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veau de toute l’Europe4. Le 1er mai 1919, très tendu à Paris, rejoint les peurs italiennes au même moment.

Mais l’auteur nous montre ici l’aspect italien de ce phénomène européen, auquel on avait insuffisamment prêté attention ici. Et elle nous le montre à la fois au cœur du nœud du national et de l’international, dans le rapport entre politique intérieure et politique étrangère, et dans cette zone si complexe où s’entremêlent réalités, instrumentalisation de ces réalités, perceptions collectives et mythes. Il y a en effet des agents bolcheviques. Mais ils sont finalement peu nombreux, ils poussent à la caricature la notion léninienne de « minorité agissante », et leur rôle est instrumentalisé pour des raisons politiques par les dirigeants, et magnifié hors mesure par une opinion succombant à une perception caricaturale et transformant cette perception déformée de la réalité en véritable mythe.

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On a d’autres exemples, contemporains, de ce rapport complexe entre réalité, instrumentalisation, déformation et mythe. Lors des mutineries de l’Armée française en juin 1917, l’état-major était convaincu d’avoir affaire à une propagande défaitiste organisée, au service de groupes politiques pacifistes ou anarchistes, exerçant, de l’arrière du front, une influence démoralisante sur les soldats de l’avant. On sait maintenant que, pour l’essentiel, le mouvement des soldats était spontané, et s’expliquait par la durée et la brutalité du conflit et par l’échec sanglant de l’offensive Nivelle en avril-mai5. Mais les responsables politiques et militaires (pas l’opinion, tenue dans l’ignorance de la crise qui frappait l’armée) réagirent par une «grande peur» assez semblable à celle de leurs homologues italiens après la guerre. Ces phénomènes d’emballement collectif obsidional s’appliquent en effet aussi bien aux élites dirigeantes qu’à la masse de la population.

Les contemporains de Georges Lefebvre contestaient d’ailleurs parfois ses thèses, même si elles ont triomphé par la suite. Ils voyaient plutôt dans la propagation de la «grande peur» le résultat de manœuvres

4 G.-H. Soutou, dans l’ouvrage collectif Histoire de la Diplomatie française, présentation de Dominique de Villepin, Perrin, Paris, 2007, t. 2, pp. 309-310. 5 G. Pedroncini, Les Mutineries de 1917, Puf, Paris, 1967 ; 4e édition corrigée, 1999.

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systématiques de certains groupes révolutionnaires, pour déstabiliser le pays pendant l’été 17896 .

Une fois de plus, le plus difficile pour l’historien est de pénétrer le nexus entre les événements, leur éventuelle instrumentalisation politique, les idéologies et l’univers mental qui encouragent et facilitent cette instrumentalisation, et qui informent les perceptions et les mythes et les gonflent au-delà de toute raison. En analysant la faiblesse de la pénétration bolchevique, face à l’ampleur paranoïaque de la réaction, Valentine Lomellini franchit les difficultés de son sujet avec la méthode la plus sûre, et son livre, au-delà même de l’intérêt de son sujet, pose des principes de méthode que l’on pourra réutiliser dans d’autres cas, de la Guerre froide aux crises du monde actuel.

Georges-Henri Soutou Membre de l’Institut de France et Professeur émérite à l’Université de Paris-Sorbonne

6 On pense au plus connu des défenseurs de cette thèse, Augustin Cochin, historien d’avant 1914, dont certains travaux ont été rassemblés et préfacés par Jean Baechler, L’esprit du jacobinisme, Puf, Paris, 1979.

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