Ecouter les cartes - Howard McCord

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Howard

McCord Écouter les cartes et autres poèmes

Ce

qui

1 reste



Howard

McCord

Écouter les cartes et autres poèmes

Traduit de l’américain par Thierry Gillybœuf & Cécile A. Holdban

Ce

qui

reste



Table des matières

Poems / Poèmes 10 The one left behind / Celle qu’on a laissée derrière 13 Bog spring / Tourbière au printemps 15 Where we are / Là où nous sommes 17 Inscription 18 The objects and categories / Les objets et catégories 21 Shaman song / Chant du chaman 23 Shaman song II / Chant du chaman II 24 Listening to maps / Écouter les cartes 26 The five laws of nature 30 / Les cinq lois de la nature 31 The search / La recherche 32 Kathmandu Valley: A Hillside 36 / Vallée de Katmandou : une colline 37 The least demand / La moindre exigence 46 Naturally / Naturellement 48 Tonight / Ce soir 50 Jennifer, 62

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Introduction I am Howard McCord, purveyor of efficacious curses and charms, old straitjackets, soothing ointments, A Patented Cure for Error, ancient coins, edged weapons, and rare books. I walk with the imperturbable dignity of a man long crazed by the Muse, whoso motto is Luxe, Calme, et VoluptĂŠ. I am as harmless as death.

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Présentation Je suis Howard McCord fournisseur en charmes et malédictions efficaces, en vieilles camisoles de force, onguents apaisants, Remède Breveté à l’Erreur, pièces anciennes, armes tranchantes et livres rares. Je marche avec la dignité imperturbable d’un homme que la Muse a rendu fou depuis longtemps, dont la devise est Luxe, Calme et Volupté*. Je suis aussi inoffensif que la mort.

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Poems Poems are the spines on the cactus, the teeth of the bear, the fangs of a viper, a bird frightened by air. Poems hook the fish in stone and tear the warbler’s throat, and twist the nose of that crone who cannot spell but only moan. I saw one deep in a tree, and just inside a woman’s lips; in the well of a flower where the butterfly sips. A poem is a bramble, an intake of air, a scream in the night from the humble throat of a mole taken by an owl silent in flight. Do not go among them. Do not scream. Nothing from nothing is only a dream.

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Poèmes Les poèmes sont les épines sur le cactus, les dents de l’ours, les crocs d’une vipère, un oiseau effrayé par l’air. Les poèmes accrochent les poissons dans la pierre, déchirent la gorge de la fauvette et tordent le nez de cette vieille bique qui ne sait pas envoûter mais juste gémir. J’en ai vu au fond d’un arbre et juste entre les lèvres d’une femme, dans le puits d’une fleur où boit le papillon. Un poème est une ronce, une admission d’air, un cri dans la nuit poussé par l’humble gorge d’une taupe capturée par une chouette silencieuse en plein vol. N’allez pas parmi eux. Ne criez pas. Le néant issu du néant n’est qu’un rêve.

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The one left behind The song of Orpheus slips into snow and silence, the world oppressed by death seen etched in the alphabet of black branches. What texts are these? Dusk dims their reading, the language remote as the northeastern coast of Greenland — hell’s own rocks misnamed. I remember a Danish painter was eaten there. All the bear left was palette, brushes, easel, canvas, and blood-soaked earth. The ice grows slick outside, fine-grained as dust, layer melts with layer. Black ice by morn. No warm fruit to offer her. So stay she must, no trail to follow, no guide through perfect white. We are empty says the snow, or we are full.

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Celle qu’on a laissée derrière Le chant d’Orphée glisse dans la neige et le silence, le monde opprimé par la mort entrevu gravé dans l’alphabet de branches noires. Que sont ces textes ? Le crépuscule estompe leur lecture, le langage aussi éloigné que la côte nord-est du Groenland — les propres rochers de l’enfer mal nommés. Je me souviens qu’un peintre danois a été dévoré à cet endroit. Tout ce que l’ours a laissé c’était la palette, les pinceaux, le chevalet, la toile et la terre détrempée de sang. La glace devient luisante à l’extérieur, un grain aussi fin que la poussière, les couches se fondant les unes dans les autres. Glace noire le matin. Aucun fruit chaud à lui offrir. Il lui faut donc rester, aucune piste à suivre, aucun guide à travers la blancheur parfaite. Nous sommes vides dit la neige, ou bien nous sommes pleins.

