Revue numéro 19

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LA REVUE DES JURISTES DE SCIENCES PO - N° 19 - OCTOBRE 2020

ministre chargé de l’économie prévue par l’article R.151-5 du Code monétaire et financier, si (i) le projet d’investissement a fait l’objet d’une notification préalable au ministre sans que ce dernier ne s’y oppose dans les dix jours et (ii) l’opération est réalisée dans un délai de six mois suivant la notification 5. 10 - La logique de cette mesure est simple : une prise de participation dans une société cotée ayant un actionnariat dispersé, même si elle est très minoritaire, peut déstabiliser la société, voire permettre à l'investisseur d'acquérir une influence déterminante sur celle-ci. Toutefois, afin de ne pas porter une atteinte excessive à la capacité des entreprises de se financer sur les marchés, ce contrôle renforcé ne concernerait que les investisseurs non européens et aurait vocation à prendre fin le 31 décembre 2020.

B. - Extension de la définition d’investisseur étranger 11 - La réforme du 31 décembre 2019 a également élargi la définition d’investisseur étranger. La notion d’« investisseur étranger » ne se contente pas de prendre en compte l’investisseur direct acquérant le contrôle de la cible française ; elle englobe l’ensemble de la chaîne de contrôle, appréhendant aussi l’investisseur « contrôlant » l’investisseur ultime. 12 - Ce contrôle s’appréciait jusqu’en 2019 au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce, référence classique pour établir le contrôle en droit des sociétés. Celui-ci se réfère à (i) la détention directe ou indirecte d’une fraction du capital conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales (ii), la détention de la majorité des droits de vote en vertu d’un accord conclu avec d’autres associés ou actionnaires (iii), la faculté de déterminer les décisions dans les assemblées générales de cette société par les droits de vote dont elle dispose, ou (iv) au pouvoir de nommer ou de révoquer la majorité des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance. 13 - La réforme du 31 décembre 2019 apporte une extension majeure à cette appréhension du contrôle. Elle ajoute que lorsqu’aucun contrôle n’a pu être établi sur le fondement de cet article, il conviendra également de vérifier si un contrôle peut être établi sur le fondement de l’article L. 430-1, III du Code de commerce, relatif à la réglementation applicable au contrôle des concentrations. Aux termes de cet article, un contrôle peut découler de « droits, contrats ou autres moyens qui confèrent, seuls ou conjointement et compte tenu des circonstances de fait ou de droit, la possibilité d’exercer une influence déterminante sur l’activité d’une entreprise, et notamment : des droits de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens d’une entreprise ; des droits ou des contrats qui confèrent une influence déterminante sur la composition, les délibérations ou les décisions des organes d’une entreprise ». 14 - L’objectif de la réforme est clair : adopter une approche pragmatique, plus large, permettant aux autorités françaises d’étendre leur supervision à des situations de contrôle économique ou opérationnel, et non plus uniquement aux situations de contrôle par le biais de la détention de capital ou de droits de vote.

C. - Extension des secteurs soumis à contrôle, miroir des enjeux politiques, stratégiques et technologiques 15 - Les entreprises soumises à ce contrôle sont définies par référence à leur activité, indépendamment de leur taille ou du 5. Art. 2, décret n° 2020-892 du 22 juillet 2020.

Dossier thématique

montant de l’investissement. Les activités qui y sont soumises ont connu un mouvement d’extension continu au gré des évolutions politiques, stratégiques et technologiques. 16 - On se souvient notamment du décret médiatique « Montebourg » de 2014 adopté dans l’urgence afin de permettre aux autorités françaises d’avoir un droit de regard sur le rachat de la branche énergie d’Alstom par General Electric, au motif que des entreprises jugées utiles aux intérêts nationaux ne peuvent être vendues sans une autorisation du Ministre de l’Économie. Ce décret avait ainsi étendu la liste des secteurs sensibles pour y inclure l’énergie, concerné par cette opération, mais également les secteurs de l’eau, de la santé, des transports et des télécoms. 17 - Dans le même sens, et devant l’émoi de l’opinion publique suscité par la prise de participation de l’industriel tchèque Daniel Křetínský, dans le quotidien Le Monde en 2018, la réforme du 31 décembre 2019 a étendu la liste des secteurs sensibles à l’édition, l’impression et la distribution des publications de presse d’information politique et générale. On pourra noter à ce titre que le nouveau régime impose à l’investisseur étranger de préciser, dans sa demande d’autorisation, les liens éventuels avec des États ou organismes publics étrangers. Ces éléments seront désormais pris en compte dans l’analyse de la demande réalisée par Bercy. 18 - L’évolution de réglementation montre également l’attention portée par les autorités aux évolutions technologiques. Ainsi, le décret du 29 novembre 2018 a ajouté certaines activités technologiques à la liste des secteurs sensibles : les opérations spatiales, les systèmes électroniques et informatiques spécifiques nécessaires pour l’exercice des missions de sécurité publique, les activités d’hébergement de données, et activités de recherche et de développement dans les technologies dites « critiques » que sont la cybersécurité, l’intelligence artificielle, la robotique, la fabrication additive (impressions 3D), les semi-conducteurs, les biens et technologies à double usage. 19 - L’arrêté du 31 décembre 2019 est venu ajouter à cette liste de technologies « critiques » les technologies quantiques et le stockage d’énergie. Enfin, un arrêté pris dans le cadre de la crise sanitaire le 27 avril 2020 a également allongé la liste de ces secteurs sensibles en y greffant les biotechnologies. L’objectif annoncé par le gouvernement était notamment d’étendre son contrôle aux laboratoires conduisant des recherches sur les vaccins destinés à protéger du Covid-19.

D. - Renforcement des sanctions 20 - Lorsqu’un investissement est réalisé sans autorisation préalable ou que les conditions de l’autorisation ne sont pas respectées, le Ministre en charge de l’Économie dispose d’une large gamme de sanctions applicables. 21 - Lorsqu’une opération a été effectuée sans autorisation, le ministre de l’Économie bénéficie de la possibilité de demander le rétablissement de la situation antérieure, aux frais de l’investisseur, ce qui constitue une menace majeure dans le cadre d’une opération d’acquisition. Il dispose également du pouvoir de modifier l’opération et d’ordonner des mesures d’injonction assorties d’astreintes qui ne peuvent dépasser 50 000 euros par jour. 22 - Il peut également prononcer des mesures conservatoires telles que la possibilité de suspendre les droits de vote litigieux, d’interdire ou de limiter la distribution des dividendes attachés aux titres litigieux, ou encore de suspendre, restreindre ou interdire temporairement la libre disposition de tout ou partie des actifs liés aux activités en question. 23 - Enfin, le Ministre dispose d’un pouvoir de sanctions pécuniaires renforcées dont le montant s’élève au maximum à la plus

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