Acmé Hors Série 2 - Michael Jackson

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Revue de cinéma intéractive

Hors Série N°2

Automne 2009


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Acme Automne 2009 - Hors Série N°2 Rédacteurs en chef du Hors Série : Vincent Baticle (vincent.baticle@revue-acme.com) Yoann Bomal Rédactrice en chef adjointe : Anaïs Kompf (anais.kompf@revue-acme.com) Rédacteurs : Vincent Baticle, Yoann Bomal, Elisabeth Renault-Geslin, Anouchka Walewyk. Maquette revue numérique : Pascale Dufour (contact@ookah.com) Webmestre et graphisme du site : Vincent Baticle (webmaster@revue-acme.com) Directeur de la publication : Danilo Zecevic (danilo.zecevic@revue-acme.com) Remerciements : Pierre Berthomieu, Pier Paolo Crobeddu, Fabien Delmas, Florian de Gesincourt, Hervé Joubert-Laurencin, Constance Nilson, Claude Ratinier, Alexandre Roy, Vojislav Zecevic

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Michael Jackson et le cinéma se rencontrent en 1978 sur le tournage de The Wiz, version all black casting du Magicien d’Oz réalisée par Sydney Lumet. Mais le film fut un échec financier et stoppa durablement l’intérêt de Hollywood pour les comédies musicales noires à gros budget. Les plateaux de cinéma semblaient alors à jamais fermés à Michael Jackson. Mais celui-ci décida que si le cinéma ne souhaitait pas l’accueillir, il l’embarquerait dans son propre univers. Il donna alors une dimension nouvelle au vidéo-clip. Ses films, dotés de budgets pharaoniques, furent tournés en pellicule. Ils racontent une véritable histoire et, pour certains, s’ouvrent et se ferment sur de véritables génériques complets. Dans The Wiz, Michael Jackson (L’épouvantail) empruntait aux côtés de Diana Ross la célèbre « Yellow Brick Road » menant au château du magicien d’Oz. Cette route, c’est le chemin qu’il a choisi pour rejoindre le cinéma. Il y a rencontré d’étranges personnages nommés John Landis, Martin Scorsese, Francis Ford Coppola, David Lynch, David Fincher, Spike Lee ou Stan Winston. Au bout de son périple sur la route de briques jaunes, enfin devenu magicien d’Oz, il a trouvé les marches rouges du Festival de Cannes, gravies avec jubilation en 1997 lors de la présentation du moyen métrage Ghosts. Ironie amère, c’est sa mort qui entraînera son véritable avènement cinématographique. Un dernier film, véritable long-métrage de cinéma, pour présenter au monde un spectacle à jamais inédit. This is it.

Rédaction et Edition : Association Acme 4, rue Pierre Midrin 92310 Sèvres Mail : contact@revue-acme.com L’iconographie est issue de photos d’exploitations ou de captures de DVD édités par Columbia Pictures, Sony/ BMG, The Michael Jackson Compagny, Universal Pictures Video, Warner Home Video. Tous droits réservés. © Les auteurs, Acmé, 2009. Tous droits réservés pour tous pays. Toute reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause est illicite et constitue une contrefaçon. Les textes n’engagent que leurs auteurs.

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Un entretien privé entre Andy Warhol et Michael Jackson datant de 1978 vient d’être dévoilé sur Internet. Warhol y témoigne de son admiration pour les vidéos du chanteur : « Oh, tu sais, j’ai vu la vidéo de Blame It On The Boogie à la télé l’autre jour. J’adore quand on ne voit que des pieds, partout des pieds ! - Vraiment ? - Oh oui. - Je n’aime pas la vidéo. - Ah oui ? Pourquoi ? - Ce n’est pas ce que j’ai voulu. Ce n’est pas recherché. - Tu aimerais tourner d’autres vidéos ? - Oui, j’ai plein d’idées pour mes futures vidéos. Mais il faut que je termine d’abord mon album avant que ça ne puisse voir le jour. »

Yoann BOMAL 5

Une (re)naissance cathodique Gros plan sur le visage de Michael Jackson, encore pur et enfantin. Nœud papillon trop grand, costard et coupe afro. S’ouvrant sur sa tête pour découvrir le reste de son corps, le travelling arrière mime un accouchement télévisuel. Enfin entier, il pousse son premier cri : « Aouwh ! ». Ce premier plan raconte la (re)naissance de Michael Jackson et Don’t Stop ‘til You Get Enough est l’image de son émancipation. Ses frères absents, le chanteur est désormais seul. Rien de bien nouveau cependant : depuis qu’il est né, il a toujours été la véritable vedette. Ultime pied de nez, lorsqu’il a besoin de partenaires pour effectuer sa chorégraphie, c’est son image qui est démultipliée. Par cet effet avant-gardiste, la présence des autres Jackson devient obsolète. Il n’y a plus que Michael dans le cadre. Lui et lui-seul. Il est enfin libre de sauter, danser et voler de ses propres ailes. Le vidéo-clip n’est qu’une ode à sa joie et à sa beauté noire tonitruante. Mais à danser dans un cadre trop serré, il sort du champ et, déjà, donne l’impression d’être à l’étroit dans le format télévisuel. C’est d’ailleurs ce qu’il


nombreuses références tant au Magicien d’Oz de Fleming qu’à Tous en scène de Minnelli, Billie Jean n’est pourtant encore qu’un vidéo-clip à part entière, concentrant tous les effets vidéos caractéristiques de l’époque (ralentis, accélérés, arrêts sur image, split-screens, ...). Il constitue toutefois l’acte de naissance d’une nouvelle génération de films musicaux…

Just Beat It !

exprime quatre ans plus tard dès la première minute du vidéoclip de Billie Jean : l’image dans l’image, cadre dans un cadre noir, semble être projetée dans une salle obscure. Avec Billie Jean, Michael Jackson commence à arpenter la « Yellow Brick Road » – qui déjà, en 1978, s’enroulait autour de New-

York dans The Wiz (une version du Magicien d’Oz revisitée par Sidney Lumet et dans laquelle le chanteur tenait le rôle de l’épouvantail). En quête de cinéma, il quitte la cité et illumine la route à chacun de ses pas. Bien que soulevant des questions génériques (est-ce un film noir ? un musical ?) et contenant de 6