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Bog spring Vestiges of an ancient swamp form my backyard. November rain makes a pond which freezes into a hard white plate studded with oaks by Christmas. Then bad cold comes. Late March comes mud. April offers green weeds, and I haul winter’s deadfall to the bonfire. In May a few snakes are happy in the brush, squirrels chase through the oaks and each teaspoon of soil contains more beings than all the humans on earth. All are kin to us.

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Tourbière au printemps Les vestiges d’un ancien marécage forment mon arrière-cour. En novembre la pluie fait une mare qui gèle en une assiette blanche et dure garnie de chênes à Noël. Puis vient le grand froid. Fin mars arrive la boue. Avril offre de l’herbe verte, et je traîne le bois mort de l’hiver jusqu’au feu de joie. En mai quelques serpents sont heureux dans les broussailles, les écureuils se pourchassent dans les chênes et chaque cuillérée de terre contient plus d’êtres que tous les hommes sur terre. Tous nous sont apparentés.

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Where we are The full moon in the western sky is rimmed in ice before dawn, the fields white and frozen. I look across space and wonder at loop quantum gravity, the universe as a hologram, and a near infinity of parallel existences — all theories of the day. I will go home and dance around an oak for a moment, just to feel my own heart beat.

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Là où nous sommes La pleine lune dans le ciel à l’ouest est bordée de glace avant l’aube, les champs blancs et gelés. Je scrute l’espace et m’interroge en boucle sur la gravité quantique, l’univers en tant qu’hologramme et quasi infinité d’existences parallèles — toutes les théories du moment. Je rentrerai à la maison et danserai autour d’un chêne quelques instants, juste pour sentir mon cœur battre.

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Inscription Do this my love: Order brocade images, Rubied crowns of light, And star-dappled wrens Gyring heavenward who sing Alone, and spin devices Real, devout‌ ascending Clever of winglore, In turbulent beauty Announcing moon-clarity, Melody, and flowing Care that never Ceases in its growth. Order these, love and Rain-formed magic Descend to you.

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Inscription Fais-cela mon amour : Commande des images de brocart, Des couronnes de lumière avec rubis Et des roitelets mouchetés d’étoiles Tournoyant vers le ciel qui chantent Seuls et font tourner des mécanismes Réels, dévoués… montant En pleine maîtrise de l’art du vol, Dans la beauté turbulente Annonçant le clair de lune, Mélodie et écoulement De l’attention qui jamais Ne cesse dans sa croissance. Commande tout cela, mon amour, et Que la pluie née de la magie Descende sur toi.

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The objects and categories Obsidian, chalcedony, flint: the stones of the dead. Tourmaline, jasper, and opal: the stones of the living. The herbs of the living are tarragon, cumin and rose. The herbs of the dead are pepper, oregano, and tar.

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Les objets et catégories Obsidienne, calcédoine, silex : les pierres des morts. Tourmaline, jaspe et opale : les pierres des vivants. Les herbes des vivants sont l’estragon, le cumin et la rose. Les herbes des morts sont le poivre, l’origan et l’héroïne.

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Shaman song for Jonathan Williams

To master the ascent the atnongara stones were put in my belly, the bones in all my body were removed and dried, languages inscribed on them. I was instructed to contemplate the skeleton, to inch my mind through the thick dark of the cave, to find and capture the Lord of the Horse-stick with a net of my own blood.

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Chant du chaman pour Jonathan Williams

Pour maîtriser l’ascension les pierres d’atnongara ont été mises dans mon ventre les os dans tout mon corps ont été retirés et séchés, des langages inscrits dessus. On m’a appris à contempler le squelette, à faire avancer mon esprit à travers l’obscurité épaisse de la grotte, à trouver et capturer le Seigneur du Cheval de bois avec un filet fait avec mon propre sang.

