Mémoires industrielles

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Une approche sensible du territoire

Un sous-bois de bouleaux où scintillent, au milieu des fougères, des éclats d’ardoise ; un toponyme sur une carte ; un haut chevalement en béton, tel un phare dans le paysage ; un rond-point avec son wagonnet-relique ; des architectures en friche et des ateliers reconvertis ; des maisons de coron enfin, sagement ordonnancées, dans lesquelles vivent des hommes et des femmes, d’ici ou d’ailleurs.

La mémoire industrielle du Segréen (aujourd’hui de l’Anjou Bleu) propose tant de facettes que le pluriel s’impose si l’on veut se saisir de la question et tenter d’en rassembler les fragments. Aux côtés des moulins, des fours à chaux et des briqueteries, la région fut principalement marquée par l’extraction de l’ardoise et du fer. Depuis la fin du xixe siècle, les singularités géologiques du pays ont en effet entraîné un développement spectaculaire de ces activités. Des puits furent « foncés » et des galeries creusées ; des installations élevées « en surface » ; des réseaux de transport tracés ; des lotissements et des cités ouvrières aménagés. Un nouveau territoire fut donc façonné, qui allait devenir le cadre de vie et de travail de plusieurs générations d’habitants, avant d’être pris dans la tourmente des années 1970 et 80 avec son lot de fermetures d’usines et de déprise paysagère.

Depuis plus d’une vingtaine d’années, les historiens se sont penchés sur cette épopée. Ici des archives ont été sauvegardées ; là des inventaires ont été dressés et des témoignages enregistrés ; d’anciens sites ont été reconvertis ou réhabilités. Entre les vestiges matériels et les traces immatérielles, un patrimoine commun s’est peu à peu constitué. L’image a pleinement joué son rôle dans l’écriture de cette aventure collective, comme l’attestent les sources iconographiques des entreprises, les cartes postales illustrant l’activité des hommes, ou bien encore les clichés des diverses installations, réalisés à partir du milieu des années 1980 au moment où l’activité de production s’estompait pour laisser place à la friche patrimoniale.

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Christophe Méloy

Page 10 — Ardoisière de La Pouëze. Puits n° 3, chambre C, Erdre-en-Anjou, 1988

Page 11 — Ardoisière de Misengrain à Noyant-la-Gravoyère. Puits n° 7, blocs de schiste sur leurs wagonnets, Segré-enAnjou Bleu, 1988

Page 12 — Ardoisière de La Pouëze. Puits n° 3, salle du treuil électrique, Erdre-en-Anjou, 1988

Page 13 — Ardoisière de Misengrain à Noyant-la-Gravoyère. Puits n° 7, bâtiment de la machine d’extraction, Segré-en-Anjou Bleu, 1988

Page 14 — Ardoisière de Misengrain à Noyant-la-Gravoyère. Ateliers de fabrication, Segré-en-Anjou Bleu, 1988

Page 15 — Ardoisière de Misengrain à Noyant-la-Gravoyère. Ateliers et aire de stockage des produits finis, Segré-en-Anjou Bleu, 1988

Page 16 — Ardoisière de Misengrain à Noyant-la-Gravoyère. Ateliers de rondissage, 1988

Page 17 — Ardoisière de Misengrain à Noyant-la-Gravoyère. Ateliers de quernage, Segré-en-Anjou Bleu, 1988

Page 18 — Ardoisière de Misengrain à Noyant-la-Gravoyère. Atelier de débitage et de sciage, Segré-enAnjou Bleu, 1988

Page 19 — Ardoisière de Misengrain à Noyant-la-Gravoyère. Atelier de fabrication, circulation des fendis, Segré-en-Anjou Bleu, 1988

Pages 20-21 — Ardoisière de SaintBlaise à Noyant-laGravoyère. Murs  de « canton » pour l’abri ou le stockage des ardoises, Segré-enAnjou Bleu, 1988

Christophe Méloy est né à Angers en 1959 ; il y décède en 2008.

