LA REVUE DES JURISTES DE SCIENCES PO Direction scientifique : Pierre SERVAN-SCHREIBER
FÉVRIER 2021 -
Rédacteurs en chef : Carla SASIELA et Stanislas JULIEN-STEFFENS
N°20
12e ANNÉE - ISSN 2011-4293
Dossier thématique
La privatisation de la justice
ACTUALITÉS
DOSSIER THÉMATIQUE
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Constitutional Rights and State Power in the COVID-19 Crisis
La privatisation de la justice
par Mizuki Hashiguchi, Student in Master Droit économique at Sciences Po Law School
par Stéphanie Abdesselam, Sélim Brihi, Yves Benhamou, François-Régis Benois, Amaury Bousquet, Frédérique Cassereau, Constance Castres Saint-Martin, Odile de Brosses, Geoffroy de Lagasnerie, Kabir Duggal, Trevor C.W. Farrow, Laetitia Gaillard, Mizuki Hashighuchi, Daniel Kadar, Gaëlle Le Quillec, Alexis Mourre, Paul-Louis Netter, Observatoire de la justice pénale, Gilles Pellissier, Catherine Peulvé, Katharina Pistor, Rekha Rangachari, Peter L. Schmidt, Pierre Servan-Schreiber, Eduardo Silva Romero, Renaud Van Ruymbeke, Surya Vasu
Sommaire P. 1
Édito Édito .................................................................................................................................................................................. n° 1
P. 4
Actualités Constitutional Rights and State Power in the COVID-19 Crisis ................................................................................................................................................................................ n° 2
P. 11
Dossier thématique La privatisation de la justice .......................................................................................................... n° 3 Les effets du mouvement de privatisation de la justice sur l’acte de juger et la mission de l’institution judiciaire .................. n° 4 Les nouveaux enjeux de la privatisation du procès pénal .................. n° 5 Solving the Access to Justice Crisis Through Privatization : Opportunities and Concerns ........................................................... n° 6 Privatization of justice and the Creation of Inequality ............................. n° 7 Les vertus du jugement à l’aune du processus de privatisation de la justice ................................................................................................................... n° 8 Les autorités de régulation en mutation : vers une réinvention de l’équilibre des pouvoirs ........................................................................ n° 9 Justice privée et conflit d’intérêts ........................................................................................ n° 10 La traque de l’argent sale ................................................................................................................. n° 11
L’arbitrage des conflits en droit du travail : un temps d’avance ? ............................................................................................................................................................. n° 12 Les codes de conduite, instruments de régulation des entreprises ............................................................................................................................................................. n° 13 La médiation comme partenaire de justice ? ...................................................... n° 14 La médiation comme thérapie systémique des groupes familiaux ................................................................................................................................................................. n° 15 Le contrôle par le juge administratif français du respect de l’ordre public dans les sentences arbitrales internationales ................................................................................................................................................ n° 16 La Cour Internationale d’Arbitrage de la CCI, acteur de la régulation du commerce international ................................................................. n° 17 Who Represents Whom ? ............................................................................................................... n° 18 Les procédures de conciliation devant les Tribunaux de commerce ............................................................................................................................................................. n° 19 Le secret dans la justice privée .............................................................................................. n° 20 Le name and shame ................................................................................................................................ n° 21 ’Legal Fictions’ in the Language of International Commercial Arbitration involving States and State Entities ....................................................................................................................................................................... n° 22
Édito
LA REVUE DES JURISTES DE SCIENCES PO - N° 20 - FÉVRIER 2021
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Édito Carla SASIELA,
Stanislas JULIEN-STEFFENS,
Rédactrice en chef, Étudiante au sein de l’École de droit
Rédacteur en chef, Étudiant au sein de l’École de droit
Chères lectrices, Chers lecteurs, Nous sommes heureux de pouvoir vous présenter ce nouveau numéro de la Revue des Juristes de Sciences Po consacré à la privatisation de la justice, avec pour Directeur scientifique Monsieur Pierre Servan-Schreiber. La crise sanitaire perdure et, en conséquence, la justice s’est adaptée. Des palais de justice fermés au début du premier confinement de mars 2020, la justice s’est progressivement réorganisée pour assurer la continuité de ses services, au-delà de l’écho médiatique de la nomination d’un nouveau garde des Sceaux au début de l’été. La réorganisation de cette fonction régalienne centrale de l’État qu’est la justice a fait réémerger les débats et les craintes des acteurs du monde juridique et judiciaire autour d’une « privatisation de la justice » dont la marche semblerait inéluctable. Cette dynamique de privatisation de la justice avait été précisément décrite par Monsieur Pierre Servan-Schreiber, dans un ouvrage collectif de référence co-dirigé avec Monsieur Antoine Garapon intitulé Deals de justice : Le marché américain de l’obéissance mondialisée, au sujet du succès croissant des « deals de justice » qui crée « le risque d’une privatisation de la justice, d’une abdication de toute fonction proprement régulatrice de la part des pouvoirs publics et la disparition de la fonction essentielle de dire la vérité publique d’une affaire ». Il ressort des contributions de ce numéro que ce mouvement de privatisation de la justice est un mouvement général qui tend à gagner tous les domaines du droit et à avoir un impact différentiel sur l’organisation de la justice, selon les matières qu’il participe à transformer. Si l’on pense en premier lieu au développement croissant des modes alternatifs de règlement des différends, que sont notamment l’arbitrage, la médiation et la conciliation, l’onde de la privatisation de la justice est tout aussi prégnante en droit public, en droit pénal, en droit social, en contentieux des affaires, jusqu’à se faire ressentir dans l’organisation même de l’institution judiciaire et le rapport qu’entretiennent les justiciables à la justice. Nous remercions chaleureusement Monsieur Pierre ServanSchreiber pour son implication, sa disponibilité et les
perspectives fécondes qu’il a su apporter dans la ligne éditoriale de ce numéro, ainsi que toutes les contributrices et les contributeurs de ce numéro pour leurs éclairages précieux sur cette problématique et la confiance qu’ils nous ont accordé en participant à ce projet. Les activités de la Revue, elles aussi, se sont adaptées en cette période de crise sanitaire. D’un nouveau Comité de rédaction recruté via réunions Zoom, le « distanciel » est désormais devenu le principe de l’organisation de nos travaux, le « présentiel » l’exception. Pour traverser cette période, nous avons pu compter sur le soutien permanent et renouvelé de nos partenaires ; notre éditeur LexisNexis qui nous a permis de garantir la parution de ce numéro, malgré les difficultés liées à la pandémie, et le cabinet d’avocats Reed Smith, en particulier Maître Daniel Kadar, associé du cabinet, qui nous accompagne depuis désormais trois numéros. Enfin, nos remerciements vont à notre Comité scientifique, présidé par Monsieur Bernard Stirn, et l’équipe de direction et l’administration de l’École de droit de Sciences Po pour leur aide et leur appui constants dans la réalisation de nos projets. En dépit de la crise sanitaire, la Revue continuera d’essayer de développer de nouveaux projets et de diversifier ses activités au cours des prochaines semaines, qui s’articuleront notamment à travers la coopération avec deux nouveaux partenaires : la publication d’articles avec l’Observatoire Européen du Droit Financier, think tank encourageant la recherche et contribuant au débat public dans le domaine du droit financier, dirigé par Monsieur le Professeur Alain Pietrancosta, et la réalisation d’un podcast, consacré aux enjeux juridiques contemporains, avec Monsieur Philippe Ungar, écrivain, interviewer et fondateur du podcast hebdomadaire Sounds Like Portraits, consacré à la créativité sous toutes ses formes. Nous vous donnons rendez-vous en juin pour notre prochain numéro, ayant pour thème « La santé et le droit », sous la Direction scientifique de Monsieur Didier Tabuteau. En vous souhaitant une excellente lecture.ê
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LES AUTEURS Stéphanie ABDESSELAM Avocate collaboratrice au sein du département Contentieux du cabinet Reed Smith.
Sélim BRIHI Avocat au barreau de Paris exerçant en droit pénal des affaires et en contentieux des affaires au sein du bureau parisien du cabinet CVML, Président de l’Observatoire de la Justice Pénale. Yves BENHAMOU Président de chambre à la Cour d’appel d’Aix en
Provence. Il est l’auteur d’un essai intitulé Les juges paru en 1996 aux éditions Flammarion et de nombreux articles sur l’office du juge, le statut et l’histoire de la magistrature, les problèmes juridiques liés à la révolution numérique, et les traités internationaux relatifs aux libertés fondamentales.
François-Régis BENOIS Directeur adjoint des affaires publiques de La
Banque Postale, a exercé diverses fonctions ayant trait à la législation et la régulation financières. Enseignant à Sciences Po dans le domaine des marchés financiers, il est diplômé de l’ESCP-Europe (1996) et de Sciences Po Paris (1999), et titulaire d’une maîtrise de droit des affaires de Paris II Assas.
Amaury BOUSQUET Avocat au barreau de Paris exerçant en droit pénal des affaires et en compliance au sein du bureau parisien d’un cabinet anglo-saxon, ancien Président de l’Observatoire de la Justice Pénale. Frédérique CASSEREAU Avocate associée au sein du département Social du Cabinet Hoche, Ancienne Secrétaire de la Conférence de stage et Maître de Conférence à l’École de Droit de Sciences Po. Constance CASTRES SAINT-MARTIN Docteur en droit privé à l’Université Panthéon-Assas Paris II, Avocat au Barreau de Paris, Conseiller adjoint au Secrétariat de la Cour Internationale d’Arbitrage à la Chambre de Commerce Internationale et Enseignante à l’École de droit Sciences Po. Odile DE BROSSES Titulaire du CAPA, elle a exercé la profession d’avocat aux Barreaux de Strasbourg et des Hauts de Seine avant de rejoindre l’AFEP en tant que Directrice juridique et Présidente du Policy Committee d’European Issuers et de l’European Corporate Governance Codes Network (ECGCN). Geoffroy De LAGASNERIE Philosophe et sociologue, Professeur à
l’École Nationale Supérieure d’Arts de Paris Cergy, Auteur notamment de La Conscience Politique (Fayard, 2019) et de Juger (Fayard, 2016).
Dr. Kabir DUGGAL A.N. Duggal is a Senior International Arbitra-
tion Advisor in Arnold & Porter’s New York office, a Lecturer-in-Law at Columbia Law School, and Managing Editor for the American Review of International Arbitration. Co-Founder of REAL (Racial Equality for Arbitration Lawyers), a non-profit seeking to create greater representation in international arbitration.
Trevor C.W. FARROW AB (Princeton), BA/MA (Oxford), LLB (Dalhousie), LLM (Harvard), PhD (Alberta), is a Professor and former Associate Dean at Osgoode Hall Law School in Toronto, Canada, Chair of the Canadian Forum on Civil Justice and was the founding Academic Director of the Winkler Institute for Dispute Resolution and former Director of the York Centre for Public Policy and Law. Professor Farrow’s teaching and research focus on the administration of civil justice. He was formerly a litigation lawyer in Toronto and has received teaching awards from Harvard University and Osgoode Hall Law School. Laetitia GAILLARD Avocate collaboratrice au sein du département Contentieux du cabinet Reed Smith.
Mizuki HASHIGHUCHI Avocate au barreau de New York et Étu-
diante à l’École de droit de Sciences Po. Elle est l’auteur des articles intitulés « E-Sports et justice constitutionnelle » (La Revue des Juristes de Sciences Po) et « The Global Artificial Intelligence Revolution Challenges Patent Eligibility Laws » (Journal of Business & Technology Law).
Daniel KADAR Avocat associé au sein du département Conten-
tieux du bureau de Paris du cabinet Reed Smith, il est régulièrement impliqué dans des litiges transnationaux et dispose d’une profonde expérience des différences entre les systèmes juridiques.
Gaëlle LE QUILLEC Associée du Département Contentieux et Arbitrage International du bureau parisien d’Eversheds Sutherland, spécialisée en arbitrage international, est régulièrement nommée en qualité d’arbitre et intervient également en contentieux commercial (contrats commerciaux, garanties de passif, litiges post-acquisition) et en droit pénal des affaires. Alexis MOURRE Auteur de nombreux ouvrages en droit internatio-
nal des affaires, droit international privé, et droit de l’arbitrage, après avoir exercé en tant que Conseil de parties, Arbitre Unique, Co-arbitre ou Président de Tribunal ou encore comme Expert dans plus de 260 procédures d’arbitrage internationales, il a établi son propre cabinet en mai 2015, après avoir fondé Castaldi Mourre et Associés en 1996. Fondateur et ancien président de l’association Paris Place d’Arbitrage / Paris the Home of International Arbitration et Fondateur et Rédacteur en chef de la revue Les Cahiers de l’Arbitrage – The Paris Journal of International arbitration, une revue éminente dans la matière.
Paul-Louis NETTER Président du Tribunal de Commerce de Paris depuis 2019, il a accompli l’essentiel de sa carrière dans le Groupe Banques Populaires dans le domaine de la gestion pour compte de tiers. Il a occupé différents postes de Président ou de Directeur Général de sociétés de gestion d’actifs de nature différente ainsi qu’à la direction de la Banque Privée Saint Dominique, banque privée du Groupe Natixis, ainsi que de nombreuses fonctions de place au sein de l’association Française pour la Gestion – AFG (membre du conseil d’administration et du Comité Exécutif – Président de la commission fiscale). OBSERVATOIRE de la Justice Pénale Think tank indépendant ayant pour objet de promouvoir le débat sur les questions pénales. Gilles PELLISSIER Conseiller d’État, assesseur à la section du
contentieux depuis le mois de septembre 2020, Titulaire d’un doctorat de droit public de l’université Paris I Panthéon-Sorbonne (1995) et Professeur associé à l’Université de Tours depuis 2014. Nommé maître des requêtes au Conseil d’État en avril 2008, il a exercé les fonctions de rapporteur public près la section du contentieux (7e chambre) de juillet 2012 à septembre 2020.
Catherine PEULVÉ Avocat au Barreau de Paris depuis 1994 exerçant principalement en matière de contentieux commercial et bancaire, domestique et international, intervenant également en matière d’entreprises en difficulté et de litiges post-fusions et acquisitions. Elle a ouvert son cabinet CPLAW en 2007 et forte de sa connaissance des juridictions judiciaires et arbitrales, elle a enrichi sa pratique de la résolution des litiges par la médiation.
Katharina PISTOR Edwin B. Parker Professor of Comparative Law at Columbia Law School and director of the Law School’s Center on Global Legal Transformation. Her work spans comparative law and corporate governance, law and finance, and law and development. She is the co-recipient of the Max Planck Research Award (2012), a member of the Berlin-Brandenburg Academy of Science and a Fellow at the European Corporate Governance Institute. Her most recent book is The Code of Capital: How the Law Creates Wealth and Inequality (Princeton UP, 2019). Rekha RANGACHARI is the Executive Director of the New York International Arbitration Center (NYIAC) and is an adjunct Professor at Seton Hall Law School. Co-Founder of REAL (Racial Equality for Arbitration Lawyers), Member of ArbitralWomen and its Diversity Toolkit Training and Marketing Committees. Peter L. SCHMIDT He is is an attorney in Arnold and Porter’s New
York office, with a practice focused on international dispute resolution. He has represented sovereign states in investment arbitrations before the International Centre for Settlement of Investment Disputes (ICSID) and under the UNCITRAL Rules, as well as commercial clients in arbitrations administered by the International Centre for Dispute Resolution (AAA/ICDR). Peter is a graduate of Harvard Law School, where he was also an Executive Editor of the Harvard Law Review.
Pierre SERVAN-SCHREIBER Médiateur, Arbitre et Coach des conflits. Il est également Avocat aux Barreaux de Paris et de New York et ancien membre du Conseil de l’Ordre des Avocats de Paris. Co-auteur avec Antoine Garapon de Deals de Justice : le marché américain de l’obéissance mondialisée (PUF, 2e éd., 2020). Eduardo SILVA ROMERO Professor Emeritus at the University of
Rosario’s Law School in Bogotá. He teaches Investment Arbitration at Paris 2 (Panthéon-Assas) University, Investment Arbitration and International Contracts at the Paris Institute for Political Studies (Sciences Po), and French Arbitration Law at the University of Paris-Dauphine (Paris IX). Prof. Silva Romero is also Co-Chair of Dechert’s International Arbitration global practice. He is a member of the ICC International Court of Arbitration. He was Deputy Secretary General of the ICC International Court of Arbitration from 2000 to 2004, and Vice-Chair of the ICC Commission on Arbitration and ADR from 2007 to 2017.
Renaud VAN RUYMBEKE A débuté sa carrière en tant que magistrat
en 1975. Devenu juge d’instruction en 1977, il s’est rendu célèbre pour ses enquêtes politico-financières de premier plan. Président doyen du pôle financier au Tribunal de Paris, il a pris sa retraite en juillet 2019. Il est l’auteur de Juge d’instruction (PUF, coll. « Que sais-je ? », 1988).
Surya VASU He is is an attorney with the M&A practice at IndusLaw, Delhi. He has received his B.A.L.L.B. (Hons.) from National Law University, Delhi in 2020. During his undergraduate studies, he was involved with various research projects on Open Science and the Open Access movements, conducted by the Centre for Innovation, Intellectual Property and Competition Law, New Delhi. His interest in international dispute settlement stems from his participation in a variety of moot court compensations as a student, notably the Willem C. Vis Moot and the Foreign Direct Investment Moot.
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LA REVUE DES JURISTES DE SCIENCES PO - N° 20 - FÉVRIER 2021
Constitutional Rights and State Power in the COVID-19 Crisis Mizuki HASHIGUCHI, Student in Master Droit économique at Sciences Po Law School
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Introduction
1. Protector of Public Health
1 - Sir Alexander Fleming, whose discovery of the antibiotic penicillin saved many lives through the treatment of bacterial infections, 1 stated that « Penicillin cures, but wine makes people happy. » 2 COVID-19 3 has caused tragedy and excruciating agony across the globe. How has the role of the State changed in response to the sudden outbreak of COVID-19 ? A State is an « institutionalized, normative power » exercised over a population within a territory. 4 A State has the power to establish rules of law and require that these rules be respected. 5 John Locke implies that a State’s power is « to be directed to no other end, but the peace, safety, and public good of the people ». 6 A role is defined as « the duty or use that someone or something usually has or is expected to have ». 7 It is also defined as « a character assigned or assumed » or « a socially expected behavior pattern... » 8 A role of a State is therefore perceived in relation to customs, assumptions, and expectations of a society. Thus, a change in a State’s role during the COVID-19 epidemic may be understood as a departure from the State’s accustomed, preconceived behaviors in non-emergency situations. Recent executive orders, judicial decisions, and legislation suggest that the coronavirus crisis has prompted the State to exercise a strong role as the protector of public health (I). The extent of this role has been evaluated by the judiciary acting as a guardian of constitutional rights and fundamental liberties (II).
2 - In a health crisis, State authorities implement measures to protect the health of individuals in its territory. 9 These interventions aim to prevent the further propagation of the epidemic and reduce its disastrous impact. 10 Although such State measures may be grounded on constitutional justifications (A), the design of these measures has been subject to allegations of vagueness and arbitrariness implicating the separation of powers and constitutional rights (B).
1. See « Sir Alexander Fleming, Biographical », The Nobel Prize, https:// www.nobelprize.org/prizes/medicine/1945/fleming/biographical/ (citing Nobel Lectures, Physiology or Medicine 1942-1962, Elsevier Publishing Company, Amsterdam, 1964) ; « Sir Alexander Fleming, F.R.C.S. », The American Association of Immunologists, https://www.aai.org/About/History/NotableMembers/Nobel-Laureates/AlexanderFleming ; « Alexander Fleming (18811955) », Scottish Science Hall of Fame, https://digital.nls.uk/scientists/ biographies/alexander-fleming/index.html. 2. See Jean-luc Schilling, Éloge immodéré du vin de Bordeaux, Philippe Rey, 2018 (« C’est la pénicilline qui guérit les hommes, mais c’est le bon vin qui les rend heureux ») ; Mick Winter, « The Napa Valley Book : EVERYTHING You Need to Know About California’s Premium Wine Country », 2007, p. 182 (« Penicillin cures, but wine makes people happy »). 3. See Institut Pasteur, « COVID-19 Disease (Novel Coronavirus) » (updated May 18, 2020), https://www.pasteur.fr/en/medical-center/disease-sheets/covid-19disease-novel-coronavirus#treatment ; Centers for Disease Control and Prevention, « Information for Clinicians on Investigational Therapeutics for Patients with COVID-19 » (updated Apr. 25, 2020), https://www.cdc.gov/coronavirus/ 2019-ncov/hcp/therapeutic-options.html ; World Health Organization, « Coronavirus disease (COVID-19) advice for the public : Myth busters » (April 17, 2020), https://www.who.int/emergencies/diseases/novel-coronavirus-2019/ advice-for-public/myth-busters. 4. See Professor Guillaume Tusseau et al., Droit constitutionnel et institutions politiques, 5e édition, Seuil, 2020, p. 48. 5. Id. at 46-47. 6. John Locke, Second Treatise of Government, section 131 (1690). See also sections 3, 89, 110, 134, 135, 143, 147, 159 &160. 7. Cambridge Dictionary, « role, » https://dictionary.cambridge.org/ja/dictionary/ english/role. 8. Merriam-Webster, « role, » 1 a (1) & (2), https://www.merriam-webster.com/ dictionary/role.
A. - Constitutional Justifications 3 - The constitutional justifications for a State’s role to protect public health in the COVID-19 epidemic include the designation of this role by the Constitution (1) and the enlargement of the State’s police power through the State’s Constitution, statutory codes, and judicial interpretation (2).
1° Vesting of Authority by the Constitution 4 - A State’s role in protecting public health during the coronavirus crisis may derive from the Constitution. On May 11, 2020, the Conseil Constitutionnel of France issued a Decision concerning the constitutionality of a legislation 11 extending the duration of the state of emergency in the current health crisis. 12 The 11th paragraph of the Preamble of the French Constitution of 1946 provides that the Nation 13 guarantees to all, the protection of health. 14 In its Decision, the Conseil Constitutionnel cited to this provision and stated that the goal of protecting health has a constitutional value. 15 The Conseil Constitutionnel further explained that the Constitution does not exclude the possibility that the legislature provides a regime for a state of emergency in a health crisis. 16 In this framework, the legislature plays a role in reconciling the protection of public health and the observance of rights and freedom. 17 According to the Conseil Constitutionnel, these rights and 9. Conseil d’État, Ordonnance du 22 mars 2020, Demande de confinement total, para. 3. 10. Id. 11. This legislation was enacted on May 9, 2020. See Conseil Constitutionnel, Décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020, Communiqué de presse (le 11 mai 2020). 12. Conseil Constitutionnel, Décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 (Loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions). 13. A Nation is not necessarily equivalent to a State. See Professor Guillaume Tusseau et al., Droit constitutionnel et institutions politiques, 5e édition, Seuil, 2020, p. 47. However, in France, there is a strong tendency to consider a Nation and a State as being identical. See id. 14. See Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, onzième alinéa, https:// www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/Constitution/Preambule-de-laConstitution-du-27-octobre-1946 (« Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs.... »). 15. Conseil Constitutionnel, Décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 (Loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions), para. 16. 16. Id. at para. 17. 17. See id.
Actualités
LA REVUE DES JURISTES DE SCIENCES PO - N° 20 - FÉVRIER 2021
freedom include the freedom of movement, the right to privacy, the right of free enterprise, and the freedom of expression. 18 The Federal Constitutional Court of Germany characterized the « protection of life and limb » as the State’s obligation deriving from Article 2(2) of the Basic Law of Germany. 19 Article 2(2) provides the right to life and physical integrity. 20 The Federal Constitutional Court indicated that measures for coping with the « dangers posed to life and limb » have priority over the resulting restrictions on personal freedom. 21
2° Enlargement of Commonwealth Police Power 5 - A State’s role in issuing orders to contain the COVID-19 epidemic also derives from the State’s Constitution, statutory codes, and judicial interpretation, which enlarge the State’s police power in a health crisis. On April 13, 2020, the Supreme Court of Pennsylvania issued its ruling in Friends of Danny DeVito v. Wolf. 22 The Court upheld the Governor’s executive order which compelled « non-life-sustaining » businesses to close. 23 The plaintiffs’ businesses were affected by this order. For example, a golf course was forced to cease its business operations while continuing to incur substantial expenses to maintain the golf course’s greens and fairways. 24 The plaintiffs argued that there was a lack of authority to order the closure of businesses. 25 In response, the Supreme Court of Pennsylvania stated that the Governor possesses enlarged police power from three sources. First, Article 4, section 2, of the Constitution of the Commonwealth of Pennsylvania provides that the « supreme executive power shall be vested in the Governor, who shall take care that the laws be faithfully executed ». 26 Second, the State’s Emergency Management Services Code provides statutory authority for the Governor to have « expansive emergency management powers » to mitigate a disaster. 27 In particular, section 7301(f)(7) of this Code provides the authority to control the « ingress and egress to and from a disaster area, the movement of persons within the area and the occupancy of premises therein ». 28 Third, courts in Pennsylvania have interpreted this police power to be the « least limitable power » for the promotion of « public health... and the general well-being of the community ». 29 Thus, the Supreme Court of Pennsylvania concluded that the executive order to close businesses is authorized. 30 Enlarged police power was also recognized in the State of California in Gish v. Newsom. 31 The Governor issued an executive order, directing all residents of California to stay home unless leaving their residences was necessary to maintain « critical infrastructure[s] ». 32 The plaintiffs argued that the order violates their constitutional right to the free exercise of religion. 33 Yet, the U.S. 18. Id. 19. The Federal Constitutional Court of Germany, Unsuccessful applications for preliminary injunctions in relation to the COVID-19 pandemic, Press Release No. 23/2020 (Apr. 8, 2020) ; Order of April 7, 2020, 1 BvR 755/20, at para. 11. 20. Basic Law, Article 2(2), https://www.bundesregierung.de/breg-en/chancellor/ basic-law-470510 (« Every person shall have the right to life and physical integrity »). 21. The Federal Constitutional Court of Germany, Order of April 7, 2020, supra, at para. 11. 22. Friends of Danny DeVito v. Wolf, No. 68 MM 2020, 2020 WL 1847100 (Pa. Apr. 13, 2020). 23. Id. at *5. 24. Id. at *6. 25. Id. at *1. 26. Id. at *8 ; Pa. Const. art. IV, § 2. 27. Friends of Danny DeVito, 2020 WL 1847100, supra, at *9, *12. 28. Id. at *12 ; 35 Pa. Stat. & Cons. Stat. Ann. § 7301(f)(7). 29. Friends of Danny DeVito, 2020 WL 1847100, supra, at *10 (citing, e.g., Nat’l Wood Preservers v. Com., Dep’t of Envtl. Res., 414 A.2d 37, 42-43 (1980)). 30. Friends of Danny DeVito, 2020 WL 1847100, supra, at *12. 31. Gish v. Newsom, No. EDCV20755JGBKKX, 2020 WL 1979970 (C.D. Cal. Apr. 23, 2020). 32. Id. at *2. 33. Id. at *3.
District Court for the Central District of California ruled that the Governor has « a right to protect California residents » from COVID-19, « even if those protections temporarily burden constitutional rights to a greater degree than normally permissible ». 34 In 1905, the Supreme Court of the United States in Jacobson v. Commonwealth of Massachusetts 35 upheld the constitutionality of a State statute concerning vaccination to protect public health from smallpox. The District Court in Gish v. Newsom cited this precedent for the proposition that States have « greater leeway to burden constitutionally protected rights during public emergencies ». 36 Thus, the State’s role to protect public health is enlarged in the coronavirus epidemic. It even supersedes the exercise of constitutional rights in some cases.
B. - Discretionary Demarcations 6 - The design of emergency measures often involves linedrawing. For example, « essential » businesses are distinguished from « non-essential » businesses which are compelled to cease operations. Such classifications are made normally by the exercise of discretion through policy choice 37 or legislative choice. 38 These discretionary demarcations have given rise to allegations that vague line-drawing violates the constitutional principle of the separation of powers (1). They have also triggered claims that arbitrary classifications violate constitutional rights (2).
1° Policy Choices under the Separation of Powers 7 - The design of emergency orders for containing the coronavirus epidemic has been alleged to violate the principle of separation of powers. In Friends of Danny DeVito v. Wolf, the Governor’s executive order compiled a list of « life-sustaining » and « non-lifesustaining » businesses. 39 The order required the closure of « nonlife-sustaining » businesses to abate the spreading of COVID-19. 40 The plaintiffs argued that this list is « arbitrary, capricious and vague ». 41 They characterized the compilation of this list as an « attempt at legislation ». 42 The plaintiffs thus argued that the executive order violates the separation of powers principle because the executive branch is assuming the role reserved to the legislative branch. 43 The Supreme Court of Pennsylvania, however, dismissed this argument. The Court ruled that commonwealth police power encompasses the authority to make policy choices, as long as the chosen measures to cope with the COVID-19 epidemic are reasonably necessary for achieving this purpose 44. Section 7301(f)(7) of the State’s Emergency Management Services Code authorizes the Governor to control the movement of individuals in a disaster area. 45 Hence, the Court determined that classifying various businesses to determine which premises will be denied public access during the epidemic is inherent in the broad police powers authorized by the Code. 46 The Concurrence and Dissent, however, opined that « arbitrariness cannot be tolerated, particularly when the livelihoods of citizens are being impaired ». 47 34. Id. at *4. 35. Jacobson v. Commonwealth of Massachusetts, 197 U.S. 11, 12 (1905). 36. Gish v. Newsom, 2020 WL 1979970, supra, at *4. 37. Friends of Danny DeVito, 2020 WL 1847100, supra, at *14. 38. Hartman v. Acton, No. 2 :20-CV-1952, 2020 WL 1932896, supra, at *10 (S.D. Ohio Apr. 21, 2020). 39. Friends of Danny DeVito, 2020 WL 1847100, supra, at *5, *14. 40. Id. at *1. 41. Id. at *14. 42. Id. 43. See id. 44. Id. 45. Id. at *15. 46. Id. 47. Id. at *25 (Saylor C.J., concurring and dissenting).
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Similarly, in Hartman v. Acton, 48 a plaintiff’s argument alleging violation of the separation of powers principle was dismissed. In Hartman, the Director of the State of Ohio’s Department of Health issued a Stay-at-Home Order on March 22, 2020, compelling « non-essential businesses » to cease their operations until May 1, 2020, to prevent the spread of the coronavirus. 49 The plaintiff’s business was categorized as « non-essential ». 50 Consequently, the plaintiff was required to operate her business online. 51 The plaintiff argued that the Order is « impermissibly vague ». She also asserted that the authorization granted to the Director to issue the Stayat-Home Order is an « unconstitutional delegation of legislative power » in violation of the Constitution of the United States of America and the Ohio State Constitution. 52 In response, the U.S. District Court for the Southern District of Ohio noted that section 3701.13 of the Ohio Revised Code 53 confers authority to the Ohio Department of Health to supervise « all matters relating to the preservation of the life and health of the people ». 54 The District Court found that the Director of the Department of Health issued the Stay-at-Home Order under this authority. 55 The Court further explained that the federal Constitution does not restrain delegations of state legislative power. 56 Accordingly, the assertion that an executive order violates the principle of separation of powers was dismissed.
2° Arbitrariness under Strict Scrutiny 8 - Alleged arbitrariness in the designing of emergency orders has also led to claims of violations of constitutional rights. In Maryville Baptist Church v. Beshear, 57 the Governor of the State of Kentucky issued orders to prevent the expansion of the COVID-19 epidemic. 58 The orders prohibited « mass gatherings » and required the closure of organizations that are not « life-sustaining ». 59 An order of March 25, 2020, categorized religious organizations as non-lifesustaining, except when they provide food, shelter, and social services for charity. 60 On April 12, 2020, the plaintiff held a drive-in Easter service. 61 Congregants stayed inside their parked cars in a parking lot, and listened to a sermon delivered through a loudspeaker. 62 Authorities then arrived, announced that the drive-in service constituted a criminal act, recorded the license plate numbers of the congregants’ vehicles, and ordered selfquarantine measures. 63 The plaintiff claims that these orders violated the right to the free exercise of religion under the First 64 and Fourteenth 65 Amendments of the U.S. Constitution. 66 The plain-
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48. Hartman v. Acton, No. 2 :20-CV-1952, 2020 WL 1932896, at *10 (S.D. Ohio Apr. 21, 2020). 49. Id. at *1. 50. Id. 51. Id. 52. Id. 53. Ohio Rev. Code Ann. § 3701.13. 54. Hartman v. Acton, 2020 WL 1932896, supra, at *3. 55. Id. 56. Id. (citing, e.g., Wayne Watson Enterprises v. City of Cambridge, 243 F. Supp. 3d 908, 927 (S.D. Ohio 2017).) 57. Maryville Baptist Church v. Beshear, 957 F.3d 610 (6th Cir. 2020). 58. Id. at 611. 59. Id. 60. Id. 61. Id. 62. Id. 63. Id. 64. The First Amendment provides that « Congress shall make no law respecting an establishment of religion, or prohibiting the free exercise thereof... » U.S. Const. amend. I. 65. The Fourteenth Amendment provides that « No state shall make or enforce any law which shall abridge the privileges or immunities of citizens of the United States ; nor shall any state deprive any person of life, liberty, or property, without due process of law ; nor deny to any person within its jurisdiction the equal protection of the laws ». U.S. Const. amend. XIV, § 1. The First Amendment is enforceable against the States through the Fourteenth Amendment. See Everson v. Board of Ed. of Ewing Tp., 330 U.S. 1, 5 (1947). 66. Maryville Baptist Church v. Beshear, 957 F.3d at 612.
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tiff also set forth claims under Kentucky’s Religious Freedom Restoration Act. 67 The U.S. Court of Appeals for the Sixth Circuit found that Kentucky’s statute provides a stronger protection for the free exercise of religion compared to the U.S. Constitution. 68 Hence, the Court stated that emergency orders restricting religious practices must satisfy the strict scrutiny test to comply with the Religious Freedom Restoration Act. 69 This means that the emergency orders deploy the least restrictive means to fulfill the State’s compelling interest of hindering the spread of the coronavirus. The Court of Appeals ruled that the emergency orders do not satisfy the strict scrutiny test. According to the Court, the way in which the orders distinguished religious activities from non-religious activities suggests that the means used by these orders were not the least restrictive. 70 For example, the Court noted that the orders permit offices and grocery stores to operate if social distancing is maintained, while the orders prohibit mass gatherings by religious organizations. 71 The Court questioned how business meetings with social distancing are different from and less dangerous than drive-in religious services with social distancing. 72 The Court also noted that the cars parked near the church during the drive-in religious services were subject to law enforcement actions while many cars were also parked in the parking lot of a nearby grocery store. 73 The Court stated that « restrictions inexplicably applied to one group and exempted from another do little » to promote the protection of public health and « do much to burden religious freedom ». 74 Accordingly, the Court of Appeals temporarily enjoined the enforcement of the emergency orders prohibiting the drive-in religious services 75.
2. Guardian of Constitutional Rights and Fundamental Liberties 9 - The State’s role as the protector of public health in the COVID-19 emergency has been under scrutiny by the judiciary acting as the guardian of constitutional rights and fundamental liberties. For example, in People ex rel. Stoughton v. Brann 76, the Supreme Court of New York County stated that, if due process requirements are not satisfied, « the court must accord a remedy ». 77 The Court explained that the judiciary has an obligation to « enforce the constitutional rights of all ». 78 Furthermore, the Conseil d’État of France has stated that, when a public act seriously violates a fundamental liberty in an emergency, the juges des référés of the Conseil d’État prescribe, pursuant to Articles L. 511-1 and L. 521-2 of the Code of Administrative Justice, measures which will counter the effects of the violation. 79 The judiciary strikes a balance between the protection of public health and the safeguard of constitutional rights (A) while acknowledging the unwavering presence of constitutional protection (B) during the COVID-19 pandemic.
A. - Striking of Balance between Public Health and Constitutional Rights 10 - In the COVID-19 crisis, a State confronts the question of whether constitutional rights may be encroached in order to inhi67. Id. 68. Id. 69. See id. at 613. 70. See id. 71. Id. at 611. 72. Id. at 613. 73. Id. 74. Id. at 615. 75. Id. at 616. 76. People ex rel. Stoughton v. Brann, No. 451078/2020, 2020 WL 1679209 (N.Y. Sup. Ct. Apr. 6, 2020). 77. Id. at *2. 78. Id. (citing Brown v. Plata, 563 U.S. 493, 511 (2011). 79. Conseil d’État, Ordonnance du 7 mai 2020, Prison de Ducos (Martinique).
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bit the propagation of the coronavirus. 80 In this context, the judicial branch of the State plays a role in balancing public health and constitutional rights. 81 Judicial decisions indicate that, while exercising this role during the COVID-19 epidemic, some courts have accepted the changing contours of constitutional rights (1) and the shifting standards of constitutional review (2).
1° Flexible Contours of Constitutional Rights 11 - The coronavirus pandemic has prompted courts in certain instances to modify the conception of constitutional rights. For instance, the Fifth Amendment of the U.S. Constitution provides due process rights. 82 In Friends of Danny DeVito v. Wolf, the plaintiffs claimed that the State’s order to close « non-life-sustaining » businesses violated their due process rights because the order categorized their businesses as « non-life-sustaining » without providing them with due notice and opportunity to contest this classification. 83 The Supreme Court of Pennsylvania, however, explained that due process does not have a « fixed content unrelated to time, place and circumstance ». 84 The Court emphasized the flexibility of the « amount of due process that is due ». 85 According to the Court, the extent of procedural protections that are required in a given situation varies depending on the particular circumstances of the case. 86 In the coronavirus crisis, the Court found that the State was not in a position to provide the plaintiffs with pre-deprivation notices and proceedings because the spread of COVID-19 was rapid, and the State needed to act quickly to protect the public from the coronavirus. 87 The Court estimated that, if individual notices and hearings had been provided, the issuance of the executive order would have been significantly delayed. 88 Consequently, according to the Court, the State would have been unable to fulfill its obligation of protecting the public from impending disaster. 89 Similarly, in South Bay United Pentecostal Church v. Gavin Newsom, 90 the U.S. Court of Appeals for the Ninth Circuit dismissed the plaintiff’s argument that the State of California’s stayat-home orders violate the First Amendment of the U.S. Constitution by preventing the free exercise of religion. 91 « We’re dealing here with a highly contagious and often fatal disease for which there presently is no known cure, » the Court remarked. 92 The Court, quoting the words of Justice Robert Jackson, underlined the need for the judiciary to « temper its doctrinaire logic with a little practical wisdom » to avoid a disaster in which the protection of constitutional rights results in casualties. 93
2° Shifting Standards of Constitutional Review 12 - The COVID-19 epidemic has also prompted the judiciary in some cases to modify the standards of constitutional review. In Gish v. Newsom, 94 for example, the U.S. District Court for the Central 80. Cross Culture Christian Ctr. v. Newsom, No. 220CV00832JAMCKD, 2020 WL 2121111, at *5 (E.D. Cal. May 5, 2020). 81. Id. 82. U.S. Const. amend. V (« No person shall... be deprived of life, liberty, or property, without due process of law ; nor shall private property be taken for public use, without just compensation »). 83. Friends of Danny DeVito, 2020 WL 1847100, supra, at *18. 84. Id. (citing Gilbert v. Homar, 520 U.S. 924, 930 (1997)). 85. Friends of Danny DeVito, 2020 WL 1847100, supra, at *18. 86. Id. 87. Id. at *19. 88. Id. 89. Id. 90. South Bay United Pentecostal Church v. Newsom, No. 20-55533, 2020 WL 2687079 (9th Cir. May 22, 2020). 91. See id. at *1. 92. Id. 93. Id. 94. Gish v. Newsom, No. EDCV20755JGBKKX, 2020 WL 1979970 (C.D. Cal. Apr. 23, 2020).
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District of California stated that, « during an emergency, traditional constitutional scrutiny does not apply ». 95 According to the Court, emergency measures that limit constitutional rights are constitutional as long as (i) the measures have a « real or substantial relation » to the health crisis and (ii) the measures do not constitute a « plain [and] palpable » invasion of constitutionally protected rights. 96 The U.S. District Court for the Eastern District of California also followed this standard in Cross Culture Christian Ctr. v. Newsom 97 to determine whether the San Joaquin County’s stayat-home orders to impede the spread of COVID-19 violated constitutional rights to assemble and exercise religion. 98 A shift in the standard of review has also occurred in the evaluation of the separation of powers principle during the COVID-19 crisis. In Hartman v. Acton, 99 the U.S. District Court for the Southern District of Ohio examined whether the Stay-at-Home Order issued by the Director of the Department of Health violated the principle of the separation of powers. 100 The District Court acknowledged that the General Assembly has legislative authority under Article 2, section 1, of the Ohio Constitution, 101 and that an attempt to delegate this legislative power is unconstitutional. 102 However, the District Court emphasized that « the need for strict standards and guidelines is relaxed when the delegation relates to matters of public health and safety... » 103 The Court explained that, in a health crisis, « the judiciary must afford more deference to officials’ informed efforts to advance public health... » 104 Meanwhile, in Republican National Committee v. Democratic National Committee, 105 the majority of the Supreme Court of the United States adhered to precedent 106 in examining the due date of absentee ballots in an election scheduled during the COVID-19 crisis. An election in the State of Wisconsin was scheduled for April 7, 2020. 107 Thus, absentee ballots were originally due by April 7, 2020, at 8 p.m. under Wisconsin law. 108 However, due to the coronavirus epidemic, the number of Wisconsin voters requesting absentee ballots was approximately one million greater than the number of requests in the 2016 election. 109 Thus, the election officials faced an increased burden of mailing ballots to the Wisconsin voters. 110 As a result of this hefty backlog, the mailing of the ballots was delayed, creating the possibility that tens of thousands of voters would not receive the ballots by April 7. 111 To resolve this problem, the U.S. District Court for the Western District of Wisconsin extended the due date for the reception of absentee ballots to April 13, 2020, at 4 p.m. 112 The District Court stated that, in view of the COVID-19 epidemic, « the only role of a federal district court is to take steps that help avoid the impingement on citizens’ rights to exercise their voting franchise as protected by the United States Constitution and federal statutes ». 113 95. Id. at *5. 96. See id. 97. Cross Culture Christian Ctr. v. Newsom, No. 220CV00832JAMCKD, 2020 WL 2121111 (E.D. Cal. May 5, 2020). 98. See id. at *1 ; *4. 99. Hartman v. Acton, No. 2 :20-CV-1952, 2020 WL 1932896 (S.D. Ohio Apr. 21, 2020). 100. Id. at *3. 101. Ohio Const. Article 2, Section 1 (« The legislative power of the state shall be vested in a General Assembly... »). 102. Hartman v. Acton, 2020 WL 1932896, supra, at *3. 103. Id. 104. Id. at *5. 105. Republican Nat’l Comm. v. Democratic Nat’l Comm., 140 S. Ct. 1205 (2020). 106. Purcell v. Gonzalez, 549 U.S. 1 (2006), Frank v. Walker, 574 U.S. 929 (2014) and Veasey v. Perry, 135 S.Ct. 9 (2014). 107. Republican Nat’l Comm. v. Democratic Nat’l Comm., 140 S. Ct. at 1206. 108. Id. ; Id. at 1209 (Ginsburg J., dissenting). 109. Id. 110. See id. 111. Id. 112. Id. 113. Democratic Nat’l Comm. v. Bostelmann, No. 20-CV-249-WMC, 2020 WL 1638374, at *1 (W.D. Wis. Apr. 2, 2020).
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On April 6, 2020, the Supreme Court of the United States ruled on the issue of whether the Wisconsin voters must mail their absentee ballots by April 7, or whether the ballots may be postmarked after April 7, as long as they are received by election officials by April 13. 114 The majority of the Supreme Court concluded that the absentee ballots must be postmarked by April 7 and received by April 13 at 4 p.m., or delivered in person by April 7 at 8 p.m. 115 The majority opinion stated that modifying « the election rules on the eve of an election » contravenes precedents of the Supreme Court. 116 Justice Ruth Bader Ginsburg dissented, stating that tens of thousands of voters in Wisconsin risk being disenfranchised because, even if they have not received their ballots by April 7, they are required to mail them by April 7 in order for their ballots to be counted in the election. 117 Justice Ginsburg noted that Wisconsin citizens « will have to brave the polls, endangering their own and others’ safety. Or they will lose their right to vote, through no fault of their own ». 118 Thus, Justice Ginsburg stated that this case presents a « matter of utmost importance – to the constitutional rights of Wisconsin’s citizens, the integrity of the State’s election process, and in this most extraordinary time, the health of the Nation ». 119
B. - Unwavering Presence of Constitutional Protection 13 - While judicial decisions have shown that the amount and degree of constitutional protection may sometimes diminish in the urgent need to protect public health, courts have indicated that the presence of constitutional protection remains intact. The ruling in Friends of Danny DeVito v. Wolf, 120 for example, articulated that « essential liberties remain in effect » at all times. 121 Furthermore, the Federal Constitutional Court of Germany upheld the fundamental right to assemble. 122The Court held that an emergency order prohibiting a planned protest of approximately 30 people violated the right to gather peacefully 123, set forth in Article 8(1) of the Basic Law of Germany. 124 The emergency order had banned the protest because social distancing might not be maintained in public gatherings, thereby increasing the risk of coronavirus infection. 125 Courts have upheld fundamental liberties and constitutional rights by ensuring that emergency measures are accompanied by proper limits (1) and by ascertaining that aggrieved parties have the possibility of resorting to procedural safeguards (2).
1° Assurance of Proper Limits 14 - Whether proper limits are incorporated in emergency orders has been a crucial element in determining whether the orders violate constitutional rights and fundamental liberties. The Conseil Constitutionnel has stated that a judge is charged with the role of assuring that measures for safeguarding the population from
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114. Republican Nat’l Comm. v. Democratic Nat’l Comm., 140 S. Ct. at 1206. 115. Id. at 1208. 116. Id. at 1207. 117. See id. at 1209, 1211 (Ginsburg J., dissenting). 118. Id. at 1211. 119. Id. at 1211. 120. Friends of Danny DeVito v. Wolf, No. 68 MM 2020, 2020 WL 1847100 (Pa. Apr. 13, 2020). 121. Id. at *19. 122. The Federal Constitutional Court of Germany, Order of April 15, 2020, 1 BvR 828/20. 123. Id. at paragrpahs 2, 11-12. 124. Basic Law, Article 8(1), https://www.bundesregierung.de/breg-en/chancellor/ basic-law-470510 (« All Germans shall have the right to assemble peacefully... »). 125. See The Federal Constitutional Court of Germany, Order of April 15, 2020, supra, at paragraph 3.
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COVID-19 are (i) necessary for protecting public health (ii) adapted to this goal, and (iii) proportional to achieving this objective. 126 When the Conseil Constitutionnel evaluated the constitutionality of measures for collecting and sharing medical data of patients, it indicated that certain limits must be made in the implementation of these measures so that the right to privacy will be protected. For example, the Conseil Constitutionnel stated that the purpose of collecting and using the personal data must be limited to four specific purposes : (i) the identification of patients and the communication of the results of medical tests (ii) the identification of individuals who are at risk of infection (iii) the implementation of quarantine measures, and (iv) the surveillance of the epidemic. 127The Conseil Constitutionnel further stated that personal names and identification numbers must be deleted, 128 a framework for maintaining the confidentiality of data must be constructed, 129 and confidentiality obligations must be imposed on any contractors processing the data. 130 The Conseil d’État has also applied this criterion. 131 On March 22, 2020, the Conseil d’État rejected a request to order total confinement of the population and the shutdown of public transport. 132 The Conseil d’État stated that the measures for containing the epidemic, which might restrain the exercise of fundamental rights and liberties, must be necessary for, adapted to, and proportional to the protection of public health. 133 The Conseil d’État decided that a total lockdown creates the risk of disrupting the supply of indispensable materials, delaying the distribution of food, and obstructing the activities of health care professionals, which could place public health in danger. 134 The suggested measure had too few limits. Similarly, on May 18, 2020, the Conseil d’État ordered the cessation of measures using drones floating in the air and filming their surroundings to ensure the observance of confinement orders in Paris. 135 The Conseil d’État pointed out the possibility that the images collected during this surveillance might be misused in violation of personal data protection rules including the General Data Protection Regulation 136 of April 27, 2016. 137 It also noted the lack of rules establishing a framework on how personal data collected by the drones ought to be processed. 138 The Conseil d’État therefore decided that the implementation of this surveillance constitutes a serious and unlawful violation of the right to privacy. 139
2° Resort to Procedural Safeguards 15 - Procedural safeguards have been an essential instrument in the protection of constitutional rights and fundamental liberties in the COVID-19 epidemic. The Conseil Constitutionnel upheld the constitutionality of quarantine measures, observing that the quarantined individual can contest them by making a request to the juge 126. Conseil Constitutionnel, Décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 (Loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions), at para. 21. 127. See id. at para. 64. The Conseil Constitutionnel noted that the proposed measure excludes the development of smartphone applications for informing individuals that they are close to another individual who has been diagnosed with COVID-19. Id. at para. 65. 128. Id. at para. 67. 129. See id. at para. 73. 130. Id. at para. 74. 131. Conseil d’État, Ordonnance du 22 mars 2020, Demande de confinement total, at para. 3. 132. Id. at paras. 1, 8. 133. Id. at para. 3. 134. Id. at para. 8. 135. See Conseil d’État, Ordonnance du 18 mai 2020 (Surveillance par drones), at paras. 1, 7, 10, 19. 136. Regulation (EU) 2016/679 of the European Parliament and of the Council of 27 April 2016 on the protection of natural persons with regard to the processing of personal data and on the free movement of such data. 137. See Conseil d’État, Ordonnance du 18 mai 2020, supra, at para. 18. 138. See id. 139. Id.
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des libertés et de la detention to remove the quarantine measures. 140 The Supreme Court of Pennsylvania similarly determined that measures ordering the closure of « non-life-sustaining » businesses do not violate procedural due process rights because affected parties can avail themselves of a review process that enables them to challenge the measures and request reconsideration of the classification of their businesses as « non-life-sustaining ». 141 The Court explained that a correction of mis-categorization is a « proper focus » of procedural due process rights, which aim to protect individuals from the « mistaken deprivation of life, liberty or property ». 142 Furthermore, on April 28, 2020, the Constitutional Court of Ecuador ordered the Judiciary Council to ensure that individuals have timely access to justice. 143 This procedure aims to guarantee that individuals can exercise their fundamental right to obtain an effective remedy for violations of human rights during the COVID-19 crisis. 144 In United States v. Rodriguez, 145the U.S. District Court for the Eastern District of Pennsylvania applied the procedure of compassionate release to protect an inmate from the COVID-19 pandemic. 146The District Court observed that « Prisons are tinderboxes for infectious disease » and that the question of protecting inmates from COVID-19 arises every day. 147 In 2018, Congress passed the First Step Act to « promote rehabilitation of prisoners and unwind decades of mass incarceration ». 148 Section 603(b) of the First Step Act created a procedure for allowing prisoners to petition the court to grant compassionate release pursuant to 18 U.S.C. 140. Conseil Constitutionnel, Décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 (Loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions), at para. 42. 141. Friends of Danny DeVito v. Wolf, 2020 WL 1847100, supra, at *20. 142. Id. at 21. 143. José Miguel Vivanco, « Ecuador’s Constitutional Court Upholds Rights During Covid-19, » Human Rights Watch (May 4, 2020), https://www.hrw.org/news/ 2020/05/04/ecuadors-constitutional-court-upholds-rights-during-covid19. 144. See id. 145. United States v. Rodriguez, No. 2 :03-cr-00271-AB-1, 2020 WL 1627331 (E.D.Pa. Apr. 1, 2020). 146. Id. at *1. 147. Id. 148. Id. at *2.
§ 3582(c)(1)(A)(i). 149 In United States v. Rodriguez, the Court found that a compassionate release is warranted for « extraordinary and compelling reasons ». 150 The Court noted that the petitioner had type 2 diabetes, which increased the vulnerability to COVID-19 due to immunosuppression. 151 The Court described that « prison is a particularly dangerous place » for the petitioner because « recommended measures to prevent infection are impossible or unfeasible in prison ». 152 The Court also stated that the petitioner’s sentence was almost completely served, and that the petitioner showed « commendable rehabilitation ». 153 In United States v. Schafer, 154 the U.S. District Court for the Western District of New York also ordered immediate release after reviewing the « totality of circumstances » and finding that compassionate release is appropriate. 155
Conclusion 16 - Legal developments during the COVID-19 pandemic suggest that the protection of public health and the defense of constitutional rights and fundamental liberties are recurring themes in States’ measures to protect lives. These measures often restrict rights and liberties. Being alive, however, is a premise for enjoying rights and liberties under the Constitution. Although judicial decisions have shown that the level of constitutional protection and the standards of constitutional review are modified in certain instances to respond to the exigencies of protecting public health, the very presence of constitutional rights and fundamental liberties does not vanish. As the U.S. Supreme Court stated in 1866, the Constitution is « a law for rulers and people » and « covers with the shield of its protection all classes of men, at all times, and under all circumstances ». 156ê
149. Id. 150. Id. at *1, *6. 151. Id. at *7. 152. Id. at *8. 153. Id. at *7. 154. United States v. Schafer, No. 6 :18-CR-06152 EAW, 2020 WL 2519726 (W.D.N.Y. May 18, 2020). 155. Id. at *1, *4, *6, *8. 156. Ex parte Milligan, 71 U.S. 2, 120-21 (1866).
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Dossier Thématique
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La privatisation de la justice Pierre SERVAN-SCHREIBER,
Médiateur, Arbitre et Avocat aux Barreaux de Paris et de New York
I
l y a dix ans, l’éditorial de cette même Revue des Juristes de Sciences-Po (RJSP) commençait ainsi : « L’année 2011 semble, plus encore que les précédentes, remettre en question [...] la puissance des États (...) ». Dix ans plus tard, le constat est non seulement le même mais on peut même considérer qu’il est plus aigu encore. C’est sans doute la raison pour laquelle les thèmes abordés par les précédents numéros de la RJSP depuis dix ans suivent un fil conducteur qui les relie : l’évolution du rôle de l’État dans la création et dans l’application de la norme juridique face aux enjeux du XXIe siècle. La problématique explorée par ce numéro se situe au cœur de ce thème. La justice étant l’une des fonctions essentielles de l’État (avec la monnaie, la police et la défense), le fait que se pose la question de la privatisation de cette fonction est en soi un sujet de réflexion important. Il fait écho au questionnement assez général, dans notre pays comme dans beaucoup d’autres, sur la place de l’État dans un monde qui fait face à des problématiques
mondiales telles que le dérèglement climatique, la prolifération nucléaire, le contrôle du développement de l’intelligence artificielle, les pandémies, la dégradation des écosystèmes essentiels, la bioéthique, etc. C’est pourquoi les rédacteurs en chef de cette Revue ont souhaité inviter les contributeurs à aborder les thématiques qui leur étaient proposées pas seulement dans une stricte perspective d’analyse juridique, mais avec la hauteur de vue, politique, voire philosophique qu’impose la question de la place de l’État dans l’administration de la Justice ou, plus largement, la réduction de l’intersection des deux ensembles conceptuels que sont l’État et la Justice. Les auteurs ayant contribué à ce numéro ont parfaitement joué le jeu en se montrant capables d’aborder à la fois les aspects concrets de la « privatisation de la justice », y compris en ce qu’ils ont de positifs pour les justiciables concernés, mais aussi les questions fondamentales que posent ce phénomène. Qu’ils soient magistrats, avocats, professeurs ou philosophe, tous les auteurs ont apporté une pierre de grande valeur à l’édifice de cette Revue qui pose la question de la privatisation de la justice d’une manière totalement inédite à ce jour. Nous sommes convaincus que leur lecture vous en convaincra mieux que nous ne saurions le faire.ê
Yves BENHAMOU, Les effets du mouvement de privatisation de la justice sur l’acte de juger et la mission de l’institution judiciaire : article 4 Sélim BRIHI, Amaury BOUSQUET, Les nouveaux enjeux de la privatisation du procès pénal : article 5 Trevor C.W. FARROW, Solving the Access to Justice Crisis Through Privatization : Opportunities and Concerns : article 6 Katharina PISTOR, Privatization of justice and the Creation of Inequality : article 7 Entretien avec Geoffroy de LAGASNERIE, Les vertus du jugement à l’aune du processus de privatisation de la justice : article 8 Daniel KADAR, Stéphanie ABDESSELAM, Laetitia GAILLARD, Les autorités de régulation en mutation : vers une réinvention de l’équilibre des pouvoirs : article 9 Constance CASTRES SAINT-MARTIN, Justice privée et conflit d’intérêts : article 10 Renaud VAN RUYMBEKE, La traque de l’argent sale : article 11 Frédérique CASSEREAU, L’arbitrage des conflits en droit du travail : un temps d’avance ? : article 12 Entretien avec Odile de BROSSES, Les codes de conduite, instruments de régulation des entreprises : article 13 11
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Catherine PEULVÉ, La médiation comme partenaire de justice ? : article 14 Pierre SERVAN-SCHREIBER, La médiation comme thérapie systémique des groupes familiaux : article 15 Gilles PELLISSIER, Le contrôle par le juge administratif français du respect de l’ordre public dans les sentences arbitrales internationales : article 16 Alexis MOURRE, La Cour Internationale d’Arbitrage de la CCI, acteur de la régulation du commerce international : article 17 Kabir A.N. DUGGAL, Rekha RANGACHARI, Peter L. SCHMIDT, Surya VASU, Who Represents Whom ? Looking at the Representation of States in Investor-State Arbitration : article 18 Entretien avec Paul-Louis NETTER, Les procédures de conciliation devant les Tribunaux de commerce : article 19 Gaëlle LE QUILLEC, Le secret dans la justice privée : article 20 Entretien avec François-Régis BENOIS, Le name and shame : article 21 Eduardo SILVA ROMERO, ’Legal Fictions’ in the Language of International Commercial Arbitration involving States and State Entities : article 22
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Les effets du mouvement de privatisation de la justice sur l’acte de juger et la mission de l’institution judiciaire Yves BENHAMOU, Président de chambre de la cour d’appel d’Aix en Provence
« La justice sans force, et la force sans justice : malheurs affreux. » Joseph Joubert Maximes et Pensées
1 - Vivrions-nous une époque singulière, pleine de surprises et de paradoxes ? Serions-nous entrés de manière soudaine dans l’ère des ruptures ? Nos anciennes certitudes seraient-elles sérieusement ébranlées par des forces telluriques ? Cela ressemble à un coup de tonnerre dans le ciel serein et lumineux du monde du droit et de la justice. Une formule monte en puissance, fait flores dans le monde judiciaire, suscitant des réactions ambivalentes, qu’elles soient enthousiastes ou angoissées : on n’assisterait à rien moins qu’à « la privatisation de la justice ». Cette étrange formule paraît ressembler à un oxymore tant elle semble vouloir associer deux notions apparemment contradictoires. Car longtemps nous avons vécu avec chevillée à l’âme la sereine conviction que la justice est consubstantielle à l’État et qu’elle ne doit jamais être privatisée. Cette mission régalienne par excellence participe de la volonté de la puissance publique, de l’État de confisquer aux individus le droit de se faire justice eux-mêmes. Cette fonction qui apparaît comme le monopole de l’État correspond au souci primordial d’éradiquer toute forme de justice privée. Or, la justice privée en ce qu’elle renvoie très souvent (exception étant faite de certains modes alternatifs de règlement des différends à l’instar de l’arbitrage) au droit de se faire justice à soi-même, risque de ratifier le triomphe de purs rapports de force de nature à mettre à mal les droits de la partie la plus faible. L’exemple emblématique et pour le moins controversé de cette justice privée fut le duel qui était sous tendu par la volonté orgueilleuse d’échapper à la justice étatique et de venger soi-même les offenses dont on a fait l’objet 1. La justice sous la monarchie de l’ancienne France s’est construite contre vents et marées sur l’idée que cette fonction de juger est une prérogative qui procède uniquement du roi et doit être exercée par les professionnels qu’il a nommés. Saint Louis qui créa en 1254 le Parlement de Paris eut à cœur d’éviter que la justice fasse l’objet d’une appropriation clanique, d’une privatisation qui serait selon lui de nature à mettre à mal la cohésion 1. Voir sur ce point l’étude de J.-N. Jeanneney. Le duel, une passion française, 1789-1914, Seuil, 2004.
sociale et à blesser tout idée de justice. Il est symptomatique de cette conception de la justice qu’à sa mort Saint Louis ait transmis à son fils un vade-mecum dans lequel il formula le précepte suivant : « le pouvoir royal doit vérifier que les villes font bien appliquer la justice 2. » On disait ainsi souvent dans l’ancienne France que le roi était « fontaine de justice 3. » Cela explique qu’originellement le royaume de France était un État de justice ; le monarque jugeait les affaires de l’État en son Conseil et c’est de ses fonctions de roi justicier que découlent tous ses pouvoirs. L’historien Philippe Ariès a lumineusement mis en évidence les spécificités de cet État de justice dont la conception judiciaire du pouvoir irriguait véritablement l’ensemble des rouages de l’appareil d’État et du corps social : « Cette conception judiciaire du pouvoir se retrouve à tous les échelons de l’État ancien [...]. Il n’y avait pas de fonctionnaires mais partout et pour tout des juges 4. » Cet héritage historique explique aisément que la justice apparaisse en France indissociable de l’État. Elle fait partie des attributs essentiels de la souveraineté que la puissance publique ne peut en aucun cas abandonner. Il est révélateur de constater qu’historiquement l’arbitrage connaît un vif essor quand l’État est faible. À preuve : après l’écroulement de l’empire carolingien les seigneurs féodaux et l’Église rendaient des arbitrages en lieu et place d’une justice royale qui n’était plus en mesure d’imposer le recours à ses tribunaux et de faire exécuter ses jugements. En revanche, au XIXe siècle alors que s’impose l’État-nation, l’arbitrage était quasiment éradiqué 5. Ne répète-t-on pas à l’envi pour souligner le fait que la justice est consubstantielle à un État de 2. Voir notamment à ce sujet Y. Benhamou, « Réflexions sur Saint Louis « Roi justicier » et inventeur d’une justice moderne », Journal Spécial des Sociétés, n° 4, 14 janvier 2017, p. 20. 3. Id. 4. P. Ariès, « La justice et le pouvoir » in Le Présent quotidien (1955-1966), Seuil, 1997, p. 427. 5. Y. Benhamou, Les juges : un exposé pour comprendre, un essai pour réfléchir, Flammarion, 1996, p. 84.
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droit, la célèbre formule de Max Weber selon laquelle l’État doit avoir le monopole de la violence légitime ! Or, depuis un peu plus de trente ans et notamment à la faveur de la période contemporaine de la chute du mur de Berlin, alors que la mondialisation monte en puissance, et qu’on assiste à l’unification de l’espace commercial mondial à la faveur du triomphe d’une conception du monde, d’une doxa néolibérale on ne cesse de vanter les bienfaits de la privatisation de nombreux services publics 6. On répète à satiété que l’État doit se recentrer sur ses fonctions essentielles et devenir un État minimal. Or, étrangement dans ce contexte de marchandisation de la société et de privatisations tous azimuts, ce discours n’épargne pas les fonctions régaliennes à l’instar de la justice et de la police qu’on croyait enfermées dans un sanctuaire entièrement préservé. S’est ainsi amorcé à bas bruit un mouvement de privatisation de la justice aux aspects multiformes et parfois masqués, qui n’est pas neutre et renvoie à une conception très structurée de la justice dans le contexte d’une économie de marché mondialisée et caractérisée par l’omniprésence des nouvelles technologies numériques où les services publics sont souvent décrits comme coûteux et inefficaces. Cette privatisation de la justice blesse-t-elle l’institution judiciaire au cœur ? Ou est-elle un facteur permettant d’améliorer sensiblement la qualité de la justice ? Il convient dès lors avec esprit de nuance et objectivité, dans un premier temps de tenter de faire un état des lieux des effets protéiformes du mouvement de privatisation de la justice sur l’acte de juger et de la mission de l’institution judiciaire (I). Dans une seconde partie résolument critique et prospective, nous tenterons d’appréhender les dangers que peuvent comporter les effets d’une telle privatisation de la justice pour l’acte de juger et la mission de l’institution judiciaire (II).
1. Un état des lieux des effets protéiformes du mouvement de privatisation de la justice sur l’acte de juger et la mission de l’institution judiciaire 2 - Ce mouvement de fond de privatisation de la justice qui a profondément modifié le visage de cette fonction régalienne n’a été rendu possible que grâce au triomphe au sein même du personnel judiciaire, au cœur de l’institution judiciaire d’une doxa néolibérale marquant l’avènement d’une logique comptable et managériale et d’une culture de la performance dont il faudra prendre l’exacte mesure. Et ce, au sein même du personnel judiciaire, au cœur même de l’institution judiciaire. Dans un second temps il conviendra de montrer les multiples visages des effets de cette privatisation de la justice sur l’acte de juger et l’institution judiciaire.
A. - Le triomphe d’une doxa néolibérale marquant l’avènement au sein de l’institution judiciaire d’une logique comptable et managériale et d’une culture de la performance servant de terreau à la privatisation de la justice 3 - Longtemps, l’acte de juger a été perçu comme échappant à la logique du marché et de la libre concurrence. Le juge, sorte de prêtre laïc, était perçu dans la fonction de juger comme se 6. Voir pour une étude d’ensemble Y. Benhamou, « Vers une inexorable privatisation de la justice ? Contribution à une étude critique de l’une des missions régaliennes de l’État, Point de vue », Recueil Dalloz, 2003, p. 2771.
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tenant à bonne distance de toute logique marchande et productiviste et se livrant à une secrète et très subtile alchimie. L’acte de juger avait une dimension magique voire quasi religieuse. Et puis lentement, alors que se sont effondrés les grands systèmes de croyances collectives, et que la mondialisation monte irrésistiblement en puissance, les valeurs du marché sont devenues les valeurs de référence. Cette globalisation adossée aux fulgurants progrès des technologies numériques, se caractérisant par une intensification sans précédent des transactions économiques et des flux financiers à l’échelle de la planète, a mis très sérieusement à mal la souveraineté des États. En France on a ainsi constaté une crise de l’État qui s’est trouvé délégitimé ; la notion d’intérêt général sur laquelle s’appuyait l’État a perdu de sa superbe. Il est du reste symptomatique de cette évolution que la fonction publique n’attire plus les jeunes générations car actuellement « quatre jeunes sur dix estiment que servir l’État n’a pas d’intérêt. 7 » Le néolibéralisme triomphant prêche avec constance pour le principe de libre concurrence et pour un dépérissement de l’État ainsi que la fin du modèle de l’Étatprovidence 8. Un discours très tendance prospère qui vise à introduire dans tous les secteurs de la société la logique des entreprises. Le concept de privatisation a de très ardents zélateurs. Il faut selon eux tout privatiser : il est urgent d’opérer la privatisation non seulement des industries et des services, mais aussi du vivant, du savoir, de l’air, de l’eau, de l’espace, du droit, et même des services publics jusque dans le sanctuaire préservé des fonctions régaliennes. Il faut introduire dans ces missions régaliennes une logique comptable et managériale ainsi qu’une culture de la performance garantes de leur efficacité, tant il est vrai qu’on ne cesse de stigmatiser un État souffrant d’hypertrophie, et de dysfonctionnements récurrents. Au sein de l’institution judiciaire, les juridictions ont été gagnées par cette novlangue, cette culture du marché qui, lentement, a contribué à faire de chaque juridiction, de chaque cour une entreprise à l’instar des entreprises du secteur privé. Certains vocables qui font florès dans le monde judiciaire sont évocateurs à ce sujet : on parle de dialogue de gestion, de gestion des ressources humaines et des stocks de dossiers, de contrats d’objectifs, d’audits, de taux de couverture (pourcentage de dossiers sortis par rapports aux nouveaux dossiers), de tableaux de bords, de ratios, d’indicateurs de performance... Il est également symptomatique que le décret n° 2003-1284 du 26 décembre 2003 9 ait créé une prime de rendement (cette prime comprend notamment ce qu’on nomme dans le jargon administratif « la prime modulable ») pour les magistrats de l’ordre judiciaire. Désormais au sein des juridictions judiciaires on est plus que jamais sensible aux exigences de productivité, de rapidité, et de moindre coût. Dans une telle optique, une réforme budgétaire initiée dans le cadre de la « LOLF » (Loi organique sur les lois de finances du 1er août 2001 10 qui est véritablement entrée en vigueur en 2006) a marqué un tournant décisif car elle a prévu que les crédits alloués aux administrations seraient déterminés en fonction des objectifs et des résultats, et a instauré des indicateurs de performance. Ces règles ont donc été appliquées au sein du ministère de la Justice, notamment dans la gestion des juridictions. Dans ce contexte, les juges semblent devenus des acteurs parmi 7. B. Floc’h, « Être fonctionnaire, un métier qui n’attire plus la jeunesse », Le Monde, 12 novembre 2020. 8. Voir à ce sujet C. Laval, Foucault, Bourdieu et la question néolibérale, Éd. La Découverte, 2018. 9. Décret n° 2003-1284 du 26 décembre 2003 relatif au régime indemnitaire de certains magistrats de l’ordre judiciaire, JORF du 30 décembre 2003. 10. Loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, JORF n° 177 du 2 août 2001.
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d’autres du marché soumis à des contraintes identiques à celles d’opérateurs privés. En portant un regard transversal sur les administrations, on constate que cette logique managériale et comptable qui s’est imposée au sein de l’institution judiciaire, se retrouve aussi dans l’administration hospitalière. Ainsi, dans les hôpitaux publics on évoque de manière récurrente la T2A (la tarification à l’activité) qui implique que ces établissements hospitaliers sont payés à l’acte (chacun de ces actes ayant un tarif établi par une nomenclature), ce qui induit une gestion résolument productiviste de ceux-ci. Il n’est pas d’administration de l’État qui n’échappe à ce maëlstrom néolibéral. On voit donc que ce terreau culturel influencé par les dogmes néolibéraux, a constitué un terrain favorable pour la privatisation de la justice dont il convient d’étudier les multiples visages.
B. - Les multiples visages des effets de la privatisation de la justice sur l’acte de juger et l’institution judiciaire 4 - La privatisation de la justice revêt de multiples visages à la faveur de la montée en puissance de la culture du marché. Ainsi tantôt cette privatisation est insidieuse ou rampante, tantôt elle est manifeste.
1° Une privatisation insidieuse ou rampante de la justice a) L’irrésistible montée en puissance du pantouflage des juges 5 - Le personnel judiciaire lui-même n’est pas épargné par ce mouvement de privatisation de la justice. A preuve : dans un certain nombre de cas la justice est privatisée de manière détournée, notamment s’agissant de ses acteurs, quand dans un contexte de crise de l’État, des juges en nombre toujours plus grand, sont conduits à rejoindre le secteur privé à la faveur du pantouflage. Des magistrats cèdent aux sirènes du privé et intègrent sans états d’âme des grands groupes du numérique, de l’énergie, de l’eau, et de la communication. De grandes firmes internationales se constituent ainsi, notamment dans leurs services juridiques, de véritables palais de justice privés. b) Le recours croissant des juridictions judiciaires à l’externalisation de tâches liées au fonctionnement de la justice 6 - La gestion des juridictions a conduit inexorablement à l’externalisation de diverses tâches qui, certes ne ressortissent pas à la sphère de l’acte de juger, de l’activité juridictionnelle au sens strict, même si elles concernent le bon fonctionnement des cours et tribunaux de l’ordre judiciaire. De plus en plus souvent, à l’occasion de la passation de contrats de marchés publics, des juridictions attribuent la maintenance des outils informatiques à l’heure précisément où l’institution judiciaire connaît une numérisation tous azimuts, le nettoyage et le gardiennage des locaux à des entreprises privées. La privatisation de ces tâches est fondée sur l’idée que de telles activités étant extérieures à l’acte de juger, elles peuvent être déléguées à moindre coût à des sociétés qui sont extérieures à l’institution judiciaire.
2° Une privatisation patente de la justice a) Une institution judiciaire souvent contournée et concurrencée notamment à la faveur de l’arbitrage 7 - Au fil du temps se sont développés des modes alternatifs de règlement des différends tels que la médiation, la transaction, l’arbitrage et la conciliation. Déjà en 1978 Michel Foucault dans
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une analyse lumineuse d’intelligence et qui demeure d’une vive actualité sur l’évolution du rôle de l’institution judiciaire écrivait avec lucidité : « [...] elle laisse échapper tout un domaine d’affaires [...] qui se règlent derrière son dos (ses prises sur l’économique sont fragmentaires ou symboliques) 11. » De plus en plus souvent, notamment dans la sphère des affaires commerciales nationales et internationales, les juges judiciaires sont délibérément contournés voire concurrencés quand les parties ont recours à ce mode de justice privée que constitue l’arbitrage. Cette justice arbitrale connaît un grand succès outreAtlantique ; il arrive du reste fréquemment qu’aux États-Unis des juges des tribunaux étatiques soient sollicités pour rendre la justice dans le cadre d’arbitrages privés de telle manière qu’on parle dans ce cas de « louer un juge » (« to rent a judge »). L’arbitrage présenterait aux yeux des acteurs du monde économique, tant outre-Atlantique qu’en Europe, le double avantage d’être rapide et discret. Exemple emblématique de ce contournement de la justice étatique au moyen de la justice arbitrale : dans le cadre du CETA, un accord de libre-échange entré en vigueur le 21septembre 2017 entre l’Union européenne et le Canada, il est prévu expressément s’agissant de différends commerciaux entre investisseurs privés et États de recourir à l’arbitrage. Dans l’hexagone, l’arbitrage a connu une nette montée en puissance à la faveur de l’entrée en vigueur de la loi du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques 12 car ce texte législatif a autorisé dans les contrats commerciaux l’insertion d’une clause compromissoire ; cette clause prévoit expressément de recourir à l’arbitrage pour trancher d’éventuels différends. De plus, alors que nous vivons l’ère du numérique, toujours en France, la toute récente loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice 13, autorise dans son article 4-2 l’arbitrage en ligne. Cela explique que se soient multipliées depuis l’entrée en vigueur de cette loi, les plateformes d’arbitrage numérique. b) L’amorce d’une privatisation des prisons : la gestion déléguée des établissements pénitentiaires 8 - Albin Chalandon, alors garde des Sceaux, a été l’initiateur en France de la gestion déléguée des prisons qui s’est trouvée consacrée par l’entrée en vigueur de la loi du 22 juin 1987 14. Dans les établissements pénitentiaires en gestion déléguée (laquelle a été mise en œuvre depuis 1990), les missions qu’on qualifie de « régaliennes » afférentes à la direction, au greffe, et à la surveillance sont assurées par l’État alors que des entreprises privées se voient confiées dans le cadre de marchés conclus avec l’État, de multiples missions : la conception de la prison, sa construction, la maintenance, le nettoyage, le transport, la gestion des cantines, la restauration, la blanchisserie, le travail, et dans certains cas, l’accueil des familles. Ainsi, au 1er janvier 2020, on a dénombré 71 établissements pénitentiaires qui fonctionnent avec des partenaires privés dans le cadre de la gestion déléguée 15. Celle-ci consacre donc une privatisation au moins partielle des prisons. 11. M. Foucault, « Le citron et le lait », in Dits et écrits, 1954-1988, tome III, Éd. Gallimard, Bibliothèque des sciences humaines, 1994, p. 695. 12. Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, in JOFR du 16 mai 2001. 13. Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, in JORF du 24 mars 2019. 14. Loi n° 87-432 du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire, JORF du 23 juin 1987, p. 6775. 15. Voir sur ce point « Existe-t-il des prisons privées ? », in Observatoire international des prisons – Section française, 5 février 2020, en ligne : [https:// oip.org/en-bref/existe-t-il-des-prisons-privées/].
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Une fois dressé, ce constat d’une privatisation tous azimuts de la justice et de son impact très important et multiforme sur l’acte de juger et l’institution judiciaire, je m’attacherai à montrer que ce mouvement de privatisation de cette fonction régalienne qui affecte notre société comporte des dangers dont il conviendra de brosser les grandes lignes.
2. Les dangers de la privatisation de la justice pour l’acte de juger et la mission de l’institution judiciaire 9 - Pour le juge que je suis, se positionner sur la question sensible de la privatisation de la justice, c’est s’avancer sur un terrain très délicat. Face à toute réticence d’un magistrat relative à cette privatisation de l’une des fonctions essentielles de l’État, on a beau jeu de stigmatiser la persistance d’un sentiment corporatiste qui aurait des racines dans une histoire si mouvementée et marquée par les conflits féroces et récurrents entre les juges et les maîtres du pouvoir. En effet, très souvent on brandit le spectre du « gouvernement des juges » en se référant à ces juges des anciens parlements qui eurent à cœur de tenir la dragée haute au pouvoir monarchique et de revendiquer un rôle de véritable co-législateur à travers leurs vastes prérogatives afférentes à leur pouvoir d’enregistrement et à leur droit de remontrance 16. On les imagine volontiers ces hauts magistrats parlementaires qui occupaient la première place dans la cité et avaient la volonté d’accroître sans cesse leurs prérogatives et leur influence dans le royaume. Tout refus de la privatisation de la justice dans ce contexte apparaîtrait comme un repli frileux et corporatiste dans une sorte de citadelle éloignée des préoccupations et des souffrances des hommes, et ignorante de la modernité. Or, on verra qu’il n’en est rien. Les juges d’aujourd’hui ne cèdent pas au démon du corporatisme mais souhaitent avec humilité appliquer des lois claires et égales pour tous. Certes le tout judiciaire demeure une pure utopie, et il faut se prémunir de tout regard manichéen sur cette question. Les modes de règlement extrajudiciaires des litiges peuvent être dans certains cas éminemment souhaitables ; ils témoignent de l’aptitude de la société civile à résoudre elle-même, et sans le recours parfois lourd à l’institution judiciaire, certains des différends qui naissent en son sein. La conciliation et la médiation peuvent dans certains cas contribuer à apaiser des situations souvent douloureuses en permettant de manière salutaire de rapprocher les points de vue des parties (notamment dans la sphère des affaires familiales). Il est par ailleurs souhaitable que l’institution judiciaire ne reste pas claquemurée dans une sorte de forteresse improductive mais qu’elle soit résolument tournée vers la modernité, et soucieuse de statuer dans un délai raisonnable et de témoigner dans toutes ses sphères d’activité, d’efficacité. Pour autant ce grand mouvement de privatisation de la justice apparaît nocif au regard de l’exigence d’impartialité qui lui est consubstantielle, et de la nature profonde de sa mission. De plus, cette privatisation est également nocive au regard de l’exigence de la protection des libertés individuelles et de notre souveraineté numérique à l’heure de la surveillance électronique de masse des réseaux numériques.
16. Voir à ce sujet Y. Benhamou, « La robe pourpre », Journal Spécial des Sociétés, 2017, p. 14.
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A. - Un mouvement de privatisation de la justice nocif au regard de l’exigence d’impartialité qui lui est consubstantielle, et de la nature profonde de la mission de l’institution judiciaire 1° Une privatisation de la justice nocive au regard de l’exigence d’impartialité consubstantielle à la justice 10 - Les fonctions régaliennes de l’État, au premier rang desquelles se trouve la justice, par essence supposent que la puissance publique soit avec constance attachée à la notion d’intérêt général. Elles impliquent que soit résolument interdite toute appropriation clanique, toute confiscation de l’appareil d’État par des intérêts privés. Ce renforcement des missions régaliennes assujetties à un sourcilleux respect de l’intérêt général apparaît comme un facteur primordial de cohésion sociale. Un philosophe aussi talentueux que désenchanté écrivait ainsi très justement : « Quand l’intérêt général s’en va, arrive le trader suivi du gourou. Quand l’État s’effondre, restent deux gagnants : les sectes et les mafias [...]. Quand l’idée de service est ridiculisée, ne reste plus qu’à se servir soi-même. Le cynisme engendre à la fois le fanatisme et la tricherie 17. » Or, j’ai la sereine conviction que le mouvement de privatisation de la justice à bien des égards met à mal la notion d’intérêt général et notamment cette exigence de l’impartialité de l’État qui est au fondement de l’État de droit. a) Le pantouflage des juges : un danger manifeste pour l’impartialité de l’État 11 - Certes il est bon, il est sain dans son principe que le corps judiciaire soit ouvert sur la société civile et que des juges puissent, dans certaines conditions, rejoindre le secteur privé. Pour autant, les modalités de nombreux pantouflages de magistrats de l’ordre judiciaire comportent de réels dangers pour l’impartialité de l’État 18. Ce passage dans le privé est de nature à susciter de sérieuses réserves dans l’hypothèse où un ancien juge d’instruction financier ou un ancien membre d’un parquet financier est amené à former les dirigeants de son entreprise à « gérer le risque pénal ». Il est pour le moins insolite sur le plan déontologique que des magistrats de l’ordre judiciaire soient conduits à la faveur de leur passage dans le secteur privé, à conseiller des responsables économiques dans la « gestion » d’une garde à vue ou d’une mise en examen afférente à des délits économiques et financiers. Ce pantouflage des juges et parquetiers peut aussi poser de délicats problèmes de conflits d’intérêts quand les magistrats concernés deviennent cadres de grandes entreprises qu’ils contrôlaient jadis. On se trouve là en présence d’une privatisation détournée du personnel judiciaire qui met à mal l’impartialité de l’État et la force de frappe de l’institution judiciaire. b) Des arbitrages perfectibles au regard de l’exigence d’impartialité 12 - La qualité de la justice suppose par essence dans la sphère de la justice privée et plus particulièrement dans le domaine de l’arbitrage (comme les juridictions dans la sphère de la justice étatique) que l’instance arbitrale qui la rend, satisfasse pleinement à l’exigence d’impartialité. De plus en plus, entre grandes entreprises américaines et européennes, le droit devient une arme économique de première importance. Or, dans cette guerre sans merci les grandes firmes 17. R. Debray, « C’est le moment d’assumer notre ADN culturel », in Notre ADN culturel, 19 janvier 2015, Le 1/ Éditions de l’Aube, 2019, p. 65. 18. Y. Benhamou, « “ Pantouflage ” des juges : un danger pour l’impartialité de l’État ? », Point de vue, in Recueil Dalloz, 2001, p.788.
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américaines saisissent les tribunaux américains étatiques (comme on l’a vu dans le cadre des différends entre Boeing et Airbus), mais elles ont également très souvent recours à l’arbitrage (en tentant par le canal des puissantes Law firms d’imposer l’application du droit américain) pour installer un rapport de force favorable à l’égard de leurs concurrents européens et notamment français. Dans un tel cas de figure, on peut légitimement douter de l’impartialité de telles sentences arbitrales. S’agissant de l’arbitrage numérique, l’article 4-2 de la loi du 23 mars 2019 prévoit notamment que le service en ligne d’arbitrage « délivre une information détaillée sur les modalités selon lesquelles l’arbitrage est rendu ». De plus l’article 4-3 de cette même loi prévoit quant à lui que ces services en ligne d’arbitrage ne peuvent avoir pour seul fondement un traitement algorithmique ou automatisé des données à caractère personnel ; lorsque ce service est proposé à l’aide d’un tel traitement les parties doivent en être informées par une mention explicite et doivent expressément y consentir. Cette loi de manière louable s’attache à instaurer une grande transparence dans la sphère de cet arbitrage numérique. Pourtant très souvent les plateformes d’arbitrage numérique témoignent d’une relative opacité dans le traitement algorithmique des données afférentes à cet arbitrage en ligne. Or, bien des citoyens ou entreprises, de manière candide, pensent que l’intelligence artificielle utilisée dans le cadre d’un arbitrage en ligne serait à la fois impersonnelle et d’une totale neutralité. En réalité certains algorithmes peuvent refléter les préjugés de leurs concepteurs et conduire à des sentences arbitrales empreintes de partialité. c) Le risque de voir naître des prisons privées à l’américaine mettant à mal l’impartialité de l’État dans le cadre de cette mission régalienne et sensible 13 - Les débats qui ont eu lieu à la fin des années 1980 sur la gestion déléguée (évoquée plus haut) et donc sur la question de savoir s’il fallait ou non procéder à la privatisation au moins partielle de certains établissements pénitentiaires, a suscité des réactions pour le moins contrastées y compris au sein du monde économique. Ainsi, une figure emblématique du patronat italien a alors déclaré de façon nette : « J’ai été atterré par le débat français sur la privatisation des prisons. Si un État n’est pas capable d’assurer le fonctionnement de la justice, des prisons [...] quelles raisons a-t-il encore d’exister ? Ce genre de discussions aberrantes est un pur produit des blocages bureaucratiques. L’immobilisme finit par persuader les gens, y compris ceux qui le dirigent que l’État est incapable de faire quoi que ce soit de bon 19. » La distinction dans le cadre de la gestion déléguée des prisons entre les missions régaliennes (direction, greffe, et surveillance) assumées par l’État et les autres missions (notamment la construction de la prison, la maintenance, le nettoyage, le transport, la gestion des cantines, la restauration, la blanchisserie, le travail, et l’accueil des familles) confiées à des prestataires privées est dans une large mesure artificielle. En effet, la gestion de la maintenance de la prison peut influer sur le pilotage, la direction de cet établissement et sur les impératifs de sécurité en lien avec la surveillance des détenus. Ainsi peut s’amorcer un glissement vers une situation à l’américaine où nombre de prisons sont totalement privatisées et procurent des profits considérables à de grands groupes privés. Ainsi, ces sociétés en arrivent à opérer un tri parmi les détenus en écartant par exemple pour des raisons de rentabilité ceux qui auraient des problèmes 19. C. De Benedetti, « Vers un capitalisme démocratique ? : Entretien avec Carlo De Benedetti », Le Débat, Numéro 45, 1987, p.14.
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de santé trop coûteux 20. Cette évolution risque de mettre à mal l’impartialité de l’État dans la gestion des prisons et alors même qu’il s’agit d’une fonction éminemment régalienne. Les établissements pénitentiaires ne sauraient être soumis à la seule loi du profit.
2° Une privatisation de la justice nocive au regard de la nature profonde de la mission de l’institution judiciaire 14 - Alors que la culture du marché et de la performance a inexorablement gagné l’institution judiciaire, il faut plus que jamais souligner que la justice n’est pas une administration comme les autres. La qualité de cette mission ne se juge pas uniquement à l’aune d’instruments purement comptables et d’indicateurs de performance ; une bonne justice ne saurait se résumer à son coût, sa rapidité, et sa productivité. Cette instance singulière au cœur des missions régaliennes de l’État ne saurait être enfermée dans la culture du marché. La fonction de la justice est très largement symbolique et celle-ci est un précieux vecteur de paix sociale et de cohésion sociale au regard de ce qu’elle est en charge aux yeux des citoyens d’exigences essentielles et apparemment contradictoires : la sécurité et la protection des libertés individuelles. Or, la privatisation de la justice ne correspond pas à cette nature profonde de l’institution judiciaire qui doit contribuer à recoudre le tissu social, à refonder la cohésion sociale. Plus que jamais la justice doit prendre sa place dans un État, certes en charge de ses seules missions régaliennes, mais soucieux en permanence de son impartialité. Or, la privatisation de la justice et le démantèlement de l’État ouvrent dangereusement la porte à une confiscation clanique de la fonction de juger. Par ailleurs, ce mouvement de privatisation de la justice est indissociable de la montée en puissance des technologies numériques. Or, cette utilisation tous azimuts du numérique dans une justice en proie à un vaste mouvement de privatisation, risque de conduire à une justice très largement déshumanisée, et taylorisée. Si les technologies numériques offrent de précieux outils, il faut dans le même temps plus que jamais que l’homme soit au cœur de la justice.
B. - Un mouvement de privatisation de la justice nocif au regard de l’exigence de la protection des libertés individuelles et de notre souveraineté numérique à l’heure de la surveillance électronique de masse des réseaux numériques 15 - Edward Snowden, se muant alors en lanceur d’alerte, en juin 2013 a révélé à une opinion publique mondiale stupéfaite, la gigantesque surveillance opérée sur les réseaux numériques par la National Security Agency avec le concours des géants de l’internet. Ces grandes firmes du numérique que sont Microsoft, Yahoo, Google, Facebook, PalTalk, AOL, Skype, YouTube, et Apple ont en effet procédé, à l’échelle de l’ensemble de la planète, dans le cadre du programme Prism, à une collecte massive de renseignements protéiformes concernant des domaines très divers, qu’il s’agisse de la vie privée des citoyens (données personnelles capturées sur leurs courriels et sur les réseaux sociaux), ou de leurs opinions, d’informations économiques sensibles, ou de questions afférentes à la sécurité nationale. Cette « surveillance totale » des réseaux numériques a été rendue techniquement possible à la faveur des progrès extraordinaires et très rapides des technologies numériques. Il est 20. « États-Unis : les entreprises privées qui gèrent les prisons misent sur la rentabilité et ne veulent pas de détenus avec des problèmes de santé trop coûteux à gérer », 11 juillet 2019, Centre de Ressources sur les Entreprises et les Droits de l’Homme ; site internet : https://cutt.ly/XhknvBq.
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symptomatique de relever que la capacité technologique de surveillance numérique double tous les dix-huit mois 21. Or, cette affaire Snowden a mis en lumière le danger majeur que comportait cet espionnage électronique de masse, tant pour notre souveraineté numérique que pour la protection des données personnelles et des données sensibles des administrations. En effet, dans l’hexagone nos administrations publiques sont massivement informatisées, irriguées en interne par des réseaux électroniques à l’exemple de l’intranet justice que l’on nomme dans le jargon administratif du ministère de la justice le Réseau Privé Virtuel Justice (RPVJ). De plus, l’institution judiciaire, dans ses rapports avec les citoyens et les partenaires de justice, a recours à internet ou à des réseaux sécurisés. Dans ce contexte, la privatisation de la justice apparaît incontestablement nocive tant pour la protection des données personnelles que pour notre souveraineté numérique. Ainsi, l’externalisation des tâches de maintenance des outils informatiques des juridictions de l’ordre judiciaire n’est pas sans péril pour la protection des données personnelles concernant les justiciables s’agissant de leur confidentialité. De plus la justice est une administration particulièrement sensible qui participe de la souverai21. Voir au sujet des problèmes juridiques relatifs à la protection des libertés fondamentales à l’ère de la surveillance électronique de masse des réseaux numériques : Y. Benhamou, « Internet et libertés », Les Annonces de la Seine, n° 18, 14 avril 2014, p. 8.
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neté d’un État de telle manière qu’il convient de la soustraire à toute privatisation qui la mettrait à la merci d’intérêts privés. Par ailleurs pour lutter contre les géants de l’internet que sont les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), il faut que la fonction de juger ne soit pas privatisée, asservie à un clan pour garantir à la fois son impartialité et sa force de frappe notamment dans tous les contentieux sensibles afférents à la protection des données personnelles.