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Shaman song II Ashes of slain beasts, the wine burning on the tongue, charred flecks of skin, the bread soggy with blood: this is the geometry of belief. Unfit knowledge, sucking man to the hole of the gods, a place where filthy reason and schemes are vein-burst and done. Fools believe. Fools sacrifice. I am a holy madman and my face is marked. The god is a massive, blessing fool that sings.

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Chant du chaman II Des cendres d’animaux massacrés, le vin brûlant sur la langue, des mouchetures carbonisées de peau, le pain détrempé de sang : telle est la géométrie de la croyance. Connaissance impropre, aspirant l’homme dans le trou des dieux, un endroit où la raison et les plans obscènes sont morts les veines ouvertes. Les imbéciles croient. Les imbéciles sacrifient. Je suis un fou consacré et mon visage est marqué. Le dieu est un imbécile massif, qui bénit en chantant.

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Listening to maps The sound of old maps is like dolls’ laugher, brittle as china twigs or a bird’s thinking. At Dodona, old men still listen to the oak, and yellow-eyed boys have begun to dream at the signal of things shuffled in the night since the stars were first seen, and their names began to be understood. The page is a mind’s track. Everything reveals. It is not necessary to read. Wittgenstein is folded in the limestone. The whole of the mysteries is held like music in the white bark pine. Every ridge is sacred to a bird who watches the river below twist like a juniper with secrets. What the maps don’t tell me I discover from my wife. Love knows things denied all else. Some maps can be rolled like waves, while others have to be folded at the joints, bent like canal locks or opened up like shy girls’s thighs. 26


Écouter les cartes Le bruit des vieilles cartes est comme le rire des poupées, fragile comme des brindilles en porcelaine ou la pensée d’un oiseau. À Dodone, les vieillards écoutent encore le chêne, et les garçons aux yeux jaunes ont commencé à rêver au signal des choses dérangées dans la nuit depuis que les étoiles ont été vues pour la première fois et que leurs noms ont commencé à être compris. La page est une trace de l’esprit. Tout se révèle. Il n’est pas nécessaire de lire. Wittgenstein est replié dans le calcaire. La totalité des mystères est retenue comme la musique dans l’écorce blanche du pin. Chaque crête est sacrée pour un oiseau qui observe le fleuve à ses pieds serpenter comme un genévrier plein de secrets. Ce que les cartes ne me disent pas je le découvre grâce à ma femme. L’amour sait que les choses refusaient tout le reste. Certaines cartes peuvent être roulées comme des vagues, tandis que d’autres doivent être pliées aux jointures, courbées comme des écluses ou bien ouvertes comme les cuisses de filles timides. 27


Old maps demand the least, like old men: they’ve learned the fallacy of presumption, and everything goes easier with the eyes closed. There is no way to satirize a map. It keeps telling you where you are. And if you’re not there, you’re lost. Everything is reduced to meaning. A map may lie, but it never jokes. We are sitting here, you and I, in a place on a map. We know this. Yet we are not on the map. We are looking for ourselves. This is the rustle of leaves that you hear, the crackle of folding paper, the sound of old maps.

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Les vieilles cartes sont les moins exigeantes, comme les vieillards : elles ont appris l’illusion de la présomption, et tout devient plus facile avec les yeux fermés. Il n’y a pas aucun moyen de faire la satire d’une carte. Elle continue de vous dire où vous êtes. Et si vous n’y êtes pas, c’est que vous êtes perdu. Tout est réduit au sens. Une carte peut mentir, mais elle ne plaisante jamais. Nous sommes assis ici, toi et moi, à un endroit sur une carte. Nous le savons. Cependant nous ne sommes pas sur la carte. Nous nous cherchons. C’est le bruissement des feuilles que tu entends, le craquement du papier plié, le bruit des vieilles cartes.

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The five laws of nature I There are not five laws of nature.

II All definitions are in error. Inquire of any tree or stone.

III In the most simple situations, an infinite number of unknown laws are operating.

IV Silence and God are the products of nothing.

