Issue 182 - juillet 2012 FR

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Texte : laurent grenier

Dans ‘Mon Dieu Mon Amour’, elle pose la question « comment peut-on exister trop ? ». Elle répondra que c’est une chanson d’apesanteur, un moment d’extase, une mélodie qui nous bouleverse. « C’est ça exister trop,

ce sont ces émotions trop fortes qui nous arrivent, qui font qu’on se demande comment c’est possible, comment ça pourra encore nous arriver ». C’est exactement ce qu’on ressent à l’écoute de ‘L’Amour, L’Argent, Le Vent’. On tient là un disque impérial qui nous scotche de A à Z, manifestement le grand-œuvre de son auteur. Un disque aventureux qui trouve sa source dans les contradictions insondables de ce monde. D’après la bio, ce disque serait né de voyages… Barbara Carlotti : « Je suis partie du principe que je voulais écrire ce disque à l’étranger. J’avais besoin de partir, de sortir de mes repères. Ça ne voulait pas dire que j’allais écrire de la musique du monde. L’idée, c’était d’aller trouver d’autres sonorités, de faire des rencontres qui allaient m’inspirer. J’ai fait les démarches nécessaires pour aller en résidence à l’étranger. A l’époque, j’écoutais beaucoup de tropicalisme, Os Mutantes, Chico Buarque, Caetano Veloso. J’aimais le mélange entre les instruments traditionnels et le côté beaucoup plus pop, international. C’était l’idée pour cet album, faire quelque chose d’un peu plus grandiloquent, aéré. Je suis d’abord partie au Brésil avant d’aller au Japon, où je me suis initiée au chant de geisha, où j’ai travaillé sur un koto. Après, on est aussi partis en Inde avec les musiciens. »