Billie Jean était numéro un partout aux Etats-Unis mais MTV ne diffusait pas le vidéo-clip. Et pour cause : le taux de diffusion des artistes noirs sur la chaîne était de seulement 3% ! Entre le public blanc et les artistes noirs se dressait l’obscurantisme des médias professant un racisme purement théorique. Mais, lorsque l’indignation des fans de Michael Jackson se concrétisa sous forme d’éditos dans la presse écrite, CBS (qui avait dépensé plus d’un quart de million de dollars pour Billie Jean – soit dix fois le prix habituel d’un vidéoclip) fit savoir que ses produits ne seraient plus disponibles pour MTV tant qu’on n’y verrait pas Michael Jackson danser le long de la route de dalles lumineuses. La chaîne finit par céder. Une fois Billie Jean sur orbite, les murs tombèrent et les standards téléphoniques explosèrent, saturés par les demandes des téléspectateurs fascinés. En l’espace d’un mois MTV consacra plus de temps d’antenne aux chanteurs noirs qu’elle ne leur en avait concédé depuis sa création. Michael Jackson raconte : « Ils disaient qu’ils ne passaient pas de vidéos d’[artistes noirs]. Cela m’a brisé le coeur, mais en même temps cela a déclenché quelque chose en moi. Je me disais : « Il faut que je fasse quelque chose... je refuse d’être ignoré. » Alors, oui, pour Billie Jean, ils ont dit


qu’ils n’allaient pas la diffuser. Mais lorsqu’ils l’ont fait, cela leur a donné une audience record. Après cela, ils me demandaient tout ce que j’avais à proposer. C’est eux qui frappaient à notre porte. Puis Prince est arrivé, et MTV lui a ouvert ses portes, ainsi qu’aux autres artistes noirs. Au départ cette chaîne ne jouait que du Heavy Metal 24 heures sur 24... (…) Ils sont venus me voir dans le passé à plusieurs reprises en disant : « Michael, sans toi, il n’y aurait pas de MTV ! » »1. Cette brèche qu’ouvrit l’artiste, il la dédia d’ailleurs à Sammy Davis Jr, l’un des pionniers de la cause noire : « Yes, you were there, and thanks to you there’s now a door we all walk thrue » (« Oui tu étais là, et grâce à toi il y a maintenant une porte que nous franchissons tous »)2.

Zombie Revolution Michael Jackson avait ouvert la porte aux damnés de MTV, aux refoulés de l’Amérique. Et comme le craignaient les dirigeants de la chaîne, il allait effrayer le public blanc… pour le plus grand plaisir de ce dernier ! Apothéose de son triptyque filmique, Thriller fut le premier vidéo-clip conçu comme un véritable film de cinéma, un

court-métrage musical « avec un début, un milieu et une fin ». Admirateur du Loup-garou de Londres, Michael Jackson contacta John Landis et, à eux deux, révolutionnèrent le médium. Le film est une vertigineuse mise en abyme des désirs cinématographiques du chanteur qui se voit lui-même sur l’écran de cinéma et qui jubile, à la fois acteur et spectateur de son propre fantasme. Si Thriller s’inspire des films d’horreur des années 50 (particulièrement ceux avec Vincent Price dont la voix est directement utilisée), il se révèle avant tout comme un subtil mélange des genres. Au milieu de la conjugaison de toutes les catégories et tous les codes du genre (nuit de pleine lune, loup-garou, zombies, …) vient s’insérer un véritable numéro de comédie musicale. Alors le film est touché par une certaine grâce poétique et les quelques repères qui subsistaient s’effondrent. On ne sait plus si c’est Michael Jackson qui s’est perdu dans un film d’horreur ou si ce sont ces morts-vivants qui se sont égarés dans une comédie musicale. Le chanteur est alors zombie parmi les zombies, ses vêtements sont en lambeaux, son visage vert et creusé. Puis il se met à chanter et reprend des couleurs, son visage redevient normal et sa veste se rabiboche d’un plan à l’autre, comme si chanter lui redonnait vie. Cette danse macabre est un moment en suspend, car aussitôt la chorégraphie terminée les zombies reprennent leur marche, la jeune fille se réfugie dans une maison jumelle de celle de Psycho, Michael Jackson redevient zombie et la narration cinématographique reprend ses droits sur la musique. Ils laissent la chanson derrière eux car fondamentalement le film ne sert pas de socle au single. Il existe pour lui-même et raconte une histoire soutenue par une chanson, recyclant ainsi 1. Ebony Magazine, Décembre 2007. 2. You Were There, chanson interprétée par Michael Jackson le 4 février 1990 lors d’une cérémonie en l’honneur de Sammy Davis Jr.

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Michael Jackson a ouv ert la porte aux refoulés d e l’Amérique


déguiser en blanc, il n’oubliait pas ces blancs qui avaient usurpé l’identité des noirs. Thriller insuffle ainsi l’énergie de la musique noire à la figure romerienne du zombie. Le beat tonitruant et le riff de basse funky font trembler la terre et réveillent les morts. La sortie du film fut un événement mondial, avec bandesannonces, making-of en cassette et diffusion en prime time. Ce fut également l’occasion pour toute une génération de jeunes américains de découvrir leur premier film d’horreur à une heure de grande écoute. Avec Thriller, Michael Jackson fit durablement exploser les barrières qui séparaient les artistes noirs d’un large public multiracial. Le film marqua aussi le début d’une nouvelle forme de musique à voir que l’artiste allait développer tout au long de sa carrière. En témoigne d’ailleurs le dernier plan du film : Michael Jackson se retourne vers la caméra, yeux et sourire terrifiants, l’image se fige et dans un rire démoniaque il semble dire « Maintenant je suis là, et pour longtemps ! »

la comédie musicale hollywoodienne classique. Cette synthèse inédite permet au film d’échapper à toute classification. Thriller fusionne les genres en un cocktail explosif, sans pour autant les parodier, et toujours dans un respect absolu de leur tradition cinématographique. Thriller reprend la figure moderne du zombie que George Romero créa en 1968, symbole de la révolution, porte-parole des minorités qui imposent leur présence dans le cadre (comme Michael Jackson imposa la sienne sur MTV). Le premier zombie de La Nuit des morts-vivants fait son apparition depuis le fond du cadre, à l’horizon et s’approche. Il marque le retour du refoulé du cinéma américain classique. Il est le monstre, le vampire, le loup-garou, l’indien, le noir resté hors-champ, dans le domaine de l’invisible. Or, dans Thriller, les morts sortent véritablement de leurs tombes car les minorités qui se révèlent n’ont jamais eu droit au cadre. Il n’y a pas de retour pour eux, c’est un allé simple véritablement inédit. Les zombies jacksonniens sont noircis par la terre de laquelle ils se sont extirpés. Ils sont les artistes noirs qui n’avaient jamais eu accès à la lumière des projecteurs et qui sortent des tombes musicales si souvent pillées par les artistes blancs. Si Michael Jackson allait devenir le premier noir à se 8