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Les cinq lois de la nature I Il n’existe pas cinq lois de la nature.

II Toutes les définitions sont dans l’erreur. Demandez à un arbre ou une pierre.

III Dans les situations les plus simples, un nombre infini de lois inconnues sont à l’œuvre.

IV Le silence et Dieu sont les produits du néant.

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The search “I am a poet, which is to say, a savage.� The wisdom men, with the young chanters, randy, drunk, and frightened, surge through the mountains like creeks at flood, wild for the hidden place, the core of dream where tree houses sprout like flowers high in the branches and the meditation huts barely distinguish themselves from the earth. We search, and ready ourselves for catastrophe. The old men often drift into tongues I do not know when they remember the other times, and though I have caught at art all my life I have never discovered clarity, for the tumult of my mind is a dry thicket where all paths entwine and lose themselves.

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La recherche « Je suis un poète, autrement dit, un sauvage. » Les sages, avec les jeunes chantres, libidineux, ivres et effrayés, surgissent dans les montagnes comme des criques dans les crues, sauvages pour l’endroit caché, le cœur du rêve où les maisons d’arbres jaillissent comme des fleurs tout en haut des branches et les cabanes de méditation se distinguent à peine de la terre. Nous cherchons la catastrophe et nous y préparons. Les vieillards s’abandonnent souvent à des langues que je ne connais pas quand ils se rappellent d’autres temps et bien que je me sois accroché à l’art toute ma vie je n’ai jamais découvert la clarté, car le tumulte de mon esprit est un hallier sec où tous les chemins s’entrelacent et se perdent.

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What is this thing we know which we are unable to say? That entropy is as sovereign over the mind as over stars? and if we came on the Sybilline Books entire we would kindle a campfire and warm our hands on the last of wisdom.

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Quelle est cette chose dont nous savons que nous sommes incapables de la dire ? Que l’entropie est elle aussi souveraine sur l’esprit que sur les étoiles ? et si nous tombions sur les Livres Sibyllins tout entiers nous allumerions un feu de camp et réchaufferions nos mains à l’ultime sagesse.

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Kathmandu Valley: A Hillside Tibet is fifty miles away and the requiem of all that is fugitive is the low and moaning cry of the wind. The mountains here break out toward the sky in a spasm of rock and snow and hungry villages. Below, a white stupa covers a relic of Buddha like cupped hands and I am very close to walking to Tibet. It is moving into a falcon’s eyes and brain here on the hillside, a funny pilgrim rocking on his heels talking to a brown child in some tree language of gesture while out beyond our faces are the Himalayas and fifty miles away my cinnamon Tibet.

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Vallée de Katmandou : une colline Le Tibet est à cinquante miles de là et le requiem de tout ce qui est fugitif est le cri faible et gémissant du vent. Ici les montagnes se brisent vers le ciel dans un spasme de roche, de neige et de villages affamés. Dessous, un stupa blanc recouvre une relique de Bouddha comme des mains en coupe et je suis tout près de marcher vers le Tibet. Quelque chose bouge dans les yeux et le cerveau d’un faucon sur la colline, un drôle de pèlerin se balançant sur ses talons qui parle à un enfant au teint halé dans un langage arboricole de gestes tandis que par-delà nos visages il y a l’Himalaya et à cinquante miles de là mon Tibet de cannelle.

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The Toad Man a poem for Stob

I I say endure the law of things, the wasted joke of the night. Walk away. In the forest the needles of the larch are loosening, a yellow pale as white alder leaves The rains have come, half snow, and the brush is heavy and cold in the gray shadows My pants are wet through in a hundred yards and a chill works up my back before I sweat. Six miles on a logging road, two miles along the ridge. Two miles is just far enough to pack a rocking chair.

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L’homme crapaud un poème pour Stob

I Je dis de supporter la loi des choses, la plaisanterie manquée de la nuit. Éloigne-toi : Dans la forêt les aiguilles du mélèze se détachent, un jaune pâle aussi blanc que les feuilles d’aulne. Les pluies sont arrivées, à moitié neige, et l’escarmouche est lourde et froide dans les ombres grises. Mon pantalon est trempé en moins de cent mètres et un froid glacial me remonte le dos avant que je transpire. Six miles sur une route de bûcherons, deux miles le long de la crête. Deux miles c’est bien assez pour emballer un rocking-chair.

