Les faubourgs du Mans

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Texte

DU MANS LA FABRIQUE DE LA VILLE MODERNE

Marie Ferey

Photographies

Pierre-Bernard Fourny

Thierry Seldubuisson

Avec la participation

d’Yves Guillotin, Paul Hamelin et Bruno Rousseau

Cartographie

Théo Ben Makhad

LES FAUBOURGS

SOMMAIRE

En couverture : Le Mans depuis Sainte-Croix.

La banlieue à l’horizon

p. 14 — Entre ville et campagne : un paysage faubourien

p. 22 — La construction de la ville moderne

p. 28 — L’entre-deux-guerres, une période faste ?

p. 32 — Les Trente Glorieuses à l’épreuve de la ville

p. 38 — Épilogue

Patrimoine en images

p. 43 — Histoire de la maison en série

p. 77 — L’avènement de l’immeuble collectif

p. 105 — Formes et influences

p. 131 — Les architectes

p. 155 — Vivre en ville

Annexes

p. 203 — Glossaire

p. 204 — Sources manuscrites

p. 205 — Bibliographie sélective

p. 206 — Iconographie

LA BANLIEUE À L’HORIZON

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1 Mur d’enceinte du Mans surplombant la ville faubourienne.

Le Mans, chef-lieu de cité des Aulerques Cénomans durant l’Antiquité, capitale du comté du Maine au Moyen Âge et aujourd’hui préfecture du département de la Sarthe, s’étend sur 5 281 hectares. Ses frontières administratives se sont insensiblement élargies, absorbant les paysages dans lesquels la ville construite s’est progressivement dilatée. Pour comprendre cette évolution, l’étude d’inventaire du patrimoine s’est intéressée à plusieurs quartiers périphériques. Quatre communes, rattachées au Mans au milieu du xixe siècle – Saint-Pavindes-Champs et Saint-Georges-du-Plain sur la rive droite de la Sarthe, Sainte-Croix et Pontlieue sur la rive gauche –, ont formé le cœur de cette recherche. Il s’agissait donc d’observer la ville non par son centre, mais par sa périphérie et de souligner le rôle fondamental joué par l’habitat dans la construction du territoire périurbain, en particulier aux xixe et xxe siècles. L’analyse de ces espaces propose de renouveler le regard porté sur ces zones de banlieues et de faubourgs, de présenter un patrimoine méconnu et pourtant central pour la compréhension de la ville moderne et de son histoire.

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À la Révolution, Le Mans devient chef-lieu du nouveau département de la Sarthe. Alors que les paroisses étaient profondément rurales, le nouvel usage qui est progressivement fait de leurs terres provoque leur urbanisation. Les nouvelles communes de Saint-Pavin-des-Champs, L’Unité-sur-Sarthe (Saint-Georges-du-Plain en 1793), Croix-Gazonfière (Sainte-Croix en 1793) et Pontlieue acquièrent une indépendance politique et territoriale qui bouleverse à long terme leur physionomie. Les premières décennies du xixe siècle sont marquées par une forte misère sociale. Comme sous l’Ancien Régime et à l’exception de Sainte-Croix, les communes limitrophes concentrent une part importante des indigents. Pourtant, à partir de 1820, on assiste à un accroissement sans précédent de la démographie de Pontlieue et de Saint-Pavin-des-Champs, qui voient leur population tripler en trente ans. Il en va de même à Saint-Georges-du-Plain, dont la population double, et à Sainte-Croix, où elle est multipliée par sept jusqu’à la fusion avec Le Mans, en 1855, ce qui marque le passage d’un paysage rural à un paysage urbain.

TRANSFORMATIONS D’UN TERRITOIRE DE BANLIEUE

De 1789 à 1799, Le Mans reste en proie à des troubles malgré la paix de c ompromis signée en 1796, qui vise à mettre fin à la guerre de Vendée. Dans le registre des arrêtés de la police générale, un rapport daté de l’an IV (1795-1796) révèle une situation critique. Les communes limitrophes jouent un rôle de tampon et sont donc le théâtre de plusieurs combats meurtriers. Le 8 décembre 1793, afin d’arrêter les troupes vendéennes, le pont de Pontlieue, construit vers 1690, est détruit. Dans le même temps, une vaste entreprise de mutation de propriétés, par la saisie puis la vente des biens nationaux, a, au Mans et dans sa région, une incidence sans précédent. Au xviiie siècle, dans la Sarthe, les biens de l’Église équivalent à 65 000 hectares, soit 10,47 % du territoire. La lecture des cahiers de doléances de 1789 confirme la richesse du clergé, identifiée et dénoncée par le tiers état. Dans le district du Mans, ce pourcentage s’élève à 16,5 % du fait de l’importante concentration des communautés religieuses. Leurs biens immobiliers, dont la chapelle dite Saint-Blaise, à l’ouest de la commune de Sainte-Croix, sont vendus à partir de 1790. Elle revient avec l’ensemble du bordage à la célèbre famille Lechat-Deslandes, proche du présidial avant la Révolution. De même, la propriété de Funay à Pontlieue est acquise par la famille Richard de Fondville, anoblie en 1762. La sociologie des acquéreurs, analysée par Charles Girault, est variée,

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ENTRE VILLE ET CAMPAGNE : UN PAYSAGE FAUBOURIEN
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11 La Bataille du Mans, Jean Sorieul, 1793. 12 Vestiges du pont dit des Vendéens. Pontlieue. 13 Chapelle Saint-Blaise, mai 1931.