Anouchka Walewyk

(Captain EO, Scream) et bien sûr le musical. Mais n’est-ce pas justement le propre de la comédie musicale de s’approprier les autres genres et de les réinventer en musique ? Alors que la comédie musicale décline définitivement à la fin des années 1970, le vidéo-clip ne va-t-il pas prendre la relève et proposer un avenir possible à un genre devenu désormais désuet et qui se doit de regagner les faveurs du public ? Les clips de Jackson sont bien des shorts musicals. Ils racontent des histoires, alternent dialogues parlés avec moments chantés et dansés, et revisitent continuellement les classiques de la comédie musicale américaine, Band Wagon et West Side Story en tête. « Learn from the greats, and then become greater. » (« Apprendre des grands maîtres, et après devenir encore plus grand. »)

Quand la modernité naît du classicisme

« Je suis un vieil homme, j’attendais la relève. Merci. » Fred Astaire envoie cette note à la star montante peu avant de mourir, il a trouvé son « successeur ». L’autre ne cache pas son admiration : Les vidéo-clips de Michael Jackson ont constamment revisité « Personne n’aurait pu avoir l’habileté de Mr. Astaire, mais ce que je les grands genres classiques hollywoodiens : le western (Black n’ai jamais arrêté d’essayer d’imiter, c’est son style, tous les aspects de son Or White), le film d’horreur, fantastique (Thriller, Ghosts), le art ». Étonnante filiation entre l’incarnation de l’élégance et le film de gangsters (Smooth Criminal, You Rock My World), parangon d’un mauvais goût « pop » revendiqué. Ces deux-là le péplum (Remember the Time), le film de science-fiction nous montrent que le talent et le génie n’ont pas de frontières. Michael Jackson

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L’artiste juxtapose les époques et les références afin de créer son propre langage

Dans les années 1970, alors que Jackson se cherche encore, il va littéralement reprendre à son compte le style classique hollywoodien et notamment celui d’Astaire. On le voit ainsi à la télévision revisiter de célèbres séquences de films dans un style purement broadway-hollywoodien, autant dans la chorégraphie que dans les décors et les costumes. Jackson rend hommage au Fred Astaire de The Way You Look Tonight (Swing Time) et Puttin’ on the Ritz (Blue Skies). Plus tard, il cite frontalement Get Happy (interprétée par Judy Garland dans Summer Stock) lors d’une de ses entrées en scène. En copiant les maîtres, Jackson fait son apprentissage. A cet égard il n’oublie pas les références absolues telles Singin’ in the Rain et The Band Wagon. Il faudra en effet attendre Smooth Criminal pour que Jackson s’émancipe de son modèle et le revisite avec son propre style. Sans le plagier, le clip s’inspire du célèbre Girl Hunt Ballet de The Band Wagon (de Minnelli), où Cyd Charisse séduisait Fred Astaire. On y retrouve la même tenue des deux danseurs, un même night-club des années 30 (le même bar et le même groupe de Jazz en arrière-plan de façon simplement décorative), la femme fatale et même certains pas de danse. Les innovations sont néanmoins nombreuses (notamment l’utilisation de chaussures qui permettent aux danseurs de danser à 45°) et les présences de Joe Pesci et Sean Lennon 10

inscrivent bien le clip dans un style cinématographique et musical contemporain. La référence au film de Minnelli reviendra à plusieurs reprises : une réplique d’Astaire est explicitement citée dans Dangerous (« She came at me in sections, She was bad, She was Dangerous ! ») et You Rock My World, auto-citation de Smooth Criminal, se réapproprie à nouveau des éléments du Girl Hunt Ballet lors de la bagarre chorégraphiée sur le bar. Guys and Dolls (Blanches Colombes et Vilains Messieurs de Mankiewicz avec Marlon Brando et Frank Sinatra) s’inscrit également en filigrane par la présence de Brando dans le clip (l’hommage à l’acteur est souligné par le nom de l’hôtel, « Waterfront Hotel », qui fait bien sûr référence à son rôle dans On the Waterfront de Kazan) mais aussi grâce à l’univers de la pègre et le costume de Jackson (costume noir et chemise pâle, fleur à la boutonnière) présents dans le film de Mankiewicz. Là encore les présences à la fois de Brando et de Michael Madsen témoignent bien du désir de l’artiste de juxtaposer les époques et les références afin de créer son propre langage.

Quand la citation devient revendication Dans un registre plus « moderne » du musical, Beat It et Bad offrent deux lectures différentes de West Side Story dans


lesquelles Jackson réinterprète la chorégraphie de Jerome Robbins. Le premier s’ouvre dans un dinner semblable à celui du film de Wise et met en scène de véritables membres de gangs. Vêtu d’une veste de cuir rouge (couleur attitrée de George Chakiris), le chanteur ramène la paix entre ces Jets et Sharks jacksonniens par la danse tandis que c’était pour se

battre que les originaux s’arrêtaient de danser. La chorégraphie de Jackson et Vincent Paterson reprend ce claquement de doigts caractéristique de l’introduction de West Side Story, installant la référence dans un maniérisme pur : il ne s’agit plus de se battre, mais de battre le rythme (« Beat it » évoque aussi le beat de la musique). Reprise toute aussi littérale, Bad (dans West Side Story les Jets chantent Cool), réalisé par Scorsese, reprend ce même dispositif en situant cette fois l’action dans un métro new-yorkais et non plus dans un parking, comme c’est le cas chez Wise. Au-delà de la simple modernisation du cadre et de la mise en scène que Scorsese réutilise en cinéphile, on retrouve l’influence de Wise dans la légèreté des pas et la chorégraphie basée sur l’alternance de mouvements rapides et de pauses. La citation n’est donc pas seulement cinématographique, mais également chorégraphique. Jackson