Après des études d’administration économique et sociale, il suit les cours de l’école de photographie de Toulouse jusqu’en 1985. Installé dans la commune de Nyoiseau, près de Segré, il porte alors son regard sur l’industrie du territoire.

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Un patrimoine révélé

Après un premier travail consacré aux tanneries Lepage (Segré), Christophe Méloy bénéficie en 1987 d’une bourse d’aide à la création artistique, octroyée par la Région des Pays de la Loire, pour mener un projet consacré aux témoignages de l’activité de la Société des mines de fer de Segré, dirigée alors par son père, Pierre Méloy.

Entre 1986 et 1988, le ministère de la Culture (DRAC des Pays de la Loire) lui commande une campagne de prises de vues liées cette fois à la reconnaissance du patrimoine ardoisier régional. Engagé vingt ans auparavant sous l’égide d’André Malraux, l’Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France, vaste entreprise de (re)connaissance des multiples formes d’art à l’échelle nationale, contribue en effet à ouvrir le patrimoine au monde industriel dont le démantèlement est à l’œuvre. Chercheurs et photographes sont alors envoyés sur le terrain afin de dresser un état des lieux des éléments les plus remarquables.

Afin de documenter et de garder en mémoire le patrimoine recensé, la photographie professionnelle constitue un outil et un médium indispensables. Prenant en compte l’édifice remarquable comme le plus modeste objet, les images accompagnent la volonté de porter à la connaissance du public la pluralité des formes d’art présentes sur le territoire. Elles contribuent ainsi pleinement à l’objectif originel voulu par André Malraux de « révéler » des éléments d’un patrimoine encore non reconnu.

Christophe Méloy arpente plus particulièrement le territoire ardoisier du Maine-et-Loire (Trélazé, Noyant-la-Gravoyère, La Pouëze). Si sa démarche relève clairement de la photographie documentaire, ses clichés en noir et blanc, réalisés de manière sérielle au moyen format, sont aussi l’occasion d’une approche sensible et personnelle. Les images présentées ici évoquent les nouveaux paysages générés par l’exploitation ; elles captent les techniques d’extraction et de fabrication encore à l’œuvre ; elles relèvent enfin la diversité des architectures, récentes ou déjà obsolètes, et des ateliers de production, en activité ou démantelés. Car le territoire regardé, en même temps que révélé, est aussi, on le sent, celui d’une bascule vers la fin d’un monde… et celui d’un patrimoine en devenir.

En regard de l’étude historique menée par Jean-Louis Kerouanton, alors chercheur spécialisé dans le domaine du patrimoine industriel, certaines des photographies réalisées lors de ces différentes campagnes ont été publiées en 1988 dans l’ouvrage Ardoisières en Pays de la Loire, édité dans la collection « Images du patrimoine ». L’ensemble des clichés est conservé au sein du fonds photographique de l’Inventaire de la Région Pays de la Loire.

Thierry Pelloquet

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Sylvain Duffard

Pages 26-27 — Vue générale sur le carreau de Bois II, les Friches à Nyoiseau, Segré-enAnjou Bleu, juin 2022

Page 28 — Rue des Jardins, cité-jardin de Noyant-la-Gravoyère, Segré-en-Anjou Bleu, vers 1920 (Arch. dép. Maine-et-Loire, 124 J)

Page 29 — Rue des Jardins, cité-jardin de Noyant-la-Gravoyère, Segré-en-Anjou Bleu, mai 2022

Pages 30-31 — Vue générale sur le terril ardoisier de Misengrain à Noyant-la-Gravoyère, Segré-en-Anjou Bleu, juin 2022

Page 32 — Anciennes ardoisières de Misengrain à Noyantla-Gravoyère, Segréen-Anjou Bleu, mai 2022

Page 33 — Chambre d’extraction, ancienne ardoisière de la Gâtelière à Noyant-laGravoyère, aujourd’hui nommée La Mine Bleue, Segré-en-Anjou Bleu, avril 2022

