RJSP n°6

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Dossier 32 essentiel à la protection de la santé publique33 ainsi que la sécurité d’approvisionnement en énergie en cas de crise34. À rebours des textes, la pratique révèle toutefois l’impact extrêmement limité de l’« exception défense » et de l’exception de sécurité publique sur le contrôle effectif des concentrations militaires. 2. La soumission de facto du secteur militaire au contrôle européen des concentrations Comme le souligne Gillian Arnoux35, la soumission de l’industrie de la défense au contrôle européen des concentrations résulte tant de l’attitude volontariste adoptée par la Commission depuis la fin des années 1990 (A) que du consentement tacite qu’y ont apporté les États membres (B). A. La montée en puissance des biens à usage mixte en tant que vecteur de la généralisation du contrôle des concentrations militaires Dès la fin des années 1990, la Commission a, en pratique, œuvré à neutraliser l’article 346(1) b). Dans le contexte de la généralisation des biens à usage mixte initiée à l’issue de la guerre froide, la Commission s’est appuyée sur sa mission de prévention des répercussions civiles indues des mesures adoptées au titre de l’article 346(1) b) pour étendre les limites de sa compétence en deux étapes.

exigeant la transmission de ces informations à caractère militaire, la Commission pose néanmoins sa compétence de principe pour examiner les concentrations militaires dans tous leurs versants. Ainsi, elle crée une première brèche dans l’interprétation étatique de l’« exception défense » en tant que réserve inconditionnelle et générale de souveraineté. Dans un second temps, la Commission a mené ce raisonnement à son terme logique. Dans l’affaire Saab/Celsius37, le gouvernement suédois avait enjoint aux parties notifiantes de ne notifier que les versants civils et mixtes de la concentration envisagée. Pour pouvoir évaluer les effets induits des aspects militaires de la concentration notifiée sur les applications non-militaires, la Commission a contesté l’invocation de l’« exception défense » et a sollicité la notification des versants militaires omis. Partant, la Commission a pu contrôler les marchés militaires indissociables des marchés civils pertinents et, par extension, la concentration dans son ensemble. À peine trois ans plus tard, l’arrêt Fiocchi Munizioni du Tribunal de première instance38 est venu conforter la Commission dans son interprétation en posant clairement le principe de l’inapplicabilité de l’« exception défense » aux biens à usage mixte.

Dans un premier temps, elle s’est efforcée d’affirmer sa compétence pour contrôler les versants militaires et mixtes des concentrations non exclusivement militaires pour lesquelles l’« exception défense » n’avait pas été formellement invoquée. Dans l’affaire Alcatel/Thomson CSF – SCS36, par exemple, la Commission a sollicité des informations que les parties notifiantes avaient omis de lui communiquer au sujet du marché des satellites militaires sans pour autant que l’article 346(1) b) eût été formellement invoqué. En l’absence d’invocation de l’article 346(1) b), cette requête n’avait, a priori, rien d’étonnant. En

B. L’acceptation étatique du contrôle des concentrations militaires Simplement soucieux d’éviter une confrontation avec la Commission ou soudainement sensibilisés aux impératifs de consolidation de l’industrie militaire engendrés par la fin de la guerre froide, les États membres ont, dans une large mesure, cessé d’invoquer l’« exception défense » après l’arrêt Fiocchi Munizioni, alors même que son invocation était relativement commune auparavant. Depuis lors, l’on ne recense plus aucune invocation expresse de l’article 346(1) b) TFUE par laquelle un ou plusieurs États membres auraient enjoint aux parties à une concentration à caractère militaire de ne pas la notifier du tout39. Plus encore, l’article 346(1) b) TFUE n’a plus été invo-

33  Ibid. 34  Commission européenne, 5 décembre 2007, aff. COMP/M.4685, Enel/Acciona/Endesa, point 58 ; cf. également A. Winckler, « Concentrations et champions nationaux : du nouveau sur l’article 21 du règlement sur les concentrations », RLC, 2008, n° 1124, p. 9 et s. 35  G. Arnoux, « L’« exception défense » : Réflexions sur le contrôle européen des concentrations », Concurrences, n° 2, 2011, p. 5 et s. 36  Commission européenne, 4 juin 1998, aff. IV/M.1185, Alcatel/Thomson CSF – SCS, point 2.

37  Commission européenne, 4 février 2000, aff. COMP/M.1797, Saab/ Celsius, point 2. 38  TPICE, 30 septembre 2003, aff. T-26/01, Fiocchi Munizioni c/ Commission, point 63. 39  La dernière invocation de ce type remonte à la création de MBDA en 2001, cf. Department for Business Innovation and Skills, « UK, France and Italy intervene on notification of consolidation of Alenia Marconi Systems (AMS) and Matra Bae Dynamics (MBD) JVs », 27 April 2001.

Revue des Juristes de Sciences Po - Automne 2012 - N°6


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