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apporte cependant à la fluidité des mouvements de Jerome Robbins la déstructuration de la gestuelle corporelle propre à la danse hip-hop, alors en pleine émergence. La référence au film de Wise dépasse également la citation cinéphilique dans la revendication égalitaire et les problèmes du racisme et de la violence : des questions qui vont largement


préoccuper le chanteur. On pense bien sûr à Black Or White mais surtout à la reprise d’un sous-genre qui vit le jour au sein du système classique hollywoodien, le all-negro screen musical. A l’instar de Cabin in the Sky (Minnelli), Carmen Jones (Preminger) ou Stormy Weather, Remember the Time et surtout The Wiz seront entièrement interprétés par des artistes noirs et mettront en exergue des revendications semblables.

cinéaste est sans aucun doute le dernier porteur de la comédie musicale classique américaine, il est également le précurseur du vidéo-clip. Son montage très segmenté et la modernité qu’il va insuffler au mouvement dansé seront des caractéristiques essentielles des clips de Jackson. De plus le style des deux danseurs est très similaire. On s’étonne aujourd’hui de revoir la seule séquence de film entièrement chorégraphiée, chantée, dansée et montée par Quand le serpent rencontre la panthère Fosse (A Snake in the Grass dans The Little Prince de Non revendiquée mais tout aussi patente, la filiation entre Donen) tant elle semble être la matrice du futur « King of Bob Fosse et Michael Jackson s’impose. L’auteur de Cabaret Pop ». Fosse y incarne le serpent qui va ôter la vie au petit prince avait lui aussi une admiration sans limite pour Fred Astaire ; tout comme Jackson se métamorphosera en panthère dans la Stanley Donen voyait en lui « le nouveau Fred Astaire ». Si Fosse séquence finale de Black Or White. Soft shoe (claquettes avec 12

une semelle souple), micro-geste, look identique (costume noir, gants, chapeau, lunettes) : la similarité est confondante. Fosse y exécute même le célèbre moonwalk popularisé par Michael Jackson. Un fil invisible semble ainsi tisser les mutations du musical de Fred Astaire à Michael Jackson en passant par Wise et Fosse. Everything Old Is New Again était le titre d’une chanson de Peter Allen reprise dans le All That Jazz de Fosse. Vous l’avez brillamment assimilé Mr. Jackson.


Michael Jackson vs Hollywood

« Welcome to Hollywood That’s what they told you A child star in Hollywood That’s what they sold you Grace with beauty, charm and talent You would do what you were told But they robbed you of your childhood Took your youth and sold it for gold » Elizabeth, I love you

Elisabeth renault-geslin

Tout au long de sa carrière, Michael Jackson a fait appel aux plus grands réalisateurs contemporains, de Scorsese à Coppola, en passant par David Fincher, Spike Lee ou bien évidemment John Landis. S’il n’est lui-même crédité que deux fois en tant que co-réalisateur (Jam et Blood On The Dance Floor), il n’en demeure pas moins l’auteur à part entière de sa propre œuvre filmique. Michael Jackson marque les séquences dansées d’un style unique et parfaitement reconnaissable. Outre le célèbre moonwalk, il y intègre la pantomime, directement inspirée du mime Marceau. Il est aussi le premier à réunir les danseurs derrière lui en formation triangulaire. Cette mise en place, que l’on retrouve dès Beat It et Thriller, traverse alors les clips, quel qu’en soit le réalisateur, filmée quasi systématiquement de manière frontale et plongeante pour mettre en valeur la chorégraphie. Ainsi, dans Liberian Girl, l’artiste met véritablement son statut de créateur en avant. L’action prend place dans un studio hollywoodien. Les stars défilent les unes après les autres, de John Travolta (qui retrouve pour l’occasion Olivia 13

Newton-John) à Whoopi Goldberg, en passant par Rosanna Arquette et Steven Spielberg. Tous cherchent Michael Jackson, absent à l’image, mais présent dans toutes les conversations. Spielberg, d’abord présenté dans son fauteuil de réalisateur, devient vite un acteur comme un autre, laissant la place à Jackson qui apparaît descendant d’une grue, l’œil derrière la caméra. Ce mouvement de grue fait écho au plan d’entrée dans le clip qui s’élève pour laisser apparaître une vision


d’ensemble du studio. Michael Jackson se présente comme entité omnipotente filmant sans être vu : il est partout à la fois, dans les loges, sur le plateau… puis il apparaît descendant du ciel. En se mettant ainsi en scène comme toute puissance créatrice, détrônant les plus grands réalisateurs, il prend le contre-pied de Speed Demon, où, pourchassé par des fans et des agents de sécurité, il se moque de lui-même et de son côté « Bad Bambi » à travers le personnage de Spielberg en pâte à modeler qui l’insulte (« J’ai demandé un type méchant et on me donne Michael Jackson ! »).

Michael Jackson vs Michael Jackson Un gangster, un casanova égyptien, un loup-garou, un lapin biker, un fantôme, un squelette, un bad boy… Si les différents rôles qu’a endossé Michael Jackson lui ont permis de s’évader de la réalité, tous contenaient une part de lui-même. Son œuvre filmique se révèle en effet telle une collection hétéroclite de moments cathartiques et obsessionnels, populaires et personnels. A la ville comme à l’écran, Michael Jackson cultive une double personnalité à la Jekyll et Hyde. De l’être fragile à la voix frêle à la bête de scène, du gendre idéal au loup-garou…