Page 34 — Bâtiment de la Recette, carreau de Bois II à Nyoiseau, Segré-en-Anjou Bleu, avril 2022

Page 35 — Le Ruisseau rouge à Noyant-laGravoyère, Segré-enAnjou Bleu, avril 2022

Page 36 — M. et Mme Maryvonne et André Verdon, le Berceau d’amour à Noyant-la-Gravoyère, Segré-en-Anjou Bleu, 1967 (photographie personnelle)

Page 37 — M. et Mme Maryvonne et André Verdon, le Berceau d’amour à Noyant-la-Gravoyère, Segré-en-Anjou Bleu, mai 2022

Page 38 — Reseda luteola, ou réséda des teinturiers, anciennes ardoisières de Misengrain à Noyant-la-Gravoyère, Segré-en-Anjou Bleu, juin 2022

Page 39 — Reseda luteola ou réséda des teinturiers, le Tertre, carrière de Chazé-Henry, Ombréed’Anjou, juin 2022

Pages 40-41 — Entre ami·es, anciennes ardoisières de la Forêt à Combrée, Ombréed’Anjou, mai 2022

Photographe autodidacte, Sylvain Duffard produit depuis près de quinze ans un travail à la lisière entre art et document. Il consacre sa démarche aux paysages quotidiens dont il interroge la fabrique et les représentations collectives.

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En mémoire(s)

Il y a près de quarante ans prenait fin, à l’échelle du Segréen, territoire rural du Haut-Anjou, deux histoires industrielles nées de l’exploitation de l’ardoise et du minerai de fer. Ces deux épopées humaines et techniques, ayant toutes deux pris leur essor à la fin du xixe siècle, sont venues marquer les paysages en profondeur, tout comme la société locale dans sa chair.

Au printemps 2022, j’ai arpenté durant plusieurs semaines ces lieux chargés d’histoire et c’est, de proche en proche, à des mémoires individuelles et collectives imbriquées que je me suis attaché.

J’ai dans un premier temps parcouru les anciens sites d’extraction du territoire, qu’ils aient été consacrés à l’extraction de l’ardoise ou à celle du minerai de fer, que ceux-ci aient été de surface ou souterrains. Parcourant ces paysages, je me suis attaché aux signes témoignant du passé industriel des lieux.

Et, tandis que je considérais la part visible de cette histoire (traces, vestiges, reliques…), c’est celle, bien souvent invisible, attachée à des infrastructures de travail aujourd’hui démantelées, à d’anciens lieux de vie et de socialité désormais disparus, qui est venue m’interroger sur la manière de convoquer, par la photographie, une telle histoire des lieux.

C’est en échangeant avec diverses personnes dépositaires, d’une façon ou d’une autre, de cette histoire, en consultant cartes et photographies anciennes, en considérant la géologie comme la botanique locales, que je me suis progressivement convaincu de la nécessité d’emprunter de nouveaux chemins de recherche, de faire « feu de tout bois » sur les plans documentaire et formel.

Menant une véritable enquête photographique, j’ai progressivement développé une recherche où espace et temps s’entremêlent. Considérant l’archive comme un précieux véhicule temporel, j’ai ainsi réalisé certaines de mes photographies en référence à des vues anciennes, issues de fonds d’archives publiques ou glanées au cours de mes rencontres.

Les architectures que j’ai photographiées, tout comme les minéraux et autres végétaux sur lesquels je me suis arrêté m’ont quant à eux permis de tirer certains fils, visuels comme narratifs, en regard des relations étroites existant entre usages industriels des lieux et nature des sols.

La série photographique « En mémoire(s) », née de cette expérience et dont un extrait est ici présenté, procède d’un choix nouveau pour moi : celui d’une écriture photographique hybride, faite d’archives et d’images contemporaines, de vues paysagères et architecturales combinées. L’ensemble trouvant à dialoguer avec des portraits, de personnes comme de plantes ; une manière singulière et personnelle de m’attacher aux mémoires industrielles du Segréen.