La seconde moitié du xixe siècle ouvre une période de grands bouleversements structurels. La fusion avec les communes de Sainte-Croix, Saint-Pavin-des-Champs et Saint-Georgesdu-Plain, en 1855, puis avec Pontlieue en 1865, agrandit le territoire communal à plus de 5 000 hectares. L’espace urbain poursuit sa progression pendant la IIIe République, soutenu par de grands travaux d’aménagement et l’installation des premières industries locales, qui prennent une envergure nationale. Le Mans revêt, en cette seconde moitié du xixe siècle, les traits d’une grande ville industrielle, également dotée d’activités tertiaires dont certaines sont liées à son statut administratif. Alors que le cœur de ville se transforme, notamment grâce à l’embellissement et l’assainissement des îlots anciens, des lotissements concertés s’installent dans les franges de la ville. Une véritable pensée urbaine se met en forme.

1855-1865 :

L’ANNEXION

Dès les premiers indices d’une urbanisation en « tache d’huile » autour du Mans, la municipalité considère que la fusion permet de rendre régulier le plan de la ville et de ses faubourgs. Plusieurs solutions sont envisagées, mais toutes conduisent à annexer en priorité la commune de Sainte-Croix, où se sont installées plusieurs grandes familles mancelles. Les arguments de la Ville du Mans sont avancés à partir de 1835 à travers les rapports quasi annuels qui rendent compte des observations sur le projet de réunion. La ville doit fusionner avec Sainte-Croix, car la partie agglomérée de cette commune est située à proximité des promenades, des salles de spectacle et de la préfecture, dont profitent les habitants de Sainte-Croix sans payer les mêmes taxes que les Manceaux. Pour Saint-Pavin-des-Champs, la continuité urbaine brouille la frontière entre les deux communes, ce qui justifie également le projet. Les communes limitrophes dénoncent la volonté du Mans de passer à plus de 20 000 habitants pour augmenter,

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LA CONSTRUCTION DE LA VILLE MODERNE

notamment, les taxes d’entrée des boissons. Une enquête menée en 1848 révèle les inquiétudes des habitants de Saint-Pavin-des-Champs : ils souhaitent conserver leur statut en dehors de l’octroi, qui les exempte de taxes. Le cas de Saint-Georges-du-Plain est particulier. Une délibération du conseil m unicipal le 22 avril 1822 rejette la proposition de fusion avec Saint-Pavin-des-Champs pour des raisons de sécurité. La fusion entraînerait la suppression des postes d’agents de police et d’administrateurs à Saint-Georges-du-Plain : ainsi « les malfaiteurs vagabonds pillards profiterer de cette supresion pour être encore plus hardi que jamais à piller » (sic). La commune relativement pauvre de Saint-Georges-du-Plain ne fait, dans un premier temps, pas partie des projections mancelles. Pourtant, l’aménagement du port, l’implantation d’établissements proto-industriels et surtout la présence d’équipements essentiels, tels que l’usine à gaz ou la gare de transbordement à partir des années 1830-1840, tendent à faire reconsidérer la position du Mans à l’égard de la commune. Dans ces trois cas, les franges des communes constituent un espace d’étroite interdépendance avec Le Mans. La pression sur les conseils municipaux pour accepter la fusion s’intensifie au début de l’année 1855. Une note de la Direction générale des douanes du 17 mars indique les droits d’entrée à prévoir dans la ville pour les vins, les cidres et les alcools. Pour la première fois, ces taxes ne concernent plus uniquement Le Mans, mais également les communes agglomérées. Le 28 mars, une délibération du conseil municipal du Mans annonce le versement d’une subvention pour la construction d’une église à SainteCroix, à condition que la fusion soit réalisée. Celle-ci est finalement actée pour les communes de Sainte-Croix, Saint-Georges-du-Plain et Saint-Pavin-des-Champs en avril 1855 et la loi est promulguée le 5 mai. Le 16 mai, la dernière réunion du conseil municipal de SaintPavin-des-Champs prononce la vente du mobilier de la mairie avant le rattachement de la commune au Mans.

La fusion avec Pontlieue se révèle plus complexe. Une lettre du maire du Mans au préfet de la Sarthe datée du 30 août 1837 indique que dans la p artie nord de Pontlieue « les constructions vont bientôt se joindre avec le quartier de la Cavalerie ». Le maire poursuit en demandant au moins le rattachement de la section située au nord de l’Huisne, qui correspond à la partie la plus agglomérée, limitrophe du Mans. Mais Pontlieue est p eu u rbanisée et l’annexion d’une partie de la commune est rapidement écartée par le préfet. Réunir Pontlieue au Mans au moment où le débat porte déjà sur les trois autres communes limitrophes reviendrait à agrandir considérablement le territoire manceau. Or, le caractère rural de la majorité des terres est vu comme une charge trop importante. Pourtant, le rapport du Conseil d’État actant la fusion du Mans avec Sainte-Croix, SaintPavin-des-Champs et Saint-Georges-du-Plain dénonce l’absence de Pontlieue. Les remarques concernent principalement la zone entre la voie ferrée et l’Huisne, sur laquelle « les fraudeurs [de l’octroi] ne manqueraient pas d’exploiter les facilités que leur présenterait cette confusion des territoires ». En août 1864, le maire du Mans évoque la commune de Pontlieue, dont la population a augmenté de 30 % entre 1855 et 1860. Cette commune, majoritairement habitée par des ouvriers travaillant au Mans, accueille de plus en plus de commerces dégagés des taxes. Ces éléments statistiques relancent de facto le débat sur son annexion par Le Mans, débat également alimenté par la lutte contre la prostitution menée par la préfecture. En effet, proche des casernes, hors de l’octroi et regroupant une population indigente, la commune de Pontlieue avait vu se développer dès les années 1810 un réseau de prostitution illégal. Face à la pression des pouvoirs locaux et nationaux, Pontlieue est donc rattachée au Mans par la promulgation de la loi du 26 juin 1865, portant la population mancelle de 37 209 à 45 230 habitants.