Cette contradiction se formalise dans de nombreux clips par la récurrence thématique du désir et de la persécution, indissociables dans l’univers du chanteur. L’opposition 14

est évidente entre Speed Demon et Liberian Girl : là où l’un attend l’arrivée de Michael avec désir et impatience, l’autre voit le désir se transformer en persécution lors d’une poursuite dans le dédale des studios. Un panneau indique même l’interdiction de danser le moonwalk ! Dans Thriller, il persécute sa petite amie effrayée après que son côté Hyde s’est déclenché avec la pleine lune. Et dans Bad, c’est l’oppression exercée par les autres qui provoque sa transformation. Le personnage double n’apparaît plus par un intermédiaire neutre, mais par une population qui lui en veut de ne pas être comme elle. Dans les deux cas, la persécution est extérieure au personnage. Dans une logique d’introspection, ce harcèlement moral, qui provoque la transformation physique, bascule dans une lutte intérieure. Dans Leave Me Alone, clip entièrement en animation, un Michael Jackson miniature visite le corps de Michael Jackson comme un parc d’attractions. Entre le cabinet de curiosités, le train fantôme et l’autopsie, nous


pénétrons dans les obsessions et les points douloureux de son existence. Un nez autour duquel tourne un bistouri y côtoie un autel dédié à Liz Taylor, des unes de journaux à scandale côtoient un billet américain à l’effigie du chanteur. La mise en abyme et l’ironie, autant que l’introspection, nourrissent le mythe et le scandale, et augmentent la difficulté à démêler le vrai du faux. La limite n’est plus repérable et la distance entre Michael Jackson et son personnage devient indiscernable. Michael Jackson est l’image de ses personnages. La suite logique de cette réflexion entre dualité et martyr l’amène au film Ghosts, qui rassemble trois séquences chantées et dansées au milieu d’un film scénarisé d’une demiheure. L’affrontement a lieu entre un groupe de villageois modernes, habillés en vêtements de ville et un Michael Jackson d’une autre époque, habitant un vieux manoir hanté de film d’horreur. Si la mise en place de l’intrigue est similaire au schéma de persécution extérieure, le makingof apporte une nouvelle dimension à l’introspection. En effet, le personnage du maire des villageois mécontents qu’incarne un Michael Jackson méconnaissable, grimé dans un costume de latex, s’affronte lui-même. Chacun des deux personnages qu’il incarne passe par plusieurs

stades de métamorphoses. Le fantôme du manoir, d’abord frêle et amical, se transforme en monstre géant, puis en squelette dansant. Le maire méprisant se transforme aussi en monstre après avoir été contaminé par la danse contre son gré. Michael Jackson dédouble et traverse ses corps et exorcise son image de freak. Où le corps dansant et la paranoïa n’ont plus de limites. Et où la frontière entre la fiction et la réalité fabrique une nouvelle rencontre du troisième type…

l’enfance. Au fil des clips, la danse est synonyme d’union, de communication, que ce soit entre les hommes, entre les cultures ou avec la nature. Dans Black Or White, la danse de Michael Jackson s’approprie toutes les danses, des Indiens d’Amérique aux Russes, en passant par les Mayas, dans un symbolisme d’universalité. Dans Jam, les mouvements du danseur et du joueur de basket communiquent et se confondent. Enfin, dans Will You Be There, chanson originale du film Sauvez Willy, les fondus enchaînés entre Michael Jackson et l’orque accentuent les similarités Œuvre singulière vs spectacle total entre la danse et le mouvement de l’animal dans l’eau. La La persécution nourrit un besoin d’évasion, qu’expriment relation entre Michael Jackson et le monde animalier n’est la danse et la multiplication des genres au sein des clips, le pas anodine. Réalisant le hors-champ de La Féline de plaisir du déguisement, du jeu et de la transformation liés à Tourneur, il se transforme par deux fois en panthère noire, dans les versions longues de Smooth Criminal et Black Or White. Dans ce dernier, son cri est même mixé avec celui d’un félin. Ce cri très reconnaissable, qu’il pousse dans de nombreux clips, est à la fois un appel à l’union et à la révolte. Dans Ghosts, il provoque le rassemblement des fantômes. Dans la version longue de Black Or White, il marque le soulèvement contre l’oppression. La formalisation de la dualité Jekyll et Hyde, de l’humain à l’animal, du gentil 15


La frontière entre la fiction et la réalité fabrique une nouvelle rencontre du troisième type au méchant et du noir au blanc permet une communion universelle. Dans cette oeuvre d’auteur assez unique, tout fusionne en échos et progressions logiques, de Smooth Criminal et son gangster félin qui défie les lois de l’apesanteur à You Rock My World et son ambiance de gangsters en fin de règne. Ghosts est, quant à lui, le grand frère numérique de Thriller, où l’effondrement du visage digital de l’un répond à la transformation en loup-garou filmée en pixilation de l’autre. Tout est porteur de sens et rien ne reste isolé, jusqu’aux concerts où les chorégraphies et l’ambiance des clips sont reprises et déclinées. La frontière entre le fantasme, le mythe

et le réel prend toujours des chemins inattendus. Dans ce spectacle total, le cinéma rejoint la salle de concert et le clip le parc d’attraction. Travaillant sans cesse à repousser les limites du spectacle, Michael Jackson s’est intéressé à toutes les nouvelles technologies, notamment la 3D, de Captain Eo, réalisé par Francis Coppola pour l’attraction de DisneyLand, à la séquence de Thriller dans This Is It. Précurseur et pionnier dans de nombreux domaines, il fut un des premiers à utiliser le morphing (Black Or White), les effets numériques et la motion capture (Ghosts), entre autres. Chaque clip témoigne de l’évolution des techniques cinématographiques et voit défiler l’histoire du cinéma. 16

L’amour de Michael Jackson pour Hollywood a engendré un univers et des genres hybrides, où la danse rencontre le film d’horreur et la chanson côtoie la science-fiction. Musique et cinéma n’y font qu’un.


Le corps de Michael Jackson aura subi, tout au long de la vie de l’artiste, d’importantes mutations transformant peu à peu le jeune garçon noir et jovial des débuts en un personnage famélique et squelettique. On aura alors pu faire remarquer, sur un ton amusé, qu’à la fin de sa vie, il ressemblait presque aux personnages horrifiques de certains de ses vidéo-clips. Mais derrière le bon mot se cache en fait une vérité essentielle de l’œuvre filmique de l’artiste : la conception d’un corps dansant mu par un processus incessant de devenir-fiction. Ni noir, ni blanc ; mi-homme, mi-femme ; ni mort, ni vivant ; Michael Jackson fantasme un entre-deux que seule permet la pleine appartenance à la fiction et à la danse.