Conclusion 16 - Je dois au terme de cette étude faire un aveu : je suis l’homme d’une seule passion, la justice. Cette passion que j’ai en tant que juge, chevillée à l’âme depuis plus de trois décennies, me conduit à regarder avec inquiétude ce grand mouvement de privatisation de la justice dont j’ai brossé les aspects multiformes. Or, plus que jamais à l’heure de la mondialisation triomphante, il apparaît absolument crucial de préserver la force de frappe de l’institution judiciaire et son impartialité. Il faut impérativement que tout soit fait pour que cette éminente fonction régalienne ne fasse pas l’objet d’une confiscation clanique. Il faut que l’État ne puisse pas comme le disent les Italiens, être alloti « lottizzato », être livré à des intérêts privés. Mais j’ai pleine confiance en la capacité de résilience de l’institution judiciaire pour faire échec à ce mouvement de privatisation de la justice pour qu’elle puisse être en phase avec les attentes exigeantes des citoyens.ê
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Les nouveaux enjeux de la privatisation du procès pénal Sélim BRIHI,
Amaury BOUSQUET,
Avocat exerçant en droit pénal des affaires et en contentieux des affaires au sein du bureau parisien du cabinet CVML, Président de l’Observatoire de la Justice Pénale
Avocat exerçant en droit pénal des affaires et en compliance au sein du bureau parisien d’un cabinet anglo-saxon, ancien Président de l’Observatoire de la Justice Pénale
« Vous avez été pour moi plutôt un ami qu’un juge », écrit Alexandre Dumas dans Le Comte de Monte-Cristo 1. 1 - Depuis un certain temps, il est permis d’observer un recul du juge pénal au profit des parties – ministère public compris – qui se voient confier un rôle de plus en plus actif dans le déroulement du procès pénal. Le procès pénal se privatise. Phénomène curieux, voire paradoxal quand on se souvient que l’essence du procès pénal est précisément de supplanter la justice... privée 2. Amorcée depuis plus de trente ans 3, cette tendance ne fait que de se confirmer. La procédure de convention judiciaire d’intérêt public (ci-après, « CJIP »), inventée par la loi Sapin 2 4, en constitue l’exemple le plus disert dans l’actualité récente. Aujourd’hui, la question se pose d’un retour à un modèle de justice privée qui s’accomplirait en dehors de toute intervention étatique ou – et c’est de plus en plus fréquent – dans laquelle l’intervention étatique prendrait une autre forme 5. L’enjeu, de taille, véhicule de sérieuses inquiétudes. Traditionnellement rattachée aux fonctions régaliennes de l’État, la matière répressive est un droit d’exception qui matérialise l’exercice de l’autorité publique et de sa « violence légitime » 6. Dans notre modèle de société politique, le droit de punir – qui, par extension, emporte le droit d’apporter des restrictions ou des limitations aux libertés individuelles – est associé à l’intervention du juge qui, seul, présente des garanties suffisantes d’indépendance et d’autonomie 7. 1. NDLR : Observatoire de la Justice Pénale : Think tank indépendant ayant pour objet de promouvoir le débat sur les questions pénales A. Dumas, Le Comte de Monte-Cristo, 1889, t. 1, p. 93. 2. S. Pellé, « L’effacement du juge en matière pénale : inexorable évolution ou véritable mutation de notre justice pénale ? », R. Dalloz 2020, p. 1476 : « C’est (...) l’expression de l’adage « nul n’est censé se faire justice à soi-même, qui nous éloigne des systèmes primitifs de vengeance privée ». 3. E. Dezeuze et G. Pellegrin, « Extension du domaine de la transaction pénale : la convention judiciaire d’intérêt public. À propos de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 », JCP, 2017, n° 3, doctr. 64 ; P. Beauvais, « Méthode transactionnelle et justice pénale », in (dir.) A. Gaudemet, La compliance : un nouveau monde ? Aspects d’une mutation du droit, éd. Panthéon-Assas, coll. « Colloques », 2016 ; E. Vergès, « La procédure pénale hybride », RSC, 2017, p. 579. 4. Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016. 5. J. Volff, « La privatisation rampante de l’action publique », Procédures, n° 1, 2005, étude 1, § 2 : « La notion de privatisation, appliquée au domaine pénal, est révélatrice d’un retrait de l’État, comme d’une fluctuation de la frontière entre le public et le privé ». 6. Pour prendre l’expression du sociologue Max Weber. 7. Article 66 de la Constitution. V. Cesare Beccaria, in (trad.) A. Fontana et X. Tabet, Des délits et des peines, Gallimard, 2015 : « C’est donc la nécessité seule qui a contraint les hommes à céder une partie de leur liberté ; d’où il suit que chacun n’en a voulu mettre dans le dépôt commun que la plus petite portion possible, c’est-à-dire, précisément ce qu’il en fallait pour engager les autres à le maintenir dans la possession du reste. L’assemblage de toutes ces petites portions de liberté est le fondement du droit de punir. Tout
Royaume du juge roi 8, la matière répressive est incarnée par de grands principes comme la légalité criminelle, la séparation des fonctions de poursuite, d’instruction et de jugement et l’indisponibilité de l’action publique. Or, cette vision de la matière répressive ne correspond plus exactement à la réalité contemporaine du droit pénal et de sa procédure. On assiste au contraire au retour d’une concurrence entre un système de justice publique – qui, in abstracto, aurait pu être considéré comme un aboutissement – et de nouvelles aspirations à la justice privée. Plusieurs facteurs peuvent être recensés. En premier lieu, on a vu apparaître des mécanismes procéduraux nouveaux faisant la part belle à la volonté individuelle 9. Ces mécanismes illustrent le glissement d’un ordre juridique imposé vers un ordre juridique de plus en plus contractualisé, ce qui, pour certains, recoupe le mouvement général d’orientation du droit pénal vers le « néolibéralisme » 10. L’idée renvoie inévitablement à la problématique de la « déjudiciarisation » 11 et, de façon plus nouvelle, à l’émersion de la compliance en droit français. En deuxième lieu, le « pluralisme »normatif a mis à mal le légicentrisme et décloisonné les ordres juridiques, intégrant la soft law dans la pratique du droit 12. Enfin, le législateur, motivé par une perspective de réduction des coûts et d’allégement des flux, a introduit dans le procès civil des modes alternatifs de règlement des différends 13. Ces instruments, n’échappant pas à l’époque, ont fini par déteindre sur la matrice d’un système pénal qui s’est vu peu à peu remodelé par l’apparition de dispositifs alternatifs aux modes classiques de poursuite et de règlement du litige pénal. Depuis le mythe de Thyeste 14, la privatisation des fonctions régaliennes, en particulier celle de la justice, suscite, pour des exercice du pouvoir qui s’écarte de cette base est abus et non justice ; c’est un pouvoir de fait et non de droit ; c’est une usurpation, et non plus un pouvoir légitime ». 8. A. Lemasson, « Répertoire de droit pénal et de procédure pénale », Justice internationale pénale, Institutions, 2019, § 48. 9. A. Garapon et P. Servan-Schreiber, Deals de justice, PUF, 2013. 10. A. Garapon, La raison du moindre État. Le néolibéralisme et la justice, Odile Jacob, 2010, p. 66. V. aussi A. Supiot, L’esprit de Philadelphia. La justice sociale face au marché total, Seuil, 2010, p. 40 s. 11. S. Cimamonti et J.-B. Perrier, Les enjeux de la déjudiciarisation, LGDJ, 2019. 12. I. Hachez, « Balises conceptuelles autour des notions de « source du droit », « force normative »et « soft law » », Revue interdisciplinaire d’études juridiques, 2010/2, p. 65. V. également J. Commaille, À quoi nous sert le droit ?, Gallimard, 2015, p. 65 s. 13. V. notamment L. Cadiet, J. Normand et S. Amrani Mekki, Théorie générale du procès, PUF, coll. Thémis droit, 3ème éd., 2020. 14. Sénèque, in (trad.) J.-L. Ferrary et J.-Y. Guillaumin, Tragédies, Belles Lettres, coll. Bude Série latine, 1999. V. aussi Eschyle, in (trad.) D. Loayza, L’Orestie, Flammarion, 2016.
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raisons politiques, philosophiques, sociologiques et historiques, une certaine forme de méfiance. Dès lors, les évolutions récentes affectant la répartition des rôles entre le juge, le ministère public et les parties privées, comme autant de tentatives de réduction de la place du juge dans le procès, méritent d’être scrutées et nous invitent à interroger l’avenir de notre modèle de justice pénale 15. La privatisation du procès pénal peut être définie comme un mouvement dynamique emportant un décentrement du procès pénal en direction d’intérêts privés. Les questions qui ouvrent immédiatement la discussion sont les suivantes : cette privatisation est-elle normale ? Est-elle légitime ? Enfin, quelles sont les manifestations de l’effacement du juge ? Si plusieurs raisons viennent expliquer a posteriori ce phénomène (1), ces raisons font naturellement écho aux limites de son application dans le procès pénal (2). En toute hypothèse, limiter l’étude de ce phénomène ne conduirait à en appréhender qu’une partie, donc à raisonner sur les seuls effets d’une cause plus large : car si l’on assiste à une privatisation du procès pénal, c’est aussi parce que l’on assiste à une privatisation des fonctions du droit pénal qui s’inscrit dans un mouvement de redéfinition de la logique, de la place et de la signification de la matière pénale comme représentation, comme objet et comme cadre d’action.
1. La privatisation du procès pénal : sources et tendances 2 - Au-delà de l’ancienneté des racines de la privatisation du procès pénal (on peut en réalité – et non sans surprise – trouver dans l’histoire du droit pénal des explications à ce phénomène) (A), c’est l’immixtion protéiforme de l’intérêt privé dans le procès pénal qui a révélé le phénomène (B).
A. - Un phénomène dans le sens de l’histoire 3 - L’histoire du droit pénal recèle des idées plus ou moins prémonitoires en lien avec l’avènement d’une justice pénale exclusivement sinon majoritairement privée. La naissance du droit pénal est souvent associée à l’avènement d’un système de justice publique dans lequel la réponse au crime est nécessairement institutionnalisée. Le « monopole de l’État pénal »n’est pas si ancien pourtant 16. Il succède à différentes formes de justice privée. Ainsi, dans d’autres siècles de l’histoire, la victime jouait un rôle primordial dans le contentieux pénal. C’était le cas notamment à Athènes ou à Rome 17, et c’est aussi ce que l’on a observé en France jusqu’au Xème siècle. « Pénal »dérive d’ailleurs du latin peona qui désigne, dans son acception première, la compensation pécuniaire acceptée par la victime en contrepartie d’une atteinte 18. Le système pénal, dans sa dimension « infra judiciaire », suivait alors une logique d’équité, d’arrangement et de compensation. Au fil de l’histoire contemporaine, l’État, parallèlement à l’affirmation de son autorité sur ses sujets, s’est imposé comme le « gérant collectif des dommages créés par les comportements qu’il a réussi à incriminer » 19. Il a remplacé la victime dans le 15. G. Poissonnier et J.-C. Duhamel, « Convention judiciaire d’intérêt public : le 23 février 2018 fera date ! », R. Dalloz 2018, p. 898 : « Le droit pénal conventionnel, que d’aucuns qualifieront plus communément de transactionnel, interroge forcément, tant il fait évoluer le paradigme de la justice répressive ». 16. P. Robert, « Le monopole de l’État pénal », Esprit, 12, 1998, pp. 134-153. 17. L. Gernet, Le droit pénal de la Grèce ancienne, Publications de l’École Française de Rome, 1984, § 79. 18. J.-M. Carbasse, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, PUF, 3ème éd., 2014, § 1 s. 19. R. Zauberman et P. Robert, Du côté des victimes. Un autre regard sur la délinquance, L’Harmattan, 1995.
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rôle de l’offensé et cette dernière lui a délégué le soin de punir et de réparer 20. En plus de son rôle de départiteur (le juge), l’État a été pourvu d’un deuxième rôle, celui de plaignant (le ministère public). À la dualité ancienne victime/infracteur s’est substituée une triangulation. Cette étape marque un tournant important : elle se traduit par un net recul du rôle de la victime au profit de la collectivité publique et dessine un nouveau particularisme de la matière pénale, à savoir le caractère étatique de la réponse apportée au conflit. C’est en considération de cette idée fondamentale que le juge pénal moderne puise son autorité (imperium) 21. L’infraction pénale, considérée d’abord comme une atteinte à l’intérêt général et à l’ordre public 22, est poursuivie et punie par des organes étatiques dont les décisions, adoptées unilatéralement, s’imposent de manière autoritaire à leurs destinataires. Aucune personne privée, qu’elle soit victime, mise en cause ou simplement « intéressée », n’est dès lors censée jouer un rôle actif dans le déroulement du procès. A fortiori, aucun consentement n’est requis et aucune forme de négociation n’est concevable. Ce modèle correspond à la justice « imposée »ou « impérative ». Or, cette vision classique du procès pénal, ses termes, tendent à être remodelés. Pour comprendre l’évolution du procès pénal, il est intéressant de rappeler qu’un modèle pénal « conciliatoire »a toujours été théoriquement évoqué – voire rêvé – par opposition au modèle pénal « imposé ». Ce dernier se caractérise par « un système de justice publique dans lequel l’État, ou la collectivité, joue le premier rôle dans l’organisation et le contrôle de la réponse à l’infraction » 23. A contrario, le système conciliatoire permet à la victime de proposer un accord ou une transaction, sans que le ministère public ne puisse influencer la mise en œuvre d’une telle transaction 24. L’idée n’est donc pas nouvelle et il existe un véritable terrain idéologique qui a par la suite servi aux pouvoirs publics pour asseoir progressivement la privatisation du procès pénal dans l’ordonnancement juridique. Mais ce qui demeure curieux lorsque l’on observe ces sources idéologiques par comparaison avec les motivations plus contemporaines qui conduisent à la privatisation du procès pénal, c’est, paradoxalement, l’absence d’ « idéologie ». En effet, il n’échappe à personne que la tendance à la privatisation du procès pénal répond d’abord à des 20. M. Wievorka, La violence, voix et regards, Balland, 2004. Ce monopole s’exprime de façon suprême avec la peine de mort, c’est-à-dire la mort pénalement ordonnée, manifestation capitale de l’autorité étatique. Le droit de punir devient alors exclusivement répressif. V. I. Mereu, La mort comme peine, Larcier, 2012 : « À la violence des individus, l’État qui intervient et s’organise en se proclamant tuteur du bien commun, oppose sa propre violence pré-établie, formelle, solennelle, exemplaire et inexorable. »V. à ce sujet D. Salas, in Archives de politique criminelle, 2013/1, n° 35, pp. 299-330 : « L’État, placé au-dessus des groupes, dispose désormais d’une arme de répression (ius gladii) sans égale : l’homicide légal est la forme que revêt ce monopole de la violence légitime qui désigne l’État comme le principal offensé par le crime ». 21. P. Milburn, « De la négociation dans la justice imposée », Négociations, 2004/1, n° 1, pp. 27-38 : « La justice pénale constitue à n’en pas douter la forme par excellence de la justice imposée, de la violence légitime exercée par l’État et de l’imperium régalien judiciaire ». 22. P. Roubier, Droits subjectifs et situations juridiques, LGDJ, 1963, p. 309 où l’auteur rappelle que l’action pénale ne tend pas à la sanction de la violation d’un droit subjectif mais à la sanction de la violation d’un devoir. V. aussi D. Salas, Du procès pénal. Éléments pour une théorie interdisciplinaire du procès, PUF, 1992. 23. S. Pellé, « L’effacement du juge en matière pénale : inexorable évolution ou véritable mutation de notre justice », op. cit. 24. J.-M. Carbasse, Histoire du droit pénal et de la justice criminelle, PUF, éd., 2014, n° 3. En règle générale, plus l’État est fort, avec des procédures de type inquisitoire, et plus le modèle répressif devient dominant, au point d’occulter totalement la logique de conciliation plutôt favorisée par un système accusatoire. C’est sans doute le cas de la France.
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impératifs gestionnaires qui, appliqués à l’activité judiciaire et au système juridictionnel, nécessitent d’accélérer le traitement des flux. Bien entendu, il est difficile – pour ne pas dire impossible – de trouver des motifs en lien direct ou indirect avec ces aspects idéologiques : les pouvoirs publics ont-ils déjà affiché explicitement la volonté de modifier le système pénal imposé pour mettre sur pied un système conciliatoire ? Par-delà l’aspect purement historique, la privatisation trouve sa source dans la substance technique de la procédure pénale.
B. - Un phénomène issu de la procédure pénale 4 - La procédure pénale a vu les intérêts privés se développer en son sein (1°), reflétant une forme d’appropriation du procès pénal par les parties (2°).
1° La montée en puissance des intérêts privés 5 - Même si leur présence dans le procès pénal heurte à première vue les objectifs poursuivis par le droit pénal, les intérêts privés ont joué un rôle silencieux et fondamental dans la reconfiguration du procès pénal 25. Les mutations que celui-ci rencontre aujourd’hui renvoient à une interrogation qui, elle, ne date pas d’hier : comment parvenir à concilier la prise en compte des revendications d’origine privée avec les impératifs classiques du droit pénal ? Le droit pénal organise la réaction de la collectivité publique face aux comportements incriminés par la loi 26, et chaque infraction a ainsi vocation à protéger la violation d’une valeur sociale phare (respect de la vie, de l’intégrité physique ou psychologique d’autrui, de la propriété, etc.). Malgré cette promesse, l’instance pénale, lieu d’expression de la réprobation collective, ne peut éluder le conflit privé 27. En effet, le litige pénal met nécessairement en jeu, de façon sousjacente, une atteinte à un intérêt privé (l’intérêt lésé atteint par l’infraction), en plus de celle causée à l’intérêt général. Ainsi, sans être irréconciliables, les enjeux en cause ne sont pas les mêmes. De manière ancienne, cette double atteinte – ou cette double attente – est à la source de la privatisation du procès pénal. En parallèle, sous l’influence d’une politique criminelle de plus en plus soucieuse de leur sort 28, les victimes ont pris une place importante dans le procès pénal à travers une plus grande reconnaissance de la « qualité de victime » et une extension des droits leur étant reconnus à tous les stades de la procédure pénale 29. 25. C. Ribeyre, JCI Procédure pénale, Fasc. 20 : Action publique et action civile, Action publique, nov. 2018, § 3 : « L’action est dite publique par opposition au caractère privé de l’action civile ; l’adjectif « public » témoigne de ce que cette action est déclenchée et exercée au nom de la société, laquelle peut seule en disposer. Elle protège l’intérêt public par opposition à l’action civile qui protège des intérêts particuliers, ceux de la personne lésée par l’infraction ». 26. L’action publique peut se définir comme « l’activité procédurale exercée au nom de la société par le ministère public, pour faire constater par le juge compétent le fait punissable, établir la culpabilité du délinquant et obtenir le prononcé de la sanction établie par la loi ». R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, t. 2, Cujas, 5ème éd., 2001. V. aussi C. Ribeyre, JCI Procédure pénale, Fasc. 20 : Action publique et action civile, Action publique, nov. 2018, § 4 : « L’action publique visant à l’application de la loi pénale, elle, relève de ce que l’on appelle, en droit processuel, le contentieux objectif, dans la mesure où le droit de punir n’est pas un droit subjectif mais l’application de la loi, sinon une expression commode pour désigner le pouvoir de sanction dont dispose l’État ». 27. B. Bouloc, Procédure pénale, Dalloz, 27ème éd., 2019, § 262 : « Le procès pénal, dont l’objet principal est l’action publique, peut avoir comme objet accessoire une action en réparation du dommage ». 28. GIP – Mission de recherche Droit et Justice, « La nouvelle place de la victime au sein du procès pénal », nov. 2016, p. 23. On pourrait volontiers critiquer le caractère populiste d’une telle tendance. 29. V. notamment article 40-2 du code de procédure pénale pour l’information du plaignant en cas de classement sans suite, V. aussi E. Vergès, « Peut-on parler d’un droit des victimes d’infraction ? Éclatement et croisement des
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La garantie des droits des victimes est même devenue, avec la loi du 15 juin 2000, l’un des principes directeurs du procès pénal 30. Ce mouvement n’a jamais vraiment reçu une approbation unanime et il n’est pas nouveau de relever les nombreuses critiques négatives des « déviances »victimaires du législateur : résurgence de la vengeance 31, sacre de la victime au détriment des droits du mis en cause, « professionnalisation »du statut de victime 32. Il n’en demeure pas moins que la procédure pénale, à rebours de sa vocation originaire, s’est vu assigner de nouveaux objectifs pour répondre au « besoin de compensation »venant des victimes 33, objectifs qui concurrencent directement l’objet et la forme de la répression pénale 34. Au premier (un objectif d’indemnisation ou de compensation pécuniaire), le législateur français a répondu en offrant aux victimes la possibilité d’obtenir, devant le juge répressif, la réparation du dommage résultant directement de l’infraction 35. Cette faculté s’est par la suite doublée d’un droit à une indemnisation effective qui a pris forme avec la création des fonds de garantie et, en 1990, des Commissions d’Indemnisation des Victimes d’Infractions (CIVI) 36. La jurisprudence a, pour sa part, considéré que le caractère certain du préjudice allégué n’était pas nécessaire à la constitution de partie civile dans l’instruction 37 et adopté une conception large de la notion de victime personnelle de l’infraction 38. Ces réponses apportées par le législateur et la jurisprudence ont rendu plus confuse la séparation des responsabilités civile et pénale. Les principes d’identité entre les fautes pénale et civile 39 et d’autorité du criminel sur le civil 40 ont été graduellement altérés et le mouvement d’objectivisation de la responsabilité civile a renforcé l’attrait de la responsabilité pénale. En somme, la dichotomie intérêts privés (pour le procès civil) / intérêt général (pour le procès pénal) est confrontée à un affaissources », in (dir.) C. Ribeyre, La victime de l’infraction pénale, Dalloz, 2016, p. 29 s. 30. Loi n° 2000-516 du 15 juin 2000. Article préliminaire, II du code de procédure pénale : « L’autorité judiciaire veille à l’information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale ». 31. R. Cario et S. Ruiz-Vera, Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Victimes d’infraction, Dalloz, juin 2018, §§ 83-106, 129-140 ; J. Coignard, « Une sacralisation des victimes qui embarrasse les juges », Libération, 2 nov. 2004 ; P. Bonfils, « L’action pénale de la victime. Une action innomée au régime juridique clairement défini », in Études et analyses 2012-13. 32. T. Levy, Éloge de la barbarie judiciaire, Odile Jacob, 2004 ; P. Bruckner, La tentation de l’innocence, Grasset, 1995 ; F. Casorla, « La victime et le juge pénal », Rev. pénit. 2003-4. 33. A. Lemasson, Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Justice internationale pénale, Institutions, Dalloz, oct. 2019, §§ 15-73. 34. Là où le droit civil assimile ces objectifs, le droit pénal les dissocie. 35. Article 2, alinéa 1 du code de procédure pénale : « L’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction ». 36. Loi n° 90-589 du 6 juillet 1990. 37. Cass. crim., 13 avr. 1967, n° 66-91.626 ; Cass. crim., 25 juin 2019, n° 1884.653. 38. V. par ex. Cass. crim., 4 oct. 1995, n° 94-86.206 ; Cass. crim., 16 févr. 1999, n° 98-80.537. 39. J.-D. Pellier, Le principe de l’unité des fautes civile et pénale à l’épreuve de la loi du 10 juillet 2000, mémoire de maîtrise en droit privé présenté et soutenu à l’université Paul-Cézanne Aix-Marseille III, sous la direction de G. Di Marino. La dualité des fautes civile et pénale est d’autant plus réelle depuis la loi n° 83-608 du 8 juillet 1983 qui a admis qu’une relaxe pour des faits non intentionnels n’est pas un obstacle à ce que le juge pénal statue sur la réparation. 40. La jurisprudence rappelle que si, par principe, les décisions pénales ont au civil autorité absolue à l’égard de tous en ce qui concerne ce qui a été jugé quant à l’existence du fait incriminé et la culpabilité de celui auquel le fait est imputé, les articles 706-3 et suivants du code de procédure pénale indiquent que le juge civil n’est pas lié par la décision qui a statué sur l’action civile. V. p. ex. Cass. 2ème civ., 5 juill. 2018, n° 17-22.453.
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sement 41, l’articulation classique entre le procès pénal et le procès civil est remise en cause et, à travers elle, cette représentation selon laquelle la défense de l’intérêt général serait l’apanage du procès pénal tandis que les intérêts privés seraient abandonnés au procès civil. L’instillation de préoccupations « civiles » dans le procès pénal a irrigué jusqu’à la phase de prononcé et d’exécution de la peine. Ainsi, la loi du 15 août 2014 42 a introduit l’article 10-1 du code de procédure pénale donnant au juge la possibilité de prononcer « toute mesure permettant à une victime ainsi qu’à l’auteur d’une infraction de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l’infraction, et notamment à la réparation des préjudices de toute nature résultant de sa commission » et consacré le concept de « justice restaurative » défini comme « un modèle de justice complémentaire du procès pénal, qui consiste à restaurer le lien social endommagé par l’infraction, à travers la mise en œuvre de différentes mesures associant la victime, l’auteur et la société » 43. Si le droit français connaissait déjà des mécanismes inspirés de cette notion (la médiation pénale, notamment 44), il s’agissait d’aller plus loin 45. Ces peines de réparation ad hoc représentent un exemple de la progression dans notre ordre juridique, où intérêt général et intérêts privés se mêlent de plus en plus 46, de l’objectif d’« indemnisation » de la victime assigné à la peine, alimentant l’idée, venue d’outreAtlantique, de « justice » 47. S’agissant du second (un objectif de considération ou de compensation morale), il n’est pas inutile de rappeler que les fonds d’indemnisation n’ont jamais – si c’en était l’objet – écarté les victimes des prétoires pénaux. En effet, les victimes sont aussi présentes dans le procès pénal pour exercer un droit de « revendication » contre leur agresseur (et contre la société), dans des 41. Cet affaissement a été accru par la loi n° 2000-547 du 10 juillet 2000 qui a instauré l’article 4-1 du code de procédure pénale : « L’absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l’article 121-3 du code pénal ne fait pas obstacle à l’exercice d’une action devant les juridictions civiles afin d’obtenir la réparation d’un dommage sur le fondement de l’article 1241 du code civil si l’existence de la faute civile prévue par cet article est établie ou en application de l’article L. 452-1 du code de la sécurité sociale si l’existence de la faute inexcusable prévue par cet article est établie ». 42. Loi n° 2014-896 du 15 août 2014. Cette loi transpose la directive européenne 2012/29 du 25 octobre 2012. La directive définit la justice restaurative (ou « réparatrice ») comme « tout processus permettant à la victime et à l’auteur de l’infraction de participer activement, s’ils y consentent librement, à la solution des difficultés résultant de l’infraction pénale, avec l’aide d’un tiers indépendant »(article 2). 43. Circulaire du ministère de la justice du 15 mars 2017 sur la mise en œuvre de la justice restaurative. V. aussi T. F. Marshall, Restorative Justice. An Overview, UK Home Office, 1999 : « La justice restauratrice constitue une approche de résolution de problèmes qui implique les parties elles-mêmes et la communauté en général dans une relation active avec les institutions légales. Il ne s’agit pas d’une pratique particulière mais d’un ensemble de principes qui pourraient orienter la pratique de toute institution ou de tout groupe ayant à traiter des problèmes de délinquance ». 44. À titre d’alternative aux poursuites. Article 41-1 du code de procédure pénale tel que résultant de la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993. 45. La circulaire du ministère de la justice du 15 mars 2017 sur la justice restaurative cite d’ailleurs en exergue la déclaration de Louvain de mai 1997 faite à l’occasion de la première conférence internationale sur la « pertinence de promouvoir l’approche réparatrice pour contrer la criminalité juvénile », qui énonce que « la fonction principale de la réaction sociale à la criminalité n’est ni de punir, ni de rééduquer, ni de traiter, mais de promouvoir la réparation des torts causés par le délit ». 46. On peut aussi évoquer les débats récurrents – et les législations oscillantes – qui tendent à associer plus étroitement la victime aux décisions relatives à l’exécution de la peine, notamment en la consultant avant de prendre une mesure d’aménagement de peine. V. notamment S. Maître, Plaidoyer pour la participation de la victime dans la procédure d’application des peines, Institut pour la Justice, 2017. 47. V. J.-H. Robert, La justice restaurative, in C. Ribeyre (dir.), La victime de l’infraction pénale, Dalloz, 2016, p. 41 s. ; R. Cario, « De la justice restaurative. Pour une authentique œuvre de justice en France », Mélanges R. Badinter, Dalloz, 2016, p. 167 s.
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situations où ce format apparaît le plus adapté – notamment parce que son décorum apparaît donner un supplément de considération. En la matière, la voie pénale, qui désigne la faute et son auteur, permet de donner suite – ou de donner corps – à un besoin profond de vérité et d’information à laquelle les victimes sont légitimement attentives. L’aveu ou la reconnaissance d’une culpabilité peut également constituer pour certaines victimes, au moins symboliquement, un facteur fondamental de leur demande de « justice » 48. La prise en compte de cet objectif de considération dans le procès pénal résulte, en outre, d’une analyse du droit positif qui démontre que, sous l’impulsion d’une progression de l’individualisme et de l’idéologie des droits de l’homme comme paradigme social dominant, l’ordre public pénal s’est recentré sur l’individu et les attributs qu’il défend, entraînant, ce qui est probablement l’un des faits majeurs de la procédure pénale du début du XXIème siècle, une réévaluation de la place des intérêts privés des particuliers dans l’ordre des valeurs pénalement protégées 49. Pour ces raisons 50, le législateur a été attentif à la demande de considération émanant des victimes, et ce à tous les stades du procès pénal, de la réception de la plainte à l’information sur les droits durant l’enquête ou l’instruction en passant par la consultation de la partie civile au moment de décider de l’orientation de la poursuite 51, à telle enseigne que certains interrogent l’avènement d’un « droit des victimes ». Finalement, « la physionomie du procès pénal est affectée par une logique de rapports interindividuels qui lui est étrangère » 52. L’idée même de réparation véhiculée par ce procès pénal « d’un nouveau genre » participe à rendre floue la délimitation nécessaire entre le droit pénal et le droit civil. Une redéfinition des rapports entre intérêt général et intérêts privés s’opère avec, de plus en plus, un chevauchement des frontières 53. Dans cette évolution, de nouveaux acteurs sont intervenus : les associations. Porteuses d’intérêts collectifs de toutes sortes, elles ont investi et bouleversé le champ pénal 54 et concurrencent 48. Les aveux ou les excuses sont souvent nécessaires pour entamer un travail de deuil. 49. V. notamment, à ce propos, la thèse de Y. Joseph-Ratineau sur la privatisation de la réponse pénale. Thèse de doctorat de droit privé sous la direction de M. Giacopelli présentée et soutenue à l’université Paul Cézanne – Aix-Marseille en 2013. 50. Qui, il est vrai, reposent sur de bonnes intentions. 51. V. notamment articles 40, 53-1 et 75 dernier alinéa (au stade de l’enquête), 80-3 (au stade de l’instruction) et 391 (au stade du jugement) du code de procédure pénale. 52. X. Pin, « La privatisation du procès pénal », RSC 2002, p. 245. 53. E. Mathias, « Action pénale privée : cent ans de sollicitude – À propos de la loi du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale », Revue Procédures, n° 5, mai 2007, étude 6, § 15 : « La submersion de l’avant-procès pénal par les parties privées ne résulte pas seulement de la conception extensive de la notion de partie lésée ; elle tient également à ce qu’on peut appeler la confiscation morale de la peine : la répression est devenue le principal moyen d’expression des passions (au sens premier de souffrances) des victimes. L’exaltation répressive contemporaine est en vérité le signe d’un malentendu croissant sur le sens de la sanction. À quoi sert le droit pénal ? Pourquoi punit-on ? Quels sont les critères du recours débridé à l’incrimination ? Faute d’avoir jamais répondu à ces questions, le législateur compatissant – et derrière lui le gouvernement – a probablement contribué à la dénaturation du droit de punir dont la plainte avec constitution de partie civile figure l’un des emblèmes ». V. également D. Salas, La volonté de punir, Hachette, 2005. 54. Leur liste s’est, du reste, considérablement allongée au fil des années récentes. V. articles 2 à 2-24 du code de procédure pénale notamment ; article L. 2132-3 du code de travail pour les syndicats. V. aussi JCI Travail Traité, Fasc. 82-10 : Droit pénal. Infractions, constatation, poursuite, §§ 171 s. V. enfin L. Boré, JCI Procédure pénale, Fasc. 40 : Action publique et action civile – Action civile des groupements, mai 2020, § 129 : « On ne peut donc être que frappé par l’extraordinaire variété des conditions d’habilitation à agir des associations. Un effort d’unification de ces conditions serait fort utile, mais toutes les tentatives en ce sens ont échoué jusqu’ici. Peu nombreuses
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désormais largement le ministère public dans sa fonction de défense des intérêts de la société 55. L’entrée de ces groupements privés dans le procès pénal, parfois avancée comme un contournement nécessaire dans certains cas 56, correspond, semble-t-il, à « la découverte d’une catégorie intermédiaire d’intérêts dignes de protection » 57, à la fois moins abstraits mais plus vastes et plus consistants que les intérêts individuels, et voisins de l’intérêt général, quoique plus circonscrits et plus catégoriels. Tous ces éléments témoignent d’une érosion du monopole pénal de l’État et augurent d’« un nouvel âge des responsabilités » où le lien entre infraction et intérêt général se verrait dissocié 58. Si la procédure pénale a été témoin de la montée en puissance des intérêts privés, elle en est devenue son terrain fertile.
2° La procédure pénale au service des intérêts privés 6 - Le déplacement du centre de gravité de l’instance pénale résulte, en grande partie, du renforcement continu et linéaire depuis plusieurs décennies des droits des parties privées, victimes mais pas seulement. Certes, le pouvoir d’impulsion du procès pénal, c’est-à-dire la possibilité d’engager l’action pénale par voie d’action, n’est plus depuis longtemps l’apanage du ministère public 59. Dans une large mesure, les parties privées ont, vestige de l’ancienne accusation privée, la possibilité de mettre en mouvement l’action publique 60. Dès 1906, les victimes se sont vu conférer le droit de se constituer partie civile devant le juge d’instruction 61. Toutefois, le pouvoir des parties privées s’arrêtait en principe ici : si elles pouvaient déclencher l’action publique, l’exercice de cette action appartenait, pour l’essentiel, au ministère public 62. Ainsi, dans le code de procédure pénale de 1958 63, le procès pénal restait conçu comme un instrument étatique de protection de l’ordre public et de l’intérêt général 64. Schématiquement, la poursuite était confiée à un accusateur public, avant 1970, les lois d’habilitation se sont multipliées depuis cette date. Si le rythme s’est un peu ralenti depuis quelques temps, on doit noter que les derniers textes d’habilitation disposent que l’association ne peut agir que par voie d’intervention, aux côtés du ministère public ou de la victime, et non par voie d’action. Cette exigence ôte beaucoup d’intérêt à leur action en les empêchant de mettre en mouvement l’action publique dans des domaines souvent délaissés par le parquet et par des victimes en situation de faiblesse » ; L. Boré, La défense des intérêts collectifs par les associations devant les juridictions administratives et judiciaires, LGDJ, 1997, n° 97 s. 55. J. Volff, « La privatisation rampante de l’action publique », Procédures, n° 1, janv. 2005, étude 1, § 48 : « L’action civile des associations, dans les conditions actuelles, conduit à un éparpillement de l’action publique, qui échappe en partie au ministère public, pour tomber entre les mains de groupements privés, très divers et le plus souvent incontrôlés et incontrôlables ». Déjà en 1958, le professeur Jean Larguier s’inquiétait de ce que « ces groupements font peser une lourde menace sur l’action du ministère public ». J. Larguier, « L’action publique menacée (À propos de l’action civile des associations devant les juridictions répressives) », R. Dalloz, 1958, chron. VI. 56. En cas de refus d’agir des parquets notamment. JCI Travail Traité, Fasc. 8210 : Droit pénal. Infractions, constatation, poursuite, §§ 186 s. 57. X. Pin, « La privatisation du procès pénal », op. cit. 58. V. à ce titre A. Garapon et D. Salas, La République pénalisée, Hachette, 1996. 59. Dans une conception classique du procès pénal, le Ministère Public est chargé de porter l’accusation publique au nom de l’intérêt général. 60. Ce qui, soit dit en passant, est la marque des systèmes accusatoires. 61. Cass. crim., 8 déc. 1906, Placet dit Laurent-Atthalin. La voie de la citation directe était déjà ouverte aux parties civiles. Trace de l’ancienne accusation privée, le fait de maintenir, à titre exceptionnel, le droit pour la victime d’une infraction de mettre en mouvement l’action publique se justifie essentiellement par la nécessité de faire contrepoids au droit du parquet de classer sans suite des procédures, afin d’éviter un éventuel déni de justice. Ce droit a été introduit dans le code de procédure pénale (article 1er, alinéa 2). 62. Le code de procédure pénale fait une distinction entre le déclenchement de l’action publique et son exercice. 63. Qui n’a pas, en cela, remis en cause l’équilibre du code d’instruction criminelle de 1808. 64. B. Bouloc, Procédure pénale, Dalloz, 27ème éd., 2019, § 185 : « L’action publique (...) a pour but de réprimer le trouble social, par l’application d’une
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l’instruction à un magistrat dépositaire d’un pouvoir inquisitorial puissant et le conflit était tranché par un tribunal impartial. Ce caractère inquisitoire de la procédure donnait sans doute à ce modèle de justice imposée sa forme la plus achevée. Aujourd’hui, ce schéma, basé sur une stricte répartition des fonctions, n’est plus valable, ou en tout cas, il est de moins en moins opérant. Plusieurs facteurs l’expliquent. D’abord, l’évolution du rôle du ministère public, qui a pris deux formes opposées : d’une part, un accroissement très important de son rôle, notamment durant l’enquête préliminaire, à la faveur de l’éviction progressive du juge d’instruction et de l’émergence des procédures de traitement rapide des affaires pénales, sur lequel nous ne nous étendrons pas ; d’autre part, même si c’est plus à la marge et généralement moins discuté, un affaiblissement relatif du ministère public dans d’autres domaines. Ainsi, si le ministère public détient en principe un quasi-monopole dans la mise en mouvement de l’action publique 65, le législateur a taillé plusieurs entames dans cette mainmise : la possibilité pour la victime directe de l’infraction de mettre en mouvement l’action publique lorsque le ministère public n’agit pas, la possibilité pour le juge de se saisir d’office en cas de délit ou de contravention commis au cours d’une audience 66 ou même l’obligation pour le parquet de se concerter avec l’Autorité des marchés financiers (AMF) dans le cadre de la répression des abus de marché 67. Ensuite, le code de procédure pénale, tendant progressivement vers le modèle accusatoire, a confié de plus en plus de prérogatives procédurales à des parties privées qui sont désormais des sujets actifs de la procédure pénale, titulaires d’une « action pénale privée » 68 et dotées d’un pouvoir d’initiative dans le déclenchement des poursuites mais aussi dans la recherche de la preuve. Le meilleur exemple est encore celui de l’article 82-1 du code de procédure pénale qui, dans l’instruction, confère aux parties la faculté de faire avancer les investigations en demandant « tout acte nécessaire à la manifestation de la vérité » 69. Cette nouvelle réalité de notre système pénal permet à la victime d’agir devant les juridictions répressives en vue de participer à la manifestation de la vérité, à l’établissement de la culpabilité de l’auteur de l’infraction et à sa sanction 70. Ce sont également les droits de la personne poursuivie qui ont été accrus, cette dernière se voyant doter d’un certain nombre de prérogatives lui permettant, au stade de l’instruction (et même au stade de l’enquête désormais 71) comme au stade décisoire, de maîtriser la matière litigieuse en participant activement à la conduite de peine ou d’une mesure de sûreté à l’auteur de l’infraction. Elle est l’objet principal du procès pénal. C’est une action d’intérêt général ou d’ordre public, par opposition à l’action civile qui est d’intérêt privé ». 65. B. Bouloc, Procédure pénale, Dalloz, 27ème éd., 2019, § 188 : « À la suite de l’évolution historique, au cours de laquelle s’est affirmé le droit de poursuite du ministère public, le Code d’instruction criminelle de 1808 avait confié l’exercice de l’action publique à des fonctionnaires représentant le pouvoir social, aux magistrats du ministère public ». 66. Article 675 du code de procédure pénale. V. aussi articles 404 et 405 du code de procédure pénale. 67. Depuis la loi n° 2016-819 du 21 juin 2016. V. Article L. 465-3-6 du code monétaire et financier. 68. V. notamment E. Mathias, « Action pénale privée : cent ans de sollicitude – À propos de la loi du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale », Revue Procédures, n° 5, mai 2007, étude 6. 69. Article 82-1 du code de procédure pénale. 70. La pratique démontre que la partie civile, dont la participation à la maîtrise de la direction de l’instance pénale est fondée sur une accusation privée autonome, distincte de l’accusation publique, est loin d’être le simple étaiement du parquet. 71. Depuis la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, le ministère public peut à l’issue de ses investigations, de sa propre initiative ou à la demande de la personne poursuivie, communiquer tout ou partie du dossier d’enquête à cette dernière afin que celle-ci présente des observations ou demande des actes (article 77-2, II du code de procédure pénale).
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l’instance pénale (dans cette approche, le mis en cause n’est plus seulement un « objet » d’accusation mais aussi et surtout un « sujet » de droits). Ces évolutions atténuent le caractère inquisitoire de la procédure pénale au profit de son caractère accusatoire et conduisent à l’immixtion de la triangulation propre au procès civil au cœur même du procès pénal 72. Il existe donc une multitude de raisons qui permettent de comprendre la tendance du procès pénal à la privatisation. L’attention de plus en plus importante accordée par le code de procédure pénale aux victimes ainsi qu’aux personnes poursuivies, les mutations du ministère public et l’irruption dans l’enceinte pénale de corps intermédiaires devenus les « auxiliaires » du ministère public en sont quelques-uns. D’aucuns regretteront la « dégradation » de la fonction pénale, l’« amollissement » de l’autorité étatique dont cette fonction se veut la vectrice ainsi que la « déperdition » de sens pour un conflit qui, par définition, oppose un individu à la société 73. De loin en loin, cette confusion des genres a trouvé un nouveau souffle, alimentée par la propension croissante des pouvoirs publics à favoriser, dans un certain nombre d’affaires pénales, le recours à une résolution négociée du conflit. Cette vision remet en cause l’architecture et l’harmonie du procès pénal et le caractère impératif de la norme procédurale.
2. Privatisation du procès pénal et juge pénal 7 - Les évolutions qui structurent l’ordonnancement pénal contemporain ont peu à peu accru le rôle des parties dans le procès pénal et affaibli corrélativement celui du juge. Si, réforme après réforme, ces évolutions sont guidées par des considérations principalement matérielles (célérité du service public de la justice, nécessité de désengorger les tribunaux 74), il est aussi possible d’avancer qu’elles sont sous-tendues par une « idéologie » précise susceptible d’aboutir demain à un « nouveau paradigme de la justice », à savoir que « trancher un litige n’implique pas nécessairement que soit réglé le conflit entre les parties » 75. De ce point de vue, les dernières législations pénales ne constitueraient pas seulement la trame d’un « outil managérial »commode en pratique mais bien celle d’une « nouvelle méthodologie de règlement des situations infractionnelles » 76 qui, quel que soit le procédé considéré, traduirait une remise en cause profonde du modèle de justice classique centré sur la figure du juge étatique. Dans ce contexte, la nouvelle « CJIP » créée en 2016 entérine, une fois de plus, l’affaiblissement du juge pénal – phénomène qui s’affirme comme un curseur discriminant de la justice pénale moderne – et confirme à ce titre que l’étiolement de sa place et de son rôle n’était pas seulement un mouvement d’époque. Cette tendance fait ressortir deux effets : l’effacement du juge pénal (B) et le réaménagement de son office (A) : dans le premier, la compétence pénale (ou para-pénale) est transférée à un autre 72. Selon la doctrine, cette évolution a trouvé un « terreau favorable » dans l’influence du modèle européen du procès équitable. Y. Joseph-Ratineau, « La privatisation de la réponse pénale », RSC 2014, p. 883. 73. Outre le risque d’encombrement que fait peser le contournement du filtre naturel du ministère public, par le biais de constitutions de partie civile précaires ou intempestives déposées sur de simples soupçons et sans le moindre commencement de preuve, sur la justice. 74. Sur l’exigence de célérité des procédures pénales, v. notamment C. Viennot, Le procès pénal accéléré : étude des transformations du jugement pénal, thèse de doctorat privé sous la direction de P. Poncela présentée et soutenue à l’université de Nanterre en 2010, §§ 13-26. 75. S. Pellé, « L’effacement du juge en matière pénale : inexorable évolution ou véritable mutation de notre justice pénale ? », op. cit. 76. S. Pellé, « L’effacement du juge en matière pénale : inexorable évolution ou véritable mutation de notre justice pénale ? », op. cit.
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acteur public (ministère public ou autorité administrative indépendante) voire à un acteur privé ; dans le second, le périmètre d’intervention du juge est réaménagé et la justice s’accomplit par la recherche d’un accord entre les parties que le juge homologue en bout de parcours.
A. - L’effacement du juge pénal 8 - L’« effacement », notion qui se caractérise par sa pluralité 77, représente la figure la plus évidente de l’affaiblissement du juge. Au regard de notre propos, il se traduit couramment par une perte d’espace pour le magistrat du siège, pouvant aller jusqu’à la disparition pure et simple de son intervention. Dans une première hypothèse, le juge reste présent dans le procès pénal mais une partie de son pouvoir décisionnel lui est retiré (1°). Dans une seconde hypothèse, la résolution du conflit pénal se réalise hors de l’enceinte pénale, sans intervention du juge, via des dispositifs de régulation externe ou autonome (2°).
1° L’effacement du juge dans le procès pénal 9 - La volonté d’alléger le formalisme et la temporalité du procès et d’accélérer le traitement des affaires pénales a motivé le développement important des procédures alternatives aux poursuites, comme l’ordonnance pénale et l’amende forfaitaire, dans lesquelles le juge n’a plus ou quasiment plus de pouvoir décisionnel. Cette tentation, pour ancienne qu’elle soit 78, s’est considérablement renforcée et diversifiée ces trente dernières années, les réformes récentes n’ayant eu de cesse de créer de nouvelles procédures alternatives ou d’étendre le champ d’application des dispositifs existants. L’ordonnance pénale, introduite en 1972 sur le modèle du droit allemand 79 (et étendue en 2002 à certains délits 80, est une procédure dite « simplifiée » de traitement des affaires pénales permettant de réprimer les contraventions ainsi que certains délits 81. Elle consiste, pour le ministère public, à envoyer le dossier avec ses réquisitions au président du tribunal correctionnel, qui prononcera une peine sans débat préalable, sur la base des preuves écrites portées à sa connaissance. Le champ d’application de l’ordonnance pénale s’est étendu pour englober toujours plus de délits. La loi du 23 mars 2019 a renforcé les possibilités de l’utiliser, notamment en l’étendant à toutes les infractions relevant de la compétence du juge unique 82. De surcroît, les cas de récidive peuvent également être appréhendés par l’ordonnance pénale. Les délits d’atteinte à l’intégrité physique de la personne demeurent les rares exceptions à l’application de l’ordonnance pénale. En 2018, pas moins de 31 % des prévenus poursuivis sur un titre correctionnel l’ont été par la voie de la procédure d’ordonnance pénale 83. Les sanctions reflètent également cette évolution. Si le juge peut prononcer une amende (dont le montant est limité à 5 000 €), il s’est récemment vu doté de la possibilité de recourir aux peines 77. Le Larousse définit l’effacement de deux façons : « Action d’effacer, de supprimer, de faire disparaître, fait de s’effacer » et « Action de rendre une partie du corps moins saillante, moins proéminente ». 78. On pense à la procédure de flagrant délit (qui date de 1863) dont l’actuelle comparution immédiate est l’héritière. La procédure de comparution immédiate « a le mérite d’introduire l’ébauche d’un consensualisme dans un domaine où les institutions étatiques (police, parquet) imposaient de façon unilatérale le rythme qu’elles avaient choisi seules ». M. Delmas-Marty, Le Flou du Droit, LGDJ, 1993, p. 259. 79. Loi n° 72-5 du 3 janvier 1972. 80. Loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002. 81. Articles 495 s. du code de procédure pénale pour les délits ; articles 524 s. du code de procédure pénale pour les contraventions. V. aussi F. Zocchetto, Juger vite, juger mieux ? Les procédures rapides de traitement des affaires pénales, état des lieux, rapport d’information fait au nom de la commission des lois du Sénat, déposé le 12 octobre 2005, n° 17. 82. Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019. 83. Soit 173 774 prévenus. Données 2018 du ministère de la Justice.
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10 - L’effacement du juge est aussi le résultat du développement des lois et des pratiques dites de « compliance » 89 qui
mettent l’accent sur la vigilance et la prévention. Cette évolution évince le juge et entraîne une redistribution des rôles et des fonctions au profit des autorités administratives indépendantes (régulation « pénale externe » ou « para-pénale ») ou des acteurs privés eux-mêmes (régulation « autonome » ou « auto-régulation » 90. Depuis les années 1980, l’organisation de la régulation économique en France passe par les autorités administratives au détriment du juge. Cela s’explique par « la plus grande capacité des autorités administratives (...) à remplir une mission de prévention » 91, par opposition au juge judiciaire. La compliance repose en effet sur la collaboration et le dialogue entre acteurs privés et autorités et sur la bonne connaissance par les autorités du milieu qu’elles régulent 92. Ainsi et de manière ancienne, le juge pénal a vu certaines de ses prérogatives être confiées aux autorités administratives, par exemple l’AMF pour la poursuite et la répression des abus de marché 93. Concomitamment 94, l’entrée en vigueur de dispositifs qui s’appuient très fortement sur l’entreprise elle-même – allant jusqu’à lui déléguer certaines prérogatives régaliennes – a accentué ce phénomène de privatisation de la régulation, avec un délestage de la puissance publique au profit des acteurs privés 95. Avant même d’imaginer des procédures de type transactionnel, le réalisme répressif et les difficultés pratiques auxquelles se heurte l’autorité judiciaire pour réprimer certains délits complexes, notamment en matière probatoire, ont ainsi conduit le législateur à confier à certaines entreprises dites « assujetties » la responsabilité de participer à la prévention, à la détection voire à la sanction d’un certain type de délinquance difficile à établir ou difficile à réprimer de manière effective. Ainsi, à l’occasion de la loi Sapin 2 96, le législateur, s’inspirant de ce qui pouvait exister en matière de blanchiment 97, a mis à la charge de certaines entreprises l’obligation d’animer, sous le contrôle de l’Agence française anticorruption (AFA) 98, un
84. Article 495-1 al. 2 du code de procédure pénale. 85. Articles 495-17 s. du code de procédure pénale pour les délits ; articles R. 48-1 s. du code de procédure pénale pour les contraventions. Son montant ne peut être supérieur à 3.000 euros conformément à l’article 495-17 du code de procédure pénale. En outre, la décision 2019-778 DC du Conseil constitutionnel a précisé qu’elle ne pouvait s’appliquer qu’aux délits punis d’une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à trois ans. Dans son rapport rendu en juillet 2014, la Commission Beaume relevait : « Beaucoup d’enquêteurs souhaitent, comme du reste la Commission Nadal l’a ellemême préconisé pour certaines infractions routières, une contraventionnalisation de nombreuses infractions, sinon mineures, en tout cas simples et hors réitération, (vol à l’étalage, usage de stupéfiants, port d’arme de catégorie D...), voire même une forfaitisation complète. (...) Notre mission adhère à cette orientation, qui allie simplicité de la constatation et meilleure certitude de la réponse pénale »(p. 11). 86. Vente à la sauvette (article 446-1 du code pénal) ; occupation des parties communes d’un immeuble collectif à usage d’habitation (article L. 126-3 du code de la construction et de l’habitation) ; vente de boissons alcooliques à des mineurs (article L. 3353-3 du code de la santé publique) ; non-respect des règles relatives au débit de boissons (article L. 3352-5 du code de la santé publique) ; transport routier en violation des règles relatives au chronotachygraphe (article L. 3315-5 du code des transports) ; usage illicite de substances ou plantes classées comme stupéfiants (article L. 3421-1 du code de la santé publique. 87. Sur le sens de la procédure correctionnelle, v. notamment F. Fourment, « La nouvelle procédure correctionnelle », in S. Pellé (dir.), Quelles mutations pour la justice pénale du XXIe siècle ?, Dalloz, coll., Thèmes et commentaires, 2020. 88. P. Tcherkessoff, Cohérence et légitimité du ministère public, thèse de doctorat en droit privé soutenue le 30 juin 2015 à l’université Panthéon-Assas, sous la dir. de S. Tzitzis, § 300, p. 271. 89. L’importation telle quelle du terme « compliance » des États-Unis illustre l’acculturation qu’il faut encore au paysage juridique français pour s’accoutumer à la pratique à laquelle il renvoie. Il importe de rappeler, à cet égard,
que le Foreign and Corrupt Practices Act américain date de 1977 (la loi Sapin 2 a été adoptée près de quarante ans plus tard). 90. La compliance qui renvoie de manière habituelle aux procédures mises en œuvre par les opérateurs privés afin d’assurer le respect des obligations légales et réglementaires qui leur sont applicables. V. « La « compliance », une privatisation de la régulation ? », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, vol. 2, n° 2, 2019, pp. 327-331 : « La notion de « compliance »(conformité) se réfère à la capacité d’une entreprise d’agir en conformité avec la loi et avec ses réglementations internes dans toutes les juridictions où elle exerce une activité. Elle désigne donc avant tout un ensemble de processus d’entreprise visant à détecter, à sanctionner, mais encore à prévenir les infractions qui pourraient être commises en leur sein ». 91. E. Breen, « La compliance, une privatisation de la régulation ? », op. cit. 92. La loi Sapin 2 a enclenché une double révolution, « celle de la transaction pénale en droit des affaires et celle de la coopération des entreprises aux processus répressifs ». E. Breen, « La compliance, une privatisation de la régulation ? », op. cit. 93. Loi n° 89-531 du 2 août 1989 ; loi n° 2003-706 du 1er août 2003. 94. R. Bismuth considère que nous sommes passés d’une « logique de la régulation »à une « logique de la compliance », in « Les nouveaux défis de la compliance », RJSP, n° 16, janv. 2019, p. 24. 95. La loi du 24 juin 2020 dite « loi Avia », qui a créé l’obligation pour les plateformes en ligne telles que les réseaux sociaux de retirer certains contenus haineux, est une autre illustration de cette tendance. Loi n° 2020-766 du 24 juin 2020. Cette loi a été largement censurée par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2020-801 DC du 18 juin 2020. 96. Article 17 de la loi Sapin 2. 97. Article L. 561-1 et s. du code monétaire et financier. 98. Ce volet préventif, assorti de sanctions en cas de manquement, est porté par l’AFA. Même si l’AFA n’a pas pour mission de poursuivre et de réprimer les faits de corruption. L’architecture normative de la loi Sapin 2 a fait l’objet de développements intéressants d’un rapport récent. V. Pour un droit européen de la compliance, rapport du groupe de travail du Club des Juristes coordonné par B. Cazeneuve et A. Gaudemet, nov. 2020, §§ 1 à 37.
alternatives à l’emprisonnement. À l’heure où l’emprisonnement est plus que jamais contesté en tant que réponse pénale adaptée, on comprend que cet ajout incite au recours à une telle procédure. Parmi ces sanctions, on peut relever les peines privatives et restrictives de droits de l’article 131-6 du code pénal, la sanction réparation, les stages, le jour-amende et le travail d’intérêt général 84. En ce qui concerne l’amende forfaitaire, celle-ci a également vu son champ d’application élargi par le législateur et, ce, malgré son encadrement 85. Si, originellement, l’amende forfaitaire ne pouvait, à l’origine, s’appliquer qu’aux contraventions, la loi du 23 mars 2019 a étendu son champ d’application matériel à six nouveaux délits 86, étant précisé que l’amende forfaitaire peut également s’appliquer à ces délits s’ils sont commis en état de récidive (ce qui n’est pas le cas pour les autres infractions concernées par l’amende forfaitaire). Le 1er septembre 2020, l’expérimentation du dispositif d’amende forfaitaire délictuelle pour usage de stupéfiants a par ailleurs été étendue. Dans ces deux hypothèses, le modèle classique du procès pénal, représenté par la figure d’une décision collégiale prise à l’issue d’une audience publique et contradictoire 87, est remis en cause. La procédure de l’ordonnance pénale comme celle de l’amende forfaitaire ont en effet pour point commun d’investir le ministère public de fonctions qui, en pratique, ont pour effet de « pré-juger »ou de « quasi-juger » 88. Il y a là un glissement des fonctions au sein même de l’autorité judiciaire : le ministère public grappille des prérogatives ordinairement dévolues à la juridiction de jugement. Que l’on s’entende bien : le débat n’est pas ici centré sur le bien-fondé en soi d’un tel glissement mais sur celui de ses effets au regard de la privatisation du procès pénal. A-t-on eu conscience de tels effets, intensifiés au fil des réformes décrites ci-dessus, qui ont renforcé le poids de ces procédures dans le traitement des affaires pénales ?
2° L’éviction du juge pénal
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programme interne de conformité visant à prévenir la réalisation d’actes de corruption 99. Les entités concernées se sont ce faisant vu imposer une obligation analogue à celle incombant au ministère public au titre de l’article 39-2 du code de procédure pénale. Elles en supportent, du reste, les coûts de mise en œuvre 100. Autrement dit, « plutôt que d’accroître les moyens de la justice pénale, le législateur a fait le choix, à l’instar des modèles étrangers et notamment ceux des pays de common law, de reporter sur [ces] entreprises le coût de détection de ces infractions, particulièrement difficiles à établir » 101. La pratique des « enquêtes internes », qui consiste, dans le cadre d’un programme de conformité, à enquêter sur des cas de fraude ou des dysfonctionnements résultant du comportement inadéquat de salariés d’une entreprise, est un autre exemple de cette évolution 102. Comme les acteurs privés pourraient ne pas être très enclins à rechercher des comportements ou des situations de nature à les exposer à des poursuites pénales, une telle obligation pourrait les inciter à ne pas déployer des dispositifs de conformité efficaces, sauf à ce qu’une contrepartie leur soit proposée concernant, par exemple, le niveau de répression auquel ils seront soumis 103. C’est à ce dilemme que les lignes directrices AFA-PNF ont tenté de répondre en retenant en faveur de la personne mise en cause, soit comme critère de recours à la CJIP, soit comme facteur de pondération lors du calcul de l’amende
99. A. Hamelle relève que cette nouvelle obligation permet de dire que nous sommes « au cœur d’une nouvelle philosophie du droit français relatif à la corruption puisque nous sommes passés d’un droit purement répressif à un droit tout à la fois préventif et répressif ». V. A. Roux, « Les origines sociologiques : la perception des atteintes à la probité et son influence sur la législation anticorruption, De la conformité à la justice négociée », colloque ENM-AFA, 17 mai 2018, pp. 8-18 et pp. 33-35. À la différence d’autres États, la France a fait le choix de ne pas créer de délit de défaut de conformité et de privilégier les sanctions para-pénales. Toutefois, depuis la loi n° 2005750 du 4 juillet 2005 transposant la directive-cadre du 22 juillet 2003, les personnes morales peuvent être tenues pour responsables des infractions de corruption privée lorsque le défaut de surveillance ou de contrôle a rendu possible la commission desdites infractions au bénéfice de la personne morale par l’un de ses préposés. V. enfin Pour un droit européen de la compliance, rapport du groupe de travail du Club des Juristes coordonné par B. Cazeneuve et A. Gaudemet, nov. 2020, § 153 : « L’existence d’une fonction conformité efficace permet (...) aux entreprises de se prémunir contre le risque de voir leur réputation atteinte et leur valeur économique dégradée. Elle participe également de la sécurisation de la performance économique de l’entreprise, dans un environnement concurrentiel où les valeurs de probité et le comportement éthique sont examinés de plus en plus attentivement par les tiers ». 100. Lesquels varient selon l’importance des moyens mis en œuvre. 101. F. Stasiak, « La privatisation de la lutte contre la corruption », énal, n° 6, juin 2019, dossier 2 ; C. Mirabel, « L’enquête de police en matière de corruption », AJ Pénal 2006, p. 199. 102. T. Baudesson et K. Chaïb, « Le secret professionnel avocat-client à l’épreuve des contrôles de l’Agence française anticorruption », Revue Internationale de la Compliance et de l’Éthique des Affaires, n° 5, oct. 2019, chron. 161. V. aussi guide du Conseil National des Barreaux, « L’avocat français et les enquêtes internes », juin 2020, [https ://www.cnb.avocat.fr/ sites/default/files/guide-cnb_enquetes-internes_juin2020_1.pdf]. 103. Cette problématique est connue en économie sous le nom de l’ « effet Arlen ». « L’introduction d’un dispositif de surveillance privé engendre un effet pervers identifié par J.H Arlen (1994) et précisé par J.H Arlen et R. Kraakman (1997). Plus les banques consacrent d’effort à surveiller leur personnel, plus elles détectent d’infractions qu’elles doivent signaler et augmentent ainsi leur exposition aux sanctions pénales ». P. Kopp, « La lutte contre le blanchiment »in (dir.) Marie-Anne Frison-Roche, Les Banques entre droit et économie, LGDJ, 2006, pp. 33-47.
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d’intérêt public 104, la mise en œuvre d’un programme de conformité efficient (mitigation liability) 105. La redéfinition du cadre et des modes d’intervention de l’autorité pénale résulte enfin de la création de la peine complémentaire de mise en conformité 106 et de la possibilité pour le ministère public de proposer à une personne morale, dans le cadre d’une CJIP, de mettre à jour son programme de conformité. Ces dispositifs, qui témoignent d’une modification de l’angle de l’approche répressive et « s’imprègne[nt] des avancées de la criminologie jusqu’à présent assez largement ignorées en France et articulées autour d’un objectif : la désistance », peuvent s’apparenter à des mesures de probation destinées à responsabiliser les entreprises déviantes 107. La réponse pénale prend alors une autre forme, visant moins à punir un comportement passé qu’à inciter à se conformer à l’avenir 108. Dans le même temps, on assiste à un phénomène de réaménagement qui, au même titre que le phénomène d’effacement, a pour résultat ou pour objet de restructurer l’intervention du juge pénal.
B. - Le réaménagement du rôle du juge 11 - Le réaménagement correspond à la reconfiguration de l’espace traditionnellement occupé par le magistrat du siège. En règle générale, le magistrat du siège n’intervient plus au stade de l’élaboration de la décision mais en aval, pour la valider par le biais d’une « homologation » 109. C’est dans cet espace que peut intervenir une forme de négociation, et donc une certaine 104. « Le défaut de mise en œuvre effective par la personne morale d’un programme de conformité répondant à l’obligation de l’article 17 [de la loi Sapin 2] pourra être apprécié comme une situation péjorative lors de l’orientation de la procédure ou lors de la détermination de l’amende d’intérêt public ». Lignes directrices AFA-PNF, p. 8. 105. Et ce, alors que le Conseil d’État avait demandé que soit retirée du projet de loi Sapin 2 la disposition prévoyant que le juge devait tenir compte des mesures de conformité en place dans l’entreprise au moment de l’appréciation de la sanction : « Dans le but d’inciter les entreprises à développer une culture de la prévention de la corruption, le projet de loi prévoyait la prise en compte, dans la fixation par les juridictions correctionnelles de la peine prononcée contre une personne physique ou morale reconnue coupable de faits de corruption, de l’existence de mesures destinées à prévenir et détecter la corruption au sein de l’entreprise au profit de laquelle les faits ont été commis. Le Conseil d’État qui relève que le principe d’individualisation des peines a valeur constitutionnelle a estimé que la prise en compte de tels éléments relevait déjà des missions de toute juridiction pénale dans le cadre de cette exigence d’individualisation qui vaut tant pour les personnes morales que pour les personnes physiques. Il n’a donc pas retenu cette disposition ». Conseil d’État, avis du 24 mars 20 16, n° 391.262, § 14. 106. Article 131-39-2 du code pénal. 107. M. Herzog-Evans, « Définir la désistance et en comprendre l’utilité pour la France », AJ Pénal 2010, p. 366. Il n’est donc pas faux d’écrire en ce sens que la loi Sapin 2 « joue en premier lieu sur une vision incitative de la responsabilité, comme levier de conviction et d’éducation ». W. Feugère, « Loi Sapin 2 et nouvelles responsabilités : un changement de paradigme ? », AJ Pénal 2018, p. 553. V. enfin G. Poissonnier et J.-C. Duhamel, « Convention judiciaire d’intérêt public : le 23 février 2018 fera date ! », R. Dalloz 2018, p. 898 : « La loi Sapin 2 est avant tout innervée par l’idée d’efficacité, à la fois au regard des sommes recouvrées par l’État grâce aux amendes d’intérêt public, et de la prévention du risque de récidive grâce à la mise en place des programmes de conformité ». 108. « Nous sommes entrés dans l’ère des guidelines et de la soft law. Dans les sanctions américaines, une importante partie des sanctions en dehors du montant payé par l’entreprise c’est la compliance ou la conformité, c’està-dire l’ensemble des processus qui sont mis en place dans les entreprises pour s’assurer de la bonne exécution des engagements pris par les entreprises dans le cadre de l’accord transactionnel et du fait qu’elles ne recommenceront pas les mêmes erreurs. (...) L’approche choisie par les autorités américaines n’est pas strictement juridique : il faut qu’elles aient le sentiment que le message a été bien compris, surtout au plus haut niveau et que cette compréhension se retrouve à tous les niveaux de l’entreprise ». P. Servan-Schreiber, « L’actualité des deals de justice », Les nouveaux défis de la compliance, RJSP, n° 16, janv. 2019. 109. Dans ce nouveau modèle, « il n’y a plus la vérédiction dont parlait Foucault, opérée par le juge, personnage institué par l’État et symboliquement chargé
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contractualisation du procès pénal (ou, plus exactement, du processus de règlement de la situation infractionnelle) par le moyen d’un accord entre le justiciable et l’autorité publique. Dès 1999 avec l’apparition du classement sans suite « sous condition » 110 et la multiplication des alternatives aux poursuites et des modes alternatifs de jugement 111, on a vu une transformation des modes de réalisation du droit pénal et l’avènement du concept de « réponse pénale ». L’apparition de ce concept extensif et plus souple que la notion de « peine » stricto sensu était censée permettre une plus grande diversification et une plus grande graduation de la réaction punitive 112. Elle a modifié en
de dire le droit, de dire qui a raison et qui a tort, c’est-à-dire, de trancher le litige ». Or, « sans le regard du juge, comment être certain que justice est faite, c’est-à-dire que la conclusion de l’affaire est juste en ce que les vrais responsables ont réellement été sanctionnés d’une façon satisfaisante par rapport à la faute commise, au trouble et au dommage causés ? De tous temps, les sociétés ont eu besoin de la figure tutélaire du juge, chargée de dire le droit, d’énoncer publiquement laquelle, entre les parties présentes devant lui, est coupable, responsable, pourquoi et à quelle hauteur elle doit être sanctionnée ». P. Servan-Schreiber, « L’actualité des deals de justice », Les nouveaux défis de la compliance, RJSP, n° 16, janv. 2019. 110. L’avant-projet de réforme du code de procédure pénale présenté par le rapport Léger en 2010 mettait clairement en évidence, peut-être davantage que dans le code de procédure pénale actuel, le caractère conditionnel du classement sans suite opéré par le ministère public à la suite de l’exécution d’une mesure alternative aux poursuites (article 333-16 de l’avant-projet). 111. F. Molins, Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Action publique – Mise en mouvement et exercice de l’action publique, avr. 2020, § 78 : « Le choix binaire entre les poursuites et le classement sans suite est vite apparu comme ne répondant pas suffisamment au développement de la petite et moyenne délinquance. Les parquets ont donc développé (...) des modes de réponses pénales grâce à l’opportunité des poursuites qui leur permettaient de soumettre leur classement sans suite au respect d’une condition qu’ils fixaient à la personne impliquée ». V. aussi J. Pradel, « Une consécration du plea bargaining à la française », R. Dalloz, 1999, n° 36, pp. 379-382 ; B. de Lamy, « Procédure et procédés [propos critiques sur la contractualisation de la procédure pénale] », in (dir.) S. Chassagnard-Pinet et D. Hiez, Approche critique de la contractualisation, LGDJ, Droit et Société, tome 16, 2007, p. 149 ; M. Véron, « Garde à vue – Optimiser la réponse pénale », Pénal, n° 5, mai 2011, repère 5, qui parle d’« extrême variabilité des réponses pénales ». La circulaire du ministère de la justice du 12 mai 2017 parle des mesures alternatives aux poursuites comme d’une « part importante de la réponse pénale », qui doit répondre aux « objectifs de célérité et d’exigence ». Elle évoque « l’hétérogénéité des situations (...) et [l]’élargissement de l’éventail [des] mesures [alternatives aux poursui tes] comme de leur contenu ». 112. V. F. Ludwiczak, « Action publique – Procédures alternatives aux poursuites et action publique : entre apparence de conformité et quête de cohérence », La Semaine Juridique Edition Générale, n° 52, 26 déc. 2011, p. 1453 : « Les procédures alternatives aux poursuites pénales ont fait l’objet, en droit français, d’une large promotion depuis les lois du 23 juin 1999 et du 9 mars 2004. Cependant, leur naissance est bien plus ancienne et s’inspire, pour certaines d’entre elles, des procédés issus du droit civil (c’est le cas de la médiation pénale née d’expériences parquetières et directement inspirée de la conciliation civile), et pour d’autres, des modèles utilisés par les législations étrangères (c’est le cas de l’amende forfaitaire inspirée de l’amende administrative de droit allemand). En regroupant la plupart d’entre elles aux articles 41-1 et 41-2 du code de procédure pénale, le législateur a tenté de faire œuvre de cohérence. Toutefois, le caractère hétérogène de ces procédés demeure au vu des effets de ceux-ci sur l’action publique, mais aussi des objectifs qui leurs sont assignés par la loi ». Dès les années 1990, on avait assisté à l’émergence de pratiques informelles d’évitement du procès pénal, inspirées du modèle accusatoire. V. ainsi J.-P. Allinne, « Les propositions du Comité Léger au prisme de l’histoire : inquisitoire et accusatoire dans la tradition française », Champ pénal, Vol. VII, 2010, https://doi.org/10.4000/champpenal.7825, § 50 : « Les Maisons de justice et du droit issues de textes de 1990-1991 participent de cette même volonté d’introduire de la négociation et de la prévention en amont du juridictionnel. La composition pénale proposée par le procureur comme condition d’un classement sans suite et entérinée par la loi du 23 juin 1999 résulte aussi de ces pratiques de terrain, qui confortent la volonté politique repérable à droite comme à gauche d’une réponse pénale visible à la petite délinquance. Ambiguë, la « justice parquetière »participe à la fois de la tradition à la française d’un ministère public fort, et d’un autre côté d’une tradition anglo-saxonne de négociation pour éviter les coûts et les risques du procès pénal ».
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profondeur l’objet et même l’esprit du procès pénal. La doctrine évoque une « hybridation » du procès pénal qui aboutit à « la constitution d’un modèle procédural empruntant son consensualisme au procès civil et son caractère répressif au procès pénal » 113 voire à un certain « pluralisme judiciaire » 114. Ce mouvement, qui n’est pas propre à la France 115, correspond à l’apparition de deux formes de justice qui coexistent avec la justice imposée 116. Le modèle de justice transactionnelle, caractérisé par l’élément dynamique de la discussion, vise à atteindre un accord dont le contenu est le résultat des concessions réciproques des parties 117 (1°). Le modèle de justice consensuelle subsiste dans le cadre traditionnel en se contentant de reconnaître aux sujets le pouvoir d’accepter ou de refuser un contenu (2°).
1° La justice pénale consensuelle 12 - Si la procédure pénale se caractérise en principe par l’indisponibilité des règles qui la gouvernent 118, le législateur a progressivement admis que des règles de procédure puissent être écartées ou amendées sur la base d’un accord de volonté, y compris – et c’est relativement nouveau – dans le cadre pénal. Ainsi, dans certains cas qui font figure d’exception 119, la plainte est devenue une condition nécessaire de la poursuite et, dans l’hypothèse où le plaignant viendrait à retirer sa plainte (désistement), l’action publique s’éteindrait 120. C’est le cas en matière de presse 121, d’atteintes à la vie privée 122, de divulga113. E. Vergès, « La procédure pénale hybride », op. cit. ; A. Mignon-Colombet, « Justice négociée – Le deffered prosecution agreement américain, une forme inédite de justice négociée ? », JCP 2013, p. 359. 114. F. Tulkens et M. Van de Kerchove, La justice pénale : justice imposée, justice participative, justice consensuelle ou justice négociée ?, in Droit négocié, droit imposé ?, Presses de l’Université Saint-Louis, 1996, pp. 529-579 : « Le caractère pluriel de la justice pénale se manifeste dans la diversification croissante des modes de solution des conflits engendrés par la commission d’une infraction pénale, qui tantôt coexistent les uns avec les autres en s’appliquant à des types d’infraction différents, tantôt sont susceptibles de se substituer de manière alternative les uns aux autres, étant applicables à des types d’infraction identiques ». V. aussi A. Garapon et C. Amiel, « Justice négociée et justice imposée dans le droit français de l’enfance », Annales de Vaucresson, 1987, n° 27, pp. 17-42. 115. L. Lankarani, « La lutte contre la corruption », in (dir.) H. Ascensio, E. Decaux, A. Pellet, Droit international pénal, Pedone, 2000, pp. 603-604 ; N. Gaucher et M. F. Mbodji, « Action publique – La convention judiciaire d’intérêt public et la justice pénale », 1er mai 2018, Revue Procédures. 116. Sur la distinction entre les deux : F. Tulkens, « La justice négociée », in (dir.) M. Delmas-Marty, Procédures pénales d’Europe, 1995, p. 553 ; F. Tulkens et M. Van De Kerchove, « La justice pénale : justice imposée, justice participative, justice consensuelle ou justice négociée ? », in (dir.) P. Gerard, F. Ost, M. Van De Kerchove, Droit négocié, droit imposé ?, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1996, p. 529 s. ; M. Chiavario, « La justice négociée : une problématique à construire », Archives de politique criminelle, 1993, n° 15, p. 27-28. 117. V. sur ce point V. L. Cadiet, J. Normand et S. Amrani Mekki, Théorie générale du procès, PUF, 3ème éd., 2020, §§ 49 s. 118. Ce principe est notamment exposé par l’article 2, alinéa 2 du code de procédure pénale qui dispose que « la renonciation à l’action civile ne peut arrêter ni suspendre l’exercice de l’action publique ». V. aussi B. LapérouScheneider, JCI Procédure pénale, Synthèse – Action publique et action civile, mai 2020, § 12 : « La décision prise par le ministère public de déclencher l’action publique revêt un caractère irréversible. Une fois les poursuites engagées, la légalité reprend le dessus et le parquet lui-même ne peut plus arrêter la procédure ». V. enfin C. Ribeyre, JCI Procédure pénale, Fasc. 20 : Action publique et action civile, Action publique, nov. 2018, §§ 52-53. 119. En principe, le désistement de la victime à son action civile est sans effet sur l’action publique si celle-ci a été régulièrement mise en mouvement. V. p. ex. Cass. crim., 1er juin 1987 : Bull. crim. 1987, n° 224. 120. Article 6, alinéa 3, du code de procédure pénale. Dans ce cas, le retrait de la plainte arrête la poursuite. V. Cass. crim., 14 janv. 1997 : Bull. crim. 1997, n° 9. 121. Article 49 de la loi du 29 juillet 1881. 122. Article 226-6 du code pénal.
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tion de données individuelles contenues dans un fichier informatique 123 et de chasse sur le terrain d’autrui 124. En parallèle, la procédure pénale contemporaine a accepté que les parties privées puissent renoncer au bénéfice de la protection légale d’un intérêt dont elles ont la libre disposition (ce que la doctrine la plus autorisée appelle « l’acte abdicatif unilatéral » 125 : il s’agit généralement soit d’abandonner un droit, soit d’accepter une mesure ou une décision de l’autorité publique en abandonnant le droit d’en contester ultérieurement la régularité. Cette technique est de plus en plus employée car elle permet de gagner du temps tout en ménageant les droits du justiciable qui renonce librement à une faveur légale. On peut citer à titre d’exemple la renonciation à se prévaloir d’une nullité lors de l’enquête ou de l’instruction 126, la renonciation à la présence d’un avocat lors d’un interrogatoire 127, le consentement à être jugé sur d’autres chefs que ceux visés dans la citation directe 128 ou le consentement à être jugé en comparution immédiate 129. Mais c’est surtout le recul des règles d’ordre public et la nécessité d’un grief pour soulever toute nullité 130 qui ont conduit au renforcement du rôle de la renonciation au sein du procès pénal. En effet, la plupart des nullités de procédure sont désormais d’intérêt privé de sorte que l’intéressé peut expressément y renoncer afin de régulariser la procédure 131 alors que s’il ne soulève pas de nullité, les juges considéreront qu’il a renoncé tacitement à invoquer un grief 132. Davantage qu’hier, le sort d’une procédure pénale est donc subordonné à l’attitude et à la décision des parties privées.
2° La justice pénale transactionnelle 13 - Au début des années 2000, certains auteurs, observant la montée en puissance de mécanismes inspirés du plea bargaining applicable en common law 133, ont décrit les figures de contractualisation qui commençaient à gagner la justice pénale française 134. Le deffered prosecution agreement a fait son entrée 123. Article 226-22 du code pénal. 124. Article L. 422-1 du code de l’environnement. 125. X. Pin, « La privatisation du procès pénal », op. cit. 126. Article 172 du code de procédure pénale. 127. Article 144 du code de procédure pénale. 128. Article 389 du code de procédure pénale. 129. Article 397 du code de procédure pénale. 130. Article 802 du code de procédure pénale. 131. Article 172 du code de procédure pénale. 132. V. p. ex. Cass. crim., 19 mars 1997, Dr. pénal 1997, comm. n° 104, obs. A. Maron. 133. E. Breen, « La compliance, une privatisation de la régulation ? », op. cit. : « L’approche collaborative entre les entreprises et les autorités de poursuite constitue (...) un élément fondamental de la régulation économique américaine, qui fait un usage extensifs des accords dits de « poursuites différées »(deferred prosecution agreements ou DPA) et d’« abandon des poursuites »(non-prosecution agreements ou NPA), notamment dans la lutte contre la corruption transnationale. Afin d’éviter le risque d’une condamnation pénale lourde de conséquences, les entreprises livrent aux autorités de régulation les éléments d’information relatifs aux pratiques concernées, reconnaissent les faits, s’acquittent d’une pénalité financière et s’engagent enfin à modifier leur comportement pour l’avenir, en mettant en place des programmes de conformité placés sous le contrôle d’un moniteur indépendant. Les négociations ainsi conclues permettent donc aux entreprises de limiter l’incertitude juridique que font peser sur la conduite des affaires des procédures longues et complexes. Dans le même temps, elles garantissent une forme d’efficacité aux autorités de poursuite, en leur épargnant une procédure souvent coûteuse en ressources et à l’issue incertaine, tant l’obtention de preuves peut s’avérer difficile, notamment en matière d’infractions internationales complexes ». De ce point de vue, le droit anglo-saxon « place explicitement la négociation à l’intérieur de l’action pénale, le justiciable ayant la possibilité d’infléchir directement la décision de justice ». P. Milburn, « De la négociation dans la justice imposée », Négociations, 2004/1, n° 1, pp. 27-38. 134. A. Garapon et C. Amiel, « Justice négociée et justice imposée dans le droit français de l’enfance », op. cit. ; X. Pin, « La privatisation du procès pénal », op. cit. ; F. Alt-Maes, « La contractualisation du droit pénal : mythe ou réalité ? », RSC 2002, p. 501.
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dans l’univers doctrinal français, conceptuellement éloigné de notre culture juridique mais érigé comme un modèle dont il fallait s’inspirer pour lutter contre certaines formes de criminalité économique 135. Partant de cette évolution, de nouvelles procédures de type « transactionnel » – formule en vogue – sont apparues en droit processuel français, en amont de l’instance pénale ou au stade du règlement du litige pénal. Là où certains acteurs y ont vu un risque de « marchandage de la peine » 136, critiquant des « deals de justice » 137 voire un « rétrécissement de la réponse pénale » 138, d’autres (notamment les entreprises), convaincus de leurs qualités, réclamaient leur développement depuis longtemps. Fondées sur une reconnaissance de culpabilité voire sur des soupçons 139, ces procédures ont pour objet de contractualiser l’action publique et, par extension, le procès pénal. En modifiant le rôle du juge, c’est-à-dire en le recentrant sur un rôle, non plus d’arbitre mais d’ « avaliseur », elles redéfinissent les contours de la réponse pénale et, par-là même, la physionomie du procès pénal français contemporain 140. Du côté de la puissance publique, au moins deux exigences ont gouverné à l’avènement de cette justice négociée : d’une part, simplifier et accélérer le cours de la justice en évitant à l’accusation d’avoir à faire la preuve de la culpabilité ; d’autre part, accroître la certitude de la répression en garantissant une réponse effective à l’acte infractionnel. La privatisation a, de ce point de vue, été voulue comme un instrument de déjudiciarisation du litige pénal destiné à favoriser une résolution du litige à la fois rapide et certaine 141. En retour, ces procédures devaient inciter les acteurs privés, « prêts à accepter une sanction rapide plutôt que de subir les vicissitudes d’une procédure longue et à l’issue incertaine » 142, à s’inscrire dans une démarche de coopération avec l’autorité 135. Il faut rappeler que la négociation de sanctions dans le cadre de dispositifs transactionnels constitue, depuis la fin des années 1990, un outil privilégié des autorités de concurrence françaises et européennes. 136. J.-B. Perrier, « La convention judiciaire pour les infractions environnementales : vers une compliance environnementale », R. Dalloz 2020, p. 396. V. aussi G. Poissonnier et J.-C. Duhamel, « Convention judiciaire d’intérêt public : le 23 février 2018 fera date ! », op. cit. : « On pourrait y voir un abaissement de la fonction des organes de poursuite, réduits à négocier dans un domaine où l’on pensait indépassables les principes d’indisponibilité des poursuites, des condamnations et des peines ». 137. A. Garapon et P. Servan-Schreiber, Deals de justice, op. cit. 138. M. Galli, « Une justice pénale propre aux personnes morales », RSC 2018, p. 359. 139. Sur l’essor du consentement dans le procès pénal, v. C. Viennot, Le procès pénal accéléré : étude des transformations du jugement pénal, thèse de doctorat privé sous la direction de P. Poncela présentée et soutenue à l’université de Nanterre en 2010, §§ 260-315. 140. À la différence d’un système de justice pénale conciliatoire, de tels accords sont d’un genre particulier – et nouveau – puisqu’ils interviennent entre l’autorité publique (par l’intermédiaire du Ministère Public) et l’auteur des faits. 141. Au vu des sommes potentiellement recouvrables, les finances publiques y trouvent également un intérêt. V. notamment D. Rebut, « La CJIP au service du budget de l’État », JCP 2017, n° 49, doctr. 1297. Plus fondamentalement, « la CJIP représente un outil de justice très « stratégique ». En utilisant cette expression, on ne se réfère pas simplement à sa capacité à remplir de manière rapide et efficace les caisses du Trésor public. En effet, le fait d’assurer à l’État un bénéfice certain et rapide en lieu et place de procédures aux résultats incertains ne correspond qu’à un objectif limité et immédiat, donc plutôt à une tactique, au demeurant déjà présente dans d’autres procédures consensuelles connues de la justice pénale française ». M. Galli. « Une justice pénale propre aux personnes morales. Réflexions sur la convention judiciaire d’intérêt public », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, vol. 2, n° 2, 2018, pp. 359-385. 142. B. Quentin, « Révolution – L’avènement d’une justice répressive négociée en matière financière », La Semaine Juridique Edition Générale, n° 6, février 2017, doctr. 156. Du côté de la personne poursuivie, l’intérêt de transiger dépend de ce point de vue de l’ampleur du risque pénal encouru et des risques associés à une éventuelle mise en mouvement de l’action publique.
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publique en vue d’une issue qui leur permette de discuter les modalités de règlement de l’infraction, d’éviter l’aléa inhérent à la décision de justice et d’atténuer, si possible, les conséquences de l’infraction 143. Or, c’est un changement de paradigme radical : si l’on admet que les deux parties, accusation et défense, ont intérêt à une issue négociée plutôt qu’à un procès, elles auront naturellement vocation à rechercher des concessions l’une de l’autre (notamment sur la nature et le quantum de la sanction). L’espace pénal devient alors un processus de négociation dans lequel chacun évalue, en amont du procès, par le truchement d’un calcul coût/ avantage, les chances de succès ou d’échec de son action 144. Par ailleurs, dans de telles situations, la personne poursuivie peut faire la balance entre les avantages qu’elle sacrifie et ceux qu’elle attend : une option lui est offerte, de sorte que le cadre normatif du procès, et plus généralement, la règle procédurale, a priori impératifs, deviennent supplétifs de volonté. Enfin, l’adaptation de la réponse pénale au délinquant et la négociation entre celui-ci et l’autorité des termes du règlement du litige pénal peuvent entrer en contradiction avec le principe d’égalité devant la loi si elles aboutissent in fine à instaurer une justice « au cas par cas » 145. Outre la transaction pénale 146, trois procédures méritent d’être relevées comme illustrant, typologiquement, ce mouvement de contractualisation du procès pénal : la composition pénale et la CRPC d’une part (a), qui sont applicables indifféremment aux personnes physiques et morales, et d’autre part, la CJIP, réservée aux personnes morales (b). a) La composition pénale et la CRPC 14 - Dans la composition pénale 147 (qui se situe en amont du déclenchement des poursuites), une alternative aux poursuites est mise en œuvre par le ministère public : celui-ci propose une peine au prévenu qui reconnaît sa culpabilité. Le prévenu doit accepter la peine proposée, qui est ensuite validée par un juge 148. La responsabilité pénale est suspendue et sera écartée une fois la composition pénale pleinement exécutée, étant 143. En amont, les modalités de mise en œuvre de ces mécanismes (notamment de la CJIP) incitent les intéressés à prendre des mesures de compliance visant la prévention et le traitement du risque pénal, compliance qui recèle un certain nombre d’avantages compétitifs pour les acteurs qui s’en saisissent. V. notamment O. Chaduteau, « Quand la compliance devient un avantage compétitif », Les nouveaux défis de la compliance, RJSP, n° 16, janv. 2019. V. aussi, sur le dialogue entre la personne mise en cause et l’autorité judiciaire, l’article de K. Haeri et V. Munoz-Pons, « Lutte contre la corruption : les nouveaux enjeux du dialogue entre les juges et les régulateurs », RJSP, n° 16, janv. 2019. 144. Même s’il est vrai – et certains auteurs le relèvent à juste titre – que le calcul de l’amende d’intérêt public est « le résultat d’un rapport de force initié par le parquet ». G. Poissonnier et J.-C. Duhamel, « Convention judiciaire d’intérêt public : le 23 février 2018 fera date ! », op. cit. Plus globalement, les lignes directrices AFA-PNF semblent faire du recours à la CJIP une « faveur »accordée discrétionnairement par le ministère public à la personne morale et soumise, en tant que telle, à de strictes conditions. 145. S’agissant de la CJIP, la doctrine relève qu’elle opère une « scission de l’unité tendancielle de la justice pénale en distinguant le régime appliqué aux personnes physiques de celui applicable aux personnes morales, tout en creusant dans le même temps un clivage entre entreprises de taille et de secteur différents, avec des répercussions remarquables sur le principe d’égalité de toutes les personnes devant la loi pénale ». M. Galli, « Une justice pénale propre aux personnes morales », op. cit. 146. Instaurée à l’article 41-1-1 du code de procédure pénale par la loi n° 2014896 du 15 août 2014, la transaction pénale, qui prévoyait la possibilité pour un officier de police judiciaire de transiger avec le prévenu pour les contraventions de cinquième classe ainsi que pour certains délits, a été supprimée par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019. Elle demeure cependant valable pour les contraventions que les agents de la police municipale sont habilités à constater (article 44-1, alinéas 3 et 4 du code de procédure pénale). 147. La composition pénale est issue de la loi n° 99-515 du 23 juin 1999. 148. Article 41-2 du code de procédure pénale.
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précisé qu’à défaut, le ministère public récupérera la maîtrise de la procédure et pourra notamment décider d’engager l’action publique. Dans la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) 149 (qui constitue un mode alternatif de jugement, et non une alternative aux poursuites), alors que l’action publique est déjà enclenchée, le ministère public propose au prévenu une peine que le juge homologue 150. Une peine d’emprisonnement peut être proposée dont le quantum peut atteindre une année – avec ou sans sursis – sans excéder la moitié de la peine encourue. La présence de l’avocat est obligatoire, ce qui n’est pas le cas pour la composition pénale. Dans le cadre de la CRPC, l’homologation par le juge suppose une présentation du justiciable devant celui-ci, présentation qui doit être publique, même si elle peut se faire hors la présence du ministère public 151. Rien de tel n’est prévu pour la composition pénale, le juge n’étant même plus tenu de recevoir l’auteur ou la victime lorsque l’un ou l’autre en fait la demande. En outre, le condamné peut interjeter appel à l’encontre de l’ordonnance d’homologation de la CRPC 152. Enfin, le ministère public conserve son droit de saisir le tribunal correctionnel simultanément à l’introduction d’une CRPC pour anticiper le cas où celle-ci échouerait 153. En 2018, près de 18,10 % des procédures correctionnelles poursuivies par les parquets ont fait l’objet d’une CRPC 154. Le législateur, soucieux de développer l’attractivité de ces deux procédures originairement limitées aux affaires pénales simples 155, a élargi les pouvoirs du ministère public en lui permettant de proposer, dans le cadre d’une CRPC, une peine d’emprisonnement allant jusqu’à trois ans là où, auparavant, il ne pouvait proposer qu’une peine d’un an maximum 156. En parallèle, s’agissant de la composition pénale, le législateur a retiré au juge son pouvoir d’homologation pour les délits assortis d’une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à trois ans dès lors que la CRPC porte sur une amende qui n’excède pas 3 000 euros ou sur le dessaisissement d’un bien dont la valeur est inférieure à 3 000 euros. Le mouvement est donc plus que lancé, et la volonté du législateur, clairement affichée 157. Ces procédures, initialement réservées à des infractions mineures, concernent désormais suffisamment de délits pour qu’il soit impossible de ne pas constater leur importance et leur ratio legis. À quand l’extension de ces procédures aux crimes ? Cette privatisation ne se fait toutefois pas à sens unique. Tant dans la composition pénale que dans la CRPC, le juge est présent et paraît devoir le rester. Son rôle paraît d’ailleurs renforcé à la 149. La CRPC est issue de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 (dite « loi Perben 2 »). 150. Article 495-9 du code de procédure pénale. L’examen du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a permis au gouvernement de reconnaître que la CRPC favorise une « forme officieuse de négociation ». 151. Depuis l’intervention du législateur par l’article 499-9 du code de procédure pénale faisant suite aux débats entre la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel. 152. C’est typiquement l’hypothèse dans laquelle l’auteur de l’infraction, après avoir accepté la sanction proposée par le parquet, se ravise et préfère en définitive un débat contradictoire. 153. Article 495-15-1 du code de procédure pénale tel que résultant de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009. 154. Soit 100 608 CRPC sur un total de 555 786 auteurs ayant fait l’objet d’une poursuite correctionnelle. Données 2018 du ministère de la justice. 155. Circulaire du ministère de la Justice du 2 septembre 2004. 156. Article 59 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019. 157. L’élargissement du champ d’application de la composition pénale et de la CRPC (par la mise en l’écarte de l’idée de faible gravité) reflète d’abord une logique managériale ordinaire, qui s’inscrit dans une optique d’optimisation des coûts par le traitement rapide des affaires plus simples.
