Revue numéro 19

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Dossier thématique

LA REVUE DES JURISTES DE SCIENCES PO - N° 19 - OCTOBRE 2020

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La nouvelle place de l’État Bernard STIRN,

Président de section honoraire au Conseil d’État, membre de l’Institut

C

onsacré à la nouvelle place de l’État, ce numéro de la Revue des juristes de Sciences Po a commencé à être préparé avant l’épidémie de Covid-19. Le choix du thème était inspiré par le souci de réfléchir au rôle attendu de l’État dans un univers mondialisé, d’éclairer les évolutions des interventions publiques à l’heure de la régulation, de débattre de leur champ pour répondre aux exigences de la vie collective dans une société qui, si elle valorise les choix personnels et les initiatives individuelles, a aussi besoin de sécurité, de perspectives, de cohésion. Les défis auxquels la crise sanitaire a conduit à faire face ont tout à la fois apporté des interrogations nouvelles et confirmé la pertinence du sujet. Dans la lutte contre le virus, l’État s’est trouvé au premier rang des responsabilités. Il a dû démontrer sa capacité à définir une stratégie et il lui est revenu de mobiliser tous les acteurs publics et privés pour surmonter des risques mal connus dans un contexte largement inédit. Les évolutions, les adaptations, les aspirations qui sont au cœur des articles rédigés, à partir de points de vue variés, par les auteurs qui ont accepté d’apporter une contribution au présent numéro s’en sont trouvées enrichies. L’intérêt d’une analyse de la place de l’État à partir de regards croisés venus d’expériences différentes n’en est que plus grand. Par leur ampleur, les mutations que connaissent nos sociétés ébranlent les fondements de l’organisation sociale et mettent en cause le rôle de l’État. Dans son périmètre traditionnel, marqué par un territoire, à l’intérieur duquel il dit le droit, rend la justice, frappe la monnaie, assure l’ordre public, l’État est bousculé. La mondialisation efface les frontières, le droit et la justice s’internationalisent, les échanges et même la monnaie échappent aux autorités nationales. Un vaste mouvement de libéralisation, de déréglementation, d’ouverture à la concurrence met en cause les instruments publics d’intervention sur la vie économique et sociale. Le numérique introduit chacun dans un univers global où tous les individus se trouvent directement en relation les uns avec les autres sans référence à une quelconque autorité. De lourdes menaces

découlent des changements climatiques et des atteintes à l’environnement. L’épidémie de Covid-19 a montré la gravité et l’étendue des risques sanitaires. Dans les rapports qu’ils entretiennent entre eux, les États s’éloignent eux aussi des chemins balisés, qui consacraient les usages diplomatiques, le respect des traités, la confiance dans les organisations internationales. Le projet européen lui-même se trouve mis en question. Les boussoles perdues s’accompagnent d’appréhensions qui ouvrent d’inquiétantes perspectives. Instabilité politique et difficultés économiques se conjuguent pour donner naissance à des mouvements migratoires de grande dimension, qui coupent les plus vulnérables de la protection d’un État et les placent dans une grande détresse. Des frontières se referment, de nouvelles formes de nationalisme et de souverainisme s’affirment, le populisme exerce de dangereux attraits. La démocratie libérale se trouve menacée par des aspirations à l’illibéralisme et l’apparition de démocratures. La démocratie et la liberté ne sont plus nécessairement associées comme les composantes inséparables d’une société évoluée, ouverte et pacifiée. Le fanatisme et l’intolérance se développent. Dans leur sillage, le terrorisme sème ses ravages et propage sa barbarie. Dans ce contexte perturbé, le besoin d’État, loin de s’estomper, s’affirme avec une vigueur renouvelée. Les missions régaliennes, sécurité, justice, défense, répondent plus que jamais à de fortes nécessités. Aussi agile que fragile, l’économie appelle une régulation efficace et demande à l’État de solides capacités de stabilisation comme de relance. La cohésion du tissu social repose en grande partie sur de justes interventions publiques. Des vues à long terme, que seule la puissance publique peut concevoir et dessiner, s’imposent en matière d’éducation et de culture, de santé publique et de développement durable. Qu’ils soient économiques, migratoires, numériques ou sanitaires, les défis du monde actuel ne peuvent être relevés sans une action publique déterminée et organisée. Pour les pays européens, seule la cohésion d’un projet commun permet de peser sur les destinées d’un univers constitué de grands ensembles. À l’échelle internationale, la confiance dans l’approche multilatérale est à retrouver. Pour jouer le rôle qui lui revient, pour trouver sa place, l’État doit savoir évoluer. Il a largement commencé à le faire. En France, décentralisation et déconcentration ont progressé. Agences et autorités indépendantes se sont affir15


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