwell, 2019, 16 × 11 cm

Page 51 : Un pour cent, 2021, 45 × 30 cm

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Enzo, né en 1980 aux Lilas (93), travaille en tant que journaliste à Paris, pour le magazine Alternatives économiques. Mais il a posé ses valises et installé son atelier à Tours. Il est l’auteur du livre-affiche sérigraphié Il est interdit d’interdire d’afficher, édité par Co-op en 2018, et de la bande dessinée La Folle Histoire de la mondialisation, avec Isabelle Bensidoun et Sébastien Jean, parue en 2021 chez Les Arènes

Il publie chaque mois un dessin de presse dans le mensuel Alternatives économiques dans la rubrique « Pertes & profits » qui lui est dédiée. Il contribue également régulièrement à la revue Oblik. En tant que graveur, il a jeté son dévolu sur la taille d’épargne, faisant quasiment exclusivement de la gravure sur bois de fil.

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Xecon Uddin

Né au Bangladesh, Xecon Uddin vit aujourd’hui en France. Il s’est particulièrement spécialisé dans les techniques d’impression, et expérimente également avec d’autres médiums tels que la peinture, le dessin et la photographie. Uddin crée principalement des œuvres figuratives qui représentent souvent des humains hybrides combinés à des éléments naturels. Ses œuvres reflètent son exploration des rêves, des souvenirs, ainsi que de la nature stratifiée de l’identité. Ces thèmes s’entremêlent et sont renforcés par l’expérience d’Uddin en tant que réfugié politique et artiste queer¹, combinée à la réminiscence du Bangladesh et de ses racines culturelles. Dans sa pratique artistique, il explore plusieurs techniques d’impression, et se concentre principalement sur la lithographie sur pierre et la gravure/l’aquatinte. La lithographie est l’un de ses médiums préférés, comme en témoigne sa série Back to the Roots Dans chacune de ces œuvres, une figure humaine occupe un étrange paysage naturel. Par ailleurs, les

1 Queer est un mot anglais qui signifiait à l’origine « étrange » ou « peu commun ». Il est utilisé pour désigner l’ensemble des minorités sexuelles et de genres, c’est-à-dire les personnes ayant une orientation sexuelle ou une identité de genre différentes de l’hétérosexualité ou la cisidentité. Vers la fin des années 80, les membres de la communauté LGBTQ+ se sont réappropriés ce mot pour en faire un symbole de contestation et d’autodétermination face aux standards sociaux en matière de genre et de sexualité. Aujourd’hui, le terme se réfère aussi à « toute personne ou identité allant à l’encontre des normes structurant le modèle social hétéronormatif et cisnormatif ».

(Wikipedia)

gravures de la série Layers of Existence contiennent un message implicite rendu visible grâce aux multiples couches transparentes. Dans ses scènes surréalistes, l’artiste utilise des couleurs vives et mêle les thèmes de la nostalgie, des rêves, et de l’imagination, afin que le spectateur s’enfonce dans l’introspection. Ainsi, ces deux séries invitent le public à réfléchir à son enfance, à ses rêves imaginatifs et à ses expériences passées.

Ses œuvres graphiques sont grandement influencées par ses années d’études aux BeauxArts, où il a étudié la peinture et le dessin. Les couleurs vives, les dessins figuratifs et la composition équilibrée et réfléchie rendent ses œuvres uniques. Le corps humain est souvent l’un de ses sujets principaux, principalement lorsqu’il explore la notion d’identité, où il devient un support d’expression des conventions sociales. Depuis son arrivée en France, Uddin a réfléchi à ces différents thèmes en se concentrant particulièrement sur l’identité de genre, tout en questionnant la relation entre le corps humain et la notion de normalité. Il intègre des perceptions sensorielles et des réflexions spirituelles dans son œuvre, et invite le spectateur à s’interroger sur les questions sociales, politiques et culturelles liées à l’identité sexuelle.