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I made the shack, what Kephart calls an “axeman’s cabin” eight by ten, but with a borrowed chain-saw, the butterflies out tumbling in the first hot weather. Brought in a welded metal stove, that rocking chair. I stay there to endure the delight the defeat.

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J’ai fabriqué la hutte, ce que Kephart appelle une “cabane de bûcheron” huit sur dix, mais avec une tronçonneuse empruntée, les papillons dehors tombant à la première canicule. Apporté un four en métal soudé, ce rocking-chair. Je reste là pour supporter le délice la défaite.

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II My pleasures are in solitude, a fire, my own plain cooking, the prayer of the wind. I must wander both beneath and upon the earth a herdsman and gatherer of sycamore fruit I can sing any song whatever, for anytime because the waters flow eternally (the truth of sage, marjoram, basil, the wine of the condemned, the plumb line and the quarrels of men) There is no order. Neither in reed nor flint nor the house of the sun nor the rabbit nor in the blessings of gentility. I tell you there are only the myths of childhood. geometry nothing more.

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II Mes plaisirs sont dans la solitude, un feu, mon repas simple, la prière du vent. Je dois errer à la fois sous et sur terre berger et cueilleur de fruits du sycomore je peux chanter n’importe quelle chanson, à n’importe quel moment parce que les eaux coulent éternellement (la vérité du sage, marjolaine, basilic, le vin du condamné, la ligne de plomb et les querelles des hommes) Il n’y a pas d’ordre. Ni dans les roseaux ni dans le silex ni dans la maison du soleil ni dans le lapin ni dans les bénédictions des bonnes manières. Je vous dis qu’il n’y a que les mythes de l’enfance. la géométrie rien de plus.

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III I drink whisky some, smoke grass, and have a hot water bottle. Tuck that in the bedroll on a cold night and it’s all right. They kill out there I paint, read books, hear the toads call from the spring and wait, my heart like a locust. Summer comes and I start the garden watch after the hives eight beehives at the edge of the meadow They always get through the winter They’ve got secret ways of staying warm, like toads – they never die.

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III Je bois un peu de whisky, fume de l’herbe et j’ai une bouteille d’eau chaude. Range ça dans le tapis de couchage par une nuit froide et tout va bien. On tue par ici je peins, lis des livres, entends les crapauds appeler depuis la source et j’attends, mon cœur comme un criquet. L’été arrive et je commence le jardin veille sur les ruches huit ruches au bord du pré Elles passent toujours l’hiver Elles ont un secret pour rester au chaud, comme les crapauds – elles ne meurent jamais.

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The least demand There are mountain ranges that rise within the eyes, cut off horizons (make them) as they offer canyons. Nobody knows how they grow. Beautiful, fascinating cancers of uncertainty. They may not really be there. But you must find the Pass to make the other side.

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La moindre exigence Il y a des chaînes de montagnes qui se dressent à l’intérieur des yeux, découpent les horizons (les font) en offrant des canyons. Personne ne sait comment elles poussent. Beaux, fascinants cancers d’incertitude. Elles ne peuvent pas réellement être là. Mais on doit trouver le Passage pour aller de l’autre côté.

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Naturally Every surgeon lusts after what tomorrow did to this afternoon with the little instrument called light. Winter knows the same delicacy: picking leaves without a wind by balancing sugars.

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Naturellement Chaque chirurgien désire ce que demain a fait à cet après-midi avec le petit instrument appelé lumière. L’hiver connaît la même délicatesse : ramasser des feuilles sans aucun vent en mettant des sucres en équilibre.

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Tonight What do I dream? Of a lake, as at Askja, with high cliffs. The hurt call of the cicadas, the cluttering whirr of the grebe. A long walk — toward the place where the sun circles, never touching the rim of the world. The sun ties a knot in the sky, and the mountains under his dying tongue have something hidden in them which speaks to me.