Victoires de la fiction vincent baticle

Par un recours constant aux genres cinématographiques les plus reconnus, les vidéo-clips de Michael Jackson affichent 17

leur filiation avec l’histoire du cinéma hollywoodien et font alors du corps de l’artiste un élément capable de parcourir naturellement toutes sortes de représentations fictionnelles. Ainsi, la dimension universaliste de Black Or White (Jackson parcourt le monde et s’adapte aux danses des peuples qu’il visite – sans toutefois abandonner sa propre conception du mouvement) est-elle illustrée par un ensemble d’imagesclichés. Les indiens sont tout droit issus d’un western et les russes se révèlent, à la faveur d’un travelling arrière, être les personnages d’une boule à neige que tient un nourrisson. La statue de la liberté et les autres monuments-symboles internationaux revendiquent quant à eux leur dimension d’image de carte postale (appuyée par l’aspect carton-pâte du décor). Personnage de fiction, Michael Jackson ne parcourt pas le monde, il parcourt des images. Après une impressionnante séquence de morphing multiracial illustrant le propos de la chanson (« It don’t matter if you’re black


or white »), se dévoile le plateau de tournage du vidéo-clip. Black Or White acquiert alors un caractère métafilmique et semble rejeter toute dimension merveilleuse ainsi abymée (et abîmée). La fiction renvoyée à son processus de fabrication, ne subsisterait plus que la réalité du cinéma et des effets spéciaux. Les images-clichés ne seraient en fait pas preuve d’appartenance à la fiction mais témoignage de facticité. Mais c’est sans compter sur la dernière partie du vidéo-clip de John Landis… Le mouvement de caméra découvrant le studio s’achève sur l’image d’une panthère noire se dirigeant en coulisses. Un nouveau morphing, désormais non justifié par le tournage, voit l’animal se transformer en un Michael Jackson tout de noir vêtu. Le merveilleux fait un retour

fracassant. La fiction, portée par le corps de l’artiste, l’emporte sur le réel. Si à la toute fin du vidéo-clip l’image se retrouve une nouvelle fois mise en abyme, c’est alors dans l’écran de télévision purement fictionnel de la famille Simpson ! Michael Jackson, à l’instar de nombreuses vedettes, a d’ailleurs prêté sa voix à un personnage des Simpson. Mais, contrairement à la plupart des guest stars, il ne s’agissait pas de son propre personnage mais d’un fou se prenant pour lui. Sa participation marquait alors la substitution de son corps réel par un corps fictionnel1. Ce jeu d’allers et retours entre fiction abymée et réalité est également au cœur de la première collaboration entre Jackson et Landis. En effet, Thriller annule à deux reprises la dimension fantastique des images (la première fois par le cinéma, la seconde par le rêve) pour la réactiver à chaque fois, notamment dans l’ultime plan du film qui accepte in fine l’étrange sans plus chercher à le justifier. 1.Tout petit déjà, Michael Jackson était l’un des héros d’un dessin animé consacré aux Jackson Five.

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Un corps voué à la danse L’inscription de son corps dans la fiction offre à Michael Jackson la possibilité des plus folles et des plus impressionnantes transformations : métamorphose en loup-garou dans Thriller (visible à l’écran comme dans le Loup-Garou de Londres) ; apparitions, disparitions et mutations fantastiques de Remember The Time (disparition en poussière et reconstitution dans une fusion façon Terminator 2) et Ghosts (grimaces horrifiques, transformation en squelette puis retour du corps façon poupée russe, décomposition et réapparition en monstre géant, etc.)… Si les vidéos-clips de Michael Jackson travaillent ainsi la dimension corporelle, c’est sans doute avant tout parce que le corps de l’artiste est le vecteur d’expression de son plus grand talent, la danse. Ce corps en continuelle mutation, c’est celui de la danse – appréhendée comme art du mouvement perpétuel (à l’instar du cinéma). La fin du mouvement signe la mort de la danse, comme celle de l’image. Ce refus de la fixité semble d’ailleurs mis en avant dès Billie Jean. Si le vidéo-clip use des arrêts sur images, ceux-ci sont toujours courts et relayés par une


reprise du mouvement (à l’image des triples split-screens). Quant au détective qui tente de prendre Michael Jackson en photo, il n’y parviendra jamais. La fixité durable n’est pas concevable. Seule la disparition est en mesure de marquer la fin de la danse. Ainsi, si l’artiste fait retour à la fin de Black Or White ce n’est pas tant pour s’en prendre aux slogans racistes que pour effectuer un numéro de danse déchaînée (intégrant par ailleurs un hommage à Chantons sous la pluie) à l’issue duquel il reprend sa forme animale et disparaît pour de bon. Même constat dans Remember The Time et Bad où tout se fige et disparaît suite à l’arrêt des chorégraphies. C’est d’ailleurs parce que le corps de Jackson et son art de la danse sont tellement constitutifs de son travail que les vidéos-clips faits d’images d’archives (Man in the Mirror, Gone to Soon), ainsi que Heal The World, You Are Not Alone, Stranger in Moscow ou Cry, présentent un intérêt très limité.

Seuls les gestes demeurent De même que le corps de Michael Jackson semble appelé à disparaître une fois la danse terminée, celuici a tendance à s’abstraire au profit du mouvement, du seul geste. Chapeau, veste, chaussettes, gant, claquement de doigt, moonwalk… l’artiste devient au fil de ses vidéos-clips une figure plastique et cinématographique 19

L’artiste devient une figure plastique et cinématographique (à l’instar du personnage de Chaplin qu’il s’amusait parfois à incarner). Ainsi lorsque, dans Ghosts, il se défait de son enveloppe charnelle, son squelette – hommage aux danses macabres – reprend l’essentiel de ses pas de danses les plus célèbres. Ce sont d’ailleurs ceux-là même qu’il inflige, dans une douce revanche, au chef des villageois en colère (qu’il incarne d’ailleurs lui-même suite à une étonnante métamorphose dont rend compte le making-of présenté


lors du générique de fin). La réduction du corps de l’artiste à certaines formes représentatives est également mise en avant dans Liberian Girl où plusieurs des vedettes invitées croient l’apercevoir à tort (elles confondent ses cheveux avec ceux de Weird Al Yankovic2, pensent le reconnaître déguisé en momie, et réalisent que son moonwalk est en fait effectué par l’acteur Sherman Hemsley). Dans You Rock My World, Michael Jackson joue luimême avec ses clichés. Vêtu d’un costume et d’un chapeau, il pénètre dans un night-club dont il affrontera les responsables mafieux et reprend ainsi les schémas narratifs et graphiques de Smooth Criminal. Comme au début de la chanson extraite de Moonwalker, son

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apparition sur scène se fait dans un jeu de projection. Derrière l’écran, il retrouve sa dimension purement graphique, sa silhouette mythique en ombres chinoises (une figure que l’on retrouve très fréquemment, notamment dans Jam, The Way You Make Me Feel ou Black Or White). Puis l’écran tombe et la fiction semble envahir le réel où, enfin, il se met à danser comme seul il savait le faire.