Galleri Heike Arndt DK Berlin
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Page 52 : Retour à la nature - 11, 2020, lithographie sur pierre, 65 × 90 cm (papier), Retour à la nature - 12, 2020, lithographie sur pierre, 65 × 90 cm (papier)

Page 53 : Retour à la nature - 14, 2020, lithographie sur pierre, 65 × 90 cm (papier)

Page 54 : Layers of Existence - 12, 2020, eau-forte et aquatinte sur zinc, 50 × 52 cm, Layers of Existence - 10, 2020, eau-forte et aquatinte sur zinc, 50 × 52 cm, Layers of Existence - 11, 2020, eau-forte et aquatinte sur zinc, 50 × 52 cm, Layers of Existence - 8, 2020, eau-forte et aquatinte sur zinc, 50 × 52 cm, Invisible Dialogues - 6, 2022, eau-forte et aquatinte sur cuivre, 22 × 23 cm, Invisible Dialogues - 5, 2022, eau-forte et aquatinte sur cuivre, 22 × 23 cm

Page 55 : Invisible Dialogues - 4, 2022, eau-forte et aquatinte sur cuivre, 22 × 23 cm

Xecon Uddin est né en 1985 au Bangladesh. Après un Bachelor of Fine Art (BFA) oriental art à la Faculté des beaux-arts de Dhaka (Bangladesh) en 2008, il y obtient un master (MFA) en 2010. Il suit ensuite, de 2018 à 2020, une formation de gravure et d’estampe auprès de Corinne Forget, à l’atelier Sfumato, à Montreuil, France.

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Destin, un roman graphique de scène

Pierre Guérin. En juin 2020, tu contactais

Jean-Michel Uyttersprot via Parlons Gravure pour poser une question.

C’est bien au tout début de l’aventure ? Christoph Guillermet. Je venais tout juste de commencer à me pencher sur l’adaptation de Destin. C’est l’œuvre d’un graveur expressionniste allemand, Otto Nückel. Ce roman graphique est paru en 1926.

Quand j’entre en création, je suis en immersion dans mon sujet. Je ne connaissais pas la gravure, il fallait que je m’immerge dedans.

J’avais commencé à graver un peu de bois et à faire du baren pour les transferts. La particularité, c’est que Nückel gravait sur plomb. Je voulais comprendre ses gestes, son processus de travail. Mais sans presse, j’avais aussi des problèmes d’amour entre le plomb, l’encre et le papier. Alors j’ai glané des infos, je suis parti en recherche de gens qui pourraient m’aider à comprendre sa technique… Jean-Michel m’a orienté vers toi qui n’étais pas très loin. Et l’aventure commence en te rencontrant, tu passes une journée à me transmettre des informations essentielles pour

moi : le geste, l’approche, la patience, la richesse de ce monde incroyable de la gravure, les petites choses comme l’huile et le savon !

Pourquoi Nückel ?

Pourquoi Nückel ? Parce que c’est un choc esthétique ! C’est un coup de cœur plastique ! Je l’avais croisé dans sa précédente édition dans une petite librairie d’Antibes, c’était en 2009. À la base, je suis éclairagiste, je viens du travail de la lumière. Je partage au début du spectacle cette information essentielle : Nückel grave sur plomb, donc quand il retire la matière oxydée, il est ébloui par le plomb qui est non oxydé. Dès lors, c’est quelqu’un qui crée un récit noir, profondément noir, dans un éblouissement permanent. C’est ce qui m’a touché dans cette œuvre-là. Même si le récit est extrêmement dramatique – c’est une histoire horrible –, cette notion de solarisation, d’éblouissement et de beauté anime chacune de ses compositions. En Allemagne, Nückel n’est pas connu comme graveur, mais comme illustrateur. Destin est le seul récit qu’il ait créé.

Destin ? C’est un livre sans texte et un livre gravé !

C’est un roman graphique engagé, qui dénonce la condition faite aux femmes : l’emprise des hommes, la misère sociale, la violence, la société et son poids des us et coutumes. C’est 190 gravures faites en cinq ans, avec un scénario de 17 chapitres, digne des films d’Hollywood, d’une richesse scénaristique incroyable, avec une recherche de personnages étonnante, du symbolisme très présent… C’est une œuvre qui se lit image par image ; on reçoit l’image, elle se dépose en nous, et on passe à la page suivante. Ce qui est très particulier dans le récit de Nückel, et qui cause beaucoup de soucis aux jeunes dans la lecture des images et des situations, c’est que c’est un récit en ellipses. Nückel représente toujours quelque chose qui est soit le commencement d’une action, soit la fin d’une action, mais jamais l’action elle-même. Et donc on est sur un récit en ellipses avec une part manquante, on est sur ce qui a été épargné en construction scénaristique. La réception de son œuvre se fait vraiment impression par impression, empreinte par empreinte.