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Ce soir De quoi je rêve ? D’un lac, comme à Askja, avec de hautes falaises. L’appel douloureux des cigales, le vrombissement désordonné de la grèbe. Une longue promenade — vers l’endroit où le soleil décrit des cercles, sans jamais toucher le bord du monde. Le soleil fait un nœud dans le ciel, et les montagnes sous sa langue mourante ont quelque chose de caché en elles qui me parle.

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Recalling your body Thunder is the past participle of a cloud. Each cricket knows it has lived forever. The power of a spider is patience, intelligence, the mercy of time, and silence. In a wild country matters can be true which might not be somewhere else.

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En me rappelant de ton corps Le tonnerre est le participe passé d’un nuage. Chaque grillon sait qu’il a vécu pour toujours. Le pouvoir d’une araignée est la patience, l’intelligence, la miséricorde du temps et le silence. Dans une contrée sauvage des sujets peuvent être vrais qui pourraient ne pas l’être ailleurs.

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Two lives I He was born in a cave eight miles from Chama, was raised with horses in humble circumstances, spoke on his second birthday, read fluently by age three. He early showed a fondness for pi単on nuts and solitude, was granted his first vision of the Lord at eight. In the kiva of the Melon People he came to know the language of feathers, and insects respected his hands. At twelve, wearing a coat of dog skin, he wandered away, and was thought dead by his family. He returned at twenty, one-eyed, and speaking riddles. He ate sparingly, played with children, worked in the fields.

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Deux vies I Il était né dans une grotte à huit miles de Chama, a été élevé avec les chevaux dans d’humbles conditions, parlé pour son deuxième anniversaire lu couramment à l’âge de trois ans. Il a montré très tôt un goût pour les noix de piñon et la solitude, reçu sa première vision du Seigneur à huit ans. Dans le kiva du Peuple Melon il en est venu à connaître la langue des plumes et les insectes respectaient ses mains. À douze ans, portant un manteau en peau de chien, il s’en est allé et a été considéré comme mort par sa famille. Il est revenu à vingt ans, borgne et parlant par énigmes. Il mangeait parcimonieusement, jouait avec les enfants, travaillait dans les champs.

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He began to sing, though he had no master. His songs were obscure, and sometimes frightening. The old men listened and we were quiet. We took this as a sign. He taught that the sun is the size it appears to be, that children and dreams need no translation. He left books which we read, but no lovers, a carved figure only the initiate may see.

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Il a commencé à chanter, bien qu’il n’eût pas de maître. Ses chants étaient obscurs et parfois effrayants. Les vieillards écoutaient et nous restions silencieux. Nous prenions cela pour un signe. Il enseignait que le soleil a la taille qu’il semble avoir, que les enfants et les rêves n’ont pas besoin de traduction. Il délaissait les livres que nous lisions, mais pas les amants, une silhouette sculptée que seul l’initié peut voir.

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II I first remember a large stone beside the house, on the sunny side. Voices came from it. One spring I sat by it for days, listening. The stories were marvellous. Later on I found I could hear other stones, a few trees. They cautioned me not to reveal this. The eye was a simple trade, and worth it. One is enough for the outer world. Birds still frighten me. They are too willful, too easily swayed.

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II Je me rappelle d’abord une grande pierre près de la maison, sur le côté ensoleillé. Des voix en provenaient. Un printemps je me suis assis près d’elle pendant des jours, pour écouter. Les histoires étaient merveilleuses. Plus tard je me suis aperçu que je pouvais entendre d’autres pierres, quelques arbres. Ils m’ont conseillé de ne pas le révéler. L’œil était un métier simple qui valait la peine. Un seul suffit pour le monde extérieur. Les oiseaux continuent de m’effrayer. Ils sont trop entêtés, trop facilement influencés.

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I worked with sheep after I went away, drove truck, listened to music, traveled, kept a diary, found I spent more and more time alone. So I came back to Chama. Stones said it a good thing to do.