2. Humoriste qui signa notamment des parodies de Beat It et Bad intitulées Eat it et Fat.


Vincent Baticle, Yoann Bomal & Elisabeth Renault-Geslin

Un rendez-vous manqué La relation entre Michael Jackson et Hollywood a toujours été difficile. Après l’échec commercial de The Wiz, sa carrière fut jonchée de projets cinématographiques avortés. Outre un projet de biopic sur Edgar Alan Poe, le plus grand regret de l’artiste fut sans doute que le projet de Steven Spielberg de

lui faire interpréter le rôle de Peter Pan n’ait jamais abouti. Mais si les deux hommes n’ont jamais véritablement travaillé ensemble, l’ombre de Spielberg reste toutefois présente dans l’univers du chanteur, entre apparition clin d’œil (Liberian Girl) ou fantasmée (Speed Demon) et référence filmographique. Dans Childhood, les petits bateaux à voile emmènent les enfants dans le ciel et passent devant la pleine lune comme dans E.T. et Hook. En 1988, alors que ses deux principaux rivaux dans le milieu musical sortaient leur propre film (In Bed With Madonna et Purple Rain), Michael Jackson produisait Moonwalker, ovni cinématographique qui ne fut jamais projeté sur les écrans américains. Alors que Jackson a toujours essayé de faire du cinéma avec ses clips, il ne parvient à faire de son seul film réalisé pour les salles obscures qu’une succession de parties relativement peu connectées, une mosaïque musicale inaboutie où encore une fois l’ombre de Spielberg plane. La référence à Rencontres du troisième type, déjà palpable dans Can You Feel It, est évidente. Michael Jackson fuit un 21

groupe de bandits armés en se transformant en robot puis en vaisseau spatial sous un ciel d’orage aux nuages verts. Au loin, un groupe d’enfants observe la scène, perché en haut d’une colline.Par la suite, la relation entre Michael Jackson et le cinéma se résuma à quelques apparitions peu flatteuses tels son caméo de 22 secondes dans Men in Black 2 et son petit rôle dans Miss Cast Away.


La Mort au travail

une captation propre, les gens ne la verront pas. C’est le média le plus This Is It se présente comme une mosaïque d’images qui égoïste au monde. Vous filmez ce que vous voulez montrer au public, n’étaient pas destinées aux salles obscures. Documentaire, quand vous souhaitez qu’il le voit, comment vous voulez qu’il le voit, et le film de Kenny Ortega est une synthèse d’éléments épars : quelle juxtaposition vous voulez qu’il regarde. Vous créez l’intégralité du répétitions d’un concert à venir, petits courts-métrages de sentiment de ce qui est présenté, à travers vos angles et vos plans. (…) fiction, testament humaniste et écologique, etc. Aussi s’inscrit- Je connais l’émotion que j’ai ressenti pendant telle ou telle performance, il difficilement, et de manière conflictuelle dans l’œuvre et j’essaie de recapturer cela en assurant le montage. » Le premier filmée de Michael Jackson. Il s’agit de la seule performance de moonwalk télévisé de Michael Jackson aurait-il acquis un tel l’artiste qui n’ait pas été entièrement maîtrisée par ce dernier statut légendaire si le danseur ne s’était pas impliqué dans qui, de son vivant, supervisait aussi bien la mise en scène de son enregistrement ? Filmé de biais ou coupé sur un plan du ses numéros que la manière dont ceux-ci étaient filmés. Ainsi public, il n’aurait simplement jamais existé… expliquait-il la préparation de sa prestation pour les 25 ans de This Is It déroge aux quelques règles édictées par les mises la Motown : « On s’est mis à travailler notre numéro, en sélectionnant en scène que Michael Jackson mit tant d’années à établir. les chansons pour le medley. Mais pas seulement cela : il fallait aussi Conçu pour être filmé de profil, c’est de loin et de dos qu’est travailler les angles des caméras. Je réalise et monte tout ce que je fais. présenté le seul moonwalk du film. L’illusion s’en trouve alors Chaque plan que vous voyez vient de moi. (…) Lorsque vous êtes sur irrémédiablement perdue. De même, les chorégraphies ne scène – et peu importe le cadre de cette performance – si vous ne faîtes pas sont pas systématiquement filmées de face. Un principe de 22


Un jour qui n’arrivera jamais…

base qui permet, dans Thriller, de donner l’illusion que les zombies, les bras écartés face caméra, se donnent la main. Michael Jackson avait également pour principe de ne jamais couper une chorégraphie, tandis que This Is It intercale un plan des choristes dans la célèbre levée de bras de Beat It. Si l’idée jacksonnienne de la mise en scène est ainsi pratiquement mise à mort, la mort de l’artiste est quant à elle subtilement occultée. This Is It s’ouvre sur les larmes des danseurs qui n’évoquent pas la tristesse de la perte, mais la joie de la perspective de moments avec leur idole. Ainsi le film évite tout pathos, tout sentiment imposé par le deuil, et ne garde que l’émotion véhiculée par la prestation de Michael Jackson et par le travail de présence-absence du corps filmé qu’offre, par essence, le cinéma. Demandant l’indulgence de son auditoire, le chanteur préserve sa voix pour un jour qui n’arrivera jamais. Toute l’émotion cinématographique naît de ce non-dit. Celui de la « mort au travail » (selon les mots de Jean Cocteau), qui hante chaque pas, chaque note que le chanteur pousse et qui pour le spectateur acquiert une toute autre dimension.