On doit pouvoir associer d’autres choses à la chanson. Ce qui compte, c’est que mes chansons, à travers la musique ou un vers, dévoilent des indices de l’émotion que j’ai ressentie. C’est comme les morceaux de Dylan. Qui comprend vraiment ce qu’il a voulu dire ? » La poésie est quelque chose qui te touche ? Barbara Carlotti : « J’aime bien ça, oui. On a eu de longues discussions avec Bertrand Belin là-dessus. Quand on fait de la chanson, on aime les formes courtes, imagées. Baudelaire est toujours ma référence ultime. A douze ans, mes deux chocs étaient Etienne Daho et Baudelaire. Ça m’a tenu. Ça me tient toujours. Il y a une forme de classicisme chez Baudelaire que j’aime bien et en même temps, c’est sulfureux et plein de contradictions, c’est chatoyant et mélancolique. Ce sont des choses dans lesquelles je me reconnais. » Ça me renvoie à la chanson ‘Rimbaud’ d’Audrain. Barbara Carlotti : « Elle est magnifique cette chanson. J’étais ravie qu’il pense à moi sur ce titre. Il arrive à délivrer une image de Rimbaud super belle, à traduire cette odeur d’Abyssinie, de cale de bateau. » Parlant de poésie, je trouve ce disque traversé de vers assez fulgurants, comme « Tu pourrais soulager des marines ». Barbara Carlotti : « Ce sont des images. Ici, ça renvoie à Marylin. Au fait que quand je pense à elle, je pense à des concerts qu’elle a donnés devant des marines, je voulais donner un côté très sexuel et sulfureux au personnage que j’ai créé pour cette chanson. On sent qu’il est méprisé. Je voulais exprimer ça, cet espèce de mépris qu’on a parfois pour des gens qui sont très beaux et admirés. Je voulais traiter de la figure de la femme perdue et fatale en même temps, à la fois fragile et impressionnante. Après, j’écris les choses très simplement, je ne me pose pas tant de questions, elles sortent naturellement, en même temps que je compose le morceau. Je ne termine jamais un texte avant que la musique soit finie. Celui-ci, j’en avais fait une ébauche après avoir relu ‘Rose Poussière’ de Jean-Jacques Schuhl. Particulièrement le passage sur Zazou, personnage un peu superficiel mais fascinant. Et puis ‘Ouais, Ouais, Ouais, Ouais’, je trouve ça formidable comme titre de chapitre. » Ce rapport aux autres formes d’expression semble important pour toi. Barbara Carlotti : « Oui, bien sûr. Après la tournée de ‘L’Idéal’, j’avais un peu de temps et pas beaucoup d’argent. On m’a proposé de faire des ateliers de création radiophoniques. J’ai travaillé sur deux idées. D’abord sur le dandysme et tous ces écrivains d’une certaine idée de la littérature, ces personnages qui se mettent en scène dans leurs écrits. J’aime bien ce monde de sophistication littéraire. Ensuite, j’ai un peu bossé sur les rock-critics, ce qui était une évidence puisque étant dans le milieu, on n’arrête pas de lire des chroniques, de vivre dans cette mythologie-là. Jean-Jacques Schuhl, je l’avais d’abord lu pour le dandysme parce que dans ‘Rose Poussière’, il y a quand même pas mal de choses sur la tenue physique. Après, c’est aussi le père d’une certaine forme de journalisme. Eudeline, Beigbeder, tous ces mecs-là se sont complètement référés, inspirés de ‘Rose Poussière’ qui décrit des concerts de Pink Floyd, la mort de Brian Jones, qui est vraiment dans la mythologie du rock au quotidien. Je me suis payé le luxe d’aller interviewer Jean-Jacques. C’était vraiment super. On est devenus copains. » En parlant de mythologie du rock, tu dis dans ‘Nuit Sans Lune’, « John Lennon est mort, j’ai froid ». Barbara Carlotti : « C’est vrai. Avec Daho et Baudelaire, c’est ma troisième idole de jeunesse. Avec mon cousin, on faisait du piano quand on était petits et on s’était acheté toutes les partitions de John Lennon. De temps en temps, je le réécoute. Récemment, j’étais complètement grippée chez moi, j’ai ressorti ces vieilles partoches racornies et j’ai joué du Lennon pendant trois jours. Ça m’a fait un bien fou. » En même temps, est-ce qu’il y a une certaine nostalgie ou pas ? Barbara Carlotti : « Non, pas du tout. Je ne suis pas nostalgique d’une époque, d’un âge d’or. Je pense qu’à chaque période, on a un peu les mêmes souffrances. On pense toujours que c’était mieux avant mais moi, j’aime l’époque dans laquelle je vis. Elle a ses aspects désagréables et contraignants mais j’ai la chance de vivre ce que j’ai envie de faire. » S’il n’y en a pas par rapport à un âge d’or, peut-être qu’il y en a par rapport à l’enfance, un thème récurrent du disque. Barbara Carlotti : « Non plus. Mais je pense que quand on fait de la musique, qu’on est artiste au sens large, on a décidé de rester en enfance toute sa vie. On joue sur scène, on essaye des choses, on crée des personnages, on apprend tout le temps, on n’est pas dans une attitude très concrète par rapport à la vie. En tant qu’artiste, on a cette espèce de qualité enfantine d’être au monde. On assume ce côté un peu défaillant de ne pas vouloir se prendre en charge. » Tu confirmes donc « les jeux d’adultes sont des jeux de brutes ». Barbara Carlotti : « Oui, gamin, à part sous la contrainte, il n’y a pas de violence. Le monde adulte est brutal. On est obligé de vivre, de gagner sa vie. Moi, je m’en fous de gagner ma vie, ça fait partie du jeu et je m’y plie mais j’aimerais bien me débarrasser de ce problème. Je préfère lire des livres, chanter, jouer du piano. » La scène, c’est quelque chose que tu aimes ? Barbara Carlotti : « Je ne m’y suis jamais sentie aussi bien. Je me suis même mise au clavier. Je me suis libérée du rôle de simple chanteuse. Sur scène, c’est utile vu les arrangements assez riches du disque. » La meilleure illustration de ces arrangements plus luxuriants est la fin quasi psychédélique de ‘Nuit Sans Lune’. Comment l’expliques-tu ? Barbara Carlotti : « C’était une réelle volonté d’aller vers des choses plus arrangées, davantage de densité. Ici, l’influence, c’est Bowie. En fait, on a vraiment travaillé ce morceau en groupe. L’idée, c’était aussi de pouvoir faire des concerts un peu plus appuyés. J’avais envie de quelque chose de puissant, d’avoir un son. Sur un morceau comme ça, en ramenant des cordes, des mellotrons, des synthés, tu te déploies vraiment. »