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Armelle Maugin

Page 47 — Marc Beluet, cité de Bois II à Nyoiseau, Segréen-Anjou Bleu, 2022

Page 49 — Serge Roldo, cité de Bois II à Nyoiseau, Segréen-Anjou Bleu, 2022

Page 51 — Jules Aligand, cité de Bel-Air à Combrée, Segréen-Anjou Bleu, 2022

Page 53 — Rémy Guillemé, cité de Bel-Air à Combrée, Segréen-Anjou Bleu, 2022

Page 55 — Jacqueline Skler, cité de Bois II à Nyoiseau, Segréen-Anjou Bleu, 2021

Page 57 — Josette Prévost, cité de Bois II à Nyoiseau, Segréen-Anjou Bleu, 2022

Page 59 — Magaly Carlier, cité de Bois II à Nyoiseau, Segréen-Anjou Bleu, 2019

Armelle Maugin s’est intéressée à la photographie en même temps qu’elle découvrait le paysage industriel anglais. Photographe indépendante, elle a aussi travaillé comme iconographe pour la Bibliothèque nationale de France, le musée Carnavalet et l’agence Métis. Elle est depuis 2017 photographe à la Conservation départementale du patrimoine de Maine-et-Loire et poursuit un travail plus personnel sous la forme de résidences et d’expositions.

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Les habitants

Visible depuis la D 775, le grand chevalement en béton de Bois II fait l’effet d’une apparition au détour d’un chemin. Plus doucement s’impose l’étendue des cités construites autour des puits dont elles portent encore le nom.

Afin d’imaginer le futur des cités minières du Segréen, fragilisées par le temps et de nouveaux usages, je décidai en 2021 de poursuivre le travail d’enquête amorcé deux ans plus tôt dans le cadre de l’atelier en résidence « T’as bonne mine ». Puis, d’octobre à juin 2022, avec Xaël Despré, apprenti photographe, nous avons parcouru les cités construites le long d’anciens filons allant de Pouancé à Segré. Introduits par les figures locales, il nous fallait trouver la bonne distance pour recueillir la parole des anciens mineurs, de leur famille et celle des nouveaux arrivants.

Les entretiens menés autour de la thématique de l’habitat ont facilité les rencontres. Pour chacun, la cité est vécue comme un village à part. Les maisons se distinguent même si elles partagent souvent la même distribution. À Bois II, les bâtisses bordent la rue principale, ordonnée selon la hiérarchie qui fut celle de l’entreprise. Avec ses rues courbes et sa forme d’œuf, la citéjardin de Noyant-La-Gravoyère fait figure d’exception.

L’appareil photographique a souvent joué comme passeport pour entrer dans l’intimité des habitants, même s’il a parfois produit l’effet contraire. Lorsqu’ils ont accepté de poser, j’ai compris petit à petit que les anciens mineurs se réappropriaient symboliquement l’espace dont ils avaient été écartés. En se laissant photographier, ils auguraient la restauration de leur image, de leur corps même.

Pour les nouveaux occupants, une maison avec jardin entre ville et campagne, accessible financièrement, présente un réel attrait. Parmi ces habitants se distinguent les passeurs, qui ont vécu dans les cités sans avoir jamais travaillé à la mine. Leur engagement associatif ou en tant que porteurs de projets culturels permet aujourd’hui aux nouveaux arrivants de mieux appréhender leur environnement et de disposer d’un lieu culturel comme Centrale 7.

À travers cette série qui associe photographies, entretiens et documentation, j’espère participer à la reconnaissance des lieux. Comme l’écrit Christiane Vollaire dans Pour une philosophie de terrain (éditions Créaphis, 2017), « l’image informe le regard, au sens esthétique où elle donne forme à un rapport au monde qui en suscite l’énigme et en ouvre l’interprétation ». Les anciens habitants ont aussi un rôle à jouer en apportant leur expérience, d’autant que le nombre de nouveaux propriétaires ou locataires augmente et que la population change, notamment en raison de la spéculation financière qui s’exerce sur ces quartiers.