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Sainte-Croix Le Mans Saint-Pavin-des-Champs
Saint-Georges-du-Plain
1855 Rattachement au Mans en 1855 Rattachement au Mans en 1865 1 km 24
Pontlieue
Le Mans avant
23 Plan industriel et monumental du Mans, 1891. 24 Localisation des communes avant la fusion avec Le Mans confrontée aux limites actuelles de la ville.

L’ENTRE-DEUX-GUERRES, UNE PÉRIODE FASTE ?

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30 Pavillons de la cité des Pins, square Hélène-Boucher. Pontlieue. 31 Projet pour la cité-jardin des Pins. 32 Mutuelle générale française vie, rue Saint-Bertrand. Sainte-Croix.

Jusqu’à la Première Guerre mondiale, les matrices cadastrales et les dépôts de permis de construire révèlent une constante hausse des constructions nouvelles. Le pic des années 1860-1870 est suivi d’un ne t ralentissement dans les années 1880, conséquence de la c rise économique européenne. Au début du xxe siècle, Le Mans présente une organisation clairement é tablie avec des quartiers polarisés. L’étalement u rbain qui caractérise aujourd’hui la ville s ’observe déjà. Durant cette période, le type d’habitat majoritaire reste la maison individuelle en rez-de-chaussée a vec jardin à l’arrière : en 1906, dans le quartier de Pontlieue, 2 279 maisons sont ainsi dénombrées p our 2 347 m énages. Au sortir de la Première Guerre mondiale, des lotissements programmés sont repérables dans tous l es quartiers f aubouriens et reflètent une certaine évolution du t erritoire urbain.

UNE INDUSTRIALISATION EN MUTATION

Les industries implantées a vant la P remière G uerre m ondiale retrouvent et même dépassent leur niveau de production d’avant le conflit : les moulins de Saint-Georges deviennent ainsi l’une des minoteries de France au plus fort rendement. Les coopératives agricoles laitières expédient en 1920 jusqu’à 6 000 tonnes de beurre vers la région parisienne. Les industries lourdes, telles que les fonderies Carel et Fouché ou Bollée, développent des champs de compétences nouveaux et figurent parmi les premiers employeurs sarthois. Le secteur tertiaire fleurit par le biais des mutuelles d’assurances grâce, entre autres, à l’obligation pour les blessés de guerre de contracter une protection sociale. Les Mutuelles du Mans, fondées en 1828, augmentent considérablement leur capital. Les locaux sont agrandis

et le nombre d’employés croît jusqu’à faire de cette entreprise un symbole manceau. Pendant cette période, la Compagnie des chemins defer de l’Ouest reprend le projet de gare de triage au sud de Pontlieue, qui avait été ralenti par la guerre. Le paysage des landes laisse place à un quartier cheminot et à de nouvellesindustries, attirées par la gare. Ces nouvelles usines d’ampleur nationale, voire internationale, favorisent l’apparition de nouveaux quartiers autour de la ville du xixe siècle.

Du fait de la guerre, Le Mans accueille à partir de 1918 la grande industrie décentralisée dite de « défense nationale ». La production de ces usines proches de la frontière allemande est transférée à l’ouest dans la crainte d’un nouveau conflit. C’est le cas, en 1927, de la société d’armement Manu-Rhin qui s’installe à Pontlieue, dans le quartier de La Cartoucherie. En 1939, l’entreprise fabriquant des moteurs d’aviation Gnome et Rhône rejoint le sud du Mans avec plus de huit cents ouvriers qualifiés. Les usines Renault font établir dès la fin de la guerre des ateliers à proximité de la gare de triage, sur un terrain de 255 000 mètres carrés, et se spécialisent progressivement dans la production de tracteurs. Également issue des décentralisations s tratégiques, la fondation d es a teliers Renault a u Mans ma rque encore l’activité et le paysage manceaux.