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EXPOSITIONS SPECTACLE
Anne Gayan

Tu emploies les mêmes mots pour le spectacle que pour la technique de Nückel : empreintes…

Ce qui m’est essentiel, ce n’est pas d’être uniquement sur un spectacle. Quand tu graves en taille directe, tu creuses, tu tailles, tu griffes, tu as un engagement physique et c’est quelque chose d’important dans la transmission de l’œuvre originale. J’ai un spectacle où les images sont projetées, mais je ne veux absolument pas que les gens soient dans quelque chose de décorporé. L’œuvre originale, elle est dans la matière. Même si la vidéo est quelque chose qui n’est pas matière, ce que je transmets, c’est un récit gravé, même s’il est en vidéo.

les capteurs, le récit n’avance pas. L’adaptation de Destin, c’est redonner cette histoire, ces gravures, ces territoires esthétiques au public dès 14 ans. Il y a quelque chose de très contemporain entre les années 1920 et nos années 2020. Il y a de drôles de trucs qui se passent, des effets d’écho. La violence faite aux femmes reste cruellement d’actualité.

Tu as une manière de produire qui m’étonne. Ton travail n’est pas seulement un travail d’équipe, mais un travail d’expérimentation. La première fois qu’on s’est croisés, en sortant, tu m’as dit : « Tu ne viendrais pas avec moi graver en prison, j’ai envie d’expérimenter Nückel en prison. » Le procédé d’écriture, c’est la création en immersion avec les publics à qui je Destine mes spectacles.

L’écriture du dernier spectacle L’Ombre de la main était pour des tout-petits, dès 18 mois. Je l’ai donc écrit et fabriqué dans des crèches, des écoles maternelles, etc.

médico-éducatifs sur la danse et la gestuelle expressionniste, et puis aussi avec des élèves des Beaux-Arts, des élèves de l’école de la deuxième chance, etc.

Depuis le début, j’ai des rendus de résidence avec public pour éprouver, faire vivre, laisser se développer le jeu et l’interaction avec les publics. Quelque chose se passe avec les gens, qui me dépasse et vient nourrir l’œuvre en cours de création. En spectacle vivant, tu es dans un objet qui « est » à un moment et puis qui « disparaît ». Il est toujours renouvelé. L’empreinte, elle est dans les gens.

Et l’on arrive sur un autre mot du monde de la gravure : interprétation. Comment appréhendes-tu la transcription de la gravure vers le spectacle ?

C’est la première fois que je pars d’une œuvre existante. D’habitude, je crée mes images, le code et l’électronique pour les manipuler… Je pars de rien, juste d’une sensation et d’un goût. Là, il y a un chef-d’œuvre incroyable… J’essaye dans cette adaptation d’être un maximum fidèle à Nückel, et en même temps, il m’a fallu tout un chemin pour me libérer un tout petit peu de lui. Le récit est tellement structuré ! Il est hors de question de malmener les proportions, les images, de leur faire dire ce qu’elles ne disent pas. Donc, il y a une question de justesse. Même si j’ai une part d’interprétation, je suis toujours dans une interprétation limitée et contrainte. Sur la transcription, quand j’écris de la vidéo, j’écris généralement de la lumière. J’écris des rythmes lumineux. Ici, je suis avec des images que j’anime et qui portent un silence. Il se passe une émotion esthétique que je déploie par la mise en mouvement.