De mon expérience des cités minières, je retiendrai l’impression d’une hétérogénéité sociale porteuse d’espoir. De là point l’utopie d’une société résiliente, proche de la nature, accueillante au voisinage et qui ouvre sur un futur souhaitable, porté par l’authenticité d’un récit partagé.

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« Quand les mines de fer ouvrent dans les années 1900, ce sont principalement des ouvriers agricoles qui viennent se faire embaucher, comme c’était le cas aux ardoisières d’ailleurs.

Avant, dans cette région agricole, tout le monde travaillait à la campagne et habitait dans des bourgs. Les hommes sont maréchal-ferrant, charron, bourrelier, agriculteur, une majorité étant ouvriers agricoles.

À cette époque, il n’y a ni entreprise ni usine dans la région. Et au moment des travaux dans les fermes, ces ouvriers retournent souvent chez leurs anciens patrons parce qu’il y a besoin de main-d’œuvre, notamment au moment des moissons. Pour pallier ce problème, les propriétaires des mines décident alors de faire construire des maisons à leurs ouvriers.

Dans ces cités minières, appelées “corons” dans le Nord, les ouvriers disposent gratuitement d’une maison avec un jardin. À partir de là, les mineurs qui ont rencontré des femmes et ont fondé des familles ne repartent plus. Les femmes sont généralement des mères au foyer ; elles ne travaillent pas dans les mines de fer, contrairement aux ardoisières où certaines sont employées comme fendeuses sur la butte. »

Extrait d’un entretien avec Marc Beluet, président de l’Association des mines de fer de l’Anjou, avril 2022.

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« J’ai habité rue de la Prairie de ma naissance jusqu’en 1956, année où je me suis marié et j’ai encore été dans une maison des ardoisières… mais il n’y en avait pas beaucoup à l’époque.

On a vécu à onze là-dedans. Il y avait trois pièces. On était quatre garçons. On couchait dans le grenier sous les ardoises, c’était même pas plafonné ! L’hiver on se caillait. On était deux par lit et le matin, on se lavait avec la cuvette, parce qu’il n’y avait pas d’eau. L’eau était dans la rue, à la pompe. Et encore, on était mieux lotis que beaucoup de gens à la campagne, qui devaient aller chercher l’eau au puits. Les ardoisières avaient mis en place un système d’eau à l’extérieur. Au rez-de-chaussée, il y avait une grande chambre et une grande cuisine. On chauffait avec un poêle à bois. Il faut dire qu’on avait des avantages. Les ardoisières étaient propriétaires de la forêt et ils organisaient tous les ans des coupes de bois… il fallait faire sauter les souches à la dynamite. La grande grève de 1905, il a failli y avoir des morts. Il y avait 1 250 ouvriers. C’est à cette époque-là que les ardoisières ont décidé de transférer – tellement ils étaient puissants, les ardoisières – la gendarmerie qui était à Combrée, à Bel-Air. Et c’est eux qui l’ont construite – c’est un restaurant aujourd’hui – et ça a été la gendarmerie jusqu’en 1970. Fait unique dans la région : le transfert de la gendarmerie aux ardoisières avec sept-huit personnes à cheval. Les écuries à côté. Donc ils ont eu la police sur place. Parce que je ne vous ai pas dit, mais les mineurs – les ardoisiers – étaient des révolutionnaires. Ils étaient toujours en pétard. Il y avait besoin d’une gendarmerie ! Ça vivait, ça buvait, tu te rends compte : plus de 1 000 ouvriers, les uns sur les autres, et quand il y avait des histoires de bonnes femmes, du fait que les habitations n’étaient pas des habitations modernes… »

Extrait d’un entretien avec Jules Aligand, alias « P’tit Jules », mineur puis contremaître aux ardoisières de Bel-Air, maire de Combrée, retraité, avril 2022.