UN ÉLARGISSEMENT URBAIN CONTINU

Entre 1919 et 1937, des cités ouvrières sont installées à proximité des nouvelles usines. Le quartier cheminot du Maroc est loti par la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest, qui fait construire des pavillons doubles entourés de jardin clos. Les ouvriers de Renault s ont l ogés d ans d ifférentes ci tés comme celle d es Courbes, constituée de m aisons isolées avec jardin p our les agents de m aîtrise, ou La G autrie, où sont installés des chalets de bois. Cependant, l’intensification du nœud ferroviaire et l’arrivée massive d’employés des chemins de fer amènent un éparpillement géographique des quartiers cheminots. Les cités des Eaux et des Fleurs, de part et d’autre de la rue de Ruaudin, sont aménagées à la hâte avec des wagons de bois posés à même le sol. Certains de ces wagons sont toujours visibles aujourd’hui ; l’isolation par un revêtement en ciment a modifié leur aspect. Plusieurs zones échappent aux lotissements programmés et voient abonder des baraquements sur des terres encore vierges de constructions. Les difficultés liées à la crise de 1929 intensifient le phénomène. Une vague de paupérisation, en par ticulier d ans c es cit és o uvrières et l es q uartiers s uburbains, est à l’origine d’un habitat insalubre. Ces espaces sont majoritairement composés de baraquements quasiment autoconstruits, ce qui devient notamment le mode de croissance du sud Pontlieue. En 1931, Paul D elaunay, g éographe érudit m anceau, décrit c es quartiers où « on voit s’accumuler des logements exigus, souvent insalubres, aux latrines rudimentaires ». Cette citation reflète le contexte national, où la crise immobilière et économique et l’extension u rbaine son t p régnantes. D es t émoignages dénonçan t les développements périurbains anarchiques sont communs à toutes les grandes villes de France, en particulier dans les quartiers ouvriers. Ce phénomène national conduit à la promulgation de plusieurs lois, dont la loi dite Cornudet du 14 m a rs 1919, p uis les lois Sarraut et Loucheur en 1928, qui accroissent l’engagement des pouvoirs publics dans la lutte contre cette catégorie d’habitat et favorisent l’accession à la propriété.

Alors que la population sarthoise diminue pendant l’entre-deuxguerres, c elle du Mans c ontinue d’augmenter. E lle p asse de 71 783 habitants en 1921 à 84 525 en 1936. Cet accroissement

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LES TRENTE GLORIEUSES À L’ÉPREUVE DE LA VILLE

Saint-Pavin-des-Champs.

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale et jusqu’en 1975, la population mancelle connaît, en raison de l’exode rural et du baby-boom, un nouvel épisode d’augmentation démographique d’ampleur. La période appelée « les Trente Glorieuses » se caractérise donc, comme à l’échelle nationale, par un dynamisme démographique qui s’accompagne de grands travaux. Dans l’immédiat après-guerre, la municipalité du Mans souhaite dessiner une ville nouvelle et moderne. De grands aménagements sont alors envisagés, la progression du tissu urbain est d’une ampleur sans précédent. L’importance industrielle du Mans poursuit son développement, avec l’affirmation d’usines comptant un nombre important d’ouvriers et d’employés (Renault, SNCF, Carel et Fouché…). La création de nombreux quartiers dits ouvriers et des infrastructures caractérise à nouveau l’évolution des faubourgs manceaux dans cette seconde moitié du xxe siècle.

RECONSTRUIRE ET BASCULER DANS LA MODERNITÉ

À la libération du Mans, le 8 août 1944, 16 % du bâti de la ville sont détruits. La municipalité, épaulée par l’État, entame une période de reconstruction. De l’organisation urbaine du Mans découle une polarisation de l’industrie au sud, particulièrement visée par les bombardements de mars 1943 puis de mars et avril 1944. Bien que ciblant les sites de production, les bombardements ont aussi causé des dégâts dans les cités ouvrières implantées à proximité. Contrairement à celles de la plupart des villes sinistrées, les destructions au Mans sont disparates. Deux îlots seulement sont entièrement détruits. Les édiles, qui sont aussi pour certains des industriels, s’attachent dans un premier temps à engager la reconstruction des usines et des ouvrages d’art. Les plans d’aménagement et de reconstruction de la ville dessinés par

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37 Immeubles des Sablons depuis l’île aux sports. Pontlieue. 38 Plan d’aménagement du Mans, zone du centreville, 1947. 39 L’îlot « viaduc nord » reconstruit. Sainte-Croix. 40 Maison signée Schultz, rue du Pavé. 41 Maisons individuelles et immeubles aux Maillets. 42 Chantier du Ronceray, années 1950.

Pierre Vago, nommé architecte en chef de la reconstruction du Mans par l’État le 14 novembre 1945, s’adaptent donc à ces destructions diffuses et aux attentes des élus.

Sur ces plans de programmation, qui permettent de penser le développement de la ville sur plusieurs décennies, Pierre Vago procède selon trois échelles. L’architecte s’attache àla modernisation du territoire communal et propose principalement l’aménagement d’un boulevard annulaire, ou rocade, destiné à fluidifier le trafic dans la ville en détournant les véhicules en transit. Les travaux de la rocade ne débutent qu’en 1973 et la dernière portion est réalisée en 2016.

Pierre Vago apporte des préconisations pour plusieurs quartiers à réaménager, dont celui du Maroc, qui se voit doté d’une nouvelle chapelle paroissiale et d’un terrain de sport, tandis que la partie nord de la cité-jardin est reconstruite. Enfin, un regard attentif est porté sur plusieurs îlots dits « îlots prioritaires », dont celui qui est appelé « viaducnord », situé au nord des voies ferrées, à l’ouest de la ville, et dont les maisons sont entièrement détruites. Aprèsqu’il a été envisagé de conserver cet espace pour y aménager un parc destiné aux enfants du quartier, en mal d’espaces verts, la décision d’une reconstruction globale de l’ îlot est privilégiée : les échanges avec la municipalité évoquent la difficulté de consacrer une vaste parcelle à un espace vert dans un contexte extrêmement tendu lié à la pénurie de logements. Ce croisement est certainement, avec la partie nord

de la cité-jardin du Maroc, l’ensemble programmé le plus vaste et le mieux conservé de la reconstruction de la ville. La déclaration de sinistre est réalisée en 1944 par l’architecte manceau Pierre Goussin, agréé architecte de la reconstruction du Mans par le ministère. Les propriétaires procèdent au montage d’une association (Association de reconstruction du Mans) pour faire établir les plans du lotissement par les architectes agréés Pierre Goussin et Maurice Levasseur. La livraison des bâtiments en béton, avec un parement en briques qui détonne dans le quartier, a lieu en 1949.