L’idée, c’est de faire un roman graphique de scène, qui permette de donner les sentiments et émotions que l’on a à la lecture d’une œuvre graphique papier, mais cela sur scène, dans le temps du plateau. C’est un spectacle arts numériques, puisque les images sont animées en temps réel par des capteurs. Et c’est un spectacle participatif, puisque le public vient manipuler avec moi au plateau. Si on ne bouge pas, si on ne fait rien avec

De fait, ce sont des processus de travail très longs : adapter Destin, c’est trois ans ! L’Hectare, Centre national de la marionnette, m’a accompagné pour pouvoir travailler en immersion avec de jeunes gens. On a trouvé une super équipe pédagogique au collège de Montoire, trouvé du soutien en financement avec la Drac et le département du Loir-et-Cher, et pendant deux ans nous avons fait huit ou neuf résidences en collège in situ, malgré le Covid. Ce fut une incroyable période, une incroyable aventure.

La première année de recherche et développement s’est faite en collège. On a pu y tester les capteurs, l’idée du livre interactif y est née.

Il faut donc reprendre le livre et revivre le spectacle.

Je crois que c’est ce qui va se passer. Je suis arrivé à cette conclusion, il n’y a pas très longtemps. J’ai la sensation que la lecture de Destin, pour ceux qui prendront le livre dans leurs mains après le spectacle, sera éclairée différemment, ou que des détails vont ressortir. Des choses que tu ne vois pas même au bout de cinq ou dix lectures de la même image, et que j’aurai réussi à transmettre.

Décortiquons maintenant le travail de programmation.

J’y étais avec Valéry Rybakov, un dramaturge russe, qui m’a accompagné pendant un an. On a décortiqué avec les élèves le sens de l’œuvre, ce que les collégiens percevaient et ne percevaient pas, et cette démarche est fondamentale pour transmettre l’œuvre.

On a fait de la gravure avec eux. La deuxième année, un groupe de volontaires a fabriqué avec nous la moitié des bruitages du spectacle. On les a emmenés faire des interviews en EHPAD, recevoir ce que provoquent les images de Nückel en souvenirs, anecdotes… Avec d’autres partenaires, on a travaillé avec des résidents d’instituts

Pour chacune des 190 images, il faut détourer les personnages, les décors, les accessoires, et reconstruire les fonds. J’ai eu une incroyable chance : Paulin, des éditions Ici-bas, m’a gentiment proposé les fichiers servant à l’impression. Sans lui, je n’aurais jamais pu aller aussi loin dans ce projet. À cause de la taille originale des matrices, il y a des détails que l’on ne notifiera pas de manière consciente dans l’objet livre, mais qui vont être re-donnables par l’objet vidéo, qui nous permet une plongée dans ces gravures qui font entre 7 et 10 cm de taille.

Concernant mon écriture, je travaille avec un logiciel de programmation graphique VVVV. C’est très artisanal. Je pars pour chaque image d’une page logicielle blanche. Il n’y a pas d’outils

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Anne Gayan Mélina Kielb
SPECTACLE
Laurence Salvadori

préconstruits, je reconstruis une architecture logicielle pour que tous les layers de la gravure soient les uns sur les autres. En programmant tout de A à Z, je vais pouvoir utiliser chaque fois de manière très différente l’interaction avec les capteurs et me réinventer dans ma narration visuelle (190 gravures…).

Je vais reconstruire l’image en vidéo avec tous ces objets calques, en faisant extrêmement attention aux proportions, car la cohérence plastique peut disparaître. C’est un travail fastidieux, technique, avant (enfin !) de les animer. Les choses qui vont être animées, je vais les transposer sur ce qu’on appelle un mesh. C’est un grillage en 3D à la forme de la silhouette du personnage. Je vais chercher des points à tirer, qui seront intéressants pour créer le mouvement. Je pars vraiment de la matière existante. J’anime tout le roman, toutes les images, sans tricher, avec la matière première. Nückel a fait des études de médecine. Donc il sait très très bien représenter les corps. Quand tu ne comprends pas une image, il faut se mettre en situation physique. On l’a fait au collège : on a récréé physiquement certaines images. Et tout d’un coup, on découvre qu’il y avait trois ou quatre plans de profondeurs, d’interactions, entre les personnages. Des éléments a priori mineurs dans la planche, mais qui développent toute une histoire. Tout mon travail se fait par cette plongée dans la matière de Nückel, et au fur et à mesure, j’ai l’impression d’être dans son inconscient.

Malgré cette matière, le résultat n’est pas un film.