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faveur des dernières réformes 158 : alors que le refus d’homologation ne pouvait à l’origine être fondé que sur une violation des règles de la procédure 159, le juge dispose désormais d’un pouvoir d’appréciation en opportunité 160. L’étape de l’homologation devient cruciale et le juge peut prononcer le renvoi en audience publique de l’affaire si cela lui paraît motivé au regard de la nature des faits, de la personnalité du mis en cause ou de situation de la victime 161. On relèvera utilement que la composition pénale a été créée à la suite de la censure par le Conseil constitutionnel de la procédure d’« injonction pénale » qui ne prévoyait pas de contrôle juridictionnel a priori 162. La pratique s’est déjà emparée de ces deux outils, ce qui n’est pas sans poser de question lorsque l’on sait que les taux de validation des propositions faites par le ministère public sont largement majoritaires. b) La CJIP 15 - L’introduction en 2016 de la CJIP est représentative du renforcement récent de la tendance à la contractualisation du procès pénal 163. La CJIP – que l’on ne sait d’ailleurs trop comment classer : alternative aux poursuites ou création ad hoc ? – perpétue en cela un mouvement de fond entamé en 2004 avec la CRPC. En 2019, le comité d’éthique du barreau de Paris, relevant qu’en l’état du droit positif, « le juge n’est plus appelé seulement à trancher le litige mais aussi à valider une solution négociée », parlait de la CJIP comme d’une « révolution culturelle en France », dont le mouvement « dépass[e] le droit pénal » 164. Dans la CJIP, applicable à certaines infractions limitativement énumérées 165, le ministère public, de lui-même ou saisi par un juge d’instruction 166, « passe un accord » avec une personne morale consistant à abandonner les poursuites à son encontre en échange du paiement d’une amende dite « d’intérêt public » ou de la mise en œuvre de mesures de remédiation 167. À l’instar de la CRPC, le contrôle du contenu de la CJIP est confié au juge à 158. Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019. 159. Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004. 160. Article 495-9, alinéa 2 du code de procédure pénale, s’agissant de la CRPC. 161. Article 495-11-1 et article 41-2, al. 26 du code de procédure pénale. 162. Décision 95-360 DC du 2 février 1995. 163. La CJIP s’inspire directement du deffered prosecution agreement américain de 1977, repris dans d’autres législations comme le Bribery Act britannique de 2014 164. D. Soulez-Larivière, « Avis du Comité d’éthique du barreau de Paris sur l’application de la loi Sapin 2 », La Semaine Juridique Edition Générale, n° 20, mai 2019. Il n’est pas anodin de rappeler que la CJIP, qui figurait dans l’avant-projet de loi Sapin 2, avait fait l’objet d’un avis initial défavorable de la part du Conseil d’État au motif que « le dispositif envisagé ne permettrait pas à la justice pénale d’assurer pleinement sa mission, qui est de concourir à la restauration de la paix publique et à la prévention de la récidive »(Conseil d’État, avis du 24 mars 2916, n° 391.262, § 13). La mesure avait en conséquence été supprimée du projet de loi présenté au Parlement, puis réintroduite par voie d’amendement. Par ailleurs, la CJIP avait fait l’objet de querelles sémantiques lors des débats parlementaires. D’aucuns avaient souhaité la renommer « transaction judiciaire », illustrant son caractère hybride (F. Pillet, Rapport au nom de la commission des lois du Sénat, n° 712, enregistré à la présidence du Sénat le 22 juin 2016, p. 89.). Pour mémoire, le deffered prosecution agreement fait la part belle à la coopération de la personne mise en cause. Selon les Principles of Federal Prosecution of Business Organization, « Cooperation is a mitigating factor by which a corporation – just like any other subject of a criminal investigation – can gain credit in a case that otherwise is appropriate for indictment and prosecution » (US DoJ, 9-28.000 – Principles of federal prosecution of business organizations). 165. Article 41-1-2, I du code de procédure pénale. 166. Article 180-2, alinéa 1er du code de procédure pénale, étant précisé que dans ce cas, la CJIP ne peut être envisagée que si « la personne morale mise en examen reconnaît les faits et qu’elle accepte la qualification pénale retenue ». 167. Article 41-1-2 du code de procédure pénale. Le montant de l’amende d’intérêt public peut potentiellement être plus élevé que l’amende qu’un tribunal correctionnel aurait pu prononcer. V. aussi A. Mignon Colombet,
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qui il incombe de vérifier « le bien-fondé du recours à cette procédure, la régularité de son déroulement, la conformité du montant de l’amende aux limites prévues au 1° [de l’article 411-2 du code de procédure pénale] et la proportionnalité des mesures prévues aux avantages tirés des manquements » 168. Cependant, à la différence de la CRPC, la CJIP ne suppose aucune reconnaissance de culpabilité et permet à la personne mise en cause d’échapper à toute condamnation pénale (ainsi qu’aux conséquences associées à une telle condamnation, une exclusion des marchés publics notamment) 169. L’introduction de la CJIP illustre en tout cas une certaine forme de pragmatisme – et de modernité – de la part d’un législateur désireux, semble-t-il, d’ouvrir de plus en plus de fenêtres de négociation permettant d’éviter un procès 170. Les options, qui se multiplient donc en vertu d’une logique économique identique visant à garantir une efficacité maximale des poursuites, et ce à moindre coût, se diversifient aussi avec la particularité de chercher, dans le cadre de la CJIP, à privatiser le règlement des dossiers les plus techniques et les plus importants 171. Les pouvoirs publics ont en effet compris tous les bénéfices qu’ils pouvaient tirer de l’appropriation de ces nouveaux instruments par les parties prenantes : éviter des procédures qui durent souvent plusieurs années, pallier un manque de moyens matériels et humains dans des procès très complexes qui nécessitent des investigations approfondies, systématiser et rendre plus lisible la répression de certains délits 172. De l’autre côté, les personnes morales tirent parti de leur coopération avec les autorités en protégeant leur image de marque 173 et en sécurisant leur situation pénale (elles n’encourent aucune peine dans le cadre de la CJIP) 174. Mais si la CJIP s’intègre dans la tendance du système pénal contemporain à contractualiser la réponse punitive et qu’elle emprunte, à ce titre, une grande partie de son régime aux dispositifs préexistants, elle s’en détache par certains traits caractéristiques. « La convention judiciaire d’intérêt public : vers une justice de coopération ? », AJ Pénal, 2017. 168. R. Scott et R. Best, « Lutte contre la corruption – Le contrôle du juge sur la convention judiciaire d’intérêt public », Revue de la Compliance et de l’Éthique des Affaires, n° 3, juin 2019, étude 93 : « Le législateur a (...) souhaité éviter que la résolution des affaires pénales qui entrent dans son champ d’application soit livrée au seul rapport de force entre la défense et le parquet et que la CJIP soit une affaire exclusivement entre parties, sans qu’un tiers indépendant, le juge du siège, ne vienne garantir l’intérêt général de l’accord ». V. aussi O. Claude, « Réflexions sur la première convention judiciaire d’intérêt public », AJ Pénal 2018, p. 30 : « L’une des grandes interrogations que posent les accords de justice négociée sont les garanties mises en place pour que ces accords respectent la loi. S’il est en effet indispensable que les parties disposent d’une certaine liberté dans le cadre des négociations, il n’en demeure pas moins qu’il est impératif que ces CJIP restent cohérentes avec la loi et les décisions rendues par les juridictions répressives (...) Il est indispensable que le juge se saisisse pleinement de l’office que lui a confié le législateur afin de garantir sécurité juridique et équilibre entre les parties dans le cadre de la conclusion des CJIP ». 169. Article 495-11, alinéa 2 du code de procédure pénale, s’agissant de la CRPC : « L’ordonnance a les effets d’un jugement de condamnation ». 170. Il n’est pas inintéressant de relever que la CJIP a été créée l’année qui a vu naître la possibilité pour l’AMF de procéder à des transactions (appelées « compositions administratives ») en cas d’abus de marché (loi n° 2016819 du 21 juin 2016). 171. E. Breen, « La compliance, une privatisation de la régulation ? », op. cit. 172. Les lignes directrices AFA-PNF fixent des barèmes de sanction et des coefficients majorants et minorants. 173. Sur le lien entre compliance et réputation, v. l’article très complet de R.-M. Mélik et J. Chuilon-Croll, « Réputation et compliance, quels enjeux », Les nouveaux défis de la compliance, RJSP, n° 16, 2019. 174. Ce qui a été le cas à l’occasion de la CJIP conclue le 29 janvier 2020 entre le PNF et la société Airbus. V. à ce sujet H. Pascal et J. Chuilon-Croll, « Les enseignements de l’affaire Airbus : entretien avec T. Baudesson et C.-H. Boeringer », Le Grand Continent, 16 avr. 2020, [https ://legrandcontinent.eu/fr/2020/04/16/airbus-entretien-baudesson-boeringer/]
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En premier lieu, là où les autres procédures transactionnelles ne renoncent pas à l’affirmation de la responsabilité des justiciables – c’est-à-dire le fait même de « dire » la loi pénale – mais recherchent plutôt des mécanismes plus rapides pour parvenir à cette affirmation et aboutir à un taux de réponse pénale maximal 175, la CJIP fait abstraction de toute imputation de responsabilité et même de toute reconnaissance de culpabilité 176. Dans ce cadre, « la réalisation du droit pénal a lieu sans avoir recours aux impératifs de régularité procédurale imposés par le code, sans prononcé ou reconnaissance de culpabilité et sans inscription de la sanction au casier judiciaire » 177. La CJIP n’est de la sorte plus seulement un mécanisme procédural : c’est, plus globalement, un modèle de résolution des conflits, poursuivant une logique qui n’est plus exclusivement pénale mais aussi « extra-pénale » 178. En deuxième lieu, alors que les modes alternatifs de réponse pénale tels que la composition pénale et la CRPC ont en principe pour objectif de permettre une gestion efficace des flux de la délinquance quotidienne, la CJIP a, elle, pour vocation de traiter des infractions techniques, peu fréquentes, commises par de grands groupes, comprenant souvent des éléments d’extranéité et dont le niveau élevé de répression les rendrait a priori incompatibles avec des alternatives aux poursuites réservées à des infractions de faible ou moyenne gravité 179. La CJIP se présente en ce sens comme une « forme très aboutie de justice pénale négociée » 180. Forte de ses succès 181, la CJIP, initialement réservée à certaines infractions du droit pénal des affaires, devrait prochainement voir son champ d’application étendu à certaines infractions environ175. V. notamment J. Danet, La justice pénale entre rituel et management, Nantes, PUR, 2010. 176. Au contraire, la procédure de CRPC ne peut pas être mise en œuvre si le mis en cause ne reconnaît pas les faits qui lui sont reprochés (article 495-7 du code de procédure pénale). 177. E. Vergès, « La procédure pénale hybride », op. cit. 178. Dans le cadre de la CJIP, la soumission volontaire à la sanction peut notamment viser, pour l’entité, à la préservation de sa place sur le marché et de sa réputation. 179. Sur les onze CJIP conclues à ce jour, sept ont été conclues par le Parquet National Financier. 180. E. Vergès, « La procédure pénale hybride », op. cit. Jusqu’en 2018, l’infraction de corruption active d’agent public étranger, introduite en droit français en 2000, n’avait jamais été constatée à l’encontre d’une personne morale. Cass. Crim., 14 mars 2018, n° 16-11.117. « L’échec du procès pénal à réprimer la corruption internationale et, plus largement, la délinquance économique et financière des entreprises mondialisées est un constat connu ». Pour un droit européen de la compliance, rapport du groupe de travail du Club des Juristes coordonné par B. Cazeneuve et A. Gaudemet, nov. 2020, § 211. En outre, un auteur considère même que l’introduction de la CJIP en droit français ne se limite pas à une « simple transcription »de mesures d’inspiration américaines mais traduit, en raison notamment d’un contrôle poussé du juge, une « véritable acculturation juridique ». E. Breen « La « compliance », une privatisation de la régulation ? », op. cit.. 181. « À l’issue d’une étude de détail, la Commission a conclu que la CJIP, quoiqu’étrangère à la tradition juridique française, avait été rapidement appropriée par le ministère public, en particulier le procureur de la République financier (PRF) et le procureur de la République de Nanterre, et que son dispositif actuel, utilement complété par la circulaire de la Direction des affaires criminelles et des grâces du 31 janvier 2018, la dépêche de la même direction du 21 mars 2019, ainsi que les lignes directrices publiées conjointement par le PRF et l’AFA le 26 juin 2019, donnait globalement satisfaction ». Pour un droit européen de la compliance, rapport du groupe de travail du Club des Juristes coordonné par B. Cazeneuve et A. Gaudemet, nov. 2020, p. 14. Avec un record battu lors de la CJIP conclue le 29 janvier 2020 entre le PNF et la société Airbus pour un montant de 2 milliards d’euros (auxquels il faut ajouter 1,5 milliard d’euros versés aux autorités étrangères. [https://www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/ files/files/20200129%20CJIP%20AIRBUS%20sign%C3%A9e.pdf]
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nementales par transposition du modèle institué par la loi Sapin 2 182 – et ce, alors que la loi du 23 octobre 2018 a déjà étendu le champ d’application de la CJIP aux faits de fraude fiscale 183. De lege feranda, le modèle de la CJIP doit encore être parachevé et les promesses en la matière ne manquent pas. Il est vrai que la CJIP se développe actuellement aux dépens des personnes physiques, en particulier des organes ou représentants impliqués dans les faits reprochés à la personne morale, qui en sont exclus par la loi 184. Or, il est permis de penser qu’une meilleure coordination de la CJIP avec la CRPC et la composition pénale aura certainement pour effet d’accentuer le dessaisissement du juge de plus en plus d’affaires, a fortiori si le champ d’application de la CJIP est étendu 185.ê 182. Article 8 du projet de loi relatif au parquet européen et aux procédures pénales spécialisées. V. notamment J.-B. Perrier, « La convention judiciaire pour les infractions environnementales : vers une compliance environnementale », Dalloz. 2020. 396. 183. Loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018. À vrai dire, aucune raison ne justifiait de limiter le recours à la CJIP à une liste si limitée d’infractions que celle de la loi Sapin 2 (en l’occurrence, les atteintes à la probité). « Le législateur a tenu à ce que la possibilité de conclure une CJIP soit limitée à un nombre d’infractions restreint. À l’origine, seule la corruption avait vocation à entrer dans son champ d’application. Le Sénat a élargi son champ au trafic d’influence puis l’Assemblée nationale a inclus le délit de blanchiment de fraude fiscale ». O. Claude, « Réflexions sur la première convention judiciaire d’intérêt public », AJ Pénal 2018, p. 30. Dans un rapport rendu en novembre 2020, un groupe de travail considère que « le domaine d’application de la CJIP [a] naturellement vocation à être étendu à la plupart des infractions relevant de la délinquance économique et financière des entreprises, de même qu’aux infractions portant atteinte à l’environnement, sur le long terme ». Il observe, à ce propos, que « la procédure de composition administrative existant devant l’AMF [a] connu une évolution comparable ». Pour un droit européen de la compliance, rapport du groupe de travail du Club des Juristes coordonné par B. Cazeneuve et A. Gaudemet, nov. 2020, § 264. 184. Les personnes physiques, représentants légaux de la personne morale mise en cause, ne peuvent se voir proposer la conclusion d’une CJIP par le procureur de la République, à la différence de ce qu’il en est par exemple dans les deferred prosecution agreements de droit américain. Ainsi, le dispositif de la CJIP prévoit explicitement que « les représentants légaux de la personne morale mise en cause demeurent responsables en tant que personnes physiques » et, en cas d’instruction, que celle-ci « se poursuit à l’égard des autres parties ». Articles 41-1-2 et 180-2 du code de procédure pénale, au demeurant superfétatoires. Il s’ensuit que les mêmes faits peuvent donner lieu à la conclusion d’une CJIP avec la personne morale mise en cause, d’une part, et à l’exercice de poursuites à l’encontre des représentants personnes physiques de celle-ci, d’autre part. V. à ce titre D. Rebut, « Les entreprises au service de la lutte contre la corruption : commentaire des mesures anticorruption de la loi Sapin 2 », Bull. Joly Bourse, 2017, n° 1, p. 48 : « On peut penser que ces représentants seront peu enclins à consentir à la conclusion d’une convention judiciaire d’intérêt public s’ils font l’objet de poursuites pénales à titre personnel, ce qui devrait être le cas s’ils étaient en fonction au moment des faits et que ceux-ci relèvent d’une pratique au niveau de l’entreprise ». 185. V. l’excellente contribution de P. Dufourq et C. Lanta de Bérard, « Justice négociée : quel sort pour les personnes physiques », Dalloz Actualité, 9 sept. 2019. V. aussi G. Daïeff et G. Poissonnier, « Les premiers pas prometteurs de la justice négociée », La Semaine Juridique Edition Générale, n° 38, 17 sept. 2018, p. 952 : « Dans les cas où la personne morale sous enquête conduit elle-même une enquête interne, deux écueils peuvent apparaître s’agissant du traitement judiciaire des personnes physiques : le bouc émissaire et l’impunité générale ». V. enfin D. Soulez-Larivière, « Avis du Comité d’éthique du barreau de Paris sur l’application de la loi Sapin 2 », La Semaine Juridique Edition Générale, n° 20, mai 2019 : « Il faut rappeler que la CJIP n’est possible que pour les personnes morales, ce qui pose la question du sort des dirigeants et cadres, exposés à une condamnation alors que l’entreprise aura trouvé un accord. II s’agit là du respect du principe d’égalité ou à tout le moins et plus opportunément du principe d’équité. Cet aspect du problème doit ou devrait faire l’objet d’études et de propositions pour que la CJIP n’altère pas les intérêts individuels légitimes qui ne sont pas encore l’objet dans un cadre nouveau d’une réglementation spécifique ».
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Solving the Access to Justice Crisis Through Privatization : Opportunities and Concerns Trevor C.W. FARROW 1, Professor, Osgoode Hall Law School, York University ; Chair, Canadian Forum on Civil Justice
Introduction 1 - As 2020 comes to a close, the world continues to be gripped by the COVID-19 pandemic. 2 Although the widespread and ongoing tragic consequences are still very much being felt, there is some light at the end of the tunnel with the development of various vaccine therapies. That the world has gone from first discovering the virus to an operational vaccine plan in just one year is truly remarkable. It is a testament to the kinds of efforts, innovations and investments that are possible, particularly in times of crisis. At the same time, a different global problem – the access to justice crisis – continues to grow. Although experiencing a lack of access to justice is not the same as contracting COVID-19 (that is not my point here), there is no doubt that barriers to meaningful access to justice result in significant economic and social costs to individuals and societies. The access to justice crisis is a global problem for which there is currently no generally accepted or widely available solution – no vaccine on the immediate horizon. Having said that, compared to a decade or so ago, there is certainly a better understanding of the access to justice crisis and a developing sense that solutions are needed. One of those potential solutions, among others, involves privatization. Before proceeding, I acknowledge that widespread privatization within the justice field is not my preferred solution to the access to justice crisis. Ideally, fully functioning public justice systems, with robust public support, would be available to address the needs of all of those who require but cannot otherwise afford necessary legal assistance. I have been saying this for years. 3 So why do I explore the issue again in this article ? Several reasons : first, I was invited to do so as part of this special collection of articles on the topic of privatization and access to justice. Second, it has been approximately fifteen years since I first started writing about privatization and justice. 4 Much has 1. I am grateful to Megan Phyper for excellent research assistance. 2. See generally World Health Organization, « Coronavirus disease (COVID19) pandemic » (2020), https://www.who.int/emergencies/diseases/novelcoronavirus-2019. 3. See e.g., T. C.W. Farrow, Civil Justice, Privatization, and Democracy, Toronto : University of Toronto Press, 2014. See earlier T. C.W. Farrow, « Privatizing our Public Civil Justice System », Spring 2006, 9 News & Views on Civil Justice Reform 16, [https://cfcj-fcjc.org/sites/default/files/docs/news_and_views/newsviews09-en.pdf] ; T. C.W. Farrow, « Civil Justice, Privatization and Democracy », 25 March 2011, [https://papers.ssrn.com/sol3/ papers.cfm?abstract_id=1795407]. 4. See e.g., T. C.W. Farrow, « Privatizing our Public Civil Justice System », ibid.
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changed during that time, particularly with respect to access to justice. Third, there has been significant growth in the privatization of justice movement. Finally, there has not been similar growth in the availability of public funds and support for justice, resulting in a growing gap between the justice that people need and the justice that they can afford. In this article, I start by contextualizing my analysis through a brief discussion of what I mean by access to justice and privatization. I then look at several opportunities and potential challenges raised by privatization, as well as a way forward when considering possible solutions for the access to justice crisis.
1. Access to Justice A. - What is Access to Justice ? 2 - There are many different views of access to justice. In its narrower form, access to justice refers to access to the legal system, typically including courts and lawyers. This is a more procedurally-based definition, one that has often been most recognized by those within the justice system itself. There is no doubt that access to courts and lawyers is important. However, the vast number of people who experience legal problems, and the vast number of ways of dealing with legal problems – paths to justice 5 – do not typically involve courts and lawyers. According to recent Canadian research, although approximately 50% of Canadians experience a legal problem over any given threeyear period, less than 7% of those who attempt to solve their legal problems use courts or tribunals, and less than 20% obtain legal advice. 6 Comparable findings are found in many other legal needs studies around the world. 7 5. See H. Genn, Paths to Justice : What people do and think about going to law, Oxford : Hart Publishing, 1999. See further UCL Faculty of Laws, « Paths to Justice : reshaping the public’s access to the judicial system », [https:// www.ucl.ac.uk/laws/research/making-impact/paths-justice-reshapingpublics-access-judicial-system]. 6. See e.g., T. C.W. Farrow et al., Everyday Legal Problems and the Cost of Justice in Canada : Overview Report (Toronto : Canadian Forum on Civil Justice, 2016) at 9, [https://www.cfcj-fcjc.org/sites/default/files/Everyday Legal Problems and the Cost of Justice in Canada – Overview Report.pdf]. 7. See e.g., OECD/Open Society Foundations, Legal Needs Surveys and Access to Justice (Paris : OECD Publishing, May 2019) ; P. Pleasence, ’Legal Need’ and Legal Needs Surveys : A Background Paper, June 2016, [https://namati.org/wp-content/uploads/2016/11/OSJI-Legal-Needs-Surveys-BackgroundMaterials-1-An-Introduction-to-Legal-Needs-Surveys-1-v3.6-2016-06-22web_Pascoe.pdf] ; N. Aylwin & M. Gray, Selected Annotated Bibliography of National and Regional Legal Needs Surveys, Toronto : Canadian Forum
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Consistent with this research, more courts and lawyers are not what people typically want when they think about access to justice. Rather, research shows that people ultimately want safe streets, safe homes, food on the table, ongoing employment, an efficient and safe way to deal with a failed marriage, and the like. 8 These more outcome-focused goals are the focus of a modern understanding of access to justice, which is premised on the idea that « affordable and timely paths to justice are available to individuals and are well calibrated to their particular needs and situation. » 9 This more expansive understanding of access to justice puts the user of the system – people – squarely at the centre of an « Access to Justice 2.0 » definition. 10 This understanding of access to justice also sees a justice system that is not only accessible to, but inclusive and reflective of those it is designed to serve. 11 Finally, while criminal law is clearly important, an expansive understanding of meaningful access to justice recognizes that, according to numerous legal needs studies, the vast majority of legal problems – including serious and life-altering legal challenges – are not criminal but rather civil and family in nature. 12
B. - Access to Justice Crisis 3 - Even with a better understanding of what we mean by access to justice, there is a growing gap around the world between those who need justice and those who can access it. According to the Task Force on Justice, « 5.1 billion people – two-thirds of the world’s population – lack meaningful access to justice. » 13 This growing gap has been referred to by many, including Canada’s former Chief Justice, as an access to justice « crisis ». 14 on Civil Justice, 2015, [https://www.cfcj-fcjc.org/sites/default/files/CFCJ Cost of Justice Project – Selected Annotated Bibliography.pdf] ; See further M. Trebilcock, A. Duggan & L. Sossin, eds., Middle Income Access to Justice, Toronto : University of Toronto Press, 2012, pt. 2. 8. See e.g., T. C.W. Farrow, What is Access to Justice ?, 51 :3 Osgoode Hall Law Journal, 2014, p. 957 [https://digitalcommons.osgoode.yorku.ca/cgi/ viewcontent.cgi?article=2761&amp ;context=ohlj]. See further Canada’s Action Committee on Access to Justice in Civil and Family Matters, Civil & Family Justice : A Roadmap for Change (Ottawa : Action Committee on Access to Justice in Civil and Family Matters, October 2013) at 9, [https:// www.cfcj-fcjc.org/sites/default/files/docs/2013/ AC_Report_English_Final.pdf]. 9. T. C.W. Farrow & L. A. Jacobs, « Taking Meaningful Access to Justice in Canada Seriously » in T. C.W. Farrow & L. A. Jacobs, eds., The Justice Crisis : The Cost and Value of Accessing Law, Vancouver : University of British Columbia Press, 2020, at 8. See earlier T. C.W. Farrow, « A New Wave of Access to Justice Reform in Canada » in A. Dodek & A.Woolley, eds., In Search of the Ethical Lawyer : Stories from the Canadian Legal Profession, Vancouver : University of British Columbia Press, 2016, c. 8. 10. See T. C.W. Farrow & L. A. Jacobs, « Taking Meaningful Access to Justice in Canada Seriously », ibid. at 6-9. See earlier T. C.W. Farrow, « What is Access to Justice ? », supra note 8 ; Ab Currie, « The Legal Problems of Everyday Life : The Nature, Extent and Consequences of Justiciable Problems Experienced by Canadians », Ottawa : Department of Justice Canada, 2009 ; R. L. Sandefur, « Access to What ? », Dædalus 49, Winter 2019, [https:// www.justice.gc.ca/eng/rp-pr/csj-sjc/jsp-sjp/rr07_la1-rr07_aj1/ rr07_la1.pdf]. 11. See T. C.W. Farrow & L. A. Jacobs, « Taking Meaningful Access to Justice in Canada Seriously », ibid. at 6-9 ; T. C.W. Farrow, « What is Access to Justice ? », ibid. See earlier R. A. Macdonald, « Access to Justice in Canada Today : Scope, Scale and Ambitions » in J. Bass, W.A. Bogart & F. H. Zemans, eds., Access to Justice for a New Century – The Way Forward, Toronto : Law Society of Upper Canada, 2005, 19. 12. See e.g., T. C.W. Farrow et al., Everyday Legal Problems and the Cost of Justice in Canada, supra note 6 at 8. 13. Task Force on Justice, Justice for All – Final Report (New York : Center on International Cooperation, 2019) at 18, [https://www.justice.sdg16.plus/ report]. 14. See e.g., B. McLachlin, « As courts reopen, let’s focus on creating equitable access to justice for all » The Globe and Mail, 10 July 2020, updated 27 August 2020, [https://www.theglobeandmail.com/opinion/article-as-courtsreopen-lets-focus-on-creating-equitable-access-to-justice/].
Research shows that a lack of access to justice has significant social and financial consequences for individuals and societies. For example, in Canada, people spend on average over Cdn. $6,000 ( €3,800) to deal with a legal problem, 15 which is not significantly less than what an average household would spend on food in a given year. 16 Equally important are the social and health-related impacts on individuals, as well as the millions of dollars in annual knock-on costs to public, social and health care services, which result from a lack of adequate access to justice. 17
C. - Signs of Change 4 - Notwithstanding this crisis, the good news is that there are some signs of change. 18 First, not only is the crisis starting to be recognized, there is a growing sense around the world that meaningful access to justice is important not only for individual wellbeing, but also for sustainable societal development. 19 Further, collaborative efforts are being made to address the crisis. 20 Through research, policy discussions and design thinking, an increasing number of people, organizations and governments are exploring different kinds of public and private solutions to the access to justice crisis. 21 Although much is left to be done, we do seem to be moving in the right direction.
2. Privatization 5 - Solving the access to justice crisis will likely involve a range of different solutions. There is a growing body of research, based on a wide-ranging number of initiatives around the world, which demonstrates that investments in justice result in significant positive returns on those investments. 22 For that reason alone, public investments in justice should be widely supported, not to mention other important principle, practical and policy-based reasons for providing citizens with adequate access to justice. However, notwithstanding that the « business case » has been 15. See e.g., T. C.W. Farrow et al., Everyday Legal Problems and the Cost of Justice in Canada, supra note 6 at 12-14. 16. Ibid. 17. Ibid. at 12-19. 18. See generally T. C.W. Farrow, « 10 Steps Forward on the Way to Justice for All », Pathfinders : October 2020, [https://medium.com/sdg16plus/ten-stepsforward-on-the-way-to-justice-for-all-c84cae998e1d]. 19. See e.g., United Nations Sustainable Development Goals, « Goal 16 : Promote just, peaceful and inclusive societies », [https://www.un.org/sustainabledevelopment/peace-justice/] ; OECD, « Access to Justice », [https:// www.oecd.org/gov/access-to-justice.htm] ; the World Bank, « Justice and Development », [https://www.worldbank.org/en/topic/governance/brief/ justice-rights-and-public-safety]. In Canada, see Action Committee on Access to Justice in Civil and Family Matters, « Justice Development Goals », [http://www.justicedevelopmentgoals.ca]. 20. See e.g., the recent Global Week for Justice (19-24 October 2020), hosted by Canada’s Department of Justice in collaboration with Open Government Partnership, OECD and Pathfinders for Peaceful, Just and Inclusive Societies, [https://www.justice.sdg16.plus/globalweek]. 21. See e.g., T. C.W. Farrow, « 10 Steps Forward on the Way to Justice for All », supra note 18 at step 6. 22. See L. Moore & T. C.W. Farrow, Investing in Justice : A Literature Review in Support of the Case for Improved Access, Toronto : Canadian Forum on Civil Justice, August 2019, [https://cfcj-fcjc.org/wp-content/uploads/Investing-inJustice-A-Literature-Review-in-Support-of-the-Case-for-Improved-Access-byLisa-Moore-and-Trevor-C-W-Farrow.pdf]. See also Task Force on Justice, Justice for All – Final Report, supra note 13 at c. 2 ; OECD and World Justice Project, Building a Business Case for Access to Justice, [https:// www.oecd.org/gov/building-a-business-case-for-access-to-justice.pdf] ; M. Barendrecht (lead author) et al., Charging for Justice : SDG 16.3 Trend Report 2020, The Hague : Hiil, 2020, [https://www.hiil.org/wp-content/ uploads/2020/04/HiiL-report-Charging-for-Justice-3.pdf] ; G. Harley et al., A Tool for Justice : The Cost Benefit Analysis of Legal Aid, Washington : World Bank, September 2019), [http://documents1.worldbank.org/curated/ en/592901569218028553/pdf/A-Tool-for-Justice-The-Cost-Benefit-Analysisof-Legal-Aid.pdf].
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made, there continues to be a significant lack of public funding and support for justice services. 23 While current prospects of significant increases in public justice budgets seem elusive, opportunities and calls for other initiatives and actors to fill the gap are growing, including calls for « lawyers, judges, and justice officials to [...] get out of the way ». 24 It is this collection of other initiatives and actors – including various state-sanctioned and other forms of justice-related initiatives – that amount to what I consider to be the « privatization » of justice. For the purpose of this article, privatization initiatives are those, whether state-sanctioned or not, which are generally (although not always exclusively) characterized by one or more of the following descriptions : - they are often funded through private sources ; - they involve procedures and rules that are at least partially determined by private actors ; - their processes or results are not always open to the public ; - they have the potential to be profit-driven ; - third parties may have significant involvement ; and/or - governments may have little or no control or impact on their development or deployment. I admit that this list includes a wide array of potential initiatives and considerations. My present goal is not a precise definition but rather a roughly framed categorization. In sum, however, privatization initiatives look and operate more like typical market-driven initiatives (e.g., private arbitration, online apps, insurance, etc.) as opposed to government funded processes (e.g., courts, legal aid, etc.). Having said that, there is often overlap, either with an actual initiative, through mixed public/private funding, or because of underlying regulatory forces (e.g., courtbased mediation, private lawyers, etc.).
A. - Opportunities 6 - Calls for innovations and improvements to the accessibility and delivery of justice services have been around for a long time, including private options for change. The growth of the modern alternative dispute resolution (ADR) movement is a particularly prominent example. 25 Although far from complete, a sampling of privatization initiatives – involving long-standing and wellestablished structures as well as more modern experiments and innovations – is set out below. - Various forms of dispute resolution (e.g., international and domestic arbitration and mediation, court and tribunalconnected dispute resolution, online dispute resolution). 26 - Private funding and investment opportunities (e.g., legal expense insurance, third party litigation funding, social enterprise, other forms of justice investments). 27 23. See e.g., L. Moore & M. Perlmutter, « Public Spending on Access to Justice : Where Do We Go From Here ? » in T. C.W. Farrow & L. A. Jacobs, eds., The Justice Crisis : The Cost and Value of Accessing Law, supra note 9 at c. 3. 24. J. Furlong, « Access to Justice Is Not (Just) About Lawyers and Judges », Slaw, 5 October 2020, [http://www.slaw.ca/2020/10/05/access-to-justice-is-notabout-lawyers-and-judges/]. 25. See e.g., T. C.W. Farrow, Civil Justice, Privatization, and Democracy, supra note 3 at cc. 3-5. 26. See e.g., ibid. at cc. 3-4. See further American Arbitration Association, https:// adr.org ; British Columbia, Civil Resolution Tribunal, [https:// civilresolutionbc.ca] ; Government of Nova Scotia, « Online Dispute Resolution for Family Legal Matters a First in Canada », News Release, 23 October 2020, [https://novascotia.ca/news/] (select « Justice » in Department tab). See generally Richard Susskind, Online Courts and the Future of Justice (Oxford : Oxford University Press, 2019). 27. See e.g., M. Barendrecht (lead author) et al., Charging for Justice : SDG 16.3 Trend Report, 2020, supra note 22 ; M. J. Trebilcock, A. Duggan & L. Sossin, eds., Middle Income Access to Justice, supra note 7 at cc. 8, 13 ; L. Sossin & D. Kapoor, « Social Enterprise, Social Innovation, and Access to Justice »
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- Regulatory initiatives and expanding legal service markets (e.g., legal service reform, multidisciplinary practices, regulatory « sandboxes », 28 paralegals, online providers). 29 - Expanding opportunities for other forms of legal assistance (e.g., intermediaries, consultants, community-based justice initiatives). 30 - Online legal information initiatives (e.g., education and information offerings on major social media and other platforms). 31 - Technology and artificial intelligence (AI)-based initiatives (e.g., smart forms, apps, AI in courts and tribunals). 32 - Legal incubators and research hubs (e.g., university-based and other innovation centres). 33 Although the purpose of this article is not to catalogue all privatization efforts or to debate the relative strengths and merits of individual initiatives, taken together there is no doubt that several brief observations can be drawn. First, if there were a debate about whether or not privatization initiatives should be taken seriously as viable items on the menu of access to justice solutions, I think it is fair to say, « that ship has sailed ». As this short sampling of privatization initiatives demonstrates, a huge amount is happening, and more is on the way. Second, given the current lack of public funding and support available to fill the access to justice gap, providing more access to justice, however that in T. C.W. Farrow & L. A. Jacobs, eds., The Justice Crisis : The Cost and Value of Accessing Law, supra note 9 at c. 11. 28. See e.g., The Law Society of British Columbia, « Law Society taking steps to expand access to legal services », 4 November 2020, [https://www.lawsociety.bc.ca/about-us/news-and-publications/news/2020/law-society-takingsteps-to-expand-access-to-legal/] ; J. Furlong, « The Paradigm Shift of Regulatory Sandboxes », Slaw, 17 December 2020, [http://www.slaw.ca/2020/ 12/17/the-paradigm-shift-of-regulatory-sandboxes/]. 29. See e.g., The Law Society of British Columbia, « Anticipating Changes in the Delivery of Legal Services and the Legal Profession », Final Report of the Futures Task Force, 10 September 2020, [https://www.lawsociety.bc.ca/ Website/media/Shared/docs/initiatives/ 2020FuturesTaskForceReport.pdf]. See generally A. Woolley & T. C.W. Farrow, « Addressing Access to Justice Through New Legal Service Providers : Opportunities and Challenges », 3 Texas A&M L. Rev., 2015-2016, 549, [https://scholarship.law.tamu.edu/cgi/ viewcontent.cgi?article=1092&context=lawreview] ; R. Susskind & D. Susskind, The Future of the Professions : How Technology Will Transform the Work of Human Experts, Oxford : Oxford University Press, 2015 ; M. Trebilcock, « Prices, Costs, and Access to Justice », in T. C.W. Farrow & L. A. Jacobs, eds., The Justice Crisis : The Cost and Value of Accessing Law, supra note 9 at c. 1 ; Noel Semple, Legal Services Regulation at the Crossroads : Justitia’s Legions (London : Edward Elgar, 2015). 30. See e.g., Canadian Forum on Civil Justice, Community Based Justice Research (CBJR) Project, [https://cfcj-fcjc.org/our-projects/community-basedjustice-research-cbjr/] ; J. Mathews & D. Wiseman, « Community Justice Help : Advancing Community-Based Access to Justice », Toronto : Community Legal Education Ontario, June 2020, [https://cleoconnect.ca/wp-content/ uploads/2020/07/Community-Justice-Help-Advancing-Community-BasedAccess-to-Justice_discussion-paper-July-2020.pdf] ; M. J. Trebilcock, A. Duggan & L. Sossin, eds., Middle Income Access to Justice, supra note 7 at pt. 4. 31. See e.g., A. Balakrishnan, « Consumers turn to Facebook, instant messages for access to justice », Law Times, 31 October 2019. 32. See e.g., J. McGill, S. Bouclin & A. Salyzyn, « Mobile and Web-based Legal Apps : Opportunities, Risks and Information Gaps », 15 :2 C.J.L.T., 2017, 299, [https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2960207] ; L. Embley, « Introduction to AI for Courts » (produced by the Joint Technology Committee, established by the Conference of State Court Administrators, National Association for Court Management & National Center for State Courts, adopted 27 March 2020), [https://www.ncsc.org/__data/assets/pdf_file/0013/20830/2020-04-02-intro-to-ai-for-courts_final.pdf] ; B. Alarie, A. Niblett & A. Yoon, « How Artificial Intelligence Will Affect the Practice of Law », 7 November 2017, [https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3066816] ; Susskind & Susskind, The Future of the Professions : How Technology Will Transform the Work of Human Experts, supra note 29. 33. See e.g., Legal Innovation Zone ; Hague Institute for Innovation of Law ; Winkler Institute for Dispute Resolution ; Legal Design Lab ; Laboratoire de Cyberjustice ; Canadian Forum on Civil Justice, among others. See also the earlier discussion about regulatory « sandboxes », supra note 28 and accompanying text.
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happens, is arguably a good thing (for the long term or at least until more public support emerges). Third, as various reviews, evaluations, opinions and reports suggest, access to justice benefits are being realized through many of these efforts. 34 Fourth, given current legal needs and the growing demand for legal services, 35 including the rising number of self-represented litigants, 36 it is likely that – without a total shift in policy toward a massive increase in public funding for justice services, whether in the form of dramatically expanded legal aid, universal legal care, etc. – privatization efforts may well be a necessary part of any general meaningful access to justice solution. Finally, given COVID-19-related backlogs and challenges experienced by justice system providers and users around the world, 37 calls for more private efforts are growing louder, not softer. 38
B. - Concerns 7 - Although a long-standing critic of the privatization movement, 39 I have always acknowledged – as again evidenced by the brief discussion about opportunities above – the possibilities and potential merits of various privatization initiatives. Given the growing number and sophistication of those initiatives, together with the ongoing lack of adequate public support for justice and the growing gap between those who need justice and those who can afford it, my interest in those potential merits has only grown over the past number of years. However, notwithstanding that growing interest, I continue to have serious concerns about suggested solutions to the access to justice crisis that rely heavily or almost exclusively on the private sector or through heavily privatized initiatives. Several of those concerns are briefly identified below. - Privatization initiatives, or at least justifications for those initiatives, are often under-theorized and under-researched. Put differently, there is often a lack of data to support a shift to, or the merits of a particular process or procedural regime, 40 particularly with respect to how different justice options impact peoples’ lives. 41 - Following from my first concern, proponents of privatization initiatives, specifically including some ADR initiatives, often overstate their benefits, particularly without adequate empirical justification. 42 - Efficiency and profit-seeking motives often drive privatization innovations, which do not necessarily advance justice in all 34. See T. C.W. Farrow, Civil Justice, Privatization, and Democracy, supra note 3 at c. 5. See further recently e.g. J. Mathews & D. Wiseman, « Community Justice Help : Advancing Community-Based Access to Justice », supra note 30. 35. See e.g., T. C.W. Farrow et al., Everyday Legal Problems and the Cost of Justice in Canada, supra note 6 ; G. K. Hadfield, Rules for a Flat World : Why Humans Invented Law and How to Reinvent It for a Complex Global Economy, Oxford : Oxford University Press, 2016. 36. See e.g., generally National Self-Represented Litigants Project, [https:// representingyourselfcanada.com]. 37. See e.g., N. Brockbank, « Calls for free civil legal advice are up 72% in Ontario this year because of COVID-19 », CBC News, 21 December 2020, [https://www.cbc.ca/news/canada/toronto/ontario-free-civil-legal-hotlinedemand-up-1.5845540]. 38. See e.g., E. Raymer, « Pandemic accelerates ’explosion in arbitration’ », Lexpert, 27 November 2020, [https://lexpert.ca/article/pandemicaccelerates-explosion-in-arbitration/?p=29|179&sitecode=SE-LIT]. 39. See supra note 3 and accompanying text. 40. See e.g., C. V. Giabardo, « Private Justice : The Privatisation of Dispute Resolution and the Crisis of Law », 4 Wolverhampton L.J., 2020, 14,0 [https:// papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3679932]. 41. See e.g., Canadian Forum on Civil Justice, « Measuring the Impact of Legal Service Interventions », 2019-2020, [https://cfcj-fcjc.org/our-projects/ measuring-legal-service-interventions/]. 42. See e.g., T. C.W. Farrow, Civil Justice, Privatization, and Democracy, supra note 3 at c. 6.
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contexts, but rather in those contexts in which private interests – responsive to those who can afford justice – are promoted. 43 - Concerns about diminished procedural protections and increased power imbalances, particularly for vulnerable groups, are often amplified in the context of privatized processes. 44 - The development and advancement of the common law, through the publication of precedents, is compromised by privatized dispute resolution regimes, with important issues and areas of law not being jurisprudentially monitored or developed. 45 - With the potential diminishment of the common law come concomitant challenges to general rule of law principles and values, including open courts, transparent processes, published cases, and independent, regulated, accountable and legitimate justice system actors and regimes. 46 - Together, the various concerns raised above have a potential negative impact on democratic governance through a diminution of attention to important public interest values as well as an attenuation of society’s collective ability to understand, debate, assess and influence the quality of justice that is produced by various dispute resolution bodies. The result is an impoverished ability to understand, shape and resolve individual disputes as well as collective standards, norms, goals, expectations and behaviours. 47 Relying on my earlier work, the former Lord Chief Justice of England and Wales summarized a number of these concerns as follows : « Conceived of as a service, and one that does no more than resolve disputes – whether civil, family, criminal, public law or private law – there is little perhaps to differentiate [the judiciary] from various forms of alternative dispute resolution. Any distinction between formal and informal justice begins, if it is not already on this view, to be lost. Worse than that, formal justice collapses into informal justice. [...] 43. See e.g., ibid. 44. See e.g., ibid. See also J. Resnik, « A2J/A2K : Access to Justice, Access to Knowledge, and Economic Inequalities in Open Courts and Arbitrations », 96 :3 N.C.L. Rev., 2018, 605, [https://digitalcommons.law.yale.edu/ fss_papers/5348/]. 45. See e.g., T. C.W. Farrow, Civil Justice, Privatization, and Democracy, ibid. at cc. 6-7 ; C. V. Giabardo, « Should Alternative Dispute Resolution Mechanisms Be Mandatory ? Rethinking Access to Court and Civil Adjudication in an Age of Austerity », 44 Exeter L. Rev., 2017, 25, [https://www.exeterlawreview.org] ; J. M. Glover, « Disappearing Claims and the Erosion of Substantive Law », 124 Yale L.J., 2015, 3052, [https:// scholarship.law.georgetown.edu/facpub/1409/] ; J. Resnik, « Diffusing Disputes : The Public in the Private of Arbitration, the Private in Courts, and the Erasure of Rights », 124 Yale L.J., 2015, 2804, [https://www.yalelawjournal.org/pdf/d.2804.Resnik.2939_nz7yew68.pdf] ; M. Gilles, « The Day Doctrine Died : Private Arbitration and the End of Law », 6 :2 U. Ill. L. Rev., 2016, 371, [https://illinoislawreview.org/wp-content/uploads/2016/05/ Gilles.pdf] ; W. Martin, A.C., « Alternative Dispute Resolution – A Misnomer ? », ADR Address 2018, 6 March 2018, [https:// www.disputescentre.com.au/wp-content/uploads/2018/04/Wayne-MartinAustralian-Disputes-Centre-ADR-Address-2018-Alternative....pdf]. 46. See e.g., T. C.W. Farrow, Civil Justice, Privatization, and Democracy, ibid. at c. 2 ; T. Zoroska Kamilovska, « Privatization of Civil Justice : Is It Undermining or Promoting the Rule of Law ? », 1 :6 Access J. E. Eur., 2020, 34, [http://ajee-journal.com/upload/attaches/att_1587630537.pdf]. 47. See e.g., T. C.W Farrow, Civil Justice, Privatization, and Democracy, ibid. at c. 6 ; J. Resnik, « A2J/A2K : Access to Justice, Access to Knowledge, and Economic Inequalities in Open Courts and Arbitrations », supra note 44 ; J. Resnik, « Diffusing Disputes : The Public in the Private of Arbitration, the Private in Courts, and the Erasure of Rights », supra note 45 ; J. Resnik, « The Contingency of Openness in Courts : Changing the Experiences and Logics of the Public’s Role in Court-Based ADR », 15 :3 Nev. L.J., 2015, 1631, [https://scholars.law.unlv.edu/cgi/ viewcontent.cgi?article=1648&context=nlj] ; S. Anwar-Ahmed Martinez, « The Rise of Mediation and Its Erosive Effect on the Rule of Law in Dispute Resolution », 6 :1 S.O.A.S. L.J., 2019, 265 ; W. Martin, A.C., « Alternative Dispute Resolution – A Misnomer ? », supra note 45.
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If the justice system is no more than a state monopoly providing exactly the same benefits to individuals as the London Court of International Arbitration, one of any number of mediation services, or, for instance, the Furniture Ombudsman, then the next logical question is why should the state maintain that monopoly ? Its danger lies equally in the fact that it might facilitate the false belief that the justice system is in the same category of public services as education and the health service. It is not. It is in the same category as Parliament and the Executive. It forms part of the institutional framework which safeguards the rule of law and underpins democracy ». 48 Also relying on my earlier work, the Supreme Court of Canada similarly framed some of these concerns – particularly with respect to dispute resolution – as follows : « [C]ourt adjudication [...] is a public good. Courts are not merely ’law-making and applying venues’ ; they are institutions of ’public norm generation and legitimation, which guide the formation and understanding of relationships in pluralistic and democratic societies’ [...] ». 49
3. A Way Forward 8 - Notwithstanding the many potential benefits created by increasing space and opportunities for the development of privatization initiatives, I continue to have serious concerns – largely connected to the public interest values running through the several concerns identified above – about looking to those initiatives as the primary solutions to the access to justice crisis. Taking the former Lord Chief Justice of England and Wales seriously, what is at stake is a fundamental aspect of the « institutional framework which safeguards the rule of law and underpins democracy. » 50 However, before championing only the merits of public justice, it is important to acknowledge several important considerations, which are set out below : - The status quo, which at least in many countries is still largely anchored around a public justice system, is not meeting the needs of many – if not most – people. The current access to justice crisis makes that point very clearly. - Even where public justice systems are thought to work fairly well, with independent lawyers and judges and relatively wellrecognized and respected rule of law values, those systems continue to alienate and exclude many parts of society. 51 - Even if public justice were the ideal, there seems to be little current appetite to increase the amount of public funds that would be necessary adequately to support a widely accessible public system (notwithstanding the economic and other merits of doing so) 52. A way forward, therefore, combines the merits of both public and private justice initiatives. Such a mixed approach might (and in some cases already does) include some or all of the following elements and considerations. 48. Rt. Hon. Lord Thomas of Cwmgiedd, Lord Chief Justice of England and Wales, « The Centrality of Justice : Its Contribution to Society, and its Delivery », Lord Williams of Mostyn Memorial Lecture (10 November 2015) at paras. 9, 12, citing T. C.W. Farrow, Civil Justice, Privatization, and Democracy, ibid, [https://www.judiciary.uk/wp-content/uploads/2015/11/lordwilliams-of-mostyn-lecture-nov-2015.pdf]. 49. Douez v. Facebook, Inc., 2017 SCC 33 at para. 25, citing T. CW. Farrow, Civil Justice, Privatization, and Democracy, ibid. at 41, [http://canlii.ca/t/ h4g1b]. 50. Supra note 48. 51. See e.g., generally Truth and Reconciliation Commission of Canada, [http:// www.trc.ca] ; National Inquiry into Missing and Murdered Indigenous Women and Girls, [https://www.mmiwg-ffada.ca]. See further T. C.W. Farrow, « What is Access to Justice? », supra note 8. 52. See supra note 22 and accompanying text.
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A. - Legal Service Regulation 9 - Some type of ongoing legal service regulation should continue to be in place, in the form of law society or other similar rules, codes and oversight, designed to protect the public through a recognition and advancement of important public interest values. At the same time, we must recognize that a relatively small cadre of elite private lawyers alone, with a monopoly over the delivery of legal services, almost certainly cannot fully bridge the growing access to justice gap. Something needs to be done, likely through a combination of an expansion of permissible forms of legal service delivery (through lawyers, paralegals, virtual assistance, community justice, other private providers, etc.), a further shift toward multidisciplinary practices and – where appropriate – an active embrace of technological innovation. This vision of future legal service regulation retains a strong – foundational – place for lawyers. My worry about the current rush to open up legal service regulation is that it fails to adequately recognize, in many instances, that an online portal, smart form, or a remote provider is not what some people and some problems need, particularly those living in precarious circumstances. However, whatever future legal services look like, they need to be made fully responsive and accessible to those who need them.
B. - Funding 10 - The current funding model for justice – involving legal aid for the most vulnerable combined with little to no funding for all else – leaves too many people without adequate assistance. A more robust model could include either an expansion of public legal aid funding (for more people and more types of problems) and/or more space for private funding (for example in the forms of third-party funding, social enterprises and more widely available legal insurance). Given the importance and costs of everyday legal problems, which most people will face throughout their lives, it is time to have a serious conversation about universal legal care (whether public, private or more likely some combination of the two). For the middle class, fairly easy solutions could involve adding legal insurance to group benefits plans, credit cards benefits, and home insurance and other policies (some of which is already happening). For the more vulnerable, legal aid could potentially be expanded, particularly given the economic savings that would result. For the wealthy, in addition to personal funding and standard group benefits, further private insurance could also be made available.
C. - Courts and Tribunals 11 - Courts and tribunals need to retain their ability to combine, as recognized by the Supreme Court of Canada, their « important law-making and applying » functions as well as their « public norm generation and legitimation » functions. 53 Courts and tribunals also need to be accessible, otherwise they are of no use to the vast majority of people they are meant to serve. We also need to acknowledge that, while public courts and tribunals should be open, they are not free – someone needs to pay for them. Embracing modernization through innovation will help improve accessibility. Furthermore, not all cases need the benefit of full public justice. However, rather than setting up an either-or model – either full public justice or more private justice – a more expansive, flexible and nimble vision of public justice 53. See supra note 49.
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needs to be further imagined. In essence, the idea amounts to « getting good justice for everyone, not perfect justice for a lucky few ». 54 Although private ADR will retain a prominent role, continuing to explore and promote modernization, innovation and inclusion within the public court and tribunal systems – remote/online hearings, summary oral hearings, other less formal or traditional proceedings, further time and other limits, potential court fees for some institutional users and extended hearings, etc. – all need further consideration and support.
Conclusion 12 - The global COVID-19 pandemic has brought more change to the justice system in the past six months than has
54. Rt. Hon. Richard Wagner, P.C., Chief Justice of Canada, « Access to Justice : A Social Imperative », Remarks on the Occasion of the 7th Annual Pro Bono Conference, Vancouver, British Columbia, 4 October 2018, [https:// www.scc-csc.ca/judges-juges/spe-dis/rw-2018-10-04-eng.aspx].
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occurred over the past sixty years. 55 Governments, lawyers, courts and legal educators have adapted quickly. As I have said elsewhere, not only is the result generally a good news story coming out of a terrible world event, this also shows that rapid modernization can happen within the justice system. 56 A modernization agenda that includes some elements of privatization may likely be the most practical way to address the breadth and depth of the current global access to justice crisis. However, in whatever form and with whatever combination of public and private innovations, such an agenda must only be seriously pursued if we can actively embrace the merits of privatization without jeopardizing core public interest values. I fear the cost of doing otherwise would be too high. At the moment, it is far from clear that the rush to modernize, including an enthusiastic embrace of privatization, is being done with adequate attention to those public interest values.ê 55. See e.g., Canadian Forum on Civil Justice, « COVID-19 Resources » (update 17 December 2020), [https://cfcj-fcjc.org/covid-19-resources/] ; OECD and Law and Justice Foundation of New South Wales, Access to justice and the COVID-19 pandemic, 25 September 2020, [https://www.oecd.org/ coronavirus/en/policy-responses]. 56. T. C.W. Farrow, « 10 Steps Forward on the Way to Justice for All », supra note 18.
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Privatization of justice and the Creation of Inequality Katharina PISTOR, Edwin B. Parker Professor of Comparative Law at Columbia Law School and director of the Law School’s Center on Global Legal Transformation.
1. Private Law and the State 1 - « What is law ? » is a question that is debated to this day. In its formal incarnation as statutory law, codifications and as state law, law is associated with the state and with state power. Still, there is an alternative view that suggests the Law functions as a set of general rules that are not only accepted as binding but also as enforceable, and do not depend on the state and its coercive powers. As long as there exists an authority that stipulates the rules that all parties accept, enforcement can be left to members of a community or to market participants 1. Unpacking the relation between law and power helps address two inter-related normative questions : who sets, or should set, the rules that private actors may use when organizing their relations with one another, and who should enforce them ? There are at least three possibilities. First, as suggested by Hadfield and Weingast, a central legal authority pronounces a set of rules which private parties, including private parties who are not directly affected by any infringements, help enforce with the expectation that others will come to their aid in the future. Second, private parties fashion their own rules but rely on state courts and state bailiffs to enforce them. And third, a state centralizes rulemaking and enforcement, leaving relatively little scope for private parties in the creation of legal norms. Instead, the state-made rules are conceived as binding constraints within which they may operate as they see fit. Hadfield and Weingast argue that their depiction of centrally pronounced and de-centrally enforced rules depicts legal orders prior to the rise of nation states, citing among others Icelandic self-governance in the Middle Ages. Most non-lawyers, but also most institutional economists, assume that the third variant is the norm. States set the rules within which individuals may operate and enforce breaches of these rules by force if necessary. Douglas North, who received the Nobel memorial prize for his work on institutional economics, defines institutions as humanly devised constraints on actions and idealizes the state as a neutral arbiter that optimizes constraints and their enforcement 2. My own research suggests that the second variant is perhaps the most important mix of rules and power, at least for the system of capitalism. As I discuss in greater detail in my recent book « The Code of Capital : How the Law Creates Wealth and Inequality », private attorneys have learned how to pick and choose rules from one or more legal systems and use them to fashion new assets on 1. G. K. Hadfield, B. R. Weingast, What is Law ? A Coordination Model of the Characteristics of Legal Order, Journal of Legal Analysis, volume 4, issue 2, winter 2012, pages 471-514. 2. D. C. North, Institutions, Institutional Change and Economic Performance, Cambridge University Press, 1990.
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behalf of their clients, while relying on the state’s coercive powers to enforce them when needed 3. Admittedly, private parties don’t just invent their own rules. Rather, they employ existing legal institutions, the « modules » of the code of capital, as I call them, combine and recombine them, take advantage of gaps in existing rules and regulations or reason by analogy – all the while making sure that the transactions and assets they create will in all likelihood be deemed legal. Only then can they be enforced by a court of law, and preferably not only in the court of a country whose laws have been employed, but also in courts in other jurisdictions.
2. Coding Capital 2 - Coding capital is a process by which core institutions of private law are used to fashion new assets for individuals or entities, the asset holders. The body of law that we call « private law » is law backed by state power not withstanding it being labeled as private. In civil law jurisdictions such as France or Germany, these institutions have long been codified by the legislature in civil and commercial codes. These codifications did not create these institutions from scratch ; rather, they compiled existing practices and, by codifying them, recognized them as law. In common law jurisdictions, such recognition occurs mostly, though not exclusively, in case law. Once private practices of legal ordering are recognized as legal, they form standard modules for future private ordering. Critically, this ratification into law does not freeze these newly adopted practices once and for all. Changes in the environment and in technology, as well as the very nature of goods traded and investments made in markets, create new challenges and opportunities for market participants and their lawyers. They adapt the modules of the legal code to meet these challenges and ensure that the law works to protect their assets and interests. Moreover, they have long discovered that law itself can become a source for minting new assets. Financial claims and savvy know-how can be dressed in the garb of law to give them the quality of ownable and tradable assets, which can then be turned into wealth-generating or capital assets with further modular add-ons. For centuries, a handful of legal modules have been used to code capital for asset holders who had the means to hire lawyers with a mastery of the most sophisticated coding strategies. The modules they have used time and again consist of the core institutions of private law : property, collateral, corporate, bankruptcy and contracts law, and in common law jurisdictions 3. K. Pistor, The Code of Capital : How the Law Creates Wealth and Inequality, Princeton University Press, 2019.
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the most ingenious device of all, the trust. These modules are used to rank claims to assets, giving some stronger and others weaker claims. In short, they create priority rights to an asset – one of four attributes of capital. This is the domain of property and collateral law. They can also be employed to make an asset more durable in the hands of an asset holder by protecting it from various groups of creditors. Corporate and trust law make it possible to separate asset pools with the help of legal shields – the separation of control rights from economic benefits or the creation of separate legal entities that have the power to own assets themselves – that ensure that only the creditors of the corporation, but not the personal creditors of the corporation’s shareholders, can put their hands on the assets of the firm – and vice versa. And as the law grew more permissive and allowed corporations themselves to act as owners of other corporations, corporate empires could be created that artfully protected different asset pools from all but the immediate creditors of the entity that owned them. Durability, the second attribute of the code of capital does a lot of work creating wealth for asset holders, because it makes it possible for asset pools to incubate and multiply over time. For diversified holders of financial assets, i.e. for the owners of shares, bonds, securitized assets, credit derivatives and so forth, durability is less important than convertibility, the third attribute of capital. The goal of financial investors is to achieve high returns on their portfolio by selling assets that are in danger of losing value and buying others that promise higher returns. Whereas the old landed elites sought to hold on to their mansions and estates for generations, for financial investors who are selling and buying financial assets continuously, favour and entry is the preferred strategy. In times of crisis, they wish to sell their assets and convert them into legal tender – into dollar, pounds, or euros – to lock in past gains. State-issued money is of little interest to investors as long as markets are operating smoothly, that is, as long as most investors believe that their portfolio will produce gains. However, when markets turn, investors head for the exit and seek to convert private into state issued assets : into sovereign debt, or better yet, sovereign currency. There is a simple reason for why state money is of so high demand in times of crisis : Unlike privately issued assets, state money does not lose its nominal value and by the time inflation might cut into its real value, markets are most likely up and running again and investors will turn their attention to different assets 4. The fourth and final attribute of capital, universality, ensures that the legal privileges of priority, durability and/or convertibility will be protected and enforced erga omnes, against anybody, whether or not they participated in the initial allocation of these legal privileges. By recognizing and promising to enforce private property rights, separate corporate personality, or legal rights to convert one asset into another, the state lends credibility to these assets and the legal code they were built on. Potential buyers will be less concerned with the identity of the original owner, debtor, or assets issuer, as long as they can rely on the enforceability of the abstract legal claim that is on offer. In this way, legal coding ensures the scalability of economic relations from small groups where mutual monitoring is feasible to anonymous national or even global markets. Importantly, the legal modules that are used to graft priority, durability or convertibility onto different types of interests, resources, or know-how, are not static. The institutions of private law are fairly malleable ; they create space for private parties to 4. M. Ricks, The Money Problem : Rethinking Financial Regulation, University of Chicago Press, 2016.
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exercise their own judgment and pursue their own interests as long as they stay within the bounds set by law. In wielding the ability to combine and recombine old modules to fashion new capital assets and in acquiring the sophistication to do so, lies the power of private attorneys and the source of wealth of their clients. As always, line drawing becomes critical : what is the proper scope for private autonomy when private parties ultimately want to invoke state law and the control over the means of coercion that come with it ? Law, after all is a public, not a private good. It is an expression of the collective will of society : that these are the rules by which it and its members shall be governed. In the past, states restricted the use of modules to specific purposes or subjected them to approval rights. Prior to setting up a corporation, state approval was required in many jurisdictions until well into the second half of the nineteenth century. Most states in the United States did not allow corporations to hold shares in other corporations, thus preventing the proliferation of corporate groups 5. These and other restrictions have been relaxed or even discarded under the constant pressure of asset holders and their lawyers who have turned law itself into a valuegenerating tool. While some rules may have served little purpose beyond reassuring legislatures when they freed private parties from state tutelage, others ensured that corporate law and the corporate form would be degraded to an asset minting device. Restrictions of the corporation’s powers to repurchase its own shares or to multiply subsidiaries for the sole purpose of engaging in tax or regulatory arbitrage are such examples. The last bastion of the state’s prerogative to set the rules of private law is property rights. Most legal systems still maintain the principle that only those interests that the state has explicitly deemed worthy of property rights protection shall be granted priority and universality. While private parties enjoy extensive autonomy to design their contractual relations, property rights are different. Contracting parties bind only each other and cannot impose obligations on others. Property rights, however, do just that. They create legal privileges that are universally enforceable. Traditionally, civil law jurisdictions have policed the boundary between contracts and property rights quite rigorously. The common law system, in contrast, is more flexible. The best-known example for this is the trust, a contractual alteration of property rights that did not even have to be made public to have legal validity. In a common law trust, an owner (the settlor) can designate some of his assets to be placed in a trust that is held by a trustee on behalf of another person, the beneficiary. The original owner transfers formal rights over the assets and the economic benefits that accrue from them to a trust – a legal creature that lacks its own governance structure and whose only purpose in life is to shield assets from different claimants and allocate them to the final user in accordance with the will of the original owner. As long as the assets are in the trust, a trustee exercises formal property rights over them, but not over their economic benefits, which are owed ultimately to the beneficiary. In effect, a trust allows an owner of assets to shield them from his own creditors without endangering them to the creditors of the trustee or even the beneficiary. The trust achieved legal recognition not without a fight. The predecessor of the trust, the use, was severely restricted in 1535 by King Henry VIII in the Statute of the Use, mostly because it had been employed primarily to avoid taxes and other fees the 5. K. Pistor, et al., The Evolution of Corporate Law : A Cross-Country Comparison, University of Pennsylvania Journal of International Economic Law, 23, 2002, page 791.
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King had levied on the land owning elites 6. From what was left of the use emerged the trust, a close sibling that was designed to avoid the restrictions of the use. Courts recognized this new device, and no other major attempts were made to curtail its powers. In the meantime, the trust has evolved into one of the most versatile legal tools for avoiding taxes and protecting private wealth over generations. It is also a staple legal module in asset securitization and the fashioning of credit derivatives, such as collateral debt or loan obligations, for which the clear delineation of assets from the risks associated with their previous owners is critical. The blurring of the line between contracts and contract law goes well beyond the common law trust. With regards to financial assets in particular, it has become exceedingly difficult to distinguish between a contractual claim to payment and the right to an asset, such as a note or bond, and it is often treated as a property right that can be sold, pledged, and even re-hypothesized.
3. The Privatization of Law 3 - The evolution of private law can be described as a process of expanding the autonomy of market participants as they fashion law to their liking, a process that might be labeled as the privatization of private law. Some will argue that this is how it ought to be ; private parties know best what is best for them and not only the goods and services they wish to buy, produce and sell, or the types of companies they wish to establish, but also what rules should govern them. Students of corporate law in the United States have hailed the process of state competition for corporations as producing a corporate law that best serves shareholders and their interests to maximize shareholder value 7. Some have even called this quasi-commodification of law the « genius » of corporate law and have advocated a similar process for securities regulation, if not other areas of the law 8. In the European Union (EU), similar arguments have fostered case law by the Court of Justice of the EU (CJEU), according to which restrictions on the choice of law for incorporating an entity may coincidentally be deemed restrictions on the free movement of persons and capital – principles that are protected by European treaty law and may be curtailed only by overriding concerns of public policy 9. When economic activities are not confined to a single legal system, the following question arises, which legal system may they draw on to claim property rights, incorporate firms, and draft contracts ? This question preceded the rise of nation states ; the creation of integrated national legal orders resolved some issues, but also created new problems. National legal systems eventually prevailed over rules that were attached to locality, status, or place of origin, 10 while also erecting new legal borders for outsiders. In response, countries adopted legal rules – also called ’international private law’, or choice-of-law or conflict-of-lawrules –– that determined which legal order shall govern disputes 6. W. F. Fratcher, Uses of Uses, 34 Missouri Law Review, n° 39, 1969. 7. W. J. Carney, The Political Economy of Competition for Corporate Charters, 26 Journal of Legal Studies 303, 1997. 8. R. Romano, The Genius of American Corporate Law,1993 ; Empowering Investors : A Market Approach to Securities Regulation, 107 The Yale Law Journal 2359,1998. 9. E-M. Kieninger, The Law Applicable to Corporations in the EC, 73 Rabels Zeitschrift Für Ausländisches Und Internationales Privatrecht / The Rabel Journal of Comparative and International Private Law 607, 2009. 10. Exceptions prove the rule : in the US, private law lies for the most part in the hands of states, not the federation.
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when more than one is in play 11. For property law, most countries choose the place where the object is located. For contracts, private parties were given greater leeway in choosing the law that should govern their relations. Finally, for corporate law, legal systems were divided between those that preferred a location rule (the real seat theory) and others that opted for private autonomy so that company founders could choose where to incorporate, resting assured that their legal entity would be recognized pretty much anywhere 12. The rules governing choice of law are often regarded as arcane and rarely receive enough attention to staff entire courses in legal education. And yet, they are the foundations for global markets and indeed have become a source of competition in these markets in their own right 13. If companies can be established at lower costs and with increasingly less restrictive tax rules in one jurisdiction, but are recognized as valid creatures of the law in others, then the right choice of law becomes value-creating. It is also the final stepping stone to the privatization of law. If some can pick and choose the laws by which they are governed and are guaranteed portability of the legal privileges thus created, while others are not even aware of these choices, lack the resources to hire lawyers to make a value-adding choice, or find that this is too expensive given the value of their transaction, then the notion of a common legal order disintegrates. To be sure, this notion has always been more an ideal than a reality because the ability to avail oneself of law is tied to resources, which are not equally distributed. Still, the shift towards a system in which the well-resourced can create entirely private legal orders that are anchored in one or, perhaps, two legal systems, but reach deep into many others, is a qualitative shift. It destabilizes the sense of being bound by a common order, one that democratic polities can alter collectively by their free will. By granting the best resourced individuals and entities the option to substitute their own rules as they please, this runs counter to a shared order and erodes its legitimacy.
4. Denial of Justice 4 - Privatizing law, one might argue, is not the same as privatizing justice. It is conceivable, indeed, that justice is best served by facilitating choice among different legal orders. Consider a legal order that oppresses women or minorities. Giving them the option to invoke a different legal order without having to leave their surroundings would certainly empower them. It might also serve as a « magnet » for changing the oppressive rules in their own community, at least if the relevant legal authorities fear that too many might opt out and thereby erode their authority 14. More generally, competition between legal orders has been said to have fostered the emergence of the rule of law –– social orders that are governed and bound by rules that are general, predictable and fair. In the history of Europe, the ability to take a case governed by local rules to a city, church, or state court has, as Harold Berman claimed, arguably advanced the rise of legal orders that constrain legal authorities themselves and subjected them to the same rules as everyone else 15. It follows that the relation between the ability to choose one’s law and justice may be less clear cut than the argument deve11. H. E. Yntema, The Historic Bases of Private International Law, 2 American Journal of Comparative Law 297, 1953. 12. B. Akkermans, E. Ramaekers, Free Movement of Goods and Property Law, 19 European Law Journal 237, 2013. 13. R. Michaels, The True Lex Mercatoria : Law Beyond the State, 14 Indiana Journal of Global Legal Studies 447, 2007. 14. G. Aldashev, et al., Formal Law as a Magnet to Reform Custom, 60 Economic Development and Cultural Change 795, 2012. 15. H. J. Berman, Law And Revolution, Harvard University Press, 1983.
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loped in the previous section might suggest. The question then is less one of principle – choice versus no choice – but rather one, first about who gets to take an exit option from the existing order without losing access to the state’s coercive enforcement powers, and second, how to find the right balance between an option out and a social order that is built on a shared normative foundation. To get to the bottom of the first question, consider the stark contrast between legal persons on the one hand and slaves on the other in the US in the nineteenth century. Whereas the Commerce Clause in the country’s constitution was invoked to make sure that a corporation established in one state of the union could take the law from that state to wherever else it wanted to do business, in contrast, slaves were tied to the property rights of the slave holding states. They could not freely seek citizenship elsewhere and were forcibly returned to their former owners after fleeing from the South in the hopes of gaining freedom in the North 16. Morally speaking, there is no doubt that the slaves had a much better case for opting out of their legal system than did corporations. Yet, they were denied the choice that was given to abstract legal entities, and it is not difficult to detect the reasons for this contradiction. Powerful economic interests in the North colluded with the slave holding elites in the South. After all, slaves served as valuable collateral for the credits that many Northern financiers extended to the South 17. A full account of the political economy of choice of law rules awaits to be written. Existing accounts, however, suggest that the evolution of these rules has followed the same path as the evolution of the legal modules that have been and continue to be used to code capital. Overwhelmingly, they serve the economically and politically powerful, not the suppressed 18. Only in the context of 16. K. Boodry, August Belmont and the World the Slaves Made, in Slavery’s Capitalism : A New History Of American Economic Development, Sven Beckert & Seth Rockman eds., 2016. 17. C. Schermerhorn, Slave Trading in a Republic of Credit : Financial Architecture of the US Slave Market, 1815-1840, 36 Slavery & Abolition 586, 2015. 18. H. Muir Watt, Private International Law Beyond the Schism, 2 Transnational Legal theory 347, 2011.
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fluid power relations may regulatory competition likewise serve the powerless in search of justice. In contrast, when the choice of law offers additional advantages in service to the powerful without regards as to how these choices might affect the rest, the outcome is not only the privatization of justice, but it is the denial of justice. This denial is especially true when the chosen law is used to arbitrate around restrictions in local law that are meant to strike a balance between the powerful and the powerless. Even in the hypothetical scenario in which the choice of law benefits primarily the oppressed, it is obvious that if too many opt out of the prevailing order, then order cannot be maintained. After all, social orders cannot exist without a set of shared norms and beliefs 19. The inherent danger of a wide-spread opt out suggests that this measure should be reserved primarily for the ones seeking to escape an unjust legal order, not simply an inconvenient one. Opt-outs should be available especially to those who cannot physically exit and might at least find solace in protecting their interests with law drawn from a different jurisdiction, whether foreign or international law. Of course, this is a naïve proposition, as the oppressed will be unable to enforce these rules effectively to protect themselves. The example does, however, serve a heuristic purpose : if opt-outs or opt-ins cannot serve those who are most deserving of them, then why grant this privilege to the powerful for whom the choice of law is nothing more than a convenience, a way to reduce the cost of doing business ? Allowing them to arbitrate around rules and regulations without paying the price of relocating to the jurisdiction of their favored rules or foregoing the enforcement of these laws where they happen to do business, undermines basic principles of fairness and thereby erodes the power of law and the central role of law in self-governing democracies. It creates an unjust advantage for them and thereby furthers inequality, which is created by access to the law even within legal systems.ê
19. G. M. Hodgson, On the Institutional Foundations of Law : The Insufficiency of Custom and Private Ordering, 43 Journal of Economic Issues 143, 2009.
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Les vertus du jugement à l’aune du processus de privatisation de la justice Entretien réalisé le 12 novembre 2020 avec Geoffroy de LAGASNERIE 1
La Revue des Juristes de Sciences Po : Nous constatons qu’il y a une tendance à soumettre la résolution de différends à d’autres modes qu’un jugement rendu par la justice étatique. Nous pensons que les justiciables qui s’orientent vers de tels modes s’y retrouvent pour toutes sortes de raisons : parce qu’ils estiment qu’une autre forme de justice prendra mieux en compte leur situation personnelle par exemple, ou parce qu’ils n’aiment pas le caractère public de la justice étatique, ou encore parce qu’ils préfèrent travailler à une solution ensemble plutôt que d’avoir un tiers qui décide pour eux de l’issue du conflit, comme c’est le cas pour la médiation par exemple. Nous avons donc le sentiment que la justice étatique ne répond plus tout à fait aux besoins de certains justiciables. C’est particulièrement le cas entre justiciables privés ; dans des domaines qui sont soit familiaux, soit commerciaux, soit civils. On commence également à voir apparaître ce phénomène dans le cadre de la justice pénale, mais uniquement dans le droit pénal des affaires, où cela a été initié essentiellement par les autorités américaines qui, elles aussi, trouvaient leur compte à ce que l’enquête soit faite par les entreprises suspectées elles-mêmes et par leurs avocats. La négociation de la sanction diminue l’aléa pour les juridictions et rend son paiement plus certain puisqu’il n’y a pas de condamnation mais une sanction qui intervient au terme d’un accord. Concernant les conflits individuels et notamment familiaux, on préfère généralement confier à un tiers le soin d’essayer de rapprocher les parties et de travailler à un accord. Geoffroy de Lagasnerie : De fait, depuis un certain nombre d’années, il y a une crise très forte de la logique de la répression. Il y a eu de la part, ou des particuliers, ou des intellectuels, et même de la théorie juridique, une méfiance et une critique de plus en plus forte de l’État pénal, soit d’un point de vue administratif, du fait de ses lenteurs, soit d’un point de vue économique, de par son coût, ou d’un point de vue de sa légitimité politique ou encore théorique. Cela produit une nécessité d’inventer d’autres formes de règlement des litiges. L’arbitrage en est un très bon exemple. La médiation, la question de la justice réparatrice ou de la justice transitionnelle en sont d’autres car elles activent des formes de gestion des conflits qui sont alternatives à la répression pénale. En même temps, des formes de gestion de la sortie des conflits alternatives à l’État pénal ont toujours existé. Tout groupe social ou toute institution a toujours essayé de mettre en place des modalités autonomes de gestion des conflits à l’abri du regard de l’État. On peut penser par exemple aux litiges 1. Philosophe et sociologue, Professeur à l’École Nationale Supérieure d’Arts de Paris Cergy, Auteur notamment de La Conscience Politique (Fayard, 2019) et de Juger (Fayard, 2016).
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internes à la mafia et au grand banditisme, ou encore à la famille. Il y a toujours eu dans une société une forme de bataille sur la manière de résoudre un conflit. L’État doit-il avoir le monopole de la gestion des conflits ? Peut-on lui faire confiance pour les gérer ? Peut-on régler un conflit sans l’État ? Je ne sais pas si on peut faire un portrait général de l’évolution d’une société à travers un prisme de « la privatisation de la justice ». Il y a des secteurs qui s’étatisent plus : aujourd’hui les questions des crimes sexuels, de discriminations raciales, etc. sont de plus en plus gérées pénalement et de moins en moins informellement : le mouvement #MeToo porte en lui l’exigence de davantage porter plainte, davantage dénoncer. À l’inverse, dans d’autres domaines qui ont plutôt à voir avec les affaires et la question économique, les litiges sont gérés de plus en plus de manière immanente, par le biais de l’arbitrage ou d’une manière non pénale. Je dirais donc qu’il y a des mouvements de privatisation et des mouvements de publicisation, ou de pénalisation qui sont en fait relatifs à deux images différentes de ce qu’est rendre justice, et de ce qu’est la place de l’État dans la gestion des conflits inter-individuels, et qui renvoient à une appréhension de la fonction de l’État et du rôle de l’État et de la punition dans la société. Quand on réfléchit aux formes de justice privée ou du moins alternatives à l’État pénal – car l’État peut organiser de la gestion non pénale –, je dirais que les critères importants sont ceux du pluralisme et de l’immanence. Les formes de gestion des conflits qui ne sont pas prédéfinies par l’État pénal ne sont pas homogènes même pour des situations a priori identiques. Ce qu’on peut appeler la « privatisation de la justice », ce serait pour moi la capacité des individus à avoir recours à différentes manières de gérer les conflits, et non pas à une seule qui serait l’État pénal qui uniformise nos manières de rendre la justice. C’est ainsi qu’on peut effectivement, selon les cas, avoir affaire à l’arbitrage, la médiation, la justice réparatrice, et pourquoi pas à rien du tout si on ne le souhaite pas etc... La privatisation de la justice, c’est la formulation de l’exigence du droit à pluraliser le sens de ce que veut dire rendre la justice. RJSP : Au fond, est ce que vous pensez qu’il y a plusieurs fonctions à la justice étatique, dont l’une est la réparation du préjudice subi par la victime au pénal, et, d’autre part, une fonction, qui est plus régalienne en quelque sorte, de maintien de l’ordre ? GL : Je dirais que la justice étatique, quand elle est pénale en tout cas, se définit par le fait d’ajouter du crime au crime. Le fait de réparer le dommage qu’on a subi, de devoir dédommager une victime, c’est quelque chose qui n’est pas propre à la justice étatique et qui est propre un peu à toute idée de justice que l’on se forme spontanément. Quand il y a un vol, une agression, le fait que la personne qui est auteur doit dédommager la personne constitue plutôt une acception banale de
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l’idée de la justice. C’est une façon intuitive de comprendre ce que signifie rendre la justice. Donc, quand l’État fait ça, l’État fait quelque chose qui est banal et qui est la prolongation de conception non étatique ou non proprement étatique. Même les anarchistes peuvent très bien accepter cette position. Les libertariens considèrent même qu’en fait la justice d’État devrait seulement avoir pour rôle d’imposer un dédommagement, ce qui revient à penser toute la question du crime et de la justice sur le mode d’un crédit et d’un débit – qui est selon moi la seule manière légitime de le faire. Le propre de l’État se situe dans le fait qu’il va ajouter quelque chose à la logique du dédommagement ou de la réparation : A travers les notions d’ordre public ou d’intérêt de la société, il va ajouter des catégories transcendantes et abstraites et de ce fait ajouter du crime au crime. En effet, l’État pénal repose sur une transmutation de tout crime inter-individuel en crime contre la société dont il serait lui-même victime et il demande aux auteurs de donner à cette victime imaginaire qu’il dit être du temps et de l’argent sous la forme de la prison et de l’amende. Ce qui fait que la frontière entre droit commun, droit politique, crime ordinaire, crime politique est très fragile dans l’État pénal parce qu’en fait tout crime est considéré comme crime contre l’État et c’est en ce sens qu’il est puni. Pour moi, la figure du procureur doit vraiment être remise en question dans sa légitimité, encore plus que celle du juge. La figure du procureur est nécessairement liée à une opération à travers laquelle l’État invoque des catégories transcendantes pour transmuer la vérité du crime et nier la vérité de la société (qui est le pluralisme et l’immanence) en construisant une notion abstraite (l’ordre public) qui aurait ses propres intérêts et sa logique propre. La justice étatique, c’est la justice dont l’État devient à la fois membre et partie ; c’est la théorie d’Alexandre Kojève pour laquelle le problème de la justice contemporaine, c’est que celle-ci est biaisée parce que l’État occupe deux positions : celle de juge et celle de partie par la figure du procureur, et que de ce point de vue-là, tous les procès sont inéquitables. RJSP : Vous avez évoqué la figure du juge et celle du procureur. Dans les cours d’assises que vous avez arpentées lors de l’écriture de votre livre Juger, il y a aussi la figure du jury populaire. Selon vous, une part de la légitimité du système pénal de jugement déployé par l’État ne réside-t-elle pas dans le fait que les cours d’assises comprennent des jurys populaires ? Pour poursuivre un peu la question sur l’actualité, avec l’extension récente de l’expérimentation des cours criminelles, seulement composées de magistrats professionnels et dénoncées par de nombreux avocats pénalistes comme la « mort de la cour d’assises », comment percevezvous l’impact de cette diminution du rôle des jurés populaires sur la légitimité des jugements rendus par l’État ? GL : Je pense qu’on ne peut analyser la politique – c’est un peu le thème général de mon livre La Conscience politique – que si l’on s’affranchit du concept de légitimité. C’est un concept qui n’est jamais opératoire. La personne qui est malgré elle contrainte de comparaître devant une cour, qui va être humiliée publiquement et va peut-être faire des dizaines d’années de réclusion criminelle, qui conteste son geste ne vit pas la sanction comme étant légitime. Un jugement, par construction, cela fracture le monde ; c’est quelqu’un qui impose quelque chose à quelqu’un d’autre, malgré le fait qu’il ne le veuille pas : aller en prison, payer une amende, être humilié publiquement. Cette instance qu’est la justice ne pose par conséquent pas un problème de légitimité. Je pense que si vous prenez l’exemple de Salah Abdeslam, il pourrait y avoir 200 jurés, il ne pensera pas la sanction qui va s’abattre sur lui en termes de légitimité. Quand vous agissez politiquement, et donc aussi quand vous jugez, c’est une partie de la population qui s’en prend à une autre. Donc, ce n’est jamais « le peuple » qui juge : ceci une fiction. Ce sont quelques personnes qui vont décider du sort d’une, deux ou trois personnes, peu importe. La problématique de la légitimité n’est pas pertinente pour comprendre l’opération à l’œuvre dans tout processus de
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jugement dans sa vérité. Vous êtes malgré vous pris dans un monde que vous ne reconnaissez pas et des individus ont le pouvoir, en vertu de leur position, de vous imposer d’être séquestré ou de perdre de l’argent, en vertu de lois que souvent vous n’avez même pas voté. C’est la procédure judiciaire. Je ne crois pas du tout à la pertinence de la notion de légitimité, c’est pour cela que je suis toujours un peu étonné par les avocats lorsque, comme vous le dites, ils vont défendre une institution comme la cour d’assises en invoquant ses mythes (c’est le peuple qui juge). Non, ce n’est pas le peuple qui juge (l’accusé fait partie du peuple), ce sont quelques personnes qui invoquent une mystification comme le peuple pour rendre des avis qui sont les leurs ; il est d’ailleurs rare qu’il y ait unanimité sur la culpabilité et la peine. Je ne pense pas qu’il soit intéressant de regarder une institution à partir de ses mythes. Ce n’est pas parce que la cour d’assises dit que c’est le peuple qui juge et qu’il en va de la légitimité populaire que c’est le cas. Je suis plutôt de ceux qui pensent que plus la justice ira vers une certaine forme de rationalité, moins elle sera violente. Pour moi, la rationalité par exemple c’est l’écrit. Je crois beaucoup à la procédure écrite. François Saint-Pierre, qui est un avocat que j’aime beaucoup et que je respecte énormément, avait dit par exemple qu’il était pour la procédure écrite en cour d’assises, pour la disparition des jurys populaires, parce que précisément, cela permettrait d’avoir une procédure plus rationnelle comprenant, par exemple, la rédaction d’avis dissidents... RJSP : On peut imaginer aussi une sorte d’effet vertueux qui résiderait dans le fait que ceux qui jugent seraient amenés à devoir expliquer publiquement les raisons du jugement et feraient dès lors plus attention à ce qu’ils diraient. Ils seraient ainsi d’autant plus soucieux de la précision des motifs en quelque sorte. GL : Absolument. Après il faut malgré tout toujours avoir en tête la nécessité de s’affranchir d’une espèce d’obsession constituante de la théorie juridique et de la théorie politique, qui est d’essayer de nier la part violente de tout ordre juridico-politique et de vouloir faire comme s’il était possible, en fin de compte, que la personne jugée ou réprimée l’accepte et le reconnaisse voire le veuille elle-même. Il y a cette théorie de Michel Foucault qui dit que l’obsession des juges pour l’aveu vient du fait qu’ils voudraient s’épargner l’acte de juger. La personne se jugeant elle-même et avouant sa culpabilité, les juges n’auraient plus à juger et se sentiraient un peu déchargés de leur responsabilité et du pouvoir qu’il y a entre leurs mains. Dans la Théorie de la Justice de John Rawls, cela fonctionne un peu de la même façon : l’idée de légitimité, de reconnaissance et de rationalité sert à se demander si l’on pourrait trouver un ordre politique où même les individus qui seraient en désaccord avec les lois le reconnaîtraient finalement en dernière instance. Mais élaborer une théorie politique rationnelle nécessite de rompre avec cette thématique autodestructrice et contradictoire dans ses propres termes. S’il y a des Lois, s’il y a de la contrainte, s’il y a de la justice pénale ; c’est que quelqu’un ne reconnaît pas, que quelqu’un ne veut pas, que quelqu’un veut faire autre chose que ce qui est posé comme la Loi, que quelqu’un se débat et qu’à un moment, il y a une dimension irréductible de la question politique ou de la question judiciaire qui demeure celle de l’antagonisme radical – dont la figure du terroriste ou de l’anarchiste confronté à l’appareil d’État est la figure la plus forte. Thierry Lévy a beaucoup réfléchi là-dessus. RJSP : Sur la question de la violence, on peut observer que l’exécution des jugements en matière pénale implique violence, du fait de l’intervention de la puissance publique, dès lors comment voyez-vous l’exécution du jugement dans un système judiciaire moins violent ? Est-il possible d’envisager un système moins violent, tout en garantissant une effectivité dans la décision judiciaire ? GL : Votre question implique de poser une question plus large : un État non pénal est-il possible ? Est-ce possible dans
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un monde d’antagonisme ? C’est une vaste question. Même dans une procédure purement inter-individuelle de gestion des conflits, si vous ne payez pas vos dommages-intérêts, vous risquez en fin de compte la prison. Donc, est ce que même la justice civile ne présuppose pas la justice pénale ? Cela pose la question : une justice qui ne repose pas toujours en dernière instance sur quelque chose de l’ordre d’une contrainte non voulue est-elle possible ? En un sens, il est difficile de penser que non. Je ne suis pas quelqu’un de naïf, mais je dis quand même que le but d’une théorie oppositionnelle de la justice – à mon avis, c’est pour cela que la justice est une question dont il faut toujours un petit peu se méfier – doit aussi consister à aborder ces questions sous un angle un peu différent. D’abord, il faut se méfier d’un présupposé qui travaille toute notre discussion depuis le début qui consiste à faire comme s’il allait de soi que le délit ou le crime introduit un déséquilibre qu’il fallait réparer (comme si en quelque sorte l’ordre du monde était harmonieux avant l’illégalisme)... Rendre la justice, ce serait annuler l’acte illégal. Mais dans un monde injuste, mauvais, violent, n’est-il pas possible que parfois ce soit au contraire l’acte illégal en quelque sorte qui rende la justice... En sorte qu’il n’y a pas nécessairement à devoir y répondre. D’autre part, nous devons veiller à ne pas être absorbés par la question judiciaire. Politiquement l’objectif n’est pas tellement de réfléchir à comment les gens peuvent porter plainte ou être indemnisés, mais de faire en sorte qu’il n’y ait pas de dommages qui soient infligés. Quand vous réfléchissez à la justice pénale, souvent les gens n’aiment pas entendre ça mais c’est vrai et toutes les statistiques l’ont montré, les déterminations sociales à produire des illégalismes violents sont majeures. Aux assises, on voit des pauvres, des Noirs, des Arabes, des migrants, des sans-papiers, des clochards, et c’est tout ce que l’on voit : on ne voit que ça. On sait que 90 % des meurtres sont commis par les fractions précarisées des catégories populaires et cela est vrai dans tous les États occidentaux. Il y a un moment où la question de la justice ne doit pas seulement être abordée ex post (comment punir) mais ex ante : comment faire en sorte que les conditions de vie soient telles que les gens ne produisent plus d’illégalismes ou ne produisent plus d’actes violents. Cela aboutit à la nécessité de mener des transformations économiques, sociales, sur les questions d’éducation, de la masculinité, de logement, de conditions de vie... Quand vous demandiez si l’on peut gérer de façon non violente la sanction, je dis toujours qu’il est important de réfléchir à ces questions, mais que le plus important est de créer un monde dans lequel les gens ne font plus subir de traumatismes aux autres. C’est quand même ça l’objectif d’une réflexion sur la justice, pas de prendre comme un donné la production d’illégalismes et de s’interroger seulement ensuite sur la manière de les gérer. La justice a pour effet, comme dispositif mental, de nous orienter vers une problématique répressive ex-post, plutôt que vers la problématique ex-ante des conditions de la commission des illégalismes eux-mêmes. Il ne faut pas abandonner cette thématique. RJSP : Dans l’ouvrage d’Antoine Garapon et Pierre ServanSchreiber, Deals de justice : Le marché américain de l’obéissance mondialisée, une des critiques formulées sur cette façon de négocier un deal avec les autorités était, qu’au fond, une fois le deal conclu, comme dans la plupart des cas, il n’y a pas de reconnaissance de culpabilité. Les entreprises qui ont été suspectées d’avoir commis des fraudes ou des irrégularités disent qu’elles n’ont rien reconnu, qu’elles ont mis fin à un début de procédure en acceptant un certain nombre de choses, y compris de faire un gros chèque. Il était donc soutenu que ce qui pose problème là-dedans, c’est que le concept de « véridiction », cher à Foucault, n’existe plus. Qui peut dire ce qui était juste ou si ce ne l’était pas, si cela valait ça ou si cela valait moins ou plus, si vraiment les entreprises qui ont accepté ces deals l’ont fait sciemment et délibérément pour essayer de frauder ou si cela est dû à une faute individuelle au sein de l’entreprise ? Au fond, on ne le
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saura jamais. On sait simplement qu’il y a eu des suspicions et que cela s’est réglé par un accord transactionnel. Selon vous, du point de vue de la société, n’est-il pas dommage d’arriver à un système où il n’y a plus de véridiction ? GL : J’allais vous dire que je crois qu’il est établi maintenant que si l’on cherche la vérité il faut sortir de la logique pénale. Penser la justice pénale comme dispositif de véridiction me paraît problématique parce qu’à partir du moment où il y a exposition à la sanction, les gens vont plutôt avoir intérêt à nier ou à diminuer leur responsabilité ou à cacher la vérité de ce qu’ils ont fait, ou à se rejeter la faute les uns sur les autres. D’autre part, la justice pénale repose sur une perception individualisante de la réalité qui est contradictoire avec la vérité de l’ancrage sociologique de nos actes. Un procès pénal n’est pas le lieu où la vérité éclate. En général, tout le monde ment, manipule, reconstruit... D’ailleurs, quand on a réfléchi, notamment à propos des crimes très graves, à la nécessité de reconstituer la vérité d’une séquence, que ce soit pour des crimes sexuels par exemple, ou des génocides, on a très souvent été amené à sortir de la justice pénale pour mettre en place des formes de justice réparatrice ou des formes de justice transitionnelle qui fonctionnent très différemment. Quand il a fallu comprendre quelle est la vérité d’un crime ou d’un moment historique, on s’est rendu compte que la justice pénale n’était pas la manière adéquate d’accéder à la vérité. Cette question-là est d’autant plus importante que beaucoup de victimes, notamment de crimes sexuels, mais aussi d’autres formes de crimes violents, disent que ce qui les a frappées dans la violence de la procédure pénale – parce qu’il ne faut jamais oublier la violence de la procédure pénale sur les victimes aussi – c’est qu’on n’a jamais accès à la vérité. Beaucoup ont dit : « Je préfère que mon agresseur prenne une peine plus réduite, mais qu’au moins je sache la vérité ; qu’il reconnaisse qu’il m’a violée ou qu’il a tué un membre de ma famille, plutôt que de mentir comme ça parce qu’il a peur de la peine ». Parfois, le procès pénal est plutôt un lieu de dissimulation de ce qu’il s’est passé, beaucoup plus qu’un processus de véridiction. L’accès à la vérité ne passe pas par la pénalisation de l’auteur. Je suis tout à fait d’accord avec l’idée selon laquelle on peut réfléchir à la vertu apaisante, et même la vertu critique de la vérité. Il y a eu un cas très célèbre en Suède où une jeune fille a été violée par l’un de ses compagnons d’école dans un dortoir d’étudiant. Elle a porté plainte, il a fait de la prison. Ensuite, quand il est sorti, elle l’a retrouvé et ils ont fait une pièce de théâtre ensemble où ils sont tous les deux allés sur scène pour comprendre les raisons pour lesquelles il a commis ce viol, en évoquant son rapport à la masculinité, à l’alcool, à l’agression... Elle a dit que ça l’avait beaucoup plus conforté d’avoir accompli ce processus avec lui et ainsi d’avoir eu l’occasion de comprendre la totalité politique impliquée dans ce fait individuel, plutôt que la réponse étatique qui a consisté à l’avoir mis en prison quelques années. Je suis tout à fait d’accord avec l’idée selon laquelle il faut concevoir l’accès à la vérité comme une manière de rendre justice et qu’on a besoin de la vérité quand on a vécu un traumatisme. Mais, à mon avis, ce constat ne nous conduit pas du tout à une acception des formes de justice telles qu’on les connaît mais plutôt vers une rupture avec elles, vers l’invention de formes de justice beaucoup plus sociologiques, réparatrices, transitionnelles que de justices pénales. RJSP : Dans votre livre Juger, vous critiquez le système judiciaire actuel qui souffre, selon vos mots, de l’absence de « l’excuse sociologique », pourriez-vous nous expliquer ce concept ? GL : La question de « l’excuse » est très importante car c’est un mot qui fonctionne un peu comme un épouvantail dans la réflexion sur la justice. Comme je le dis dans mon livre, « l’excuse » existe déjà dans le droit pénal contemporain. En effet, la psychiatrie a déjà permis de soustraire certaines personnes à l’État pénal par le recours à l’idée d’irresponsabilité. Je m’interroge dès lors sur la possibilité d’imaginer que le savoir sociologique puisse de la même manière entrer en
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confrontation avec la construction pénale. Le problème de la reconstruction fictive de la réalité opérée par les juges et l’État pénal est qu’elle est fondée sur une lecture anti-sociologique du monde, notamment à travers la psychologisation, la biographie, ou encore les enquêteurs de personnalité qui se succèdent aux assises. Or cette reconstruction entre en contradiction avec l’examen des statistiques de la commission des illégalismes, où nous sommes confrontés à des logiques sociales extrêmement précises et extrêmement identifiables. Selon David Gardner, sociologue américain, l’État pénal n’enferme pas des individus mais des groupes d’individus. Ces groupes sont des classes d’individus avec des propriétés sociales qui les amènent à produire des actes de délinquance. Les juges sont autant conscients que moi de ce recrutement social, ethnique, racial et/ou encore de genre des individus exposés à l’appareil répressif d’État. Pour autant, les juges ne prennent pas en compte ces aspects sociologiques. Il y a un refus total de l’État pénal contemporain de concevoir la sociologie comme une excuse et à concevoir les individus pour ce qu’ils sont, à savoir des chambres d’échos du fonctionnement du monde qui s’empare d’eux et produit leur subjectivité et leurs actions. Un comportement est une extériorisation du rapport du monde à soi. Le refus du mot « excuse », il faut le noter, n’est pas seulement le fait des juges mais aussi de certains sociologues qui dépolitisent leur discipline et refusent d’aller au bout de ce que leur savoir leur montre. Il existe dans le monde social des faits massifs qui lient condition économique, sociale, condition de genre et production d’illégalismes et, à partir de ce moment-là, cela met en question le dispositif de la responsabilité individuelle qui structure le droit moderne. RJSP : Parmi vos engagements citoyens, vous participez au comité « La vérité pour Adama », créé à la suite de la mort d’Adama Traoré en juillet 2016 à Beaumont-sur-Oise, lors de son interpellation par la gendarmerie. L’un des principaux slogans qui a été au cœur des manifestations de ce comité est « Sans justice, pas de paix ». Que nous dit, selon vous, ce slogan, également très présent lors des manifestations du mouvement Black Lives Matter, sur les vertus que les citoyens recherchent dans la justice ? GL : En vérité, je suis mal à l’aise avec ce type de slogan. Selon moi, ces slogans n’appellent pas à de la justice, mais à la vengeance. Ils appellent à mettre en prison les policiers tenus pour responsables de la mort ou de la mutilation de telle ou telle personne. De cette manière, les mouvements politiques antiracistes contre les pratiques policières ratifient souvent des perceptions individualisantes selon lesquelles c’est un policier qui a produit un acte illégal et qui donc doit être jugé et condamné. Personnellement, je pense que c’est un piège de l’État pénal de nous enfermer dans cette perception individualisante des pratiques policières, car ce schème conduit à penser que c’est un individu qui est responsable et pas l’ordre policier lui-même – que le problème se situe dans le hors la loi et non dans la loi et ce qui est autorisé et rend possible de tels comportements. D’ailleurs beaucoup de policiers sont acquittés ou bénéficient de non-lieux précisément parce que les juges reconnaissent qu’ils agissent dans le cadre de la loi – ou produisent par leur jugement la légalisation de ces actions. C’est donc la Loi le problème et non la non-obéissance à celle-ci. Le problème fondamental c’est l’ordre policier et par exemple la façon dont il se construit dans le rapport aux corps et à la circulation publique des garçons Noirs et Arabes. Nous rendrons davantage justice aux victimes de l’ordre policier en transformant radicalement ce qui les a tué, c’est-à-dire l’ordre policier, en changeant les dispositifs du contrôle d’identité, de la course-poursuite ou encore de l’utilisation des armes létales ou non et tant d’autres choses – plutôt qu’en s’en prenant à quelques individus. La solution ne réside pas dans le fait d’envoyer telle ou telle personne en prison. Un des problèmes essentiels de la gauche contemporaine réside dans son enfermement dans une logique répressive. Ceci a été illustré dans des affaires telles que l’affaire Balkany ou Carlos Ghosn.