Parallèlement au plan d’aménagement, des déblaiements encadrés par la municipalité débutent dès août 1945 dans les quartiers sinistrés, et les premières conventions passées avec le MRU (ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme) datent de 1946. Les subventions accordées pour la reconstruction des maisons et immeubles isolés, touchés par les bombardements, sont versées après dépôtde dossiers pour obtenir l’arrêté accordant le certificat de conformité pour bâtiment sinistré ; 158 maisons et 24 immeubles, entièrement ou partiellement détruits, ont fait l’objet d’une demande de subvention. Lefaible nombre d’immeubles correspond à la typologie du bâti manceau, majoritairement constitué de maisons individuelles. Ce principe s’inverse après la Seconde Guerre mondiale pour répondre à l’urgence de la création de logements. Une nouvelle génération d’une quinzaine d’architectes agréés émerge alors et s’impose sur la scène mancelle.

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HISTOIRE DE LA MAISONEN SÉRIE

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« J’ai divisé, morcelé, loti les 50 hectares de terrain que je possédais et vendu à tous, même aux plus pauvres.
J’ai créé des faubourgs modèles. »
Ambroise Yzeux, 1932.

LES LOTISSEMENTS PRIVÉS

Les lotissements portés par des particuliers émergent au Mans  dès le xviie siècle. Ces acteurs, issus de différents milieux sociaux,  façonnent l’espace faubourien de la ville. Ils acquièrent des terres agricoles, les morcèlent, les lotissent et participent ainsi  à la fabrique urbaine qui s’intensifie à la Révolution. Ils créent  dans un premier temps des pans de ville privés : voirie, foncier,  etc. Mais ces nouveaux espaces, peu à peu pleinement intégrés  au Mans, sont rapidement captés par les pouvoirs publics locaux  qui tentent d’encadrer cette expansion. Pourtant, l’implication  des particuliers se poursuit jusqu’après la Seconde Guerre  mondiale bien que les politiques et les structures publiques jouent un rôle incontournable dans la constitution des lotissements.

Les « mancelles »

Traditionnellement, la maison locale du Mans est appelée  « mancelle ». Cette dénomination vient du gentilé du Mans  – manceau/mancelle –, repris pour désigner une architecture  domestique au même titre que la « maison angevine » ou la  « maison nantaise ». L’appellation « maison mancelle » apparaît  sur les permis de construire dès 1908, mais elle est présente dès les prémices de l’urbanisation faubourienne, entre 1820 et 1840.  La maison mancelle est en effet caractéristique de la maison  de faubourg et peut se décliner en deux catégories principales. La « petite mancelle » se développe en rez-de-chaussée avec un  étage de comble pouvant être percé d’une lucarne. Les jouées de la lucarne sont, dans la première moitié du xixe siècle, en bois —1 et —2 puis travaillées en pierre —3 et —4. La façade alignée sur la rue est percée d’une fenêtre et d’une porte piétonne —5. Celle-ci  ouvre sur un couloir traversant où prend place l’escalier tournant. Deux pièces composent le rez-de-chaussée et le niveau de  comble. Une aile en retour dans le jardin arrière abrite les pièces de service. Chaque pièce est pourvue d’une cheminée, et un placard est aménagé sur le même mur.

La « grande mancelle » reprend les mêmes principes avec un  étage carré supplémentaire —6. Les premières maisons au volume plus large présentent un larmier au-dessus de chaque  fenêtre et une corniche à denticules. Ces éléments disparaissent  vers 1850.

Les formes architecturales des grandes et des petites mancelles  sont similaires. Les encadrements des ouvertures en arc segmentaire ou à linteau droit sont en pierre, avec une agrafe généralement traitée en pointe de diamant. Un bandeau bombé continu sépare les niveaux en élévation. Une corniche  à entablement souligne la toiture. À partir de 1880, les formes  s’adaptent parfois à un style issu des immeubles parisiens. La modénature est alors sculptée, des crossettes et des bossages  sont agencés en façade —7.

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PAYSAGES ET RESSOURCES

Le grès roussard, utilisé jusqu’à la Révolution, résulte d’une  transformation en grès ferrugineux des sables de sommet après  le retrait de la mer au Crétacé. Ces sables, riches en fer, sont appelés sables du Maine. Des affleurements de grès roussard  se retrouvent au nord (La Bazoge) comme au sud du Mans  (Allonnes) —4. L’exploitation des calcaires blancs est également  attestée dès l’Antiquité. La carrière de Bernay, sur la commune  de Ruillé-en-Champagne, donne des calcaires roussâtres sur les  trois premiers bancs, blancs à grains fins ou moyens coquillés  sur les trois bancs les plus profonds. En fonction des bancs,  disposés horizontalement sans irrégularités, le calcaire offre des teintes variant du gris au jaune. Le répertoire des carrières de pierre de taille exploitées en 1889, publié par le ministère des Travaux publics, confirme la continuité de son usage à la  période contemporaine. Les maisons et immeubles manceaux du xixe siècle présentent cette pierre en particulier pour les  encadrements des ouvertures et les corniches. Les quelques rares exemples de tuffeau, présents en façade, rappellent tout  de même l’insertion géologique des caractéristiques physiques  de l’Anjou-Touraine dans le sud Sarthe.