Non, c’est du spectacle vivant et un roman graphique de scène. Formellement, je suis physiquement sur scène, entouré d’un pupitre sur lequel je vais disposer un livre muni de capteurs, qui va me permettre de tourner les pages vidéo. Sur le plateau, certains mouvements en direct vont être animés grâce à divers monolithes équipés de capteurs. À l’arrière, un écran de 5,20 m de large par 3 m de haut reçoit l’image. Dans le spectacle, on est sur une forme sans mots, comme le roman graphique. Images, mouvement, corps, sur scène et sur l’écran, musique. J’ai la présentation, l’invitation au public, qui est vraiment le point d’entrée, où j’explique pourquoi j’ai choisi d’adapter Destin, puis j’invite tout le long du spectacle les regardeurs à devenir acteurs, à m’accompagner, animer les capteurs, agir pour faire avancer le récit. Ce qui est chouette, c’est que chaque personne est différente, et donc ses gestes sont différents, et le sens des images prend parfois des couleurs différentes. C’est l’inattendu à chaque fois !

Peux-tu parler pour ton musicien, parce que la gravure, et particulièrement celle de Nückel, est vraiment pensée pour le livre ?

C’est une expérience solitaire. Tu l’ouvres, toi, au spectateur et tu rajoutes du son.

Comment avez-vous pensé le son ?

Avec le musicien Gaspard Guilbert, on est tous les deux sur des écritures instinctives. Gaspard a fait les Beaux-Arts. Je dirais qu’on est vraiment dans un accompagnement au premier degré de ce qui se passe en images. On est dans de l’expressionnisme musical.

Quand on a discuté du projet avec Gaspard, je lui ai dit que je désirais qu’on fasse un voyage filmique, mouvementé, fort en sensations et émotions. Une expérience d’où le public ressortirait rempli, ou décoiffé, en se disant wouahhh…

De fait, la bande-son est très présente et est un partenaire essentiel au voyage proposé.

Et demain ? À notre première rencontre, tu m’avais dit je m’y mets, j’ai besoin de comprendre, j’ai besoin de comprendre en faisant. Tu as acheté une presse, je t’ai accueilli en stage de manière noire animé par Pierre Vaquez, toujours cette recherche sur la lumière. Tu as parfaitement compris comment Nückel faisait, même si tu n’as jamais cherché à l’imiter. Que va-t-il rester de cette expérience de gravure ?

Le prochain spectacle sera une œuvre personnelle, pas une adaptation, mais je pense que je vais être très fortement dans des références à la gravure, plutôt de l’estampe, des formes extrêmement épurées et colorées, sans lignes, mais en vidéo. Ou alors une sorte de chine collé très riche de matières épurées, en pensant aux malvoyants. Tu prends du papier de soie « vidéo », tu le déchires, tu fais tes formes, etc., et tu composes layer par layer, par-dessus. Comment donner à des non-voyants ou malvoyants quelque chose d’intègre et complet ? Finalement, on écrit pour des gens comme nous-mêmes : avec une audition, des perceptions visuelles, des capacités physiques et tous leurs sens. Le prochain spectacle sera pour les publics dits empêchés, ce sera un spectacle pour l’inclusion.

Sinon, la presse, pour l’instant elle est rangée. Mais elle ne va pas tarder à ressortir, quand j’aurai fini Destin !

Christoph Guillermet

Longtemps collaborateur artistique (création lumière et vidéo), il fonde la compagnie 1-0-1 en 2012. Repéré en 2018 avec La Nuit – La Brume au festival Experimenta et au festival Bains numériques (en compétition internationale catégorie arts visuels), il crée en avril 2020 L’Ombre de la main. Son travail en création vidéo est empreint d’une dimension picturale. Il est artiste associé à L’Hectare, Centre national de la marionnette, et à L’Atelier à spectacle, Scène conventionnée d’intérêt national « Art et création ». Sa compagnie est soutenue par le Théâtre de la Tête Noire, Scène conventionnée d’intérêt national « Art et création pour les écritures contemporaines ».