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Dans ces affaires, on s’est réjoui de voir des individus aller en prison alors que je ne vois pas vraiment quel est l’intérêt de mettre une personne comme Balkany en prison pour une affaire de fraude fiscale. Cela ne doit pas relever de la question pénale et de la question répressive. Mais la gauche s’enferme dans ces perceptions complètement individualisantes et ce désir de sang. C’est un peu la même chose en vérité sur la question du slogan « Pas de justice, pas de paix ». C’est la difficulté pour des individus victimes, ou pour ceux qui sont solidaires des victimes, d’avoir une perception politique du traumatisme et non une perception individualisante. Je pense que cela constitue un enjeu très important pour nous tous de nous méfier de nos pulsions spontanées et de prendre nos distances avec ce type de réaction. Je comprendrais parfaitement le slogan : « Pas de justice sociale ou raciale, pas de paix », en revanche, je ne me reconnais pas vraiment dans l’idée selon laquelle il n’y aurait pas de paix tant que tel ou tel policier ne sera pas en prison. RJSP : Ne pensez-vous pas que cette dérive de la gauche est motivée par des raisons purement électorales ? Un discours comme le vôtre n’est-il pas devenu inaudible si on veut espérer gagner une majorité de voix ? GL : Je ne le pense pas. Il est vrai que le fait d’interroger les pulsions répressives est une pratique minoritaire. Pour ma part c’est une subjectivation qui me vient de mon rapport avec la pensée néolibérale ou encore la pensée libertarienne. J’ai beaucoup lu Gary Becker, Robert Nozick... Et c’est vrai que cela tranche avec une tendance plus autoritaire qui peut être à l’œuvre dans certaines traditions de gauche, qui ont une approche plus dramatisante du délit, plus globalisante de l’ordre public et qui activent souvent des pulsions en termes de répression, violence d’État. Mais en même temps le mouvement anti-carcéral et d’abolitionnisme pénal est un mouvement puissant. C’est le cas notamment aux États-Unis, où très nombreux sont les universitaires abolitionnistes. Je pense que cela arrivera assez rapidement aussi en France et en Europe, au même titre que les questions de justice réparatrices et transactionnelles. En fait ce qui me frappe plutôt c’est le fait que nombreux sont celles et ceux qui, dans le milieu activiste ou universitaire, se présentent comme critiques du système carcéral mais qui vont très vite oublier ces analyses quand une affaire éclate. RJSP : Pensez-vous qu’il est possible de former un espoir en partant du fait que nous avons aboli la peine de mort ? Au niveau le plus extrême nous avons fini par considérer qu’appliquer la même violence à l’auteur que celle qu’il a appliquée à la victime n’était pas une solution pour la société. GL : Oui, absolument. Walter Benjamin dit très bien que finalement, l’abolition de la peine de mort porte en elle une sorte de logique qui aboutit à la destruction de l’État pénal. L’État se fixe des limites à ce qu’il peut faire. Il reconnaît qu’il y a des droits naturels qui s’imposent à lui et que les individus soumis à sa juridiction ne sont pas à sa disposition. Dans Juger, je dis qu’il serait intéressant de réfléchir à la manière dont l’État pourrait s’interdire ce qu’il interdit aux particuliers. C’est selon moi un des gros problèmes de notre système : la police et l’État sont autorisés à faire ce qui est interdit aux autres. La police a le droit de frapper, de rentrer par effraction, les juges peuvent nous forcer à donner de l’argent, ils peuvent séquestrer les individus. L’État pénal, c’est le corps qui a le droit de faire ce qui est interdit aux autres. Il y a donc un certain nombre d’actions qui ne sont pas interdites inconditionnellement puisque l’État s’autorise à les accomplir tout en l’interdisant aux particuliers. Je ne peux pas pénétrer de force chez quelqu’un mais la police peut le faire. Quelle forme prendrait un État qui interdirait inconditionnellement toutes sortes d’actions ? La séquestration par exemple ou encore le vol ? Dès lors, l’État pourrait inventer des pratiques de gestion des illégalismes qui ne reposeraient pas sur des actions qui seraient par ailleurs interdites aux particuliers. Son objectif final serait de débarrasser totalement un territoire de certaines
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pratiques – comme cela se passe déjà pour la torture ou la mise à mort. Il serait intéressant d’étendre l’argument selon lequel « si c’est interdit de tuer, l’État ne peut pas tuer » à d’autres actions telles que le fait de voler ou d’entrer par effraction (ce qui s’appelle une perquisition). Si on étendait cette logique jusqu’où pourrait-on aller ? RJSP : Dans Juger, vous écrivez que la justice pénale a, selon vous, une tendance à déposséder « les acteurs d’une capacité de négociation et de détermination des ’sanctions’ selon leurs propres termes, leurs propres volontés, leurs propres ’besoins’ ». Cela rejoint un peu ce que nous disions précédemment quand nous évoquions la médiation et l’arbitrage. En revanche nous pouvons voir que ces modes de règlement des différends concernent principalement des litiges d’ordres économiques ou familiaux, pensez-vous que ces alternatives pourraient être applicables au pénal ? GL : En réalité, je pense que la valeur par laquelle il faut attaquer l’État pénal c’est la valeur de pluralisme. Il n’y a pas de valeur unique par laquelle les vies sont gouvernées, par laquelle les traumatismes sont vécus ou par laquelle les expériences sont gérées. L’État pénal, en un sens, entre en contradiction avec une société plurielle. Il y a, dans l’État pénal, une homogénéisation des expériences, des procédures, des manières de gérer les conflits qui s’impose à tout le monde. L’État vient tout d’abord nous voler nos conflits et puis il vient nous imposer un langage, une manière d’en parler et une manière d’en sortir. Je pense que cela est vrai pour tous les crimes. Même par exemple sur la question du crime sexuel, nous savons qu’il y a des personnes victimes d’agressions sexuelles qui arrivent à vivre avec et qui ne demandent pas forcément des sanctions très fortes. Nous pouvons observer le même phénomène avec les victimes de violence ou encore de vol. Je ne dis pas qu’il ne faut pas d’institution ou d’État, je crois beaucoup à l’État, à l’idée de rationalité mais l’on pourrait imaginer que l’État, plutôt que d’imposer brutalement un mode de gestion des conflits, donne de façon apaisée aux individus les moyens de gérer les conflits de façon plurielle puisqu’ils ont des manières plurielles de les vivre. Je pense que ce serait un progrès extrêmement important par rapport à l’imposition contemporaine d’un langage unique et de procédures réglées qui s’imposent à tout le monde de la même façon. RJSP : Dans un récent entretien à l’Observatoire de la Justice pénale, vous indiquiez que, pour vous : « Le modèle de l’arbitrage me paraît beaucoup plus intéressant que le modèle de l’État pénal ». Quelles sont les caractéristiques du modèle arbitral, dont le développement est souvent associé au mouvement de privatisation de la justice, qui le rendent selon vous plus intéressant ? Le fait que les parties à l’arbitrage choisissent les membres du tribunal arbitral, et par là même leurs juges, y contribue-t-il ? GL : Une première caractéristique pourrait être l’absence de procureur, c’est-à-dire qu’il n’y a rien en dehors des parties. Les arbitres sont ce qu’ils doivent être, c’est-à-dire des arbitres : on conçoit les conflits comme des scènes interindividuelles où chaque individu a des intérêts, a des perceptions, a des constructions différentes et demande quelque chose à quelqu’un d’autre. Nous sommes donc dans une logique purement immanente de la gestion du traumatisme et du conflit. Ce qui m’intéresse beaucoup dans l’idée d’arbitrage c’est que cela ne nécessite pas forcement l’existence de lois. Le problème de l’État pénal au fond se révèle à travers l’existence de ce que l’on appelle les crimes sans victimes. Ce type de crime se produit à travers la transgression de la loi indépendamment de l’existence de victimes. C’est notamment ce qui rend possible le fait de pénaliser les clients de prostitués ou la consommation de drogue. Face à cette conception, on trouve par exemple le modèle libertarien qui affirme que la Justice n’a de sens que quand quelqu’un qui a subi un dommage. Dans ce cas précis, ce serait le dommage qui définirait l’existence du crime ou délit et qui supposerait
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l’ouverture d’un processus judiciaire. À la limite on n’aurait presque plus besoin de Lois. Dès qu’il y aurait dommages, traumatismes, un processus d’arbitrage pourrait s’ouvrir. Cela me semble intéressant : concevoir une manière immanente de rendre justice ; partir des individus et de leurs revendications et non pas d’une abstraction comme la Loi. Je pense également que l’un des grands problèmes dans l’État pénal réside dans sa logique qui consiste à ajouter du traumatisme au traumatisme en doublant le conflit interindividuel d’un conflit pénal. Beaucoup de victimes disent qu’elles ont été plus épuisées et traumatisées par le processus pénal que par l’agression en tant que telle. Pour ces raisons je pense que l’arbitrage est une manière beaucoup plus rationnelle et rapide de gérer les conflits. C’est également une forme de médiation, de justice, qui repose sur le consensus à un moment donné (le choix des arbitres). Pour toutes ces raisons-là, l’arbitrage me paraît plus intéressant comme modèle que l’État pénal : c’est une logique immanente et plurielle et non transcendante et homogénéisante, c’est une logique économique dédramatisante qui pense l’illégalisme comme un débit et non comme une « rupture de l’ordre public ». Que voudrait dire s’inspirer de l’arbitrage pour reconstruire l’ensemble de nos manières de gérer les illégalismes et le rôle de l’État ? RJSP : Dans cette logique de réappropriation du procès pénal par les individus et du problème que pose la loi que vous avez évoqué précédemment, que pensez-vous de la mise en concurrence des règlementations et du fait que les individus pourraient choisir la loi pénale qui leur serait applicable comme cela est déjà le cas en arbitrage commercial ? GL : En termes d’utopie politique, cette théorie, notamment chez les libertariens, aboutit à l’exigence d’une libre circulation des personnes. Comme cela a pu être dit chez Hayek ou chez Nozick, la violence d’État réside principalement dans l’absence de possibilité de sortie. La forme « État » présuppose le non-droit de fuir et le non-droit de partir de manière unilatérale. Si les individus avaient ce que Nozick appelle à la fin de son ouvrage Anarchie, État, Utopie, « le droit de sortir », vous n’auriez pratiquement plus de violence d’État. Si vous pouviez divorcer d’un État pour en adopter un autre, vous auriez la possibilité de vous mettre sous le régime juridique qui convient le mieux à votre manière de vouloir vivre. Nous serions d’accord avec les lois qui nous gouvernent puisque nous les aurions choisies. Il est difficile d’imaginer qu’un tel système pourrait être applicable mais c’est intéressant du point de vue de la réflexion sur les migrations puisque la migration est alors toujours conçue comme un acte politique de choix de l’endroit dans lequel nous voulons vivre sans être soumis aux règles de l’endroit où on a été jeté au monde arbitrairement. Néanmoins, pour revenir à votre question, le grand problème reste celui que nous avons évoqué plus tôt concernant la question du rapport du sujet à la Loi. L’obsession de la théorie politique est presque toujours de construire des mythes qui la conduisent à échapper aux problèmes fondamentaux. Je ne suis pas certain qu’il soit très intéressant de penser la question de la loi et de l’État du point du vue du fantasme d’un monde où tout le monde serait d’accord avec la loi. Puisqu’en fin de compte ce qui définit la loi c’est l’antagonisme et le fait que certains la veulent et d’autres l’imposent aux autres. Finalement, si les gens sont d’accord avec la loi, nous n’avons plus besoin de lois. Selon moi la question centrale reste la manière par laquelle l’ordre juridique s’impose malgré lui à quelqu’un qui ne la veut pas et qui peut ne pas la reconnaître. RJSP : Dans le cadre de nombreux traités d’investissement, le mécanisme de l’arbitrage d’investissement permet à des entreprises de contester des décisions d’État qu’elles estiment défavorables, de telle sorte que ce système est souvent accusé de défendre les intérêts des multinationales. Néanmoins, l’objectif de votre ouvrage, Juger, est de refuser de reconnaître une spécificité à l’État, afin de pouvoir démystifier et déconstruire les systèmes de jugement et de répression qu’il
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tend à mettre en place. Quel est votre regard sur cette forme de justice arbitrale qui, en jugeant des entreprises et des États sur le même plan, n’accorde pas un jugement de faveur à ces derniers ? GL : D’un point de vue théorique, je suis comme Léon Duguit favorable à une défétichisation de l’État pour lui substituer la catégorie de gouvernants ; c’est-à-dire toujours essayer de concevoir que, dans l’État, ce sont des individus qui agissent et qu’une grande partie des rapports que nous appelons politiques ou juridiques sont en fait des rapports interindividuels. Selon moi, les rapports politiques sont redevables d’analyses identiques aux rapports privés et interindividuels. Je suis tout à fait favorable à une grille d’analyse qui ne ratifie pas l’idée d’État dans l’analyse de l’État et qui réduit l’État à des forces et
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des pratiques de pouvoir identiques à ceux que nous pouvons rencontrer dans la vie ordinaire. De ce point de vue-là, il n’est pas problématique, selon moi, que l’État soit considéré comme une entité comme les autres et que l’on conteste la prétention des hommes et des femmes d’État à être doté d’une sorte de supériorité par rapport aux autres acteurs du monde social. Tout ce qui dé-fétichise l’État est une conquête et une condition d’accès à une certaine forme de lucidité. Cela ne veut pas dire qu’il faille adopter une position naïvement anti-étatique, au contraire. Les gouvernants peuvent avoir raison contre les entreprises, évidemment... Mais cette possibilité ne doit pas être postulée parce qu’il s’agirait de décisions publiques, elle doit être démontrée rationnellement.ê
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Les autorités de régulation en mutation : vers une réinvention de l’équilibre des pouvoirs Daniel KADAR,
Stéphanie ABDESSELAM,
Laetitia GAILLARD,
Avocat associé au sein du département Contentieux du bureau de Paris du cabinet Reed Smith
Avocate collaboratrice au sein du département Contentieux du cabinet Reed Smith
Avocate collaboratrice au sein du département Contentieux du cabinet Reed Smith
1 - La pluralité de secteurs économiques présentant un degré de technicité de plus en plus élevé (énergie, marchés financiers, données personnelles, etc.) a conduit à la nécessité de voir émerger des autorités de régulation suffisamment spécialisées pour apporter des réponses concrètes aux besoins de ces secteurs, et jouer un rôle de « gendarme » économique. Pour répondre aux impératifs d’efficacité, de compétence technique, d’impartialité et de proximité, l’intervention étatique plus généraliste est en effet rapidement devenue insuffisante, justifiant l’introduction d’instances de régulation sectorielles, dites autorités administratives indépendantes (AAI). Il ne faut pas ignorer à cet égard non plus les influences internationalistes expliquant l’avènement de ces autorités. En effet, historiquement, c’est aux États-Unis que sont apparues à la fin du XIXe siècle les premières « Independent Regulatory Commissions ». Leur création étant justement motivée par le désir du Congrès américain de contrôler « des pans entiers de l’économie » 1. À l’échelle communautaire, l’Union européenne, qui bénéficie par ses traités constitutifs d’une capacité de production de droit dérivé très importante, se fait naturellement favorable à la formation d’un droit réglementaire susceptible d’harmoniser les règles locales et d’instiller des directives communes sur les politiques économiques et sociales des États membres. L’instauration de régulateurs économiques et financiers chargés de mettre en application certaines règlementations fait donc en pratique presque toujours écho à ces exigences européennes. C’est dans ce contexte qu’en France, les années 1980 et 1990 ont été marquées par la création de nombreux régulateurs – dans des domaines aussi divers que le secteur bancaire, la protection des données numériques, l’énergie, les communications électroniques et de la poste (l’ARCEP) – dont le rôle a évolué au fur et à mesure de l’ouverture de ces secteurs à la concurrence. Le pragmatisme qui a présidé à la création de ces instances continuant aujourd’hui encore de dicter leur mode de fonctionnement, rend impossible leur classification dans l’ordre juridique classique. En outre, il faut aussi reconnaître qu’à côté de l’activité de travail de réglementation et de police administrative dévolues à ces autorités, on assiste à l’émergence d’un véritable « ordre répressif de la régulation », qui se dessine au gré de la pratique, et devient de facto un maillon essentiel de l’activité du « Regu1. J. Chevallier, Autorités administratives indépendantes et État de droit, Civitas Europa 2016/2 (n° 37), pages 143 à 154.
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latory », laquelle ne se limite plus au seul terrain préventif de la « conformité ». Il est à présent également temps pour les acteurs de s’approprier le « contentieux de la régulation » sous-jacent. À cet égard, le défi majeur qui s’impose dorénavant aux acteurs est d’appréhender la fonction de régulation dont est dotée le régulateur économique à travers des compétences imbriquées, qui semblent ambivalentes et suscitent des questionnements pratiques (1). Ces « instances non identifiées » 2 suscitent d’autant plus de questionnements, dès lors que nous assistons sous le contrôle attentif de notre plus haute juridiction administrative (3) à leur véritable « juridictionnalisation » 3 (2),
1. Appréhender la fonction régulatrice des autorités de régulation : un défi pour les acteurs économiques 2 - Le rôle du régulateur et sa place dans l’échiquier juridique français présentent des ambiguïtés, qui rendent l’appréhension de ces instances et la fonction régulatrice qui leur est attribuée quelque peu ardue. La première ambiguïté que nous relèverons est d’ordre institutionnel. Certains régulateurs, tels que l’Autorité des Marchés financiers (AMF), l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), la Commission de Régulation de l’Energie (CRE), Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL) ou encore le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA), sont habilités à édicter des règles de portée générale et possèdent ainsi un pouvoir réglementaire, alors même que cette prérogative réglementaire a été constitutionnellement réservée en principe à l’exécutif 4. La seconde ambiguïté, fonctionnelle, tient quant à elle à la diversité des fonctions pouvant être exercées par une seule et même autorité. En effet, le cumul de pouvoirs quasi-normatifs, quasi-exécutifs et quasi-juridictionnels que les autorités de régu2. Voir en ce sens, Rapport de l’office parlementaire d’évaluation de la législation n° 404 (2005-2006) de M. Patrice GÉLARD, fait au nom de l’Office parlementaire d’évaluation de la législation, déposé le 15 juin 2006 3. D. Costa, L’Autorité des marchés financiers : juridiction ? quasi-juridiction ? pseudo-juridiction ? À propos de l’arrêt du Conseil d’État du 4 février 2005, Société GSD et M. YX, RFDA 2005. 1174 et les remarques de P. Delvolvé, dans la préface de la thèse de J.-J. Menuret, Le contentieux du conseil de la concurrence, Presses universitaires de la Faculté de droit de ClermontFerrand, 2002, p. xvi-xvii. 4. Cf. Article 21 de la Constitution du 4 octobre 1958.
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lation exercent au travers de leur compétence répressive, suscitent de nombreux questionnements pratiques.
A. - Un régulateur « influenceur », voire « législateur » 3 - Le besoin des entreprises d’avoir une vision claire des règles sectorielles qui s’appliquent à elles, a conduit les autorités de régulation à sécréter un « droit souple » (ou soft law) consistant en la publication d’avis ou de recommandations adressées aux acteurs économiques. À certains égards, ce droit souple a pris une place prépondérante dans la hiérarchie des normes règlementaires, tel que sur le terrain de la responsabilité sociale des entreprises, ou « RSE », qui provient initialement de cette source de droit souple. La « soft law » provenant du régulateur a un avantage pratique indéniable pour les acteurs : elle permet de ne pas « figer » le droit, et de proposer des règles évolutives et adaptées aux contraintes économiques du secteur. Il peut s’agir par exemple de lignes directrices interprétatives, telles que celles publiées par la CNIL visant à donner des éclaircissements pratiques sur la mise en application de certains principes directeurs du Règlement Général sur la Protection des Données (« RGPD »). Ce « droit souple » constitue à la fois une norme d’influence et de référence susceptible de favoriser une plus grande compréhension de la règlementation, notamment dans les situations où elle s’appuie sur la participation et l’acceptation des acteurs visés. Toutefois, si la particularité du droit souple tient de prime abord à sa nature « non contraignante » – puisqu’il s’agit uniquement d’un droit « suggéré » – il est évident qu’en pratique, les conséquences d’une non-prise en compte de ces normes par les acteurs sont directes, dès lors les régulateurs sont aussi les interlocuteurs devant lesquels les AAI devront, le cas échéant, justifier de leurs pratiques. De plus, les régulateurs disposent fréquemment d’une marge d’appréciation étendue sur les règlementations qu’ils sont chargés de faire appliquer, en particulier lorsque ces réglementations proviennent de sources européennes. Force est de constater que le régulateur n’hésitera en pratique pas à édicter des obligations nouvelles, qui ne sont pas stricto sensu issues du droit dur. On citera notamment les préconisations de l’Agence Française Anticorruption (l’AFA) concernant l’intégration des problématiques de conflits d’intérêts dans les chartes internes. Bien que ces exigences découlent a priori d’une simple « soft law », tout laisse à penser qu’elle pourront constituer un motif pris en compte à part entière dans la formulation des griefs en matière de conformité anti-corruption, et entraîner de ce fait le prononcé de sanctions. Alors que cette « soft law » vient bousculer la hiérarchie des normes, les acteurs sont dorénavant contraints d’assimiler pleinement cette nouvelle source de droit dans le cadre de leur processus de conformité.
B. - Un régulateur à la fois « gendarme », « instructeur » et « juge » 4 - Loin de se limiter à une simple « participation » aux fonctions étatiques, les autorités interviennent de façon plus remarquée lorsqu’elles se font « gendarme », c’est à dire lorsqu’elles exercent des pouvoirs de police administratives. Elles peuvent ainsi être statutairement compétentes pour donner ou refuser un agrément, une autorisation, ou se désigner compétence, tel que l’a fait notamment l’Autorité des marchés financiers, en matière de publication de communiqués de « mise en garde », alors même que les textes ne le prévoyaient pas.
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En pratique, le rôle de gendarme dont sont titulaires les autorités de régulation constitue une source d’inquiétude pour les acteurs compte tenu du caractère plus au moins discrétionnaire avec lequel les régulateurs « distribuent des cartons jaunes ». Parallèlement, les régulateurs ont obtenu des pouvoirs d’enquête directement inspirés des pouvoirs procéduraux dévolues aux juridictions pénales. Ces pouvoirs permettent à l’autorité ou à ses agents d’obtenir toute information, d’avoir communication et copie de pièces ou de documents, de se transporter sur place et de procéder à des auditions 5. Certaines autorités pouvant même étendre leurs investigations dans des lieux qui ne sont plus strictement professionnels, notamment en sollicitant l’autorisation du juge des libertés et de la détention pour aller directement enquêter aux domiciles de personnes physiques. 6. A cet égard, on notera que certaines autorités de régulation, tels que la CRE et la CNIL, disposent de surcroît de l’opportunité des poursuites, ce qui rend le déclenchement de cet arsenal procédural d’autant plus imprévisible pour les entreprises sujettes à leur contrôle. En sus d’un pouvoir de surveillance « renforcé », le législateur a doté certains régulateurs d’une compétence répressive. Et l’éventail des sanctions susceptibles d’être prononcées en la matière est particulièrement étendu : affichage, avertissement, blâme, obligation d’insertion, interdiction /limitation d’activité, et bien entendu la sanction pécuniaire dont les montants encourus sont susceptibles de fragiliser sérieusement la santé économique des sociétés impactées. Les amendes pouvant en effet atteindre jusqu’à 10% du chiffre d’affaire consolidé 7 de l’acteur sanctionné. Les régulateurs n’hésitent d’ailleurs pas à mettre en avant l’exercice de leur rôle répressif, comme en témoignent les communications publiques de la CNIL sur la dernière salve d’amendes prononcées qui totalise un montant de plus de 135 millions d’euros pour le mois de décembre 2020. Pour apporter davantage de sécurité juridique aux acteurs économiques, et assurer autant que faire se peut un substitut au principe pénal de légalité, qui ne peut être appliqué stricto sensu en matière règlementaire, les régulateurs peuvent faire usage d’une compétence inédite, dont est d’ailleurs privé le juge répressif : la fonction préventive. Ainsi, en amont de toute sanction, le régulateur peut avertir formellement l’acteur de l’existence ou de la commission en temps réelle d’un manquement, par la voie d’une mise en demeure. L’acteur économique, conscient de devoir se conformer à une obligation précise, bénéficiera ainsi de l’opportunité de prendre des mesures correctives, afin d’éviter l’initiation de voies répressives à son encontre. Il convient néanmoins de noter que ce rappel à la loi n’est pas nécessairement un prérequis, et que des mesures répressives pourront être directement prises par les régulateurs. Par exemple, lorsque les acteurs sont considérés avoir pleinement pris connaissance de leur manquement, et de la gravité de l’infraction en question. Là encore, les communications officielles des régulateurs sont riches en information offrant aux acteurs la possibilité d’anticiper les pratiques que les régulateurs ont en « ligne de mire » et qu’ils entendent sanctionner en priorité. À ce titre, on observera que la CNIL a été particulièrement transparente dans ses communiqués sur son souhait de cibler les manquements commis en matière de traceurs publicitaires, ce 5. Q. Epron, « Le statut des autorités de régulation et la séparation des pouvoirs », RFDA, n° 5/2011, pp. 1007-1018. 6. Ibid., par exemple : AMF : C. mon. fin., art. L. 621-12 ; CRE : C. énergie., art. L. 135-5. 7. 10% pour l’Autorité de la Concurrence ; 5% ou 10% pour l’ARCEP ; 4% pour la CNIL.
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qui justifie sans grande surprise les sanctions records prononcées dernièrement en la matière.
2. Quelles garanties pour les acteurs face à la juridictionnalisation des régulateurs ? 5 - Si le législateur avait initialement souhaité privilégier l’efficacité pratique et la souplesse des procédures diligentées par les régulateurs en minimisant l’application des règles de procédure pénal susceptibles d’alourdir, et donc de ralentir leur déroulement, le renforcement des pouvoirs confiés à ces instances a impliqué d’offrir proportionnellement aux administrés des garanties procédurales adéquates.
A. - Une montée en puissance des garanties de droit processuel effectifs 6 - Depuis l’arrêt Didier 8, les autorités de régulation sont formellement tenues d’observer les exigences du procès équitable visées à l’article 6-1 de la Convention EDH 9. En pratique, les recours dirigés contre les décisions des autorités de régulation ont été l’occasion de préciser la mesure dans laquelle ces principes trouvent à s’appliquer, dans le cadre de la jurisprudence constitutionnelle et européenne. Ces impératifs processuels ont une conséquence immédiate sur le mode de fonctionnement des régulateurs au niveau de la procédure de sanction. Ainsi, le principe d’impartialité s’applique aux autorités de régulation dotées de pouvoir de sanction, lesquelles ont dû s’assurer de séparer organiquement leurs organes fonctionnels 10. C’est le choix retenu notamment par l’AMF ou la CRE. L’idée est que l’exercice des fonctions de poursuite et d’instruction doit rester isolé de l’organe chargé de prononcer les sanctions. Concrètement, les missions générales de l’autorité pourront être exercées par un collège, tandis que le pouvoir de sanction sera attribué à une commission indépendante, souvent dénommée « commission des sanctions ». Le principe cardinal du procès équitable se déclinant en un certain nombre de principes dérivés, le Conseil d’État a étendu l’application de ceux-ci à l’ensemble des décisions des organes de sanction des autorités de régulation. Il a ainsi jugé, en vertu de ce principe, que la communication préalable des griefs, la mise à disposition de la personne poursuivie de temps suffisant pour se défendre, le droit pour la personne poursuivie de se défendre elle-même ou de recourir à l’assistance d’une personne de son choix, l’égalité des droits pour l’audition des témoins et la possibilité d’une assistance gratuite d’un interprète, étaient des garanties requises dès l’origine de la procédure pour assurer son caractère équitable. Les conséquences de l’applicabilité de ces droits processuels ont fait l’objet d’une jurisprudence abondante du juge administratif, notamment sur le cumul de pouvoirs règlementaire, de contrôle, de poursuite et de sanction auquel le juge reste attentif. De surcroît, le Conseil d’État a assuré la pleine transposition en droit administratif de certaines règles issues du droit pénal : le 8. CE, ass., 3 déc. 1999, Didier, Lebon p. 399 ; Grands arrêts, 18e éd., 2011, n° 102 ; AJDA 2000. 172, chron. M. Guyomar et P. Collin ; JCP 2000. II. 10267, note F. Sudre ; RD publ. 2000. 349, note C. Guettier ; RFDA 2000. 584, concl. A. Seban. 9. La Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée par les États membres du Conseil de l’Europe le 4 novembre 1950. 10. CE, Assemblée, 3 décembre 1999, D., n° 207434, CE, 4 février 2005, Société GSD gestions et Gautier, n° 269001.
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principe de non-rétroactivité des lois pénales plus sévères, de rétroactivité in mitius, de la personnalité des peines, ou du principe non bis in idem. Toutefois, si les principes des droits de la défense ont pleine application dans le cadre d’une procédure de sanction, le Conseil d’État limite leur application pendant l’étape qui précède la notification des griefs, et la saisine de la commission de sanction 11. Il faut en déduire que le régulateur dispose d’une marge de manœuvre plus large, et moins encadrée pour l’exercice des pouvoirs d’enquête et de contrôle. Ces étapes, cruciales dans le constat de l’infraction, ne doivent par conséquent pas être sousestimées par les acteurs.
B. - Un contrôle juridictionnel effectif 7 - Afin d’encadrer l’autonomie et l’exercice des pouvoirs de sanction croissants dont disposent les régulateurs économiques, l’effectivité du contrôle juridictionnel de leurs actes est fondamentale. Là encore, une singularité est attachée au système procédural entourant « l’ordre répressif de la régulation », à commencer par la détermination du juge compétent. La question du dualisme juridictionnel s’invite en effet dans les voies de recours exercées à l’encontre des décisions du régulateur. Bien que la compétence de principe appartienne au juge administratif dans la mesure où nous sommes en présence d’autorités « administratives », la nature économique et financière de certains secteurs régulés, et les relations commerciales et privées qui y sont régies doivent donner lieu, dans certains cas, à la compétence du juge judiciaire. Ainsi, les recours s’exerceront alternativement devant le juge judiciaire, c’est-à-dire la Cour d’appel de Paris et devant le juge administratif, bien que d’un point de vue procédural aucun critère objectif ne puissent justifier de manière unifiée la règle de compétence applicable. En pratique, la détermination du juge compétent pour connaître des recours dirigés contre les décisions de certains régulateurs peut se révéler épineuse. Ceci est par exemple le cas des décisions rendues par le CoRDiS (commission de sanction de la CRE) ou l’ARCEP pour lesquelles les règles procédurales dépendent de la nature de la décision rendue : la Cour d’Appel de Paris étant compétente pour connaître uniquement des recours dirigés contre les décisions de règlement de différends prononcés par ces autorités, le Conseil d ’État exerçant quant à lui une compétence exclusive en matière de recours des décisions de sanction. Ces questions de compétence sont loin de se limiter à des considérations purement théoriques. Elles ont en effet des enjeux concrets dans la procédure de recours, dès lors que chacun des deux ordres juridictionnels a une idéologie et des techniques procédurales qui leur sont propres. Par ailleurs, l’inintelligibilité de ces recours est accentuée par le manque de clarté concernant le régime juridique qui leur est applicable. Il n’existe en effet aucune uniformité sur le régime de ces recours et les textes sont particulièrement ambigus lorsque de tels recours de nature a priori « administrative » sont soumis à la compétence d’un juge judiciaire. Ces complexités pratiques ont ainsi suscité des réflexions sur l’opportunité d’édifier une juridiction unifiée et nouvelle de contrôle des régulateurs économiques 12. 11. CE, 15 mai 2013, Société Alternative Leaders France, n° 356054, T. ; cf. également CE, 12 juin 2013, Société Natixis et autre, nos 349185. 12. Cf. supra, Rapport du Sénat : https://www.senat.fr/rap/r05-404-2/r05-404228.html.
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C. - Renforcement de l’intensité du contrôle juridictionnel des régulateurs 8 - Si les juridictions exercent un contrôle « restreint » sur les décisions rendues par les AAI dans le cadre de l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire, règlementaire, ou encore lorsqu’elles statuent sur les recours pour excès de pouvoir exercés à l’encontre de décisions individuelles non répressives, le contrôle effectué sur les décisions de sanctions est quant à lui bien plus étendu. En effet, la contrepartie des prérogatives répressives attribuées aux régulateurs économiques a été d’allouer aux juridictions étatiques un contrôle de pleine juridiction sur leurs décisions de sanction. En pratique, le pouvoir de réformation dont disposent les juridictions s’étend même à un pouvoir de substitution qui leur donne la latitude suffisante pour réformer la sanction rendue par le régulateur et y substituer leur propre décision. L’intensité de ce contrôle juridictionnel est un garde-fou essentiel pour les acteurs économiques, qui pourront obtenir une seconde appréciation de la proportionnalité de la sanction prononcée, ou faire valoir une contre-interprétation de la teneur de l’obligation visée ou du manquement qui leur est opposé. Concernant l’effectivité de ce recours, on observe qu’il conduit principalement à des réformations liées au non-respect de la légalité externe des décisions de sanction, en particulier sur des manquements aux principes fondamentaux du procès équitable. Le juge use également de son pouvoir de réformation en appréciation de la proportionnalité de la sanction pour pouvoir ajuster – à la baisse, mais également à la hausse dans certains cas – la sanction prononcée en application du principe de proportionnalité. En revanche, l’appréciation des faits semble rester en pratique la chasse-gardée du régulateur, sans doute en raison de l’expertise technique et sectorielle que requiert la qualification des faits en question.
D. - Un contrôle du juge étendu au-delà de la sphère contentieuse 9 - Outre le contrôle de l’usage répressif des autorités de régulation, le Conseil d’État s’est récemment décidé à étendre le
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champ de son contrôle aux actes dépourvus de valeur décisoire – dits de droit souple ou « soft law » – des autorités de régulation tels que des avis, recommandations, mises en garde et prises de position adoptés par les autorités de régulation dans l’exercice de leurs missions, lorsqu’ils sont de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique, ou ont pour objet d’influer de manière significative sur le comportement des personnes. Cette voie de recours offerte aux acteurs économiques est bienvenue eu égard à la place prise par cette « soft law » dans la hiérarchie des normes traditionnelles. Elle offre une garantie supplémentaire dans un contexte où les autorités de régulation n’hésitent plus à devancer l’entrée en vigueur de certaines règlementations européennes par l’édiction de lignes directrices créatrices d’obligations. On notera à titre d’exemple les lignes directrices publiées par la CNIL en matière de ciblages publicitaires, alors même que l’entrée en vigueur du règlement E-Privacy ne cesse d’être reportée 13. Le Conseil d’État s’est ainsi ici aussi érigé en garde-fou de ces mesures de droit souple, en contrôlant les vices qui pourraient affecter leur légalité, et le pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité de régulation. Tout acteur peut donc désormais porter ces mesures de droit souple au contrôle du Conseil d’État dans un délai a priori de deux mois suivant leur publicité, ou dans l’exercice d’un délai raisonnable à partir du moment où l’acteur en a pris connaissance. L’effectivité de ce contrôle a récemment été illustrée par une décision du Conseil d’État alléguant les interdictions formelles prononcées par la CNIL à l’encontre de certaines pratiques de ciblages publicitaires 14. L’essor des instances de régulation a manifestement créé un besoin de « réguler les régulateurs », et d’ériger le juge administratif en « régulateur suprême », lequel s’est à ce titre octroyé le rôle de définir un véritable droit de « procédure de la régulation ». Cette réinvention de l’équilibre des pouvoirs devra retenir toute l’attention des acteurs et des praticiens.ê 13. Voir en ce sens : « Où en est le projet de règlement européen “ Eprivacy ”’ », site de la CNIL (janvier 2021). 14. Conseil d’État, Décision n° 433069 du 16 octobre 2019.
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Justice privée et conflit d’intérêts Constance CASTRES SAINT-MARTIN, Docteur en droit privé, Avocat au Barreau de Paris, Conseiller adjoint au Secrétariat de la Cour Internationale d’Arbitrage à la Chambre de Commerce Internationale et Enseignante à l’École de droit Sciences Po
1 - « Nul ne peut se faire justice à soi-même » 1. Ce principe formulé sous la forme d’une maxime est présent dans plusieurs branches du droit positif français. On pense notamment à la notion de légitime défense en droit pénal, au droit de rétention en droit civil et à la grève en droit social. 2 - Plusieurs formes de justice privée. « Nul ne peut se faire justice à soi-même ». Pour autant, le droit positif français autorise plusieurs formes de justice privée. Le Code de procédure civile permet aux parties à un litige de déterminer le mode de résolution de leur différend : médiation, conciliation ou arbitrage 2. Les parties peuvent ainsi choisir la personne qui les mènera à une solution commune ou leur imposera une décision définitive. 3 - Arbitrage. Le Code de procédure civile autorise en particulier les parties à convenir d’une clause prévoyant la compétence d’un tribunal arbitral pour trancher leur litige 3. A l’occasion d’un arbitrage, les parties sont libres de prévoir la langue de l’arbitrage, le droit applicable au fond du litige et le lieu de l’arbitrage dont découle le droit applicable à la procédure. Pour reprendre une expression bien connue en droit des contrats, le litige devient « la chose des parties ». 4 - Avantages de l’arbitrage. L’arbitrage désengorge les tribunaux étatiques qui, malgré les progrès portés par la loi de programmation et de réforme pour la justice 4, sont toujours submergés 5. L’avantage pour les parties est d’obtenir de manière rapide et efficace une décision mettant un terme au litige les opposant. Les parties sont libres de choisir les arbitres. Ce principe consiste en un véritable atout lorsque la machine judiciaire de l’État, qui aurait été compétente en l’absence de convention d’arbitrage, ne présente pas de garanties de neutralité suffisantes. 5 - Faille de l’arbitrage. En revanche, la liberté de choix de l’arbitre consiste en une faille de l’arbitrage lorsque la confiance liant une partie à un arbitre se transforme en connivence et empêche ce dernier de trancher le différend en toute indépendance. L’arbitrage est devenu un terreau de conflits d’intérêts dont la régulation est assurée essentiellement par les institutions d’arbitrage. Pour mémoire, « un conflit d’intérêts est la contradiction directe et actuelle au sein d’une seule et même personne entre un intérêt personnel et un intérêt tiers dont elle a la charge, 1. L’adage « Nul ne peut se faire justice à soi-même » et les journées de l’Association Henri Capitant des amis de la Culture Juridique Française (Lyon, Grenoble, Aix-en-Provence, 24-28 novembre 1966) : RIDC, octobredécembre 1967, vol. 19 n° 4, 938. 2. Pour une étude approfondie de ces notions, de leurs différences et de leurs similitudes : C. Jarrosson, La notion d’arbitrage : LGDJ, 1987. 3. C. pr. civ., art. 1442. 4. Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. 5. Les tribunaux arbitraux sont encore plus engorgés depuis la grève récente des avocats et le confinement de mars à mai 2020.
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la plaçant en situation de faire prévaloir le premier au détriment du second » 6. 6 - Plan. La justice privée créée pour lutter contre les conflits d’intérêts (1) est ironiquement devenue un terreau de conflits d’intérêts (2). En guise de proposition, on pourrait imaginer une mutation de l’arbitrage ayant vocation à limiter le risque de conflits d’intérêts : l’arbitrage pro bono (3).
1. La justice privée, au service de la lutte contre les conflits d’intérêts 7 - Système judiciaire français et conflits d’intérêts. L’Article 66 de la Constitution française prévoit que l’autorité judiciaire est la gardienne de la liberté individuelle 7. Malgré cette garantie constitutionnelle, le système judicaire français a fait l’objet de plusieurs recommandations 8 formulées par l’organe anticorruption du Conseil de l’Europe 9. Le 1er octobre dernier, cet organe a publié un Rapport 10 dans lequel il note que la France n’a que partiellement pris en compte ses recommandations. 8 - Système judiciaire ghanéen et conflits d’intérêts. Au Ghana, le système judiciaire souffre d’une défiance exprimée cette fois par le peuple lui-même. En effet, un article de presse révèle que plus de huit ghanéens sur dix déclarent que les juges ghanéens font partie des fonctionnaires les plus corrompus du pays 11. L’article soulève qu’il n’est pas rare que les juges soient sujets à des conflits d’intérêts et acceptent des pots-de-vin pour abandonner des poursuites ou prononcer des peines légères. 9 - Nationalité sans neutralité. Dans le commerce international, lorsque deux sociétés ressortissantes d’États distincts concluent un contrat, la première ne se projette pas dans la résolution d’un litige par un juge ressortissant de la seconde. On peut comprendre la partie qui craint que le juge qui partage la nationalité de la partie adverse, partage également ses intérêts et tranche en sa faveur. C’est essentiellement pour neutraliser le 6. C. Castres Saint-Martin, Les conflits d’intérêts en arbitrage commercial international : L’Harmattan, coll. Logiques Juridiques, 2016, p. 129 et s.. 7. Constitution française du 4 octobre 1958, art. 66 al. 2 : « L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». 8. A savoir, revoir les critères d’attribution des décorations et distinctions honorifiques des juges, revoir le processus de nomination des procureurs et réviser le mode de saisine et le pouvoir d’enquête du Conseil Supérieur de la Magistrature à des fins disciplinaires. 9. Le GRECO (Go for Zero Corruption). 10. Rapport de conformité intérimaire France, adopté par le GRECO lors de sa 85e réunion plénière, Strasbourg, 21-25 septembre 2020 et publié le 1er octobre 2020. 11. F. Kuwonu, Justice : contre la corruption, il faut de la détermination. Des juges impartiaux aident à renforcer l’État de droit :Afrique Renouveau, août 2016, vol. 30, issue 2, 10.
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biais inconscient de la nationalité que la justice privée a été pensée. 10 - Neutralité sans nationalité. La vertu première de la justice privée est la neutralité de ses juges. Philippe Fouchard, Emmanuel Gaillard et Berthold Goldman ont ainsi écrit que « l’indépendance de l’arbitre, comme sa neutralité, est favorisée par sa nationalité : si elle est différente de celle des parties, on pourra présumer que sa liberté de jugement est plus grande » 12. Cette garantie a largement contribué au succès de la justice privée, mais pas seulement. 11 - Une justice experte. La justice privée telle que l’arbitrage, a emporté la confiance des acteurs du commerce international car elle consiste en une justice experte que les juges étatiques n’ont matériellement pas le temps de rendre. Un juge étatique devant un dossier de construction particulièrement complexe souffrirait du manque de temps dont il dispose ; il se verrait contraint de nommer un expert afin de faire le travail préparatoire à la reddition de sa décision. Cette justice, consistant en une prestation de service de grande qualité fournie par d’excellents juristes, a un coût. 12 - Une justice payante. Le caractère lucratif de l’arbitrage a nourri des pratiques éloignées de celles des gentlemen des débuts de l’arbitrage. De façon ironique, la justice privée est devenue un terreau de conflits d’intérêts.
2. La justice privée, un terreau de conflits d’intérêts 13 - IBA Guidelines. Les IBA Guidelines on Conflicts of Interest in International Arbitration 13 (« IBA Guidelines ») est actuellement l’un des meilleurs outils pour comprendre la classification des nombreuses familles de conflits d’intérêts. Les IBA Guidelines classent les conflits d’intérêts selon leur gravité : ils sont répertoriés dans deux listes rouges, une liste orange et une liste verte, fonctionnant selon la même logique que celle d’un feu tricolore. 14 - Le courant d’affaires. Le conflit d’intérêts né du caractère lucratif de l’arbitrage le plus fréquent est le courant d’affaires. Il s’agit de la répétition de désignations d’un arbitre par une société 14. Les IBA Guidelines précisent que la répétition devient systématique et condamnable lorsqu’elle consiste en plus de trois désignations au cours des trois dernières années. Cette systématicité est à l’origine de deux risques : la dépendance financière de l’arbitre à l’égard de la société qui le désigne de façon répétée et la confusion de la mission de l’arbitre avec celle du conseil de la partie qui le désigne. 15 - Le lien de subordination. Un autre conflit d’intérêts condamné par la jurisprudence française est l’existence d’un contrat de travail liant une partie et un arbitre. L’existence d’un tel contrat pose une difficulté dans la mesure où elle implique l’existence d’un lien de subordination entre une partie et un arbitre rendant ce dernier incapable de rendre la justice arbitrale 12. P. Fouchard, E. Gaillard et B. Goldman, Traité de l’arbitrage commercial international :Litec, 1996, spéc. n° 1037, p. 588. 13. IBA Guidelines on Conflicts of Interest in International Arbitration, révisées le 23 octobre 2014. 14. Cass. civ. 1re, 20 oct. 2010, M. Marcel Batard et autre c. société Prodim et autre, JCP G, n° 52, 27 décembre 2010, p. 1306, obs. B. Le Bars et J. Juvenal ; Rev. arb., 2011, p. 669, note D. Cohen, où l’arbitre avait été désigné trente-quatre fois par les sociétés du même groupe ; Cass. civ. 1re, 20 oct. 2010, Société Somoclest Bâtiment c. société DV Construction, D., 2010, p. 2589, obs. X. Delpech ; Rev. arb., 2011, p. 671, note D. Cohen, où l’arbitre avait été désigné cinquante et une fois par les sociétés du même groupe.
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de manière indépendante 15. La jurisprudence française condamne aussi l’existence d’un contrat de travail liant deux arbitres siégeant au sein du même tribunal arbitral 16. Un conflit d’intérêts peut ainsi naître en raison des parties à l’arbitrage. Il peut aussi émerger en raison de l’objet de l’instance arbitrale. 16 - Arbitrages liés. Lorsqu’une personne agit en qualité d’arbitre dans deux arbitrages liés, il y a un risque de conflit d’intérêts. Les faits et éléments de preuve dont l’arbitre a connaissance dans le premier arbitrage risquent de l’influencer dans le second, à l’instar des faits adventices en droit de la procédure civile. L’arbitre est néanmoins censé mettre de côté ces faits et éléments de preuve pour rendre deux sentences à la lumière des seuls faits et éléments de preuve que les parties ont introduits dans chacune des instances arbitrales. 17 - L’issue conflict. Il arrive enfin qu’une partie choisisse un arbitre pour ses prises de position académiques, dans ses articles et conférences, sur un sujet déterminant dans la résolution du litige. On dit alors que la partie cherche en la personne de l’arbitre un maximum de prédisposition et un minimum d’apparence de parti pris. C’est l’hypothèse de l’issue conflict 17. Née dans l’arbitrage CIRDI, cette situation de conflit d’intérêts n’a jamais été fermement sanctionnée par la jurisprudence française. D’ailleurs, Jan Paulsson se moquait de ceux qui prêchaient pour une sanction systématique des issues conflicts, en disant que seul un enfant saurait faire preuve d’une parfaite ouverture d’esprit dans la résolution des conflits 18. 18 - La révélation. La tendance actuelle consiste à traiter les conflits d’intérêts de manière préventive par la révélation. En révélant l’existence d’un conflit d’intérêts, l’arbitre place les parties en situation de renoncer à ce qu’il siège ou de renouveler la confiance qu’elles avaient placée en lui. On peut aussi penser à une mutation de l’arbitrage ayant vocation à limiter le risque de conflits d’intérêts : l’arbitrage pro bono.
3. Proposition d’une justice privée sans conflit d’intérêts : l’arbitrage pro bono 19 - Un arbitrage non lucratif. L’une des façons de limiter le risque de conflits d’intérêts serait de retirer à l’arbitrage son caractère lucratif. On pourrait imaginer un arbitrage pro bono en vertu duquel le tribunal arbitral renoncerait à ses honoraires. Cette mutation de l’arbitrage ne saurait résoudre globalement la question des conflits d’intérêts. Néanmoins, elle pourrait inspirer de nouvelles pratiques en rappelant l’impératif de désintéressement du juge 19. 20 - Dans aucun règlement d’arbitrage. A ce jour, aucun règlement d’arbitrage ne prévoit l’arbitrage pro bono. Il s’agirait dès lors, pour l’institution d’arbitrage pionnière, de se démarquer et de fournir un service unique et exemplaire pour les institutions d’arbitrage concurrentes. De plus, en renonçant à sa taxe administrative, l’institution d’arbitrage leader entérinerait le processus de plus grande accessibilité de l’arbitrage, initié par la procédure accélérée bénéficiant d’une taxe administrative moindre. 15. TGI Paris, 12 mai 1993, Société Raoul Duval c. V., Rev. arb., 1996, p. 411, 2e esp. 16. P. Fouchard, Le statut de l’arbitre dans la jurisprudence française, Rev. arb., 1996, p. 325, spéc. n° 19, 31, 65, 73 et s.. ; Cass. civ. 1re, 29 janv. 2002, Hudault c. Société générale de surveillance et autres, Rev. arb., 2002, p. 208. 17. M. Gearing et A. Sinclair, Partiality and Issue Conflicts : TDM, 2008, vol. 5, issue 4, 14. 18. J. Paulsson, Ethics, Elitism, Eligibility : J. Int. Arb., 1997, vol. 14, issue 4, 13. 19. Sur la notion de désintéressement du juge, voir A. Kojeve, Esquisses d’une phénoménologie du droit : Gallimard, 1943, éd. posthume 1981.
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21 - Un vivier d’arbitres pro bono. Concrètement, quel arbitre accepterait de renoncer à ses honoraires ? En réalité, il existe bien une catégorie d’arbitres expérimentés qui pourraient accepter de renoncer à leurs honoraires pour recevoir davantage d’invitations et continuer à progresser dans l’exercice de la jurisdictio. On peut penser, par exemple, aux membres d’une cour d’arbitrage au sein d’une institution d’arbitrage. Les membres de la cour ne peuvent pas être directement nommés en qualité d’arbitres par la cour. Ainsi ces membres se trouvent-ils privés d’un certain nombre de nominations qu’ils auraient pu recevoir en l’absence de mandat. Proposer aux membres d’une cour d’arbitrage de constituer un vivier d’arbitres pro bono leur permettrait d’exercer la jurisdictio pendant leur mandat de membre de la cour et de mettre immédiatement à profit leur expérience acquise en cette qualité. Un règlement d’arbitrage pourrait autoriser une cour d’arbitrage à nommer directement l’un de ses membres en qualité d’arbitre pro bono, sans pour autant créer un courant d’affaires entre les membres de la cour, puisque l’arbitre pro bono travaillerait gracieusement. 22 - Une plus grande accessibilité de l’arbitrage. L’arbitrage pro bono permettrait aussi une plus grande accessibilité de l’arbitrage. Actuellement, une partie qui ne parvient pas à payer la provision pour frais de l’arbitrage risque de voir ses demandes retirées, sans pour autant pouvoir défendre sa position auprès d’un juge étatique, incompétent en présence d’une convention d’arbitrage. L’arbitrage pro bono permettrait ainsi d’éviter le déni
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de justice pour défaut de paiement de la provision pour frais de l’arbitrage. 23 - Conditions de l’arbitrage pro bono. Un règlement d’arbitrage pourrait prévoir les conditions de l’arbitrage pro bono. On pourrait imaginer que l’arbitrage pro bono fasse l’objet d’une demande expresse de la part des parties justifiant de leurs difficultés financières et du refus de financement délivré par plusieurs tiers financeurs. On pourrait également songer à ce que la qualification d’arbitrage pro bono relève de la compétence de la cour d’arbitrage d’une institution d’arbitrage et ne porte que sur les arbitrages dont le montant en litige serait strictement inférieur à un montant prévu par le règlement d’arbitrage.
Conclusion 24 - En conclusion, la justice privée a été pensée pour lutter contre les conflits d’intérêts en la personne du juge et notamment pour lutter contre le biais inconscient de la nationalité. Néanmoins, le caractère lucratif de la justice privée est à l’origine d’une myriade de conflits d’intérêts et fait réfléchir à l’accueil que les acteurs du commerce international pourraient réserver à l’arbitrage pro bono. Loin d’être la panacée, l’arbitrage pro bono pourrait néanmoins renforcer la confiance des acteurs du commerce international en l’arbitrage et permettre une plus grande accessibilité de ce dernier.ê
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La traque de l’argent sale 1 Renaud VAN RUYMBEKE, Ancien juge d’instruction et Président doyen du pôle financier au Tribunal de Paris
1 - L’instruction des affaires financières qui m’ont été confiées au pôle financier depuis l’année 2000 m’ont conduit à mener des investigations au-delà de nos frontières. Les résistances et les obstacles rencontrés sont liés à la persistance des places offshore dans notre monde, en dépit des discours officiels prétendant les combattre, voire les supprimer. Si tel était vraiment le cas, comment expliquer leur prospérité ? J’ai ainsi acquis la conviction qu’au-delà des affaires traitées par la justice, que d’aucuns considèrent comme des « accidents », c’est un véritable système qui est en place et qui doit être éradiqué. Il constitue le volet sombre de la mondialisation. Ce constat m’a conduit à m’interroger sur le laxisme, voire la complicité des États et à chercher des remèdes pour y mettre fin. À l’heure où j’écris ces lignes, les pays du monde entier subissent une crise économique et sociale de grande ampleur. Le chômage progresse de façon inquiétante. Face à l’épidémie de Covid-19, les États s’endettent dans des proportions considérables. Il est temps qu’ils se réveillent et viennent s’emparer, au-delà de leurs frontières, des capitaux importants dont ils sont spoliés. Je lance ici quelques pistes et propose des réformes qui permettraient de récupérer au moins pour partie cette manne financière fluctuante qui manque tellement à l’économie en cette période de crise financière mondiale.
1. La fraude fiscale 2 - Le premier fléau, c’est la fraude fiscale. Il faut cependant la distinguer de l’évasion fiscale qui permet d’éluder l’impôt en utilisant les pays où les systèmes fiscaux sont les plus favorables. Conseillées par des cabinets spécialisés, des entreprises et de grandes fortunes jonglent avec eux. Elles considèrent l’évasion comme légale car elle exploite les failles existantes entre les différentes législations fiscales des États, à commencer par les États européens. Il est vrai que certains y trouvent leur compte, qu’il s’agisse de l’Irlande ou des Pays-Bas. Une première solution de nature à mettre fin à l’évasion fiscale en Europe existe. Il suffit qu’en son sein la législation fiscale des différents États soit progressivement harmonisée. Qu’elle devienne la même pour tous ! L’Europe en a, si elle le veut, le pouvoir. Y mettre fin n’est qu’un premier pas. Il faut également appréhender l’argent délibérément fraudé et blanchi. Celui généré par la fraude fiscale, mais aussi par la corruption internationale qui engendre des fortunes considérables. Elles prospèrent et affluent du monde entier. Dans l’affaire de la banque UBS, les États-Unis ont eu en main, grâce à un lanceur d’alerte, le fichier de frau1. NDLR : Dans le cadre de ce numéro, nous souhaitons aborder le sujet de la lutte anticorruption au cœur de la privatisation de la justice. Nous vous proposons ici la lecture d’un extrait du prochain ouvrage de Monsieur Renaud Van Ruymbeke, Mémoires d’un juge trop indépendant, publié aux éditions Tallandier en janvier 2021.
deurs fiscaux américains réfugiés en Suisse. 5 milliards de dollars ont été recouvrés. Cet exemple montre que lorsque le fisc et la justice agissent de concert et que le gouvernement exerce une forte pression, des fonds considérables reviennent dans les caisses de l’État. Mais faut-il attendre l’intervention de lanceurs d’alerte pour passer aux actes ? Pourquoi ne pas prendre les devants et exiger des refuges qu’ils fournissent, systématiquement et spontanément, la liste des détenteurs étrangers de comptes, toutes banques confondues ? Le système est rodé. Les trusts anglo-saxons, fruits du génie britannique, permettent aux grands fraudeurs d’y placer leur argent tout en continuant à en bénéficier. « Ma fortune ne m’appartient plus puisque je l’ai transférée à un trust. » Combien de fois me suis-je heurté à ce discours ! Le trust est une entité autonome, distincte de la personne qui le constitue et gérée par un homme de loi. La fiction prévaut sur la réalité. Dans les affaires dites des biens mal acquis, les enquêteurs ont-ils été abasourdis en découvrant les richesses accumulées par des dirigeants africains et leurs proches, qu’il s’agisse d’appartements luxueux dans les beaux quartiers de la capitale, de voitures de prestige hors de prix ou d’objets d’art. Les investigations ont visé le Gabon, le Congo et la Guinée équatoriale. Je ne peux m’empêcher de comparer les richesses ostentatoires de leurs dirigeants à la pauvreté qui règne dans leurs pays. Nous avons eu au pôle financier la confirmation, faits à l’appui, que d’immenses fortunes se constituaient aux dépens d’États dont la majeure partie de la population vit sous le seuil de pauvreté. J’ai assisté, voici quelques années, à une conférence organisée par le journal Le Monde sur la corruption des élites africaines qui dilapident les ressources de leur continent. L’intervenant, un professeur originaire d’un pays d’Afrique de l’Ouest, dénonçait un pillage des caisses publiques. Les premiers responsables sont les dirigeants des États africains. Mais n’oublions pas que si des ressources de l’État sont détournées, d’autres avoirs proviennent de commissions versées de façon intéressée par de grandes entreprises venant d’Asie, d’Amérique ou d’Europe, soucieuses de préserver un accès privilégié à des ressources naturelles qu’elles exploitent pour leur compte. N’oublions pas non plus qu’aux liquidités se sont, peu à peu, substitués des comptes en banques, en Suisse ou ailleurs. L’argent n’est pas en Afrique, il est à l’abri dans nos places financières. Autrement dit, nous exportons notre savoir-faire en matière de blanchiment. Ces circuits offshore, utilisés par de grandes sociétés, permettent à cette manne exponentielle aux mains de dirigeants corrompus de circuler sans risque et en toute impunité. Faut-il attendre des révolutions pour que chacun ouvre enfin les yeux ? Les printemps arabes ont tiré la sonnette d’alarme avec leur lot de révélations sur les fortunes dissimulées des dictateurs déchus. En Tunisie, le président Ben Ali a dû quitter le pouvoir qu’il exerçait depuis vingt-trois ans dans la précipitation,
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le 14 janvier 2011, sous la pression de la rue pour se réfugier en Arabie saoudite. Ryad s’est opposé à son extradition, « au nom de l’hospitalité et de la miséricorde islamique 2 ». Le pouvoir lui aurait permis d’acquérir, directement ou via sa famille et notamment celle de sa seconde épouse, Leïla Trabelsi, une immense fortune. Or, relève le journal La Croix dans un article publié en septembre 2019, la Tunisie a été tenue en échec dans le recouvrement de fortunes considérables accumulées à l’étranger. Le président de l’instance nationale tunisienne de lutte contre la corruption a reconnu que « les résultats n’ont pas été à la hauteur des attentes des citoyens tunisiens ». « Nombre d’États, notamment les pays du Golfe, se sont montrés peu enclins à collaborer. » De même en Égypte, la justice, qui s’est réveillée après la révolution de 2011, aurait évalué la fortune d’Hosni Moubarak à 9 milliards de livres égyptiennes, soit 1,2 milliard de dollars. The Guardian a évoqué des montants extravagants, de 40 à 70 milliards de dollars dont une bonne part bénéficierait à ses deux fils. La Suisse aurait bloqué, depuis la chute du président égyptien, l’équivalent de 640 millions d’euros appartenant à l’ex-raïs ou à ses proches. Les sommes saisies, comme c’est toujours le cas, ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Elles correspondent aux seuls fonds identifiés. Les proches des dictateurs déchus continuent à bénéficier de la corruption et mènent, à vie, des jours paisibles. On estime à 30 millions le nombre d’Égyptiens vivant sous le seuil de pauvreté. Ce sont eux qui sont spoliés. Cette situation, injuste, est intolérable. J’ai en mémoire la fortune du général Abacha, qui a dirigé d’une poigne de fer le Nigeria. Il est décédé en 1998. Il aurait détourné des milliards de dollars. Les procureurs suisses ont réussi dans les années 2000, au terme d’un travail minutieux, à identifier et récupérer plusieurs centaines de millions de francs suisses. Des négociations ont été menées depuis pour que la Suisse les restitue au Nigeria en les investissant dans des écoles et des hôpitaux. Selon la BBC, 267 millions de dollars ont également été gelés à Jersey en 2014. Mais qui détient les avoirs disparus ? Les héritiers Abacha ? Son ami d’enfance, l’homme d’affaires Gilbert Chagoury, devenu dans les années 2000 ambassadeur de Sainte-Lucie à l’Unesco, bénéficiant ainsi d’une immunité diplomatique ? Nul ne le sait. Mais une chose est certaine, l’argent ne s’est pas évaporé. Les faits datent de plus de vingt ans et les tentatives effectuées, si tant est qu’elles aient existé, pour identifier et saisir les centaines de millions, voire les milliards de dollars manquants, sont restées lettre morte. Pourtant, rien n’est inéluctable. Même si les dictateurs bénéficient dans le monde de l’immunité en tant que chefs d’État, il est nécessaire de lutter contre la corruption. Une politique résolue et déterminée peut y parvenir. Il faut identifier et saisir ces masses monétaires, sans attendre la mort de leur détenteur. Pour y parvenir, il appartient aux refuges qui les recèlent de se transformer radicalement. Il est urgent que l’Europe, qui porte des valeurs universelles, agisse enfin et montre l’exemple.
2. Le rôle de la France et de l’Europe 3 - La France, pays des Lumières, a des atouts pour mener, d’initiative, une action d’envergure. Elle dispose en effet de dispositifs efficaces. Comme dans d’autres pays latins – je pense à l’Italie ou à l’Espagne –, la justice n’est pas restée inactive. Or rien ne peut être entrepris sans le concours de la justice. L’argent, qu’il provienne de la fraude fiscale, de la corruption ou de tous autres types de fraude, ne peut être confisqué, dans des États démocratiques, sans l’intervention de procureurs, de juges d’instruction et d’enquêteurs spécialisés. Seul le cadre judiciaire présente les garanties requises. Il est nécessaire que la justice agisse de façon coordonnée. Sa mission doit être soutenue par 2. L’Obs, 15 janvier 2016.
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les services fiscaux qui sont les premiers concernés. Ils doivent se concerter et poursuivre le même objectif. Il faut les doter de moyens à la hauteur de la tâche. C’est la première réforme à accomplir. Mais il est impératif, aussi et surtout, de leur permettre d’élargir leur champ d’investigation à l’ensemble des fraudeurs. Aujourd’hui, les poursuites sont limitées à des individus qui ont joué de malchance, leurs comptes offshore étant apparus à l’occasion d’une enquête. La justice n’intervient qu’au cas par cas. Elle doit désormais changer d’échelle et résoudre le problème dans sa globalité. Les autorités de poursuite, qu’elles soient françaises ou autres, doivent étendre leurs investigations à l’ensemble des fraudeurs détenteurs de comptes à l’étranger. Pour pouvoir élargir les perspectives, une profonde mutation au sein des paradis fiscaux est un préalable. Il a fallu des années pour que les refuges européens comme la Suisse, le Luxembourg ou le Liechtenstein acceptent, non sans mal, de coopérer, dans le sillage de Genève qui a eu le courage de prendre des initiatives dès les années 1990. Mais en Europe, des pays comme Chypre ou Malte résistent. La mise en place d’unités spécialisées au sein des refuges est une condition sine qua non pour permettre la confiscation de l’argent de la fraude. Ces places financières doivent se doter de moyens permettant la saisie et la confiscation de l’argent sale sur les comptes bancaires. Des sanctions doivent être prononcées contre les institutions qui s’adonnent au blanchiment. Il a fallu l’affaire Magnitski pour que le Danemark prenne conscience de l’activité bancaire frauduleuse qui a sévi dans les Pays baltes. Il est temps que ceux-ci, dénoncés enfin par les médias, changent radicalement de comportement. Ces unités, qu’elles soient mises en place à Chypre ou ailleurs, doivent exploiter tous les éléments d’information qui leur sont transmis. Les procureurs locaux doivent engager des poursuites dans leur propre pays contre les banquiers et les fiduciaires qui organisent le blanchiment à grande échelle. Il faut qu’ils prennent des initiatives et cessent de limiter leur action à celle de simples exécutants des demandes de l’étranger. Pour appréhender sur ces places financières l’ensemble des fraudeurs – vaste tâche –, il est nécessaire que les banques locales fassent remonter les informations sur toute opération suspecte et que des enquêtes judiciaires s’ensuivent. Dans la plupart des dossiers que j’ai traités, j’ai constaté que non seulement le banquier ou la fiduciaire blanchissaient l’argent des fraudeurs, mais aussi que l’impunité leur était assurée. Même lorsque les faits sont mis au jour, aucune poursuite n’est exercée à leur encontre dans leur pays. Quand Chypre, l’île de Man, Malte ou Gibraltar réagiront-ils en se dotant des moyens nécessaires ? Il appartient désormais à l’Europe d’y veiller et d’imposer de nouveaux comportements aux États récalcitrants. S’ils n’obtempèrent pas, ils doivent être sanctionnés. J’ai eu l’occasion de me rendre en Bosnie depuis que j’ai quitté mes fonctions, dans le cadre d’un projet européen porté par le ministère de la Justice. J’ai pu rencontrer à Sarajevo, avec l’aide d’une magistrate française détachée en Serbie et motivée, les procureurs spécialisés dans la lutte contre la fraude. Ils m’ont exposé à tour de rôle les difficultés qu’ils rencontraient. Je les ai invités à poursuivre systématiquement les banques qui permettaient à des hommes de paille d’effectuer de multiples retraits importants en espèces. Je leur ai conseillé de les perquisitionner, de se faire communiquer la liste des retraits en espèces sur les comptes ouverts dans la banque et d’en faire le tri afin d’enquêter sur les opérations particulièrement suspectes. Je les ai aussi vivement incités à identifier les responsables de la banque – du chargé de clientèle au directeur général – et à les poursuivre en justice pour les faits de blanchiment. Ce n’est qu’à ce prix qu’ils pourront éradiquer la fraude et montrer à l’Europe que les mauvaises pratiques sont en passe de cesser. L’Europe a un rôle fondamental à jouer dans
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cette évolution vers la transparence. Il lui appartient d’adopter une attitude volontariste et d’exiger de chacun de ses membres et des candidats à l’intégration qu’ils nettoient les écuries d’Augias. Il existe en Europe des institutions aptes à organiser une lutte systématique contre la fraude. Je pense à l’organisation Eurojust, qui regroupe des magistrats de l’ensemble de l’Union et qui est chargée de faciliter la coopération des juges de chaque État en son sein. Eurojust pourrait être dotée de pouvoirs de contrôle sur l’action menée dans chaque État dans ce domaine. Les magistrats qui la composent sont bien placés pour apprécier le degré de coopération de chaque pays. Il existe aussi depuis octobre 2019 une procureure européenne, Laura Codruta Kövesi. Nous avions demandé, vingt-trois ans plus tôt, la création d’un tel poste avec l’appel de Genève. Mais ses compétences sont limitées aux fraudes contre les intérêts financiers de l’Union européenne. Ses pouvoirs pourraient être parfaitement élargis à la lutte contre la fraude internationale. Cette lutte ne sera efficace que si les législations des refuges européens suppriment les recours dilatoires qui permettent aux titulaires des comptes de retarder la transmission des informations. Ils doivent être abolis, en particulier au Luxembourg, au Liechtenstein ou en Suisse. Dès lors que les États européens ont pour caractéristique d’être des démocraties où l’état de droit est respecté, les informations doivent circuler en son sein sans entraves. Une autre réforme est indispensable : la centralisation dans chaque pays des références des comptes bancaires au sein d’un organisme centralisateur. C’est le cas en France. Cet outil permet au service enquêteur de connaître par une simple demande adressée à un service unique, l’ensemble des comptes détenus par une personne. Si tous les pays étaient dotés d’une telle institution, la transparence ferait de grands pas et nombre d’enquêtes aboutiraient. Ce sont là des mesures simples et de bon sens. Elles n’empiètent pas sur la souveraineté des États membres. Ces réformes reposent sur la volonté de chacun d’éradiquer la fraude et de coopérer étroitement avec les autres. L’Europe doit ainsi progresser et définitivement balayer devant sa porte. Il est temps qu’elle impose des règles de transparence et de coopération effective aux États récalcitrants ou défaillants. Une fois le ménage fait en son sein, elle sera crédible. Il faut rester lucide. Si l’Europe se décide à agir efficacement, l’argent regagnera d’autres cieux et lui échappera. Aussi ne peut-elle se contenter d’imposer des règles contraignantes à ses États refuges : elle doit aussi prendre des initiatives hors de son territoire. Elle devra sensibiliser ses partenaires dans le monde entier afin qu’ils prennent des mesures identiques. L’Europe dispose d’un atout considérable : la démocratie. À elle de montrer l’exemple. En aura-t-elle le courage ?
3. Au-delà de l’Europe 4 - Les affaires que j’ai instruites ces dernières années montrent qu’en 2009, du fait des nouvelles lois antiblanchiment adoptées dans leur pays, les gestionnaires suisses ont choisi de délocaliser les avoirs de leurs clients, dans le souci de les dissimuler et d’éviter les nouveaux contrôles mis en place en partenariat avec l’Europe. Finis les comptes suisses à numéro ou dotés d’un acronyme. Ils ont cédé la place à des comptes ouverts au nom de sociétés panaméennes à Singapour, place jugée sûre. L’exemple de Dubaï est tout aussi révélateur. Ce pays, nouvel Eldorado moderne, pavane sur les grandes chaînes de télévision et se présente comme la vitrine de l’Occident en Orient. Bénéficiant de la manne pétrolière des Émirats arabes unis, Dubaï investit considérablement dans le tourisme et le monde des affaires. Elle attire les investisseurs. Mais il existe une face cachée qui ne semble inquiéter personne : Dubaï est devenue le paradis de l’argent sale. Des escrocs y ont trouvé refuge et font prospérer leur fortune en toute quiétude.
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4. Des enjeux considérables 5 - Aujourd’hui, les États sont lourdement endettés et l’actualité récente n’a fait qu’aggraver cette situation. La crise économique est là. Parallèlement, des avoirs considérables d’origine frauduleuse sont soigneusement dissimulés depuis des décennies, à l’abri de tout regard inquisiteur, dans des places financières complaisantes. Selon d’éminents économistes, les montants en jeu sont exorbitants. La fourchette de l’estimation est particulièrement large puisque, par définition, ces avoirs sont masqués. Ainsi Gabriel Zucman, économiste français à l’université de Berkeley, avance-t-il un montant de 8 700 milliards de dollars alors qu’un spécialiste américain, James S. Henry, va jusqu’à évoquer 36 000 milliards de dollars. À titre de comparaison, la dette de la France s’élevait en septembre 2019 à 2 415 milliards d’euros. La Conférence des Nations unies sur le développement a publié le 28 septembre 2020 un rapport évaluant à au moins 76 milliards d’euros (88,6 millions de dollars) par an l’évasion de capitaux d’origine illicite en Afrique 3. « Ces flux, relève le rapport, qui privent les Trésors publics de ressources nécessaires au financement du développement, sont considérables et ne cessent de croître. Ces données sont cependant incomplètes. Les exportations de pétrole brut qui passent par des pipelines ne sont pas enregistrées auprès des autorités douanières et une fois raffiné, le pétrole perd toute trace de ses origines, ce qui rend très difficile son traçage dans les statistiques internationales. Notre estimation est en conséquence certainement assez inférieure à ce qu’elle aurait été si les chiffres manquants du pétrole et du gaz avaient pu être intégrés à cette analyse. » Pourquoi ne prend-on aucune mesure contre les pays qui abritent ces capitaux, lesquels manquent cruellement aux populations spoliées et déshéritées d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique centrale ? Comment expliquer que ces fonds ne soient pas gelés et redistribués ? La circulation de telles sommes d’argent laisse des traces. Les opérations en cash ne sont qu’une étape. Le produit de la corruption a tantôt été prélevé dans les banques centrales par virements au profit de sociétés offshore ou de trusts, tantôt été versé sous forme de commissions par les compagnies qui exploitent les matières premières. Pourquoi la communauté internationale ne réagit-elle pas ?
5. Pour un monde régulé 6 - N’est-il pas venu, le temps où les démocraties occidentales vont enfin tirer la conséquence inéluctable de cet état de fait ? La saisie et la confiscation de ces grandes fortunes masquées, qu’elles soient a minima le produit de la fraude fiscale ou – pire – le produit de détournements ou de la corruption – sans oublier les trafics de drogue et autres –, s’imposent dans une mondialisation renouvelée. Cet argent doit être traqué par nos démocraties. Pourquoi ne se concertent-elles pas pour mettre au pas les pays refuges en les contraignant à jouer la transparence sous peine d’embargo ou autres sanctions commerciales internationales ? Elles doivent se réunir et réaliser collectivement la confiscation de ces sommes considérables en ne laissant d’autre choix aux pays récalcitrants que de coopérer sous peine de sanctions efficaces. Seule une volonté politique collective déterminée peut aboutir. C’était en filigrane le sens de l’appel de Genève, lancé voilà maintenant près de vingt-cinq ans. Nous n’étions que quelques juges et procureurs. Il est temps d’élargir l’action en exigeant des pays refuges une transparence totale sur les avoirs des ressortissants étrangers, où qu’ils se trouvent dans le monde, et de mettre, enfin, la main sur l’argent de la fraude.ê 3. Laurence Caramel, Le Monde, 28 septembre.
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L’arbitrage des conflits en droit du travail : un temps d’avance ? Frédérique CASSEREAU, Avocate associée au sein du département Social du Cabinet Hoche, Ancienne Secrétaire de la Conférence de stage et Maître de Conférence à l’Ecole de Droit de Sciences Po
1 - Le développement de l’arbitrage en droit du travail, en particulier s’agissant des contentieux individuels, continue de rencontrer une forte résistance en France, contrairement à ce que l’on peut constater dans certains pays de common Law, aux États-Unis bien sûr, mais encore au Canada ou en Israël. C’est vrai aussi s’agissant des pays de civil Law comme la Suède, les Pays-Bas ou encore l’Italie. Cette résistance s’explique principalement pour des raisons culturelles : méconnaissance de la procédure et idées reçues sur sa validité, crainte de léser la partie faible, à savoir le salarié. En substance, le recours à l’arbitrage dans les conflits de droit du travail constituerait une remise en cause de l’ordre public social (1). Pour autant et au-delà du contexte général de mondialisation économique qui voit se multiplier les contrats de travail internationaux, d’autres facteurs sont réunis pour que les réticences s’amenuisent et que l’arbitrage se révèle comme une solution alternative particulièrement adaptée au monde actuel du travail. Parmi ces facteurs, il y a en premier lieu l’évolution du contentieux prud’homal lui-même (2) et en deuxième lieu l’évolution de la nature du lien salarial, avec l’émergence d’une multitude de situations de para subordination ou plus largement d’un droit de l’activité professionnelle (3).
1. L’arbitrage en droit du travail ne constitue pas une remise en cause de l’ordre public social et sa légalité n’est pas contestable 2 - L’un des écueils avancés pour ne pas recourir à l’arbitrage en droit du travail, serait que cette procédure bousculerait les grands principes de régulation de la législation sociale en la matière. Or, ces principes sont inspirés de l’idée qu’il existe un déséquilibre contractuel entre l’employeur et le salarié et de la nécessité qui en découle de protéger ce dernier. Pour autant, et avant même d’essayer de déterminer si le recours à la procédure d’arbitrage menacerait intrinsèquement les droits fondamentaux du salarié ou le progrès social, il est intéressant de regarder ce qui se passe dans d’autres domaines du droit dans lesquels on trouve également une forte dimension d’ordre public. En effet, il est depuis longtemps admis par la jurisprudence que les arbitres peuvent trancher dans des matières fortement imprégnées d’ordre public : « l’arbitrabilité d’un litige n’est pas exclue du fait qu’une réglementation d’ordre public est applicable au rapport de droit litigieux » 1. Ainsi en droit de la concurrence, en droit de la consommation ou plus récemment en droit de la famille, les modes alternatifs de règlement des conflits et l’arbi1. Paris 19 mai 1993, Rev. arb. 1993.645, note C. Jarrosson.
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trage semblent rencontrer beaucoup moins d’obstacles qu’en contentieux du travail. L’explication de cette différence est donc étrangère à la présence de règles impératives. Elle semble en définitive sans doute assez simple : il est difficile en matière commerciale ou familiale d’envisager des ruptures brutales ou définitives. Le prestataire ou le fournisseur ne souhaite pas se fâcher définitivement avec son client, il a « envie » (enfin besoin) de pouvoir maintenir un lien contractuel, sans compter le risque réputationnel dans certains secteurs d’activité. Quant aux ex-conjoints et quand bien même ils traversent une période difficile à l’occasion de leur séparation, ils entendent la plupart du temps, préserver également un lien dans l’intérêt des enfants lorsqu’il en existe. En revanche, à l’occasion de la rupture du contrat de travail, il n’y a point de retour possible, le salarié n’imagine pas être réembauché par son employeur, il ne le veut pas d’ailleurs et il est donc rare que les parties en présence aient un intérêt immédiat à préserver leur relation. Parmi les règles d’ordre public social qui seraient menacées par l’arbitrage en droit du travail, ses détracteurs relèvent la compétence exclusive du conseil de prud’hommes dont le fonctionnement paritaire, profondément original et unique en Europe, est considéré par les syndicats comme une conquête sociale historique et intangible, pour ne pas dire sacrée. À cet égard est invoqué l’article L. 1411-4 du Code du travail, aux termes duquel : « Le conseil de prud’hommes est seul compétent, quel que soit le montant de la demande, pour connaître des différends mentionnés au présent chapitre. Toute convention contraire est réputée non écrite ». Cet argument textuel est complété par le constat qu’à une époque ancienne, ce même article prévoyait la possibilité, à titre dérogatoire, de recourir à l’arbitrage, ce que ce texte aujourd’hui ne mentionne plus. En effet, l’article L. 1411-4 (anciennement L. 511-1) du Code du travail dans sa rédaction antérieure à la loi du 6 mai 1982 relative à la réforme de certaines dispositions du conseil de prud’hommes, dite Loi Auroux, réservait au Conseil de prud’hommes une compétence exclusive, « [...] à l’exception du compromis d’arbitrage, postérieur à l’expiration du contrat de travail. ». Dans sa version ultérieure à la loi du 6 mai 1982, le texte de l’article L. 1411-4 du Code du travail a été modifié sans que désormais il n’autorise explicitement le compromis d’arbitrage. Pour autant, interrogé sur cette évolution du texte à l’occasion des débats parlementaires, le Ministre Jean Auroux avait déclaré : « Je tiens à préciser que le nouveau texte ne peut être considéré comme faisant échec au droit commun de l’arbitrage. Par conséquent, [...] les salariés et les employeurs auront toujours la possibilité de soumettre leur litige à un arbitre, mais seulement le licenciement intervenu. En supprimant toute référence à un compromis d’arbitrage, le nouveau texte répond à la préoccu-
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pation du Gouvernement de mettre l’accent sur le rôle primordial de la juridiction prud’homale ». La jurisprudence l’a entendu ainsi et a admis définitivement la validité d’un compromis d’arbitrage intervenu après la rupture du contrat ce qu’elle fit dans les termes suivants : « Mais attendu que la cour d’appel ayant relevé que le contrat de travail avait été rompu le 31 mars 1980, en a justement déduit que les parties étant devenues dès lors libres et capables de compromettre, elles pouvaient le faire de manière licite à la date du compromis » 2. En réalité, ce que traduit la rédaction actuelle de l’article L. 1411-4 du Code du travail, est simplement que depuis la création de la section encadrement, les cadres n’ont plus la possibilité, comme ils l’avaient auparavant, de saisir le Tribunal de commerce ou le Tribunal d’instance, le conseil de prud’hommes étant exclusivement compétent. Autrement dit, si un juge d’État doit être saisi, c’est le conseil de prud’hommes. Pour autant et conformément aux dispositions de l’article 2059 du Code civil, qui prévoit que « toutes personnes peuvent compromettre sur les droits dont elles ont la libre disposition », les parties aux contrats de travail ont la liberté de confier le règlement de leur litige à l’arbitrage. Une fois dépassé l’obstacle de la compétence exclusive du conseil de prud’hommes, demeurent quelques réfractaires qui persistent à penser au nom de l’indisponibilité des droits du salarié, que la clause compromissoire ne serait pas valable dans un contrat de travail. Or si l’article L. 1121-4 du Code de travail issu des lois Auroux précise que les conventions contraires à la compétence du conseil de prud’hommes sont « réputées non écrites » et que l’article L. 1221-5 du même code précise que « toute clause attributive de juridiction incluse dans un contrat de travail est nulle et de nul effet », ces dispositions ne concernent cependant que les clauses attributives de juridiction intra-judiciaires à l’exclusion de la clause compromissoire. En effet, la Cour de Cassation a depuis longtemps retenu que, la clause compromissoire insérée dans un contrat international de travail était parfaitement licite 3 et plus récemment la chambre sociale a retenu la licéité de la clause compromissoire figurant dans un contrat de travail interne 4. Dans tous les cas cependant, la clause compromissoire, bien que valable, est inopposable au salarié une fois le litige né, ce qui donne toujours à celui-ci la possibilité de refuser l’arbitrage. Il bénéficie en réalité d’une option de compétence qui lui permet de renoncer ou de résister à l’arbitrage en cas de litige et de saisir le conseil de prud’hommes ou d’accepter d’y être attrait. C’est une faveur que lui fait le droit positif, qui n’existe pas pour l’employeur qui, lui, n’aura pas le choix dès lors qu’il a accepté la clause compromissoire. Enfin et surtout, cette logique a été récemment reprise aux termes de l’article 2061 du Code civil issu de la loi Justice du XXI siècle du 18 novembre 2016, aux termes duquel : « La clause compromissoire doit avoir été acceptée par la partie à laquelle on l’oppose, à moins que celle-ci n’ait succédé aux droits et obligations de la partie qui l’a initialement acceptée. Lorsque l’une des parties n’a pas contracté dans le cadre de son activité professionnelle, la clause ne peut lui être opposée ». Cela signifie donc que notre droit positif reconnaît désormais la validité de la clause compromissoire quelle que soit la qualité des parties et notamment dans les relations entre particuliers et donc bien entre un employeur et un salarié. Sur le plan pratique cependant, le compromis n’est valable qu’à la condition non seulement que le litige soit déjà né, mais encore que le contrat de travail soit rompu, ce qui réduit nécessairement les hypothèses de recours à l’arbitrage. Ce constat devrait être de nature à atténuer les résis2. Cass. soc., 5 nov. 1984, JCP 1985.II.20510, note N. S., puis Paris 14 déc. 1990, Rev. arb. 1991.365, obs. B. Moreau ; RJS 1991/2, n° 300. 3. Cass. soc., 16 février 1999, Bull. Civ. V, n° 78. 4. Cass. soc., 30 novembre 2011,n° 11-12.905, 11-12.906, 2512.
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tances, tant il est vrai que l’arbitrage n’a pas vocation à se substituer totalement aux conseils de prud’hommes, ni l’ambition de désengorger les tribunaux, mais plutôt de se présenter comme une alternative susceptible de répondre aux besoins des justiciables qui sont nés de l’évolution intrinsèque du contentieux prud’hommal et de la nature du lien salarial. C’est d’ailleurs dans cet état d’esprit qu’a été fondé par Hubert Flichy en 2015 le CNAT (Centre National d’Arbitrage du Travail) devenu depuis le CMAT (Centre de Médiation et d’Arbitrage du Travail).
2. L’évolution du contentieux prud’homal incite à développer l’arbitrage en droit du travail 3 - Il existe une défiance prononcée envers l’arbitrage, quintessence d’une justice privée, le juge « public » serait lui un gage de qualité et de garantie des intérêts des salariés. Pour paraphraser le Professeur d’arbitrage Jean Desprez, est posée en soi la supériorité des juridictions étatiques sur les juridictions « privées ». Ainsi cette défiance repose sur la certitude que les juridictions prud’homales seraient exemplaires. À cet égard, on peut souligner un paradoxe amusant au regard de la genèse de l’institution prud’homale : le conseil de prud’hommes est le fruit de la volonté du milieu ouvrier de créer une institution protégée de l’influence de l’ État et des professionnels du droit, dont les membres jugent leurs pairs en équité plutôt qu’en droit, avec rapidité et sans s’encombrer de procédures judiciaires complexes... Autant dire que nous sommes aujourd’hui à des années lumières de cette philosophie originelle. Il n’est pas question ici de refaire une énième fois, le procès du juge naturel du contrat de travail, mais tout le monde s’accorde pour dire que ce contentieux fonctionne mal en dépit des réformes récentes et nombreuses. Si nous reprenons les principaux reproches que l’on peut adresser à la juridiction prud’homale et que nous les mettons en perspective avec la procédure d’arbitrage, nous ne pouvons qu’être convaincus de son attrait : - L’aléa judiciaire lié entre autres au manque de formation des juges et à la technicité du contentieux social. Ainsi, dans certains dossiers on voit bien entre les lignes que les conseillers prud’homaux ont voulu juger en équité, dans la philosophie de leur mission première de juge de proximité, mais pour arriver à cela ils sont contraints de tordre la règle de droit. Le résultat est souvent déconcertant pour toutes les parties qui par conséquent font appel dans plus de 60 % des cas. Le tribunal arbitral peut statuer lui en équité « en amiable compositeur », ou en droit selon ce que souhaitent les parties, sans pour autant que le respect des règles d’ordre public puisse être éludé. Par ailleurs, rien n’empêche non plus les parties d’organiser la possibilité d’un appel de la décision arbitrale, ce qui constitue une garantie procédurale non négligeable. En toute hypothèse, un recours en annulation est toujours possible car les parties ne peuvent y renoncer, ce recours est également porté devant la Cour d’appel. La barémisation des indemnités prud’homales en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse introduite depuis l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 avait vocation à limiter l’aléa judiciaire. Mais on a rapidement constaté avec le feuilleton judiciaire relatif à la conventionnalité du barème qu’il n’en n’était rien. Surtout, le contentieux de la rupture du contrat de travail est en train de changer de nature puisque pour contourner le barème les salariés invoquent désormais de façon presque systématique la nullité de leur licenciement au soutien de la violation d’une liberté fondamentale, d’un harcèlement moral ou sexuel ou encore d’une discrimination, l’article L. 1235-3-1
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du Code du travail prévoyant en effet que le barème d’indemnités ne s’applique pas dans ces situations. - L’inadaptation du temps judiciaire au temps de l’entreprise et du justiciable, quand la sanction tombe il est souvent bien trop tard... L’exemple le plus caractéristique de cette inadéquation étant la disparition pure et simple de l’entreprise alors que la réintégration dans celle-ci a été ordonnée. Or, justement la réintégration peut être sollicitée au titre de la sanction du licenciement nul.... Autant dire que les perspectives de développement du contentieux relatif à la nullité du licenciement ne sont pas de nature à rassurer à cet égard. Des justiciables obtiennent régulièrement la condamnation de la France devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour déni de Justice en raison des délais excessifs pratiqués devant les juridictions. Ce phénomène, en dépit des réformes procédurales entreprises ces dernières années, n’est pas près de s’amenuiser compte-tenu du stock abyssal d’affaires non traitées qui s’est constitué pendant le premier confinement de l’année 2020. La justice arbitrale est quant à elle plus rapide, le tribunal arbitral étant contraint par un calendrier. - L’inadaptation de la réponse judiciaire elle-même aux préoccupations des salariés comme de l’employeur : il existe désormais autant de modèles d’entreprises que de métiers, là encore l’illusion d’une justice de proximité se fait particulièrement ressentir puisque les conseillers prud’homaux ne sont pas en mesure de pouvoir appréhender cette variété. Cette difficulté se retrouve au demeurant dans l’organisation des 5 sections du conseil de prud’hommes qui n’a pas évolué depuis la Loi Boulin de 1979, ce qui conduit ainsi à ce que certaines professions (ingénieurs conseils, informaticiens) ou certaines catégories de personnels (cadres dirigeants) ne se retrouvent pas dans cette répartition et ne sont pas représentées au sein des conseils de prud’hommes. Au contraire, l’arbitrage est particulièrement souple, et partant tout peut être envisagé. Par ailleurs, il pourrait s’avérer être un outil efficace comme le rapport Barthélémy/Cette de janvier 2010 l’avait souligné, avant même que la rupture du lien contractuel ne soit consommée, si le droit positif le permettait ce qui, comme il a été exposé plus haut, n’est pas possible en l’état. L’arbitre pourrait dans une telle hypothèse préconiser la mise en place de solutions dont il assurerait le suivi dans le temps avec des rendez-vous d’étapes, des obligations assorties de sanctions. Cette faculté n’est pas ouverte au juge prud’homal d’une part parce qu’il est établi que quand il est saisi dans 90 % des cas, c’est lorsque le contrat est d’ores et déjà rompu et qu’il est trop tard et d’autre part parce qu’une fois sa décision rendue, il est dessaisi et n’a plus aucun pouvoir. - Si la procédure prud’homale reste « gratuite » dans son principe, la complexité du contentieux a depuis longtemps rendu quasi illusoire en pratique cette gratuité. Depuis le 1er août 2016, la saisine du conseil se réalise non plus par simple dépôt d’un formulaire pré-imprimé, mais sur requête avec un exposé sommaire des prétentions en droit et les pièces que le demandeur souhaite communiquer à l’appui de ses prétentions. De facto, la possibilité pour un salarié de ne pas être assisté par un avocat ou par un défenseur syndical n’est pas sérieusement envisageable. Ce même décret a rendu en outre la présence de l’un ou de l’autre obligatoire en appel. Au demeurant, les moyens financiers qui sont consacrés dans le budget du ministère de la Justice à la justice sociale dans son ensemble sont notoirement insuffisants et annoncent un mouvement inéluctable vers une « privatisation de la justice sociale ». La mise en place d’un barème accessible et adapté, comme c’est le cas au sein du CMAT, répond ainsi aux critiques qui pourraient être adressées de ce chef. Enfin et surtout, la juridiction prud’homale n’a pas su s’adapter aux modes hiérarchiques modernes d’organisation du travail
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et à son modèle le plus emblématique, les plateformes numériques.
3. L’évolution de la nature du lien salarial et l’émergence d’un droit de l’activité professionnelle, facteur économique et sociétal propice au recours à l’arbitrage 4 - Le droit du travail français et la compétence exclusive des juridictions prud’homales a été édicté sur la base du postulat qu’il existe un rapport d’inégalité entre l’entreprise et le salarié, une partie forte et une partie faible. Mais ce postulat ne tient pas compte du passage de la civilisation de l’usine à celle du savoir ou du numérique. L’opposition manichéenne entre travail salarié et indépendant tend à se réduire considérablement avec l’avènement des nouvelles technologies. Les modes hiérarchiques d’organisation du travail ont été bouleversés, l’économie des plateformes numériques étant le modèle le plus symptomatique et médiatique de ce bouleversement. L’état de subordination, l’indépendance technique, la dépendance économique la para-subordination sont autant de notions qui ont rendu poreuses les frontières du salariat. Il n’existe donc plus un mode de salariat standardisé qui imposerait d’avoir nécessairement recours à un dispositif « protecteur » de règlement des conflits avec le conseil de prud’hommes dont la procédure favoriserait l’équilibre entre les parties, une telle approche ne tient en effet absolument pas compte de la diversité des situations et des différentes catégories de travailleurs. Ainsi les cadres dirigeants, certains cadres autonomes, les sportifs de haut niveau, les artistes, peuvent trouver beaucoup d’avantages à recourir à l’arbitrage. Il n’est d’ailleurs pas anodin de constater que les deux seules procédures spécifiques d’arbitrage d’ores et déjà existantes et largement utilisées sont celles des journalistes professionnels avec leur commission arbitrale et celles des avocats salariés avec le recours à l’arbitrage du Bâtonnier. Il s’agit précisément de professions dans lesquelles le degré d’indépendance technique est très élevé et le lien de subordination particulièrement distendu. Même si la doctrine rappelle pour ces deux procédures qu’il s’agirait de « faux arbitrages » obéissant à des règles spécifiques, leur philosophie répond bien à la même logique : compte-tenu des spécificités de ces professions, il a été envisagé par le législateur que leur contentieux puisse être pris en charge par une autre institution que le conseil de prud’hommes, une institution plus adaptée à la spécificité de ces métiers. La remise le 2 décembre 2020 au Premier ministre du rapport intitulé : « Réguler les plateformes numériques de travail » par Jean-Yves FROUIN, ancien président de la chambre sociale de la Cour de cassation, mérite un point d’attention. Ce rapport intervient dans un contexte bien particulier après que la Cour de cassation a requalifié en contrat de travail le contrat d’un chauffeur VTC travaillant pour la plateforme Uber dans un arrêt en forme d’arrêt de principe pouvant laisser supposer qu’en cas de contentieux à venir le contrat de tout chauffeur VTC serait (pourrait être) requalifié en contrat de travail 5. La mission dévolue au rapporteur par le Gouvernement part du postulat que cette jurisprudence constitue une source d’insécurité juridique et peut fragiliser le modèle économique, refusant en cela de se résigner à appliquer aux chauffeurs VTC le régime du salariat. Cette approche et cette jurisprudence qu’elles soient ou non criti5. Cass. soc., 4 mars 2020, n° 19-13.316.
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quables, comme les débats qui en découlent, illustrent parfaitement l’inadéquation du contentieux prud’homal à ce modèle économique et sociétal qui s’est imposé dans nos modes de vie et de consommation depuis une dizaine d’années. A cet égard, il est intéressant de relever que le rapport propose la création d’une autorité de régulation des plateformes, qui pourrait également jouer un rôle de médiateur en cas de conflits ou litiges entre plateformes et travailleurs de plateformes. Pour un peu, il aurait pu lui confier le rôle d’un arbitre que cela aurait semblé naturel. Pour en revenir aux avantages que présente cette procédure pour ces travailleurs, on peut en retenir plusieurs : - L’un des premiers tient à la confidentialité. Les professionnels dont on vient de parler peuvent avoir la volonté de conserver une certaine confidentialité sur leurs conditions de départ, notamment parce que souvent leur niveau de rémunération sera sans commune mesure avec celui de certaines catégories de salariés dans le secteur industriel notamment. Or, l’arbitrage remplit bien entendu mieux cette exigence que l’instance prud’homale.... - Le second tient à la circonstance que si le Code du travail régit bien les relations existantes entre l’entreprise et le salarié, certaines professions sont soumises à une réglementation spécifique dont les manquements peuvent imparfaitement être appréhendés par le juge prud’homal : ainsi, comme l’a souligné Jacques Barthélémy, il existe bien une autonomie de la loi sportive avec le respect d’une véritable déontologie, avec des instances internes, des procédures d’homologation des contrats. Tout cela incite à regarder l’arbitrage comme un outil au service d’un secteur dans lequel la recherche du progrès social implique une harmonisation des pratiques déontologiques. Dans le secteur du sport, il existe d’ores et déjà une pluralité de juges, qui conforte l’idée de l’inadaptation des recours juridictionnels classiques au monde sportif (CNOSF : Comité national Olympique et sportif français, TAS : tribunal arbitral du sport, CAS : chambre
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arbitrale du sport), : tous les conflits susceptibles de relever de ces juridictions pourraient être réglés par la voie de l’arbitrage de droit commun. Cette analyse pourrait se décliner pour toutes les professions ou secteurs dans lesquels on retrouve à la fois le concept de para-subordination mais aussi un corpus fort de règles éthiques comme le secteur médical, juridique, ou encore bancaire. **** 5 - Ainsi l’arbitrage possède toute une série d’avantages cardinaux susceptibles de répondre aux défaillances de la juridiction prud’homale qui s’avère résolument inadaptée aux modes hiérarchiques modernes d’organisation du travail et à son modèle le plus emblématique, les plateformes numériques. De même que cette procédure semble pouvoir répondre au besoin des justiciables de pouvoir appréhender le « droit de l’Activité économique ». Par rapport aux modes alternatifs de règlement des conflits, il présente certains atouts complémentaires puisqu’il aboutit à une décision de justice qui s’impose aux parties, il a donc rigoureusement les mêmes vertus qu’un jugement, ce d’autant que rien n’interdit, dès lors qu’on le prévoit ab initio, d’en faire appel. Reste une difficulté pratique de taille puisque la clause compromissoire reste inopposable au salarié une fois la rupture du contrat de travail consommée, ce qui limite le champ des possibles. Au-delà de cet obstacle, la culture de l’arbitrage reste encore à conquérir et il est presque vertigineux de constater qu’en dépit de la suspension totale de toute activité des juridictions pendant près de 2 mois à raison de la crise de la Covid-19, il n’a pas été recensé d’activité en arbitrage de conflit du travail. Pourtant, si tout le monde conviendra que la justice démocratique a nécessairement tout à gagner à créer des espaces de dialogue, encadrés, en marge du procès, c’est donc que l’ensemble de cette réflexion intervient, sans doute, avec un temps d’avance.ê
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Les codes de conduite, instruments de régulation des entreprises Entretien avec Odile de BROSSES, Directrice du service juridique de l’Association française des entreprises privées (Afep)
La Revue des Juristes de Sciences Po : Comment définiriezvous les codes de conduite ? Odile de Brosses : Dans son Livre vert de 2001 sur la responsabilité sociale des entreprises, la Commission européenne a défini le terme « code de conduite » comme désignant une « déclaration officielle des valeurs et pratiques commerciales d’une entreprise et, parfois, de ses fournisseurs » 1. Ce faisant, la Commission traite en réalité seulement des codes adoptés par des entreprises. Les sociétés commerciales ne sont pourtant pas les seuls auteurs – ni d’ailleurs les seuls destinataires – de codes de conduite. Des codes de conduite ont également été édictés par des associations professionnelles (par exemple le Code AfepMEDEF de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées ou le programme Responsible Care dans l’industrie chimique), des associations et des autorités publiques, que ce soit pour encadrer leurs activités propres (par exemple, le Code de conduite pour le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge) ou celles d’entités tierces (par exemple, les Principes directeurs de l’ Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à l’intention des entreprises multinationales adoptés en 1976 ou le Code de bonnes pratiques du Fonds monétaire international (FMI) en matière de transparence des finances publiques, destiné aux Gouvernements de 2007). Les codes de conduite ne diffèrent pas seulement par leurs sources et par leurs destinataires, mais aussi par leur contenu. Ils peuvent s’appliquer à une organisation individuelle, à tout un groupe de sociétés, à un secteur entier, etc. En outre, ils peuvent être plus ou moins détaillés : certains énoncent des valeurs 2 et des préceptes comportementaux relativement généraux, mais le code peut aussi prendre la forme d’« un document extrêmement élaboré exigeant le respect de normes précises et prévoyant un mécanisme coercitif complexe » 3. En somme, la catégorie « code de conduite » regroupe des référentiels extrêmement différents les uns des autres. Il existe toutefois des points communs, qui tiennent à la vocation des codes de conduite à constituer des instruments de droit souple. À ce titre, « ils présentent, par leur contenu et leur mode d’élaboration, un degré de formalisation et de structuration qui les apparente aux règles de droit », « ils ont pour objet de modifier ou d’orienter les comportements de leurs destinataires en suscitant, dans la mesure du possible, ???. 1. Commission européenne, Livre vert – Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises, COM/2001/0366 final, 2001, p. 27. 2. Les principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, 2011, pp. 35-36 : de plus en plus d’entreprises ont adopté des « codes de conduite volontaires, traduisant leur adhésion à certaines valeurs éthiques dans des domaines comme l’environnement, les droits de l’homme, les normes du travail, la protection des consommateurs ou la fiscalité ». 3. Commission européenne, op. cit.