Voyage, voyage

Ce sont ces résidences qui expliquent les quatre ans entre ‘L’Idéal’ et cet album ? Barbara Carlotti : « Les quatre ans, c’est parce que j’ai quitté 4AD. Ils avaient changé d’équipe, ça devenait compliqué. Je n’avais plus vraiment d’interlocuteur. Après, j’ai mis beaucoup de temps à trouver un label, notamment en France. La conjoncture étant difficile, ils n’ont pas tendance à faire confiance aux artistes. J’ai vraiment en un moment de grand découragement, au moment où tous les labels m’ont dit non, c’est nul, il faudrait enlever un mot par là, couper un pont ici. Là, tu ne comprends pas. T’as presque envie de leur dire, écrivez-moi les singles que vous attendez. Je peux retravailler des choses, je suis beaucoup revenue sur les arrangements mais il faut que les arguments qu’on t’avance ne soient pas aussi ineptes que ceux que j’ai entendus. Il n’y a pas de règles pour faire une chanson qui marche et malgré tout, les gens essayent d’en trouver et de te les imposer. Pour se rassurer et pouvoir se dire qu’ils vont vendre. Ça devient vraiment rare de trouver des passionnés dans le monde de la musique aujourd’hui. Pour beaucoup ce sont des gens qui viennent du marketing et qui ont une pression telle qu’ils en viennent à douter d’eux-mêmes, de leurs propres goûts. Au final, ils arrivent à te dire, ça me plait vraiment mais ça ne marchera jamais, désolé. » Concrètement, tu peux illustrer l’influence de ces voyages sur un morceau ? Barbara Carlotti : « Je n’aurais jamais écrit ‘L’Amour, L’argent, Le Vent’ si je n’avais pas été au Brésil. Parce que ça raconte le braquage que j’ai vécu. Ça faisait quinze jours que j’étais là. On avait décidé d’aller à la plage. En prenant une route entre deux favelas, on s’est fait attaquées par des gamins. La personne qui m’accompagnait s’est retrouvée avec un schlass immense sous la gorge et moi avec une mitraillette sur le bide. Je n’avais rien sur moi, à part un tout petit sac avec quelques billets et le carnet dans lequel je notais des idées de morceaux. C’était une drôle d’expérience, parce que pour eux, on représente l’argent, l’envie. Ça te confronte à une situation sociale hyper âpre alors que tu es dans un pays hyper beau et luxuriant. C’était d’autant plus étrange pour moi que je n’avais plus rien, pas de label et que je représentais quelque chose que je n’étais pas. J’ai essayé de rassembler ce dont je me souvenais et de m’inspirer de cet incident. Quand je dis « des gosses jouent non loin de là à des jeux d’adultes », c’est vraiment ça, ce sont toutes ces contradictions que j’ai essayé d’exprimer dans la chanson. » La personne qui entend le vers « L’amour, l’argent, le vent, toutes ces choses qu’on ne devrait pas avoir sur soi », ne va jamais comprendre ça s’il ne connaît pas l’histoire. Barbara Carlotti : « Ce n’est pas grave. Une chanson n’est pas faite pour expliciter clairement les choses. Il y a une forme de poésie que j’assume totalement. Ça doit être un peu évanescent.

Barbara

Carlotti

Un disque : ‘L’Amour, L’Argent, Le Vent’ (Atmosphériques / Pias)

on stage 18 juillet Francofolies de Spa / 19 juillet Francos Juniors de Spa


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