Le bois est utilisé en structure de murs de manière quasi-systématique jusqu’au xviie siècle. La présence de massifs forestiers importants, dont Perseigne et Bercé, permet une exploitation de cette ressource en  architecture et pour l’approvisionnement des hauts-fourneaux depuis le Haut-Empire. Bien que la pierre  remplace majoritairement le bois en élévation, certains édifices à vocation agricole reflètent la persistance de  cette pratique structurelle jusqu’au xixe siècle. En revanche, les pièces de charpente, de plus ou moins grande  taille en fonction de la typologie des édifices, sont en bois —2. Certaines charpentes ont fait l’objet d’analyses dendrochronologiques. Celle de l’ancien presbytère de Saint-Georges-du-Plain, dont les bois ont été abattus à l’automne-hiver 1572-1573, rejoint le type de charpente « à pannes sous chevrons porteurs » présent en Anjou, sud Sarthe et sud Mayenne —1. Les charpentes, de la seconde moitié du xixe siècle jusqu’en 1914, présentent des traces de scie mécanique indiquant une industrialisation de l’exploitation des bois dans les forêts sarthoises.

La présence de tuile plate en couverture, sur des bâtiments datés au plus tard du xviiie siècle témoigne de gisements d’argile dans les environs du Mans. La concurrence avec l’ardoise se manifeste à partir du xviiie siècle, bien que des exemples soient attestés dès le xive siècle. Son omniprésence au xixe siècle confirme la reprise et la mécanisation d’une exploitation qui s’industrialise dans la région. Les ardoisières de Trélazé et de Rénazé complètent la production plus locale de Saint-Georges-le-Gautier.

La standardisation des modes de construction, dans la seconde moitié du xix e et au xx e siècle, entraîne l’émergence de nouveaux matériaux. Dans un premier temps, ils s’intègrent à des techniques de construction  locales. La brique se trouve aux encadrements d’ouverture ou sur la corniche, avant d’être utilisée en parement  selon des formes normalisées —5 . L’arrivée puis l’avènement du béton marquent les faubourgs du Mans au xxe siècle. Ils reprennent des procédés constructifs développés par des ingénieurs à l’échelle nationale,  voire internationale comme sur le chantier de la ZUP des Sablons —3.

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L’AVÈNEMENT DE L’IMMEUBLE COLLECTIF

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« Il n’y avait pas de télévision ni de machine à laver dans tous les ménages. Certains soirs, on s’invitait entre voisins pour regarder des émissions en noir et blanc. »
Une habitante de la cité des Glonnières,
1960.

IMMEUBLES DE RAPPORT ET HABITATIONS À BON MARCHÉ

Dans les quartiers périphériques du Mans, la typologie des  immeubles collectifs apparaît timidement à la fin du xixe siècle. Les premiers exemples associent l’habitation du propriétaire,  généralement une maison individuelle, à un immeuble collectif  mitoyen mis en location. Cependant, peu de cas de ce type ont pu être appréhendés tant la forme de la maison individuelle reste ancrée dans les quartiers périurbains du Mans jusqu’à la Seconde  Guerre mondiale. Malgré cette permanence, des immeubles  portés par des structures de type HBM émergent par endroits  pendant l’entre-deux-guerres. Ils rompent avec la physionomie  de la ville faubourienne héritée du xixe siècle et s’imposent progressivement dans le paysage urbain manceau.

L’immeuble à commerces de Saint-Pavin

L’immeuble d’angle sur la place Saint-Pavin illustre les  modifications profondes soutenues par la municipalité dans  ce quartier à la toute fin du xixe siècle. Le croisement des rues Montoise, Saint-Gilles, Saint-Pavin et de la Croix-d’Étamine  est ancien et correspond à un réseau viaire déjà implanté sous l’Ancien Régime. À la suite de la fusion de Saint-Pavindes-Champs avec la ville du Mans, les pouvoirs locaux ont souhaité améliorer ce carrefour. Des trottoirs sont construits  en 1867, l’alignement de la rue Montoise est projeté en 1871.  Avec l’installation de la caserne du 117e régiment d’infanterie et l’urbanisation accrue du quartier, la prolongation de la rue

Gambetta est votée en 1892. Des maisons rues Saint-Pavin,  de la Perrine, des Mûriers, Kléber et Fleury sont détruites pour  que la pénétrante soit percée. La réception définitive de la  nouvelle voie a lieu le 22 mars 1898. Le premier tronçon de rue  descendant de la place de la République est d’une largeur de  13 mètres. Pourtant, le prolongement projeté côté Saint-Pavin  doit être légèrement plus ample, avec 15 mètres de large, afin de ménager une « perspective générale » jusqu’à la caserne.  Cette théâtralité urbaine, propre aux aménagements de la  IIIe République, qui développe la notion de gabarit, est renforcée  par les prescriptions énoncées dans le cahier des charges  déposé chez Maître Le Bihan, notaire, qui encadre les nouvelles  constructions. À partir de 1898, les terrains bordant la nouvelle  voie sont vendus et peuvent être lotis. Les maisons, alignées  sur la rue, doivent être construites dans les deux ans suivant l’acquisition du terrain, avec une façade de 10 mètres de long  et un étage —1.