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leur adhésion » et en principe « ils ne créent pas par eux-mêmes de droits ou d’obligations pour leurs destinataires » 4. RJSP : Quelle est l’utilité des codes de conduite ? OB : L’utilité des codes de conduite a été très bien expliquée par le Conseil d’État dans son étude de 2013 sur « Le droit souple ». À l’instar du droit souple dans son ensemble, un code de conduite peut servir, selon les circonstances : - à se substituer au droit dur lorsque le recours à celui-ci n’est pas envisageable, - à préparer le recours au droit dur, notamment face à des phénomènes nouveaux et évolutifs tels que la gouvernance d’Internet, - à accompagner la mise en œuvre du droit dur (en en favorisant la connaissance par ses destinataires, en en déclinant les implications concrètes ou en en éclairant l’interprétation), on en voit un exemple à travers le protocole sanitaire pour faire face à l’épidémie de Covid-19 5, - à favoriser l’harmonisation des pratiques tout en laissant une marge de manœuvre pour y parvenir, - à œuvrer à un changement de culture organisationnelle, - ou encore à compléter le droit dur par des règles plus exigeantes comme c’est le cas pour le Code Afep-MEDEF de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées. En pratique, les codes de conduite sont donc particulièrement utiles dans les domaines très techniques et innovants (l’Internet, la finance, etc.) où il est nécessaire de favoriser l’adoption de bonnes pratiques sans pour autant brider l’innovation 6. Ils sont également très importants pour l’organisation d’activités globalisées telles que celles des entreprises multinationales : ils permettent d’identifier des standards de comportement unifiés notamment sous la pression des investisseurs qui investissent sur une base transnationale. L’essor des codes de conduite au cours des dernières décennies est ainsi révélateur des défis auxquels les États font face aujourd’hui. Comment prétendre réglementer activement un monde complexe qui se décompose en une quantité de sphères techniques très spécialisées et en une kyrielle de groupes sociaux ayant chacun leur représentation du bien et du juste ? La réponse passe par un principe de prudence que le doyen Carbonnier avait formulé ainsi à l’intention de « nos hommes de gouvernement [...] : ’Ne légiférez qu’en trem4. Conseil d’État, Étude annuelle 2013 – Le droit souple, 2013, p. 61. 5. CE, 19 oct. 2020, n° 444809 : « Le protocole dont la suspension est demandée constitue un ensemble de recommandations pour la déclinaison matérielle de l’obligation de sécurité de l’employeur dans le cadre de l’épidémie de Covid-19 en rappelant les obligations qui existent en vertu du code du travail. » 6. V. par ex. l’explication des raisons de recourir aux codes de conduite exposées dans le préambule du Règlement (UE) 2018/1807 du Parlement européen et du Conseil du 14 novembre 2018 établissant un cadre applicable au libre flux des données à caractère non personnel dans l’Union européenne.
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blant’ » 7. Il s’agit, en somme, de tracer une ligne de partage entre, d’un côté, un domaine où l’intervention du droit dur est incontournable et, de l’autre, un domaine où la société est en mesure de faire émerger des normes qu’il n’y a pas lieu d’enfermer a priori dans un carcan uniforme 8. Les codes de conduite trouvent toute leur utilité dans cette sphère de flexibilité. RJSP : Les codes de conduite jouent-ils un rôle particulier en matière de gouvernance d’entreprise ? OB : À partir des années 1990, nous avons effectivement assisté à une vague d’adoption de codes de conduite spécifiquement dédiés à la gouvernance d’entreprise. Les professionnels ont généralement été impliqués dans l’élaboration des codes, suivant des modalités variables suivant les États. Il existe à présent un ou quelques codes de gouvernance d’entreprise de référence dans presque tous les États. En France, les deux codes de référence sont d’une part le Code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées (dit « Code Afep-MEDEF ») et d’autre part le Code de gouvernement d’entreprise Middlenext pour les valeurs moyennes. Ces codes de gouvernance d’entreprise régissent des questions selon les cas très techniques et/ou appelant des réponses différentes en fonction du contexte d’application, par exemple la définition d’un administrateur indépendant. Sur certains sujets, ils renforcent les exigences légales, par exemple le devoir de confidentialité des administrateurs 9. Sur d’autres, ils donnent à la norme une portée extraterritoriale, par exemple les règles sur le nombre de mandats des dirigeants mandataires sociaux qui incluent les mandats exercés dans des sociétés cotées étrangères extérieures au groupe, là où la loi ne vise que les mandats dans des sociétés ayant leur siège social sur le territoire français. Les codes de conduite viennent ainsi compléter l’action du législateur, confortant la possibilité pour ce dernier de se concentrer sur l’édiction des normes fondamentales en vue de garantir l’intégrité du fonctionnement des organes sociaux. RJSP : Le Code Afep-MEDEF a été adopté en 1995 et l’on fête donc ses vingt-cinq ans. Comment décririez-vous ses évolutions depuis sa création ? OB : Le Code Afep-MEDEF est issu du travail de plusieurs commissions de présidents de grandes sociétés françaises qui, notamment à la lumière de ce qui se passait à l’étranger, ont publié successivement trois rapports : le rapport Viénot I en 1995 10, Vienot II en 1999 11 et le rapport Bouton en 2002 12. Alors que les deux premiers rapports étaient essentiellement 7. J. Carbonnier, « Scolies sur le non-droit », in Flexible droit : Pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ, 9e éd., 1998, p. 45 et s., spéc. p. 47. 8. En ce sens, v. égal. Conseil d’État, op. cit., pp. 134-135 : « il n’est pas souhaitable de voir se développer, dans les instruments de droit dur que sont les lois et les décrets, des énoncés qui relèvent en réalité du droit souple et ne sont pas normatifs au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Le droit dur a une fonction propre de commandement, qui est de permettre, de défendre ou d’ordonner, selon la formule de Portalis ; le droit souple, qui a une fonction différente d’inspiration et d’orientation, doit figurer dans des instruments distincts qui ne laissent pas de place à l’incertitude sur leur portée juridique. (...) Le rapport d’une « mission de lutte contre l’inflation normative », confié à MM. Alain Lambert et Jean-Claude Boulard, a pu parler de « délire normatif ». Bien utilisé, le droit souple peut être l’un des leviers d’un recentrage du droit dur sur ce qui doit vraiment relever de lui. » 9. S’appuyant sur les dispositions du Code Afep-MEDEF relatives au devoir de confidentialité des administrateurs, et insistant sur leur propension à renforcer l’obligation légale correspondante, v. par ex. TC Paris, 1re ch., 10 nov. 2020, n° RG 201903759, spéc. p. 20. 10. Le conseil d’administration des sociétés cotées, rapport du groupe de travail de l’Association Française des Entreprises Privées et du Conseil National du Patronat Français, juill. 1995. 11. Rapport du Comité sur le gouvernement d’entreprise présidé par M. Marc Viénot, Association Française des Entreprises Privées et Mouvement des Entreprises de France, juill. 1999. 12. Pour un meilleur gouvernement des entreprises cotées – Rapport du groupe de travail présidé par Daniel Bouton, président de la Société Générale, AFEP/ AGREF – MEDEF, sept. 2002.
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centrés sur le fonctionnement du conseil, le rapport Bouton a cherché à tirer les enseignements d’une grave crise de confiance liée à des pratiques comptables qui avaient affecté des entreprises de taille mondiale, ruiné des actionnaires, des salariés, et conduit à la disparition d’un des plus grands tout premiers cabinets d’audit. Ces trois rapports ont ensuite été consolidés dans un ensemble de recommandations et c’est ainsi qu’est né le Code Afep-MEDEF. Ce code a beaucoup évolué depuis vingt-cinq ans pour s’adapter aux évolutions de l’environnement des sociétés cotées françaises. Sur le fond, les objectifs du code se sont diversifiés. Les thématiques couvertes s’étendent à présent du fonctionnement du conseil d’administration, à l’équilibre des pouvoirs entre les dirigeants exécutifs, le conseil d’administration ou le conseil de surveillance et les actionnaires, en passant par la régulation des conflits d’intérêt, la rémunération des dirigeants ou encore la responsabilité sociale des entreprises. Plus récemment, lors de sa dernière révision de janvier 2020, le code est sorti du périmètre du seul conseil d’administration pour édicter des recommandations sur la mixité femmes/ hommes visant plus largement les instances dirigeantes. Sur les procédures, il y a également eu des évolutions notables. Les révisions du code donnent dorénavant lieu à la consultation des parties intéressées (notamment des pouvoirs publics, des associations d’actionnaires, des investisseurs, des agences de conseil en vote et des universitaires) via l’ouverture d’un site dédié. Depuis 2013, un Haut Comité de Gouvernement d’Entreprise a par ailleurs été institué. Il regroupe des dirigeants d’entreprises et des personnalités qualifiées. Il a trois missions principales : suivre l’application des recommandations du code par les sociétés, préciser l’interprétation du code à travers un guide d’application et des réponses aux saisines des entreprises et, enfin, proposer des évolutions du code. La fonction de suivi de l’application des recommandations du code est particulièrement importante. En effet, en France, comme dans la plupart des pays étrangers, les recommandations du code sont identifiées comme des bonnes pratiques à suivre, à moins que la société ne justifie des raisons de s’en écarter (principe dit « appliquer ou expliquer »). En pratique, on constate d’année en année une amélioration du taux de conformité aux recommandations – même à certaines d’entre elles qui, lors de leur adoption, avaient suscité des réticences 13. Cependant, certaines sociétés peuvent décider de s’écarter des recommandations du code et il est alors important de vérifier la pertinence des explications qu’elles fournissent au marché. C’est une fonction essentielle du Haut Comité que d’assurer ce suivi. Depuis quelques années, l’Autorité des marchés financiers a arrêté de publier une étude exhaustive de la conformité au Code Afep-MEDEF et se concentre sur des études thématiques. On ne saurait mieux signaler la qualité du travail fourni par le Haut Comité ! RJSP : Quel est le champ d’application des codes de conduite en matière de bonne gouvernance ? OB : Le Code Afep-MEDEF est applicable aux sociétés qui sont immatriculées en France et qui sont cotées sur un marché règlementé français. Ce double critère évite de soumettre au code des sociétés étrangères, mais il pose parfois des difficultés, notamment à l’égard des sociétés cotées en France mais immatriculées à l’étranger qui, pour cette raison, ne sont pas soumises au Code Afep-MEDEF. Par exemple, « Airbus, bien que cotée en France, l’est également en Allemagne, et étant une société de droit néerlandais, elle applique le code de 13. Haut Comité de Gouvernement d’Entreprise, Rapport du Haut Comité de gouvernement d’entreprise, déc. 2019, p. 11.
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gouvernance néerlandais et n’est pas tenue de se conformer au code Afep-Medef » 14. Le Haut Comité s’est interrogé sur l’opportunité de faire évoluer le champ d’application du Code Afep-MEDEF, afin d’étendre le contrôle des bonnes pratiques à l’ensemble des sociétés cotées en France 15. Cependant, un tel changement n’est pas à l’ordre du jour. À l’étranger, il semble que les pays qui conditionnent la cotation sur le marché règlementé local au respect de recommandations en matière de gouvernance d’entreprise prévoient souvent une exonération pour les émetteurs étrangers. Ces derniers peuvent continuer d’appliquer les recommandations de gouvernance d’entreprise prévues dans l’État où ils sont immatriculés, éventuellement à condition de signaler au marché de cotation les principales différences entre les préconisations du code de gouvernance de leur État d’origine et celles prévues par les règles de cotation 16. Dans un tel contexte, imposer le respect du Code Afep-MEDEF aux émetteurs étrangers risquerait de nuire à l’attractivité de la Place de Paris. L’enjeu est plutôt de veiller à la convergence des codes de gouvernance. Cette convergence est déjà réelle à l’échelle de l’Union européenne. Pour cette raison, la Commission européenne avait conclu, en 2002, qu’il n’y avait pas lieu de soutenir l’élaboration d’un code européen unifié de gouvernement d’entreprise 17. Elle avait effectivement relevé que les principales divergences entre États membres se situaient au niveau du droit des sociétés et de la législation sur les valeurs mobilières, les codes de gouvernement d’entreprise faisant au contraire l’objet d’un degré de convergence remarquable. La Commission avait, en outre, souligné que l’existence d’une pluralité de codes dans l’Union européenne n’était généralement pas perçue par les émetteurs comme une difficulté. Soucieuse d’apporter son concours à la convergence à l’œuvre, la Commission avait toutefois adopté plusieurs recommandations à l’attention des États membres, l’une en 2005 18 proposant des critères d’évaluation de l’indépendance des administrateurs fortement inspirés du Code AfepMEDEF, les autres en 2004 et en 2009 sur la rémunération des administrateurs 19. Ces recommandations ont permis d’accentuer le rapprochement entre les différents codes nationaux. RJSP : Comment les codes de conduite d’entreprise s’insèrent-ils dans l’ordre juridique ? OB : Il existe une tendance à la formalisation croissante des codes de conduite d’entreprises : au fil du temps, le contenu des codes de conduite s’enrichit, de plus en plus de parties prenantes sont associées à leurs révisions, des normes d’application sont adoptées, des organes sont créés en vue d’en suivre l’application, etc. En considération de cette évolution, certains pourraient être tentés de considérer les codes de conduite d’entreprises 14. Ibid., p. 14 (relevant que « 11 sociétés appartenant au SBF 120 n’appliquaient pas le Code Afep-MEDEF du fait de leur immatriculation hors de France »). 15. Ibid. 16. V. par ex. New York Stock Exchange Listed Company Manual, 303A.11 Foreign Private Issuer Disclosure. Cependant, le UK Corporate Governance Code (2018) n’offre pas une telle option, lorsqu’il affirme sans nuance que, p. 3 : « The Code is applicable to all companies with a premium listing, whether incorporated in the UK or elsewhere ». 17. Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, Modernisation du droit des sociétés et renforcement du gouvernement d’entreprise dans l’Union européenne – Un plan pour avancer, COM/2003/ 0284 final, 21 mai 2003. 18. Recommandation de la Commission du 15 février 2005 concernant le rôle des administrateurs non exécutifs et des membres du conseil de surveillance des sociétés cotées et les comités du conseil d’administration ou de surveillance, 2005/162/CE. 19. Recommandation de la Commission du 14 décembre 2004 encourageant la mise en œuvre d’un régime approprié de rémunération des administrateurs des sociétés cotées (2004/913/CE), et Recommandation de la Commission du 30 avril 2009 complétant les recommandations 2004/913/CE et 2005/ 162/CE en ce qui concerne le régime de rémunération des administrateurs des sociétés cotées (2009/385/CE).
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comme autant de socles de systèmes normatifs autonomes, dotés de leur propre hiérarchie des normes et de leurs propres organes d’adoption et de mise en œuvre. Pourtant, l’autonomie à l’œuvre reste limitée : les codes de conduite d’entreprises (droit souple) sont profondément imbriqués dans les systèmes juridiques étatiques (droit dur). Il faut, en effet, se garder d’opposer droit souple et droit dur : « dans l’entreprise, le droit souple, parfois présenté comme une alternative au droit dur, est en réalité souvent suscité, reconnu ou encadré par lui » 20. Le droit dur « peut prévoir l’existence du droit souple et être avec lui dans un rapport de délégation » 21. En ce sens, les articles L.22-10-10 et L.22-10-20 du Code de commerce français exigent que le rapport sur la gouvernance d’entreprise établi par les organes de direction de la société contienne des informations sur le code de gouvernement d’entreprise adopté par la société et sur les raisons pour lesquelles certaines recommandations du code n’auraient, le cas échéant, pas été respectées. Dans un autre domaine, l’article 6 du Règlement (UE) 2018/1807 du 14 novembre 2018 établissant un cadre applicable au libre flux des données à caractère non personnel dans l’Union européenne demande aux opérateurs d’adopter des codes de conduite prescrivant de bonnes conduites en matière de portage des données. Dans ces deux exemples, l’adoption d’un code de conduite est donc directement prescrite par la législation, dont le code est destiné à assurer la bonne application. Dans tous les cas, les exigences légales constituent le squelette de ces codes de conduite. C’est ce qui explique que les codes de conduite en matière de gouvernance d’entreprise puissent diverger entre eux sur certains aspects. Chaque code s’adosse à des hypothèses qui correspondent à l’état du droit en vigueur dans son État d’adoption. Typiquement, le code de gouvernance britannique désavoue le cumul, par une seule et même personne, des fonctions de président du conseil d’administration et de directeur général 22, alors que le Code Afep-MEDEF l’autorise 23. Ce faisant, chaque code reflète l’état de la réglementation en vigueur dans son pays d’origine. Le droit souple est également imbriqué avec le droit dur à travers le contentieux dont il peut faire l’objet. Ce contentieux est disparate : selon les cas, il peut être destiné à contester les prescriptions d’un code de conduite ou au contraire à en solliciter la bonne exécution 24. RJSP : Quels sont, selon vous, les principaux défis auxquels les codes de conduite d’entreprise sont confrontés ? OB : Il me semble que le défi principal tient au domaine d’intervention de ces codes de conduite. J’observe sur ce point deux tendances problématiques dans la législation contemporaine. En premier lieu, le législateur français est tenté de s’en remettre aux entreprises et à leurs codes de conduite pour déterminer le sens et la portée d’obligations fondamentales. La loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre 25 me semble emblématique de cette tentation. En effet, les autorités publiques ont identifié quelques principes généraux mais ont peiné à donner de la consistance à ce devoir de vigilance, que ce soit en déterminant la substance exacte des obligations ou en désignant les personnes sur qui ces obligations auraient dû peser. Les normes qui en ont résulté se sont avérées extrêmement générales. Elles ont laissé aux entreprises (et in fine aux juges) 20. J. Richard et L. Cytermann, « Le droit souple dans la vie de l’entreprise et de la fonction publique : une tension féconde avec le droit dur », Droit social, 2014, n° 5, p. 400. 21. Conseil d’État, op.cit., p. 72. 22. The UK Corporate Governance Code, 2018, art. 9 et 10. 23. Code Afep-MEDEF, art. 3.2. 24. V. not. M. Larouer, Les Codes de conduite, sources du droit, LGDJ, 2018, n° 80 et s. 25. Loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre.
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le soin de déterminer en quoi pouvaient bien consister leurs obligations, et à qui il convenait de confier la responsabilité de leur mise en œuvre. Cette méthode malmène à la fois la démocratie (les entreprises n’ont pas de légitimité politique pour déterminer les réformes sociales ou environnementales à privilégier) et l’État de droit (les entreprises n’ont pas les moyens de savoir en quoi consistent leurs obligations). Elle est d’autant plus condamnable que les autorités publiques avaient assorti le non-respect du devoir de vigilance d’une lourde amende civile. Cette amende a été déclarée inconstitutionnelle 26. En effet, la loi ne saurait assortir de sanctions qui s’apparentent à des sanctions pénales des énoncés normatifs imprécis, sous peine de porter atteinte au principe de légalité des délits et des peines. Même si, au cas présent, le Conseil constitutionnel s’est prononcé en considération de ce principe propre au droit pénal, l’enjeu de fond a une portée plus large. Le législateur ne devrait pas assortir de sanctions significatives, que ce soit en termes de montant des condamnations ou en termes de réputation, le non-respect d’obligations floues. Plus largement, et comme l’a écrit la Commission européenne, les codes de conduite d’entreprises « ne doivent pas se substituer à la législation et aux dispositions contraignantes nationales, européennes et internationales : les dispositions à caractère obligatoire garantissent des normes minimales qui s’imposent à tous tandis que les codes de conduite et toutes les autres initiatives de nature volontaire ne peuvent que les compléter et promouvoir des règles plus strictes pour ceux qui y souscrivent » 27. Alors que la Commission européenne réfléchit à la mise en place d’un devoir de vigilance européen, il est important que les écueils de la loi française ne soient pas répliqués au niveau de l’Union. Une autre tendance s’observe dans la pratique législative contemporaine, qui me semble également préoccupante. Elle 26. Cons. Const., 23 mars 2017, n° 2017-750 DC. 27. Commission européenne, op. cit., p. 15.
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consiste à graver dans le marbre de la loi des solutions qui, pour être pertinentes dans certains contextes, ne le sont pas du tout dans d’autres, compte tenu, notamment, de la grande différence qui existe dans la structuration des groupes de sociétés. Par exemple, le législateur français a imposé que des salariés siègent en cette qualité au conseil d’administration, sans s’apercevoir qu’il destinait cette obligation à s’appliquer y compris à des « holdings de tête » employant pas ou très peu de salariés, ou encore sans résoudre la question des modalités d’application de cette obligation en présence d’une superposition de deux holdings cotées. Plutôt que d’abroger le texte et de s’en remettre au droit souple pour régir la participation des salariés à la gouvernance de la société, le législateur a finalement inséré dans le texte diverses spécifications et dérogations techniques, après plusieurs années de tâtonnement 28. Dans ces conditions, vous comprendrez sans doute que les « emprunts » législatifs au Code Afep-MEDEF 29 m’inquiètent : ils transforment des bonnes pratiques susceptibles de modulations et d’aménagements en un carcan uniforme. Une telle transformation devrait a minima être précédée d’une étude d’impact démontrant, le cas échéant, l’incapacité des recommandations du Code Afep-MEDEF à atteindre le résultat escompté (au regard de leur rédaction ou de leur mise en œuvre), et permettant d’anticiper les difficultés d’application compte tenu de l’hétérogénéité des groupes de sociétés.ê 28. C. com., art. L. 225-27-1. 29. Sans chercher à être exhaustif, on peut citer les recommandations sur la proportion des femmes dans les conseils qui avaient été introduites en 2010 dans le Code Afep-MEDEF, puis reprises avec une formulation quasiment identique dans la loi n° 2011-103 du 27 janvier 2011 relative à représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle. Plus récemment on peut citer la recommandation selon laquelle le versement d’une indemnité de non-concurrence doit être exclu dès lors qu’un dirigeant fait valoir ses droits à la retraite qui figure désormais à l’article R. 225-29-1 III du Code de commerce.
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La médiation comme partenaire de justice ? Pour une justice durable et coexistante Catherine PEULVÉ, Avocat au Barreau de Paris, AMCNB, Médiateur conventionnel et judiciaire (Cour d’appel de Paris, CMAP, CNMA, CPR, CMCC), Tiers conciliateurs Tribunal de commerce de Paris
Introduction 1 - Réfléchir à la notion de justice, c’est aujourd’hui porter un regard croisé sur la justice traditionnelle et les modes de règlement amiable du conflit, en particulier la médiation. La médiation, mode de justice ? La médiation à la place de la justice ? Un colloque en 2012 titrait « la médiation, avenir du procès ? » 1 Cette question raisonne fortement avec une autre : faut-il « déjudiciariser » et jusqu’où ? D’alternative, la médiation est devenue un mode amiable de règlement des différends aux côtés des modes juridictionnels que sont le procès et l’arbitrage. Nous analyserons dans un premier temps la relation entre le mode amiable de règlement des conflits qu’est la médiation et le mode traditionnel qu’est le procès, afin de déterminer s’ils sont concurrents ou complémentaires (la médiation, partenaire de justice ?) (1). Nous nous demanderons dans un second temps si à terme, l’un de ces modes va supplanter l’autre (la médiation, palliatif, voire un remède à la justice ?) (2).
1. La médiation, partenaire de justice ? 2 - Traditionnellement, la médiation était qualifiée de mode de règlement « alternatif » pour marquer le fait qu’elle représentait une autre voie que la voie dite « normale » du recours au tribunal. La médiation se distingue en effet du processus juridictionnel. La médiation et la justice traditionnelle ont cependant développé une relation complémentaire efficace, avec de multiples passerelles. Médiation et procès sont-ils des modes de règlement des litiges concurrents (A Comparaison) ou des modes qui se complètent efficacement (B Articulation) 2 ?
A. - Comparaison : des modes a priori concurrents 3 - S’interroger sur la médiation comme partenaire de justice, c’est s’interroger sur sa place dans le procès, autant public que privé, étatique (1°) qu’arbitral (2°).
1° Médiation et règlement judiciaire : comparaison 4 - Tout a priori les oppose, et pourtant, certaines de leurs ressemblances faciliteront leurs interactions. 1. Université de Lyon, La médiation, avenir du procès ?, Colloque du 3 février 2012. 2. P. Ancel et C. Peulvé, La médiation parmi les modes de règlement des différends civils et commerciaux, 3 février 2011, in M. E. Ancel et M. Castillo, Actes du colloque « Les médiations : la justice autrement ? dans les matières pénale, civile et commerciale », faculté de droit Paris-Est (Créteil – Val de Marne), 3 février 2011.
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Points de divergence : Qu’il s’agisse de la nature du tiers, du cadre dans lequel il intervient ou de ses pouvoirs, tout oppose la médiation au règlement par le juge. D’une part, le règlement judiciaire s’impose de par la loi ; l’accès au juge est de droit. À l’inverse, hormis les cas de médiation préalable obligatoire sur lesquels il sera revenu ci-après, la médiation ne s’impose pas. Les participants doivent consentir à recourir à ce tiers médiateur qui n’est pas un juge. C’est donc seulement par l’effet de leur volonté conjointe que la médiation « s’impose » aux parties, chacune gardant, à n’importe quel moment pendant le processus et sans justification, la liberté d’en sortir. Ensuite, le juge est un représentant de l’État, investi de prérogatives de pouvoirs publics, alors que le médiateur est une personne privée, qui n’est pas chargée de trancher le litige et n’a pas de pouvoir de décision. Cette différence se retrouve dans la dimension symbolique du procès, qui repose sur des rites et des symboles, dimension symbolique de la justice que le justiciable attend d’elle. Rien de cela en matière de médiation, où le médiateur, dépossédé de tout pouvoir symbolique, développe par d’autres moyens l’adhésion des parties. Michel Gaget, alors magistrat coordinateur des médiateurs et conciliateurs près la Cour d’appel de Lyon, l’écrit très bien ainsi : « la justice du procès est une procédure ritualisée, qui peut être coûteuse par ses aspects symboliques. Pendant le procès, les parties se livrent à un combat judiciaire inséré dans un certain rituel. La médiation est en dehors de ces symboles, de ces rituels et de ces manières de faire. Le dialogue mis en place n’est pas ritualisé mais fait appel à d’autres mécanismes. La médiation n’est pas une procédure mais un processus de dialogue et de fabrication d’une solution » 3. Points de contact : La médiation et le procès devant le juge public revêtent des ressemblances. Dans les deux cas, bien sûr, il est fait appel à un tiers, le juge ou le médiateur 4. Par ailleurs, chacun de ces modes est, à sa manière, structuré, dans le but d’assurer le maximum d’efficacité à la décision imposée (règlement judiciaire) ou à la décision convenue (médiation). Dans le même esprit, chacun de ces modes dispose de garanties qui lui sont propres, les garanties du procès et le contradictoire pour le règlement judiciaire, les garanties d’indépendance, impartialité, neutralité et confidentialité pour la médiation. 3. M. Gaget, Propos introductifs in La médiation, avenir du procès ?, colloque du 3 février 2012. 4. Certaines pratiques de juridictions, notamment des tribunaux de commerce, révèlent que ce juge cherche parfois à occuper également la place du tiersmédiateur lorsqu’il agit en qualité de « juge conciliateur ».
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Enfin, la médiation, comme le procès, sont des activités tendant au règlement des différends, à la différence de la transaction qui « n’est, elle, pas une activité, c’est un acte de règlement, un acte juridique, un contrat selon les termes de l’article 2044 du Code civil » 5.
2° Médiation et arbitrage : comparaison 5 - Ici encore, des ressemblances et des différences existent. Points de contact : L’opposition est moindre entre médiation et arbitrage, ces deux modes étant ancrés sur la liberté des parties, qui revêt de multiples facettes : liberté de décider de la mise en place du mode d’avance dans leur contrat (clause compromissoire ou clause de médiation) ou une fois le différend né (compromis d’arbitrage ou accord de médiation) ; liberté de choisir l’arbitre ou le médiateur ; liberté d’organiser le déroulement, dans la mesure de ce qui est précisé ci-dessous en matière d’arbitrage. Points de divergence : Mais si, en médiation, les parties sont libres d’entrer ou de sortir du processus comme et quand elles le souhaitent, tel n’est pas le cas en matière d’arbitrage où, une fois le processus convenu, sa mise en œuvre et son déroulement s’imposent aux parties. La procédure arbitrale est une procédure juridictionnelle, même lorsque l’arbitre statue en qualité d’amiable compositeur 6, qui se terminera par une sentence, laquelle s’imposera aux parties. S’ils sont si différents, ces modes de règlement sont-ils concurrents ou peuvent-ils – ou sont-ils – finalement complémentaires ?
B. - Articulation : des modes qui se complètent 6 - La médiation, même conventionnelle, est une activité de règlement des conflits liée aux autres modes, qu’il s’agisse du règlement judiciaire (1°) ou du règlement arbitral (2°).
1° Médiation et règlement judiciaire : articulation 7 - C’est un véritable « va-et-vient » entre médiation et règlement judiciaire auquel l’on assiste. Les passerelles sont en effet nombreuses – de plus en plus d’ailleurs – entre médiation et règlement judiciaire, pendant, après et dorénavant également avant le procès. Pendant le procès : C’est avec la médiation dite judiciaire que les passerelles avec le règlement judiciaire sont les plus naturelles, puisque, dès l’accord des parties, même en référé, le processus de médiation va s’intercaler dans le procès. Celui-ci s’efface temporairement mais son cadre existe toujours puisque le juge n’est pas dessaisi, contrôle le processus, est informé de son aboutissement et peut y mettre fin. Il y a là une complémentarité évidente. Entre médiation dite conventionnelle et règlement judiciaire, les passerelles sont moins naturelles, puisque les parties décident d’entrer en médiation conventionnelle soit en amont de la saisine du juge, soit parallèlement au procès mais sans en informer le juge. 5. P. Ancel et C. Peulvé, La médiation parmi les modes de règlement des différends civils et commerciaux, 3 février 2011, in M.-E. Ancel et M. Castillo, Actes du colloque « Les médiations : la justice autrement ? dans les matières pénale, civile et commerciale », faculté de droit Paris-Est (Créteil – Val de Marne), 3 février 2011. 6. Comme le juge d’ailleurs qui, lorsqu’il se voit confier la mission de statuer comme amiable compositeur par application de l’art. 12, al. 3 du Code de procédure civile, agit bien dans le cadre de sa fonction de juge représentant de l’État investi de prérogative de puissance publique et tranche le litige en rendant un jugement susceptible d’appel, sauf renonciation, jugement certes rendu selon l’équité, ce qui permet de retenir une solution contraire à la norme juridique, mais jugement quand même.
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De plus, si le procès n’a pas encore commencé, ce qui est le cas le plus courant lors de la mise en œuvre d’une médiation conventionnelle, et si les parties sont convenues d’une clause de médiation obligatoire, la médiation bloque l’intervention du juge 7. Aucune concurrence donc à ce stade entre la médiation conventionnelle et le règlement judiciaire, mais une coopération s’agissant de leurs limites respectives. Pas de concurrence entre ces deux modes mais pas de véritable complémentarité non plus, cette situation pouvant à l’avenir évoluer si le processus de médiation suit le même contentieux que le contentieux de l’arbitrage. En effet, le juge pourrait alors être sollicité pour, par exemple, aider les parties à mettre en place leur processus, notamment en désignant le médiateur faute d’accord des parties, une sorte de juge d’appui de la médiation ; trancher les questions de mise en cause de l’indépendance du médiateur ; ordonner des mesures conservatoires ou provisoires, le médiateur, à la différence de l’arbitre, ne disposant d’aucun pouvoir juridictionnel, pas même pour organiser ces mesures faute d’accord des parties entre elles. À l’issue du procès : Que la médiation soit judiciaire ou conventionnelle, la complémentarité existe à différents niveaux. En matière de médiation conventionnelle, si le processus repose sur l’engagement des parties et se suffit en principe à lui-même, les parties trouvant les moyens de l’exécution de leur accord sans avoir besoin de l’intervention du juge pour garantir son efficacité, le juge reste accessible dans l’hypothèse où l’accord ne serait pas exécuté et où l’une des parties voudrait en forcer l’exécution. La justice vient alors en complément de la médiation pour en garantir l’efficacité. En matière de médiation judiciaire, l’articulation avec le règlement judiciaire est fort. Si les parties ne sont pas parvenues à un accord, l’instance reprendra son cours et la justice viendra compléter ou décider là où les parties ne se sont pas accordées. Si les parties ont trouvé un accord, elles peuvent avoir recours au juge pour lui demander d’homologuer leur accord et lui donner force exécutoire 8 ou encore reprendre son contenu dans le jugement. « La médiation aboutit alors à une solution judiciarisée du conflit, et l’on voit bien alors son imbrication dans et sa complémentarité avec le règlement judiciaire » 9. Enfin, les parties peuvent également, en cas d’accord issu de médiation judiciaire (ou conventionnelle si cette dernière a été engagée en parallèle du procès), décider de renoncer à leur instance en cas d’accord simple et à toute action en cas de transaction, et saisir le juge de leurs demandes de désistement d’instance et renonciation à action. Outre cette complémentarité qui est mise à la disposition des parties pour garantir l’exécution de leur accord, il existe également une complémentarité mise à la disposition cette fois-ci du juge en ce qu’il bénéficie, aux termes de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, d’une généralisation de son pouvoir d’enjoindre les parties à rencontrer un médiateur 10. Cette réforme est appré7. Nous renvoyons à la jurisprudence rendue en matière de clauses de conciliation (ou de médiation) de nature obligatoire qui constituent des fins de non-recevoir empêchant les parties de saisir le juge tant qu’elles n’ont pas mis en œuvre le processus amiable convenu. 8. CPC, art. 131-12. 9. P. Ancel et C. Peulvé, La médiation parmi les modes de règlement des différends civils et commerciaux, 3 février 2011, in M.-E. Ancel et M. Castillo, Actes du colloque « Les médiations : la justice autrement ? dans les matières pénale, civile et commerciale », faculté de droit Paris-Est (Créteil – Val de Marne), 3 février 2011. 10. Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, art. 3 : « La section 2 du chapitre Ier du titre II de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative est ainsi modifiée : 1° Le premier alinéa de l’article 22-1 est supprimé ;
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ciable en ce sens que, à la différence de la médiation préalable obligatoire, le juge n’oblige pas les parties à tenter une médiation, mais seulement à recevoir une information que délivre le médiateur pour les décider à, le cas échéant, y recourir. Un nouveau principe est ainsi consacré, qui illustre bien le besoin du juge de pouvoir compter encore plus sur la médiation, « en tout état de la procédure, y compris en référé » 11. C’est donc l’intérêt de tous – le justiciable, la médiation et la justice – que cette complémentarité sert, même si l’on est tenté de déduire de cette dernière réforme que la complémentarité s’accroît entre règlement judiciaire et médiation par un besoin accru du système de justice de pouvoir s’appuyer sur d’autres modes qui n’ont plus rien d’« alternatifs ». Avant le procès : Par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 dite « loi de modernisation de la justice du XXIe siècle », une complémentarité nouvelle avait été mise en place par son article 4 aux termes duquel la saisine du tribunal d’instance devait, à peine d’irrecevabilité, que le juge peut prononcer d’office, être précédée d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice. Ce préalable obligatoire réservé à la conciliation a été, par l’article 4 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 susvisée, étendu à d’autres modes amiables, dont la médiation 12. Dorénavant, dans les litiges n’excédant pas la somme de 10.000 € 13 et dans les conflits de voisinage, la saisine du tribunal judiciaire doit, à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, être précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation ou de la mise en œuvre d’une procédure participative. Nombreux étaient ceux qui considéraient préférable d’offrir une option aux justiciables et non de leur imposer de recourir préalablement à un mode amiable, dans l’idée d’engager les parties de façon responsable dans un processus choisi par elles 2° Le début de la première phrase du second alinéa du même article 22-1 est ainsi rédigé : “ En tout état de la procédure, y compris en référé, lorsqu’il estime qu’une résolution amiable du litige est possible, le juge peut... (le reste sans changement). ” ; 3° Le début de la dernière phrase du dernier alinéa de l’article 22-2 est ainsi rédigé : “ Lorsque la médiation est ordonnée en cours d’instance, celle-ci est... (le reste sans changement). ” ; 4° L’article 22-3 est complété par un alinéa ainsi rédigé : “ Le présent article n’est pas applicable lorsque le juge ordonne la médiation dans la décision statuant définitivement sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale. ”. » 11. Ibid. 12. Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, art. 3 : « L’article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle est ainsi rédigé : “ Art. 4.-Lorsque la demande tend au paiement d’une somme n’excédant pas un certain montant ou est relative à un conflit de voisinage, la saisine du tribunal de grande instance doit, à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, être précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation, telle que définie à l’article 21 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative, ou d’une tentative de procédure participative, sauf : 1° Si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord ; 2° Lorsque l’exercice d’un recours préalable est imposé auprès de l’auteur de la décision ; 3° Si l’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime, notamment l’indisponibilité de conciliateurs de justice dans un délai raisonnable ; 4° Si le juge ou l’autorité administrative doit, en application d’une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation. Un décret en Conseil d’État définit les modalités d’application du présent article, notamment les matières entrant dans le champ des conflits de voisinage ainsi que le montant en-deçà duquel les litiges sont soumis à l’obligation mentionnée au premier alinéa. Toutefois, cette obligation ne s’applique pas aux litiges relatifs à l’application des dispositions mentionnées à l’article L. 314-26 du code de la consommation. ”. » 13. Décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, art. 4.
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et non imposé à elles. Telle n’a pas été la voie prise dans ces matières par le législateur, qui ajoute donc une nouvelle articulation entre la médiation et règlement judiciaire, et renforce cette recherche de complémentarité par le juge et le système de justice 14.
2° Médiation et règlement arbitral : articulation 8 - Ces deux modes reposent sur la volonté des parties, ce qui facilite l’articulation voulue. Dès la rédaction de leur clause de litige, les parties peuvent construire la complémentarité de ces deux modes de résolution. Ainsi, à côté de la médiation et de l’arbitrage, existent des « processus hybrides ou combinés » 15, dans lesquels les parties mélangent les deux modes de règlement pour les rendre complémentaires et s’offrir plus de chances de mieux résoudre leur différend. Dans la clause de MedArb, la complémentarité entre médiation et règlement arbitral s’organise selon la règle contractuelle suivante : les parties s’obligent d’abord à tenter de régler leur conflit par voie de médiation et en cas de non-accord, elles demandent à un arbitre de trancher. Les modalités de cette articulation diffèrent selon les règlements d’arbitrage, soit que les parties souhaitent que les deux modes se succèdent, et alors la procédure d’arbitrage ne s’ouvre qu’en cas d’échec de la médiation et immédiatement après, soit que les parties préfèrent que les deux modes soient engagés simultanément, la procédure d’arbitrage étant alors suspendue le temps de laisser les parties dérouler leur processus de médiation 16. Dans la clause ArbMed, la complémentarité entre médiation et règlement arbitral s’organise selon la règle contractuelle inversée suivante : les parties acceptent de donner à l’arbitre le pouvoir, en cours de procédure d’arbitrage, de les concilier. En cas d’accord, l’arbitre rend une sentence d’accord (totale ou partielle), laquelle sentence constitue un titre exécutoire 17 dont l’exécution sera facilitée dans les pays signataires de la convention des Nations-Unies du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales. En l’absence d’accord, il reprend sa posture d’arbitre et tranche. Lors d’un colloque co-organisé par la Conseil National des barreaux 18 il a été relevé que l’arbitre entend de plus en plus exercer, en plus de son rôle d’arbitre, ce rôle de conciliateur, stigmatisant ainsi la complé14. Relevons que ce principe de médiation préalable obligatoire fait des émules en Europe. Ainsi, en Italie, où la loi avait déjà posé depuis de nombreuses années ce principe en l’encadrant, le Sénat italien a, le 17 juin 2020, approuvé la conversion en loi du décret-loi 28/2020, qui introduit le principe de la médiation préalable obligatoire dans les litiges concernant les obligations contractuelles découlant de l’urgence sanitaire liée à la crise de la Covid 19. Ainsi l’article. 3, paragraphe 1-quater du décret-loi 28/2020 fait de l’expérimentation préalable de la médiation une condition de recevabilité de la requête dans les litiges relatifs aux « obligations contractuelles dans lesquels le respect des mesures de confinement adoptées en rapport avec l’urgence sanitaire peut être apprécié en à des fins d’exclusion de la responsabilité du débiteur en cas de défaut ou d’exécution tardive de la prestation due ». De même, en Espagne, une réforme des modes amiables de résolution des différends en cours d’élaboration en Espagne, rédigé par Carlo Alberto Calcagno, aux termes de laquelle le premier ministre espagnol propose un « projet préliminaire d’efficacité procédurale », qui prévoit que d’aller devant un tiers neutre, arbitrage, médiation ou tout autre moyen similaire devient une « exigence procédurale » accompagnée même d’incitations fiscales. 15. P. Ancel et C. Peulvé, La médiation parmi les modes de règlement des différends civils et commerciaux, 3 février 2011, in M.-E. Ancel et M. Castillo, Actes du colloque Les médiations : la justice autrement ? dans les matières pénale, civile et commerciale, faculté de droit Paris-Est (Créteil – Val de Marne), 3 février 2011. 16. Ibid. 17. À l’instar du jugement du juge statuant en équité. 18. Conseil National des Barreaux, « L’arbitre doit-il concilier ? », Paris Arbitration Week, 7 juillet 2020. [https://www.cplaw.fr/interventions/webinar-larbitre-doit-il-concilier].
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mentarité absolue entre le règlement d’un litige par voie de conciliation et par voie juridictionnelle. L’articulation médiation-procédure arbitrale existe également si les parties décident que ce n’est pas l’arbitre mais un médiateur indépendant qui les aidera à se rapprocher. Dans cette hypothèse, en cas d’accord, rien ne les empêche de demander ensuite à l’arbitre d’intégrer le contenu de leur accord dans une sentence d’accord dont elles acceptent les conséquences contraignantes et exécutoires. En l’absence d’accord, elles peuvent revenir devant l’arbitre sans que ce dernier ait eu connaissance des éléments qu’elles se seront échangés en médiation et sous le sceau de la confidentialité. Ce survol des points de contact, passerelles, articulations entre la médiation et le règlement juridictionnel (judiciaire ou arbitral) illustre la richesse de chacun de ces modes, l’imagination des parties et des praticiens pour en tirer le meilleur bénéfice et la façon dont, apparemment concurrents, ils deviennent complémentaires pour devenir partenaires. Mais d’où vient ce besoin du juge de compter sur d’autres partenaires dans sa mission qui est de rendre la justice ? Et d’ailleurs, est-ce une volonté délibérée du juge ? Ou la médiation serait-elle une forme de palliatif, voire de remède aux difficultés de la justice et/ou aux faiblesses du procès ? Comment rendre ce partenariat pérenne ?
2. La médiation, palliatif ou remède au procès ? 9 - Un partenariat croissant, mais pourquoi ? Quelles sont les raisons qui le sous-tendent ? (A) L’un des modes va-t-il supplanter l’autre ? Assiste-t-on à une remise en cause de la notion de justice ? (B)
A. - Les raisons qui sous-tendent un partenariat croissant 10 - Certains parlent de privatisation. D’autres de déjudiciarisation. Ou encore de « médiationalisation ». Allègement de la charge des tribunaux ou attentes des justiciables ? Quelles sont les raisons, mauvaises (1°) ou bonnes (2°), qui expliqueraient cette augmentation de l’implication de la médiation dans le système judiciaire ou, inversement, de la place du juge dans la médiation ?
1° Les mauvaises raisons souvent invoquées 11 - La déjudiciarisation peut être définie comme « un ensemble de procédés permettant d’éviter le règlement du litige par le juge lui-même, soit en imposant aux parties de tenter de conclure un accord avec ou sans l’aide d’un tiers, soit en permettant à l’une des parties de proposer à l’autre un mode de règlement non juridictionnel, soit enfin en permettant aux parties de choisir une voie consensuelle ou en reconnaissant l’accord conclu par elles » 19. Cette déjudiciarisation répond à des contraintes et emporte des effets sur le couple « médiation – règlement judiciaire ». Les contraintes de la justice : Si l’on retient comme sens littéral de déjudiciariser « sortir intentionnellement du périmètre de la justice, une activité jusqu’ici confiée au juge » 20, force est de constater que la déjudiciarisation repose alors sur une politique publique intentionnellement décidée. Le contexte des dépenses 19. S. Cimamonti et J.-B. Perrier, Les enjeux de la déjudiciarisation, Laboratoire de droit privé et de sciences criminelles d’Aix-Marseille Université, 3 mars 2018, p. 9. 20. S. Gaboriau, Déjudiciarisation et administration de la justice – promouvoir la « juridiversité », 14 juin 2012 in Centre de Recherche Juridique Pothier, Actes du colloque La déjudiciarisation, Université de Lyon.
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publiques contraindrait aujourd’hui la justice et son administration, conduisant la justice à suivre la même approche comptable que la gestion de n’importe quel budget, et de devoir en justifier. Madame le Professeur Soraya Amrani-Mekki l’écrit ainsi dans un article portant sur la déjudiciarisation : « C’est la légitimité de la déjudiciarisation qu’il faut éprouver tant en ce qui concerne ses postulats de départ, le souci d’économie et de modernité, que ses effets sur la qualité du système judiciaire. Les postulats sur lesquels repose la déjudiciarisation sont simples. Elle permettrait un gain de temps et un gain d’argent. Or, ce raisonnement est largement contestable et marque une obsession pour le calcul tant de la durée mathématique des procédures que des sommes dépensées. » 21 Reste que ces contraintes et tendances arithmétiques ont bien conduit les pouvoirs publics à sortir du périmètre du juge plusieurs activités jusqu’ici à lui confiées dans le but (unique ?) d’améliorer sa rentabilité et mieux piloter ses flux. La loi n° 2019222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice commence par un Titre Ier intitulé « Dispositions relatives aux objectifs de la justice et à la programmation financière » et se poursuit immédiatement après par la Section 1, chapitre 1er, Titre II intitulé « Développer la culture du règlement alternatif des conflits ». Hasard ou coïncidence ? Le communiqué de presse des ministres du 20 avril 2018 rappelle, certes, que l’objectif premier du (alors) projet de loi organique « traduit de manière concrète la priorité donnée par le Gouvernement à la modernisation de la justice. Il permettra de renforcer l’accessibilité et la qualité de la justice pour les justiciables et d’améliorer le quotidien des professionnels du droit et de la justice [...]. » 22 S’il ambitionne ainsi de développer « les modes alternatifs de résolution amiable des différends pour favoriser un règlement apaisé des litiges », c’est toutefois dans un but « d’améliorer et de simplifier la procédure civile », et pour mettre « en œuvre les réformes qui donneront leur plein effet à l’effort budgétaire ainsi consenti » 23. L’intérêt du justiciable serait ainsi servi par la médiation, et par le choix de moyens de règlement à sa disposition, sans préjudice de son accès au juge, mais l’intérêt du budget le serait tout autant. Les effets de la déjudiciarisation : L’autre effet, avoué, est de recentrer le juge sur sa mission première de juger. C’était l’objectif que s’étaient fixés les Chantiers de la justice, reflétés au chapitre 3 de la deuxième partie du rapport de Madame le Président Agostini et Monsieur le Professeur Nicolas Molfessis « Pour un renforcement de l’office du juge » 24. Les projets de loi qui ont ainsi suivi ont tous conduit à recentrer l’activité du juge et des fonctionnaires de greffe sur la mission de juger. Un effet, moins avoué, a été suggéré, consistant à débloquer budget et effectifs au service de la justice pénale, de plus en plus répressive, alors que la justice civile se dessine être à l’inverse de plus en plus consensuelle. Madame le Président Gaboriau le disait ainsi : « La ”déjudiciarisation ” a, actuellement, les faveurs des pouvoirs publics dans le champ civil alors que dans le même temps, on réarme le bras répressif de la justice » 25. De même, 21. S. Amrani-Mekki, La déjudiciarisation, Gazette du Palais, 5 juin 2008, p. 2. 22. Compte rendu du Conseil des ministres, « Renforcement de l’organisation des juridictions et programmation pour la justice 2018-2022 », 20 avril 2018. 23. Ibid. 24. F. Agostini et N. Molfessis, « Chapitre III – Pour un renforcement de l’office du juge »,2018, in Chantiers de la justice. Amélioration et simplification de la procédure civile, Ministère de la Justice. 25. S. Gaboriau, Déjudiciarisation et administration de la justice – promouvoir la « juridiversité », 14 juin 2012 in Centre de Recherche Juridique Pothier, Actes du colloque La déjudiciarisation, Université de Lyon. Rappelons que ce texte a été écrit pour un colloque qui s’est tenu les 26 et 27 octobre 2011.
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Madame Evelyne Serverin 26, dans sa contribution écrite à la commission Guinchard, écrivait : « À l’évidence, les motifs de la réforme ne sont pas à chercher dans les transformations de structure d’activité de la justice civile, mais dans la nécessité de réaffecter des emplois et des moyens à d’autres actions, notamment pénales » 27. Si l’augmentation de la place de la médiation aux côtés du règlement judiciaire peut s’expliquer par des raisons d’ordre économique et comptable, reste que ce partenariat a des dimensions qualitatives qu’il convient de souligner.
2° Les bonnes raisons : la dimension qualitative du partenariat médiation – règlement judiciaire 12 - La force de ce partenariat réside dans l’évolution du contexte sociétal et la réponse qu’il apporte au justiciable. L’évolution du contexte sociétal : « En fait, l’enjeu politique sous-jacent de cette perspective de « déjudiciarisation » est celui du rapport de l’individu avec la société et l’État » 28, écrit Simone Gaboriau. C’est en effet le rapport à l’État et à la société qui a changé. Si le rapport à l’autorité n’est plus le même, « la question se pose de savoir s’il faut mettre la paix sociale au-dessus du droit » 29. Également, le « tout collaboratif » a imprégné toutes les couches de la société, y compris le conflit et ses modes de règlement. En témoignent les processus de droit collaboratif et la procédure participative. Marco Morinaro l’écrit ainsi : « Avant tout, il est indispensable de mettre en place des systèmes qui renforcent la cohésion sociale à un moment où la fragmentation du tissu social impose des systèmes consensuels et non contradictoires » 30. Car en effet, les attentes des justiciables ne sont plus les mêmes. Les nouvelles attentes des justiciables : D’un côté, la « bonne administration de la justice » est devenue un objectif à valeur constitutionnelle 31 ; de l’autre, compte de plus en plus le « sentiment de justice », c’est à dire la manière dont chacun s’estime satisfait par la justice ou la décision rendue. Au-delà donc de la règle de droit, c’est l’attente du justiciable qui est prise en compte. Mais de quelle attente s’agit-il ? Quels sont les moyens pour le justiciable d’avoir confiance dans sa justice ? Outre bien entendu les questions de coût et de réactivité, ce qui semble aujourd’hui compter, c’est la compréhension et le degré d’acceptation par le justiciable de la décision. 26. Directeur de recherche au CNRS, IRERP, UMR 7029 université de ParisOuest Nanterre La Défense. 27. E. Serverin, Comprendre pour réformer : la mobilisation des compétences des juridictions civiles du premier degré, 22 mai 2008, para. 6, in S. Gaboriau, Déjudiciarisation et administration de la justice – promouvoir la « juridiversité », 14 juin 2012 in Centre de Recherche Juridique Pothier, Actes du colloque La déjudiciarisation, Université de Lyon. 28. S. Gaboriau, Déjudiciarisation et administration de la justice – promouvoir la « juridiversité », 14 juin 2012 in Centre de Recherche Juridique Pothier, Actes du colloque La déjudiciarisation, Université de Lyon. 29. H. Gebhardt, Propos introductifs du colloque « Les médiations : la justice autrement ? dans les matières pénale, civile et commerciale », faculté de droit Paris-Est (Créteil – Val de Marne), 3 février 2011. 30. Marco Morinaro, avocat et juge honoraire près de la Cour d’appel de Naples, dans « Manifeste italien de la justice complémentaire » [https:// www.gemme-mediation.eu/2020/12/22/italie-comite-ministeriel-sur-lesprocedures-extrajudiciaires-en-matiere-civile-et-commerciale/]. Le Manifeste est né d’un rassemblement d’experts faisant partie du « Groupe technique sur les procédures extrajudiciaires en matière civile et commerciale » établi par le décret ministériel du 23 décembre 2019 établi par le Ministère italien de la justice. 31. Décision du Conseil constitutionnel du 3 décembre 2009, 4e considérant : « Considérant, d’autre part, que la bonne administration de la justice constitue un objectif de valeur constitutionnelle qui résulte des articles 12, 15 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ».
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Le but premier deviendrait alors non pas d’appliquer la règle de droit, mais de rendre une « bonne justice ». On s’attacherait plus à la manière dont on confère aux parties le sentiment que la justice a été rendue. Et pour rendre « une bonne justice », on rechercherait au niveau supérieur, la paix sociale, et au niveau particulier, la paix entre les parties. Or, quel meilleur moyen que la médiation pour faire prévaloir le rétablissement de la paix au conflit permanent ? Processus dont le cœur bat au rythme de la responsabilisation et du respect d’autrui. Processus qui met en place un dialogue entre les parties ou le rétablit. Processus qui permet aux parties la « fabrication ensemble d’une solution » 32. L’on pourrait même ajouter la « fabrication par les parties elles-mêmes de leur solution », sans influence extérieure, ni du médiateur qui, en matière de médiation civile et commerciale privée, ne donne pas son avis, ni du juge, extérieur au processus. S’agit-il dès lors d’une remise en cause de la notion même de justice et de sa fonction ?
B. - Vers une remise en cause de la notion de justice ? 13 - Cette déjudiciarisation de la justice, qui conduit nécessairement à une forme de privatisation, que l’on s’efforce quandmême de réguler (1°), a ses limites (2°), conduisant à réfléchir à la notion de justice pour un partenariat pérenne (3°).
1° La privatisation « sous contrôle » 14 - Le statut des plateformes de médiation en ligne : illustre assez bien cette volonté de régulation. L’article 4 de la loi n° 2222019 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a en effet fait entrer dans la sphère législative les services en ligne de conciliation, médiation ou d’arbitrage, par l’insertion, après l’article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, des nouveaux articles 4-1 à 4-7. Comme tout service de médiation 33, la médiation en ligne est un service privé. Mais dans la mesure où il peut toucher de façon large et « anonyme » les justiciables, la loi est venue poser plusieurs règles essentielles de fonctionnement dans le but de protéger le justiciable, mais aussi (et surtout ?) de lui donner confiance dans le service fourni, de « guider le justiciable et (d’)installer un climat de confiance pour ceux qui veulent utiliser ces plateformes » 34. D’un partenariat « justice-médiation », l’on évolue vers un partenariat « État-médiation », où l’État se voit confier le soin de dicter des normes, certes non contraignantes, mais gages de sérieux et de qualité. En résultent (i) le décret n° 2019-1089 du 25 octobre 2019 relatif à la certification des services en ligne de conciliation, de médiation et d’arbitrage 35 – délivrée par un organisme certifi32. Expression de M. Gaget, Propos introductifs in La médiation, avenir du procès ?, colloque du 3 février 2012. 33. Sont ici concernés les services privés de médiation civile et commerciale, à l’exception des services publics de médiation 34. Assemblée nationale, débats, 19 nov. 2018 ; v. également, Philippe Bas, président de la commission des lois, Sénat : « L’émergence de champions de la legaltech français ou européens, pourrait promouvoir à l’échelle mondiale une autre vision », Actualité du droit, 12 juill. 2019 ; et Thomas Andrieu et Natalie Fricero : « La certification des plateformes proposant des conciliations, médiations ou arbitrages en ligne devrait contribuer à créer un climat de confiance », Actualités du droit, 15 oct. 2018). 35. [https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000039281664/ #:~:text=Copier%20le%20texte-,D%C3%A9cret%20n%C2%B0% 202019%2D1089%20du%2025%20octobre%202019%20relatif, de%20m%C3%A9diation%20et%20d’arbitrage&text=R%C3%A9f% C3%A9rences%20%3A%20le%20d%C3%A9cret%20est%20pris, de%20r%C3%A9forme%20pour%20la%20justice].
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cateur sur le fondement d’un référentiel mettant en œuvre les exigences mentionnées aux articles 4-1 à 4-3, 4-5 et 4-6 de la même loi et approuvé par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice- (ii) le décret n° 2020-1682 du 23 décembre 2020 relatif à la procédure d’accréditation des organismes certificateurs délivrant la certification des services en ligne fournissant des prestations de conciliation, de médiation et d’arbitrage 36 – et (iii) l’arrêté du 23 décembre 2020 portant approbation du référentiel d’accréditation des organismes certificateurs et du référentiel de certification des services en ligne de conciliation, de médiation et d’arbitrage 37. C’est donc l’État qui met à la disposition de la société, candidate à cette certification, les organismes certificateurs tels que désignés par le Comité français d’accréditation (Cofrac), détaille la grille des critères (protection des données personnelles, confidentialité, délivrance d’une information détaillée sur le fonctionnement du service, formation, déontologie, indépendance, impartialité, traitement algorithmique, etc.) à l’aune de laquelle cet organisme devra examiner le dossier, et supervise les certifications accordées. Partenaire en ce qu’il promeut un système de labellisation facultative, pour favoriser les opérateurs vertueux 38, l’État, qui entend rester informé des certifications accordées 39 et communique au public l’information correspondante 40, devient presque un « État providence », tant il intervient activement dans ce domaine économique de la résolution non judiciaire du litige en ligne, en vue d’assurer et faire bien assurer des prestations aux citoyens justiciables.
2° Les limites à la « privatisation » 15 - La justice a un rôle institutionnel incontournable en ce qu’elle produit la règle de droit, et les parties ne sont pas toujours prêtes à assumer la prise d’une décision hors le juge. 16 - La force du rôle institutionnel de la justice : La justice a un rôle institutionnel dans la régulation de la société. La construction de la règle de droit y participe. La règle de droit est coproduite par le juge, l’avocat, et les parties, à travers le dossier qu’elles soumettent. « La Cour, les audiences et les procédures sont très importantes pour avoir un contact direct avec le droit. Sans ce contact-là, il n’y a pas d’acceptation et de légitimation possible. Les sujets de droit doivent accepter le droit ou croire en la légitimité du droit » 41. Outre qu’elle constitue la boussole du jugement, la règle de droit est aussi une référence pour les parties pouvoir apprécier si l’accord qu’elle conclurait hors le juge est ou non dans leur intérêt, protecteur ou non de leur droit, équitable ou pas. Ainsi, il ne faudrait pas laisser le règlement amiable supplanter le règlement juridictionnel. Le système français est déjà bien organisé en matière de règlement des conflits. Si le motif de recentrer le juge sur son activité de juger est acceptable, développer la médiation pour alléger le budget ou encore débloquer des effectifs reviendrait à la traiter comme une « antichambre du 36. [https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042739203]. 37. [https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/texte_jo/JORFTEXT000042739278]. 38. Intervention de Nicole Belloubet, Sénat, débats, 8 oct. 2019. 39. Le décret du 25 octobre 2019 prévoit ainsi que « les organismes accrédités informent sans délai le ministre de la Justice de la délivrance, de la suspension ou du retrait de la certification. Ils adressent au ministre de la Justice un rapport annuel d’activité qui comporte les renseignements relatifs au nombre de demandes, de délivrances et de retraits de certification, au nombre de contrôles effectués et décrit les difficultés rencontrées ». 40. Le site www.justice.fr publiera une liste actualisée des services en ligne de conciliation, de médiation et d’arbitrage certifiés. 41. K. Becker in A. Garapon, Une télé-justice est-elle encore une justice ?, France Culture, podcast de l’émission Esprit de justice [https://www.franceculture.fr/ emissions/esprit-de-justice/une-tele-justice-est-elle-encore-une-justice].
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procès ». Imposer la médiation préalable obligatoire (certes pour le moment cantonnée en France à certains litiges 42) revient à une « rejudiciarisation » de ce que l’on voulait déjudiciariser, et c’est à l’évidence une entorse faite à cette liberté contractuelle qui, elle seule, permet l’efficacité du processus de médiation dont la caractéristique majeure est de reposer – de A à Z – sur la volonté des parties. Dit autrement, la « médiationalisation » 43 de la justice n’est pas une option. Or, réfléchir aujourd’hui à la notion de justice, c’est faire le constat que la médiation est devenue un outil conventionnel, un outil extrajudiciaire, un outil parajudiciaire et dorénavant un outil pré-judiciaire. La limite de l’« empowerment » 44 : Réfléchir à la justice, c’est également faire le constat de la volonté accrue de contractualiser : contractualiser le procès judiciaire, avec la mise en place de nombreux aménagements conventionnels avant ou dans la conduite du procès ; contractualiser le règlement du conflit par des outils amiables comme la médiation. On y voit là des valeurs positives de la médiation : autonomie, conscience, responsabilité. Si « la médiation est une force motrice pour la renaissance des relations sociales » 45, reste que cette contractualisation va de pair avec la responsabilisation des parties, qu’elles ne sont pas toujours en mesure de pouvoir ou vouloir assumer, préférant parfois qu’un tiers tranche. S’il est dans l’intérêt du justiciable de disposer de plusieurs modes de règlement des conflits 46 et si, dans le même temps, une politique marquée de déjudiciarisation risque de conduire à une perte de repère pour le justiciable, alors quelle voie suivre ? S’ouvre une réflexion sur la manière de poursuivre ce partenariat, pour le rendre pérenne et vertueux.
3° Pistes d’amélioration pour un partenariat pérenne 17 - Deux pistes retiennent notre attention : améliorer le rapport à l’autorité du juge et rendre plus efficace le processus de médiation au service du justiciable. Améliorer le rapport à l’autorité du juge : C’est à l’aune de la crise sanitaire de la Covid-19 que ce développement s’inscrit. Souvent il est dit que l’autorité du juge est naturelle, intrinsèquement liée à sa fonction régalienne et que le médiateur n’en a pas. Le propos n’est pas ici d’analyser comment se modèle l’autorité du médiateur mais bien de relever que la crise sanitaire, qui a conduit à la mise en place de télé-audiences, a fragilisé l’autorité du juge. Antoine Garapon le relève ainsi : « Le justiciable comprend un certain nombre de choses par l’endroit où il se trouve... Une audience et une bonne décision de justice est faite pour que le justiciable comprenne et puisse s’approprier la décision ». « Avec la télé-audience, il y a moins d’intensité de l’ordre de juger » 47. Victor Hugo a écrit : « Un juge est plus ou moins qu’un homme ; il est moins qu’un homme car il n’a pas de cœur ; il est plus qu’un homme car il a le glaive. » 48 Si cette citation est 42. Ou liés aux circonstances exceptionnelles de la pandémie comme en Italie (voir supra). 43. Expression de S. Gaboriau, Déjudiciarisation et administration de la justice – promouvoir la « juridiversité », 14 juin 2012 in Centre de Recherche Juridique Pothier, Actes du colloque La déjudiciarisation, Université de Lyon. 44. L’empowerment pouvant se définir comme la prise en charge de l’individu par lui-même, la limite se trouvant justement dans la capacité – ou plutôt l’incapacité – de l’individu à pouvoir le faire sans direction extérieure. 45. M. Morinaro, « Manifeste italien de la justice complémentaire », précité. 46. S. Gaboriau, Déjudiciarisation et administration de la justice – promouvoir la « juridiversité », 14 juin 2012 in Centre de Recherche Juridique Pothier, Actes du colloque La déjudiciarisation, Université de Lyon. 47. K. Becker in A. Garapon, Une télé-justice est-elle encore une justice ?, France Culture, podcast de l’émission Esprit de justice [https://www.franceculture.fr/ emissions/esprit-de-justice/une-tele-justice-est-elle-encore-une-justice]. 48. V. Hugo, Quatre-vingt-treize, 1874.
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excessive en ce qu’elle est aveugle sur l’humanité de la justice, elle relève justement la force du glaive sur l’homme pris autant individuellement que socialement. Toujours à l’aune de la crise sanitaire de la Covid 19, la tentation de vouloir décharger le juge de sa mission existe, comme en Italie avec l’introduction du principe de la médiation préalable obligatoire dans les litiges concernant le non-respect des obligations contractuelles en période de confinement sanitaire 49. Respecter l’autorité du juge, c’est aussi laisser le justiciable pouvoir s’y soumettre sans barrière. Améliorer l’information du justiciable : Une fois décidée la déjudiciarisation et identifié le partenaire adapté, une forme d’encadrement s’impose dans l’intérêt du justiciable. Ce que la justice doit à ce dernier, dans cette configuration, c’est lui garantir des droits, une information complète et transparente et l’efficacité de la médiation. L’information du justiciable doit porter sur tous les modes de résolution des conflits à sa disposition pour gérer ses droits lorsque, bien entendu, ils sont disponibles. Une fois convenablement informé, le justiciable pourra choisir, ce qui l’aidera à terme à accepter la décision ou la solution retenue. C’est pourquoi cette information doit être complète et les juridictions ne devraient pas choisir d’informer sur, par exemple, la conciliation et non la médiation 50. Dans cette veine, la création en Belgique d’une Chambre de règlement amiable (CRA) au tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles (TEFB) 51 nous paraît une excellente initiative, illustrative de la volonté du législateur belge de, depuis plusieurs années, donner au juge une part active dans la promotion de la conciliation mais également de la médiation. Nos amis belges seraient donc, en termes de structuration du partenariat « justiceMARD » en avance sur nous puisque la loi belge du 18 juin 2018 permettait déjà de favoriser les MARD en tout état de la procédure 52 et au juge dans certaines circonstances d’imposer la médiation 53. 49. Voir supra. La création en France de la plateforme du Tiers-conciliateur pour les litiges liés à la crise sanitaire de la Covid 19, en ce que sa saisine est facultative, nous paraît à ce titre préférable. Pour des renseignements sur cette initiative, voir Les juristes créent une plate-forme de conciliation autour du Covid-19 (L’Agefi) ; Création d’une plate-forme de conciliation pour désengager les tribunaux de commerce (La Correspondance économique) ; Création d’un mécanisme inédit de résolution amiable des litiges commerciaux (Les Echos Executives). 50. La pratique de certaines juridictions en France, comme par exemple les juridictions consulaires, montrent un certain parti pris pour certains modes de règlement amiable, comme la conciliation par le juge, à la défaveur d’autres, comme la médiation ou même la conciliation par le conciliateur de justice. La Conférence générale des juges consulaires a d’ailleurs réfléchi depuis 2014 et rédigé un guide pratique MARD au sein des tribunaux de commerce, paru en janvier 2017, pour encadrer la pratique du juge conciliateur. 51. Création de la CRA le 5 novembre 2020, présidée par Sylvie Frankignoul, auprès du tribunal de l’entreprise de Bruxelles, lui-même présidé par Paul Daheyer. 52. Article 730/1, 1er paragraphe du Code judiciaire belge. 53. Article 1734/1, 1er paragraphe du Code judiciaire belge.
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Améliorer l’efficacité du « partenaire » médiation : De même, si la médiation vient dorénavant épauler la justice dans son œuvre de justice, se pose la question de savoir si chacun en médiation ne devrait pas avoir le droit à l’assistance d’un avocat. Et garantir l’efficacité de la médiation devient un enjeu réel de ce partenariat. Celui qui est incité par le juge à trouver un accord par la voie de la médiation devrait pouvoir bénéficier d’un véritable droit effectif à l’exécution de l’accord conclu. C’est la raison pour laquelle, au-delà du constat déjà fait de l’amélioration des règles en matière d’homologation, il serait opportun que l’accord issu de médiation puisse recevoir l’exécution forcée, à tout le moins quand il est conclu par la voie de l’acte d’avocat. C’est l’objet de la recommandation n° 8 du rapport dit « Rapport PERBEN » concluant la mission relative à l’avenir de la profession d’avocat qui titre : « Attribuer la force exécutoire à l’acte d’avocat pour favoriser l’intervention des avocats dans les MARD » 54. Il n’est pas anodin de mentionner qu’un tel encadrement d’un accord issu de médiation conventionnelle donnerait, en matière internationale, aux parties une avancée considérable dans le contexte de l’application la Convention des Nations Unies sur les accords de règlement internationaux issus de la médiation 55 lorsque la France la ratifiera.
Conclusion 18 - Dans cet équilibre des forces, si le juge veut un partenariat fort, il donnera à la médiation des garanties d’efficacité réelle. Si le médiateur veut un partenariat fort, il cultivera et n’abdiquera pas le fondement contractuel et consensuel du processus. Si le juge se déporte sur la médiation pour simplement se désengorger et s’alléger, il perdra son autorité et sa légitimité. Si le médiateur accepte de façon complaisante le rôle de « béquille » du système judiciaire, il perdra son authenticité et sa légitimité. C’est donc bien un équilibre constructif et vertueux qu’il convient de rechercher, la société sans juge menant au chaos et la société sans médiateur à la rigidité de la règle de droit au détriment des besoins et intérêts de chacun. Nous nous dirigeons vers une justice « durable et coexistante » 56, en France comme dans d’autres pays. « C’est une démarche globale du fonctionnement de la justice qui doit être mise en œuvre et non une externalisation systématique du processus judiciaire » 57.ê 54. Mission relative à l’avenir de la profession d’avocat, dirigée par le Professeur Dominique Perben, dont rapport remis au Garde des Sceaux le 26 août 2020, voir [https://www.cnb.avocat.fr/sites/default/files/rapport_perben _avenir-profession-avoca] 55. Dite « Convention de Singapour sur la Médiation », adoptée le 20 décembre 2018, ouverture à la signature le 7 août 2019 à Singapour et entrée en vigueur le 12 septembre 2020 après que le Qatar a déposé ses instruments de ratification le 12 mars 2020. 56. M. Morinaro, « Manifeste italien de la justice complémentaire », précité. 57. S. Gaboriau, op. précité, dans un ouvrage écrit, rappelons-le en 2011.
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La médiation comme thérapie systémique des groupes familiaux Pierre SERVAN-SCHREIBER, Avocat au Barreau de Paris et de New-York, AMCNB, médiateur agréé CMAP, CEDR, CIArb, CDR, Cour d’appel de Paris, Tiers conciliateurs Tribunal de commerce de Paris
1 - Le thème de cette revue étant la privatisation de la justice, il nous a semblé intéressant d’examiner comment, à l’intersection des conflits patrimoniaux et personnels au sein d’une famille peuvent répondre deux techniques destinées à débloquer les dysfonctionnements : la médiation et la thérapie systémique familiale. Au sein des groupes familiaux, les conflits sont d’autant plus difficiles à résoudre qu’ils sont multidimensionnels. Outre les différends propres à toute organisation complexe à but professionnel, économique ou patrimonial, les émotions, l’historique des relations et le vécu familial ajoutent un élément de complexité supplémentaire qui rend d’autant plus difficile l’émergence d’une solution sur des bases purement rationnelles. Dans un différend issu d’un groupe familial, la question se pose de savoir si les outils habituels de la médiation peuvent suffire à le résoudre ou si d’autres techniques, issues de la thérapie systémique familiale peuvent aider à cette tâche souvent difficile.
1. Définitions 2 - Pour les lecteurs et lectrices qui ne seraient pas familiers de l’une ou l’autre de ces deux techniques, il nous semble utile de proposer quelques définitions. ‰ Médiation : la médiation est un processus par lequel deux ou plusieurs personnes physiques ou morales faisant partie d’un système relationnel confient à un tiers indépendant, neutre et impartial (et parfois à plusieurs) la tâche de les aider à résoudre un différend existant entre eux lorsque la communication au sein de ce système est devenue dysfonctionnelle ou pathologique 1. ‰ Thérapie systémique familiale : méthode psychiatrique née des travaux de l’école de Palo Alto 2 dans les années 60 par laquelle un système familial dont un membre présente une, pathologie, est soigné en tant que système par un thérapeute indépendant, neutre et impartial. ‰ Groupe familial : - ensemble de personnes appartenant à la même famille et ayant entre elles des liens généalogiques, affectifs et économiques. 1. In « Médiation et entreprise. L’opportunité de l’autodétermination, une liberté créatrice de valeur ». Rapport du groupe de travail du Club des Juristes sous la direction de Pierre Servan-Schreiber, février 2019. 2. Courant de pensée ayant pris le nom de la ville de Palo Alto en Californie, à partir du début des années 1950, lui-même issu des travaux sur la théorie de la communication des systèmes ayant donné naissance à la cybernétique, c’est-à-dire à la théorie du contrôle et de la communication chez l’animal et dans les machines qui engendrera les sciences de l’information et de la communication et plus tard l’informatique et la télématique. Ce courant est notamment à l’origine de la thérapie familiale.
- ensemble d’entreprises et/ou d’actifs appartenant à une même famille. ‰ Système familial : ensemble composé de différents membres d’une même famille entre lesquels s’établit un système de communication particulier.
2. Parallèles entre médiation familiale patrimoniale et thérapie systémique familiale 3 - Les liens entre la médiation et la thérapie systémique sont en réalité très anciens. Gregory Bateson, l’un des fondateurs de l’École de Palo Alto, étudia les Iatmul de Nouvelle-Guinée dans les années 30 afin de comprendre le rôle et les effets des Naven, cérémonies permettant de sceller la solution d’un conflit au sein d’un groupe 3. C’est grâce aux travaux de son collègue Wiener 4 que l’on a pu considérer qu’un système familial était constitué par un ensemble de liens circulaires et qu’un problème au sein d’un tel groupe n’est pas linéaire mais circulaire, lui-aussi. De façon plus concrète, on peut facilement observer comment, au sein d’un groupe familial dysfonctionnel, des situations ou des comportements similaires produisent systématiquement les mêmes résultats au point d’aboutir à des réactions pathologiques – et c’est là le domaine de la thérapie systémique – ou à des blocages pouvant entraîner des conséquences graves sur les membres du groupe familial, les intérêts de ce groupe, les actifs qu’il détient ou les entreprises qu’il possède – et c’est là le domaine de la médiation familiale patrimoniale 5. Le rapprochement entre les techniques de la thérapie systémique familiale et celles de la médiation s’impose lorsqu’un conflit au sein d’un groupe familial produit des effets délétères tant sur le système relationnel, familial et émotionnel qui relie les membres de ce groupe que sur les biens, avoirs et entreprises détenues par ce même groupe. Survenant fréquemment dans les phases de transmission (à la suite d’un décès, notamment) ou de transition (en cas de changement dans la direction des affaires familiales, par exemple), le conflit au sein d’un groupe familial peut rapidement provoquer des blocages préjudiciables tant à 3. Mony Elkaïm, Panorama des thérapies familiales, Seuil, octobre 1995. 4. Norbert Wiener, Cybernetics or Control and Communication in the Animal and the Machine (1948) ; traduction française : La cybernétique : Information et régulation dans le vivant et la machine, Seuil, 2014. 5. Concept inventé par l’auteur de ces lignes pour différencier ce type de médiation des médiations familiales dites « classiques », c’est-à-dire intervenant au moment d’un divorce, que nous appellerons « médiations familiales matrimoniales ».
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l’harmonie de la famille qu’à la gouvernance du groupe et des actifs qu’il possède. Ce qui est fondamental dans la thérapie systémique c’est le fait de faire passer le patient, et le système familial auquel il appartient, du statut de sujet observé à celui de partie prenante au travail thérapeutique. Il en va de même dans la médiation familiale patrimoniale. Au sein d’un groupe familial, la tentation peut être grande de recourir à la figure symbolique du père, qui peut prendre la forme d’un juge ou d’un arbitre, pour régler le différend bloquant. Si l’on poursuit cette voie, ce dernier rendra une décision qui s’imposera aux parties. Mais le problème sera-t-il réglé pour autant ? En décidant que celui-ci a raison mais que celui-là a tort, que celle-ci aura droit à recevoir quelque chose mais celle-là non, pense-t-on réellement que le groupe familial s’en portera mieux ? La thérapie systémique a pu naître et prospérer sur le fondement d’un constat simple : les soins psychiatriques apportés au membre de la famille malade, également appelé le « patient désigné » puisque sa famille le présente comme étant (le seul) malade, ne peuvent qu’améliorer, éventuellement, l’état de ce dernier. Mais si le système familial auquel il appartient est pathogène, alors ces soins seront vraisemblablement inefficaces, tandis qu’une thérapie dans laquelle tous les membres de ce système participent à l’élaboration thérapeutique d’une modification de la communication en son sein et, partant, du système lui-même, aura des effets bien plus significatifs et bien plus durables. Il en va de même pour la médiation familiale patrimoniale. Et pour cause, puisque qu’il n’y a pas d’exemple, à ma connaissance, de conflit intrafamilial sans composante affective, émotionnelle, psychologique, voire psychique, forte. Dès lors, le groupe familial qui essaye de trouver une solution tranchante (le jugement, la sentence) à un problème interne, ne pourra s’étonner en constatant qu’il s’en suit généralement la poursuite, voire l’intensification du conflit ainsi tranché, mais par d’autres moyens ou sur d’autres plans. La première revue scientifique de thérapie systémique se nomma Family Process, fondée par Don D. Jackson et Nathan Ackerman, elle devint le point de ralliement de cette nouvelle approche thérapeutique familiale. Or la médiation n’est rien d’autre qu’un process, celui par lequel le médiateur, tiers neutre et impartial, crée un environnement, différent de celui dans lequel évoluent les membres du groupe familial considéré, propice à une discussion informelle 6 dont les flux, nécessairement différents du fait de la présence du médiateur, prennent d’autres formes et d’autres voies que celles de la communication circulaire et défaillante ayant abouti au blocage qui a amené les parties en médiation. C’est ainsi que l’on peut utilement rapprocher, sans toutefois les confondre, les techniques de la thérapie systémique familiale et celles de la médiation. Dans les deux cas, la recherche d’une solution au problème présenté (les troubles psychiques du « patient désigné » pour la thérapie systémique familiale ; les troubles de fonctionnement du groupe familial ou de sa gouvernance pour la médiation familiale patrimoniale), passe par l’intervention d’un tiers professionnel, neutre, impartial et indépendant qui par sa seule présence va créer un « metasystème » propre à réorienter les flux de communication au sein du groupe familial et ainsi contribuer à rendre inopérant ou à tout le moins à contourner le ou les nœuds de blocage ayant engendré la situation conflictuelle ou pathologique. 6. Concept au cœur de l’œuvre de Kenneth Cloke. Cf. notamment, Mediating Dangerously : The Frontiers of Conflict Resolution, John Wiley & Sons, 2001.
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Les héritiers de l’école de Palo Alto ont pu théoriser la nature de la thérapie systémique comme suit :
Dans ce schéma, l’individu I, face à un déséquilibre de son environnement attribué à un élément E, va agir pour tenter de rétablir l’équilibre. Chacune de ses actions faites dans ce but est ici représentée par « a ». Si, par une action a, l’individu I reçoit de E une réaction x qu’il considère comme satisfaisante, l’équilibre est restauré. Si tel n’est pas le cas, il va tenter par d’autres actions (a1, a2, a3,...) d’obtenir le x qui le satisfera. Si tel n’est pas le cas, la difficulté devient un problème ou un conflit et I aura tendance à adopter des comportements dits « rétroactions positives inadaptées » qui ne feront que l’exacerber. La solution offerte par la thérapie systémique familiale est donc la création d’un metasystème comme celui-ci :
Dans lequel le thérapeute, T, par son interaction avec I, contraint le flux d’interactions ou de communication à suivre un autre cours. Lorsque E est un autre individu, membre du même groupe familial, les interactions représentées par des flèches deviennent multiples. La théorie de la communication de l’école de Palo Alto appliquée à la thérapie systémique familiale donne ainsi quelques clefs qui permettent de mieux travailler sur les dysfonctionnements à l’intérieur d’un groupe familial. En effet, la présence d’un médiateur dans les séances de médiation au sein du groupe familial crée un nouveau système de communication, un metasystème là aussi, qui va contraindre les parties à exposer les faits, leurs griefs, leurs positions et, par la suite, leurs intérêts et leurs émotions d’une façon différente de celle qu’ils utilisent habituellement et qui, par hypothèse, n’a pas permis de sortir du conflit, de retrouver un équilibre au sein du groupe. Comme dans le graphique ci-dessus, au cours d’une médiation, le flux de communication, représenté par les flèches, va cesser d’être circulaire. Le médiateur est libre de parler à toutes les parties prenantes en même temps (sessions dites plénières), à
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chacune des parties isolément (sessions dites en aparté), aux avocats sans leurs clients, à des sous-groupes au sein du groupe familial, à une partie isolément, etc. Toutes ces interactions ont pour effet, par elles-mêmes et nonobstant leur contenu, de provoquer chez les parties au conflit une vision différente de ce dernier, qu’elles pensaient pourtant avoir exploré sous tous ses aspects. Le parallèle entre thérapie systémique familiale et médiation dans les groupes familiaux est donc patent. Pour autant, on ne saurait dire qu’ils sont synonymes, que ce soit dans leurs objectifs ou dans les techniques utilisées.
3. Divergences entre médiation familiale patrimoniale et thérapie systémique familiale A. - Objectif 4 - Dans le cadre d’une médiation au sein d’un groupe familial, il ne s’agit pas de tenter de soigner ou de guérir mais plutôt de trouver une solution, un règlement du conflit, du différend qui oppose ses membres. Bien entendu, nombreux peuvent être les liens qui relient les difficultés relationnelles, émotionnelles, inconscientes entre ces membres et celles qui sont d’ordre financier, patrimonial, etc. Pour autant, le médiateur s’attache modestement à tenter de débloquer la situation conflictuelle qui lui est présentée. Si, au passage pourrait-on dire, le fait de créer une autre forme de communication entre les membres du groupe autour de la problématique présentée peut aider à améliorer la communication au plan familial et, partant, d’y alléger les tensions, alors ce sera un bénéfice supplémentaire de la médiation, mais ça ne peut en être l’objectif, sauf s’il était désigné comme tel ab initio par les parties.
B. - Techniques 5 - Par ailleurs, certaines techniques, habituelles en thérapie systémique familiale ne conviennent pas nécessairement à la médiation dans les groupes familiaux.
1° Le médiateur peut-il choisir la composition du groupe familial souffrant de blocage ? 6 - En thérapie systémique familiale, le thérapeute peut suggérer que la composition du groupe familial pour les séances suivantes soit différente de celle proposée par le groupe qui peut lui sembler non pertinente 7. En médiation familiale patrimoniale, c’est beaucoup plus difficile car les parties viennent autour de la table dans l’idée que le médiateur va « jouer la partie » avec les cartes telles qu’elles sont distribuées. Rien n’interdit au médiateur de suggérer que la présence d’un ou plusieurs autres membres du groupe familial faciliterait la médiation. La réaction à cette suggestion sera elle-même riche d’informations. Pratiquement, si les parties indiquent qu’elles ne souhaitent pas que telle ou telle personne appartenant au groupe familial ne participe à la médiation en mettant en avant les trop grandes tensions qui peuvent en résulter, le médiateur peut, s’il l’estime utile ou nécessaire, tenter de résoudre cette opposition, y compris en 7. Au cours d’une séance initiale de thérapie systémique, le célèbre thérapeute Maurizio Andolfi, constatant que le groupe familial qui lui était présenté (père, mère, fille, fils) était dénué de pertinence puisque les parents avaient divorcé huit ans plus tôt et que le père n’était pas présent lorsque la pathologie du patient désigné, le fils, s’était déclarée, demanda et obtint que la composition du groupe soit modifiée pour les séances suivantes.
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accomplissant sa mission sans jamais mettre dans la même pièce les membres du groupe qui ne le veulent pas 8.
2° Le médiateur peut-il enregistrer les séances de médiation ? 7 - En thérapie systémique familiale, l’enregistrement est fréquent ainsi que l’usage d’un miroir sans tain qui permet notamment à un autre thérapeute d’observer la séance et d’aider le thérapeute principal, à sa demande. Le seul intérêt qu’il pourrait y avoir à enregistrer une séance de médiation serait de permettre au médiateur de se concentrer sur la « conversation informelle » sans avoir à se soucier de noter au passage tel élément chiffré ou autre information fournie par les parties qui lui seront utiles plus tard lorsque viendra le temps d’élaborer une solution de sortie du conflit. Mais les risques que présentent l’utilisation de cet outil dépassent son intérêt. En effet, la confidentialité en médiation est un principe absolu et intangible. Le seul fait que les propos soient enregistrés, même sans qu’il y ait intention de les utiliser dans un autre cadre, est de nature à créer une suspicion sur le devenir de ces enregistrements. On peut également imaginer que, en cas d’échec de la médiation et de procès s’en suivant, une partie fasse sommation au médiateur de produire l’enregistrement. On imagine mal un juge faire droit à une telle demande, mais le seul fait qu’elle soit possible est suffisamment dissuasif. Enfin, si le médiateur ne prévient pas les parties qu’il enregistre mais que, pour une raison ou pour une autre, ce fait vienne à leur connaissance, c’est tout le lien de confiance patiemment tissé qui se brise, sans parler même du risque de réputation. C’est pourquoi il est bien plus utile, pour noter les informations données en médiation, de se faire accompagner d’un/e assistant/e ou apprenti médiateur qui prendra des notes au vu et au su de tous. En outre, la présence d’un/e tel/le assistant/e peut aussi présenter l’avantage de permettre au médiateur de confronter ses impressions avec une autre personne tout aussi neutre que lui.
3° Le médiateur peut-il être interventionniste ? 8 - Dans le cadre de la thérapie systémique familiale, l’« attitude du thérapeute et sa relation avec les patients changent elles aussi radicalement. D’une écoute neutre et bienveillante, on passe à une attitude interventionniste. Le thérapeute devient un agent actif de changement ; il se met à prescrire à ses patients des tâches comportementales à effectuer pendant les séances ou à la maison 9 ». Les raisons de cette modification tiennent, au départ, à un aspect « utilitaire ». Les équipes du projet de recherche sur la thérapie systémique ne disposant pas suffisamment de temps, il fut décidé arbitrairement de limiter le nombre de séances à 10 par cas, ce qui est bien évidemment insuffisant pour faire une thérapie profonde. Ils ont donc cherché à, et se sont contentés, de modifier le comportement des membres de la famille pour obtenir la résolution du blocage plutôt que la « guérison » du groupe. Il en va de même en médiation. Les parties se donnent une durée limitée, parfois très courte. En règle générale, moins les parties se donnent du temps pour la médiation, plus cela indique qu’elles ne croient pas, a priori, aux chances de succès de celleci. Mais qu’importe, le médiateur fait avec ce qu’on lui donne. Par conséquent, dans un laps de temps relativement court, il ne peut ni ne doit chercher la résolution de tous les éléments du conflit familial, mais plutôt s’attacher à faire émerger, par les 8. Pour cette raison, l’auteur de ces lignes a fait plusieurs médiations familiales patrimoniales au cours desquelles les parties ne se sont jamais retrouvées ensemble dans la même pièce. Un accord fut pourtant chaque fois obtenu. 9. Mony Elkaïm, Panorama des thérapies familiales, Seuil, 2003.
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discussions entre les parties ou avec chacune d’entre elles qu’il préside et anime, une solution au différend, une sortie du blocage qui leur permettra, à tout le moins, d’avancer. Peut-il au demeurant être interventionniste, c’est-à-dire, par exemple, proposer une solution qui ne vienne pas des parties elles-mêmes, demander à telle partie de faire tel travail, suggérer une expertise, etc. ? Il n’entre pas dans l’objet de cet article de discuter en détail les arguments pour et contre l’interventionnisme du médiateur, mais l’expérience démontre qu’elle est parfois nécessaire, voire salutaire.
4° Supervision et co-médiation 9 - Parmi les règles ou les trouvailles apportées par la thérapie systémique familiale figure la présence d’un superviseur qui assiste aux séances derrière une glace sans tain. Pourquoi ? Le rôle du superviseur est de s’assurer que le nouvel ensemble créé par la présence du thérapeute reste un metasystème et ne se transforme pas en nouveau système dysfonctionnel. En d’autres termes, le thérapeute est là pour aider, pas pour s’immiscer dans la relation et devenir un élément de celle-ci. Si l’on reprend les schémas plus haut, on peut aisément comprendre que si, au lieu d’une multiplicité de flèches, on voit se reformer un cercle dont le thérapeute T n’est plus qu’un des points de passage, le nouveau système devient aussi bloqué ou dysfonctionnel que le précédent. Ce concept de supervision n’existe pas en médiation et l’on n’y utilise jamais de glace sans tain. En revanche, une technique relativement habituelle peut jouer un rôle similaire : la co-médiation. Il s’agit simplement, dans ce cas, de confier la mission d’aider les parties à trouver une solution au différend qui les oppose à deux ou trois personnes 10 et non une seule. Dans une co-médiation, pas de hiérarchie, pas de « représentation » des parties. Pourtant, la co-médiation n’est pas la règle, loin de là. Elle n’est pas non plus une condition inhérente à la technique de médiation comme la présence du superviseur l’est pour la thérapie systémique. Il n’y a co-médiation que si les parties le souhaitent ou l’acceptent. Les raisons qui peuvent pousser les parties à choisir une co-médiation sont diverses. On peut néanmoins citer : - l’absence de confiance d’une partie dans l’impartialité ou la neutralité d’un médiateur 11. - la diversité de langages, de cultures, de genres, de générations, etc. entre les parties, reflétée par le choix de co-médiateurs présentant la même diversité. 10. L’auteur de ces lignes a participé à deux co-médiations à trois médiateurs et n’a pas connaissance de médiations faites par un nombre plus important de médiateurs. 11. Il suffit bien souvent qu’une partie propose le nom d’un médiateur pour susciter cette méfiance à son égard.
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- Des problématiques juridiques relevant de droits nationaux différents. - Le besoin ressenti d’expertises diverses (juridiques et/ou techniques, par exemple) voulues par les parties mais qu’aucun médiateur ne possède à lui seul. - Une obligation de co-médiation imposée par les textes 12 ou accords applicables au différend entre les parties. Dans ce type de cas de figure, la nomination de plusieurs médiateurs est essentiellement destinée à rassurer les parties quant à leur impartialité et à leur neutralité, l’un servant en quelque sorte de contrepoids à l’autre. Dans la réalité, l’intérêt de la co-médiation réside bien plus dans l’apport d’un autre regard qui permet non seulement à chaque co-médiateur de confronter son ressenti ou de discuter des scenarios possibles de sortie du litige avec une tierce personne aussi indépendante que lui, mais aussi, et peut-être surtout, de jouer le même rôle que le superviseur dans la thérapie systémique familiale, à savoir s’assurer que son co-médiateur ne devienne pas, malgré lui, partie intégrante du problème. Ainsi, un médiateur qui se contenterait de faire le go-between entre chaque partie deviendrait-il à son tour un des points du cercle illustré par le premier graphique ci-dessus, reproduisant ainsi le phénomène ayant abouti au blocage. L’intervention d’un co-médiateur rend moins probable encore une telle déviance du processus de médiation. La thérapie systémique familiale et la médiation familiale patrimoniale répondent bien à des besoins différents au sein des familles concernées et ne sont en aucune façon substituables l’une à l’autre. Pour autant, les techniques de l’une et de l’autre peuvent aider thérapeutes et médiateurs dans leur travail et enrichir ainsi la palette de leurs outils. Au-delà de ce constat, force est de constater que les tribunaux sont encombrés de contentieux intervenant entre personnes se connaissant, c’est-à-dire entre lesquelles existait un lien et un système de communication par hypothèse fonctionnel avant que ne survienne le litige. Dans les groupes familiaux, ces contentieux se fondent sur ou se nourrissent des dysfonctionnements de ce système. Nombreux sont les magistrats qui, saisis d’un tel contentieux, réalisent rapidement que ce qui se joue devant eux n’est pas tant le chef de la demande tel qu’il leur est soumis, mais d’autres enjeux qu’ils ne peuvent résoudre car ceux-ci ne peuvent se traduire en droits et en obligations. Dès lors, une utilisation judicieuse de la médiation, renforcée par les principes et techniques de la thérapie systémique familiale aurait non seulement pour effet de rétablir un système familial mieux équilibré dans ses interactions, mais aussi de désengorger significativement les tribunaux.ê 12. Par exemple le Règlement relatif à l’éthique et à l’équité sportive de la Ligue Nationale de Rugby française.