Dans la quatrième dimension A voir le film, on pourrait penser que la place du spectacle était bel et bien dans une salle de cinéma. Un écran géant aux 23

dimensions pharaoniques aurait tapissé le fond de la scène. Sur les vingt-cinq chansons que devait comporter le show, seize devaient être accompagnées d’une vidéo. Une nouvelle adaptation scénique de West Side Story était prévue lors de la prestation jazzy de The Way you Make Me feel. Michael Jackson continuait à (re)créer. This Is It présente l’artiste fredonnant, sur son propre rythme, les envolées mélodiques de Bernstein tout en effectuant l’inoubliable lancé de jambe de Jerome Robbins… la filiation devient fusion. Michael Jackson avait co-réalisé trois nouveaux courtsmétrages destinés à être diffusés pour introduire Thriller, Smooth Criminal et Earth Song. La nouvelle version de Thriller réutilisait les zombies du film original et les fantômes de Ghosts dans une esthétique disney(land)ienne. Michael Jackson devait faire son entrée en scène en émergeant d’une araignée mécanique géante, d’abord vue à l’écran, et qui en serait comme sortie en effaçant la frontière entre réalité et fiction. Sur le même mode, une pelleteuse diffusée sur le film illustrant Earth Song aurait investi l’espace scénique. Quant aux danseurs « robots » de They Don’t Really Care About Us, ils se seraient virtuellement multipliés à l’infini sur l’écran géant. Souhaitant abolir les barrières entre passé et présent, réalité et virtualité, Michael Jackson avait également


mis au point un court-métrage d’introduction pour Smooth Criminal. Un ultime cri d’amour au cinéma où il s’était mis en scène aux côtés d’étoiles hollywoodiennes (Rita Hayworth, Humphrey Bogart et Edward G. Robinson) dans une production noire constituée notamment à partir d’images de Gilda, The Big Sleep et de la version originale de Smooth Criminal. Extraordinaire innovation, ces courts-métrages étaient destinés à être diffusés en trois dimensions. Robb Wagner, le chef du projet, explique : « L’idée de Michael Jackson pour les spectacles était de présenter des courts métrages en 3D. Le public aurait été invité à mettre des lunettes 3D. Puis, à un certain moment dans chaque film, l’action basculerait du film sur la scène. Tous les personnages du film, même les accessoires, devaient quitter l’écran et apparaître sur la scène. L’histoire du film se poursuivait en fait comme un concert théâtral. Michael

Jackson appelait cela : « la quatrième dimension ». » Cette quatrième dimension, cet espace de transition entre la projection 3D et la réalité, quand les artistes sortent littéralement de l’écran pour entrer sur la scène, est à appréhender, non comme un lieu, mais comme un court moment dans le temps. Ce temps qui passe et qui aura manqué à l’artiste pour que ses nouveaux projets avant-gardistes ne voient le jour. 24

Michael Jackson a passé sa vie à traverser les écrans, petits ou grands. Le 25 juin dernier, il est resté coincé dans l’écran de cinéma.


Vidéo-clips 1979 Don’t Stop ‘Til You Get Enough Réalisé par Nick Saxton

1987

1989

1993

1995

Bad Réalisé par Martin Scorsese

Leave Me Alone Réalisé par Jim Blashfield

Give In To Me Réalisé par Andy Moharan

History Teaser Réalisé par Rupert Wainwright

The Way You Make Me Feel Réalisé par Joe Pytka

Liberian Girl Réalisé par Jim Yukich

Will You Be There Réalisé par Vincent Paterson

Scream Réalisé par Mark Romanek

1991

Gone Too Soon Réalisé par Bill DiCicco

Childhood Réalisé par Nicholas Brandt

Dangerous Teaser Réalisé par David Lynch

You Are Not Alone Réalisé par Wayne Isham

Rock with You Réalisé par Bruce Gowers

1988

1980

Dirty Diana Réalisé par Joe Pytka

She’s Out of My Life Réalisé par Bruce Gowers

1983

Man in the Mirror Réalisé par Donald Wilson

Billie Jean Réalisé par Steve Barron

Another Part Of Me Réalisé par Patrick Kelly

Beat It Réalisé par Bob Giraldi

Smooth Criminal Réalisé par Colin Chilvers

Black or White Réalisé par John Landis

1992 Remember the Time Réalisé par John Singleton In The Closet Réalisé par Michael Jackson et Herb Ritts

Thriller Réalisé par John Landis

Jam Réalisé par Michael Jackson et David Kellogg

Say Say Say Réalisé par: Bob Giraldi

Who Is It Réalisé par David Fincher Heal The World Réalisé par Joe Pykta 25

Earth Song Réalisé par Nicholas Brandt They Don’t Care About Us Deux versions réalisées par Spike Lee

1996 Stranger In Moscow Réalisé par Nicholas Brandt

SUITE >>>


1997 Blood on the Dance Floor Réalisé par Michael Jackson et Vincent Paterson

Longs et moyens métrages The Wiz (1978)

Captain Eo (1986)

Ghosts (1996)

Réalisé par Francis Ford Coppola Avec aussi : Angelica Huston, Dick Shawn, … Scénaristes : Francis Ford Coppola, Rusty Lemorande et George Lucas

Réalisé par Stan Winston Avec aussi : Mos Def, … Scénaristes : Mick Garris, Michael Jackson, Stephen King et Stan Winston

Ghost Réalisé par Stan Winston Réalisé par Sidney Lumet Avec aussi : Diana Ross, Lena Horne, Mabel King, Nipsey Russell, Richard Pryor, ... Scénariste : Joel Schumacher, d’après la comédie musicale de William F. Brown

2001 You Rock My World Réalisé par Paul Hunter Cry Réalisé par Nicholas Brandt

Moonwalker (1988) Réalisé par Jerry Kramer, Jim Blashfield et Colin Chilvers Avec aussi : Joe Pesci, Kellie Parker, Sean Lennon, … Scénaristes : Michael Jackson et David Newman

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Michael Jackson’s This Is It (2009)

Réalisé par Kenny Ortega


Le Docteur Parnassus et son imaginarium vous donnent rendez-vous en dĂŠcembre pour un nouveau numĂŠro de la revue.


Revue de cinéma interactive

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