Le premier lot, au carrefour Saint-Pavin, est acheté aux enchères  publiques par Maurice Portais, charcutier. Il y fait construire un  immeuble à angle coupé sur trois niveaux : un rez-de-chaussée,  un étage et des combles mansardés —3. Le rez-de-chaussée est  occupé par le commerce, identifié par inscription en façade sous  la corniche —2. La famille Portais vit au premier étage et loue  l’étage sous combles. En 1909, l’immeuble traversant à l’arrière  est construit par les mêmes propriétaires, qui font appel à l’architecte local Maurice Levesque. Chaque appartement est mis en location. Le décor sculpté et les matériaux (brique  et pierre) utilisés pour l’immeuble d’angle suivent les formes  développées dans l’architecture urbaine à la charnière des xixe et xxe siècles. Le second immeuble rend compte, une décennie plus tard, d’une évolution esthétique.

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FORMES ET INFLUENCES

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« À vendre, une grande et jolie maison avec balcon, porte cochère, cour, communs et jardin située commune de SainteCroix. Cette maison, construite depuis peu d’années, offre tout le confortable qu’on peut désirer. »
Petites annonces mancelles, janvier 1855.

LES « CHÂTEAUX »

DU XIX E SIÈCLE

La dénomination « château » correspond à des maisons de maître  édifiées au xix e siècle et qui présentent généralement une architecture originale et remarquable. Les formes architecturales et les décors sont principalement influencés par des courants  hist oriques et se rapprochent du pastiche. L’architecture domestique mancelle des faubourgs présente rarement une  exubérance décorative, mais certaines maisons se rattachent  à la typologie du « château », appellation partagée par les  habitants.

Une profusion de décors

Les demeures aux volumes imposants et au décor soigné se situent principalement autour de l’avenue Bollée et plus  généralement dans l’ancienne commune de Sainte-Croix. Le statut des propriétaires, l’étendue de parcelles encore vierges au xixe siècle puis la mise en avant d’un réseau social dans ce quartier ont entraîné l’édification de ces maisons de maître.

Certaines d’entre elles ne suivent pas un style précis, mais présentent un vocabulaire aux influences variées. Le « château »  dit de Méhoncourt, construit en 1846 sur l’ancien domaine de la Douce Amie et attribué à Pierre-Félix Delarue, présente  une double esthétique Renaissance et Louis XIII qui se retrouve  dans l’agencement des corps de bâtiment et le décor —4. Le parc aménagé autour du château rappelle l’importance de ces espaces pour les maisons du maître du xixe siècle —5. L’intervention

du sculpteur ornemaniste Auguste Gaullier apporte à cet édifice des décors d’une grande richesse, à l’extérieur comme  à l’intérieur. Les sculptures des manteaux, hottes et chambranles  des cheminées monumentales du rez-de-chaussée associent  différents motifs – cuirs enroulés, mascarons, créatures hybrides,  végétaux – qui tranchent sur l’aspect classique des lambris —3. Cette profusion décorative se retrouve sur la façade de la  maison appartenant à la famille Pellier, avenue Bollée —6. Elle  se développe sur trois niveaux avec une différence de traitement  pour le rez-de-chaussée (ouvertures en arc, irrégularité des travées). Les travées sont délimitées par des pilastres dont les chapiteaux sont richement sculptés, et les niveaux sont soulignés par des bandeaux saillants. La volumétrie massive de l’édifice est renforcée par la présence d’une balustrade à l’aplomb du toit-terrasse. Ces choix architecturaux ne sont pas sans rappeler le vocabulaire des palazzi toscans de la Renaissance. Les lambris en « plis de serviette » de l’escalier et du rez-dechaussée participent du style général de la demeure, qui présente cependant des variations dans les étages. Les décors intérieurs de style néo-Renaissance se retrouvent dans de nombreuses maisons pourtant relativement sobres en façade —1, 2. Ces éléments, particulièrement appréciés dans les demeures bourgeoises mancelles durant la seconde moitié du xixe siècle, se rapprochent du travail des menuisiers sculpteurs locaux Blottière et Reboursier, qui réalisent les lambris de quelques  églises sarthoises. À la fin du xixe siècle, plusieurs demeures perpétuent l’esthétique « château » : jeu sur les différents corps  de bâtiment (tours, pavillons), bossages aux angles et aux  encadrements, tables saillantes. Les toits de ces maisons de notables, travaillés à la française, témoignent d’une inspiration  plus classique que les formes néo-Renaissance précédentes.

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LES ARCHITECTES

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« Quand je traverse les rues et les petites places de ce quartier grouillant d’enfants jouant dans les squares, je vois les magasins prospères, les bateaux naviguant sur l’Huisne, je suis largement récompensé de mon travail. »
Pierre Vago, Une vie intense, Mémoires de Pierre Vago, 2000.

PIERRE-FÉLIX DELARUE

Pierre-Félix Delarue naît à Thiais en 1795. Il est formé dans  l’atelier de son oncle, Jean Delarue, architecte départemental de l’Orne, dont il prend la suite. Sa première intervention d’ampleur identifiée au Mans est la construction de l’asile d’aliénés, qui lui est confiée par le Département en 1825 —1. Le 4 juin 1827, Pierre-Félix Delarue est nommé architecte  du Département de la Sarthe par arrêté du ministre secrétaire  d’État au département de l’Intérieur. À cette date, il est également architecte diocésain. La lourde charge que représentent ces nominations et son importante clientèle privée entraîne  en 1856 le recrutement d’un architecte départemental adjoint en la personne de Paul Bouchet.