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Le contrôle par le juge administratif français du respect de l’ordre public dans les sentences arbitrales internationales Gilles PELLISSIER, Conseiller d’État, Professeur associé à l’Université de Tours
1 - Contrairement aux autres modes alternatifs de règlement des litiges qui ne présentent pas de caractère juridictionnel, l’arbitrage, c’est sa grande originalité, constitue une justice alternative, une justice privée puisqu’elle se déroule devant un tribunal institué hors des juridictions étatiques par la convention d’arbitrage, qui en détermine la composition, la procédure et le droit applicable. L’incompatibilité entre ce caractère privé de la justice arbitrale et l’appartenance à la sphère publique des personnes morales de droit public explique l’interdiction de principe faite à ces dernières de recourir à l’arbitrage. Ce principe n’est toutefois pas absolu et des dérogations ont toujours été prévues, comme le permet l’article 2060 du Code civil, pour les grands établissements publics industriels et commerciaux ou par des dispositions législatives générales, comme pour les marchés de partenariat ou ponctuelles 1. Le champ de l’arbitrage en droit public est donc limité, d’autant plus qu’en pratique, même lorsqu’elles y sont habilitées, les personnes publiques recourent peu à l’arbitrage. Cela explique qu’il y ait très peu de jurisprudence administrative sur ce sujet et que la plupart des décisions se bornaient à constater la méconnaissance de cette interdiction. C’est ce qui rend particulièrement importante la décision relativement récente rendue par la formation contentieuse la plus solennelle du Conseil d’État qui a, pour la première fois, déterminé les modalités, le contenu et la portée du contrôle du juge administratif sur une sentence arbitrale internationale relevant de la compétence de la juridiction administrative 2. Cette compétence est beaucoup plus étroite que celle de la juridiction judiciaire, puisqu’elle ne couvre que les recours dirigés contre les sentences arbitrales internationales rendues en France relatives à l’exécution de contrats de la commande publique 3 ou portant occupation du domaine public 4. Reconnaissant la spécificité de la justice arbitrale, le Conseil d’État a limité le champ de son contrôle de la sentence arbitrale à trois catégories de points : la compétence matérielle de la juridiction arbitrale, c’est-à-dire l’arbitrabilité du litige ; la régularité de la procédure et, s’agissant du contenu de la sentence, le respect des règles d’ordre public. 1. Loi n° 2011-617 du 1er Juin 2011 relative à l’organisation du championnat d’Europe de football de l’UEFA en 2016 ; Loi n° 2018-202 du 26 mars 2018 relative à l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. 2. CE Ass, 9 novembre 2016, société Fosmax, n° 388806. 3. Marchés publics et concessions. 4. TC, 17 mai 2010, Inserm, n° 3754, au rec ; TC, 11 avril 2016, Société Fosmax LNG c/ Société TCM FR, Tecnimont et Saipem, n° 4043.
Le contrôle de ce dernier point est certainement la question la plus sensible du contrôle juridictionnel de la sentence arbitrale, car elle se situe au point où se rencontrent les deux ordres juridiques que sont l’ordre juridique privé de l’arbitrage qui a produit une décision juridictionnelle et l’ordre juridique public de l’État auquel il est demandé de l’annuler ou de lui donner la force exécutoire qui lui manque du fait de son caractère privé. En effet, le juge étatique de la sentence arbitrale, qu’il soit judiciaire 5 ou administratif 6, ne contrôle le contenu de la sentence que pour s’assurer qu’elle ne méconnaît aucune règle d’ordre public. En ce qu’il est le seul contrôle du contenu de la sentence, c’est à dire de l’exercice par le tribunal arbitral de sa mission juridictionnelle, il traduit l’autonomie que l’ordre juridique étatique est prêt à reconnaître à une institution qui lui est radicalement étrangère puisqu’elle ne procède que de la capacité reconnue à des personnes de créer temporairement, par le seul effet de leur volonté et le pouvoir de leur liberté contractuelle, un ordre juridique propre qu’elles vont charger de se prononcer sur leurs droits et obligations. C’est donc l’objet de ce contrôle concernant les seules sentences arbitrales internationales relevant du droit public, à l’exclusion des arbitrages d’investissement, que la présente étude a pour objet d’essayer de cerner. On ne saurait cependant rechercher les éléments constitutifs de l’ordre public (II) sans commencer par rappeler les fondements et les finalités du contrôle de ces règles (I).
1. Le fondement de l’assujettissement du tribunal arbitral au respect de l’ordre public et de son contrôle par le juge étatique administratif 2 - Le principe d’un contrôle du juge administratif étatique de la sentence arbitrale au regard de l’ordre public, autrement dit le principe d’un assujettissement de l’arbitre à l’ordre public, est fondé sur l’idée que l’ordre juridictionnel arbitral procède d’une volonté contractuelle toujours soumise au respect de l’ordre public. Cette volonté a permis aux cocontractants d’instituer le 5. C. proc. civ., art. 1520 : le recours en annulation contre une sentence arbitrale internationale « n’est ouvert que si [...] 5° la reconnaissance ou l’exécution de la sentence est contraire à l’ordre public international ». Art 1492 sentences arbitrales internes : lorsque « la sentence est contraire à l’ordre public » 6. Cf. décision Fosmax, précitée.
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dispositif dynamique source de droits et d’obligations que constitue le contrat, que l’arbitrage prolonge pour le règlement des différends relatifs à son exécution. Mais la liberté contractuelle des parties au contrat n’est pas sans limites, particulièrement en ce qui concerne les personnes publiques qui ne disposent pas de leurs droits aussi librement que les personnes privées. Leur patrimoine est le patrimoine commun, financé par les citoyens ; leur volonté est assignée à la satisfaction de l’intérêt général. Ces limites qui s’imposent à la liberté des personnes publiques lorsqu’elles fixent contractuellement leurs droits et obligations doivent également s’imposer à l’arbitre institué par le contrat lorsqu’il règle ces droits et obligations en exécution du contrat. Lorsqu’il est saisi d’un différend relatif à l’exécution d’un contrat, le juge étatique français du contrat doit d’abord faire application du contrat 7. Mais il le fait en tenant compte des règles du droit national et international dans lequel le contrat s’inscrit, règles qui, pour certaines, limitent la volonté contractuelle des parties. L’intervention du juge étatique assure à la fois l’exécution du contrat et le respect des règles qui s’imposent au contrat. C’est pourquoi elle est en principe obligatoire pour les personnes publiques qui ne disposent pas complètement des droits qu’elles engagent dans la relation contractuelle. Mais lorsque l’ordre juridique étatique a permis à la personne publique de recourir à l’arbitrage, le contrôle que le juge étatique est amené à effectuer sur la sentence doit respecter l’autonomie juridictionnelle inhérente à ce mode de règlement des litiges. Il doit toutefois assurer le respect de l’ordre public puisqu’il n’est pas concevable qu’en choisissant un mode de règlement particulier de leurs différends, les personnes publiques puissent s’affranchir des règles qui s’imposent à elles. De même qu’elles ne peuvent y échapper en recourant à cet autre mode de règlement d’un différend qu’est la transaction 8. Le principe d’un contrôle du contenu de la sentence arbitrale de l’ordre public mais seulement de l’ordre public traduit donc la recherche d’un point d’équilibre entre la liberté contractuelle qu’exercent les parties en recourant à une procédure de règlement de leur différend que la loi leur a ouverte et les limites que l’ordre juridique étatique est fondé à leur imposer. Comme l’écrit le professeur Seraglini 9, « le juge, qui est le gardien de l’intégrité de son ordre juridique et de son ordre public, ne peut, lorsqu’il lui est demandé de donner effet à une sentence arbitrale sur son territoire, faire prévaloir la volonté des parties sur des intérêts que son État considère comme supérieurs aux intérêts privés des parties et constituant des limites à cette volonté » 10. Ce principe de conciliation n’est pas propre aux arbitrages internationaux des personnes publiques, puisque la liberté contractuelle des personnes privées n’est pas non plus illimitée. En revanche, le contenu de ces règles d’ordre public n’est pas le même pour les personnes publiques et pour les personnes privées. Il varie d’ailleurs aussi selon les personnes privées et la nature de leurs activités. 7. CE Ass, 28 décembre 2009, cne de Béziers, n° 304802. 8. CE Avis Assemblée, 6 décembre 2002, Syndicat intercommunal des établissements du 2nd cycle du 2nd degré du district de l’Haÿ-les-Roses, n° 249153 ; pour une application en matière de commande publique, cf. CE, 17 octobre 2003, Ministre de l’intérieur c/ syndicat intercommunal d’assainissement Le Beausset, la Cadière, le Castellet, n° 249822. 9. C. Seraglini, Le contrôle de la sentence au regard de l’ordre public international par le juge étatique : mythe et réalités, Gaz. Pal, 2009, n° 80, p. 9. 10. On peut également citer Ch. Delanoy, selon lequel « le devoir de l’État est de s’opposer à l’accueil dans son ordre juridique de tout titre exécutoire consacrant une situation ou un droit contraire à son ordre public » (Le contrôle de l’ordre public au fond par le juge de l’annulation : trois constats, trois propositions, Rev. Arb. 2007, n° 2, p. 218).
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On en trouve également l’expression dans les conventions internationales relatives à l’arbitrage, dans le droit comparé et dans les dispositions du Code de procédure civile français 11. Tels sont donc les principes sur lesquels le Conseil d’État s’est fondé pour affirmer un contrôle de l’ordre public et qui permettent d’en appréhender le contenu : il sera composé des règles qui s’imposent aux personnes publiques contractantes, auxquelles leur liberté contractuelle ne permet pas de déroger. L’habilitation des personnes publiques à recourir à l’arbitrage n’est donc pas considérée comme leur permettant de se placer dans un ordre normatif totalement déconnecté de l’ordre juridique national dont elles relèvent, y compris lorsque leur contrat met en jeu les intérêts du commerce international. Cette habilitation est limitée à son objet, qui est de leur permettre de recourir à une voie contractuelle de règlement de leurs litiges, c’est à dire d’instituer un ordre juridictionnel spécifique, source d’un ordre juridique partiellement autonome, puisque cette autonomie ne s’exerce que sur et dans les limites des droits dont les parties disposent.
2. Le contenu de l’ordre public 3 - Le contenu de l’ordre public dont le juge administratif vérifiera le respect par l’arbitre procède de ces principes. Une première question est celle de savoir si, s’agissant d’un litige mettant en jeu les intérêts du commerce international, le contrôle doit se limiter aux règles d’ordre public international. L’article 1520 du Code de procédure civil français évoque ainsi un contrôle des sentences internationales au regard d’un ordre public international. Cette notion n’est pas aisée à définir. Mais il est certain que le Conseil d’État n’entend pas limiter son contrôle de l’ordre public aux valeurs fondamentales internationalement partagées, telles que la condamnation de la corruption, du trafic de stupéfiants 11. La Convention de New-York n’autorise les autorités compétentes des États parties à refuser la reconnaissance ou l’exécution d’une sentence rendue à l’étranger que si elles constatent, outre que le litige n’est pas arbitrable, que « la reconnaissance ou l’exécution de la sentence serait contraire à l’ordre public de ce pays » (art. V, alinéa 2 b). Ce motif est repris pour l’annulation par la convention de Genève. Il est également, avec l’inarbitrabilité du litige, le seul motif d’annulation d’une sentence internationale retenu par la loi type élaborée par la Commission des Nations Unies pour le droit du commerce international (CNUDCI) le 21 juin 1985 et recommandée par l’Assemblée générale des Nations Unies aux États « pour qu’ils la prennent en considération lorsqu’ils promulgueront ou réviseront leur législation pour répondre aux besoins actuels de l’arbitrage commercial international », par une résolution du 11 décembre 1985. Très largement inspirée de la convention de New-York et fondée sur une méthode consensuelle d’harmonisation des lois étatiques, cette loi-type, révisée en 2006, a connu un grand succès puisqu’elle a été reprise telle quelle par les législations de plus de trente États dans le monde, dont 12 en Europe et en a inspiré de nombreux autres. Les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Suisse, la Belgique, le Portugal, entre autres États qui n’ont pas attendu cette loi type pour développer un régime juridique de l’arbitrage, limitent tous le contrôle de la sentence arbitrale à l’ordre public. Ce contrôle constitue également le droit commun privé français, puisque l’article 1520 du Code de procédure civile dispose que le recours en annulation, qui est le seul recours contre une sentence arbitrale internationale, « n’est ouvert que si (...) 5° la reconnaissance ou l’exécution de la sentence est contraire à l’ordre public international ». Il n’est pas sans intérêt de relever la nuance de rédaction qui distingue cette formulation de celle de l’article 1492 relative au recours en annulation contre les sentences arbitrales internes, qui ne l’ouvre que lorsque « la sentence est contraire à l’ordre public ». Outre la référence à l’ordre public international, la formulation de l’article 1520, comme celle, identique sur ce point, de la Convention de New-York, souligne que l’objet du contrôle n’est pas la sentence elle-même mais les effets qu’elle peut produire sur l’ordre public que le juge étatique a pour mission de défendre.
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ou d’organes humains 12. Une telle conception, défendue par certains auteurs et dont on trouve quelques rares manifestations en droit comparé 13, est fondée sur l’idée que l’ordre juridique arbitral international ne devrait être soumis qu’à un ordre public lui-même « réellement international ». Comme il a été dit, le contrôle de l’ordre public vise à assurer le respect par les personnes publiques des règles d’ordre public auxquelles elles sont soumises, y compris lorsqu’elles concluent un contrat mettant en jeu les intérêts du commerce international, dont on sait que la définition est très extensive 14. Les juridictions étatiques ne sont pas des juridictions internationales chargées de faire respecter l’ordre public international par des juridictions internationales privées. Elles sont des juridictions nationales qui défendent l’ordre public de l’État dont elles relèvent 15. L’ordre public dont les juridictions étatiques doivent ainsi assurer le respect est cependant éminemment plastique, comme l’est d’ailleurs cette notion lorsqu’elle est maniée à usage interne. Il est évident qu’une juridiction étatique n’imposera pas les mêmes règles d’ordre public lorsqu’elle sera saisie de la contestation d’une sentence qui ne se rattache à l’État par aucun autre aspect que le siège du tribunal arbitral et lorsqu’elle le sera d’une 12. E. Gaillard, Aspects philosophiques du droit de l’arbitrage international, précité, § 115, qui évoque des règles « dégagées à partir de la constatation que les États s’accordent, même s’ils ne sont pas nécessairement unanimes, à condamner certaines pratiques telles que la corruption, le trafic de stupéfiants ou d’organes humains, à protéger certaines parties jugées faibles, ou même, comme dans les cas d’embargo décrétés par la communauté internationale, à promouvoir certaines politiques destinées à assurer la paix et la sécurité internationale ». 13. Voir notamment les exemples donnés par le professeur Seraglini dans l’article précité. 14. Le critère de l’internationalité de l’arbitrage est exclusivement fondé sur les effets économiques de l’opération litigieuse, indépendamment des éléments juridiques d’extranéité du contrat comme la nationalité des parties ou le lieu de leur établissement, même si, en pratique, le plus souvent, ces éléments d’extranéité impliqueront des effets économiques internationaux. Il est aujourd’hui formulé par l’article 1504 du C. proc. civ., aux termes duquel : « est international l’arbitrage qui met en cause des intérêts du commerce international ». La Cour de cassation l’interprète depuis les années 1930 comme conférant un caractère international à toute opération impliquant, selon la formule de son avocat général Paul Matter, « un mouvement de biens, de services ou un paiement à travers les frontières » (conclusions sur Civ, 17 mai 1927, Pelissier du Besset ; Civ, 14 février 1934, Banque hypothécaire franco-argentine). 15. La Convention de New-York évoque ainsi « l’ordre public » du pays où l’exécution de la sentence est demandée. Comme l’a jugé la Cour d’appel de Paris, « l’ordre public international au sens de l’article 1502-5° du nouveau Code de procédure civile (devenu 1520-5°), s’entend de la conception française de l’ordre public international, c’est-à-dire de l’ensemble des règles et des valeurs dont l’ordre juridique français ne peut souffrir la méconnaissance même dans des situations à caractère international » (14 juin 2001, Rev. Arb 2001, p. 773, note C. Seraglini). Cette conception de l’ordre public international est partagée par la majorité des États et de la doctrine française comme étrangère. L’Association de droit international a ainsi adopté en 2002 (New Delhi) une résolution aux termes de laquelle « l’ordre public international d’un État comprend : les principes fondamentaux relatifs à la justice et à la morale que l’État désire protéger, même lorsqu’il n’est pas directement concerné ; les règles destinées à servir les intérêts politiques, sociaux ou économiques de l’État connues sous l’appellation « lois de police » et le devoir de l’État de respecter ses obligations envers d’autres États ou des organisations internationales ». Cette référence aux lois de police nous paraît intéressante car elle désigne précisément une règle nationale que l’État est fondé à imposer quelle que soit la loi applicable au contrat international. Ainsi, la convention de Rome du 19 juin 1980, qui fixe les modalités de détermination de la loi applicable aux contrats conclus dans le cadre de la Communauté économique européenne, réserve l’application de la loi du for lorsqu’elle a le caractère d’une loi de police, que le règlement CE n° 593/2008 du 17 juin 2008 pris pour l’application de cette convention définit comme « une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat » (art 9).
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sentence qui a vocation à être exécutée en France et à obliger des personnes publiques françaises. Dans le premier cas, dont le juge administratif n’aura jamais à connaître compte tenu du périmètre de sa compétence mais qui se présente souvent au juge judiciaire, la juridiction étatique aura essentiellement à cœur de ne pas cautionner une situation juridique qui porte atteinte à des valeurs qui dépassent son ordre juridique national. Dans le second, elle devra aussi veiller à ce que l’exécution dans son ordre juridique de la sentence n’en méconnaisse pas les règles les plus importantes, qui s’imposent à tous dans l’intérêt général. Or, les sentences dont le juge administratif aura à connaître, parce qu’elles sont rendues dans des litiges relatifs à des contrats administratifs passés par des personnes publiques, se situent toujours dans ce second cas. Dès lors, la différence entre conception interne ou internationale de l’ordre public s’estompe : toutes les règles d’ordre public qui s’imposent aux relations contractuelles des personnes publiques doivent être respectées, que le contrat ait ou non un caractère international et ce d’autant plus que l’internationalité d’un contrat est très largement entendue. Autrement dit, la conception française de l’ordre public international en ces matières recouvre toutes les règles d’ordre public. Cette définition de l’ordre public rejoint la notion de règles impératives auquel fait référence la décision Inserm 16. Dès lors que ces règles sont indisponibles aux parties, celles-ci ne sauraient échapper à leur application ni en recourant à l’arbitrage, ni en y recourant à l’étranger (d’où le principe d’un contrôle de l’ordre public de même nature à l’occasion d’une demande d’exéquatur, que souligne la décision Fosmax en son point 7). Si l’ordre public dont le respect sera contrôlé par le juge administratif est plus étendu que l’ordre public strictement international, il n’en couvre pour autant pas, contrairement à une idée fréquemment émise selon laquelle tout le droit public serait d’ordre public, tout le droit de la commande publique ou de la domanialité publique. La décision Fosmax le confirme en écartant un moyen tiré de ce que le tribunal arbitral aurait à tort fait application au litige du droit privé : « que s’il résulte de la décision rendue par le Tribunal des conflits le 11 avril 2016 que le contrat en cause était un contrat administratif et si, par suite, c’est à tort que les arbitres, chargés de déterminer le droit applicable au contrat, ont estimé que le litige était régi par le droit privé, la censure de la sentence par le Conseil d’État ne saurait être encourue que dans la mesure où cette erreur de qualification aurait conduit les arbitres à écarter ou à méconnaître une règle d’ordre public applicable aux contrats administratifs ». Sans prétendre à l’exhaustivité, la décision Fosmax donne un aperçu des règles d’ordre public qui s’imposent à l’arbitre : « Une sentence arbitrale est contraire à l’ordre public lorsqu’elle fait application d’un contrat dont l’objet est illicite ou entaché d’un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, lorsqu’elle méconnaît des règles auxquelles les personnes publiques ne peuvent déroger, telles que notamment l’interdiction de consentir des libéralités, d’aliéner le domaine public ou 16. Comme l’expliquait M. Guyomar, commissaire du gouvernement concluant sur cette affaire devant le Tribunal des conflits, « c’est précisément parce que ces règles impératives s’imposent à la personne publique au stade du contrat qu’elles doivent continuer de s’imposer à elles, ainsi qu’à son cocontractant, en aval pour la résolution du litige auquel ce contrat aura donné lieu ». Et pourquoi s’imposent-elles aux parties, sinon parce qu’elles sont porteuses d’intérêts d’une valeur supérieure, qui justifient qu’elles ne puissent être écartées par la commune volonté des parties contractantes. En ce sens, S. Boueyre, La notion de règles impératives du droit public français en droit de l’arbitrage, Journal de l’arbitrage de l’Université de Versailles, n° 1, 2014, p. 4.
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de renoncer aux prérogatives dont ces personnes disposent dans l’intérêt général au cours de l’exécution du contrat, ou lorsqu’elle méconnaît les règles d’ordre public du droit de l’Union européenne » 17. Ces différents cas de violation de l’ordre public appellent quelques explications : - « lorsqu’elle fait application d’un contrat dont l’objet est illicite ou entaché d’un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement ». Cette formule fait référence aux règles dont la méconnaissance conduit en principe le juge de l’exécution du contrat 18 ou de sa validité 19 à, respectivement, écarter l’application du contrat ou à en prononcer l’annulation. Elle renvoie à l’illicéité de l’objet du contrat 20 ou de certaines de ses clauses dont l’arbitre ne saurait faire application. Il en irait de même de l’application d’un contrat conclu à la faveur d’un vice du consentement (l’inapplicabilité du contrat étant cependant subordonnée à ce que la partie dont le consentement a été vicié l’invoque et qu’elle demande que le contrat soit résilié 21. En revanche, les « exigences constitutionnelles inhérentes à l’égalité devant la commande publique, à la protection des propriétés publiques et au bon usage des deniers publics » évoquées par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2003-473 DC du 26 juin 2003, malgré l’importance de leur valeur dans la hiérarchie des normes, trouveront peu d’applications dans le contentieux de l’arbitrage. Les règles qui en découlent, qui sont certainement d’ordre public, sont relatives à la passation du contrat alors que le litige que règle la sentence arbitrale a trait à son exécution, que n’affectent en principe pas les conditions dans lesquelles il a été conclu. Tout l’édifice du contentieux contractuel bâti à partir de la décision précitée Commune de Béziers (2009) repose sur l’idée que le respect des règles relatives à la passation du contrat est assuré par des voies de droit spécialement conçues pour cela, comme les référés précontractuel ou contractuel, voire éventuellement par le recours général en contestation de la validité du contrat, mais qu’il n’appartient pas au juge de l’exécution du contrat, auquel il incombe en principe de faire application du contrat, de les sanctionner. Pour le juge de l’exécution du contrat – et le tribunal arbitral en est un – ne sont d’ordre public que « les irrégularités tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d’une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement » 22. Et la méconnaissance des règles de passation du contrat ne constitue pas, sauf circonstances très particulières, un vice d’une particulière gravité justifiant que le juge du contrat n’en fasse pas application 23. Par ces circonstances particulières, dont la jurisprudence n’offre à ce jour qu’un exemple 24, le Conseil d’État a entendu réserver le cas d’un contrat conclu dans des circonstances frauduleuses, pénalement répréhensibles, qui font résolument obstacle à son application. Cette réserve de la fraude comme cause d’inapplicabilité des contrats est d’ailleurs unanimement admise en droit international de l’arbitrage. 17. Cf. décision Fosmax, précitée. 18. CE Ass, 28 décembre 2009, cne de Béziers, n° 304802. 19. CE Ass, 4 avril 2014, Dépt de Tarn-et-Garonne, n° 365733. 20. CE, 10 juil 2013, Cne de Vias et SEBLI, n° 362304. 21. CE, 19 décembre 2007, Sté Campenon-Bernard et autres, n° 268918. 22. Cf. décision Fosmax, précitée. 23. CE, 12 janvier 2011, Manoukian, n° 338551. V. également les décisions du Conseil d’État : 12 janvier 2011, Sté des autoroutes du Nord et de l’est de la France, n° 332136 ; 19 janvier 2011, Syndicat mixte pour le traitement des résidus urbains, n° 332330, s’agissant d’une délégation de service public ; 23 mai 2011, Dépt de la Guyane, n° 314715 ; 4 mai 2015, Sté Bueil Publicité mobilier urbain, n° 371455. 24. CE, 15 mars 2019, SA Gardéenne d’économie mixte, n° 413584.
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- « lorsqu’elle méconnaît des règles auxquelles les personnes publiques ne peuvent déroger, telles que notamment l’interdiction de consentir des libéralités, d’aliéner le domaine public ou de renoncer aux prérogatives dont ces personnes disposent dans l’intérêt général au cours de l’exécution du contrat » 25. Il s’agit là de l’ensemble de règles le plus ouvert, qui trouvent en général leur source au plus haut de la hiérarchie des normes, dans la Constitution, car elles découlent soit du principe de la continuité des services publics 26, soit de la protection des propriétés publiques. Le premier de ces principes fonde ainsi les prérogatives traditionnellement reconnues à la personne publique dans la conduite du contrat : pouvoir de résiliation unilatérale, auquel la personne publique ne saurait renoncer (une telle clause a été jugée « incompatible avec les principes de la domanialité publique comme avec les nécessités du fonctionnement d’un service public » 27 et illicite 28 ; pouvoir du maître d’ouvrage de faire exécuter par un tiers les prestations du contrat en cas de défaillance du titulaire et à ses frais, indépendamment de la résiliation du contrat (mise en régie, dont la décision Fosmax fait application). La protection des propriétés publiques et de la continuité des services publics qu’elle a d’ailleurs pour fonction de garantir conduisent à reconnaître comme présentant le caractère de règles d’ordre public les principes d’inaliénabilité 29 et d’imprescriptibilité du domaine public, ainsi que les règles composant le régime des biens de retour qui s’imposent aux parties ayant conclu une concession 30. Même si le bon usage des deniers publics est une exigence constitutionnelle, cette formulation est trop générale pour en faire une règle d’ordre public. En revanche, la prohibition des libéralités, qui s’y rattache, en est bien une 31. Cette règle s’impose aux personnes publiques lorsqu’elles terminent un différend par une transaction, qui est un contrat 32. Elle doit donc s’imposer également à elles dans le règlement de leurs litiges contractuels par voie d’arbitrage. Rappelons, afin de rassurer ceux qui pourraient craindre qu’un contrôle de cette règle donne lieu à un rejugement du litige par le juge de la sentence arbitrale, qu’elle ne conduit pas à vérifier que la personne publique n’a pas été condamnée à payer une somme supérieure à celle que le juge du contrôle aurait fixée s’il avait été juge du litige. Une libéralité est un transfert de biens sans contrepartie. Le contrôle de l’interdiction faite aux personnes publiques d’en consentir consiste simplement à s’assurer que cette condamnation n’est pas fondée sur une obligation qui n’existe pas ou qui est illicite, c’est-à-dire qu’elle n’est pas sans cause, ou n’est pas si manifestement disproportionnée au regard de ce qui justifie qu’elle apparaisse comme dépourvue de cause 33. La décision Fosmax illustre cette approche : le Conseil d’État a écarté le moyen tiré de ce que la sentence avait méconnu les règles d’indemnisation des surcoûts dans les marchés à prix forfaitaires, au motif que ces règles n’étaient pas d’ordre public, 25. Cf. décision Fosmax, précitée. 26. CC, n° 79-105 DC du 25 juillet 1979, Droit de grève à la radio et à la télévision, GDCC n° 25, p. 33. 27. CE, 26 avril 1985, Association Eurolat France, n° 41589 41699. 28. CE, 1er octobre 2013, sté Espace habitat construction, n° 349099. 29. CE, 4 mai 2011, Cté de communes du Queyras, n° 340089. 30. CE Ass, 21 décembre 2012, Cne de Douai, n° 342788. 31. CE Sect, 19 mars 1971, Sieur Mergui, n° 79962. 32. CE Avis Assemblée, 6 décembre 2002, Syndicat intercommunal des établissements du 2nd cycle du 2nd degré du district de l’Haÿ-les-Roses, n° 249153, précitée. 33. Voir par exemple : CE, 4 mai 2001, CCI de Nimes, Uzès, Bagnols, Le Vigan, n° 334280 ; CE, 22 juin 2012, CCI de Montpellier et sté aéroport de Montpellier-Méditerranée, n° 348676.
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alors même que leur application par le juge étatique aurait abouti à une condamnation moins élevée du maître d’ouvrage 34. - « lorsqu’elle méconnaît les règles d’ordre public du droit de l’Union européenne » 35. Le juge national doit assurer le respect par les arbitres des règles impératives du droit de l’Union européenne : la Cour de justice a jugé qu’elles devaient pouvoir faire l’objet d’un contrôle effectif de la part des juridictions nationales, sans que la circonstance que leur violation résultât d’une sentence arbitrale pût y faire obstacle 36. Le contrôle du respect de ces règles ne conduit pas à une réformation de la sentence : il s’agit de sanctionner la méconnaissance de règles de droit, sans entrer dans les modalités de leur application aux faits de l’espèce ou, s’il faut tenir compte d’éléments factuels, comme pour qualifier une libéralité, le seuil de qualification est tellement élevé qu’il laisse une très large marge d’appréciation à l’arbitre. Ainsi conçu, le contrôle du juge administratif français de l’ordre public ne se distingue de celui du juge judiciaire français que par 34. Cf. décision Fosmax, précitée (pt 14). 35. Ibid. 36. CJCE, 1er juin 1999, Eco Swiss, C-126/97 ; CJCE, 26 octobre 2006, Mostaza Claro, C-168-05.
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le contenu des règles d’ordre public dont il fera application et par l’intensité avec laquelle il en assurera le respect. La première différence est inhérente à la spécificité des règles applicables aux contrats de la commande publique et d’occupation domaniale, de même que le juge judiciaire n’applique pas les mêmes règles d’ordre public à tous les contrats qui relèvent de sa compétence. La seconde est une question de politique jurisprudentielle. Le juge administratif doit exercer un contrôle effectif du respect des conditions légales de recours à l’arbitrage et des règles d’ordre public qui s’imposent avec une force toute particulière à des personnes publiques dont la liberté contractuelle est par nature beaucoup plus limitée que celle des personnes privées et toujours subordonnée à l’intérêt général. En fixant un cadre juridique conciliant le caractère privé de la justice arbitrale et les principes de droit public dont relèvent les personnes publiques, le Conseil d’État rend possible le développement du recours à l’arbitrage par les personnes publiques dans des conditions garantissant le respect du droit et des deniers publics.ê
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La Cour Internationale d’Arbitrage de la CCI, acteur de la régulation du commerce international Alexis MOURRE, Avocat au Barreau de Paris, Président de la Cour Internationale d’Arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale
1 - L’accès à un for neutre permettant de régler de façon rapide et efficace les litiges du commerce international est une condition essentielle du développement des échanges internationaux et de la croissance mondiale. Les acteurs du commerce international, en effet, attachent une valeur importante à la neutralité du for compétent, aucune d’elles n’acceptant de se soumettre à la juridiction des tribunaux nationaux de l’autre partie, ces derniers étant à tort ou à raison perçus comme n’étant pas parfaitement impartiaux à l’égard de leurs propres nationaux. Il en va plus encore ainsi dès lors que le litige implique les intérêts de l’État, ce qui est de plus en plus fréquent dans le commerce international. Ce souci d’une parfaite égalité entre les litigants les conduit donc à rechercher un juge qui soit parfaitement équidistant des parties. Cette recherche de neutralité dans le règlement des litiges du commerce international est une des principales raisons, quoique ce ne soit pas la seule, pour lesquelles l’arbitrage est devenu, à partir des années cinquante, le mode normal de règlement des litiges du commerce international. La juridiction arbitrale, choisie par les parties et composée d’arbitres nommés directement ou indirectement par ces dernières, y répond en effet parfaitement, celle-ci n’étant liée à aucun ordre juridique, pouvant siéger dans un pays tiers aux parties, et pouvant être composée de juges – car l’arbitre est un juge – de nationalités différentes, le président ou l’arbitre unique étant généralement d’une nationalité tierce à celles des parties. L’accès à une justice véritablement internationale est ainsi perçu par les entreprises comme un élément sécurisant, contribuant à limiter les risques inhérents au commerce international, et permet par là-même de fluidifier les échanges et de faciliter la conclusion de contrats internationaux. 2 - Le développement de l’arbitrage a été tel que, dans nombre de secteurs industriels très fortement internationalisés, la quasitotalité du contentieux se trouve désormais soumis à des juridictions arbitrales, les tribunaux étatiques étant réduits à un rôle mineur, essentiellement lié au contentieux d’appui à l’arbitrage (litiges relatifs à la mise en œuvre de l’arbitrage), d’annulation (recours contre les sentences), ou accessoire au litige (mesures conservatoires et urgentes). Il en va ainsi, par exemple, du contentieux en matière pétrolier ou gazier, dans le domaine des grands projets d’infrastructure, et bien entendu dans celui de la protection des investissements. Cette concentration du contentieux entre les mains de juridictions arbitrales a à son tour entraîné une mutation de l’arbitrage international lui-même, celui-ci s’étant à la fois professionnalisé et institutionnalisé. Alors qu’aux origines de l’arbitrage, les arbitres étaient des hommes d’affaires choisis par leurs pairs pour régler de manière amiable
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et informelle les litiges qui les opposaient – l’arbitrage était ainsi parfois défini comme a gentlemany way of resolving disputes between gentlemen – la complexité croissante des litiges et le souci d’éviter les conflits d’intérêts ont conduit à la formation d’une véritable profession arbitrale, composés de cabinets et de praticiens hautement spécialisés, consacrant l’intégralité de leur temps à la matière, que ce soit comme conseils ou comme arbitres. Cette évolution a à son tour entraîné une plus grande technicité de la procédure arbitrale, avec l’émergence progressive d’un corpus de règles procédurales spécifiques et adaptées au contentieux arbitral transnational. Le développement d’un droit mou, ou soft law, composé de règles non obligatoires codifiant la pratique arbitrale, a ainsi été un phénomène marquant des trente dernières années, certains saluant cette évolution comme facteur de prévisibilité et d’uniformité de la pratique, tandis que d’autres la regrettaient en ce qu’elle contribuerait à figer la pratique au détriment de la flexibilité de l’arbitrage 1. De plus, le rôle toujours plus important de l’arbitrage dans le règlement des litiges du commerce international, et la part croissante des litiges impliquant d’une façon ou d’une autre l’intérêt public, a placé au premier plan un souci de transparence et d’éthique qui appelait nécessairement une exigence d’organisation et de contrôle de la procédure arbitrale. Cette exigence a été satisfaite par les institutions arbitrales, au premier rang desquelles se trouve la Cour Internationale d’Arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale (CCI). 3 - Il pourrait sembler paradoxal que des décennies de mondialisation et de dérégulation aient entraîné l’émergence d’un cadre règlementaire et institutionnel de l’arbitrage plus structuré, qui à bien des égards a marqué une rupture avec la nature informelle, très flexible et non régulée de l’arbitrage des origines. Ce n’est là, cependant, qu’une contradiction apparente. D’une part, l’institutionnalisation de l’arbitrage est une conséquence directe et nécessaire de l’autonomie reconnue par les États à l’ordre juridique arbitral. Compte tenu de l’importance de l’arbitrage dans l’organisation du commerce mondial, il eût été impensable que la privatisation de la justice du commerce international opérée par le développement de l’arbitrage n’entrainât pas l’émergence d’un cadre institutionnel et règlementaire permettant d’organiser l’activité arbitrale et d’assurer le respect de principes univer1. A. Mourre, La Soft Law como condición para el desarrollo de la confianza en el arbitraje internacional, Xème Conferencia internacional Hugo Grotius, 2017, CEU Ediciones, 2018 ; cf également, A. Mourre, “ Soft Law as a Condition for the Development of Trust in International Arbitration ”, Revista Brasileira de Arbitragem, , 2016, p. 82.
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sellement reconnus quant au caractère équitable du procès et à l’intégrité de la procédure. D’autre part, cette institutionnalisation de l’arbitrage opère dans un cadre qui reste pleinement conforme au caractère privé de ce mode de règlement des litiges et à l’autonomie des parties. Le cadre institutionnel et règlementaire dans lequel l’arbitrage évolue actuellement est en effet pour l’essentiel le produit de règles privées, élaborées par la communauté arbitrale elle-même, plutôt que le fait d’une règlementation imposée par les États. Et cela explique aussi que ce cadre règlementaire reste à bien des égards imparfait et incomplet. Il est sur ce plan remarquable que l’activité et l’organisation des institutions arbitrales restent dans une très grande mesure soustraites à toute règlementation et à tout contrôle de la part des États. 2 4 - Il reste que les institutions d’arbitrage sont devenues l’épine dorsale de l’arbitrage international tel que nous le connaissons aujourd’hui, au point qu’il est permis de penser qu’elles ont conduit l’arbitrage à se structurer en un embryon de système judiciaire transnational. Il est difficile, faute de statistiques, de savoir le nombre exact d’affaires qui sont chaque année soumises à des tribunaux ad hoc, en dehors de tout cadre institutionnel. Il est cependant permis de penser que, du moins pour ce qui concerne les affaires les plus complexes et les plus importantes, cette part a reculé très significativement dans les cinquante dernières années au profit de l’arbitrage administré. L’arbitrage purement ad hoc reste sans doute aujourd’hui une réalité significative dans certains domaines particuliers, tel que l’arbitrage de qualité, mais il est devenu rare dans le contentieux du commerce international. Le règlement d’arbitrage de la Commission des Nations Unies pour le Droit Commercial International (« CNUDCI »), qui est bien un règlement ad hoc en ce sens qu’il n’est pas l’émanation d’une institution d’arbitrage, est certes très largement utilisé, mais le fait qu’il se déroule dans un cadre règlementaire le rapproche plus de l’arbitrage institutionnel que de l’arbitrage ad hoc pur. Il est à cet égard remarquable de constater le rôle croissant de la Cour Permanente d’Arbitrage dans l’organisation d’arbitrages sous l’égide de la CNUDCI, qui rapproche de façon décisive l’arbitrage CNUDCI de l’arbitrage institutionnel administré. 5 - Le cadre institutionnel dans lequel évolue d’arbitrage administré est le produit d’une lente évolution au cours des cinquante dernières années, qui se caractérise, d’une part, par la création d’un réseau mondial d’institutions, et d’autre part par une convergence des règles institutionnelles. La CCI comptabilisait en effet 43 nouvelles requêtes en 1958, et enregistrait 250 nouvelles affaires en 1980, soit cinq ans après l’adoption de son règlement de 1975, chiffres qui doivent être rapportés aux 868 affaires nouvelles enregistrées par l’institution en 2019. A cette époque, la CCI était la seule institution d’arbitrage de taille mondiale administrant des affaires internationales. Il existait certes un grand nombre d’institutions nationales, que ce soit dans les pays de tradition capitaliste, ou dans les pays socialistes, où l’arbitrage était une tradition bien établie dans le règlement des litiges impliquant des étrangers, mais celles-ci étaient – et sont souvent encore aujourd’hui – l’expression de traditions juridiques locales, et très souvent un prolongement des systèmes judiciaires locaux, et aucune n’avait les caractéristiques d’internationalité – tant pour ce qui concerne la culture de l’institution que la nature des affaires traitées – de la CCI. La CCI a dans une large mesure imposé un modèle dont d’autres institutions, conscientes du développement d’un marché de l’arbitrage international en croissance rapide, s’inspireront ensuite dans leur 2. A. Mourre, Hendrix Lecture, 9 mars 2018, [https:// globalarbitrationreview.com/mourre-calls-institutions-join-forces].
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quête de globalisation. En 1981, la cour d’arbitrage de Londres s’est ainsi rebaptisée pour devenir la London Court of International Arbitration (« LCIA »), engageant un processus d’internationalisation qui la conduira à ouvrir une antenne à Mumbai avant de créer une institution à Dubaï en partenariat avec le Dubaï International Financial Centre. En 1996, l’American Arbitration Association, importante institution d’arbitrage américaine qui administre des milliers d’affaires internes, a créé l’International Centre for Dispute Resolution. En 1991 a été créé le Singapore International Arbitration Centre (SIAC), devenu depuis une des plus importantes institutions d’arbitrage du monde. Quant aux institutions locales, celles-sont désireuses d’étendre leurs activités au-delà de leurs frontières nationales, et conscientes de la nécessité, pour ce faire, de renforcer leurs structures et leurs moyens financiers. On peut citer à cet égard l’exemple de l’accord passé en 2004 par les chambres suisses d’arbitrage pour offrir en commun leurs services sur le marché international, ou la fusion récente de certaines institutions d’arbitrage espagnoles pour créer en 2019 le Centro Internacional de Arbitraje de Madrid. De nombreuses autres institutions nationales ont engagé d’ambitieux efforts de promotion de leurs services à l’étranger. Cette internationalisation des centres d’arbitrage se fait sur fond de concurrence accrue entre places d’arbitrage, signe des enjeux financiers et d’image toujours plus significatifs que représente pour une ville sa capacité à attirer sur son territoire des arbitrages importants. Promouvoir l’attractivité de telle ou telle place d’arbitrage – Paris, Londres, Genève ou Singapour – devient ainsi un objectif primordial pour les communautés d’arbitrage locales, qui créent pour ce faire des associations dédiées, comme ce fut le cas à Paris avec Paris Place d’Arbitrage. Il est à cet égard intéressant d’observer, même si ces initiatives sont pour l’instant loin de remettre en cause la place centrale de l’arbitrage dans le règlement des litiges internationaux, que cette concurrence entre places se double d’une concurrence naissante entre arbitrage et contentieux judiciaire international, certains pays se dotant, comme Singapour, de juridictions internationales spécialisées composées de magistrats de différentes nationalités. 6 - La CCI, qui était dans les années soixante et soixante-dix la seule institution d’arbitrage de nature réellement internationale, est aujourd’hui devenue une composante – certes essentielle – d’un réseau global offrant aux acteurs du commerce international une offre diversifiée de services d’administration de l’arbitrage, même si, comme on le verra, il existe une certaine convergence dans le contenu de ces derniers. Ce réseau comprend des institutions à vocation globale, comme c’est le cas de la CCI, d’autres à dimension régionale, et d’autres enfin de nature locale. Ces institutions entretiennent des relations sur des questions aussi diverses que l’organisation de conférences, la formation des arbitres, l’assistance aux parties dans l’organisation des audiences, voire l’attitude à adopter face à aux mesures de sanctions internationales adoptées par certains États 3. Elles interviennent parfois conjointement devant les juridictions étatiques comme amici curiae sur des questions mettant en cause la pratique arbitrale 4. Cette coopération a elle-même donné lieu à la création de structures ayant pour vocation d’organiser ces relations inter-institutionnelles, comme l’IFCAI 5. Ce réseau institutionnel ne se limite d’ailleurs pas aux institutions ayant pour objet d’administrer des procédures arbitrales, comme c’est le cas de la CCI. D’autres institutions ont pour objet d’élaborer des règles de nature procédurale et de recommander des best prac3. ICC, LCIA and ICC on EU sanctions, 11 août 2015, [https://sccinstitute.com/ about-the-scc/news/2015/icc-lcia-and-scc-on-eu-sanctions/]. 4. Comme récemment dans l’affaire Halliburton, qui a donné lieu à un arrêt de la Cour Suprême anglaise le 27 novembre 2020. 5. International Federation of Commercial Arbitral Institutions.
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tices dans le but d’améliorer l’efficacité de l’arbitrage, telles que l’International Bar Association (IBA), l’International Council for Commercial Arbitration ou le Chartered Intitute of Abitrators. Parmi les initiatives règlementaires les plus structurantes qui ont contribué à dégager un corpus naissant de règles procédurales transnationales, on signalera particulièrement les règles de l’IBA sur l’administration de la preuve, adoptées pour la première fois en 1999, et les règles directrices de l’IBA sur les conflits d’intérêts dans l’arbitrage international, adoptées pour la première fois en 2003 6. 7 - Il est possible de considérer que ce réseau d’institutions représente, pris dans son ensemble, un embryon de système de justice transnational, certes incomplet et imparfait, mais destiné à évoluer vers une plus grande cohérence. Il est à cet égard remarquable de constater la convergence croissante entre les règles d’arbitrage proposées par ces différentes institutions. D’une part, ce phénomène illustre la concurrence entre institutions, chacune important dans son règlement les innovations adoptées par les autres dès lors qu’elle les considère attractives. On peut ainsi penser aux règles portant sur l’arbitrage d’urgence, adoptées par la Chambre de Stockholm et reprises par la CCI en 2012, ou encore aux règles sur l’arbitrage accéléré, adoptées d’abord par le SIAC et ensuite reprises par la CCI en 2017, mais sous la forme obligatoire de l’opt-out, ou encore aux règles destinées à assurer l’efficacité des arbitrages complexes en donnant à l’institution un plus grand pouvoir de consolider des arbitrages parallèles, ou permettant plus facilement l’attraction à la procédure de parties qui y étaient restées étrangères, qui ont été introduites sous des formes diverses par les principales institutions dans leurs règlements 7. De l’autre, il y a là une manifestation d’un consensus international grandissant sur les règles procédurales transnationales applicables à l’arbitrage, expression de sa nature autonome et reflet d’une certaine convergence de vues au sein de la communauté arbitrale internationale sur la structure et le déroulement de l’instance arbitrale. Il reste encore, cependant, à cet embryon de système de justice transnational qu’est l’arbitrage à parvenir à une véritable cohérence sur l’ensemble des aspects de la procédure arbitrale internationale. On voit ainsi que l’étendue des obligations déclaratives des arbitres reste un sujet débattu 8. De même, l’acceptation de règles internationales portant sur les devoirs des conseils dans l’arbitrage est encore un sujet controversé, les Guidelines de l’IBA sur ce sujet n’étant pas parvenues à susciter un consensus suffisant 9. Les modalités d’administration de la preuve, que l’on croyait faire l’objet d’un consensus solide autour des règles de l’IBA, ont aussi vu l’émergence d’un projet de règles concurrent se présentant comme l’expression d’une tradition civiliste alors que les règles de l’IBA reflèteraient une approche plus anglosaxonne, indication peut-être d’une certaine résurgence de 6. Sur le rôle des institutions dans la formation d’un droit transnational de l’arbitrage, A. Mourre, Arbitral Institutions and Professional Organizations as Lawmakers, ICCA Congress Series 2020, n° 20, p. 86. 7. Sur l’arbitrage d’urgence, voir l’Appendice II du Règlement de la Chambre de Commerce de Stockholm (2010 et 2017) et l’Article 29 et l’Appendice V du Règlement de la CCI (2012 et 2017) ; Sur l’arbitrage accéléré, voir l’Article 30 et l’Appendice VI du Règlement (2017) de la CCI et la Rule 5 du Règlement SIAC (2010 et 2016). 8. A. Mourre, Conflicts Disclosures : the IBA Guidelines and Beyond, Austrian Yearbook on International Arbitration, 2015, p. 291. 9. A. Mourre, « About Procedural Soft Law, the IBA Guidelines on Party Representation and the Future of Arbitration », in P. Shaughnessy et S. TUNG (éd.), The Powers and Duties of An Arbitrator : Liber Amicorum Pierre A. Karrer, Wolters Kluwer, 2017, p. 239 ; A. Mourre et E. Zuleta Jaramillo, « The IBA Guidelines on Party Representation in International Arbitration », in N. Ziadé et al.(éd.), Festschrift Ahmed Sadek El-Kosheri : From the Arab World to the Globalization of International Law and Arbitration, Wolters Kluwer, 2015, p. 109.
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clivages culturels et régionaux que l’on pensait dépassés 10. La nécessité d’assurer un niveau minimum de transparence dans l’arbitrage reste aussi un sujet de divisions 11. On notera enfin l’absence de standards internationaux sur la gouvernance des institutions d’arbitrage, 12 malgré quelques efforts en ce sens, notamment par le Club Espanol del Arbitraje 13. 8 - La CCI a toujours, dans cette dynamique, joué un rôle tout particulier. Même s’il existait déjà, à l’époque de sa création en 1923, d’autres institutions d’arbitrage, telles que la Cour d’arbitrage de Londres ou l’Institut d’arbitrage de la Chambre de Commerce de Stockholm, la Cour internationale d’arbitrage de la CCI était alors sans conteste la première institution qui eût une vision et une vocation véritablement internationales. La CCI a ainsi été à l’initiative du développement de règles internationales adaptées au développent de l’arbitrage. Elle a ainsi été à l’origine du protocole de Genève du 24 septembre 1923 sur les clauses d’arbitrage, ainsi que de la Convention de Genève du 26 septembre 1927 sur l’exécution des sentences arbitrales étrangères, textes qui constituent le fondement du régime juridique de l’arbitrage international moderne 14. Après la guerre, la CCI fut encore à l’initiative du texte fondateur de l’arbitrage international tel que nous le connaissons aujourd’hui qu’est la Convention de New York du 10 juin 1958. C’est en effet la Cour qui rédigea en 1953 le projet de ce qui deviendrait, après son adoption en 1955 par le Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC), le texte qui assurerait pendant des décennies le succès extraordinaire de l’arbitrage international. 9 - La modernité de l’arbitrage CCI trouve sa meilleure expression dans le contrôle de qualité des sentences qui est organisé, depuis 1927 15, sous la forme d’une procédure d’approbation des projets de sentence par la Cour. Le contrôle et l’approbation des projets de sentences reste à ce jour une caractéristique unique de l’arbitrage CCI, et une des raisons principales de son succès. Cette procédure, administrative par nature, ne tend pas à substituer l’institution d’arbitrage aux arbitres dans l’exercice de leur mission juridictionnelle, mais à soumettre la communication des sentences aux parties à la vérification de conditions de forme nécessaires à leur validité ainsi, pour ce qui concerne le fond, qu’à un contrôle de la clarté et de la cohérence du raisonnement adopté par les arbitres. La Cour peut ainsi imposer des modifications de la sentence quant à sa forme, et attirer l’attention des arbitres sur des questions de fond. La distinction du fond et de la forme peut parfois se révéler délicate, mais en pratique celle-ci ne pose guère de difficultés. Quant à la forme, les modifications demandées par la Cour peuvent toucher à des conditions requises par la loi du siège ou par celle de pays où la 10. The Inquisitorial Rules of Taking Evidence in International Arbitration (Prague Rules), Draft of 14 February 2018, [https://praguerules.com/upload/iblock/ a00/a00568c6787a8bc955f4fdfe93db5a10.pdf] 11. A. Mourre, « Precedent and Confidentiality in International Arbitration : The Case for the Publication of Arbitral Awards », in Y. Banifatemi et E. Gaillard, Precedent in International Arbitration, IAI Series on International Arbitration n° 5, 2008, p.39 ; en sens contraire, Ph. Cavalieros, La publication intégrale des sentences : évolution ou régression de la justice arbitrale : Revue de l’arbitrage 2020, n° 3, p. 727. 12. A. Mourre, Hendrix Lecture, 9 mars 2018, [https:// globalarbitrationreview.com/mourre-calls-institutions-join-forces]. 13. Código de Buenas Prácticas Arbitrales del Club Español del Arbitraje, 2019, [https://www.garrigues.com/sites/default/files/documents/ codigo_de_buenas_practicas_arbitrales_del_club_espanol_del_arbitraje.pdf] 14. A. Plantey, L’arbitrage dans le commerce international : Annuaire Français de Droit International 1990, n° 36, pp. 307 ss. 15. Règlement de conciliation et d’arbitrage de la CCI (1927), Article 21 : « Avant de signer leur sentence, l’arbitre ou les arbitres doivent la soumettre à la Cour d’Arbitrage. Celle-ci l’examine au point de vue de la forme seulement. Aucune sentence ne peut être rendue sans avoir été approuvée en la forme par la Cour d’Arbitrage ».
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sentence aura probablement à être exécutée, telles que l’exigence que chaque page de la sentence soit signée, des conditions tenant au lieu de signature de celle-ci, ou encore l’apposition de certaines formules dans le dispositif, comme c’est parfois le cas dans certains pays arabes. Des erreurs de calcul sont fréquemment corrigées par la Cour. Sont aussi considérées comme des questions de forme le fait pour la sentence de ne pas avoir disposé de toutes les demandes, ou au contraire d’avoir statué ultra petita. Quant au fond, il est fréquent que la Cour attire l’attention des arbitres sur le fait que certains arguments n’ont pas été traités, ou au contraire que certains points du raisonnement des arbitres n’ont pas été discutés par les parties. De même, la Cour pourra souligner au tribunal que certaines parties de son raisonnement paraissent insuffisantes, contradictoires, peu claires, voire erronées en droit. La Cour pourra enfin faire part au tribunal de la nécessité d’examiner, au besoin d’office, certaines questions relevant de l’ordre public international, notamment s’il existe des faits qui semblent révéler une cause d’illicéité, comme par exemple la corruption, que le tribunal parait n’avoir pas traités. A l’issue de ce processus, qui engage dans un premier temps une étude approfondie de la sentence par le Secrétariat, puis par la Cour parfois sur la base d’un rapport établi par un de ces membres, la Cour pourra soit approuver la sentence, généralement sous réserve d’un certain nombre de commentaires, soit refuser de l’approuver et demander au tribunal de la lui resoumettre après avoir pris en considérations les raisons qui ont motivé ce refus d’approbation. Il est dans l’ensemble très rare qu’une sentence soit approuvée sans un certain nombre de commentaires quant au fond sinon à la forme, et plus rare encore que ces commentaires ne soient pas incorporés dans la sentence par les arbitres. De l’avis général des praticiens, ces commentaires contribuent de façon significative à améliorer la qualité de la sentence, à réduire le risque d’annulation, et à augmenter les chances d’une exécution spontanée, voire forcée. A ce jour, ce contrôle de qualité est un service unique offert par la Cour, aucune autre institution n’organisant une telle procédure d’approbation préalable des projets de sentence. 10 - L’approbation préalable des sentences par la Cour répond à une exigence générale de contrôle de qualité et d’encadrement de l’activité des tribunaux arbitraux. Elle prend plus d’importance encore à une époque où la légitimité de l’arbitrage international est de plus en plus souvent remise en cause, non seulement dans le domaine de la protection des investissements, mais aussi en matière commerciale. L’arbitrage, comme on l’a dit, est devenu un rouage essentiel du bon fonctionnement des échanges internationaux et du commerce mondial. Plus encore, les arbitres ont de plus en plus fréquemment à trancher sur des litiges impliquant directement, et de façon parfois très significative, les intérêts de la puissance publique. Il suffit de songer que l’affaire la plus importante dont a eu à connaître la CCI impliquait une demande de 77 milliards de dollars américains dirigée contre un État pour comprendre à quel point la neutralité, l’intégrité et l’équité du système de justice arbitral peut devenir un enjeu politique de première importance. Assurer la légitimité de l’arbitrage est donc une condition fondamentale de son développement futur. La CCI a, pour faire face à ce défi, engagé dans les cinq dernières années un programme de réformes ambitieux destiné à maintenir le plus haut niveau d’éthique de la part de tous les acteurs de la procédure, à instaurer la plus grande transparence, et à améliorer de façon significative l’efficacité de la procédure, tant pour ce qui concerne les délais que les coûts. 11 - S’agissant de la transparence, on soulignera tout d’abord qu’à la différence d’autres institutions, telles que par exemple la LCIA, l’arbitrage CCI n’est pas en principe confidentiel. Le règlement d’arbitrage de la CCI ne contient en effet pas de clause de
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confidentialité, mais permet en revanche aux arbitres de prendre toutes mesures appropriées pour protéger la confidentialité d’informations ou de documents échangés dans l’arbitrage. Le règlement protège aussi la confidentialité des audiences en prévoyant que seules les parties et les personnes impliquées dans la procédure peuvent y avoir accès. Enfin, les travaux de la Cour sont couverts par le secret. Il est donc fréquent que les parties s’accordent, soit dans le contrat, soit dans la convention d’arbitrage ou dans l’acte de mission, sur une clause de confidentialité selon laquelle l’existence même de l’arbitrage ne peut être divulguée, auquel cas aucune information concernant l’arbitrage ne peut être communiquée par la Cour et par le Secrétariat. En dehors de cette hypothèse, un certain nombre de raisons militent pour qu’un niveau minimum de transparence soit assuré sur l’activité de la Cour et des tribunaux arbitraux, y compris par la publication des sentences elles-mêmes. Ces raisons tiennent en premier lieu au fait que la culture du secret, qui est encore trop répandue dans l’arbitrage, nourrit toutes sortes de spéculations et les critiques les plus malveillantes. Or, l’arbitrage est une justice, et, comme telle, il ne doit pas craindre le regard du public. En second lieu, l’arbitrage est dans de nombreux domaines le mode principal, sinon exclusif, de règlement des litiges, en sorte que le caractère confidentiel de sentences ne permet pas l’émergence d’une jurisprudence arbitrale et conduit à figer l’évolution du droit dans certains domaines, comme l’a bien noté le président de la Cour d’appel de Londres dans une conférence récente 16. Au contraire, la publication systématique des sentences permettrait à l’arbitrage, par la convergence des solutions qui serait constatée dans certains domaines, de contribuer à la formation et à l’évolution de la règle de droit 17. Dans tous les cas, la publication des sentences permettrait aux arbitres de se référer de façon utile à un corpus jurisprudentiel plus complet, plutôt qu’à des extraits de sentences publiés de façon parcellaire, comme c’est le cas aujourd’hui. En troisième lieu, la publication de sentences incluant le nom des arbitres permettra aux parties souhaitant désigner un arbitre d’avoir une information plus complète sur la qualité du travail de ce dernier et sur la façon dont chacun approche telle ou telle question, que ce soit quant à la procédure ou quant au fond. 12 - La Cour a donc adopté une série de mesures visant à assurer une plus grande transparence de ses procédures. En premier lieu, la Cour a adopté en 2017 des mesures lui permettant, ce qui n’était pas le cas auparavant sauf en présence d’un accord de toutes les parties, de communiquer la motivation des décisions prises par elle sur des demandes de récusation, mais aussi de ses décisions quant à la mise en œuvre de l’arbitrage en présence d’une objection juridictionnelle, ainsi que de ses décisions en matière de consolidation d’arbitrages. La Cour a ensuite décidé de publier sur son site internet la composition de ses tribunaux arbitraux, en indiquant pour chaque tribunal l’identité de chacun des arbitres et la façon dont ils ont été nommés, ainsi que le secteur industriel concerné et l’éventuelle intervention d’un (ou une) secrétaire administratif. Enfin, la Cour a décidé que l’ensemble de ses sentences rendues à partir du 1er janvier 2019 serait publiée intégralement à l’issue d’un délai de deux ans, sous la seule réserve de l’anonymisation requise par les règlementations sur la protection des données personnelles, et sous réserve du droit de chaque partie de s’opposer à la publication. On passe 16. Lord Thomas of Cwmgiedd, Lord Chief Justice of England and Wales, Developing commercial law through the courts : rebalancing the relationship between the courts and arbitration, The Bailii Lecture 2016, 9 March 2016, [https://www.judiciary.uk/wp-content/uploads/2016/03/lcj-speech-baillilecture-20160309.pdf] 17. A. Mourre, « The Case for the Publication of Arbitral Awards », in A. Malatesta et R. Sali (éd.), The Rise of Transparency in International Arbitration, 2013, p. 53.
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ainsi d’un système de confidentialité à un système de publicité où les parties peuvent opter pour la confidentialité (opt-in). 13 - S’agissant, ensuite, du respect des règles d’éthique s’imposant à tous les acteurs de la procédure, et des questions de conflits d’intérêts, la Cour a en premier lieu établi dans sa Note aux parties et aux arbitres 18 des lignes directrices concernant les déclarations de conflits. Cette mesure répondait à une double exigence. D’une part, il s’agissait de définir de façon transparente ce que la Cour attend de ses arbitres en termes de déclarations de conflits, alors que la pratique décisionnelle de la Cour s’appuyait auparavant en grande partie, mais sans le dire clairement, sur les Guidelines de l’IBA sur les conflits d’intérêts. D’autre part, ces Guidelines de l’IBA ne répondaient dans certains cas pas exactement aux exigences de la Cour, qui souhaitait encourager plus de transparence dans les déclarations de conflits. 14 - Plus récemment, consciente de la fréquence accrue de l’intervention de tiers financeurs (third-party funders) dans l’arbitrage et de la nécessité de permettre aux arbitres de déclarer leurs relations éventuelles avec ces tiers, la Cour a amendé son règlement pour obliger les parties à déclarer le cas échéant l’existence et l’identité de ces tiers. S’agissant des arbitrages en matière de protection des investissements fondés sur un traité, la Note aux parties et aux arbitres de la CCI dans sa version 2021 imposera aussi aux arbitres de révéler dans leur CV la totalité des affaires d’investissements auxquelles ils ont été partie, que ce soit en tant que conseil, arbitre ou expert. Cette révélation est en effet rendue nécessaire par les conflits d’intérêts pouvant résulter, en cette matière, par le cumul entre les rôles d’arbitre et de conseil dans différentes affaires, et par les décisions antérieurement rendues par les arbitres sur des questions de droit ou de fait similaires. 15 - La Cour a également souhaité prévoir de façon expresse, dans sa Note aux parties et aux arbitres, l’obligation des conseils, des parties, et de tous les autres acteurs de la procédure d’agir de bonne foi dans l’arbitrage 19. En ce sens, la Note aux parties et aux arbitres invite désormais les acteurs de l’arbitrage à adopter, où à s’inspirer, des Guidelines de l’IBA sur la représentation des parties dans l’arbitrage international. Cette adjonction, qui fait écho à l’inclusion par la LCIA dans son règlement de clauses allant dans le même sens 20, contribue à la reconnaissance dans l’arbitrage international d’une obligation à la charge des parties 18. Note aux parties et aux tribunaux arbitraux sur la conduite de l’arbitrage selon le Règlement d’arbitrage CCI (1 janvier 2019), III-Tribunal Arbitral, A-Déclaration d’Acceptation, de Disponibilité, d’Impartialité et d’Indépendance, point 23, [https://cms.iccwbo.org/content/uploads/sites/3/2016/11/ icc-note-to-parties-and-arbitral-tribunals-on-the-conduct-of-arbitrationfrench.pdf]. 19. Id., IV-Conduite des Participants à l’Arbitrage, point 47 : « Les tribunaux arbitraux, les parties et leurs représentants doivent se conformer aux normes d’intégrité et d’honnêteté les plus exigeantes, adopter une conduite honorable, courtoise et professionnelle et encourager tous les autres participants à la procédure arbitrale à faire de même. » 20. LCIA Rules (2020), Article 14 – Conduct of Proceedings, [https:// www.lcia.org/Dispute_Resolution_Services/lcia-arbitration-rules2020.aspx#Article%2014].
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d’arbitrer de bonne foi, et du pouvoir des arbitres de sanctionner cette obligation. Un corollaire de cette obligation d’arbitrer de bonne foi et des pouvoirs de sanction ainsi reconnus aux arbitres est l’interdiction d’introduire à un stade avancé de l’arbitrage un nouveau conseil dans des conditions générant un conflit d’intérêts avec un ou plusieurs des arbitres. Le Règlement 2021 de la CCI prévoit ainsi désormais que dans un tel cas, le tribunal arbitral a le pouvoir d’exclure de la procédure le conseil ainsi tardivement introduit. 16 - La Cour a également, dans ces dernières années, engagé un certain nombre de réformes importantes tendant à améliorer l’efficacité de l’arbitrage. En premier lieu, un système d’arbitrage accéléré a été introduit en 2017, s’appliquant automatiquement et de façon obligatoire, sauf accord des parties en sens contraire, dès lors que les demandes excèdent un certain montant. Ce système prévoit la nomination dans tous les cas d’un arbitre unique ayant des pouvoirs étendus et l’obligation de rendre la sentence dans un délai de six mois, sans extensions, ainsi qu’un barème de coûts réduit de 20%. En second lieu, la Cour a introduit pour toutes ses affaires un délai s’imposant aux arbitres pour soumettre leur projet de sentence à la Cour, courant à compter de la dernière audience ou du dernier échanges d’écritures sur le fond, tout retard injustifié étant sanctionné par une réduction d’honoraires. En troisième lieu, la Cour a introduit dans sa Note aux parties et aux arbitres des dispositions nouvelles portant sur la résolution accélérée par les arbitres de demandes ou défenses manifestement infondées. 17 - Enfin, la CCI a engagé un effort très important pour assurer une plus grande diversité au sein de la Cour et de ses tribunaux arbitraux, ainsi qu’une plus grande décentralisation de ses activités. Ainsi, la Cour compte pour la première fois, depuis le 1er juillet 2018, un nombre égal d’hommes et de femmes. La proportion de femmes nommées dans des tribunaux arbitraux CCI est quant à elle passée de 10,4% en 2015 à 21,1% en 2019, et celle-ci est en constante augmentation. La CCI déploie en outre des efforts accrus pour promouvoir un plus grand nombre de jeunes arbitres, et pour augmenter la diversité géographique de ses nominations. Cet effort est à mettre en relation avec une beaucoup plus grande décentralisation de ses activités. Avec l’installation de nouvelles équipes du Secrétariat de la Cour à Sao Paulo, Singapour et bientôt à Abu Dhabi, la Cour administrera désormais ses arbitrages dans six villes différentes situées sur tous les continents. La Cour a également ouvert en 2016 un nouveau bureau de représentation à Shanghai. Avec 186 membres originaires de 116 pays différents, plus de 1600 nominations ou confirmations chaque année d’arbitres originaires de 89 pays différents et intervenant dans des arbitrages ayant leur siège dans 62 pays et 116 villes situées sur tous les continents, et un Secrétariat établi dans six villes différentes et capable d’administrer des affaires dans plus de vingt langues, la Cour internationale d’arbitrage de la CCI est ainsi, plus que jamais, la seule institution d’arbitrage réellement globale et un rouage essentiel de la régulation par l’arbitrage du commerce international.ê
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Who Represents Whom ? Looking at the Representation of States in Investor-State Arbitration Kabir A.N. DUGGAL 1
Rekha RANGACHARI
Introduction 1 - This article explores the curious case of competing governments in Venezuela and their efforts to use international arbitral tribunals and foreign domestic courts to assert their claims in the international political community as the legitimate government and as the legitimate holder of state-owned Venezuelan assets. The first part of this article addresses generally the law and practice around recognition of the « legitimate » government when there are vying regimes. The second part of this article examines the proceedings against Venezuela, a case study of two governments each claiming to be the legitimate representative of the state 2. The third and final part of this article discusses the far-reaching economic and social consequences when tribunals do not address questions as to the legitimate government, impacting the country in question and global world order, as well as the legitimacy of arbitral institutions themselves.
1. Recognition of Legitimate Government Under International Law : Theory, Practice and Issues 2 - The term ’recognition’ under international law has been commonly applied to recognition of States as entities (i.e., in the aftermath of the respective collapses of the USSR and Yugoslavia). At the same time, ’recognition of governments’ remains largely in the shadows, to the extent some scholars argue that, in the confines of an area already accepted as a State, recognition of the authority exercising governmental functions as an international personality holds relatively meager significance. 3 While there is some literature 4 about the criteria (or the lack thereof) to recognize governments within international law and domestic legal regimes, any consensus has shifted readily with 1. Dr. Kabir A.N. Duggal is a Senior International Arbitration Advisor in Arnold & Porter’s New York office, a Lecturer-in-Law at Columbia Law School, and Managing Editor for the American Review of International Arbitration. Ms. Rekha Rangachari is the Executive Director of the New York International Arbitration Center (NYIAC) and is an adjunct Professor at Seton Hall Law School. Mr. Peter L. Schmidt is an Associate in Arnold & Porter’s New York office. Mr. Surya Vasu is an Associate at IndusLaw. The views expressed herein are personal and do not reflect the views of NYIAC, Arnold & Porter Induslaw, or its clients. The authors reserve the right to change the positions stated herein. 2. In the interests of full disclosure, Arnold & Porter has served as legal counsel to the Guaidó government, though neither Dr. Duggal nor Mr. Schmidt were personally involved in this representation. As stated above, this article reflects the authors’ personal views and not the views of Arnold & Porter or its clients. 3. James Crawford, Creation of States, 15 (2d ed., Oxford Scholarship Online 2010) (« Where an authority in fact exercises governmental functions within an area already accepted as a State, there seems to be nothing for recognition to constitute, at least at the level of international personality. »). 4. Id.
Peter L. SCHMIDT
Surya VASU
the sands of time. The next segment provides foundation to the framework within which questions of competing governments were answered by political organs of the state and should be answered by international dispute resolution mechanisms.
A. - The two theories to answer the question of competing governments and ensuing issues 3 - The question of recognition of competing governments is shrouded in much controversy and debate. 5 An analysis of state practice reflects that such recognition is heavily influenced by political considerations and realities. 6 Therefore, such state practice remains highly erratic and inadequate to consummate customary international law. Due to its representative characteristic 7 and wide-reaching powers, such as ability to recommend codification and development of international law, 8 authors have regarded the United Nations General Assembly (« UNGA ») as the most competent organ to make decisions on recognition. 9 The two most prominent theories have been charted out below in brief, and the subsequent sections expound upon positions taken by various organs in the legal and political arena at both the domestic and international levels on questions of competing governments.
1° Governments exercising effective control 4 - The test of effective control is premised on the capability of a government to fulfill obligations undertaken towards an organization and is one of the two strands of thought to answer questions of representation in cases of competing governments. 10 5. Anne Schuit, Recognition of Governments in International Law and the Recent Conflict in Libya, 14 Intl Comm. L. Rev. 381, 383 (2012) (« [W]hat recognition of governments exactly entails [is] a topic of much debate. In fact, there is no generally accepted definition of ’recognition’ in the first place. There is no treaty defining recognition, and State practice is too inconsistent for customary rules to have evolved. »). 6. Ian Brownlie, Recognition in Theory and Practice, 53 British Y.B. of Int’l L. 197 (1982) ; L. T. Galloway, Recognizing Foreign Governments : The Practice of the United States, 128 (1978). 7. United Nations, Charter of the United Nations, Article 9, 24 October 1945, 1 UNTS XVI. (’UN Charter’) (« 1. The General Assembly shall consist of all members of the United Nations ; 2. Each Member shall have not more than five representatives in the General Assembly. »). 8. UN Charter, Article 13(1). (« The General Assembly shall initiate studies and make recommendations for the purpose of : a. promoting international cooperation in the political field and encouraging the progressive development of international law and its codification. »). 9. Hersch Lauterpacht, Recognition in International Law, 639 (Cambridge University Press, 1947). 10. Aguilar-Amory and Royal Bank of Canada claims (Great Britain v Costa Rica) (1923) 1 RIAA 369, 381 (’Tinoco’) (« [The issue is not whether the new government assumes power or conducts its administration under constitutional limitations established by– the people during the incumbency of the government it has overthrown. The question is, has it really established itself in such a way that all within its influence recognize its control, and that there
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The most lucid picture of the effective control standard is presented in the 1923 Tinoco Arbitration between Costa Rica and Great Britain. In 1917, Federico Tinoco (« Tinoco »), the Secretary of War of Costa Rica, used the army and navy to overthrow the Government of Costa Rica led by President Alfredo Gonzalez. Consequently, Tinoco assumed power, called for an election, and instituted a new constitution of Costa Rica in June 1917. The Tinoco government continued to administer affairs of the Government of Costa Rica peaceably until August 1919. Tinoco retired and left the country thereafter. This departure led to his government falling in September 1919. The Costa Rican populace sought to undo the doings of Tinoco and established a provisional government under Francisco Barquero. The constitution superseded by Tinoco was restored, and elections were held under it. In 1922, the restored government in Costa Rica sought to undo various economic actions of the Tinoco government. By means of legislative actions, all contracts between the executive power and private persons, made with or without approval of the legislature in the period of the Tinoco government, were nullified. Further legislative decrees of the Tinoco government which authorized issue and circulation of Costa Rican currency were annulled. 11 These actions led to the arbitration brought by Great Britain, with the restored government representing Costa Rica in the arbitration proceedings. 12 The claim of Great Britain was on the premise that the Royal Bank of Canada and the Central Costa Rica Petroleum Company were British Corporations. The Royal Bank of Canada was one of the largest creditors of the Costa Rican government and central bank, while the Central Costa Rica Petroleum Company had been granted rights and concessions to explore oil deposits. Both the indebtedness and the oil exploration rights had been
is no opposing force assuming to be a government in its place ? Is it discharging its functions as a government usually does, respected within its own jurisdiction ? »). 11. Tinoco, at 376, 379. (« On the 22nd of August, 1922, the Constitutional Congress of the restored Costa Rican Government passed a law known as Law of Nullities No. 41. It invalidated all contracts between the executive power and private persons, made with or without approval of the legislative power between January 27, 1917, and September 2, 1919, covering the period of the Tinoco government. It also nullified the legislative decree No. 12 of the Tinoco government, dated June 28, 1919, authorizing the issue of the fifteen million colones currency notes. The colon is a Costa Rican gold coin or standard nominally equal to forty-six and one-half cents of an American dollar, but it is uncoined and the exchange value of the paper colon actually in circulation is much less. The Nullities Law also invalidated the legislative decree of the Tinoco government of July 8, 1919, authorizing the circulation of notes of the nomination of 1,000 colones, and annulled all transactions with such colones bills between holders and the state, directly or indirectly, by means of negotiation or contract, if thereby the holders received value as if they were ordinary bills of current issue. »). 12. Tinoco, at page 376 (« In January, 1917, the Government of Costa Rica, under President Alfredo Gonzalez, was overthrown by Frederico Tinoco, the Secretary of War. Gonzalez fled. Tinoco assumed power, called an election, and established a new constitution in June, 1917. His government continued until August, 1919, when Tinoco retired, and left the country. His government fell in September following. After a provisional government under one Barquero, the old constitution was restored and elections held under it. The restored government is a signatory to this treaty of arbitration. ») ; see also id. at page 378 (« In January, 1917, Frederico A. Tinoco was Secretary of War under Alfredo Gonzalez, the then President of Costa Rica. On the ground that Gonzalez was seeking reelection as President in violation of a constitutional limitation, Tinoco used the army and navy to seize the government, assume the provisional headship of the Republic and become Commanderin– Chief of the army. Gonzalez took refuge in the American Legation, thence escaping to the United States. Tinoco constituted a provisional government at once and summoned the people to an election for deputies to a constituent assembly on the first of May, 1917. At the same time he directed an election to take place for the Presidency and himself became a candidate. »).
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annulled by the restored government of Costa Rica that came after Tinoco. 13 The two years of Tinoco’s reign did not enjoy uniform recognition by other nations. The most cogent example is the statement of the United States of America, in which it announced that : « In view of its policy in regard to the assumption of power through illegal methods, clearly enunciated by it on several occasions during the past four years, the Government of the United States desires to set forth in an emphatic and distinct manner its present position in regard to the actual situation in Costa Rica which is that it will not give recognition or support to any government which may be established unless it is clearly proven that it is elected by legal and constitutional means. » 14
Great Britain sought to argue that during that time of Tinoco’s reign there was no other government disputing its sovereignty, and a peaceful administration existed in Costa Rica with the acquiescence of its people. The sole arbitrator, Chief Justice William Howard Taft of the United States, in consonance with the stand taken by Great Britain, stated that : « It is not important, however, what were the causes that enabled Tinoco to carry on his government effectively and peaceably. The question is, must his government be considered a link in the continuity of the Government of Costa Rica ? I must hold that from the evidence [] the Tinoco government was an actual sovereign government. » The effective control exercised by Tinoco’s government, as well as its peaceful (and, indeed, rather jubilant) welcome by citizens of Costa Rica led to Chief Justice Taft looking past the foundational unconstitutionalities of the Tinoco Government. 15 While the competing Costa Rican governments in the Tinoco Arbitration were not exerting control simultaneously, the government that reinstituted the Constitution abrogated by Tinoco sought to challenge the legitimacy of the Tinoco government’s having represented the Costa Rican state. As a result, the Tinoco Arbitration has proven to be a perennial pillar of support for the effective control standard in answering questions of competing governments. This standard of effective control, in balancing claims of competing governments and legitimate representation, finds place in state practice, 16 including the recognition of military 13. Tinoco, at pages 376 and 379 (« The claim of Great Britain is that the Royal Bank of Canada and the Central Costa Rica Petroleum Company are Britain corporations whose shares are owned by British subjects ; that the Banco Internacional of Costa Rica and the Government of Costa Rica are both indebted to the Royal Bank in the sum of 998,000 colones, evidenced by 998 one thousand colones bills held by the Bank ; that the Central Costa Rica Petroleum Company owns, by due assignment, a grant by the Tinoco government in 1918 of the right to explore for an exploit oil deposits in Costa Rica, and that both the indebtedness and the concession have been annulled without right by the Law of Nullities and should be excepted from its operation. She asks an award that she is entitled on behalf of her subjects to have the claim of the bank paid, and the concession recognized and given effect by the Costa Rican Government. The Government of Costa Rica denies its liability for the acts or obligations of the Tinoco government and maintains that the Law of Nullities was a legitimate exercise of its legislative governing power. »). 14. Tinoco, at page 380. 15. Tinoco, page 378-379. (« For a full two years Tinoco and the legislative assembly under him peaceably administered the affairs of the Government of Costa Rica, and there was no disorder of a revolutionary character during that interval. No other government of any kind asserted power in the country. The courts sat, Congress legislated, and the government was duly administered. Its power was fully established and peaceably exercised. The people seemed to have accepted Tinoco’s government with great good will when it came in, and to have welcomed the change. »). 16. Luther v. Sagor (English Court of Appeal, 1921), 3 K.B. 532 (« All that the Courts of this country can consider is whether that decree was made by a state which has been recognized by the Government of this country, and if it was they are bound to recognize acts done under it as binding ; they cannot
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governments in Pakistan 17 and Thailand, 18 as well as in courts and tribunals. 19 As stated by these sources, the effective control test with regards to recognition provides that the government which can establish its effective control over the country should be categorized as legitimate. 20
2° Governments established through legitimate constitutional and democratic means 5 - In contrast to the principle of exercising effective control, the principle of democratic governance determines the legitimacy of governments on the basis of how they came to power. 21 It favors governments which have come to power through mechanisms of popular participation. 22 The presence of ’democratic consent’ is essential for a government to prove its legitimacy under the doctrine. 23 The principle of democratic governance is seen codified in the Universal Declaration of Humans Rights, 24 the International Covenant on Civil and Political Rights, 25 and numerous regio-
consider whether the decree is a proper decree. The letter from the Foreign Office of October 5, 1920, amounts to a recognition by the British Government of the Russian Soviet Republic as a de facto Government in Russia although it may not be a recognition of the republic as a de jure government. It is sufficient to enable the defendants to contract with the Russian Soviet Republic that that government has been recognized as a de facto government, and it is not necessary that it should also have been recognized as a de jure government »). 17. UNGA Official Records, 10 November 2001, UN Doc A/56/PV.45. (« The President : On behalf of the General Assembly, I have the honour to welcome to the United Nations His Excellency General Pervez Musharraf, President and Chief Executive of the Islamic Republic of Pakistan. »). 18. UNGA Official Records, 27 September 2007, UN Doc A/62/PV.9. (« As most representatives probably know, exactly one year has passed since Thailand moved to address the unprecedented political paralysis in our democratic system. I wish to take this opportunity to assure our friends that we are keeping to the timeline for the revitalization of parliamentary democracy, with general elections scheduled for 23 December 2007. »). 19. Republic of Somalia v Woodhouse Drake & Carey [1993] Q.B. 54 (9 March 1992) ; Tinoco, page 378-380. 20. Lauterpacht, supra note 7, at 157. 21. Thomas M Franck, The Emerging Right to Democratic Governance, 86 Am. J. of Int’l L. 46, 47 (1992) (« This newly emerging « law » which requires democracy to validate governance is not merely the law of a particular states that, like the United States under its Constitution, has imposed such a pre-condition on national governance. It is also becoming a requirement of international law, applicable to all and implemented through global standards, with the help of regional and international organizations. »). 22. Jean d’Aspremont, Legitimacy Of Governments in the Age of Democracy, 38 Int’l L. & Pol. 877, 899 (2007). (« In the context of democracy, the legitimacy of origin addresses the procedural elements of democracy that insure that the authority originates in popular sovereignty through free and fair elections, while the legitimacy of exercise bears upon the substantive elements of democracy depicted in the previous section. In the following paragraphs, it is posited that the contemporary practice pertaining to the legitimacy of governments shows that each of these types of legitimacy has had an impact on international relations. Their respective effects underpin the need for this distinction and demonstrate the inadequacy of a monolithic conception of legitimacy. »). 23. Sean Murphy, Democratic Legitimacy and the Recognition of States and Governments, in Democratic Governance and International Law, at 125 (G. H. Fox and B. R. Roth, eds., 2000). 24. Universal Declaration of Human Rights (adopted on 10 December 1948) 217 A (III), Art 21(3). (« The will of the people shall be the basis of the authority of government ; this will shall be expressed in periodic and genuine elections which shall be by universal and equal suffrage and shall be held by secret vote or by equivalent free voting procedures. »). 25. International Covenant on Civil and Political Rights (adopted on 16 December 1966, entered into force 23 March 1976) 999 UNTS 171, Art 25. (« Every citizen shall have the right and the opportunity, without any of the distinctions mentioned in article 2 and without unreasonable restrictions : (a) To take part in the conduct of public affairs, directly or through freely chosen representatives ; (b) To vote and to be elected at genuine periodic elections which shall be by universal and equal suffrage and shall be held by secret ballot, guaranteeing the free expression of the will of the elector. »).
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nal agreements. 26 Emphasis on recognition only of democratically elected governments is seen time and time again, including in cases of competing claims of recognition in Haiti, 27 Liberia, 28 Honduras, 29 and, most recently, Mali, 30 depicting state practice at least equivalently robust as the effective control standard (and perhaps even more so). From a theoretical perspective, while tests and standards can be spelled out to ascertain the legitimacy of a government, an array of domestic and international political concerns arise in practicality. These range from competition among great powers to the level of interconnection among respective societies. 31 States have often espoused a policy that dispenses with formalized ’recognition of governments. 32 Nevertheless, we see the effective control and democratic governance standard in play across state actions and interactions, spanning from implicit shifts in commercial activities and in consular and political relations, 33 to explicit statements according recognition to foreign governments. 34 The multitude of sources from which recogni26. Organization of African Unity, Lomé Declaration of July 2000 on the framework for an OAU response to unconstitutional changes of government, Doc AHG/Decl.5 (XXXVI) (July 12, 2000). (« We express our grave concern about the resurgence of coup d’etat in Africa. We recognize that these developments are a threat to peace and security of the Continent and they constitute a very disturbing trend and serious setback to the ongoing process of democratization in the Continent. »). 27. UN General Assembly, ’The situation of democracy and human rights in Haiti’, 11 October 1991, UNGA/RES/46/7 (« Strongly condemns the attempted illegal replacement of constitutional president of Haiti, the use of violence and military coercion and the violation of human rights in the country. »). 28. UN Security Council, 19 November 1992, S/RES/788 (« Noting that the deterioration of situation hinders the creation of conditions conducive to the holding of free and fair elections in accordance with the Yamoussoukro IV Accord. »). 29. UN General Assembly, ’Situation in Honduras : democracy breakdown’, 30 June 2009, A/RES/63/301 (« Condemns the coup d’état in the Republic of Honduras that has interrupted the democratic and constitutional order and the legitimate exercise of power in Honduras, resulting in the removal of the democratically elected President of that country, Mr. José Manuel Zelaya Rosales. »). 30. UNSC, ’Security Council Press Statement on Mali Crisis’, 22 March 2012, SC/10590-AFR/2359 (« The members of the Security Council strongly condemn the forcible seizure of power from the democratically-elected Government of Mali by some elements of the Malian armed forces. They call on these elements to ensure the safety and security of President Amadou Toumani Touré and return to their barracks. They demand the release of all detained Malian officials. The members of the Security Council call for the immediate restoration of constitutional rule and the democratically-elected Government. They also call for the preservation of the electoral process as previously scheduled. »). 31. MJ Peterson, Recognition of Governments : Legal Doctrines And State Practice, 1815-1995 (Palgrave Macmillan 1997) (« Three aspects of the international system have the greatest impact on the institution of recognition of governments : the competition among the great powers, the level of interstate ideological conflict, and the extent of transnational interconnections among societies. »). 32. Australian Foreign Ministry announcement, 19 January 1988 in Australian YBIL, 11 : 205 ; British Government Statement, 28 April 1980 in British YBIL, 51 : 367 (1980) ; Dutch government statement of 4 July 1990 in Netherlands YBIL, 22 : 237-8 (1991) ; US State Department memorandum, ’Diplomatic Recognition’, Department of State Bulletin, 77 : 462-3 (10 Oct.1977). 33. The British government in 1873 had a consul resident in Fiji even while acknowledging the government there only as a de facto ruler. Debate has raged over whether leaving him in place implied any greater recognition of the Fiji government, especially due to the fact that he had been instructed to deliver some diplomatic messages to the government as well as continuing his consular duties. 34. Stefan Talmon, Recognition of Governments in International Law : With Particular Reference To Governments In Exile (Oxford University Press 1998), page 77 (« On September 1918 the United States announced its recognition of the Czechoslovak National Council in Paris ’as a de facto belligerent government clothed with proper authority to direct the military and political affairs of the Czecho-Slovaks’ and declared that it was ’prepared to enter formally into relations with the de facto government thus recognized for the purpose of prosecuting the war against the common enemy, the Empires of Germany and Austria-Hungary’.161 Similarly, in Article II of the Accord
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tion could arise provides us a glimpse into the sliding scale of unquantifiable political factors in the recognition of one particular government from amongst competing factions. The three succeeding sub-sections elucidate the practice of states, multilateral organizations and judicial bodies with regard to competing government claims.
B. - Actions of states and the dilemma of competing governments 6 - The question of a formal act of recognition does not normally arise unless there has been a change in the head of state or two opposing regimes are each claiming to be the government of a state. 35 The most succinct form of this view may be seen in the example of Greece, where Greek colonels undertook a convoluted transition process beginning in the 1960s. First, the prime minister and cabinet were ousted, but the king was left in place in April 1967 ; subsequently, however, a regent was named after the king fled that December. This series of events was regarded as not requiring recognition by the British, Canadian, French, and U.S. governments. 36 Nevertheless, when the Greek colonels abolished the monarchy in 1973, unanimous opinion emerged that recognition was necessary at that point, and such recognition was extended promptly due to development of extensive relationships with the colonels. 37 Similar avoidance of recognition issues has been seen in the 1957 coup in Thailand 38 and U Nu’s forced resignation as premier of Burma in 1958. 39 The effective control and democratic governance standards are rather tricky to apply in grey areas of competing government claims. Applying a strict, formalist view to the often hazy lines between ’legal’ and ’non-legal’ changes of government may require a state to treat another government’s or head of state’s efforts to remain in power longer than their allotted term ; or to increase their powers, as sufficient to be deemed ’non-legal’, with the concurrent risk of potentially interfering in the domestic actions of a foreign state. 40 Turning one’s attention to domestic courts, there is an overarching background principle that governments and courts have often held recognition of foreign governments to be a function vested in the executive department of the state, and courts thereby have accorded strong deference to the executive’s decibetween the French Government and the Czecho-Slovak National Council concerning the status of the Czecho-Slovak nation in France, signed at Paris on 28 September 1918, France recognized the Czecho-Slovak National Council ’as de facto government with its seat in France. »). 35. Franz von Holtzendorff and C Habel, Handbuch Des Vo?lkerrechts Volume 2 (1885), page 86. 36. Elihu Lauterpacht. British Practice in International Law, 1962-1967. London : British Institute of International and Comparative Law, 1964-71. 37. A.C. Bundu, Recognition of Revolutionary Authorities : Law and Practice of States, International and Comparative Law Quarterly, at 18, 27 (1978) (« [R]ecognition of revolutionary governments [is also a] political act in the sense that each State enjoys a large measure of freedom in deciding after the legal conditions have been satisfied, whether in a given case it is in its national interest to accord recognition to the revolutionary authority in question... Similar to British action relative to the Greek insurrection, the importance of the formation of a legitimate government affected British decisions ’supporting popular and liberal principles abroad.’ »). 38. Jose Maria Ruda, The Law of Friendly Relations between States : Recognition of States and Governments, in M. Bedjaoui, International Law : Achievements and Prospects, at 449, 457 (Paris and Dordrecht : Martinus Nijhoff, 1991) (in discussing the coup in Thailand, stating that « recognition of the governments is becoming obsolete and that duty to treat any effective regime ruling the whole state was emerging »). 39. Richard Butwell U Nu’s Second Comeback Try, Asian Survey, Vol. 9, No. 11, at 868, 875 (Nov. 1969) (« Governments encouraging Nu were threatened with gross Burmese displeasure, and the regime went to great lengths to defend its legitimacy in terms of widespread international recognition. »). 40. Berber, Friedrich J. (German). Lehrbuch des Volkerrechts. Vol. 1. Munich : Beck, 1960, page 234.
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sions. It is pertinent to note the strong divergences among national legal and court systems in this area. A succinct example would be the common acceptance across all legal systems that the domestic court system should not contradict the executive policy in foreign affairs (furthered by the courts securing executive guidance and statement when faced with questions of recognizing a foreign authority as the legitimate government). 41 The underlying foundation for deference to the executive on questions of competing governments is drastically different in the UK and the United States, however. In the U.S., deference to executive policy rests on the constitutional doctrine of separation of powers, 42 whereas in the UK and Commonwealth states it rests on the judge-made doctrine that courts and executive should « speak with one voice » 43 on recognition matters.
C. - The United Nations and responses to competing government representatives. 7 - Recognition by a forum is different from that by its member states, 44 as it is a distinct legal personality, apart from its members. 45 The representative character of the United Nations, in particular, places it on a special pedestal for scrutinizing its actions when it has been faced with the challenges posed by competing government representatives. 46 Indeed, the positions adopted by multilateral organizations have played an integral part in the ultimate determination of the legitimate government in sticky situations. After the 2011 elections, Cote d’Ivoire faced just such a struggle when there were two competing authorities to form the government. While international courts remained silent on the question of legitimacy, the UN General Assembly and UN Security Council adopted positions supporting one faction over the other. 47 Similarly, in Libya in 2011, the General Assembly decided to provide the National Transitional Council (« NTC ») with its seat in the UN over the Gaddaffi regime. 48 41. Duff Development Corporation v. The Sultan of Kelantan (1924), D.C. 797, 802 (« The status of foreign States is decided by the Courts of law, but hitherto the Courts have always taken judicial notice of statements of the Secretaries of State as expressing His Majesty’s view). 42. See, e.g., Zivotofsky ex rel. Zivotofsky v. Kerry, 576 U.S. 1, 28 (2014) (U.S. Supreme Court holding that « history confirms... that the power to recognize or decline to recognize a foreign state and its territorial bounds resides in the President alone »). 43. Re Chateau-Gai Wines Ltd and the Attorney General for Canada (1970) ; Resat Caglar and Others v. Anthony Lawrence Billingham (H.M. Inspector of Taxes), Special Commissioners of Inland Revenue, [1996] STC (SCD) 150, para. 119 (« The reason underlying this rule is that in the field of foreign relations the Crown in its executive and judicial functions ought to speak with one voice, and that the recognition of a foreign state or government is a matter of foreign policy on which the executive is in a markedly superior position to form a judgment. »). 44. UNSC, ’Letter Dated 8 March 1950 from the Secretary-General to the President of The Security Council Transmitting a Memorandum on the Legal Aspects of the Problem of Representation in the United Nations’ (1950) UN Doc S/1466 (Letter on Representation). 45. Stefan Talmon, Recognition of Governments in International Law : With Particular Reference to Governments in Exile, 172 (OUP 2001). 46. Infra page 2. 47. Yejoon Rim, Two Goverments and One Legitimacy : International Responses to the Post-Election Crisis in Côte d’Ivoire, 25 Leiden J. of Intl. L. 686 (2012) (« the position of the Security Council was generally interpreted as implicit recognition of Ouattara and strengthened his claim to head the internationally legitimate government. Meanwhile, more practical and also substantive influential approaches were taken at the UN General Assembly. On 22 December, the Credentials Committee reassembled in concern over events in Cote d’Ivoire, and amended its previous report that accredited delegations authorized by Gbagbo »). 48. UN approves Libya seat for NTC, Al Jazeera (Sept. 17, 2011), https:// www.aljazeera.com/news/2011/9/17/un-approves-libya-seat-for-ntc (« The United Nations has given strong backing to Libya’s former rebels, handing their National Transitional Council (NTC) the country’s UN seat and then lifting and modifying some sanctions imposed on Muammar Gaddafi’s
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Dating further back, in the 1970s Cambodia was represented in the UN by the Pol Pot government, responsible for genocide between 1975-1979. The Vietnamese invasion of Cambodia led to the installation of a new government headed by Heng Samrin. Both the Pol Pot and Heng Samrin governments claimed to be the only legitimate representative of Cambodia in the UN. The credentials of the Pol Pot government continued to be recognized, despite firm opposition by countries that believed recognition of the Pol Pot government amounted to acquiescence to genocide. 49 Other UN Members took the view that acceptance of Heng Samrin’s credentials would amount to recognition of the Vietnamese invasion. 50 In 1979, when two delegations presented credentials to represent Cambodia at the 52nd Session, the Credentials Committee decided that « pursuant to the applicable procedures of the Assembly, no one would occupy the seat of the country at the 52nd Session. » Thus, in recent times, the question of legitimacy of two competing governments is being decided by political considerations with scarce application of any judicial tests. Mindful of the reticence exhibited by domestic executive policy and judicial systems towards carte blanche acts/statements of recognition, the multilateral legal community remains in a quandary when it comes to deciding between competing governments. At the same time, the broader question of acknowledgement of an entity as the recognized government reverberates through the international system at various legal, political and economic levels. The consequences of recognition of a particular competing government in a state are wide ranging and span from legal accountability for belligerent acts to entitlement to monetary cooperation and liability for repayment with institutions such as the IMF and the World Bank. In sum, it is an enormously consequential decision for a multilateral organization yet also one that is made with reference to only the faintest of legal guardrails.