Destin, un roman graphique de scène Compagnie 1-0-1

Christoph Guillermet, création multimédia et jeu Gaspard Guilbert, composition et création sonore Laurence Salvadori, regard chorégraphique Valéry Rybakov, regard dramaturgique http://1-0-1.fr

Dates

2 mai 2023, création à L’Hectare, Centre national de la marionnette, Vendôme ; puis à Rodez, Saran, Blois, Laval, Enghien-les-Bains, Le Creusot. Dates à retrouver sur http://1-0-1.fr/calendrier

Destin Éditions Ici-bas editionsicibas.fr/livres/destin ISBN 979-10-90507-36-4.

58 EXPOSITIONS
SPECTACLE

Arbre pour mémoire

Le rythme de la prose du texte de Colette NysMazure m’ayant conduite au mouvement cadencé du métier à tisser, le langage oral et l’écriture m’évoquant souvent un enchevêtrement d’images et d’émotions, texte et textile ayant pour moi la même racine, j’ai chaîné et tramé six gravures et dessins d’arbres aux mots de l’auteur, comme une invitation à les voir se dérouler à l’infini. Ce livre-objet s’ouvre comme une lettre et s’accompagne d’une gravure originale. La reliure de tissu jaune à soufflet se ferme par un cordon tressé de trois fils de matières différentes reprenant les gris des gravures, et y est noué un bristol portant le titre et le nom des artistes.

Ariane de Briey peint depuis l’enfance. Elle a étudié la peinture à Bruxelles et à Florence, la gravure et le dessin textile à Paris. Après une carrière de stylisme textile et décor peint, elle se consacre à son œuvre personnelle et à l’enseignement. Son travail s’inspire essentiellement de la nature dans une recherche de ses forces vitales, qu’elle traduit par différentes techniques (gravure, broderie, textile, dessin et peinture). Elle y mêle souvent des écritures miroir suggérant ainsi qu’un mot peut avoir plusieurs sens selon le regard que l’on porte sur lui. Elle expose régulièrement, depuis 2000, en France et Belgique. Colette Nys-Mazure est une écrivaine belge de langue française.

Arbre pour mémoire

Texte : Colette Nys-Mazure

Gravures et conception: Ariane de Briey

Mise en page et impression : atelier lithographique Bruno Robbe

Reliure : Véronique Van Mol

Reliure à soufflet en tissu, texte plié en quatre, impression en accordéon. Une gravure originale.

Format : 22 × 22 cm

En photo exemplaire no 12

Papier Rives BFK 250 g

30 exemplaires augmentés de 5 épreuves d’artiste et de 2 hors commerce.

Editions Signum (Paris), 2017, maison créée par un collectif d’artistes constitué en 1997 en association loi 1901, regroupant artistes plasticiens, écrivains et poètes, avec pour vocation la réalisation des livres d’artistes.

Prix : 420 euros

Arbre pour mémoire, 2017, impression sur Rives BFK 250 gr, 20 ×118 cm

Arbre pour mémoire, 2017, aquatinte sur Rives BFK 250 g, 15 × 15 cm

59 LIBRAIRIE
LIBRAIRIE

Tarifs 2023

Abonnement

1 an, quatre numéros plus 1 gratuit

Abonnement un an /quatre numéros plus 1 gratuit avec gravures signées et numérotées.

Belgique Europe Monde

100 € 120 € 150 €

Belgique Europe Monde

300 € 320 € 370 €

Pour vous abonner, il vous suffit de virer le montant sur le compte : BE39 0689 0083 8219 BIC:GKCCBEBB avec en communication : Abonnement à Actuel de l'Estampe, votre nom, votre adresse et votre numéro de téléphone. Ou, sur le site www.actueldelestampe.com

La Galerie Marie Ange Boucher a l’honneur de présenter les oeuvres récentes de JULIA JEDWAB
Du 20 mai au 1er juillet 2023
Grand Forestier
5 1170 Bruxelles (Watermael Boitsfort) Tél: +32 479 37 34 80 www.galeriemab.com
Vernissage le samedi 20 mai de 16 à 20h. Avenue du
,
Le parfait outil pour mettre en valeur votre œuvre d'art. TÓRCULOS RIBES Email: info@torculosribes.es www.torculosribes.es LIVRAISONS INTERNATIONALES

ISBN 978-2-930980-49-2 9

782930 980492 >

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