L’empreinte que Pierre-Félix Delarue a laissée dans la Sarthe  et dans la ville du Mans est évidente tant par ses propres  réalisations que par leur influence sur l’architecture locale.

Etoc-Demazy, adjoint au maire du Mans, en témoigne lors d’une  séance du conseil municipal en 1831 : « Toutes nos maisons se  ressemblent […]. Il a fallu l’arrivée dans nos murs d’un architecte  distingué, tout à la fois par un goût exquis, des connaissances  solides et l’agrément de ses manières pour nous affranchir de  cette malheureuse routine et rompre la monotonie. » Plusieurs

demeures ont pu être attribuées, par les sources ou par comparaison stylistique, à Pierre-Félix Delarue, en particulier  dans le quartier bourgeois de Sainte-Croix où se situe une partie  de la clientèle de l’architecte.

Maison dite hôtel Mauboussin, actuelle Banque de France

Le terrain sur lequel est construite la maison est issu du démantèlement du grand enclos des Ursulines. La parcelle est achetée par François-Joseph de Renusson d’Hauteville comme bien national à la Révolution, revendue en 1802 à Jacques Bordier, juge à la cour d’appel d’Angers, puis cédée au comte de Tascher qui y fait construire une première demeure. La maison est visible sur le cadastre napoléonien levé en 1812. La propriété est acquise par le notaire Pierre Mauboussin en 1828. Il fait détruire la maison du comte et y établit sa demeure sur les plans de l’architecte Pierre-Félix Delarue en 1835. La maison reprend la typologie des hôtels particuliers dits entre cour et jardin. Sa position, à l’entrée de Sainte-Croix, aux portes du Mans, sur la place de l’Étoile, aujourd’hui Lionel-Lecouteux, souligne le statut de son propriétaire. L’organisation de la façade principale confère une certaine monumentalité à la maison, qui marque le carrefour — 3. Pierre-Félix Delarue utilise le vocabulaire classique propre aux  réalisations du début de sa carrière. Le corps central coiffé d’un  fronton triangulaire est rythmé par des pilastres et des larmiers. La corniche à modillons reprend les formes propres aux années 1820 à 1850. En juillet 1846, Auguste Trotte de la Roche, maire  du Mans, achète la maison à Pierre Mauboussin pour y créer un  comptoir de la Banque de France. Des travaux d’aménagement  datés de 1912 ont modifié la distribution intérieure du bâtiment  principal et des bâtiments secondaires. C’est également à cette date que les deux pavillons d’entrée ont été détruits —2.

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VIVRE EN VILLE

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« La mémoire urbaine est par nature multiple et démultipliée, collective, plurielle et individualisée. »
Pierre Nora, Les Lieux de mémoire, tome 1, 1984.

ÉTUDIER

Le 14 février 1830, une ordonnance royale impose la présence  d’une école dans chaque commune de France. La loi Guizot  de 1833, qui rend obligatoire l’implantation d’une école de  garçons, contraint définitivement les municipalités suburbaines  du Mans à acquérir des maisons pour servir d’écoles dans les  années suivantes. Le souci de créer des établissements scolaires à proximité des zones d’habitation marque tout le xixe siècle, et, dans la seconde moitié du siècle, des établissements normés  commencent à être bâtis. Parallèlement à cette prise en main par  les instances républicaines, plusieurs établissements religieux se (ré)implantent après la Révolution et maintiennent un accès  à l’éducation, notamment pour les filles. Après la Seconde Guerre  mondiale, des plans de programmations en matière d’équipement  permettent la construction de plusieurs écoles dans les quartiers  périphériques, en particulier au sud de Pontlieue.

École et collège Saint-Julien

L’institut Saint-Julien est créé en 1805 par trois sœurs qui  ouvrent une école gratuite pour filles rue du Bouquet, dans la  vieille ville du Mans. Après plusieurs déménagements, l’école se  fixe en 1867 rue Tascher. Le premier bâtiment est celui qui est  aujourd’hui visible en second rideau —1. Il se développe sur un

étage accessible par une coursive soutenue par des colonnes en bossage et pourvue de piliers métalliques. À l’aplomb du toit, une niche surmontée d’une croix renferme une statue de la Vierge.  Une niche similaire, avec une statue de saint Julien, est disposée au sommet de la travée centrale du nouveau bâtiment, construit  dans les années 1870. Ce bâtiment est précédé d’un portail et d’une cour —2 et —3. Il est conçu symétriquement autour de la cage d’escalier, accessible depuis la porte d’entrée et qui dessert les étages, composés de couloirs centraux et transversaux sur lesquels donnent les salles de classe. La modénature déployée sur la façade principale est caractéristique de l’architecture  locale durant cette période : fenêtres en arc segmentaire avec agrafe et crossette, pilastres en bossage entre les travées  et bandeaux entre les étages.

En 1936, l’école est à nouveau agrandie : deux ailes en retour,  dessinées par l’architecte local Henri Grigné, complètent le  bâtiment principal. Ces bâtiments en béton arborent une  esthétique sobre, dont certaines formes sont révélatrices de  la manière de bâtir pendant l’entre-deux-guerres : c’est le cas  notamment de la corniche sous les toits-terrasses, légèrement  incurvée. La nouvelle chapelle est implantée dans l’aile est. Elle  est pourvue de verrières signées Charles Lorin, maître verrier  à Chartres —4. Depuis 1966, de nouvelles ailes ont été construites rue Sainte-Croix, témoignant de la prospérité de l’institution  dans le quartier.

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