D. - Claims of representation from competing governments before international dispute settlement bodies : Assessing the past and anticipating the future 8 - The question of deciding the legitimate representative of a state amongst two competing governments poses a difficult question before courts and tribunals. Since the act of recognition has both political and legal causes and consequences, an assessment of mandates of dispute settlement bodies is undertaken. The International Court of Justice (« ICJ ») is believed to have a broader mandate than ad hoc tribunals in determining these sensitive questions. 51
1° The ICJ’s brush with competing government representative claims 9 - In 2009, the ICJ was (almost) confronted with this issue when it received an « Application instituting proceedings by the Republic of Honduras against the Federative Republic of Brazil ». 52 In October of that year, the ICJ received an application in the name of the Government of Honduras (represented regime. The General Assembly’s vote of 114 countries to 17, with 15 abstentions to accept the credentials of the National Transitional Council, gave its representative the right to speak at the United Nations. »). 49. Henry Schermers & Niels Blokker, International Institutional Law : Unity within Diversity, 205 (5th Edition, Brill, Sept. 5, 2011). 50. Yearbook of the United Nations, 1979, Volume 33, page 272-278. 51. Ellen Yang Gao, The International Court of Justice and Political Questions : Defending the Rule of Law or a Continuation (2017) (« In other words, although the World Court does function as a technical device for the settlement of legal disputes between states, its role is much bigger and is in need of a broader view of its judicial responsibilities. »). 52. International Court of Justice, Press Release, Filing in the Registry of the Court of an « Application instituting proceedings by the Republic of Honduras
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by its Ambassador in the Netherlands allegedly acting as Agent). Subsequently, another letter of the same date was received by the ICJ in the name of the Minister for Foreign Affairs of the Republic of Honduras, which additionally stated that the Agents who had filed the application had been relinquished of their duties. Similar to the representation question raised in proceedings against Venezuela (discussed in the subsequent sections), the ICJ was faced with « contacts coming from competing governmental authorities both purporting to be acting on behalf of Honduras in a situation of political uncertainty. » 53 In the end, the predicament of deciding between competing representatives of the same country was stalled by the ICJ until the situation in Honduras was clarified. The matter of competing representatives of Honduras was settled without controversy when the Minister for Foreign Affairs of the Republic of Honduras withdrew its application from the registry and withdrew the proceedings, and the ICJ accordingly passed an order discontinuing the proceedings against Brazil. If the ICJ had been inclined to deal head-on with such a question, however, it would appear to be empowered to do so provided its broad mandate. Article 30 of the ICJ statute provides in it’s relevant part that the court « shall frame rules for carrying out its functions. » 54 Therefore, the court is expressly authorized to create certain rules as required for successfully adjudicating the matters before, which would seem to include such questions of representation. Further, the ICJ clarified its rule-making power in the 1986 Nicaragua Case, where it held that the court has the liberty to adopt any principles for the administration of justice. 55 And finally, in the Tehran Hostages Case, the ICJ held that no provision of the ICJ Statute or Rules of the Court restricts the court from taking cognizance of disputes which include political aspects. 56 Therefore the ICJ may make an assessment of the legal aspects of the dispute by placing reliance on actions and statements of the United Nations and exercise a much broader mandate than is available to the other dispute settlement mechanisms discussed below. Had the ICJ made use of this mandate, important lessons and guidance could have emerged for the Venezuela issue before the ICSID.
2° Recognition in World Trade Organization dispute settlement 10 - The World Trade Organization (« WTO ») has never been confronted with legal issue of recognition of competing governments. However, the powers of WTO tribunals and panels are quite similar to those of international courts and tribunals, which against the Federative Republic of Brazil, » Oct. 29, 2009 (« In this document, it is stated that the « dispute between the Republic of Honduras and the Federative Republic of Brazil relates to legal questions concerning diplomatic relations and associated with the principle of non-intervention in matters which are essentially within the domestic jurisdiction of any State, a principle incorporated in the Charter of the United Nations ».). 53. U.N. General Assembly, 65th Session, Speech by H.E. Judge Hishashi Owada, President of the International Court of Justice, 28 October 2010. 54. Article 30, ICJ Statute (« (1) The Court shall frame rules for carrying out its functions. In particular, it shall lay down rules of procedure. (2). The Rules of the Court may provide for assessors to sit with the Court or with any of its chambers, without the right to vote. »). 55. Military and Paramilitary Activities in and against Nicaragua (Nicar. v. U.S), Judgment, 1986, I.C.J. Rep. 14 (June 27), [para ] 38 (« That Court found that it was at liberty to adopt « the principle which it considers best calculated to ensure the administration of justice, most suited to procedure before an international tribunal and most in conformity with the fundamental principles of international law »). 56. United States Diplomatic and Consular Staff in Tehran (US v. Iran), Judgment, 1980 I.C.J. Rep. 3 (May 24), [para ] 38 (« no provision of the Statute or Rules contemplates that the Court should decline to take cognizance of one aspect of a dispute merely because that dispute has other aspects, however important »).
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allow them to entertain such questions. 57 Article 11 of the Understanding on Rules and Procedures Governing the Settlement of Disputes (« DSU ») provides that the function of the WTO panels is to assist the Dispute Settlement Body (« DSB ») in making recommendations or giving rulings. 58 In pursuance of its function, the panels are governed by Article 7 of the DSU, which provides the terms of reference for such panels. Article 7 mandates that the panels shall assist the DSB in light of the relevant provisions of agreements cited by the parties to the dispute. 59 Apart from the agreements governing the parties to the dispute, WTO panels have certain inherent powers. The WTO Appellate Body recognized these inherent powers in the Mexico Tax Measures on Soft Drinks and Other Beverages case. 60 The Appellate Body held that the WTO panels have the inherent power to determine the scope of its jurisdiction and have discretion to deal with situations which are not explicitly regulated. 61 Thus, resolving questions of competing governments would seem to be within the scope of the DSB and Appellate Body’s inherent powers. Given the stakes, though, the likeliest roadmap taken would be treating the question of competing representation claims as a procedural question, which requires resolution only for the limited purpose of resolving the merits of the claim.
3° ISDS mechanisms and questions of competing governments and representatives. 11 - The issue of who would be the legitimate representative of a state does not find explicit mention in the ICSID framework, nor in any other arbitral rules. As a result, as in the WTO, questions of the legitimacy of a state’s representation in ISDS arbitral proceedings would also be dealt with by the inherent powers of the tribunal. The arbitral tribunal is not expressly mandated by the rules to investigate the legitimacy of representation, but may draw on its inherent powers provided under the convention and the rules. The tribunal has no duty to ascertain the legitimacy and veracity of the counsel’s power of attorney as mentioned under Article 48 57. Andrew Mitchell & David Heaton, The Inherent Jurisdiction of WTO Tribunals : The Select Application of Public International Law Required by the Judicial Function, 31(3) Michigan J. of Intl. L. 559, 566 (2010) (« In determining claims, WTO Tribunals act independently, much like international courts. They fix the boundaries of the dispute before them, marshal the evidence, determine the appropriate law, apply that law to the facts, and reach a decision. Thus, WTO Tribunals are judicial tribunals that follow a judicial process »). 58. Article 11, DSU (« The function of panels is to assist the DSB in discharging its responsibilities under this Understanding and the covered agreements. Accordingly, a panel should make an objective assessment of the matter before it, including an objective assessment of the facts of the case and the applicability of and conformity with the relevant covered agreements, and make such other findings as will assist the DSB in making the recommendations or in giving the rulings provided for in the covered agreements. »). 59. Article 7, DSU (« (1) Panels shall have the following terms of reference unless the parties to the dispute agree otherwise within 20 days from the establishment of the panel : To examine, in the light of the relevant provisions in (name of the covered agreement(s) cited by the parties to the dispute), the matter referred to the DSB by (name of party) in document... and to make such findings as will assist the DSB in making the recommendations or in giving the rulings provided for in that/those agreement(s). »). 60. Appellate Body Report, Mexico Tax Measures on Soft Drinks and Other Beverages, WT/DS308/AB/R (Mar. 6, 2006). 61. Ibid, at [para ] 45 (« WTO panels have certain powers that are inherent in their adjudicative function. Notably, panels have the right to determine whether they have jurisdiction in a given case, as well as to determine the scope of their jurisdiction. In this regard, the Appellate Body has previously stated that « it is a widely accepted rule that an international tribunal is entitled to consider the issue of its own jurisdiction on its own initiative, and to satisfy itself that it has jurisdiction in any case that comes before it. » Further, the Appellate Body has also explained that panels have « a margin of discretion to deal, always in accordance with due process, with specific situations that may arise in a particular case and that are not explicitly regulated »).
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of the ICSID convention. 62 In addition, Article 47(1)(d) of the ICSID rules mandates to the tribunal that an award must contain « the names of the agents, counsel and advocates of the parties » ; however, it fails to make any mention of the duty of the tribunal to check the credentials of such agents, counsels, and advocates. 63 Thus, such questions of legitimacy of state representation are to be answered with the inherent powers of the tribunal to resolve residual unaddressed matters. The inherent powers of the ICSID tribunal have been employed by both parties and the tribunal on numerous instances. Article 44 of the ICSID Convention expressly provides that, if a procedural question is not dealt with by the rules, the tribunal has autonomy to decide the question. 64 Furthermore, Article 19 of the ICSID Arbitration rules provides that the tribunal has the power to make orders it deems necessary for the conduct of the proceedings. 65 A conjoint reading of the articles reflect that the tribunal possesses inherent powers to adjudicate the proceedings in a reasonable manner. Moreover, the ICSID tribunal in the Southern Pacific Properties (Middle East) Limited v Egypt (SPP) case 66 delineated its inherent powers and held that the tribunal has inherent powers to regulate proceedings to uphold justice and that it derives such power from Article 44 of the ICSID Convention. 67 As seen below in the Venezuelan case, ICSID bodies have relied on similar articles and reasoning to treat the question of competing governments as a procedural question and have relied on their inherent power to resolve them to the limited extent of the dispute. Similar to the ICSID model, the questions of state representation would likely be dealt with in accordance with the inherent powers of the tribunal under the UNCITRAL Rules. Article 17 of the UNCITRAL Rules states that, subject to the UNCITRAL rules, the tribunal can conduct the proceedings in a manner it considers appropriate. 68 Additionally, Article 17(1) attaches a caveat to the inherent power under which the tribunal must give a reasonable opportunity to both parties to present their case. Thus, quite akin to the representation dilemma in proceedings against Venezuela, it is highly likely that UNCITRAL Tribunals would 62. Article 48, ICSID Convention. (« (1) The Tribunal shall decide questions by a majority of the votes of all its members. (2) The award of the Tribunal shall be in writing and shall be signed by the members of the Tribunal who voted for it. (3) The award shall deal with every question submitted to the Tribunal, and shall state the reasons upon which it is based. (4) Any member of the Tribunal may attach his individual opinion to the award, whether he dissents from the majority or not, or a statement of his dissent. (5) The Centre shall not publish the award without the consent of the parties. »). 63. Rule 47(1)(d), ICSID Arbitration Rules (« (1) The award shall be in writing and shall contain :...(d) the names of the agents, counsel and advocates of the parties.... »). 64. Article 44, ICSID Convention (« Any arbitration proceeding shall be conducted in accordance with the provisions of this Section and, except as the parties otherwise agree, in accordance with the Arbitration Rules in effect on the date on which the parties consented to arbitration. If any question of procedure arises which is not covered by this Section or the Arbitration Rules or any rules agreed by the parties, the Tribunal shall decide the question ».). 65. Article 19, ICSID Arbitration Rules (« The Tribunal shall make the orders required for the conduct of the proceeding. »). 66. Southern Pacific Properties (Middle East) Limited v Egypt, ICSID Case no ARB/84/3. 67. Id. at 87 (« [E]very court has inherent powers to stay proceedings when justice so requires, and this Tribunal’s discretion to do so is established by Article 44 of the Convention »). 68. Article 17(1), UNCITRAL Arbitration Rules, 2010. (« Subject to these Rules, the arbitral tribunal may conduct the arbitration in such manner as it considers appropriate, provided that the parties are treated with equality and that at an appropriate stage of the proceedings each party is given a reasonable opportunity of presenting its case. The arbitral tribunal, in exercising its discretion, shall conduct the proceedings so as to avoid unnecessary delay and expense and to provide a fair and efficient process for resolving the parties’ dispute. »).
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also allow for both competing factions to represent the party, in order to cushion the right of the parties to present their case. Article 17 of the Rules only mandates the tribunal to provide each party with a reasonable opportunity to present its case. However, the rules are silent on the duty of the tribunal to delve into the details of the counsel’s power of representation. Thus, if the need so rises, the question of legitimacy of state representation is to be treated as a procedural matter adjudicated upon by drawing on inherent powers of the tribunal.
2. The Curious Case of Representation of Venezuela in International Proceedings 69 12 - This section of the article seeks to provide an exhaustive analysis of economic downturn of the Bolivarian Republic of Venezuela (« Venezuela ») that resulted in a multitude of ISDS proceedings, with a wide range of them resulting in unfavorable awards against Venezuela. The subsequent portions provide a brief overview of litigations by and against Venezuelan stateowned corporations for assertion of control by the two competing governments in Venezuela. This background aims to allow the reader to appreciate the ramifications of the competing claims of authority in Venezuela utilizing proceedings to enforce the below-mentioned ISDS awards as one of the battlegrounds to cement their status as the ’legitimate government’ of Venezuela 70.
A. - The two governments in Venezuela (the Guaidó government v. the Maduro government) 13 - Even in the late 2000s, the South American country was a stable democracy with one of fastest-growing economies in the region, and also home to the world’s largest reserves of crude oil. 71 Since the death of former President Hugo Chávez in 2013, however, its fortunes took a turn for the worse. 72 His death triggered a constitutional requirement that a presidential election be called within 30 days 73 and resulted in the narrow – and contro69. We display utmost respect towards the citizens of Venezuela who have had to go through tumultuous times brought about by these political and economic circumstances. 70. As noted above, Arnold & Porter has served as legal counsel to the Guaidó government and this article reflects the authors’ personal views and not the views of Arnold & Porter or its clients. 71. Patrick J. Kiger, How Venezuela Fell From the Richest Country in South America into Crisis, History (May 9, 2019), https://www.history.com/news/ venezuela-chavez-maduro-crisis. (« It wasn’t that long ago that Venezuela, which possesses the world’s largest crude oil reserves, was a relatively stable democracy with one of Latin America’s fastest-rising economies. »). 72. This is not to say that Chávez’s successor Maduro is solely responsible for Venezuela’s woes – Chavez too deserves a fair amount of blame for the state of affairs in the country. See, Post-Chavez, Venezuela Enters a Downward Spiral, Knowledge @ Wharton (Apr. 4, 2014), https:// knowledge.wharton.upenn.edu/article/post-chavez-venezuela-entersdownward-spiral/. (« ’Venezuela is much worse off now than it was a year ago’ says Jaime Sabal, professor of financial management at ESADE in Barcelona.... Chavez’s hand-picked successor, Nicolás Maduro, who assumed power after winning a narrow victory in elections last April, has inherited some imbalances that have grown ’like a snowball,’ says Martinez Lázaro, noting that the situation in Venezuela – with or without Chavez – ’would have deteriorated inexorably.’ »). 73. Article 233, Constitution of the Bolivarian Republic of Venezuela, 1999. (« When the President of the Republic becomes permanently unavailable to serve during the first four years of this constitutional term of office, a new election by universal suffrage and direct ballot shall be held within 30 consecutive days. ») ; see also Hugo Chavez : Venezuela says election to be called within 30 days, NDTV (Mar. 6, 2013), https://www.ndtv.com/world-news/ hugo-chavez-venezuela-says-election-to-be-called-within-30-days515299 (« Venezuelan Vice President Nicolás Maduro will take over as interim president and an election will be called within 30 days, the country’s foreign minister said on Tuesday, after Hugo Chavez’s death. »).
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versial – election of Nicolás Maduro, Chavez’s vice president, as President of Venezuela. 74 Over the course of Maduro’s first term, the Venezuelan economy, which was heavily dependent on oil revenues, was crippled by the 2010s oil glut that resulted in a massive crash in crude oil prices between 2014-2016. 75 In 2019, an estimated 3.3 million Venezuelans (roughly a tenth of the population) fled the country in order to escape hyperinflation, massive food and medicine shortages, and increased crime rates. 76 Immediately after Maduro was sworn in for his second term in January 2019 following a 2018 re-election marred by alleged irregularities, the National Assembly – in which the opposition party had a majority – declared its President, Juan Guaidó, as the acting President of Venezuela by invoking Article 233 of the Constitution of the Bolivarian Republic of Venezuela, 1999. 77 The opposition argued that it had the power to invoke Article 233 of the Constitution of Venezuela which stated that « when the president-elect is absolutely absent before taking office, a new election shall take place [...] And while the president is elected and takes office, the interim president shall be the president of the National Assembly. » 78 It was argued by the opposition Democratic Party (the backer of the Guaidó government) that, as Maduro had ’usurped’ the Presidential office, the position had in effect been left empty. 79 Since then, Venezuela has been divided into « two opposite sets of institutions with competing claims to power, » and the world has been divided in their support of the two camps. 80 In January 2019, the National Assembly of Venezuela declared Maduro’s swearing in as president illegitimate and appoin74. Jonathan Watts, Nicolás Maduro narrowly wins Venezuelan presidential election, The Guardian (Apr. 15, 2013), https://www.theguardian.com/world/ 2013/apr/15/nicolas-maduro-wins-venezuelan-election. (« Nicolás Maduro is set to be proclaimed president of Venezuela, despite opposition demands for a recount after the closest vote in the country’s recent history. Sunday’s ballot gave Maduro – the political heir of Hugo Chávez – a victory margin of 1.6 percentage points, according to the National Electoral Council. »). 75. Francisco Monaldi, The impact of the decline in oil prices on the economics, politics and oil industry of Venezuela, Colombia Centre on Global Energy Policy (Sept. 2015), https://energypolicy.columbia.edu/sites/default/files/ Impact%20of%20the%20Decline%20in%20Oil%20Prices%20on%20 Venezuela_September%202015.pdf (« While the collapse in oil prices since mid-2014 has stressed the economies of the majority of oil exporting nations, Venezuela stands out as one of the hardest hit among its peers. After a decade of some of the most favorable economic conditions in the nation’s history thanks to a relatively prolonged period of strong oil prices and low international interest rates, the country was already in difficult economic straits before the oil price drop over the past year. »). 76. Rocio Cara Labrador, The Venezuelan Exodus, Council on Foreign Relations (July 8, 2019), https://www.cfr.org/in-brief/venezuelan-exodus (« Wracked by hyperinflation, severe food and medicine shortages, soaring crime rates, and an increasingly authoritarian executive, more than 3.3 million Venezuelans-approximately 10 percent of the population-have fled the country in the past four years. »). 77. Article 233, Constitution of the Bolivarian Republic of Venezuela, 1999. (« When an elected President becomes permanently unavailable to serve prior to his inauguration, a new election by universal suffrage and direct ballot shall be held within 30 consecutive days. Pending election and inauguration of the new President, the President of the National Assembly shall take charge of the Presidency of the Republic. »). 78. Id. 79. Camille Bello, Is it legal for Juan Guaidó to be proclaimed Venezuela’s interim president ?, EuroNews (Jan. 27, 2019), https://www.euronews.com/ 2019/01/27/is-it-legal-for-juan-Guaidó-to-be-proclaimed-venezuela-sinterim-president. (« Antonio Ecarri, a constitutional lawyer and vice president of the opposition party Democratic Action (Accion Democratica) said that article 233 could be used because the absence is due to the ’usurpation of the presidential office, which has left the position empty.’ »). 80. Sebastián Mantilla Blanco, Rival Governments in Venezuela : Democracy and the Question of Recognition, Verfassungsblog : On Matters Constitutional (Jan. 28, 2019), https://verfassungsblog.de/rival-governments-invenezuela-democracy-and-the-question-of-recognition/ (« Venezuela is divided into two opposite sets of institutions with competing claims to power. »).
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ted Juan Guaidó as the interim President in accordance with the Venezuelan constitution. On the same day, U.S. President Donald Trump recognized the Guaidó government, and sided with the National Assembly of Venezuela to declare the Maduro regime illegitimate. 81 Mr. Maduro claimed to be the President of Venezuela on the grounds that he won the 2018 presidential election. Mr. Guaidó, for his part, claimed to be the interim President of Venezuela because the 2018 presidential elections were irregular, because in reality there was no President and because, according to the Venezuelan Constitution, the President of the National Assembly, Mr. Guaidó, was the interim President of Venezuela, pending new presidential elections. Guaidó would be recognized as the legitimate President of Venezuela by a host of States, including the United States. 82 The Organization of American States (« OAS »), which has consistently taken an anti-Maduro position resolved to not recognize the legitimacy of Maduro’s new term on January 10, 2019, 83 and
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its Secretary-General Luis Almagro would later welcome Guaidó’s claim to the Presidency. 84 The member-states of the Lima Group (governments of Bolivia, Brazil, Canada, Chile, Colombia, Costa Rica, Guatemala, Honduras, Panama, Paraguay, Peru and Venezuela) have also expressly supported Guaidó, by alluding to the democratic governance standard, even reiterating their support in April 2020. 85 On the other hand, Maduro’s administration would be recognized by its long-time ally Cuba, 86 and other Latin American countries such as Bolivia 87 and Nicaragua 88 as well. Maduro was also supported by Russia 89 and China, 90 who denounced what they considered to be the involvement (by the U.S.) into the internal affairs of a sovereign state. It would appear correct to state that the faction of supporters for Maduro rely on and allude to the standard of effective control. The split of control between Maduro and Guaidó government as of 2020 is depicted in the table below :
Competing government in Venezuela and organs of the State, as of 2020 Executive
Aligned with Nicolás Maduro
Judiciary
Aligned with Nicolás Maduro
National Electoral Council
Aligned with Nicolás Maduro
81. Rodolfo Enrique Jiménez v. Luisa Palacios, C.A. No. 2019-0490-KSJM, 02 August, 2019, page 1. (’Rodolfo v. Luisa’). 82. Press Statement by Michael R. Pompeo, Secretary of State, Recognition of Juan Guaidó as Venezuela’s Interim President, U.S. Embassy in Haiti (Jan. 23, 2019), https://ht.usembassy.gov/statement-by-michael-r-pompeorecognition-of-juan-Guaidó-as-venezuelas-interim-president/. (« The United States recognizes Juan Guaidó as the new interim President of Venezuela, and strongly supports his courageous decision to assume that role pursuant to Article 233 of Venezuela’s constitution and supported by the National Assembly, in restoring democracy to Venezuela. »). 83. E-001/19 – OAS Permanent Council Agrees « to not recognize the legitimacy of Nicolás Maduro’s new term », Organization of American States (Jan. 10, 2019), https://www.oas.org/en/media_center/press_release.asp ?sCodigo=E001/19. (« The Permanent Council of the Organization of American States *** RESOLVES to not recognize the legitimacy of Nicolás Maduro’s new term as of the 10th of January of 2019. »). 84. Mantilla Blanco, supra, note 77. (« The Secretary-General of the Organization of American States [OAS], Luis Almagro, welcomed Guaidó’s Proclamation as a fundamental step in bringing Venezuela back to the path of Democracy. »). 85. Lima Group statement, Government of Canada (Apr. 2, 2020), https://www.international.gc.ca/world-monde/international_relationsrelations_internationales/latin_america-amerique_latine/2020-04-02lima_group-groupe_lima.aspx ?lang=eng. (« The governments of Bolivia, Brazil, Canada, Chile, Colombia, Costa Rica, Guatemala, Honduras, Panama, Paraguay, Peru and Venezuela, members of the Lima Group, reiterate their commitment to support the return of democracy and the rule of law in Venezuela... We reaffirm our conviction that it is Venezuelans who must lead the return to democracy in Venezuela, recognizing that the severity of the crisis requires international support in order to peacefully achieve this goal. Given this, we support the proposal made by Interim President Juan Guaidó, on behalf of the National Assembly of Venezuela, to establish a National Emergency Government composed of all the political and social sectors of the country. »). 86. Statement by H.E. Mr. Bruno Rodriguez Parrilla, Minister of Foreign Affairs of the Republic of Cuba, at the Ministerial Meeting of the Coordinating Bureau of the Non-Aligned Movement, Ministry of Foreign Affairs, Republic of Cuba (July 20, 2019), http://www.cubaminrex.cu/en/node/842. (« The government of the Republic of Cuba reiterates its firm support to and solidarity with the constitutional President Nicolás Maduro Moros, the Bolivarian and Chavista Revolution and the civic and military union of its people. What is at stake today
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Considered illegitimate by the National Assembly (Legislative arm backing Guaidó government)
at the sister Bolivarian Republic of Venezuela is the future of our peoples’ right to sovereignty. »). 87. Evo Morales supports Maduro and says that « the claws of imperialism seek to mortally wound democracy », Europe Press (Jan. 23, 2019), https:// www.europapress.es/internacional/noticia-evo-morales-apoya-maduro-dicegarras-imperialismo-buscan-herir-muerte-democracia20190123212936.html. (« The president of Bolivia, Evo Morales, on Wednesday expressed his support for his Venezuelan counterpart, Nicolás Maduro, after the decision of the head of the country’s National Assembly, Juan Guaidó, to proclaim himself head of state. ’Our solidarity with the Venezuelan people and (with) brother Nicolás Maduro in these decisive hours when the claws of imperialism seek once again to wound the democracy and selfdetermination of the peoples of South America,’ he said. »). 88. Nicaragua stands in solidarity with Maduro after Guaidó’s self-proclamation, el Diario (Jan. 24, 2019), https://www.eldiario.es/politica/nicaragua-solidarizamaduro-autoproclamacion-Guaidó_1_1738203.html (« The Government of Nicaragua today transmitted a message of solidarity to the President of Venezuela, Nicolás Maduro, after Juan Guaidó, leader of the National Assembly of that country, proclaimed himself as the new president and was recognized by the United States and several other nations. ’Brothers in the Dawn, we are all Venezuela. Latin American Caribbean, the cradle of great and luminous beings, claims dignity and greatness in the face of the US empire,’ said the Nicaraguan Executive chaired by Daniel Ortega in a statement. »). 89. Foreign Ministry statement on the developments in Venezuela, The Ministry of Foreign Affairs of the Russian Federation (Jan. 24, 2019), https://www.mid.ru/ en/press_service/spokesman/official_statement/-/asset_publisher/ t2GCdmD8RNIr/content/id/3482366 (« We regard Washington’s unceremonious actions as yet another demonstration of its total disregard for the norms and principles of international law and an attempt to pose as the self-imposed master of another nation’s future. The United States is clearly trying to apply a tried and tested regime change scenario in Venezuela. We are especially alarmed by the signals we have received from some capitals on the possibility of foreign military interference. We warn that such opportunism can have catastrophic consequences. We urge the sober-minded Venezuelan politicians standing in opposition to Nicolás Maduro’s legitimate government not to become pawns in other players’ chess game. »). 90. Yang Sheng, China opposes foreign intervention in Venezuela’s domestic affairs, Global Times (Jan. 24, 2019), https://www.globaltimes.cn/content/ 1136972.shtml. (« ’China supports the Venezuelan government making efforts to safeguard the country’s sovereignty and stability, and opposes foreign interference in Venezuela’s domestic affairs,’ Chinese Foreign Ministry spokesperson Hua Chunying said at a routine press conference on Thursday. »)
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Competing government in Venezuela and organs of the State, as of 2020 Legislative
Constituent National Assembly National Assembly (Parliament) Called illegitimate by Guaidó government’s Called illegitimate by Nicolás Maduro. Backs national assembly. Functioning since 2017 the Guaidó government as the legitimate under Nicolás Maduro. government
Military
Has accused Guaidó of orchestrating a coup and is aligned with the Maduro government. 91
This picture was further complicated by legislative elections held in Venezuela in 2020 : the elections, which were boycotted by the opposition party, led to a majority of the National Assembly being held by Maduro’s party and thus the loss by Guaidó of his position as President of the National Assembly – meaning even under the opposition’s former view of Article 233, he was no longer President of the State. 92 This change of circumstances has caused some states – including the EU member states – to « de-recognize » the Guaidó government, while (at least of this writing) the United States and UK continue to recognize Guaidó as the legitimate president. 93
B. - The struggle for control over Venezuelan assets in foreign courts 14 - The lifeblood of a political state are the economic resources that form the bedrock of government expenditure. One of the first points of contention that arose between the competing Maduro and Guaidó governments was assertion of control and authority over economic assets of Venezuela located both domestically and abroad. This dispute brought the claims of legitimacy to the shores of domestic courts of foreign states.
1° The tussle for control over Venezuelan state-owned assets in the United Kingdom domestic courts 15 - In 2008, the Central Bank of Venezuela (« BCV ») opened a gold deposit account at the Bank of England (« BoE ») worth approximately one billion U.S. dollars. Further, the BCV had USD 120 million proceeds from a gold swap transaction concluded between Deutsche Bank and the BCV in 2015-2017, held by court receivers. 94 At the time of the transactions, the BCV operated at the authority of the Maduro government. To provide temporal context and to recall, Juan Guaidó was proclaimed « interim President » in January 2019 and as one of his first actions, he requested, in a letter sent to the then-British Prime Minister, Theresa May, that the gold should not be given to the government of Nicolás Maduro, arguing that it would be used for corrupt purposes. The Maduro government contended that the board of BCV headed by Mr. Ortega (« Maduro Board »), was the legitimate authority to giving instructions to BCV and BoE. The Guaidó government contended that the ad hoc board of BCV appointed 91. Bello, supra note 76 (« Apart from the National Assembly, the rest of the Venezuelan government has accused Guaidó of orchestrating a coup d’etat with the help of the Trump administration. ’I alert the people of Venezuela that a coup d’état is taking place against the institutionality of our democracy, against our Constitution, against President Nicolás Maduro, the legitimate president,’ Defense Minister Vladimir Padrino told journalists while accompanied by other high military commanders. »). 92. See, e.g., Robin Emmott, EU States Should Recognise Guaido as Venezuela’s Leader, EU Lawmakers Say, Reuters (Jan. 21, 2021) https://www.reuters.com/ article/us-venezuela-politics-eu/eu-states-should-recognise-guaido-asvenezuelas-leader-eu-lawmakers-say-idUSKBN29Q21E. 93. Id. 94. Deutsche Bank AG London Branch v Central Bank of Venezuela & Ors, Central Bank of Venezuela v the Governor and Company of the Bank of England & Ors (« BCV v. BoE »), [2020] EWHC 1721 (Comm), para 1.
by Guaidó (« Guaidó Board ») was the legitimate board. 95 Conflicting instructions in relation to the assets had been received from the two different boards of the BCV (who each claimed to have sole authority to act on behalf of BCV). The Maduro Board, upon being asked to submit more evidence sought to institute legal proceedings. High Court of Justice : In February 2019, the UK foreign secretary unequivocally stated that « [t]he United Kingdom now recognises Juan Guaidó as the constitutional interim President of Venezuela, until credible presidential elections can be held ». 96. The reasoning of the High Court of Justice and the arguments of the parties on the aspect of competing representation boiled down to the statement of recognition provided by the foreign secretary. The Maduro Board sought to argue that the statement made in February 2019 granting recognition to the Guaidó government was a « delphic utterance » 97 and did not amount to either unequivocal recognition of the Guaidó government or derecognition of the Maduro government. 98 The Guaidó Board argued that the statement of the foreign secretary amounted to clear and unequivocal recognition, and thus the Guaidó Board must be provided authority over financial assets of BCV in UK. 99 In applying the doctrine of « one voice, » described above, Justice Teare opined that UK courts must recognise without further inquiry whomever the UK Government chooses to recognise as a foreign state or leader or government of a foreign state. 100 It may be pertinent to highlight that the one voice 95. BCV v. BoE, para 5. (« It is common ground that the Guaidó Board, which has given instructions to the BoE, and Special Attorney General Hernández, who has given instructions to DB, were appointed by Mr. Guaidó. It is also common ground that Mr. Ortega, the President of the Maduro Board which has also given instructions to the BoE and DB, was appointed by Mr. Maduro. »). 96. Id., para 12. 97. Id., para 26 (« The submission made by counsel for the Maduro Board was that until 4 February 2019 HMG [the UK government] recognised the ’Maduro government’. The statement by HMG made on 4 February 2019 was described as a Delphic utterance. Whatever it meant it did not come close, they submitted, to an unequivocal recognition of another government, nor to a de-recognition of the Maduro government. It was submitted that HMG by its actions, in particular, the maintenance (both before and after 4 February 2019) of full diplomatic relations with the Maduro government and none with any other government, unequivocally recognises the Maduro government and that pursuant to the ’one voice’ doctrine the court must follow that lead. This submission was made by way of seven propositions which were developed over 80 paragraphs and some 22 pages. Counsel submitted that HMG, by recognising Mr. Guaidó as constitutional interim President of Venezuela, made a political statement, that is, ’a statement with important political consequences’. It was put in this way : the statement demonstrated ’HMG’s view that President Maduro’s present position is illegitimate, and records HMG’s political support for the claim by Mr. Guaidó to be Interim President of Venezuela pending fresh Presidential elections.’ »). 98. Id. 99. Id., para 27 (« The submission made by counsel for the Guaidó Board was simple. The statement made on 4 February 2019 by HMG was a ’clear and unequivocal statement by HMG of its recognition of Mr. Guaidó as the constitutional interim President of Venezuela with effect from 4 February 2019’.). 100. Mohamed v Breish, [2020] EWCA Civ 637, para 16. (« It is a fundamental principle of English law and an aspect of the unwritten constitutional bedrock of the United Kingdom that it is the prerogative of the sovereign, acting through her government as the executive branch of the state, to
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doctrine (in the commonwealth law system) accords greater power of scrutiny 101 to the courts to assess the statements of the executive. In the rationale applied in U.S. courts (described in the succeeding subsection), courts are not allowed as much interpretative breadth in assessing statement of the executive. 102 Justice Teare finally stated that « there could not be two Presidents of Venezuela and so it was necessarily implicit in the HMG Statement that the UK Government no longer recognised Mr. Maduro as the President of Venezuela ». 103 As a second bone of contention, the Maduro Board argued that certain legislative and executive acts of the Guaidó government had not been lawful under Venezuelan law and urged the court to scrutinize in detail the disputed Venezuelan legislative and judicial acts. Justice Teare applied a second seminal legal doctrine, the « act of state » doctrine. 104 The « act of state » doctrine requires UK courts to recognize and not question the effect of the laws, legislative and executive acts of a foreign state which take place within the territory of that state. 105 Thus the decide whom to recognise as a fellow sovereign state and whom to recognise and treat as the executive government of such a state. The courts, as the judicial branch of the state, must accept, adopt and follow any such recognition as the state must speak with ’one voice’ in such matters. Where, therefore, a court, considering a case in which it is relevant to ask who the government of a foreign state is, is informed by the Foreign and Commonwealth Office (’the FCO’) in unequivocal terms that HMG recognises some particular persons or body as such, that information must be acted on by the court as a fact of state. Such an unequivocal notification from the FCO is, in substance, the voice of the sovereign as to a matter upon which she has an absolute right to direct the answer. »). 101. BCV v. BoE, paras 33-41 (« Thus, the meaning of the 4 February 2019 statement by HMG must depend, not upon the 1980 policy statement, but upon the words of that statement understood in their factual context. The words ’The United Kingdom now recognises’ indicate that as at the date of the statement (4 February 2019) something had changed. The factual context supports that understanding because on 4 February 2019 eight days had elapsed from 26 January 2019 on which date the UK and other members of the EU had given Mr. Maduro that period of eight days in which to call fresh elections. What had changed ? Obviously, what had changed was that Mr. Maduro had not called fresh elections. The person now recognised by the United Kingdom as the President of Venezuela was Mr. Guaidó. Until 4 February 2019 the person recognised as President must have been, I infer, Mr. Maduro. On and after that date it was, as HMG’s statement says, Mr. Guaidó. The warning given on 26 January 2019 obviously had an international political purpose. It was intended to persuade Mr. Maduro to call fresh elections. The statement made on 4 February 2019 gave effect to the threat made on 26 January 2019. It was in that sense an internationally political statement but it was also a formal statement that HMG now recognised Mr. Guaidó as the interim President of Venezuela pending fresh elections. The word ’recognises’ denotes a formal statement of consequence. Counsel for the Guaidó Board submitted that it is a word which HMG would not use casually but would use deliberately. I agree. There was now, it was submitted, a recognition of the legal status of Mr. Guaidó as President as opposed to a mere expression of political support. I agree. Far from being Delphic the statement was clear and unequivocal in its meaning. There cannot be two Presidents of Venezuela and so it was necessarily implicit in the statement that HMG no longer recognised Mr. Maduro as the President of Venezuela. »). 102. See infra, page 22. 103. BCV v. BoE, para 33. 104. Belhaj v Straw, [2017] UKSC 3, paras 121-123 (« 121 The first rule is that the courts of this country will recognise, and will not question, the effect of a foreign state’s legislation or other laws in relation to any acts which take place or take effect within the territory of that state. 122 The second rule is that the courts of this country will recognise, and will not question, the effect of an act of a foreign state’s executive in relation to any acts which take place or take effect within the territory of that state. 123 The third rule has more than one component, but each component involves issues which are inappropriate for the courts of the United Kingdom to resolve because they involve a challenge to the lawfulness of the act of a foreign state which is of such a nature that a municipal judge cannot or ought not rule on it. »). 105. BCV v. BoE, para 92 (« It was not explained precisely how that proposition assisted the Maduro Board in this case. I do not consider that the proposition can assist their case. The Guaidó Board and the Special Attorney General derive their authority from the appointment made by Mr. Guaidó whom this court must accept is the interim President of Venezuela. The interim
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Maduro Board did not prevail on either count of being recognized as the valid representative of BCV, nor did the court seek to delve into Venezuelan legislative acts, thereby granting control of BCV to the Guaidó Board. It was noted that the Supreme Court in Belhaj v. Straw did not provide clarity on the application of the « act of state » doctrine when the act of state in question has been deemed unlawful under its own domestic law, forming a robust ground of appeal. Court of Appeal : On the same fact circumstances, the Court of Appeal reached a different conclusion. 106 In this regard, the court found the statement by the foreign secretary to be a clear statement that the UK government recognized Mr. Guaidó as the legitimate Venezuelan head of state (de jure). However, the court sought to exercise the interpretative breadth that common law courts possess in assessing executive statements. 107 The Court of Appeal found that the foreign secretary’s 4 February 2019 statement fell short of stating that Mr. Guaidó was exercising effective control over the territory of Venezuela. Accordingly, the Court of Appeal recognized the possibility of Maduro being the de facto head of state 108 after perusing various examples of the past, where the UK recognized two different heads of the same state, de jure and de facto. 109 Thus, the Court of Appeal sent the dispute back to the Commercial Court, 110 by providing a fresh question to be remitted to the executive. The Court of Appeal considered it premature to address the « act of state » doctrine as the issue fructified only after the recognition of representatives question was answered. 111 The Guaidó Board’s appeal to the Supreme Court has recently been admitted on December 10, 2020 leading to stay of the High Court proceedings. President of Venezuela purported to make those appointments pursuant to the Transition Statute and neither his appointments nor the validity of the Transition Statute can be adjudicated upon by this court. ») 106. « Maduro Board » of the Central Bank of Venezuela v The « Guaidó Board » of the Central Bank of Venezuela & Ors (« Maduro Board v. Guaidó Board »), [2020] EWCA Civ 1249. 107. Id., para 107 (« However, while a statement as to recognition is conclusive for what it says, it is for the court to determine what it means. The courts have recognised that a certificate may be incomplete or ambiguous, either deliberately, for example, in a case of particular sensitivity, or through inadvertence. »). 108. Id., para 122 (« Accordingly the statement cannot be read as recognising Mr. Guaidó as President de jure in the Oppenheim sense, so as to leave no room for the possibility of continuing to recognise Mr. Maduro as President de facto. »). 109. Id., para 82 (« Using the terms in this sense, it is perfectly possible for HMG to recognise one ruler or government de jure and another de facto. Ethiopia and Spain are examples from the 1930s. HMG recognised Emperor Haile Selassie as the ruler of Ethiopia (or Abyssinia, as it was then known) de jure and the King of Italy as the ruler de facto (Bank of Ethiopia v National Bank of Egypt [1937] 1 Ch 513). Similarly, HMG recognised the Republican Government as the government de jure of the whole of Spain while also recognising General Franco’s Nationalist Government as the government de facto of part of the country (Banco de Bilbao v Sancha [1938] 2 KB 176). Thus, however paradoxical it may sound, when the terms are used in this sense, it is possible for HMG to recognise two Presidents of a state, one being recognised de jure and the other de facto. »). 110. Id., para 128 (« These questions are best determined by posing a further question or questions to the FCO. I would remit the matter to the Commercial Court for this purpose, so as to give the parties and the court an opportunity to consider the appropriate formulation of the questions (and any other questions which may need to be asked) in the light of this judgment. »). 111. Id., para 154 (« I recognise that there are other issues which will need to be determined before the second preliminary issue can be answered. These include whether Mr. Guaidó’s appointment of the members of the Guaidó Board took effect outside Venezuela (the territoriality issue) and whether the act of state doctrine extends to the making of such appointments (the subject matter issue). However, as a definitive answer cannot at this stage be given to this preliminary issue, I see no useful purpose in extending this judgment by embarking upon these issues. »).
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2° The tussle for control over Venezuelan state-owned assets in the United States domestic courts 16 - In addition to the Central Bank, another of the Guaidó government’s first acts was to appoint a new board of directors to govern Venezuela’s crucial oil assets and infrastructure (which are also critical for sovereign debt restructuring and foreign exchange inflow), held by Petróleos de Venezuela, S.A. (’PDVSA’). PDVSA has a variety of subsidiaries with crucial foreign assets. Seizing economic control of the « largest proven oil reserves in the world » is arguably high priority for a government with a struggling economy, especially while battling a competing government. The Guaidó-appointed managing board of PDVSA, by means of a written consent, elected a new board for its U.S. subsidiaries, based in Delaware. In response to this, the members of the Delaware board of directors under the Maduro regime filed a complaint in Delaware’s courts against the newly appointed boards of directors, claiming that they were in fact the legitimate board. This led to a domestic U.S. court having to decide a preliminary question of whether PDVSA can be equated with the Bolivarian Republic of Venezuela. Intertwined with the first question is the second issue, i.e. which of the two competing governments in Venezuela should be the legitimate representative in order to defend the claims attempted to be enforced against PDVSA. On the second prong, Guaidó government was bolstered by the fact that the former U.S. President Donald Trump recognized the Guaidó government, and sided with National Assembly of Venezuela to declare the Maduro regime illegitimate. 112 The court considered the answer to this legitimacy question to be a « straightforward analysis » 113 and accordingly answered the question in two parts : First, the court applied the « political question » doctrine 114 and exclusively relied on the executive branch for recognizing a foreign sovereign. On the basis of the U.S. President’s statement in January 2019 officially recognizing the Guaidó government, the court stated it was bound by such determination and that Guaidó was the recognized President of Venezuela. 115 The court, in clear and unequivocal terms, stated that : « The determinations of the Executive Branch are unambiguous : Guaidó is recognized, the National Assembly is legitimate, and neither Maduro nor the Constituent Assembly are legitimate parts of the Venezuelan government. » 116. It must be noted that the breadth of scrutiny U.S. courts may make into executive statements is largely restricted as compared to their commonwealth counterparts. Second, the question of whether the boards of PDVSA and the Delaware subsidiaries were properly reconstituted was raised. The court applied the « act of state » doctrine which provides presumptive validity to the acts of a foreign sovereign within its 112. Rodolfo Enrique Jiménez v. Luisa Palacios (« Rodolfo v. Luisa »), C.A. No. 2019-0490-KSJM, 02 August, 2019, page 1. 113. Id., page 2. 114. Banco Nacional de Cuba v. Sabbatino, 376 US 398, 410 (1964) ; Guaranty Tr. Co. v. United States, 304 US 126, 137-38 (1938). 115. Rodolfo v. Luisa, page 23 (« [T]he Executive Branch’s decision to recognize a foreign state « conclusively binds » all domestic courts, such that they must accept that decision. This decision calls for a straightforward application of that rule. On January 23, 2019, the Executive Branch issued a statement « officially recognizing the President of the Venezuelan National Assembly, Juan Guaidó, as the Interim President of Venezuela. »). 116. Id., page 24 (« Thus, no other elected branch of government in Venezuelanot Maduro nor the Constituent Assembly-is legitimate in the eyes of the Executive Branch. The determinations of the Executive Branch are unambiguous : Guaidó is recognized, the National Assembly is legitimate, and neither Maduro nor the Constituent Assembly are legitimate parts of the Venezuelan government. »).
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own territory. This act included appointment of the PDVSA board (which in turn controlled the Delaware subsidiaries). The Court, without greater dissection of the issue, concluded that the act of a recognized foreign state government « must be accepted without further enquiry ». 117 Thus, we see that an American court’s path to resolving questions of legitimate government and representation are quite straightforward in light of the complete deference to the executive and minimal dissection of executive statements. It is argued in the concluding portion of this article, that according international judicial bodies such certainty would provide for a foundationally strong dispute settlement regime.
3° Rusoro Mining and Crystallex : Pursuit for investment award enforcements against state-owned Venezuelan foreign assets 17 - The final part of this section explores enforcement efforts by Rusoro Mining and Crystallex International Corporation against Venezuelan assets located in the United States to collect judgments in, and the ensuing battle for legitimacy between Maduro and Guaidó over PDVSA (and its subsidiaries). a) Crystallex International Corporation v. Bolivarian Republic of Venezuela, United States Court of Appeal, Third Circuit. 118 18 - Crystallex International was awarded USD 1.2 billion by an ICSID Tribunal that adjudicated on the claimed expropriation of its investments in gold deposits. Those expropriated investments were transferred by the Venezuelan government to its state-owned oil company, PDVSA. The United States District Court for the District of Columbia confirmed that award and issued a $1.4 billion federal judgment, allowing Crystallex to commence enforcement against Venezuelan assets in the United States. The crux of the ruling by the United States Third Circuit Court of Appeals (which includes Delaware in its jurisdiction) then, was a ruling that PDVSA’s Delaware subsidiaries would be an alter ego of the State of Venezuela and thus Crystallex could collect against their assets in the United States. An interesting point to note for present purposes, however, is that on March 20, 2019 (after the political rumblings in Venezuela had ensued), the court accorded Mr. Guaidó’s representatives standing to present arguments and stated that « we grant the Republic of Venezuela’s motion to intervene, » in its request for a 120-day stay to allow the National Assembly’s counsel « sufficient time to evaluate its legal position. » 119 b) Rusoro Mining Limited, Gold Fields Limited v. Bolivarian Republic of Venezuela is being heard by the US Court of Appeals for the District of Columbia 120 19 - In fact, circumstances nearly identical to those in Crystallex, Rusoro Mining Limited has pursued enforcement efforts in the U.S. Court of Appeals for the District of Columbia involving a USD 1.2 billion arbitration award issued in 2016. 117. Id., page 30 (« In this case, the act of state doctrine resolves the question of who constitutes the PDVSA board. The Guaidó government’s reconstitution of the PDVSA board was the official act of a recognized sovereign taken wholly within its own territory. Under the act of state doctrine, this Court must accept that action as valid without further inquiry. »). 118. Crystallex Int’l Corp. v. Bolivarian Republic of Venezuela, 932 F.3d 126 (3d Cir. 2019). 119. Id. at 134-35 & n.2 (noting that U.S. government had recognized Guaidó government and thus under binding precedent, the court would « recognize Guaidó’s regime as authorized to speak and act on behalf of Venezuela » in the proceedings even though, « [a]s a practical matter, there is reason to believe that Guaidó’s regime does not have meaningful control over Venezuela or its principal instrumentalities such as PDVSA »). 120. Rusoro Mining Ltd. v. Bolivarian Republic of Venezuela, No. 18-7044, Doc. No. 1785518 (D.C. Cir. May 1, 2019).
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Keeping in line with American practice to recognize the government of Guaidó, the motion filed by attorneys representing the Maduro government alleging that legal counsel to Mr. Guaidó had no standing to litigate the case, was denied. The Court made it abundantly clear that an executive « action in recognizing a foreign government...is conclusive on all domestic courts, which are bound to accept that determination » and « it has long been established that only governments recognized by the United States...are entitled to access to our courts ». 121 In the preceding two subsections discussing U.S. jurisprudence, we may note that the assessment of similar questions by U.S. courts a brief and involve minimal levels of interference or inquiry into executive statements, in contrast to the extensive assessment carried out by UK courts.
C. - Investor-State Dispute Settlement (« ISDS ») Proceedings against Venezuela : The question of who is the legitimate representative of the government ? 20 - Various ISDS proceedings precipitated against Venezuela in the aftermath of the series of nationalizations by President Chávez in 2007. Between 2008 and 2012, 27 treaty-based ISDS cases were initiated against Venezuela, spanning across most core Venezuelan industries including fertilizers, gold and precious metals, coffee, coal and hydrocarbons. 122 There remains a flood of pending arbitral awards and court judgments potentially totaling up to USD 193 billion. Aside from the detailed questions of investment law, investment proceedings against Venezuela have included a secondary battlefield for the Guaidó and Maduro governments to assert their claims of legitimacy. The issue of which of the two parallel competing governments in Venezuela shall be the legitimate representative in order to defend the claims has proven to be a unprecedented bone of contention before ICSID bodies at various stages. 123
1° ConocoPhillips : The largest battleground for competing governments of Venezuela to assert legitimacy 21 - In the late 1990s, subsidiaries of ConocoPhillips Co. entered into two ventures with PDVSA to produce, transport and sell extra-heavy crude oil in Venezuela. The nationalization of the oil industry in 2007 led to ConocoPhillips commencing two claims : one against the government of Venezuela before an ICSID Tribunal and the second against PDVSA and its subsidiaries before an International Chamber of Commerce (« ICC ») Tribunal for contractual claims. Under the contractual claim against PDVSA, in 2018 ConocoPhillips received an award from the ICC Tribunal of an amount 121. Id. 122. See UNCTAD, Investment Policy Hub, Investment Dispute Settlement Navigator, https://investmentpolicy. unctad.org/investment-dispute-settlement/country/228/venezuelabolivarian-republic-of (Updated July 31, 2020). 123. For a separate discussion of these complications and implications for ICSID, see generally Héctor Fernández, Representation of Venezuela in Investment Arbitration, Kluwer Arbitration Blog (Jan. 16, 2021), http://arbitrationblog. kluwerarbitration.com/2021/01/16/representation-of-venezuela-ininvestment-arbitration/.
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close to USD 2 billion. 124 Nearly one year after the ICC tribunals award, ConocoPhillips also prevailed in its ICSID claim against Venezuela, resulting in an award of close to USD 8.9 billion. 125 The subsequent subsections illustrate skirmishes between the Maduro and Guaidó governments being played out at three different stages of the post-award remedies proceedings, in which each tried to assert its legitimacy in the international arena. a) Decision on Rectification by the ICSID Tribunal. 22 - In the original proceeding, Venezuela was represented by the law firm Curtis, Mallet-Prevost, Colt & Mosle (« Curtis ») along with the Attorney General of Venezuela appointed by Maduro, Reinaldo Enrique Muñoz Pedroza. 126 Following the political turmoil in Venezuela, on 5 February 2019, Guaidó appointed José Ignacio Hernández to the office of Special Attorney General as a Special Prosecutor. 127 For further context under Venezuelan law, the National Assembly of Venezuela (which backed the Guaidó government) had passed a Statute that gave Guaidó the power to appoint such a Special Attorney General to represent the government. On 8 February 2019, the Constitutional Chamber of Venezuela’s Supreme Court declared this Statute to be « null and without any legal effects. » 128 (As depicted in the table above, Maduro exercises control over Venezuela’s judicial systems including the Supreme Court. 129 Nonetheless, on 27 February 2019, the National Assembly approved the appointment of Mr. Hernández. On 16 April 2019, Curtis, the same firm that represented Venezuela throughout the original proceedings furnished an application to the ICSID for rectification of clerical and arithmetic errors in the Tribunal’s award ; 130 significantly, this application was accompanied by the power of attorney for José Ignacio Hernández, the appointee of Guaidó as Venezuela’s legal representative in the proceeding. 131 On 18 April 2019, the ICSID Secretary-General confirmed the receipt of Curtis’s rectification application and registered Curtis’s request for representation. 132 124. Phillips Petroleum Company Venezuela Limited, ConocoPhillips Petrozuata B.V. v. Petroleos De Venezuela, S.A., Corpoguanipa, S.A., PDVSA Petroleo, S.A., Award, April 24, 2018 ICC Case No. 20549/ASM/JPA (C-20550/ASM). 125. ConocoPhillips Petrozuata B.V., ConocoPhillips Hamaca B.V. and ConocoPhillips Gulf of Paria B.V v. Bolivarian Republic of Venezuela (« ConocoPhillips v. Venezuela, Award »)., Award, March 08, 2019, ICSID Case No. ARB/07/30, para 1003. 126. Id., Award, page ii. 127. ConocoPhillips Petrozuata B.V., ConocoPhillips Hamaca B.V. and ConocoPhillips Gulf of Paria B.V v. Bolivarian Republic of Venezuela (« ConocoPhillips Annulment, Reconsideration Order »)., Annulment, Order on Request for Reconsideration of Order on Representation, Nov. 2, 2020, ICSID Case No. ARB/07/30, para 30. 128. ConocoPhillips Petrozuata B.V., ConocoPhillips Hamaca B.V. and ConocoPhillips Gulf of Paria B.V v. Bolivarian Republic of Venezuela (« ConocoPhillips Annulment, Recommendation »), Annulment, Recommendation, July 10, 2020, ICSID Case No. ARB/07/30, para 12. 129. See supra, page 14. 130. Article 49, ICSID Convention ; Rule 49(1), ICSID Arbitration Rules. 131. IT/ ConocoPhillips Petrozuata B.V., ConocoPhillips Hamaca B.V. and ConocoPhillips Gulf of Paria B.V v. Bolivarian Republic of Venezuela (« ConocoPhillips Rectification »)., Decision on Rectification, Aug 29, 2019, ICSID Case No. ARB/07/30, para 9. 132. Id., para 10 ; see also Rule 49(2)(a), ICSID Arbitration Rules.
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Maduro Government
Guaidó Government
Legal Representative for the Award – Muñoz Pedroza and Curtis, Mallet- Not in existence during proceedings on March 2019 Prevost, Colt & Mosle LLP. merits. Venezuelan Legal Appointments after Reinaldo Enrique Muñoz Pedroza – José Ignacio Hernández – Special Attorpolitical turmoil Attorney General – Appointed by ney General’s office – Appointed by Maduro Guaidó and approved by the National Assembly. Legal Representative for Decision on Reinaldo Enrique Muñoz Pedroza and José Ignacio Hernández and Curtis, Rectification De Jesús & De Jesús law firm. Mallet-Prevost, Colt & Mosle LLP. Consequently, on 19 April 2019, the law firm De Jesús & De Jesús (« De Jesús ») submitted a letter to ICSID, filing an identical application (making reference to the application by Curtis) for rectification of the award. 133 De Jesús enclosed a power of attorney granted by Mr. Muñoz Pedroza, the Maduro-appointed Acting Attorney General of Venezuela (who was also the first name in the list of party representatives in the Award), to De Jesús dated 6 March 2019 to represent Venezuela. 134 De Jesús in its letter to the ICSID dated 19 April 2019 stated that their power of attorney granted by Mr. Muñoz Pedroza on 6 March 2019 had expressly revoked the previously granted mandate of representation to Curtis by the Office of National Attorney General of Venezuela. 135 The ICSID Secretary-General confirmed the receipt of De Jesús’s letter and registered De Jesús’s request for representation on 19 April 2019. 136 De Jesús sought to demonstrate in its application that Curtis no longer held any power to act on behalf of Venezuela. 137 The investors in their letter to ICSID, dated 20 April 2019, propounded for a path of maximum « efficiency » and « convenience, » suggesting that « the Tribunal’s review of the Application can be undertaken without deciding the issue of representation of the Bolivarian Republic of Venezuela. » 138 The Tribunal, erring on the side of political caution, declined to decide on the representation of Venezuela and traversed a relatively safe path by stating that the issue before the Tribunal was to identify « parties » and not « representatives, » and found no issue at hand since both representatives claimed to represent Venezuela. 139 The Tribunal noted that Article 48 of the ICSID Convention 140 does not require the Tribunal to verify the counsel’s power of attorney from the listing of the « Parties’ representatives » in the 133. Id., para 11. 134. Id., para 23. 135. Id., para 23 (« Another document was referred to by De Jesús in their letter dated 19 April 2019, as a power of attorney granted on 6 March 2019 by Mr. Reinaldo Muñoz Pedroza, signed as the Republic’s Acting Attorney General. This Power of Attorney had been submitted on 7 March 2019. It expressly provided for the revocation of the mandate previously granted to Curtis by the Office of the Attorney General of the Bolivarian Republic of Venezuela. After having recalled Curtis’ lack of power resulting from this revocation, the letter declares that the De Jesús Law Firm herewith submits « on behalf of the Republic the Application that was previously submitted by our colleagues from Curtis which you will find enclosed. » Counsel also requested that the said Application be registered pursuant to Article 49 of the ICSID Convention and ICSID Arbitration Rule 49. The terms of this letter purport to demonstrate that the De Jesús power to act as attorney for the Respondent is based on the power issued on 6 March 2019, and that the revocation of the Curtis’ power formerly granted by the Office of the Attorney General of the Republic had the effect that Curtis was no longer holding any power to act on behalf of the Bolivarian Republic of Venezuela. »). 136. Id., para 12. 137. Id., para 23. 138. Id., para 13-15. 139. Id., para 25. 140. Article 48, ICSID Convention ; Id., para 26 (« (1) The Tribunal shall decide questions by a majority of the votes of all its members. (2) The award of the
introductory pages of its decisions. 141 Further, « arbitration Rule 47(1)(d) 142requires that an award shall contain « the names of the agents, counsel and advocates of the parties », with no reference being made to the power of representation or its verification. » 143 The Tribunal also noted that « it has not been required on behalf of either Party that the content and effects of the powers of attorney be considered as a question submitted to the Tribunal with the effect that this Tribunal would be required to decide the issue pursuant to Article 48(3) of the ICSID Convention and Arbitration Rule 47(1)(i). » 144 The Tribunal considered the issue of representation to be « moot » 145 as both representatives sought to act on behalf of Venezuela and there was no conflict about the substance of the issues on rectification before the Tribunal. 146 The fact that even « the Application for Rectification is identical » led the Tribunal to permit legal representatives of both factions to represent Venezuela. 147 b) Annulment Proceedings 23 - After the Tribunal, in its Decision on Rectification, allowed both firms to represent Venezuela, the two competing factions submitted applications for annulment. Curtis (representing Guaidó’s Government) submitted its application for annulment Tribunal shall be in writing and shall be signed by the members of the Tribunal who voted for it. (3) The award shall deal with every question submitted to the Tribunal, and shall state the reasons upon which it is based. (4) Any member of the Tribunal may attach his individual opinion to the award, whether he dissents from the majority or not, or a statement of his dissent. (5) The Centre shall not publish the award without the consent of the parties. »). 141. ConocoPhillips Rectification, para 26. 142. Rule 47(1)(d), ICSID Arbitration Rules. (« (1) The award shall be in writing and shall contain :... (d) the names of the agents, counsel and advocates of the parties... »). 143. ConocoPhillips Rectification, para 26 (« Indeed, Article 48 of the ICSID Convention does not contain such a requirement, and Arbitration Rule 47(1)(d) requires that an award shall contain « the names of the agents, counsel and advocates of the parties », with no reference being made to the power of representation or its verification. Moreover, it has not been required on behalf of either Party that the content and effects of the powers of attorney be considered as a question submitted to the Tribunal with the effect that this Tribunal would be required to decide the issue pursuant to Article 48(3) of the ICSID Convention and Arbitration Rule 47(1)(i). Hence, the list of « Parties’ representatives » provided in this Decision does not imply a decision in respect of a legal question submitted to the Tribunal. Therefore, this Decision sets up this list by including the identity of the Parties, law firms and counsel that have participated in this proceeding, and thus accept that they will receive notification of this Decision, without making any ruling about the validity of the powers of attorney that have been submitted. »). 144. Rule 47(1)(i), ICSID Arbitration Rules (« (1) The award shall be in writing and shall contain :...(i) the decision of the Tribunal on every question submitted to it, together with the reasons upon which the decision is based... »). 145. ConocoPhillips Rectification, para 25. 146. Id., para 25. 147. Id., para 25-26.
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on 27 November 2019 and De Jesús (representing Maduro’s Government) submitted its annulment application on 5 December 2019. 148 ICSID registered both applications of annulment by the State of Venezuela. 149 An Order on Representation by the Annulment Committee would exclusively deal with the issue of
which legal representative was the legitimate one. To further their positions in order to oust the other legal representative (seeking to represent the same party, Venezuela) the submissions of Curtis and De Jesús were as follows :
Position of Curtis (Guaidó)
Position of De Jesús (Maduro)
Jurisdiction of Tribunal Curtis submitted that the Committee does not to Decide Legitimacy have the jurisdiction to adjudicate on the politiQuestion cal question of legitimate representation (between Guaidó’s government and Maduro’s government) of Venezuela in ICSID proceedings. 150 This matter must be left to appropriate political authorities.
De Jesús submitted that the Committee is empowered to resolve the issue of legitimate representation of Venezuela since the issue is not a political question but is a procedural issue. 151 De Jesús further stated that the Committee must delve into Venezuelan law in order to determine the rightfully formed government. 152 De Jesús further submitted that, dual representation by two law firms would impinge on the right to a fair trial, due to contradiction in arguments and legal strategy 153
Merits of Dispute
Legitimacy Curtis stated that Guaidó’s government has been recognized by numerous states and international organizations and thereby requested the Committee to reject the application to change the status quo of Venezuela’s representation in the annulment proceedings. 154
The investors raised « the concern of the future difficulties it may face in enforcing the Award, should Venezuela argue that it was not heard properly in the annulment proceedings because of the exclusion of its representative. » 155 The investors « requested the Committee to not take a decision that could result in any unnecessary risk, » as already different State Parties to the ICSID Convention had recognized either of the two Governments of Venezuela. 156 While the Committee affirmed its jurisdiction 157 to adjudicate on the question of representative legitimacy, its ruling merely
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148. ConocoPhillips Petrozuata B.V., ConocoPhillips Hamaca B.V. and ConocoPhillips Gulf of Paria B.V v. Bolivarian Republic of Venezuela (« ConocoPhillips Annulment, Order on Representation »)., Annulment, Order on Representation, Apr. 3, 2020, ICSID Case No. ARB/07/30, para 3. 149. Id., para 4. 150. Id., para 27. 151. Id., para 26. 152. Id., para 22. 153. Id., para 26. 154. Id., para 27. 155. Id., para 28. 156. Id., para 28. 157. Article 44, ICSID Convention (« Any arbitration proceeding shall be conducted in accordance with the provisions of this Section and, except as the parties otherwise agree, in accordance with the Arbitration Rules in effect on the date on which the parties consented to arbitration. If any question of procedure arises which is not covered by this Section or the Arbitration Rules or any rules agreed by the parties, the Tribunal shall decide the question. »).
De Jesús further requested the Committee to maintain the status quo of representation of Venezuela by recognizing only the Acting Attorney General of Venezuela. De Jesús’ imputation of status quo, of course, did not extend to continuation of law firms (as decided in the Decision on Rectification), but the status quo of Jesús being the legitimate representative since the Acting Attorney General was the counsel on record for the Award and had given De Jesús power of attorney.
extended to addressing the issue from the procedural aspects of undertaking the arbitral process. 158 As noted above, De Jesús sought to further the status quo approach for « representation by continuing with the counsel on record » 159, who in the opinion of De Jesús would be Muñoz Pedroza, the Maduro appointee. The Committee adopted a different meaning of status quo than the one furthered by De Jesús. The Committee noted that both Curtis and De Jesús « have been counsel on record in the arbitration phase and have participated at all stages of the annulment proceedings ». 160 Thus the Committee’s status quo approach involved retaining both De Jesús and Curtis as legal representatives, thereby aiming to minimize the risk to the fundamental requirement of integrity in proper representation.
158. ConocoPhillips Annulment, Order on Representation, para 30 (« The issue raised before the Committee by De Jesús pertains to Venezuela’s representation in the annulment proceedings. The Committee agrees with De Jesús that the Committee must resolve the matter in accordance with the power it has under Article 44 of the ICSID Convention (applicable mutatis mutandis to this annulment procedure before the Committee pursuant to Article 52(4)) which provides, in relevant part : « If any question of procedure arises which is not covered by this Section or the Arbitration Rules or any rules agreed by the parties, the Tribunal shall decide the question. »). 159. Id., para 31 (« In support of its application, De Jesús refers to decisions of ad hoc committees and arbitral tribunals5 which have decided to maintain the status quo of Venezuela’s representation by continuing with the counsel on record. The Committee accepts that the status quo approach adopted in other ICSID proceedings should also apply in the present annulment proceedings. »). 160. Id., para 35.
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The Committee also noted the argument of De Jesús about the possibility of divergent arguments between both representative obfuscating legal strategy. 161 The Committee, however, concluded that the arguments by both Curtis and Jesús would be heard and answered, separately as may be, by the Committee. 162 The Committee also noted that the investors agreed to respond separately to the arguments from both the law firms of Venezuela. 163 The Committee therefore concluded by maintaining both Curtis and Jesús as counsels of record at the annulment proceedings, in line with procedural fairness. 164
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24 - As a third level of escalation, De Jesús requested the Committee to revisit its prior Order on Representation, claiming that the Committee had erroneously refrained from delving into Venezuelan law, including the judgment of the Constitutional Chamber of the Supreme Court of Venezuela, and had incorrectly applied the status quo approach. 165 The Committee consequently declined to alter their Order resulting in Jesús (representing Maduro’s Government) submitting a proposal to disqualify 166 all three members of the Annulment Committee (the « Disqualification Proposal ») and requested the Secretary-General of ICSID (as the Chair of the Administrative Council of ICSID) to seek a recommendation from a third-party neutral in connection with the Disqualification Proposal. 167
In pursuance of the Disqualification Proposal, the Secretary General of ICSID requested Rt. Hon. Lord Phillips of Worth Matravers, K.G. (« Lord Phillips ») to issue a recommendation. 168 The disqualification proposal was constructed on the edifice that « each of the three members of the Committee cannot be relied upon to exercise independent judgment. » 169 While the fulcrum of the disqualification proposal rested on the ability of the Committee member to exercise independent judgement, Lord Phillips sought to delve into the procedural background surrounding the Order on Representation passed by the annulment committee. 170 This was by reason of the fact that De Jesús submitted that the Committee’s approach to the issue of representation constituted a « blatant deviation from their mission », leading to a manifest lack of independence and impartiality. 171 De Jesús submitted that « the Committee made no attempt apply legal reasoning » and instead it abandoned « all legal reasoning in favor of a political solution » that appeared to the Committee to be « practical » or « convenient. » The Committee’s failure « to analyze or invoke a single provision of Venezuelan law, the only applicable law to the issue of representation » was egregious in the eyes of De Jesús, precipitating the proposal to disqualify the Committee. 172 In this vein, Lord Phillips surveyed previous ICSID proceedings against Venezuela, on the issue of representation, in order to assess the « independence and impartiality » of the Annulment Committee’s decision. The same has been summarized below.
161. Id., para 36. 162. Id., para 36. 163. Id., para 36. 164. Id., para 37. 165. ConocoPhillips Annulment, Recommendation, paras 20-24, 63 (« On 9 April 2020 De Jesús wrote to the Committee inviting it to reconsider its decision on the ground that it lacked a legal basis as it disregarded Venezuelan law and ignored the relevant facts. Under the Venezuelan National Constitution and the Organic Law of the Attorney General’s Office the only organ empowered to represent the Republic in international proceedings was the Procuraduría General, currently under the authority of Dr. Muñoz Pedroza. The Procurador Especial had no standing under Venezuelan law because the Statute creating that office had been declared to be null and void by the Supreme Court. »). 166. Articles 14 and 57, ICSID Convention ; Rule 9, ICSID Arbitration Rules. 167. ConocoPhillips Annulment, Recommendation, paras 6 and 7 ; Article 58, ICSID Convention. (« The decision on any proposal to disqualify a conciliator or arbitrator shall be taken by the other members of the Commission or Tribunal as the case may be, provided that where those members are equally divided, or in the case of a proposal to disqualify a sole conciliator or arbitrator, or a majority of the conciliators or arbitrators, the Chairman shall take that decision. If it is decided that the proposal is wellfounded the conciliator or arbitrator to whom the decision relates shall be replaced in accordance with the provisions of Section 2 of Chapter III or Section 2 of Chapter IV.) »
168. Id., Recommendation, para 135. 169. Id., Recommendation, para 9 (« The gravamen of the Disqualification Proposal is that the terms of the Order on Representation demonstrate that each of the three members of the Committee cannot be relied upon to exercise independent judgment, as required by Article14(1) of the Convention. Accordingly, in order to decide on my Recommendation I shall have to examine the Order on Representation in some detail. »). 170. ConocoPhillips Annulment, Order on Representation. 171. ConocoPhillips Annulment, Recommendation, para 74 (« De Jesús submit that the Committee’s approach to the issue of representation constituted such a ’blatant deviation from their mission as to demonstrate, or at least give the appearance of, a manifest lack of independence and impartiality on the part of all three members.’ »). 172. Id., Recommendation, para 75 (« The gravamen of the criticism advanced by De Jesús is as follows. The issue of representation fell to be determined according to the domestic law of Venezuela. The Committee made no attempt to apply legal reasoning. Instead, it abandoned « all legal reasoning in favor of a political solution » that appeared to the Committee to be ’practical’ or ’convenient’. The position is summarised as follows : « In sum in its Order on Representation, the Committee invoked one procedural rule in order to establish its inherent powers to resolve the matter at hand (Article 44 of the ICSID Convention). The Committee failed to analyze or invoke a single provision of Venezuelan law, the only applicable law to the issue of representation of the Republic and contented itself to mention a set of irrelevant facts to the issue. »).
c) Proposal to disqualify the Annulment committee
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Investment Proceedings against Venezuela
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Treatment of issue of representation.
Observations
Air Canada v. Venezuela
« If, and until, there is a decision on this question by an appropriate decision-making body, this Tribunal shall refrain from taking a decision on who holds the proper representation of Respondent. » 173
Deference provided to appropriate political organ to decide on proper representation. Such deference signifies importance attached to such a question.
Valores Mundiales v. Venezuela
The Committee held that it had no authority to decide, erga omnes, who was Venezuela’s legitimate representative. Its task was limited, to determine who could express themselves on behalf of Venezuela in the annulment proceedings. 174 Nonetheless, to resolve the procedural question, the Committee analysed position under both Venezuelan domestic law and international law. 175
Treated as a solely procedural question to extent the arbitral proceedings are impacted. Yet to answer these procedural questions the Tribunal delved into Venezuela law, in stark contrast to the approach taken in ConocoPhillips.
Kimberly Clark v. Venezuela
« The Respondent in this arbitration is the State of Venezuela, not a particular government purporting to act on behalf of the State. Therefore the question before the Tribunal is not who the proper party to this arbitration is. It is merely which lawyers can represent Venezuela’s interests in this arbitration. [...] In other words it is a procedural issue. » 176
Underlying rationale same as the one in ConocoPhillips, where the Tribunal considered the question to be merely that of which lawyer can represent Venezuela.
Agroinsumos v Venezuela
« After reviewing Mr. Hernández communications, the arguments of each of the parties and the evidence made available to it, the Tribunal does not find sufficient evidence to conclude that there has been, for the exclusive purposes of this arbitration, a change to the powers of representation of the Respondent in this arbitration. » 177
Similar position taken in Agronisumos and Favianca in maintaining status quo. The understanding of status quo in these decisions is starkly different from the understanding in ConocoPhillips.
Favianca v. Venezuela
« After giving to all involved the opportunity to fully present their positions, the Committee finds that the evidence on record does not justify a change in the ’status quo’. For this reason, and considering considerations of fairness to both Parties and efficiency of the proceedings, the Committee sees no basis to hold that, for purposes of this annulment proceeding, the representation of the Bolivarian Republic of Venezuela has changed. » 178
Lord Philips dismissed De Jesús argument by noting in his recommendation that all the cases discussed above treated the decision on representation as resolving a procedural, not subs-
173. Air Canada v. Bolivarian Republic of Venezuela, ICSID Case No. ARB(AF)/ 17/1, Procedural Order No. 7, 28 May 2019, para 64. 174. Valores Mundiales, S.L. and Consorcio Andino S.L. v. Bolivarian Republic of Venezuela (« Valores Annulment »), ICSID Case No. ARB/13/11, Annulment Procedure, Procedural Order No. 2, 29 August 2019, para 31. 175. Id., para 39. 176. Kimberly-Clark Dutch Holdings, B.V. and Kimberly-Clark BVBA v. Venezuela, ICSID Case No. ARB(AF)/18/3, Order on Representation, para 49-51. 177. Agroinsumos Ibero-Americanos, S.L. and others v. Venezuela, ICSID Case No. ARB/16/23, Procedural Order No. 13, 13 January 2020, para 17-18. 178. Los Andes CA and Owens Illinois from Venezuela CA Glass Factories v. Bolivarian Republic of Venezuela, ICSID Case No. ARB/12/21, Annulment Procedure, Communication from the Committee, 3 May 2019.
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tantive issue, and this included the ConocoPhillips proceedings. The Tribunals and Annulment Committees have not sought to determine who is entitled to represent Venezuela. The concern has merely been limited to the procedural question of who will be permitted to make representations on behalf of Venezuela Lord Phillips stated that the Committee’s Order on the Representation caused no injustice to the parties. 179 Lord Phillips expressed his opinion that, while the Committee should have resolved the issue of legitimate representation of Venezuela by permitting one of the two law firms to continue with the proceedings, when De Jesús requested for exclusion of Curtis’ participation in the proceedings 180, the decision to allow both representatives to continue did not demonstrate a manifest lack of 179. ConocoPhillips Annulment, Recommendation, para 113. 180. Id., Recommendation, para 124.
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independence or impartiality of its members. 181 Thus on the Recommendation of Lord Phillips the disqualification proposal was dismissed. d) Final request to the Annulment Committee to reconsider Order on Representation. 25 - In the request to the Annulment Committee to reconsider Order on Representation, De Jesús stated that the Committee must reconsider its Order on Representation « in light of the new and decisive elements that have become available since. » 182 The new element consists of a judgment rendered on 22 April 2020, by the Constitutional Chamber of the Supreme Court of Venezuela in which the Court ruled « that the Acting Attorney General of the Republic, Mr. Muñoz Pedroza, has the sole and exclusive authority to appoint representatives in international legal proceedings where the Republic is a party ». 183 Curtis disagreed with the position taken by De Jesús by stating that nothing was being added to the previous analysis and similar arguments were being re-raised. The Committee re-asserted that the question of Venezuela’s representation may solely be answered as a procedural question within the confines of Article 44 of the ICSID Convention. 184 Thus, the Committee stated in explicit terms that the limited ambit of its power precluded it from weighing the actions of one branch of the Constitutional powers over the actions of another branch without engaging with the prevailing legality in the
country and turning itself into a final authority of the Constitutional powers of Venezuela. 185
2° Valores Mundiales : An ICSID Annulment Committee that delved into Venezuelan law to resolve the question of representation. 26 - The claims in Valores Mundiales arose out of Venezuelan Government’s issuance of a decree that the investors alleged expropriated their tortilla and corn flour production businesses in Venezuela. 186 The award on this dispute was issued in 2017. Between the award being passed and April 2019, the turmoil described above regarding the Venezuelan governmental systems occurred, 187 leading to the Annulment Committee suspending a hearing scheduled for 20 May 2019 and deciding to address the issue of legitimate representation of Venezuela on a preliminary basis, prompted by a letter from Mr. Hernández (representing Guaidó) requesting ICSID not to process any new requests signed by the representative of Maduro. 188 The Committee invited the investors, the Litigation General Manager of the National Attorney General’s Office (« Litigation Manager ») (representing Maduro) and Mr. Hernández (representing Guaidó), to place their submissions on their issue of representation. 189 The submissions made by the representatives of Maduro and Guaidó government, on the issue of competing representative, divided into two primary questions :
Submissions of Mr. Hernández (representing Guaidó Government) Question of legitimacy Mr. Hernández urged the Committee to delve to represent Venezuela into the nuances of the statutes and actions of the Venezuelan National Assembly. 190 Mr. Hernández recognized that the statute passed by the National Assembly had been declared void by the Constitutional Division of the Supreme Court. But he urged that the Maduro-government-controlled Supreme Court was not the recognized judicial organ of Venezuela. 191 Mr. Hernández finally alluded to more than 50 countries who had recognized Mr. Guaidó as the interim president of Venezuela and that some US courts had recognised the representation of Venezuela by Guaidó’s Government in cases related to arbitral awards. 192
181. Id., Recommendation, para 126. 182. Id., Reconsideration Order, para 17. 183. Id., Reconsideration Order, para 17 (« De Jesús states that the Committee should reconsider its Order of 3 April 2020 on the Applicant’s Representation ’in light of the new and decisive elements that have become available since’. The new element consists of a judgment rendered on 22 April 2020, by the Constitutional Chamber of the Supreme Court of Venezuela in which the Court ruled ’that the Acting Attorney General of the Republic, Mr. Reinaldo Enrique Muñoz Pedroza, has the sole and exclusive authority to appoint representatives in international legal proceedings where the Republic is a party.’ »). 184. Article 44, ICSID Convention (« If any question of procedure arises which is not covered by this Section or the Arbitration Rules or any rules agreed by the parties, the Tribunal shall decide the question. »).
Submissions by the Litigation Manager (representing Maduro government) The Litigation Manager pertinently pointed to the judgement of the Supreme Court of Venezuela on February 08, 2019 which nullified the statute empowering Mr. Hernández to represent Venezuela. 193 The Litigation Manager further asserted that the Resolutions empowering Mr. Muñoz Pedroza « are internal administrative acts with a presumption of legality provided that are not invalidated by exclusively competent court. The National Assembly was not competent to nullify such resolutions and the request of Mr. Hernández must be rejected in limine. 194
185. ConocoPhillips Annulment, Reconsideration of legal representation, para 37. 186. Valores v. Venezuela, Award of the Tribunal, ICSID Case No. ARB/13/1, 25 July 2017, para 123. 187. Valores Annulment, para 13. 188. Id., para 3. 189. Id., para 7. 190. Id., para 13. 191. Id., para 15. 192. Id., para 16. 193. Id., para 20. 194. Id., para 22.
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Submissions of Mr. Hernández (representing Guaidó Government) Question of who is Mr. Hernández in seeking to assert legitimacy competent to decide urged ICSID to decide on representation « as it the was not a procedural issue, but of the international representation of the Venezuela State before ICSID an international organization ». 195
The Committee held that it was not diving into an erga omnes enquiry for finding who the legitimate government of Venezuela was. Its enquiry was circumscribed by the question of who should speak on behalf of Venezuela in the Annulment proceeding. 197 In seeking to answer this question, the Committee observed that the only explicit provision that addresses the question at hand is Rule 18 of the ICSID Arbitration Rules, which empowers the parties to appoint attorneys. Yet, neither Rule 18 nor any other provision in the ICSID Convention governs the grey area of the standing of a person to act on behalf of a party being called into question. Therefore, in order to fill this regulatory gap, the Tribunal relied on Article 44 198 of the Convention to find in its inherent power the authority to answer the question of representation. 199 The Committee categorized the issue of legitimate representation of Venezuela as procedural in nature. 200 The Committee cited the decision of the arbitral tribunal in Air Canada v. Venezuela, which had addressed the identical request by Mr. Hernández (representing Guaidó’s Government) as a procedural issue. 201 The Committee went ahead to apply the effective control test in order to conclude that Mr. Hernández had failed to prove that Guaidó’s Government controlled the Venezuelan territory with valid authority. 202 The Committee further observed that Mr. Hernández’s request for change in representation cannot be decided on the basis of a mere count of acknowledgments from different foreign states to Guaidó’s Government. 203 The Committee concluded that with the lack of evidence of relevant facts from the domestic law and international law, Mr. Hernández’s request does not justify a change of procedural representation in this case. 204 Unlike the Tribunal in ConocoPhillips, the Annulment Committee in Valores clarified that there cannot be a dual representation of Venezuela, as suggested by the investors. 205 The Committee further clarified that there is neither a legal nor a logical basis that 195. Id., para 11. 196. Id., para 17. 197. Id., para 31. 198. Article 44, ICSID Convention (« Any arbitration proceeding shall be conducted in accordance with the provisions of this Section and, except as the parties otherwise agree, in accordance with the Arbitration Rules in effect on the date on which the parties consented to arbitration. If any question of procedure arises which is not covered by this Section or the Arbitration Rules or any rules agreed by the parties, the Tribunal shall decide the question. »). 199. Valores Annulment, para 34. 200. Id., para 32. 201. Air Canada v. Bolivarian Republic of Venezuela, ICSID Case No. ARB(AF)/ 17/1, Procedural Order No. 7, 28 May 2019, para 59. 202. Valores Annulment, para 48. 203. Id., para 49. 204. Id., para 49. 205. Id., para 50.
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Submissions by the Litigation Manager (representing Maduro government) The Litigation Manager argued that no relevant source of law including the BIT and the ICSID Convention granted the Annulment Committee valid powers to delve into the question of legal representation and thereby scrutinizing the acts of the Attorney General’s Office and documents of the National Assembly. 196
can allows the Committee, on the one hand, to deny Mr. Hernández the exclusive representation of Venezuela because he does not demonstrate his powers and authority and, on the other hand, to accept that he should share that representation with the Litigation Manager.
Conclusion 27 - As shown above, the economic crisis in Venezuela and growing fears of sovereign default by the creditors brought arbitral award owners to seek enforcement before U.S. and UK courts of claims against state-owned foreign assets. This led to the tussle for legitimacy between Maduro and Guaidó in America in order to be the legitimate representative of PDVSA and its gargantuan foreign assets and subsidiaries (and in the UK for control over financial assets). This tussle for legitimacy was also brought to the forefront in ICSID proceedings and enforcement proceedings of other arbitral awards. The Venezuela situation served to expose the lack of a consistent approach to answering such questions of legitimacy, as well as the potential ramifications of this inconsistency. The approach taken by the Annulment Committees in Valores Mundiales and ConocoPhillips is similar to the extent that the question of representation was termed a ’procedural’ one and the Committees thus drew on inherent powers, rather than some explicit authority, to decide the question. From that point onwards, however, one can see stark similarities between Valores Mundiales and U.K. court decisions on one hand and ConocoPhillips and U.S. court decisions on the other hand. The Valores Committee and U.K. Courts considered it appropriate to delve into the merits of Venezuelan (and international) law in order to appropriately answer the question of recognition of competing governments. Taking a different approach, the ConocoPhillips Committee and U.S. courts took a much more cautionary approach by not delving into the facts and legislative actions surrounding the establishment of competing governments in Venezuela. (The outcome of such caution was different in these latter cases : the ConocoPhillips Committee punted the question of recognition in favor of concerns over fairness and enforcement by accepting both representatives ; U.S. courts have deferred to the U.S. executive branch in recognizing the Guaidó government.) The inherently « economic » nature of investment dispute settlement may serve as a façade for adopting a privatized system of justice such as arbitration. But the economic nature of these disputes can obscure the fact that investment tribunal decisions have far-reaching consequences, and thus the system must be foundationally conducive to legitimately impose decisions of billions of dollars against states. The lack of a coherent answer to the fundamental question of « who represents the state » in these proceedings undermines this foundation, and thus it is essential that this question be authoritatively clarified, with appropriate mechanisms and modifications in dispute resolutions made to achieve the same.ê
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Les procédures de conciliation devant les Tribunaux de commerce Entretien avec Paul-Louis NETTER, Président du Tribunal de commerce de Paris, réalisé le 8 décembre 2020 par Daniel Kadar, Avocat associé du cabinet Reed Smith à Paris, Carla Sasiela et Stanislas Julien-Steffens, Rédacteurs en chef de la Revue des Juristes de Sciences Po
La Revue des Juristes de Sciences Po : Depuis leur création par un Décret n° 78-381 du 20 mars 1978, le nombre de conciliateurs de justice n’a cessé de croître, en même temps que la conciliation est devenue en France l’un des modes alternatifs de règlement des différends les plus populaires. Quelles sont les spécificités et les avantages des procédures de conciliation devant les Tribunaux de commerce ? Paul-Louis Netter : Nous avons en effet pu observer un développement significatif des procédures de conciliation depuis 10 ans. Celles-ci constituent aujourd’hui une réelle activité au sein des Tribunaux de commerce. Une procédure de conciliation a pour particularité son caractère amiable. Cette procédure présente tout d’abord l’avantage d’être acceptée. En effet, dans le cadre d’une conciliation, les parties s’accordent sur l’issue du litige, à la différence d’une décision de justice qui s’impose à elles et peut dès lors faire l’objet de recours en Cour d’Appel ou en cassation. Une solution amiable a plus de chances d’être appliquée, ce qui permet de réduire les éventuelles difficultés de l’exécution. Elle permet également de préserver la relation entre les parties. Dans le cadre d’une procédure devant un juge, les parties vont généralement s’affronter et leurs relations vont nécessairement se détériorer. Dans le cadre d’une conciliation, les relations commerciales entre les parties au litige pourront potentiellement être maintenues. Les procédures amiables offrent également l’avantage de pouvoir déroger au principe du contradictoire. Dans le cadre d’une conciliation, il est tout à fait possible d’échanger avec une seule partie à la fois ou encore d’échanger avec les différentes parties sans leurs avocats. Des points précis peuvent alors être évoqués ce qui peut être très utile dans l’avancement de certains conflits. Enfin, le développement de ces procédures permet également un désencombrement de la justice puisqu’il s’agit ici d’un mode de règlement des différends parallèle à la procédure devant un juge. Ce dernier point ne constitue pas un avantage en soi pour les parties, mais il est un réel argument en faveur du développement de telles procédures. RJSP : Quel regard portez-vous sur la procédure de conciliation obligatoire ? PLN : Je pense que la conciliation obligatoire est une très mauvaise idée, que ce soit d’un point de vue philosophique ou du point de vue pratique. Certains litiges relevant des entreprises ne sont pas adaptés aux procédures de conciliation. En cas de défaut de paiement par exemple, je ne vois pas pourquoi la partie qui a rempli sa part du contrat serait amenée à faire des concessions et donc à recourir à la conciliation. Je trouve cela d’autant plus anormal que je crois profondément au fait que chacun a droit à un procès et à voir son affaire jugée par un juge s’il le souhaite. Cela fait partie des droits des citoyens. Certes, cela augmente le volume des affaires traitées par la justice. Mais, dans ce cas, la solution réside dans
l’augmentation du débit des tuyaux de la justice. Elle ne réside pas dans le fait d’écarter les citoyens de l’appareil judiciaire. Du point de vue pratique, une telle obligation n’est au surplus pas efficace puisqu’elle conduit un grand nombre d’entreprises ne souhaitant pas recourir à la conciliation, à simplement se rendre devant le conciliateur pour obtenir leur « passeport » pour poursuivre leur litige devant un juge. Cela ne fait qu’encombrer les conciliateurs qui reçoivent des personnes qui n’ont pas l’intention de céder sur quoi que ce soit mais qui sont contraints de passer devant eux. RJSP : De quelle manière une procédure de conciliation est-elle mise en œuvre devant le Tribunal de commerce ? Ces procédures sont-elles mise en œuvre de manière indifférenciée ? PLN : Dès lors qu’une affaire est enrôlée devant le Tribunal de commerce, celle-ci est étudiée en premier lieu par la chambre de placement qui se chargera de l’orienter vers l’une de nos treize chambres de contentieux. Chacune d’entre elles est spécialisée dans un domaine particulier du droit (droit international, concurrence, droit bancaire, etc.). En fonction de la nature de l’affaire, celle-ci sera renvoyée devant l’une ou l’autre de ces chambres. Nous avons pu constater que seules certaines affaires relevant d’une typologie particulière pouvaient faire l’objet d’une conciliation. Il s’agit généralement d’affaires peu importantes qui vont notamment concerner des relations entre fournisseurs et prestataires ou encore les conflits entre associés. Il est intéressant de noter qu’il ne s’agit généralement pas de problèmes de droit mais de problèmes de personnes, par exemple en cas de désaccord sur la stratégie de l’entreprise. Il s’agit alors d’amener les parties à s’expliquer et à exposer leurs griefs. La première étape de la conciliation consiste à mettre le conflit sur la table. Il faut que tout soit dit dès le début. Dans ce type d’affaires, le tiers occupe une place très importante car il permet d’objectiver le conflit et de parvenir à une solution acceptée par tous. L’échec d’une procédure de conciliation relève souvent de ressorts psychologiques. La conciliation est une procédure très humaine. Le conciliateur doit être en mesure de prendre en compte ces différents ressorts psychologiques et de favoriser le dialogue. Il est essentiel qu’en cas d’échec la procédure de conciliation ne perturbe pas la suite du litige. C’est pourquoi la conciliation se fait le plus souvent dans le moment où les parties sont supposées échanger leurs écritures. En cas d’échec, le procès ne prend dès lors pas de retard. Cette organisation permet ainsi de se prévaloir contre d’éventuelles manœuvres dilatoires. RJSP : Comment le Tribunal de commerce de Paris recrutet-il ses conciliateurs ? Quel est leur profil ? PLN : Il convient de rappeler que la possibilité est offerte aux parties de concilier en tout état de cause ; c’est-à-dire à
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n’importe quel moment du procès. Il y a deux modes de recrutement pour les conciliateurs. Ils peuvent tout d’abord être des juges actifs formés à la conciliation et qui ont un penchant spécifique pour cela. Ce peut-être aussi un conciliateur de justice agréé par la Cour d’appel. Dans ce cas il s’agit souvent des juges ayant quitté leurs fonctions et voulant continuer à exercer en tant que conciliateur. Ils portent dès lors leur candidature pour devenir conciliateur de justice auprès de la Cour d’appel. Ceux-ci disposent d’une vraie expérience car ils ont eu l’occasion de travailler sur de très nombreux litiges. Ils ont également une vie professionnelle derrière eux. Enfin, le Tribunal de commerce de Paris dispose d’un délégué à la conciliation chargé de veiller au bon déroulement de cette « procédure » qui, rappelons-le, est gratuite.
RJSP : Dans cette perspective, pourriez-vous dire qu’une réelle complémentarité s’est mise en place entre les missions des juges des Tribunaux de commerce et celles des conciliateurs de justice ? PLN : Les tribunaux, et cela est particulièrement vrai pour les Tribunaux de commerce, servent à régler des litiges. Les conciliateurs participent également de cette mission. Ils le font en recherchant l’accord des parties. S’ils parviennent à l’obtenir et que la solution est donc acceptable et acceptée par les deux parties, les conciliateurs ont alors exactement participé à cette fonction de résoudre un litige. Le juge procéderait d’une autre manière pour résoudre un même litige, mais je ne vois pas d’opposition entre les missions des juges et celles des conciliateurs ; la place largement prédominante aujourd’hui étant celle du juge.
RJSP : Existe-il des garde-fous particuliers pour veiller à la confidentialité des procédures de conciliation ? PLN : Le sujet de la relation entre le juge et le conciliateur est très important. Dès lors que les parties acceptent le recours à la conciliation, le juge procède à la nomination d’un conciliateur. Une totale opacité se met dès lors en place entre le juge et le conciliateur nommé. Aucun échange n’est permis entre eux. La confidentialité des procédures de conciliation est essentielle en cas d’échec de celles-ci. En effet, dès lors que la procédure de conciliation n’aboutit pas à un accord, l’affaire est renvoyée devant le premier juge. Il est impératif que celui-ci n’ait pas connaissance des échanges entre les parties et le conciliateur. Si cette opacité n’était pas garantie, personne n’oserait parler au moment de la conciliation car en cas d’échec le juge disposerait d’informations qu’il n’a pas à connaître. Il est également possible que le juge lui-même essaye de concilier les parties. Si cette conciliation n’aboutit pas, l’affaire devra revenir à un autre juge. Le premier juge aura en effet eu des informations en qualité de conciliateur qu’il ne peut en aucun cas utiliser comme juge de jugement.
RJSP : La multiplication des modes alternatifs de règlement des différends, qui ont notamment permis de rendre la justice plus « adaptable » à des litiges divers, n’a-t-elle pas conduit, dans une certaine mesure, à une diversification et une complexification des procédures, rendant celles-ci moins lisibles et donc moins accessibles ? PLN : Je ne crois pas à cela parce que la conciliation est un langage plus simple que celui de la justice, en ce qu’il consiste à rechercher une entente entre les parties. Le langage de la justice elle-même est plus compliqué parce qu’il est beaucoup plus formel. L’idée du respect absolu du contradictoire, de l’échange des écritures, des audiences où un tel, puis un autre dépose ses conclusions, tout cela est régi par des textes extrêmement précis. Toute cette technique judiciaire peut étonner les non-initiés. Donc, c’est plutôt la justice qui est difficile à comprendre dans sa façon de procéder. En même temps, cette façon de procéder est extrêmement utile parce qu’elle garantit la sacro-sainte règle du contradictoire. Cela vient garantir que le jour où les parties se retrouveront devant le juge, chacune d’elles aura connaissance des arguments de l’autre partie et pourra les discuter devant le juge, ce qui est essentiel. Par conséquent, je ne considère pas que l’ajout de la phase de conciliation trouble beaucoup la procédure. Ce que je trouve plus troublant est lorsque la conciliation constitue un préalable obligatoire avant d’accéder au juge.
RJSP : La répartition des rôles entre le juge et le conciliateur a conduit Chantal Arens, alors première Présidente de la Cour d’appel de Paris et désormais première Présidente de la Cour de cassation depuis juillet 2019, à déclarer dans un entretien en 2016 au Journal Spécial des Sociétés que « pour éviter une communautarisation ou une privatisation de la justice par l’instrumentalisation de[s] modes amiables de résolution des différends » que sont la médiation et la conciliation, le juge « qui est le gardien des libertés individuelles et garant des libertés doit rester au centre du dispositif » de mise en œuvre de ces modes alternatifs de règlement des différends. 1 Partagez-vous cette position et pensez-vous qu’elle soit pareillement applicable aux juges des Tribunaux de commerce ? PLN : Je perçois mal l’idée d’opposer les juges et les conciliateurs. La majeure partie des conflits se règle toujours devant le juge. Au Tribunal de commerce de Paris par exemple, entre 80 et 90% des litiges se règlent devant le juge. Je n’ai dès lors pas le sentiment que le conciliateur soit aujourd’hui un concurrent du juge. La conciliation concerne un certain type d’affaires propres à certaines parties ou relevant d’enjeux plutôt peu importants. Je ne perçois pas cette idée de privatisation de la justice dans la cadre du développement des procédures de conciliations. Je ne sais d’ailleurs pas s’il serait exact de parler de privatisation car, au sein des Tribunaux de commerce, les conciliateurs de justice sont nommés par une ordonnance. Il ne s’agit ici pas de personnes ayant créé leur structure et proposant leurs services. Il s’agit de personnes nommées par l’autorité judiciaire et ainsi que je l’ai dit, intervenant gratuitement. 1. « Entretien avec Chantal Arens », Journal Spécial des Sociétés, n° 85, Novembre 2016, p. 13.