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J’ai travaillé avec des moutons après que je suis parti, conduit des camions, écouté la musique, voyagé, tenu un journal, découvert que je passais de plus en plus de temps seul. Je suis donc revenu à Chama. Les pierres disaient que c’était une bonne chose à faire.

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Jennifer, You are the woman who makes things clear. The excitement of clarity is more profound than the burning of a star, or the necessary slip of coin to the Algonquin’s bellhops. I see you there, in a tall chair along the west paneled wall, reading, sipping a drink, waiting with the poise of a flower designed by Brahms. (I am listening to Symphony #4) and everything is clear. It has never been necessary for us to ask. Clarity. We hone it subtly as a creature dances who has no name.

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Jennifer, Tu es la femme qui rend les choses claires. L’excitation de la clarté est plus profonde qu’une étoile qui brûle ou la pièce obligée glissée aux grooms de l’Algonquin. Je te vois là, dans un grand fauteuil le long du mur ouest lambrissé, lisant, sirotant une boisson, attendant avec l’équilibre d’une fleur conçue par Brahms. (J’écoute la symphonie n°4) et tout est clair. Il n’a jamais été nécessaire pour nous de demander. Clarté. Nous l’affûtons subtilement comme une créature danse qui n’a pas de nom.

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A noter, ce mois-ci La Femelle du Requin consacre un dossier complet à Howard McCord, comprenant un entretien avec l’auteur, plusieurs articles (dont un signé Pierre Cendors), et quelques poèmes inédits. www.lafemelledurequin.org



L’auteur

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Howard McCord Howard McCord est né en 1932 à El Paso au Texas. Après avoir servi dans la Marine pendant la guerre de Corée, il est diplômé de l’Université du Texas et de l’Université de l’Utah. De 1960 à 1971, il enseigne à l’Université d’État de Washington, puis, de 1971 à 2000, à l’Université d’État de Bowling Green dans l’Ohio, où il dirige un programme de “Creative Writing”. Au cours de sa carrière professionnelle, il est également “Visiting Professor” dans plusieurs universités. Marié une première fois à Dora Ochoa, dont il a deux enfants, il est remarié avec Jennifer Revis, avec laquelle il a quatre enfants. Lauréat de plusieurs bourses et prix littéraires, ce grand voyageur, grimpeur et marcheur accompli est l’auteur de plus d’une cinquantaine d’ouvrages (récits, romans, essais et poèmes). Son roman The Man Who Walked To The Moon (1999) lui a valu le Nancy Dasher Book Award. Ses Complete Poems, couvrant quarante ans de poésie, ont paru en 2002. Jusqu’à ce jour, deux de ses livres ont été traduits et en français et publié en France : L’homme qui marchait sur la lune (Gallmeister, 2011) et En marchant vers l’extrême (Ring, 2013). La revue La femelle du requin lui consacre un numéro spécial en 2016.

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La revue Ce qui reste RALENTIR POÈME

Un poème est un pont jeté en travers du temps Jean-Michel Maulpoix

Prendre le temps de lire un poème est un acte de résistance libérateur, une manière de rester dans l’instant présent, d’échapper à la fuite en avant permanente que nous impose le rythme de notre époque. C’est reprendre sa respiration avec l’inspiration des autres. La revue Ce qui reste, coéditée par Cécile A. Holdban et Sébastien de Cornuaud-Marcheteau, vous propose de marquer cette pause en vous faisant découvrir chaque semaine un auteur. La création n’étant pas que langage, la revue ouvre également son espace à des artistes plasticiens.

© Mars 2016 — Texte : Howard McCord Traduction : Thierry Gillybœuf & Cécile A. Holdban Photographie et dessins : Cécile A. Holdban La revue Ce qui reste pour la présente édition www.cequireste.fr — revue.cequireste@gmail.com


« Nous sommes assis ici, toi et moi, à un endroit sur une carte. Nous le savons. Cependant nous ne sommes pas sur la carte. Nous nous cherchons. C’est le bruissement des feuilles que tu entends, le craquement du papier plié, le bruit des vieilles cartes. » Howard McCord

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