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RJSP : Nous souhaitons aussi vous interroger sur une autre forme de conciliation, qui est celle destinée à prévenir les risques d’insolvabilité des entreprises. À cet égard, afin d’éviter un engorgement des Tribunaux de commerce dû à une multiplication de liquidations dues aux suite de l’épidémie de Covid-19, le Garde des sceaux, Éric Dupond-Moretti, a lancé en septembre dernier une mission de trois mois pour faire « évoluer les pratiques actuelles afin d’améliorer l’utilisation des dispositifs en vigueur » 2. Cette mission vise notamment à mettre en lumière les mécanismes d’aide aux sociétés existant en amont de la procédure collective, parmi lesquels se trouve la procédure de conciliation. Quelles sont les raisons, selon vous, qui expliquent que les entreprises en difficulté ne recourent pas fréquemment à la conciliation ? Cela pourrait-il s’expliquer par un manque d’information des dirigeants de sociétés quant à ces procédures, par une peur du système judiciaire, ou pour d’autres raisons ? PLN : Globalement, pour toutes ces raisons. La sollicitation du Tribunal de commerce en vue d’une conciliation ou d’un mandat ad hoc est un mouvement qui vient du chef d’entreprise. Contrairement à la procédure de cessation de paiements d’une entreprise par exemple, il n’y a pas ici d’obligation de se présenter devant le juge, sous peine d’engager sa responsabilité. Quand le chef d’entreprise vient au Tribunal de commerce pour solliciter une procédure amiable, cela implique que le chef d’entreprise a conscience des difficultés 2. Lettre de mission citée dans « Une mission de trois mois pour améliorer l’accompagnement des entreprises en difficulté », Le Monde, 10 septembre 2020.
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traversées par son entreprise et qu’il vient donc devant le juge dans la perspective de surmonter ces difficultés. Il y a effectivement une peur de la justice car le mot « Tribunal » est en soi évocateur de certaines images qui ne sont pas très engageantes. Cela étant, le Tribunal de commerce est exclusivement composé d’anciens chefs d’entreprise ou de personnes qui ont travaillé dans des entreprises. Ils n’ont aucune hostilité vis-à-vis des chefs d’entreprise car ils se rendent bien compte – parce qu’ils l’ont vécu eux-mêmes – que la vie des affaires peut quelque fois présenter des difficultés et, qu’en conséquence, il n’y a pas de honte pour les entrepreneurs à se présenter devant le Tribunal de commerce. Accessoirement, il y en a encore moins en ce moment parce que les entrepreneurs qui connaissent actuellement des problèmes les connaissent pour des raisons qui malheureusement les dépassent et pour lesquelles il est assez difficile de dire qu’ils n’avaient rien prévu. J’espère qu’une parole commence à porter pour dire que le Tribunal de commerce est aussi un endroit où les chefs d’entreprise peuvent être protégés. Par exemple, le recours au Tribunal de commerce peut aujourd’hui permettre d’interrompre les procédures de recouvrement des créances. Si les procédures de conciliation ne sont pas assez connues, c’est d’abord pour une raison objective : ces procédures sont confidentielles en vertu de l’article L.611-15 du Code de commerce. Par définition, si on ne parle pas de ces procédures, elles ne sont pas connues. La deuxième raison tient au fait que les grandes entreprises ont des équipes pour établir des projections ; elles ont des directeurs financiers, des conseils, font des business plans. Concernant les petites entreprises, elles ont un commissaire aux comptes – de plus en plus d’ailleurs, elles n’en ont pas du fait du redressement des seuils d’obligation de désignation – et un expert-comptable. Les experts-comptables ne sont pas assez formés à ces procédures amiables et n’en connaissent donc pas forcément l’existence. C’est pourquoi ils ne sont pas toujours capables de dire aux chefs d’entreprise qu’il faudrait aller au Tribunal de commerce pour solliciter une conciliation ou un mandat ad’hoc. La troisième raison réside dans le fait que ces procédures sont payantes. Quand vous rentrez en conciliation, cela veut dire que vous demandez la nomination d’un conciliateur ou d’un mandataire ad hoc qu’il va falloir payer. Des frais peuvent également s’ajouter car il y a des conciliations ou des mandats ad hoc qui sont extrêmement compliquées à gérer, notamment lorsque des entreprises ont des intérêts non seulement en France, mais aussi par exemple aux États-Unis. Il faut alors jongler entre les deux législations car la conciliation représente un cas de défaut pour les juridictions américaines, ce qui a pour conséquence, si rien n’est fait que toutes les créances de l’entreprise deviennent exigibles. Cela suppose alors que le conciliateur intente une action devant les juridictions américaines pour faire reconnaître la procédure de conciliation et qu’il ne s’agit pas d’un cas de défaut. En outre, les banques peuvent demander à connaître l’état exact des comptes de la société, ce qui peut nécessiter que l’entreprise fasse appel à un cabinet tiers pour expertiser les comptes, rajoutant ainsi des frais. RJSP : Avez-vous constaté cette année un recul du nombre de procédures amiables devant le Tribunal de commerce de Paris en raison de la crise sanitaire ? PLN : Au terme de 2020, alors que les procédures collectives – sauvegardes, redressements et liquidations – devant le Tribunal de commerce de Paris ont connu une diminution, de 26 à 40% par rapport à l’année 2019, les procédures amiables ne sont pas en recul. À la fin de l’année, elles sont au même niveau qu’en 2019. En 2020, le Tribunal de commerce de
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Paris avait ouvert 282 procédures amiables, conciliations et mandats ad hoc réunis, avec une prédominance des conciliations. À titre de comparaison, lors de l’année 2019, la juridiction en avait ouvert 281. Un autre aspect est intéressant dans ces chiffres. Il ne faut pas regarder seulement le nombre de procédures, il faut regarder aussi le nombre de salariés des entreprises qui ont recours à ces procédures amiables. Dans tous les cas, procédures collectives ou procédures amiables, le nombre moyen de salariés par dossier a ainsi beaucoup augmenté. Dans le cas des procédures collectives, moins de procédures sont ouvertes, mais unitairement les dossiers impliquent plus de salariés. Cette tendance est particulièrement vraie pour les procédures amiables. En 2019, le nombre moyen de salariés par dossier était de 115, cette année il est de 297. RJSP : Comment expliquez-vous cette forte croissance du nombre moyen de salariés par dossier dans le cadre des procédures amiables devant le Tribunal de commerce de Paris ? PLN : Cette explosion du nombre moyen de salariés par procédure s’explique parce que de très gros dossiers ont été ouverts, impliquant des entreprises comptant des dizaines de milliers de salariés. Cela s’explique par les difficultés économiques engendrées par la crise sanitaire. Cela se vérifie aussi pour les sauvegardes, les redressements et même pour les liquidations. En moyenne, pour les liquidations, il s’agit d’un salarié par dossier. Entre 2019 et 2020, on est passés de 1 à 1,7 salarié par dossier, ce qui implique, même si ces chiffres restent modestes, une augmentation de 70%. RJSP : Quelles sont les autres tendances relatives aux procédures de conciliation que vous avez pu observer récemment au Tribunal de commerce de Paris ? PLN : Nous pouvons observer que de plus en plus d’Entreprises de taille intermédiaire (ETI) et Petites et Moyennes Entreprises (PME) recourent aux procédures de conciliation. Ce sont des entreprises d’une cinquantaine de salariés. Sur 2,35 millions d’entreprises en France, seules 27.500 ont 50 salariés et plus. Avant, on ne voyait pas trop cette catégorie de sociétés recourir aux procédures de conciliation. Désormais, on commence à les rencontrer, précisément parce que la culture de la conciliation commence à irriguer le monde de l’entreprise. Les chefs d’entreprise connaissent davantage ces procédures et viennent plus souvent au Tribunal de commerce en cas de difficultés. RJSP : Quelles sont, selon vous, les évolutions que devraient suivre les procédures de conciliation afin d’être encore plus effectives ? Jusqu’à quel point ces évolutions et l’intégration de modalités nouvelles aux procédures de conciliation peuvent-elles aller sans que le risque ne soit pris de dénaturer ces procédures ? PLN : Il y a effectivement un risque de dénaturation. Ces procédures amiables doivent rester autant que possible relativement simples et lisibles. Il y a certains textes dont on dit qu’il faut en approcher le stylo avec les mains tremblantes. Pour moi, il en va ainsi de la prévention. Aujourd’hui, c’est un système qui marche. Il n’est pas encore assez développé, mais on sent que les évolutions tendent à aller dans la bonne direction. C’est un dispositif auquel les professionnels de justice, les administrateurs, les conseils, les mandataires et les juges se sont acclimatés, mais c’est un équilibre fragile. Les créanciers viennent aujourd’hui en conciliation parce qu’ils savent bien que c’est une procédure amiable. Personne ne peut les obliger à accepter quoi que ce soit. Il faut rester dans cette idée-là, parce que sinon on sortirait de l’efficacité propre à l’amiable pour aller vers un système plus contraignant qui ne pourrait pas être attractif sur la durée.ê
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Le secret dans la justice privée Gaëlle LE QUILLEC, Avocat au barreaux de Paris et New York, Associée du Département Contentieux et Arbitrage International du bureau parisien d’Eversheds Sutherland
1 - La justice privée désigne les procédures par lesquelles les parties choisissent de régler leurs différends en dehors de tout recours aux tribunaux étatiques, au nombre desquelles figure l’arbitrage. En recourant à l’arbitrage, les parties s’accordent en effet pour soumettre la résolution de leurs litiges à une ou plusieurs personnes privées – les arbitres. C’est à l’arbitrage, et plus particulièrement à l’arbitrage international, que nous consacrerons les développements ci-dessous. La justice privée avait jusqu’à présent le mérite de recueillir un consensus : « il est de la nature même de la procédure d’arbitrage d’assurer la meilleure discrétion pour le règlement des différends d’ordre privé ainsi que les deux parties en étaient convenues » 1. En ce sens, elle s’oppose à la justice étatique soumise en France au principe de la publicité des débats et jugements en vertu du code de procédure civile français 2 et de la Convention européenne des droits de l’Homme 3. Assumé, revendiqué, ce caractère secret de l’arbitrage serait l’une des principales raisons pour lesquelles les opérateurs du commerce international se seraient détournés des tribunaux étatiques au profit des tribunaux arbitraux 4. De l’existence même de l’arbitrage à la sentence arbitrale en passant par la procédure, les documents échangés à son occasion et l’audience arbitrale, tout dans l’arbitrage est susceptible de rester à l’abri des regards. En ce sens, les secrets dévoilés à l’occasion de l’arbitrage bénéficient d’une protection accrue, protection essentielle aux yeux des parties. Et pour cause, la procédure arbitrale peut se vouloir plus intrusive que celle applicable devant les tribunaux étatiques. La phase de production des documents est susceptible de conduire les parties à devoir dévoiler des secrets qu’elles préféraient garder pour elles. L’arbitrage n’ignorant par ailleurs pas les dossiers sensibles, il pourrait vouloir découvrir des secrets légalement protégés tels que les documents classés secret-défense. La confidentialité de l’arbitrage en deviendrait d’autant plus nécessaire. Pourtant, les secrets dans la justice privée sont-ils réellement bien conservés ? À partir d’une perspective essentiellement française, nous reviendrons dans un premier temps sur la consécration, non sans équivoque, du caractère secret de l’arbitrage (1). Nous envisagerons ensuite ses limites, toujours plus croissantes (2). La fragilité du secret de la justice privée ainsi révélée rendra nécessaire, dans un troisième temps, de s’interroger sur la mesure dans 1. 2. 3. 4.
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CA Paris, 18 février 1986, Aïta c/ Ojjeh, Revue de l’Arbitrage, 1986, p. 583. C. pr. Civ., art. 22 et 450. Convention européenne des droits de l’Homme, art. 6(1). E. Loquin, “ La dualité du régime de la responsabilité de l’arbitre ”, La Semaine Juridique Edition Générale, n° 8, 24 février 2014, para. 18 ; C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Montchrestien – Lextenso Editions, 2013, para. 49.
laquelle l’arbitrage s’immisce dans les secrets légalement protégés, susceptibles d’être révélés lorsque le secret de l’arbitrage tombe (3).
1. La consécration équivoque du secret de la justice privée 2 - Tant les acteurs que les détracteurs de la justice privée s’accordent sur un point : la justice privée est, par essence, secrète. Pourtant, ce caractère secret est rarement affirmé de manière générale et univoque 5. Le droit français illustre cette consécration équivoque du secret de l’arbitrage et ce, malgré la réforme du droit de l’arbitrage intervenue en 2011. Ainsi, si le secret des délibérations semble désormais bien ancré en droit français (a), le caractère confidentiel de la procédure arbitrale reste encore débattu (b).
A. - Le secret des délibérations 3 - Le secret des délibérations du Tribunal arbitral est fondamental en droit français de l’arbitrage 6. Concrètement, cela signifie que, d’une part, seuls les membres du Tribunal arbitral participent aux délibérations 7 et, d’autre part, les membres du Tribunal arbitral ne peuvent révéler le contenu des délibérations aux parties ou à tout autre tiers. Le secret des délibérations découle de la nature juridictionnelle de l’arbitrage. Plusieurs raisons impérieuses justifient sa consécration. Ainsi, en ce qu’il empêche de dévoiler les hésitations ou divergences au sein du Tribunal arbitral, il renforce l’autorité morale de la sentence. Pour ces mêmes raisons, le secret préserve l’indépendance d’esprit et la liberté de décision des arbitres, placés à l’abri de tout reproche. Enfin, il renforce l’égalité des parties en assurant qu’aucune d’entre elles ne puisse accéder à des informations privilégiées lui permettant d’anticiper le délibéré. Il est peu surprenant que le secret des délibérations soit ainsi consacré par le droit français. Il s’applique ainsi sans distinction à l’arbitrage interne tout autant qu’à l’arbitrage international. Il est d’ordre public et ne peut par conséquent être écarté par les parties ou le Tribunal arbitral 8. La violation du secret des délibérations est passible de sanctions en vertu du droit français. D’une part, son auteur est suscep5. Y. Strickler, Art. 2059 à 2061 – Fasc. 30, in JurisClasseur Code civil, Lexis360, 18 octobre 2017, para. 34 ; C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Montchrestien – Lextenso Editions, 2013, para. 49. 6. C. pr. civ., art. 1479. 7. CA Bordeaux, 14 janvier 1993, Revue de l’Arbitrage, 1993, p. 682. 8. C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Montchrestien – Lextenso Editions, 2013, para. 428.
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tible d’engager sa responsabilité civile. D’autre part, si ce dernier est soumis au secret professionnel, il peut également engager sa responsabilité pénale 9. En revanche, la violation du secret des délibérations n’est pas en soi une cause d’annulation de la sentence 10. Nous pouvons néanmoins imaginer qu’une sentence arbitrale puisse être annulée pour non-respect du principe de la contradiction 11 résultant de la violation du secret des délibérations. Le caractère essentiel du secret des délibérations ne prive pas le juge français de faire preuve d’une certaine souplesse. Ainsi, un arbitre peut valablement refuser de signer la sentence 12. Les opinions dissidentes sont également admises en matière d’arbitrage international 13, bien qu’elles soient susceptibles d’éclairer sur l’avis du Tribunal arbitral et de porter atteinte à l’autorité de la sentence. Par ailleurs, le juge français admet qu’une institution d’arbitrage puisse procéder au contrôle préalable de la sentence avant sa publication dès lors que l’institution arbitrale n’intervient qu’après délibération du Tribunal arbitral et ne s’arroge pas d’un pouvoir juridictionnel 14. Cette souplesse du droit français est d’autant plus criante en ce qui concerne la confidentialité de la procédure arbitrale.
B. - La confidentialité de la procédure arbitrale 4 - La confidentialité de la procédure arbitrale n’a pas toujours été fermement ancrée en droit français. Ce n’est en effet qu’en 1986 que la cour d’appel de Paris a affirmé qu’« il est de la nature même de la procédure d’arbitrage d’assurer la meilleure discrétion pour le règlement des différends d’ordre privé ainsi que les deux parties en étaient convenues » 15. Cette solution a néanmoins été remise en cause par cette même cour en 2004 16. C’était sans compter sur le législateur français qui, par sa réforme du droit de l’arbitrage en 2011, a consacré sans équivoque que « la procédure arbitrale est soumise au principe de confidentialité » 17. Cette disposition impose ainsi aux destinataires – en l’espèce les acteurs impliqués dans l’arbitrage – d’une information – en l’espèce la procédure d’arbitrage et toutes les informations divulguées à son occasion – de ne pas la révéler à autrui 18. Bien que consacrée, cette confidentialité n’est pas absolue. Ainsi, elle s’applique « [s]ous réserve des obligations légales et à moins que les parties n’en disposent autrement » 19. Contrairement au secret des délibérations, la confidentialité de l’arbitrage n’est pas d’ordre public. 9. C. pén., article 226-13. 10. CA Paris, 1re civ., 9 octobre 2008, Société Merial S.A.S. c/ Klocke Verpackungs – Service GMBH, Revue de l’Arbitrage, 2009, p. 352 : « le secret du délibéré [...] n’est pas plus une cause d’annulation de la sentence en droit international qu’en droit interne ». 11. C. pr. civ., art. 1520 4°. 12. C. pr. civ., art. 1480 al. 3 (applicable à l’arbitrage interne) et art. 1513 al. 2 (applicable à l’arbitrage international). 13. CA Paris, 9 octobre 1998, Revue de l’Arbitrage, 2008, p. 843 : « le secret du délibéré, qui n’est pas plus une cause de nullité de la sentence en droit international qu’en droit interne, ne fait [...] pas obstacle à l’expression d’opinions dissidentes séparées ». 14. Cass. 1re civ., 20 février 2001, Revue de l’Arbitrage, 2001, p. 511 : le règlement « assurait la distinction entre la fonction d’organisation de l’arbitrage [...] et la fonction juridictionnelle, laissée aux arbitres, [l’institution arbitrale] n’ayant aucun pouvoir juridictionnel ; [...] la communication du projet de sentence à [l’institution arbitrale] n’emportait aucune ingérence dans la mission juridictionnelle de l’arbitre ». 15. CA Paris, 18 février 1986, Aïta c/ Ojjeh, Revue de l’Arbitrage, 1986, p. 583. 16. CA Paris, 22 janvier 2004, Revue de l’Arbitrage, 2004, p. 647. 17. C. pr. civ., art. 1464 al. 4. 18. T. Debard et S. Guinchard, Lexique des termes juridiques 2020-2021, Dalloz, 2020, p. 242. 19. C. pr. civ., art. 1464 al. 4.
Qui plus est, si cette disposition est applicable en matière d’arbitrage interne, elle n’a pas été étendue à l’arbitrage international. Ce choix du législateur est source de vifs débats 20. La confidentialité de l’arbitrage international doit-elle être écartée, sauf volonté contraire des parties ? Ou cette confidentialité s’impose-t-elle, malgré le silence du droit français, en tant que principe inhérent à l’arbitrage ? Par sécurité, les parties seraient avisées de prévoir expressément la confidentialité de leur arbitrage afin de dissuader tout acteur de l’arbitrage de divulguer des éléments qu’elles ne souhaiteraient pas voir exposées sur la place publique. La violation de la confidentialité de la procédure arbitrale est sanctionnée et ce, de la même manière que la violation du secret des délibérations 21. En revanche, à l’instar de cette dernière, le non-respect de la confidentialité ne constitue pas une cause d’annulation de la sentence 22. Les limites au secret de l’arbitrage ci-dessus énoncées sont d’autant plus accrues par de nouvelles considérations évoquées ci-après.
2. Les limites croissantes au secret de la justice privée 5 - L’arbitrage n’est pas un système en vase clos. D’abord, des difficultés peuvent émerger au cours de la procédure rendant nécessaire le recours aux tribunaux étatiques et plus spécifiquement au juge d’appui. En second lieu, la sentence arbitrale ne peut être exécutée sans avoir recours au juge. Ainsi, l’existence, et parfois dans une certaine mesure le contenu, de l’arbitrage peuvent être révélés à l’occasion de ces procédures para– ou post-arbitrales initiées devant les tribunaux étatiques. A ces difficultés traditionnelles s’ajoute l’émergence de nouvelles limites au secret de la justice privée. D’une part, les appels toujours plus nombreux à la transparence menacent de transformer le principe de la confidentialité en exception (a). D’autre part, l’apparition de nouveaux acteurs et de nouvelles technologies sont autant de dangers potentiels pour le secret de l’arbitrage (b).
A. - La transparence 6 - L’arbitrage est en proie à une demande toujours plus pressante de transparence émanant des tiers à l’arbitrage mais aussi parfois de ses acteurs. L’exigence de transparence est particulièrement forte en matière d’arbitrage d’investissement en raison des enjeux en cause. Tel est moins le cas en ce qui concerne l’arbitrage commercial. Nous l’avons vu, les acteurs du commerce international se tournent vers l’arbitrage pour maintenir leurs différends secrets et, de manière plus générale, protéger les secrets susceptibles d’être dévoilés à cette occasion. Imposer une plus grande transparence de l’arbitrage porterait atteinte à ces attentes. Pourtant, l’exigence de transparence semble s’étendre de manière exponentielle à l’arbitrage commercial. La légitimité de 20. C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Montchrestien – Lextenso Editions, 2013, para. 789. 21. CA Paris, 18 février 1986, Aïta c/ Ojjeh, Revue de l’Arbitrage, 1986, p. 583 ; TC Paris, 22 février 1999 : « l’arbitrage, étant une procédure privée à caractère confidentiel, la voie de l’arbitrage, acceptée par les parties, doit éviter toute publicité du litige qui les oppose et de ses éventuelles conséquences et que, sous réserve d’une obligation légale d’information, tout manquement à cette confidentialité par l’une des parties à la procédure d’arbitrage est fautive ». 22. CA Paris, 28 mai 2019, n° 17/03659 : « la violation éventuelle de l’engagement de confidentialité souscrite au moment de l’arbitrage n’est pas une cause d’annulation de la sentence ».
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l’arbitrage serait en effet renforcée par sa transparence. La publication des sentences arbitrales, en ce qu’elle permettrait de recourir plus aisément aux précédents, améliorerait par ailleurs la sécurité juridique – qui, il est vrai, fait encore défaut. Aussi, la confidentialité, souvent perçue comme suspecte, perd de plus en plus de terrain. Nous l’avons vu, la loi française ne consacre pas la confidentialité de la procédure en matière d’arbitrage international. De manière analogue, la Chambre de commerce internationale (CCI) a choisi d’opter pour la publication de diverses informations relatives à l’arbitrage et des sentences arbitrales, sauf accord contraire des parties 23. Le secret de la justice privée doit en tout état de cause céder devant d’autres impératifs, au premier rang desquels figurent les obligations légales de transparence financière 24. Les sociétés cotées sont tenues d’une obligation d’information. Dès lors qu’une information financière est pertinente pour le marché – auquel la société fait appel pour son financement –, elle doit faire l’objet d’une publication 25. Nul doute à cet égard qu’un arbitrage, susceptible de peser de manière significative sur les deniers des parties, est pertinent pour le marché. A ce titre, les sociétés susvisées devraient indiquer « toute procédure gouvernementale, judiciaire ou d’arbitrage (y compris toute procédure dont l’émetteur a connaissance, qui est en suspens ou dont il est menacé) qui pourrait avoir ou a eu récemment des effets significatifs sur la situation financière ou la rentabilité de l’émetteur et/ou du groupe » 26. Face à ces exigences, la confidentialité de l’arbitrage devient secondaire. Les sociétés concernées seront par ailleurs d’autant plus tentées de publier ces informations que la violation des obligations de transparence financière fait l’objet de lourdes sanctions 27. Le juge français n’est pas sans l’ignorer. Aussi, s’il interdit de « fournir au public des informations sur l’existence, le contenu et l’objet du différend [...] soumis à l’arbitrage », c’est « sous réserve des obligations légales d’information dûment démontrées auxquelles seraient soumises ces sociétés » 28. Cela ne signifie pour autant pas que la confidentialité cède totalement. Afin de ne pas complètement altérer cette dernière, les sociétés concernées doivent en effet se cantonner à publier les informations strictement nécessaires pour le marché 29.
B. - Les nouveaux acteurs et technologies 7 - Le secret de la justice privée, en particulier de l’arbitrage, pourrait se trouver menacé par l’apparition de nouveaux acteurs et de nouvelles technologies. En premier lieu, l’arbitrage et les secrets divulgués à son occasion ne sont pas seulement dévoilés aux acteurs traditionnels de l’arbitrage, mais tendent également à se révéler à un nombre d’autres intervenants, au premier rang desquels figure le tiers financeur. Le tiers financement consiste, de manière simplifiée, en une opération par laquelle une entité tierce à l’arbitrage finance, de manière directe ou indirecte, en partie ou en totalité, le coût de 23. CCI, Note aux parties et aux tribunaux arbitraux sur la conduite de l’arbitrage selon le Règlement d’arbitrage CCI, 1er janvier 2019, parties III-C et III-D. 24. C. mon. fin., art. L. 451-1-1 et suivants. 25. F. Fages, “ La confidentialité de l’arbitrage à l’épreuve de la transparence financière ”, Revue de l’Arbitrage, 2003, p. 29, para. 39. 26. Autorité des marchés financiers, Guide d’élaboration des documents de référence adapté aux valeurs moyennes, 2 décembre 2014, para. 20.8. 27. C. mon. Fin., articles L. 465-1 et suivants ; F. Fages, La confidentialité de l’arbitrage à l’épreuve de la transparence financière, Revue de l’Arbitrage, 2003, p. 25, para. 31. 28. TC Paris (Ord. réf.), 22 février 1999, Bleustein et autres c/ Société True North et Société FCB International, Revue d’arbitrage, 2003. 29. F. Fages, “ La confidentialité de l’arbitrage à l’épreuve de la transparence financière ”, Revue de l’Arbitrage, 2003, p. 29, para. 40.
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la procédure arbitrale subi par l’une des parties à l’arbitrage, généralement en contrepartie d’un pourcentage sur les dommages-intérêts octroyés. Afin de s’engager dans une telle opération financière, le tiers financeur a nécessairement besoin d’obtenir un maximum d’informations sur la procédure arbitrale en cause. Cette exigence soulève plusieurs difficultés eu égard au secret de l’arbitrage. L’avocat, soumis au secret professionnel, ne peut directement transmettre les informations susvisées. Dans le même temps, la partie souhaitant obtenir un financement a tout intérêt à transmettre un maximum d’informations, faute de quoi elle s’expose au rejet de son dossier. Une fois cet accord obtenu, le tiers financeur pourrait se trouver particulièrement impliqué dans la procédure, lui donnant ainsi toujours plus d’accès aux informations dévoilées à l’occasion de l’arbitrage. Pour résoudre ces difficultés, il sera nécessaire de soumettre le tiers financeur à un strict accord de confidentialité. La confidentialité de l’arbitrage et ses secrets sont par ailleurs menacés par le développement de nouvelles technologies. L’arbitrage, en particulier l’arbitrage international, embrasse pleinement ces nouvelles technologies. L’essentiel de la procédure est en effet désormais dématérialisé. La crise épidémique du Covid-19 a également montré que les audiences pouvaient être tenues de manière virtuelle. Le risque de fuite d’informations ou encore de piratage s’accroît néanmoins de manière corrélée. Pleinement conscient de ces difficultés, le monde de l’arbitrage semble toutefois peiner à trouver – ou du moins adopter – des remèdes pour protéger le secret de cette justice privée. Le droit français, tout comme l’écrasante majorité des droits nationaux, est en effet silencieux en la matière : il ne prévoit aucune disposition spécifique à la protection des données traitées à l’occasion d’un arbitrage. Le droit national n’est pour autant pas dépourvu d’intérêt. En France, le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) est l’instrument maître en matière de protection des données personnelles. Doit-il cependant être appliqué par le Tribunal arbitral ? Rien n’est moins sûr. Un Tribunal arbitral s’est prononcé sur la question, écartant le Règlement au motif que l’arbitrage – en l’espèce initié sur le fondement d’un traité – n’entrait pas dans son champ matériel 30. Même s’il ne s’estime pas contraint par les législations nationales, rien n’empêche néanmoins un Tribunal arbitral d’adopter des règles permettant d’assurer la protection des données personnelles. Certains règlements d’institutions arbitrales prévoient ainsi que les tribunaux arbitraux devraient, dès le début de l’arbitrage, apprécier l’opportunité d’adopter des mesures assurant la protection des données personnelles 31. Plusieurs instruments de soft law peuvent venir utilement en aide au Tribunal arbitral, notamment les IBA Cybersecurity Guidelines et le Protocol on Cybsecurity in International Arbitration. Rien n’oblige néanmoins un Tribunal arbitral à recourir à de telles règles et, plus largement, à s’assurer de protéger les données personnelles des parties. La protection des données personnelles traitées à l’occasion de l’arbitrage, et par conséquent la confidentialité de l’arbitrage, sont ainsi mises à rude épreuve par les nouvelles technologies. L’arbitrage peine encore malheureusement à se saisir de cette question. 30. Tennant Energy LLC c/ Government of Canada, Affaire CPA n° 2018-54, Communication du Tribunal aux Parties, 24 juin 2019 : « On the potential application of the General Data Protection Regulation 2016/679 (« GDPR ») to this arbitration, having carefully considered Parties’ submissions on this issue, the Tribunal finds that an arbitration under NAFTA Chapter 11, a treaty to which neither the European Union nor its Member States are party, does not, presumptively, come within the material scope of the GDPR. » 31. LCIA, LCIA Arbitration Rules, 2020, art. 30A, 30.5.
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3. Le respect du secret légalement protégé par la justice privée 8 - Le secret de la justice privée est fragile. Pourtant, le secret de l’arbitrage apparaît essentiel. Cela est d’autant plus vrai que l’arbitrage peut se vouloir particulièrement intrusif, en particulier à l’occasion de la phase de production de documents. Cette procédure, inspirée de la procédure de discovery, est l’un des éléments caractéristiques de l’arbitrage. Elle consiste, pour le Tribunal arbitral, à ordonner à chacune des parties la production de documents sollicités par l’autre partie qui pourraient s’avérer utile à la résolution du différend, sous réserve que certaines conditions soient remplies. Cette procédure est reconnue par le droit français 32. Ces documents sont parfois susceptibles de contenir des éléments couverts par des secrets. Comment l’arbitrage articulet-il la protection de ces secrets avec la phase de production de documents, tout en ayant à l’esprit la fragilité du caractère secret de l’arbitrage ? Le droit français est silencieux en la matière. Les parties ne sont pas pour autant dépourvues de moyens de résister à la production de documents couverts par un secret, qu’il s’agisse du secret professionnel (a) ou du secret-défense (b).
A. - Le secret professionnel 9 - Le secret professionnel est une « [o]bligation, dont le respect est sanctionné par la loi pénale, imposant à certains professionnels de taire les informations, à caractère secret, dont ils sont dépositaires, soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire » 33. En droit français, la violation du secret professionnel est ainsi non seulement passible de sanctions disciplinaires, mais également de sanctions pénales 34. L’avocat est soumis au secret professionnel 35. Ce secret a une fonction essentielle : il vise à garantir un exercice effectif des droits de la défense, notamment en assurant la confiance légitime du client en son avocat en qui il peut se livrer pleinement afin de pouvoir bénéficier de ses conseils 36. Cela justifie que le secret professionnel soit d’ordre public, général, absolu et illimité dans le temps 37. L’aval du client ne délie jamais l’avocat du secret professionnel 38. En application de ces règles, un avocat ne peut être contraint de produire des documents couverts par le secret professionnel dans le cadre d’un arbitrage. Cette règle vaut aussi pour les informations recueillies par l’avocat. Le juge français reconnaît, y compris en matière d’arbitrage, la prohibition faite à l’avocat de transmettre aux parties des informations couvertes par le secret professionnel, y compris « des informations sur les dossiers de ses autres clients » 39. Dans quelle mesure ces règles sont-elles néanmoins appliquées par les tribunaux arbitraux ? 32. C. pr. civ., art. 1467 al. 3. 33. T. Debard et S. Guinchard, Lexique des termes juridiques 2020-2021, Dalloz, 2020, p. 966. 34. C. pén., art. 226-13. 35. Loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, art. 66-5 al. 1. 36. J.-C. Jaïs, C. Cavicchioli, A. de Mazières, “ La confidentialité des correspondances internationales des avocats et juristes en entreprise – la question du droit applicable ”, Journal du droit international (Clunet), n° 4, octobre 2020. 37. Conseil national des barreaux, Règlement Intérieur National de la profession d’avocat, version consolidée au 30 novembre 2020, art. 2.1. 38. Cass. 1re civ., 6 avril 2004, n° 00-19.245. 39. Cass. 1re civ., 20 mars 2013, n° 12-18.238.
Le droit français de l’arbitrage est silencieux en la matière. En pratique, les parties à un arbitrage international tendent à recourir aux Règles de l’International Bar Association sur l’administration de la preuve dans l’arbitrage international. Ces Règles prévoient que le Tribunal arbitral peut exclure toute preuve en raison de l’ « existence d’une règle légale de confidentialité, de secret professionnel ou d’éthique (legal privilege) que le Tribunal Arbitral estime applicable » 40. Reste à déterminer les règles « que le Tribunal Arbitral estime applicable ». La doctrine tend à soutenir que le Tribunal arbitral devrait opter pour la loi assurant le plus haut niveau de confidentialité parmi les lois susceptibles d’être appliquées 41. Dans cette optique, le secret professionnel serait pleinement respecté. En tout état de cause, si un Tribunal arbitral venait à appliquer des règles en contrariété avec les exigences du secret professionnel en droit français, les juridictions françaises pourraient être amenées à sanctionner cette pratique sur le terrain de l’ordre public international, en particulier si les droits de la défense en étaient atteints 42. Malgré le manque de clarté en la matière, le secret professionnel semble donc effectivement protégé dans le cadre de l’arbitrage.
B. - Le secret-défense 10 - Les solutions relatives au secret-défense semblent être un peu plus nuancées. L’approche du juge français en la matière a été mise en lumière à l’occasion de l’affaire Ministère yéménite du pétrole et des minerais c/ Société Alkor Petroo Ltd. et autres 43. Le principe est clairement énoncé par la Cour d’appel de Paris : le secret-défense doit être respecté dans le cadre de l’arbitrage 44. Elle considère en effet que les mesures de classification des documents sont des dispositions de police dont le respect est crucial pour la sauvegarde des intérêts publics et de la sécurité nationale. Ce but légitime poursuivi par la classification des documents fait, selon le juge français, l’objet d’un véritable consensus international. Bien qu’elle ne l’affirme pas expressément, la Cour d’appel de Paris semble ainsi ancrer le respect du secretdéfense dans l’ordre public international 45. Pour autant, si le secret-défense doit être respecté, il est susceptible d’entrer en conflit avec d’autres principes. Le juge français apporte à cet égard une limite stricte au respect du secret-défense dans le cadre de l’arbitrage : celui-ci doit être concilié avec le droit au procès équitable, principe directeur du 40. International Bar Association, Règles de l’IBA sur l’administration de la preuve dans l’arbitrage international, 2010, art. 9(2)(b). 41. F. von Schlabrendorff et A. Sheppard, “ Conflict of Legal Privileges in International Arbitration : An Attempt to Find a Holistic Solution ”, in Global Reflections on International Law, Commerce and Dispute Resolution, Liber Amicorum in honour of Robert Briner, 2005, pp. 743 et 770-774 ; J.-C. Jaïs, C. Cavicchioli, A. de Mazières, La confidentialité des correspondances internationales des avocats et juristes en entreprise – la question du droit applicable, Journal du droit international (Clunet), n° 4, octobre 2020. 42. J.-C. Jaïs, C. Cavicchioli, A. de Mazières, “ La confidentialité des correspondances internationales des avocats et juristes en entreprise – la question du droit applicable ”, Journal du droit international (Clunet), n° 4, octobre 2020. 43. CA Paris, 21 mars 2017, n° 15/17234, Ministère yéménite du pétrole et des minerais c/ Société Alkor Petroo Ltd. et autres. 44. CA Paris, 21 mars 2017, n° 15/17234 : « cet État, ses organes, ou encore les personnes assujetties au respect de ces règles pénalement sanctionnées, ne sauraient se trouver en situation de devoir divulguer des informations confidentielles, ou d’être privés des moyens de présenter utilement leur défense ». 45. P. de Vareilles Sommière, Contrôle du juge de l’annulation en cas d’allégation d’une violation du secret-défense et d’une atteinte à l’égalité des armes par renversement de la charge de la preuve, note sous Cour d’appel de Paris, Pôle 1 – Ch 1, 21 mars 2017, Revue de l’Arbitrage, n° 3, 2018 para. 15.
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procès 46. Autrement dit, le Tribunal arbitral peut valablement ajuster l’exigence du respect du secret défense aux exigences du droit au procès équitable. En l’espèce, le Tribunal arbitral avait invité la partie yéménite à décrire les documents et préciser la nature et portée de leur protection. Cette approche était validée par la cour d’appel. Le droit français admet ainsi qu’un Tribunal arbitral puisse adopter une approche flexible du secret invoqué devant lui. 46. CA Paris, 21 mars 2017, n° 15/17234 : « il appartient aux arbitres, sous le contrôle du juge du recours, de veiller à la conciliation de telles dispositions de police avec les principes du procès équitable ».
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Cette approche – bien que souhaitable d’un point de vue des droits de la défense – est néanmoins susceptible de mettre en danger le secret ainsi dévoilé, en particulier eu égard à la fragilité du secret de l’arbitrage déjà évoquée. Aussi, les éléments développés ci-dessus nous amènent à conclure que le secret généralement considéré comme l’atout majeur de la justice privée, en particulier de l’arbitrage, reste fragile et ce, tant en ce qui concerne le secret de l’arbitrage que le secret dans l’arbitrage.ê
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Le name and shame Entretien avec François-Régis BENOIS, Directeur adjoint des Affaires publiques à La Banque Postale
La Revue des Juristes de Sciences Po : Pourriez-vous tout d’abord nous rappeler en quoi consiste la pratique du name and shame et quelle est son origine ? François-Régis Benois : Le name and shame est un procédé d’origine anglo-saxonne qui est apparu en France il y a une dizaine d’années environ, notamment dans le cadre du plan d’urgence pour la prévention du stress au travail lancé par Xavier Darcos qui était alors Ministre du travail. Il s’agissait d’une manière de désigner les entreprises qui attachaient moins d’importance au bien-être de leurs salariés. Cette pratique s’est développée à l’Autorité des marchés financiers (AMF) à partir de 2012. Le sujet des délais de paiement des entreprises est par la suite devenu l’exemple emblématique du name and shame. Il existe au moins deux approches du name and shame. Dans le cadre de cet entretien, je m’attacherai plutôt à parler du name and shame au sens strict, à savoir celui qui procède de la puissance publique et donc du gouvernement, de l’administration ou encore des autorités administratives indépendantes. Le name and shame constitue dès lors une nouvelle manière de sanctionner. Bien sûr, les propos que je tiens ici n’engagent que moi, à titre personnel. Il est néanmoins important de noter que le name and shame est un procédé qui est aussi très répandu dans la société civile. Certaines instances sont particulièrement actives sur ce sujet. Je citerai par exemple les actionnaires dits « activistes », puisque mettre sur la place publique ce qu’ils perçoivent comme des dysfonctionnements fait partie intégrante de leur stratégie lorsqu’ils montent au capital d’une entreprise. Une affaire emblématique a été celle relative à la société Muddy Waters Capital qui a pris le parti de publier une note d’analyse sur la structure financière et d’endettement de Casino. Cette publication, qui est une forme de name and shame, a eu pour effet d’ébranler la société Casino et la perception que nous pouvions en avoir. Les organisations non gouvernementales (ONG) ont également souvent recours au name and shame. Nous avons un exemple éprouvé chaque année dans le secteur bancaire qui est la publication du rapport d’Oxfam. Oxfam est particulièrement active dans le secteur de l’environnement et l’ONG publie chaque année un classement d’établissements bancaires désignés nominativement avec des appréciations sur leurs engagements pour le climat et émissions de CO2. C’est une manière de faire pression sur ces établissements par une stigmatisation publique tout à fait assumée. D’autres associations et ONG, telle que Reclaim Finance, recourent au même procédé avec un angle éventuellement différent. On retrouve dans le name and shame une logique assez analogue à celles des leaks ou encore du whistleblowing, et qui se trouve, quelque part, au croisement des deux. Il s’agit vraiment de jouer sur le levier médiatique au sens propre, c’est-à-dire en mettant en œuvre un facteur de démultiplication de l’effet par le simple fait de publier en désignant. Tout cela a une importance croissante compte tenu de l’actif réputationnel des sociétés aujourd’hui. Les réseaux sociaux, notamment, ont un impact majeur et la vigilance des entre-
prises est dès lors croissante à l’égard de toute menace réputationnelle. Il est important de noter que le name and shame est à distinguer de la non-anonymisation de certaines sanctions. Publier une sanction qui n’est pas anonymisée, comme le fait l’AMF ou encore l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), ce n’est pas exactement du name and shame selon moi. Il s’agit davantage du prolongement possible d’une procédure de sanction qui suit un processus contradictoire et très encadré. Ce type de publication se fait avec une volonté de pédagogie plutôt que de doubler la sanction, l’étendue du potentiel préjudice réputationnel entrant en ligne de compte. RJSP : Dans quelle mesure le name and shame constitue-t-il un outil de régulation de mise en œuvre des obligations légales des entreprises à la disposition des autorités administratives ? FRB : Le name and shame peut revêtir une certaine efficacité dans un environnement de droit souple, ou lorsque la sanction en tant que telle peut être complexe à mettre en œuvre, ou encore s’il y a une absence de réel fondement juridique. On cherche alors à déplacer la sanction du terrain juridictionnel vers le terrain plus médiatique. C’est bien ce qu’a compris l’AMF lorsqu’elle a décidé de recourir au name and shame. Le sujet de la gouvernance d’entreprise relève très largement de la soft law et des codes de gouvernance. Le socle législatif, même s’il s’est étendu au cours de la dernière décennie, reste relativement limité. Une pierre angulaire de ce socle législatif est aujourd’hui le principe « appliquer ou expliquer » (comply or explain) qui est aussi défini par le code Afep-Medef. A mon sens, le name and shame a été conçu comme la contrepartie, ou en tout cas l’élément d’enforcement, au sens anglo-saxon, du comply or explain. L’efficacité du name and shame peut en effet être réelle dès lors qu’on en use avec parcimonie. Il peut cependant être vu comme une solution de facilité et suppose dès lors une vraie discipline pour être crédible. Sa mise en œuvre doit reposer sur une méthodologie claire pour se prémunir de tout soupçon d’une désignation sans fondement ou reposant sur une appréciation critiquable ou subjective. Les critiques portées contre le dernier rapport Oxfam par les banques désignées nominativement sur des sujets environnementaux concernent essentiellement la méthodologie employée. La critique se déplace alors du principe vers la méthode qui sous-tend le name and shame. RJSP : Dans ses rapports annuels, l’AMF a recours à la pratique du name and shame afin de viser nommément les sociétés qui délivrent des informations de gouvernance inexactes. Depuis quand l’AMF fait-elle application du name and shame dans ses rapports annuels et dans quelle mesure le recours à cette pratique a-t-il engendré des changements dans les modalités de délivrance de leurs informations de gouvernance par les sociétés cotées ? FRB : La décision de recourir au name and shame dans les rapports annuels de l’AMF a été prise en 2012. Le sujet a été
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largement débattu par le Collège. L’importance qu’ont pu prendre les discussions à ce sujet s’explique par l’esprit même du name and shame et par la composition du Collège de l’AMF. Le Collège est en effet composé de membres de hautes juridictions ès qualités mais également de représentants de différents métiers de la finance avec chacun leur sensibilité. On peut comprendre aisément les contestations qui ont pu émaner des émetteurs quant à l’approche du name and shame. Il y a notamment eu des débats sur le caractère de sanction que revêtirait ou non le name and shame. On peut, en effet, considérer qu’au sens générique il s’agit bien d’une sanction. En revanche, dans une acception plus juridique, il ne s’agit pas d’une sanction administrative. C’est en tout cas le positionnement de l’AMF. La sanction administrative ou juridictionnelle existe en tant qu’elle est prévue par la loi comme cela est le cas pour la procédure de sanction de l’AMF qui est exposée à l’article L. 621-15 du code monétaire et financier. Cette procédure de sanction a été de plus en plus juridictionnalisée en termes de respect du contradictoire et des droits de la défense, que ce soit au stade de l’enquête puis en formation de jugement. Dans ce cadre, le name and shame n’est pas une sanction au sens juridique. Ce sujet du name and shame, qui a été largement débattu, a par la suite été assumé et s’est pérennisé puisque chaque rapport de l’AMF sur le gouvernement d’entreprise l’a depuis mis en œuvre. La communauté des émetteurs émanant de l’Afep et du Medef, à savoir les deux grandes associations représentatives avec lesquelles l’AMF est toujours en contact régulier, a pu contester cette approche pour finalement l’endosser dans le cadre du Haut comité de gouvernement d’entreprise (HCGE). Le HCGE se réserve ainsi le droit de recourir au name and shame, comme cela a pu être fait en 2017 par la désignation publique d’une dizaine de sociétés. Si le recours à cette pratique a été accepté au fil du temps dans son principe, la contestation a plutôt porté sur la volumétrie et donc sur le nombre de sociétés citées par l’AMF. La mise en œuvre du name and shame implique une certaine procéduralisation, au même titre que l’approche du principe appliquer ou expliquer, désormais pierre angulaire de l’architecture normative assez complexe du gouvernement d’entreprise. En effet, le comply or explain est aujourd’hui ancré dans la loi française, reconnu par la Commission européenne dans ses dispositions relatives au gouvernement d’entreprise, est considéré comme de la soft law ce qui susceptible de modeler des comportements, et le comply or explain comme le name and shame s’inscrivent dans cette définition. Le Conseil d’État, avec sa célèbre jurisprudence Fairvesta, a eu l’occasion de préciser en 2016 la « juridicité » du droit souple et a admis, dans certaines conditions, des recours pour excès de pouvoir à son encontre lorsque sont concernés des actes d’autorités de régulation non-impératifs, mais susceptibles d’être perçus comme tels et de nature à modeler et influencer de manière notable des comportements économiques. L’AMF, lorsqu’elle a une approche stricte du comply or explain et qu’elle recourt au name and shame dans son rapport sur le gouvernement d’entreprise, assume une approche assez rigoureuse de la soft law qui devient dès lors susceptible d’exercer un impact réel sur les comportements. C’est tout à fait l’objet du name and shame que de désigner nominativement pour influer à la fois sur le comportement de la société désignée mais également sur celui des autres sociétés qui pourraient se retrouver dans des situations analogues. Le name and shame présente en ce sens un aspect pédagogique essentiel. Quand je dis que le recours à ces procédés de droit souple était relativement procéduralisé, il ne s’agissait pas, pour l’AMF, de rentrer dans une approche quasi-juridictionnelle ou « scientifique », mais surtout de rendre le processus autant que possible objectif pour ne pas donner prise aux contestations médiatiques de la part des émetteurs concernés. Tout cela était exposé dans le rapport sur le gouvernement d’entreprise, à la fois sur l’approche mais également la méthodologie employée, étant précisé – et cela est déterminant – que les pratiques relevées se fondent sur une information publique des
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sociétés. L’AMF adosse son name and shame à une approche rigoureuse du comply or explain puisque dès lors que ce dernier n’est pas respecté, l’AMF se réserve le droit de désigner publiquement l’entreprise. Le name and shame peut ainsi être mis en œuvre si une société ne fournit pas une information, si elle publie une pratique non-conforme au code Afep-Medef sans aucune explication ou sans indiquer qu’elle ne se conforme pas au code, voire si elle fournit une explication qui est trop générique et « polyvalente ». Sur ce troisième point, le name and shame, dans une démarche de responsabilisation, constitue un outil de discipline. Pour évoquer ce que j’ai connu, l’AMF avait pu observer cette standardisation notamment dans un certain nombre de publications trop similaires entre différentes entreprises, par exemple sur des recommandations relatives à des sujets de rémunération ou encore d’indépendance des administrateurs. Certaines formulations très génériques tendaient à être publiées quasiment à l’identique par plusieurs sociétés et ne correspondaient dès lors pas à la réalité de chacune d’entre elles. Il est important de noter que les sociétés étaient toujours prévenues en amont par courrier sur le fait qu’elles pouvaient être citées, ou pour les inciter à améliorer des pratiques qui ne semblaient pas vraiment conformes mais sans pour autant donner lieu à citation. Si, avant la publication du rapport, les sociétés publiaient une information qui était de nature à lever l’objection émise, on ne les citait pas. Le name and shame faisait nécessairement l’objet de décisions collégiales des directions impliquées dans la rédaction du rapport, et était in fine examiné, comme l’ensemble du rapport, par le Collège. Dans le name and shame de l’AMF, il y a aussi une certaine symétrie. C’est une vraie différence par rapport au name and shame tel qu’on le conçoit dans le sens commun et tel qu’il est souvent pratiqué. L’AMF insistait ainsi sur le fait que les pratiques négatives comme positives des sociétés pouvaient être relevées. Dans cette perspective, l’AMF a aussi cité dans ses rapports des sociétés à titre positif. Cela n’était pas non plus sans poser quelques difficultés parce qu’il n’était pas toujours aisé d’identifier le bon grain et l’ivraie, et que cela pouvait donner prise à ce que ces « bons » exemples servent de benchmark, de modèle de publication à reproduire pour les autres sociétés. L’AMF cherche à éviter une approche trop mécanique car de manière générale, les régulateurs entendent plutôt diffuser une logique de responsabilisation que promouvoir des « modèles » auxquels les sociétés vont se conformer sans discernement. Un tel modèle uniforme serait de fait contradictoire avec l’organisation, les valeurs, l’histoire propre à chaque entreprise. Il s’agit là de toute la difficulté de l’exercice en matière de droit souple relatif au gouvernement d’entreprise. Parce que la régulation du gouvernement d’entreprise fonctionne avant tout sur la transparence de l’information, on court le risque du « box ticking », c’est-à-dire que les sociétés cherchent à simplement cocher des cases préétablies, sans appropriation du sens de l’information ou sans correspondance avec leur pratique réelle. Le but des régulateurs est que les finalités et principes sous-jacents de leurs règles et recommandations soient bien compris par les acteurs régulés. L’enjeu, en termes de droit, est de comprendre la finalité pour la traduire en pratique. Malheureusement, cet enjeu « téléologique » est souvent perdu de vue, sur de nombreux sujets et pas seulement en matière de gouvernement d’entreprise, dans un droit proliférant avec la multiplication des lois et des règlements. C’est un cercle vicieux qui s’auto-entretient, la complexité générant de la complexité avec un retour en arrière très difficile, ce qui est difficile à comprendre pour le citoyen. Cette expansion des normes est aussi visible dans la soft law. Il est essentiel pour les régulateurs de maintenir un principe de responsabilité des acteurs des secteurs régulés puisque la responsabilité est la contrepartie nécessaire et intrinsèque de la liberté. Cependant, cette responsabilisation devient de plus en plus difficile à faire appliquer sur le terrain des principes quand on a un droit qui tend à être partout et nulle part du fait de sa prolifération.
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RJSP : Le HCGE a été constitué par l’Afep et le Medef en 2013 lors de la révision du code Afep-Medef, afin d’assurer le suivi de l’application du code. Le HCGE a eu recours pour la première fois au name and shame dans son rapport annuel 2017 en nommant plusieurs sociétés. Quel a été l’impact de la mise en œuvre du name and shame par le HCGE sur l’autorégulation de la gouvernance des sociétés cotées ? FRB : La gouvernance d’entreprise est un sujet sensible, particulièrement médiatique et beaucoup plus subtil qu’il n’y paraît. Tout ceci explique le fait que cette thématique soit soumise à des pressions politiques régulières. Si nous nous intéressons à la chronique politique de la gouvernance d’entreprise depuis 25 ans, nous observons assez régulièrement des velléités de légiférer en la matière. En effet, lorsque le gouvernement menace de recourir à la loi, comme cela a pu être le cas par exemple avec Pierre Moscovici en 2013, il y a un effet positif d’incitation et un défi à relever pour l’autorégulation. L’AMF, du moins pour ce que j’ai connu, était en accord avec cette approche et tenait à ce que le postulat d’autorégulation demeure. Celle-ci doit rester l’approche dominante même si non exclusive du gouvernement d’entreprise. Il est en effet impossible de réglementer, que ce soit par la loi ou les décrets, toutes les situations particulières des sociétés. Ce serait une illusion que de vouloir créer un régime absolument homogène de gouvernance pour toutes les sociétés cotées. Il y a des éléments invariants et importants qu’il est possible de normer pour mieux garantir des contre-pouvoirs et la maîtrise des risques, mais fondamentalement le gouvernement d’entreprise repose sur des principes et le comply or explain, par sa plasticité, a la capacité de permettre à la fois un effet d’enforcement et une application rigoureuse de la soft law adaptable aux situations particulières des sociétés. Cette possibilité récurrente d’appropriation par le politique de la régulation en matière de gouvernance est évidemment un aiguillon pour les instances d’autorégulation. La pression politique incite l’Afep, le Medef et le HCGE à être encore plus rigoureux dans leur approche et dans le respect de la crédibilité de l’autorégulation. La recherche de cette crédibilité a fini par passer par le name and shame, les mêmes causes produisant les mêmes effets, et ce sont les mêmes cheminements intellectuels qui s’opèrent. En dépit du fait que la communauté des émetteurs y était originellement hostile, le HCGE a fini par l’importer et se l’approprier en le considérant comme quelque chose d’acceptable pour autant que ce soit utilisé avec précaution. Le name and shame, de même que la pression politique sont des incitations à être très vigilant sur le respect des recommandations de l’AMF et du HCGE. L’AMF, l’Afep et le Medef dialoguent de manière régulière sur les enjeux de la gouvernance d’entreprise et les démarches sont objectivement assez proches. L’AMF était acquise à la cause de l’autorégulation pour autant que celle-ci soit vraiment crédible, et l’édifice ne tient que si le HCGE sait faire la police dans ses rangs. L’AMF n’avait, en effet, pas vocation à être le gendarme exclusif du gouvernement d’entreprise, même si elle a pu être perçue comme tel, puisqu’elle n’avait pas de mandat légal pour faire respecter les règles du gouvernement d’entreprise stricto sensu. C’est un terrain qu’elle a investi avec un fondement légal pour produire de la soft law (article L. 621-18-3 du code monétaire et financier) mais il lui est beaucoup plus difficile d’agir sur le terrain de la sanction administrative en ce domaine. Il y a pu y avoir des demandes d’un certain nombre d’instances pour que l’AMF fasse directement la police dans les assemblées générales par exemple, alors qu’il n’y a pas de fondement légal clair pour cela. Une décision récente a suscité des débats, mais en l’espèce l’AMF a sanctionné un prestataire sur le terrain de l’organisation d’une assemblée générale et plus particulière-
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ment sur la manière dont les votes ont pu être acheminés et collectés par le service titres d’une grande banque 1. La gouvernance a davantage trait au droit des sociétés, il y a donc des controverses sur la capacité de l’AMF à sanctionner et même à émettre de la soft law sur ce terrain-là. Elle le fait notamment en matière de droit boursier, qui se trouve au confluent du droit financier et du droit des sociétés, sur le sujet des augmentations de capital par exemple et relevant du code de commerce. Ces recommandations correspondent cependant à une de ses missions fondamentales qui est la protection des investisseurs minoritaires. Pour l’AMF, agir sur des sujets qui relèvent davantage du droit des sociétés représente des enjeux assez lourds en termes de périmètre et de moyens de régulation. RJSP : En matière bancaire, la Banque de France a fait usage pour la première fois du name and shame en juillet 2020, dans le rapport de l’Observatoire de l’inclusion bancaire, entité qui lui est rattachée, envers des banques pour ne pas avoir respecté leurs engagements de plafonnement des frais bancaires pour leurs clients financièrement fragiles. Comment cette introduction du name and shame dans le secteur bancaire a-t-elle été accueillie par les acteurs du secteur ? FRB : S’agissant du plafonnement des frais bancaires pour les clients dits « fragiles » au regard des critères réglementaires, dans un premier temps, la Banque de France, en accord avec le gouvernement, a brandi cette menace du name and shame, puis l’a effectivement mise en application puisque deux banques ont été citées pour non-respect de la réglementation et des engagements en la matière. Ce sujet du plafonnement des frais est une question sensible pour les banques. Il y a eu une forte pression politique pour que les frais des clients fragiles soient plafonnés. La difficulté pour les banques réside dans le fait que les clients fragiles constituent un ensemble assez vaste et répondent à une définition complexe compte tenu de la diversité des situations et de la difficulté d’appréhender la notion de « fragilité ». Pour La Banque Postale, ce n’est pas du tout un sujet anodin parce que sa clientèle est plus modeste que la moyenne des autres banques ; elle est ainsi particulièrement concernée par cette problématique des clients fragiles. Dans notre clientèle, nous avons quasiment la moitié des clients identifiés comme fragiles aux termes des critères réglementaires. En effet, en France, le nombre de clients fragiles financièrement est estimé à environ 3,4 millions. La Banque Postale en compte entre 1,5 et 1,6 million dans sa clientèle. Pour ce qui est du name and shame, je ne dirais pas que la communauté bancaire a été ravie d’une telle perspective compte tenu des efforts collectivement accomplis depuis 2018, mais elle n’a pu qu’en prendre acte. Je trouve que la puissance publique en a pour l’instant usé avec une certaine parcimonie et mesure. Son utilisation a été fondée sur une approche qui se voulait objective car fondée sur le respect de la réglementation en matière de critères de définition et de plafonnement des frais des clients fragiles. Il reste que cet outil doit être manié avec précaution car il interagit avec l’opinion publique au moment où l’économie et les entreprises ont aussi grandement besoin des banques. Et depuis le début de la crise celles-ci ont été au rendez-vous. Le plafonnement des frais est un sujet récurrent et est parfois demandé, par itérations, pour d’autres clientèles que les clients fragiles. Cela pose toutefois des questions de fond relevant de la liberté de tarification des services dans notre économie, et peut à un certain point mobiliser des principes constitutionnels. Il s’agit au final d’une question de décision politique sur l’encadrement et la tarification de certains frais bancaires, 1. AMF, Commission des sanctions, décision n° 11 du 25 novembre 2020. [https://www.amf-france.org/fr/sites/default/files/private/2020-11/decisionpubliee_2.pdf].
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importante dans un contexte de crise sanitaire et économique qui impacte tant les clients que les banques. Si dans un premier temps, le confinement a pu conduire à diminuer le nombre des clients fragiles en raison d’une baisse de la consommation et donc des incidents bancaires, certains anticipent qu’à plus ou moins court terme le nombre de clients fragiles pourrait augmenter du fait des conséquences de la crise. RJSP : Pensez-vous que ce mouvement du name and shame va continuer à se développer dans le secteur bancaire, au-delà du domaine du plafonnement des frais bancaires ? FRB : Le name and shame au sens large va sans doute s’étendre dans le secteur bancaire comme dans d’autres domaines d’activité parce qu’il est dans l’air du temps et qu’il y a tout un pan de la législation qui devient de plus en plus prégnant : tout ce qui a trait à la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE), qui concerne toutes les grandes entreprises, dont les banques en tant qu’elles doivent financer la transition énergétique et climatique. D’où les controverses récentes sur les « politiques charbon » par exemple. Il y a deux manières de concevoir cette problématique : soit les banques excluent d’emblée des secteurs jugés polluants en considérant qu’ils ne sont pas finançables, avec de possibles dégâts économiques et ce qu’on appelle les « actifs échoués » ; soit on part du principe, au contraire, qu’il faut aider les entreprises de ces secteurs à accélérer leur intégration de l’enjeu climatique en conditionnant les financements à la mise en œuvre d’une transition écologique réelle et crédible. Les deux approches ont leurs mérites, il s’agit « simplement » d’en mesurer les conséquences. Le name and shame va probablement se développer sur ces questions, au-delà du charbon ou même des énergies fossiles. Sur le terrain médiatique, un certain nombre d’ONG s’en est déjà emparé. On peut imaginer à terme que le name and shame trouve un terrain d’expression privilégié sur toute la RSE, mais aussi, dans la continuité de la loi PACTE, sur la question de la raison d’être et de l’entreprise à mission. La raison d’être des entreprises se diffuse. De plus en plus de grandes sociétés, cotées ou non, se dotent d’une raison d’être, prennent des engagements publics et éventuellement font approuver le statut – même s’il s’agit plutôt d’un label que d’un réel statut sociétaire – d’entreprise à mission. Je pense que le name and shame va se développer sur ce thème car il va y avoir une grande vigilance de la part de la société civile et de certaines ONG sur le respect par les sociétés qui se sont engagées dans cette voie de leurs engagements sur le long terme, de leur raison d’être et le cas échéant de leur mission. L’enjeu est évidemment que tout cela ne soit pas un simple exercice de communication mais que les entreprises fassent réellement ce qu’elles disent. Concernant les conditions de succès de ce développement du name and shame, il ne peut fonctionner que si on en use avec parcimonie et discernement, selon une méthodologie claire et transparente et que la stigmatisation sert des intérêts connus et ouverts. Il faut que ces procédés soient suffisamment transparents pour être crédibles. Un name and shame qui se diffuserait dans tous les compartiments avec des citations et des désignations un peu à l’emporte-pièce perdrait de son efficacité tout en causant des dégâts inutiles. RJSP : Dans quelle mesure pensez-vous que le name and shame constitue une pratique efficace dans les domaines financier et bancaire, au sens où elle permet aux sociétés visées de se conformer à leurs obligations ? FRB : Le name and shame peut fonctionner quand il repose sur un processus d’amélioration continue. À l’époque de mon expérience à l’AMF, il y avait un constat commun entre l’AMF et le HCGE sur le fait que le name and shame avait une certaine efficacité, pour autant qu’on ne franchisse pas la ligne rouge d’un procédé trop technocratique ou surabondant. L’AMF avait été assez critiquée à une certaine période par les émetteurs parce qu’elle commençait à citer beaucoup de
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sociétés nommément. A la suite de ces critiques, l’AMF a internalisé le fait qu’il fallait peut-être faire preuve de davantage de sélectivité pour renforcer l’efficacité du name and shame. Il y a toujours une fraction de sociétés qui ignore le name and shame, en tout cas en matière de gouvernance. Si ces sociétés citées régulièrement ne changent par leurs pratiques, c’est parce qu’il s’agit pour elles d’une question d’arbitrage interne. Le coût médiatique du name and shame leur apparaît mesuré et l’enjeu en termes de gouvernance trop conséquent pour que la pratique en question soit véritablement modifiée. Cependant, dans un certain nombre de cas, il y a de véritables améliorations dans la gouvernance des sociétés. L’AMF est l’un des seuls régulateurs, si ce n’est le seul en Europe, à pratiquer le name and shame sur le terrain du gouvernement d’entreprise. En 2016, l’AMF a réalisé une étude sur les méthodes d’enforcement en gouvernement d’entreprise dans dix pays européens 2. Cette étude a illustré que la France, avec l’AMF, était alors le seul pays européen, avec la Finlande dans une moindre mesure, à recourir au name and shame. Cette pratique suscitait la curiosité et l’intérêt des homologues européens de l’AMF. Des présentations ont eu lieu au sein de l’Autorité européenne des marchés financiers (European Securities and Markets Authority – ESMA) sur les manières d’interpréter le principe « comply or explain » et d’appliquer le name and shame. L’AMF allait un peu plus loin dans son contrôle en la matière que l’autorité britannique de contrôle de l’information financière, le Financial Reporting Council, qui était pourtant réputée assez stricte dans ses contrôles du suivi de l’information relative au gouvernement d’entreprise. L’AMF a ainsi fait un pari avec le name and shame, assez unique en Europe et qui s’est avéré plutôt gagnant parce que la pratique a été relayée aussi par le HCGE et a participé au processus d’amélioration continue des pratiques de gouvernance en France. Les entreprises françaises sont à des standards élevés en matière de gouvernance, beaucoup plus qu’il y a 20 ans. Il y a eu des progrès très importants faits en termes de pratiques et de transparence de l’information. Celle-ci est très abondante dans les documents d’enregistrement universel des sociétés cotées, notamment sur la gouvernance, plus sans doute que dans d’autres pays. Bien sûr, la question se pose de savoir si ce que ce qui est dit dans ces documents est conforme à la pratique des entreprises. Il s’agit toujours de la limite à laquelle on se heurte lorsque l’on fait une analyse documentaire. Toutefois, l’AMF n’a pas les pouvoirs d’aller vérifier comment fonctionne en pratique un conseil d’administration. En revanche le droit bancaire et les pouvoirs des superviseurs sont assez étendus en la matière. L’ACPR et la Banque centrale européenne, dans le cadre de leur suivi annuel des banques, peuvent leur demander toutes sortes de documents internes sur le fonctionnement des instances de gouvernance. Je dirais ainsi que les exigences de « droit dur » en la matière pour les banques sont plus strictes que pour les sociétés cotées, notamment parce qu’elles sont davantage fondées sur une législation européenne. Par exemple, le comité des risques, le comité des nominations et celui des rémunérations sont obligatoires pour les grandes banques, outre le comité d’audit qui est la seule exigence légale pour les sociétés cotées. De même, la séparation des fonctions exécutives entre président et directeur général est imposée pour les banques, alors que la fusion dans la personne du PDG est tout à fait possible en France pour les autres grandes sociétés et les sociétés cotées. Il y a une spécificité bancaire sur le terrain de la gouvernance qui fait qu’il y a un peu plus de hard law et que le superviseur dispose de pouvoirs assez étendus, y compris sur le terrain de la gouvernance, peut-être plus que l’AMF n’en a pour l’ensemble des sociétés cotées. 2. AMF, Étude comparée : les codes de gouvernement d’entreprise dans 10 pays européens, 30 mars 2016.
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RJSP : Actuellement, on peut constater une forte émergence du name and shame dans la société civile, notamment sur les réseaux sociaux, afin de dénoncer des comportements délictueux ou criminels commis par des entreprises ou des particuliers. Selon vous, cette pratique du name and shame, spontanée et non réglementée, peut-elle avoir la même efficacité que lorsqu’elle est réglementée, comme cela est le cas dans les domaines bancaires et financiers ? FRB : Les principes que sont la crédibilité et la transparence de la méthodologie du name and shame valent a fortiori aussi pour les acteurs de la société civile, même si le socle de leur name and shame ne se fonde pas forcément sur des dispositions légales ou réglementaires. Cela dit quand la Banque de France recourt au name and shame, elle ne le fait pas non plus en application de dispositions réglementaires stricto sensu. Mais, en recourant à cette pratique, elle s’appuie sur un corpus de droit qui existe, en ce sens qu’il y a des articles de loi et des décrets qui précisent ce qu’est le plafonnement des frais, à quelle population il s’applique et selon quels critères cette population est définie. Donc, le name and shame, tel que pratiqué par la Banque de France, repose sur le non-respect de règles juridiques. Il en va de même pour les ONG. Pour qu’une ONG fasse un name and shame crédible, il faut qu’elle ait une méthodologie claire, transparente et la plus objective possible. Évidemment, le principe d’une méthodologie est d’être toujours attaquable, surtout dans des domaines assez nouveaux ou compliqués comme la RSE, les logiques de filière ou le financement des énergies fossiles telles que le charbon. Dans ce dernier cas, la situation peut être compliquée à évaluer parce que quand une banque ou société de gestion a des fonds qui investissent dans des centaines de sociétés, il n’est pas toujours aisé de déterminer l’exposition au charbon de chacune. La question qui se pose en l’espèce est dans quelle mesure la banque s’est dotée d’une politique claire d’exclusion ou limitation du charbon, selon quelle échéance et si elle met cette politique en œuvre. Ainsi, l’ONG qui pratique le name and shame sur ce fondement doit avoir une méthodologie claire et transparente, de même que l’autorité publique qui recourt au name and shame, sur le terrain de la soft law ou de la hard law, doit expliquer sa manière de procéder. C’est pour cela que l’AMF, dans son rapport sur le gouvernement d’entreprise, s’est attachée dès 2012 à exposer une forme de doctrine du name and shame en expliquant quelle était sa conception du comply or explain et sur quels fondements elle se réservait le droit de faire des désignations nominatives. L’objectif est alors d’éviter que la pratique du name and shame donne prise à un sentiment d’arbitraire, de subjectivité et de biais trop fréquents, qui l’exposerait à une contestation légitime. RJSP : Cette pratique de dénonciation publique ne s’est-elle pas développée en raison de certaines insuffisances de la justice et, dans cette perspective, le name and shame est-il un moyen pour les justiciables de reprendre toute leur place dans un système judiciaire qui ne répond plus à leurs attentes ? FRB : Je ne crois pas que le développement du name and shame découle exclusivement d’une insuffisance tendancielle de la justice. Bien sûr, la multiplication récente des révélations de drames intimes dans des milieux clos – couple, famille, école, cinéma... – révèle une faille institutionnelle dans la reconnaissance et la réparation des victimes. Mais de mon point de vue, ce développement est également dû à une évolution de la demande de justice et à la perception plus
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subjective qu’a désormais chacun de ses propres droits et préjudices. Cette atomisation de l’exigence de justice est intrinsèquement liée à l’individualisation et la multiplication des droits potentiels, et donc à l’aspiration à la réparation de préjudices supposés ou réels. Tout cela devient beaucoup plus diffus et est amplifié par le levier médiatique d’une part et la logique potentiellement délétère des réseaux sociaux d’autre part. Une forme de désintermédiation de la justice peut aussi bien conduire à exacerber de faux préjudices qu’à étouffer de vraies souffrances. Cette atomisation de la société donne aussi lieu à une multiplication des pouvoirs et contre-pouvoirs, au-delà du terrain strictement institutionnel. Désormais, les contrepouvoirs, en tant que checks and balances tels que conçus par l’approche anglo-saxonne, sont partout. De nombreux acteurs de la société civile se conçoivent comme des contre-pouvoirs avec un certain succès et une certaine légitimité, mais qui n’est pas systématique. Avant, il s’agissait essentiellement des syndicats puis des ONG et associations de consommateurs. Aujourd’hui, les réseaux sociaux eux-mêmes s’érigent en contre-pouvoirs, assumés ou « passifs », parce qu’ils sont les réceptacles et vecteurs de l’opinion et du jugement généralisés. Mais ce faisant, ils servent aussi bien à faire progresser certaines causes justes que de caisse de résonance à tous les ressentiments, haines et frustrations, avec parfois des conséquences tragiques comme on l’a vu au cours de ces derniers mois. Dans ces derniers cas on n’est même plus dans la privatisation de la justice, mais la subjectivisation du pilori. L’expansion du name and shame n’est donc pas essentiellement la conséquence d’un défaut manifeste de la justice, qui peut certes se produire, mais aussi d’une demande de justice qui évolue et d’une compréhension des institutions qui s’affaiblit parce que les institutions ont dans une certaine mesure failli, mais pas seulement. C’est aussi, ou surtout, parce que la subjectivité, l’individualisme et le relativisme vont croissants, alimentés par la loupe médiatique. Tout cela nuit à la prise de recul et in fine mine la légitimité et la compréhension des institutions. Quand je parle d’institutions, je fais référence à celles que sont l’autorité judiciaire, le Parlement, la police, l’école et l’exécutif en un sens. Les fondements mêmes de la démocratie en viennent à être menacés parce que les institutions sont moins bien comprises, dans leurs finalités et leur fonctionnement réel. Il y a par exemple toujours eu un certain fond d’antiparlementarisme en France. Toutefois, la manière dont on se contente uniquement de problèmes de personnes sans comprendre à quoi sert le Parlement ni ce qu’il fait vraiment me désole. Les deux assemblées ont sans doute une part de responsabilité, mais il y a aussi une somme considérable de travail et d’abnégation déployée dans ces institutions dont peu ont conscience. Il y a des évolutions sociétales lourdes, qui remontent loin, qui contribuent à faciliter le terrain pour voir prospérer la demande et la réalisation du name and shame. Cependant, il ne faut pas se tromper : étendre cette pratique du name and shame, c’est prendre le risque, soit de la disproportion donc évidemment que les personnes désignées subissent un préjudice excessif, soit de la banalisation et que cela devienne l’écume des jours comme cela est le cas sur certains réseaux sociaux, avec l’invective permanente et le sarcasme. L’ampleur du name and shame dure alors quelques jours, puis tout cela a tendance à s’étioler, rendant, au final, l’efficacité globale du name and shame faible mais avec des risques accrus de dérives. Bref, il faut y réfléchir à deux fois avant de vouloir en quelque sorte « désigner l’ennemi » !ê
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’Legal Fictions’ in the Language of International Commercial Arbitration involving States and State Entities Eduardo SILVA ROMERO, Professor ’Emeritus’ at Universidad del Rosario, Bogotá, Colombia, Docteur en Droit 1
1 - The fragility of arbitration 2. Arbitration is a fragile institution. Arbitration, in other words, has always been and still is under attack. As a consequence, arbitration has always had to struggle and is still struggling to survive. Two well-known examples may illustrate this fundamental truth: ‰ (i) On the one hand, the vanishing of arbitration in France for more than 80 years after the issuance of the 1843 Prunier judgment by the French Cour de cassation 3 is a telling illustration of that constant, aggressive attack. It took the entry into force of the Geneva Protocol in 1923 and the enactment of new legislation in France recognizing the validity of arbitration clauses in 1925, that is, the creation of ’legal tools’ in the language of arbitration, for arbitration to reappear in the landscape of French dispute resolution. To properly understand its context, it is worth recalling what one of the judges of the French Cour de cassation, Judge Troplong, wrote at the time of the rendering of the Prunier decision: “ l’arbitrage est une manière de juger si défectueuse, si dépourvue de garanties, qu’on aurait dû laisser les parties maîtresses d’y recourir ou de le répudier, suivant les occasions. Quant à moi qui a[i] été arbitre quelque fois, je déclare, par expérience, que, dans un procès de quelque gravité, je ne conseillerais à personne de se faire juger par des arbitres ; un tribunal, qui se croit le droit d’être plus équitable que les lois les plus équitables du monde, me paraît ne pouvoir s’adapter qu’à un petit nombre de questions de fait et à des intérêts médiocres. ” 4 ‰ (ii) More recently, the stance adopted by the European Union towards investment arbitration provides us with yet another example of the fragility of the institution. In that case, the European Court of Justice, in sum, decided to make intra-EU investment arbitration vanish. 5 This European stance has given rise to various attempts to reform the investment arbitration system, 1. Professor Emeritus at Universidad del Rosario, Bogotá, Colombia ; Docteur en Droit ; Lecturer on international contracts and investment Arbitration at Sciences Po Law School ; lecturer on international arbitration at Paris 2 University and Paris-Dauphine University ; Partner and Co-Head of the International Arbitration Practice at Dechert LLP. 2. All references in this article to ’arbitration’ must be understood to be to ’international arbitration.’ 3. Civ. 10 July 1843, Compagnie l’Alliance c/ Prunier, in.: I. Fadlallah and D. Hascher, Les grandes décisions du droit de l’arbitrage commercial, Paris: Dalloz (Coll. Objectif Avocat !), 2019, pp. 3 et seq. 4. R.-T. Troplong, ’Du contrat de société civile et commerciales’, Paris, 1843, t. 2, n° 520, cited by I. Fadlallah and D. Hascher, op. cit., p. 6. 5. European Court of Justice, Slovak Republic v. Achmea BV, Case C-284/16, Judgment, 6 March 2018.
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which means that the players in it are considering incorporating several modifications into the language of investment arbitration. (Hope springs eternal.) It is a fact of the arbitration field that the arbitration system may lose its battle for survival, especially against attacks from the State’s public powers, such as the European Commission. 2 - No arbitration without State support. It is, indeed, a historical premise of arbitration that its very existence depends entirely on its acceptance by the relevant public authorities, that is, the legislator, the executive branch (the government), the judiciary, and multilateral organizations. In short, arbitration cannot exist without the State’s recognition and support. After all, we must acknowledge, in spite of all universalist and internationalist doctrines, that the most intense legal power (the so-called “ sovereignty ”) on earth still belongs, for better or worse, to the States. 3 - The State as an arbitration user. The problem that has arisen in recent years (not to say since the very first day on which States and State entities commenced using international arbitration as a mechanism for resolving disputes) is that the ones upon which the survival of arbitration depends, the States, are at the same time, together with its instrumentalities, among its main – and often most dissatisfied – users (it is no longer a secret that States and State entities are among the most frequent users of the arbitration system.) (It is humanly difficult to appreciate the advantages of arbitration just after having lost an arbitration. Any in concreto tragedy will always eclipse any in abstracto theory related thereto.) The point, in definitive, is this: a State dissatisfied with the outcome of an international commercial arbitration has the power to take measures to limit the scope of that institution, to remove it from the State’s legal order, or, within a specific arbitral proceeding, to attempt to escape the effects of an international commercial arbitration agreement or the enforcement of an arbitral award. As a result, common sense indicates that ’legal tools’ must be created within the language of international commercial arbitration involving States and State entities to protect the private entities’ right to arbitrate disputes against potential measures taken or abuses committed by States and State entities. 4 - The dialectic of international commercial arbitration involving States and State entities. Before looking at those measures, however, it is relevant to describe, in summary fashion, the dyna-
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mics 6 of international commercial arbitration involving States and State entities. What are the salient features of those proceedings ? - This kind of arbitration commonly opposes a private claimant (usually a corporation doing business internationally) to a State or a State entity. It is, however, worth noting that States and State entities increasingly act as claimants in those proceedings. This latter scenario remains, however, exceptional; - This kind of arbitration arises out almost always of an arbitration clause contained in an international commercial contract, which, in some instances, can be characterized as a ’State contract.’ 7 Even if this kind of proceeding may pertain to some ’investment issues’, it is no longer characterized as an ’investment arbitration’ (nowadays, it seems to be considered that ’investment arbitration’ only arises out of a treaty); - That this kind of arbitration results from an international commercial contract means, in sum, that, independently of how one could define the expression ’international commercial contract’ 8, the private claimant is commonly either a company or an affiliate of a company of a nationality different from that of the State or the State entity involved in the specific proceeding. It is, indeed, common that the private party to these arbitrations be characterized as the ’foreign investor’ or the ’foreign contractor’; - The private claimant often adopts in this kind of arbitration a strategy of ’internationalization of the dispute.’ This strategy observes various corollaries: (i) the private claimant assumes and, hence, argues that the State or State entity transforms itself into an international merchant when it looks to enter into international commercial contracts; (ii) the private claimant also argues that it and the State or State entity should be treated equally by the arbitral tribunal; (iii) if needed, the private claimant may argue that the State or the State entity cannot rely on its internal law to escape the effects of an international commercial arbitration agreement; (iv) the private claimant also often alleges that international principles or rules should somehow apply to the resolution of the dispute; and (v) also if needed, the private claimant may submit that, by consenting to arbitration, the State waived any immunity from jurisdiction or enforcement; and - The public respondent, in turn, often adopts in this kind of arbitration a strategy of ’nationalization of the dispute.’ This strategy comprises the following elements: (i) the public respondent may argue that it is the private entity which came to the State to do business therein; (ii) as a consequence, the State or the State entity may also argue that the private claimant must be considered as any other citizen of the State (the State or the State entity may, for instance, exercise exorbitant prerogatives during the performance of the relevant contract); (iii) the public respondent may also allege that the arbitration agreement relied upon by the private claimant is somehow invalid under the law of the State; (iv) the State or the State entity may also make all efforts for its law to apply to the merits of the dispute ; and, (v) if needed, the State may assert that only an explicit waiver of immunities from jurisdiction and enforcement is valid. 5 - The language of international commercial arbitration involving States and State entities. What does the factual 6. See, for instance, E. Silva Romero, ’The Dialectic of International Arbitration Involving State Parties’, in.: ICC International Court of Arbitration Bulletin, Paris: ICC Publishing, Vol. 15 / N° 2 – Fall 2004, pp. 79 et seq. 7. Regarding the notion of ’State contract’, see, for instance, Ch. Leben, ’La théorie du contrat d’État et l’évolution du droit international des investissements’, in.: Collected Courses of The Hague Academy of International Law, The Hague: Martinus Nijhoff Publishers, vol. 302, 2003, pp. 197 et seq. 8. See, for instance, Pierre Mayer, ’Réflexions sur la notion de contrat international’, in.: Mélanges en l’honneur de Pierre Tercier, Zurich: Schulthess, 2008, pp. 873 et seq.
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premise of the fragility of international commercial arbitration tell us about arbitration involving States and State entities as described in the preceding paragraph ? It seems to us that those who interact in the practice of the language of arbitration involving States and State entities must believe in and defend arbitration as a means for dispute resolution. Arbitration, for them, should be an act of faith. 9 The language resulting therefrom, which should protect the private entities’ right to arbitrate disputes against States and State entities on an equal footing, has hence been traditionally made up, at least at the first moment of the evolution of that language, of ’linguistic, legal tools’ aimed at preserving arbitration as a means of (i) resolving disputes involving States and State entities and, as a result (ii) contributing to its survival. In some sense, that language is and must be made up of ’legal fictions.’ 6 - ’Legal fictions’. There are many definitions in the legal literature of ’legal fiction.’ 10 For the purposes of the present paper, we will understand that a ’legal fiction’ is “ [...] an assumption that something is true even if it may be untrue, made especially in judicial reasoning to alter how a legal rule operates [...]. ” 11 In our field, a ’legal fiction’ is a means for international arbitration to struggle for life. More specifically, a ’legal fiction’ has traditionally been a tool by which the architects of the international arbitration theory have overcome obstacles to the existence of or the access to international arbitral justice. The image that could come to mind when thinking of a ’legal fiction’ is that of a military bridge ingeniously built when the road reaches an abyss. 7 - ’As if’. A ’legal fiction’ is not a logical proposition but may ’pretend’ to be one. The expression ’as if’ evokes well the sense of the notion of ’legal fiction.’ In definitive, any fiction, 12 including legal fictions, plays out ’as if’ it were true, or real, or logical, even if ultimately it is not. ’Pretending’ belongs to the essence of the notion of ’fiction’. 8 - The job of ’legal fictions’. The presence of a ’legal fiction’ in the legal language is never capricious. Any ’legal fiction’ has a purpose or does a job within that language. Every military bridge aims at filling a gap. A vivid anecdotal example of ’legal fiction’ is the Mostyn vs Fabrigas case: ”[...] Fabrigas, a resident of the Mediterranean island of Minorca then occupied and controlled by England, was imprisoned by Mostyn, at the time the governor of the island. Because no suit could be brought against Mostyn in Minorca without the approval of the governor, and because the governor was the defendant in the very lawsuit Fabrigas wished to pursue, Fabrigas sued instead in the Court of Common Pleas in London for trespass and false imprisonment, and proceeded to win a jury verdict of 3 000 £. On appeal, Mostyn claimed, correctly, that the trial court had been granted jurisdiction only in cases brought by residents of London, but Lord Mansfield, recognizing that denying jurisdiction here would leave someone who was plainly wronged without a legal remedy, concluded that Minorca was part of London for purposes of this action. That conclusion was plainly false and equally plainly produced a just result, and thus Mostyn v. Fabrigas represents the paradigmatic example of using 9. See, for instance, E. Gaillard, Aspects philosophiques du droit de l’arbitrage international, The Hague: Martinus Nijhoff Publishers, 2008, paragraph 135, p. 209. 10. On ’legal fictions’, see, for instance, M. Del Mar and W. Twining, Legal Fictions in Theory and Practice, New York: Springer, 2015. 11. B. A. Garner, ed., Black’s Law Dictionary, St. Paul: West Group, 1999, Seventh Edition, p. 904. 12. See, for instance, L. Menoud, Que’est-ce que la fiction ?, Paris: Vrin, 2005.
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a fiction to achieve what might in earlier days have been done through the vehicle of equity. ” 13 This case shows us that, at least to some extent, a ’legal fiction’ in the legal language is the equivalent to axioms in geometry; its job is to appear when legal reasoning comes to a dead end; a manifestly unfair result is a dead end (a ’legal fiction’ may also be represented as a handy ladder). 9 - The purpose of equality. The existence of international commercial arbitration involving States and State entities can only be ensured if the State party and the private party to the arbitration are treated equally. It is obvious that, if the State or the State entity has more rights than the private entity in an arbitration, the latter will not use international commercial arbitration to solve disputes against its public counter-party. In this sense, we are of the view that at least five ’legal fictions’ have been created in order to preserve the equality between the State party and the private party within international commercial arbitration and, hence, to contribute to its survival: 10 - The State and the State entity as an international merchant. First, the ’legal fiction’ of the ’societas mercatorum’, 14 that is, the society of international merchants, aims at creating a space in which private and public entities meet and, essentially, do business on an equal footing. 11 - The ’societas mercatorum’ is, as, for instance, the theory of the ’social contract’ 15, a ’legal fiction.’ There is, indeed, no empirical – let alone scientific – demonstration of the ’real’ existence of an international society of merchants. 12 - The obvious corollary of this first ’legal fiction’ is the proposition that, when doing business internationally, States and State entities enter into the society of international merchants, and submit themselves to its (i) ’natural judge’ (international commercial arbitration) and (ii) rules of law (’lex mercatoria.’) 16 In other words, States and State entities, when doing business internationally, transform themselves into ’international merchants’ and, as a result, all transactions and contracts that they enter into with other international merchants within the ’societas mercatorum’ must be characterized as ’arms-length.’ 13 - The principle of ’good faith’. Second, the ’legal fiction’ pursuant to which no State or State entity may rely on its own internal law to escape the effects of an international commercial arbitration agreement seeks to make sure that the same equality referred to above applies in relation to the arbitration agreement. 14 - The public respondent may, indeed, object to the jurisdiction of the arbitral tribunal on the ground that its internal laws somehow prevent it from arbitrating disputes, even if it entered 13. F. Schauer, “ Legal Fictions Revisited ”, in.: M. Del Mar and W. Twining, Legal Fictions in Theory and Practice, op. cit., p. 122. 14. See, in relation to the existence of an ’international society’, Decision on Liability of 14 December 2012 in ICSID case N° ARB/08/5 Burlington Resources Inc. vs Republic of Ecuador, In.: www.italaw.com, p. 69, n° 187: “ As stated in the Decision on Jurisdiction, the Tribunal considers that it is not bound by previous decisions. Nevertheless, the majority considers that it must pay due regard to earlier decisions of international courts and tribunals. It believes that, subject to compelling contrary grounds, it has a duty to adopt solutions established in a series of consistent cases. It further believes that, subject to the specifics of a given treaty and of the circumstances of the actual case, it has a duty to seek to contribute to the harmonious development of investment law, and thereby to meet the legitimate expectations of the community of States and investors towards the certainty of the rule of law. Arbitrator Stern does not analyze the arbitrator’s role in the same manner, as she considers it her duty to decide each case on its own merits, independently of any apparent jurisprudential trend ”. 15. See, for instance, L. Althuser, Sur le contrat social, Paris: Manucius, 2009. 16. See, for instance, B. Goldman, ’Frontières du droit et ’lex mercatoria’’, In.: Archives de Philosophie du Droit, Le droit subjectif en question, Paris: Sirey, 1964, pp. 177 et seq.
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with a private foreign entity into an international commercial contract containing an arbitration clause. 15 - It is often said that it would be against ’lex mercatoria’s good faith’ for a State or a State entity to enter into an international commercial arbitration agreement to, then, if a dispute arises, object to the jurisdiction of the arbitral tribunal on the basis that, for instance, the State’s law prohibits the public entity from submitting itself to international commercial arbitration. 16 - It may, however, be from time to time the case that the law of the State indeed prevents the public entity from arbitrating disputes. There can therefore be no doubt as to the ’fictional nature’ of the rule according to which a State or a State entity cannot rely on its own internal law to escape the legal effects of an international commercial arbitration agreement. Quid, however, whether this ’legal fiction’ may be applied when the private claimant knows or should have known, at the time the parties entered into the international commercial arbitration agreement, that the public respondent was forbidden under its law from submitting itself to arbitration. 17 - Be that as it may, this rule, first created by ICC arbitrators 17 and then adopted in international arbitration treaties 18 and national arbitration legislations, 19 is nowadays one of the pillars of the language of international commercial arbitration involving States and State entities in its struggle for survival. 18 - The ’subjective arbitrability’. Third, the notion, mainly developed by French arbitration doctrine and case-law 20, of ’subjective arbitrability’ is yet another ’legal fiction’ aimed at applying the law of the seat of the arbitration to the resolution of ratione personae jurisdictional objections raised by the public respondent. 19 - The State or the State entity may indeed argue that any jurisdictional objection pertaining to the possibility of submitting itself to arbitration raises an issue of ’capacity’ and, as a consequence, the applicable law to this issue is the law of the State. 20 - The concept of ’subjective arbitrability’ is a ’legal fiction’ to the extent that it entails that the applicable law to ratione personae jurisdictional objections raised by States or State entities would be the law applicable to ’arbitrability’, which generally is the law applicable to the validity of the arbitration agreement, that is, the lex arbitrii. The lex arbitrii is, in turn, the law of the seat of the international commercial arbitration. The interest of the ’legal fiction’ of ’subjective arbitrability’ only arises when the seat of the arbitration is located in a State different from the State which is involved in the specific international commercial arbitration. 21 - It is worth noting that this ’legal fiction’ of ’subjective arbitrability’ is only applied to States or State entities, with a view, we think, of placing the private claimant and the public respondent on the same footing within a specific international commercial arbitration. 22 - The applicability of international legal rules to ’State contracts’. Fourth, the ’legal fiction’ of ’State contract’ aims at counter-balancing, by placing the source of the binding nature of that type of contract in international commercial law (lex mercatoria), the application of the often-inserted applicable law 17. See, for instance, J. Paulsson, ’May a State Invoke its Internal Law to Repuiate Consent to International Commercial Arbitration ? Reflections on the Benteler v. Belgium Preliminary Award’, in.: Arbitration International, London: Kluwer, 1986, p. 90. 18. See Article II of the European Convention on International Commercial Arbitration signed in Geneva on 21 April 1961. 19. See, for instance, Article 177(2) of the Swiss Private International Law Act. 20. See, for instance, E. Gaillard and J. Savage, Ed., Fouchard Gaillard Goldman on International Commercial Arbitration, The Hague: Kluwer Law International, 1999, pp. 313 et seq.
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Dossier thématique
clause in favor of the State’s or the State entity’s legal order in the international commercial contracts that they execute. 23 - By relying on the ’legal fiction’ of ’State contract’, the private claimant attempts to convince the Tribunal to apply international legal rules, such as the lex mercatoria, in order to moderate the application of the law of the State to the merits of the dispute either by (i) providing tools for a more international interpretation of the rules of the State’s legal order or (ii) filling the gaps of the law of the State. 24 - The reliance on this ’legal fiction’ is, in our view, rarely effective. If – as it happens very regularly –, the relevant international commercial contract contains an applicable law clause in favor of the law of the State, the arbitral tribunal will have the duty to apply that law and only that law, as construed under the rules of that precise law. 21 In addition, all legal orders encompass methods to fill their gaps. We see no need to resort to the lex mercatoria in the circumstances. 25 - The waiver of immunities from jurisdiction and enforcement. Lastly, the ’legal fiction’ of ’implicit waiver of the immunities from jurisdiction and enforcement’ looks to enhance the efficiency of international commercial arbitration involving States. 26 - According to this ’legal fiction’ (which could also be characterized as a ’presumption’), a State, when entering into an
international commercial arbitration agreement, implicitly waives its immunities from jurisdiction and enforcement. 27 - The rationale behind this ’legal fiction’ is that the entire arbitral process would be useless if any award against a State could not be freely enforced. 28 - Recent practice, however, confirms that enforcement of awards against States is a very political subject and, as such, often varies as to its legal treatment. In France, for instance, after many years in which the ’legal fiction’ of ’implicit waiver of the immunities from jurisdiction and enforcement’ was adopted 22, a relatively recent law stated that the waiver of the immunity from enforcement must be ’explicit’. 23 **** 29 - The brief observations above show that international commercial arbitration has perhaps struggled for life more in respect of disputes involving States and State entities than in respect of disputes between private parties. The relevant number of ’legal fictions’ in the language of international commercial arbitration involving States and State entities provides tangible evidence of that struggle. Above all, one must not forget that the survival of arbitration depends on its acceptance by one of the most frequent users of international commercial arbitration: the States.ê
21. See, for instance, P. Mayer, ’Reflections on the International Arbitrator’s Duty to Apply the Law (The 2000 Freshfields Lecture)’, in.: Arbitration International, London: Kluwer, 2001, pp. 235 et seq.
22. See, for instance, Civ. 1ere 6 July 2000, State of Qatar vs. Creighton Limited, in.: I. Fadlallah and D. Hascher, op. cit., pp. 341 et seq. 23. See, for instance, the Sapin II Law in France.
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À propos de... La Revue des Juristes de Sciences Po Fondée en 2009, la Revue des Juristes de Sciences Po est une revue semestrielle étudiante affiliée à l’Association des Juristes de Sciences Po (AJSP). Publiée par l’éditeur LexisNexis, elle propose depuis sa création des dossiers thématiques consacrés à de grandes problématiques juridiques. Entièrement et indépendamment conçue par des étudiants de l’Ecole de Droit de Sciences Po, la Revue compte aujourd’hui vingt numéros. Un vingtet-unième est en préparation. La Revue est rédigée par des professeurs, praticiens et étudiants de Sciences Po mais aussi d’autres institutions. Les membres de la Revue sélectionnent les contributeurs et organisent la publication. Chaque numéro est placé sous la direction scientifique d’une personnalité reconnue du monde juridique. En constant développement, la Revue des Juristes de Sciences Po entend devenir une référence parmi les publications étudiantes francophones. Par l’augmentation progressive de sa visibilité, elle aspire à terme à influencer la pensée des acteurs du droit et faire réfléchir sur l’impact du droit dans notre société contemporaine.
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