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« Prévost Josette, 85 ans. Je suis normande et j’ai connu la maison par une amie qui habitait en face et qui m’a prévenue qu’il y avait une maison de libre. Elle était à la retraite et elle m’a fait venir ici, mais elle est repartie à Paris et moi, je suis restée là !

J’ai débuté à 17 ans comme serveuse et après, j’ai été dans les sociétés de Suez, des restaurants d’entreprise, tout ça. Enfin, je suis venue habiter là. Je m’ennuyais et je me suis mise assistante maternelle. J’ai élevé treize ou quatorze enfants ; il y en avait six par jour, par moments !

Mais nous, on a agrandi la maison de toute façon. On a beaucoup agrandi. Ça veut dire que tout ça, ce n’était que des cabanes. C’est mon précédent compagnon qui a tout fait. Il savait tout faire, même les voitures, alors !

J’ai eu des amies en face qui étaient femmes de mineurs et qui sont parties en maisons de retraite. Les voisins ne parlaient pas tellement. Ils ont eu un dur labeur. C’était très dur comme vie. C’était la vie des mineurs. Et puis pour ainsi dire, ils étaient veufs. Alors… »

Extrait d’un entretien avec Josette Prévost, serveuse à Paris puis assistante maternelle à Nyoiseau, retraitée, avril 2022.

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Une histoire industrielle

1 — Vue du site ardoisier de la Forêt à Combrée, début du xxe siècle (Arch. dép. Maine-et-Loire, 124 J)

2— Le carreau de mine de fer de Bois II-Bois III à Nyoiseau, vers 1950 (Arch. dép. Maine-etLoire, 237 J)

3 — Puits de la mine de fer de Charmont à Nyoiseau, 1er quart xxe siècle (Arch. dép. Maine-et-Loire, 237 J)

L’exploitation de l’ardoise et du fer

Riche de veines de schiste et de gisements de minerai de fer, la partie occidentale du Segréen a été, tout au long de l’histoire, le théâtre d’une exploitation intensive de ces ressources.

Attestée dès l’époque médiévale, l’extraction ardoisière se transforme au xixe siècle avec la création d’associations d’exploitants qui ouvrent d’abord des carrières à ciel ouvert avant que la méthode souterraine se généralise (« fonçage » d’un puits et aménagement d’une grande « chambre » d’extraction), favorisée par l’introduction de l’éclairage au gaz puis électrique.

Deux entités principales contrôlent la production : la Commission des Ardoisières d’Angers exploite les carrières de La Pouëze et celles de Bel-Air et de la Forêt à Combrée ; la Société des ardoisières de l’Anjou développe le site de Misengrain à Noyant-la-Gravoyère. En 1905, la production, pour le bassin de l’Anjou, atteint 185 000 tonnes. L’emploi de la tuile mécanique et surtout la concurrence de l’ardoise d’Espagne entraînent cependant, dès la fin des années 1960, une baisse de l’activité. Trente ans plus tard, il faut se résigner à l’arrêt total de la production : Bel-Air est fermé en 1982, Misengrain et La Pouëze dans les années 1990.

Les gisements de fer sont eux aussi exploités depuis l’Antiquité et durant la période médiévale. Mais après la défaite de 1870 et la perte des mines de fer de Lorraine, l’extraction industrielle se développe avec la création de concessions portées par des privés ou des sociétés ; quatre d’entre elles se rassembleront pour former en 1911 la Société des mines de fer de Segré.

Au fil des années, le « carreau » de Bois II-Bois III à Nyoiseau en devient le site majeur. La modernisation du puits n° II en 1962 symbolise les années fastes avec environ 500 000 tonnes de minerai extraits par an. À partir des années 1970, la hausse des coûts de production et la concurrence internationale (Suède, Mauritanie) marquent cependant les prémices du déclin qui aboutira à la fermeture définitive du site en 1985.

Sur ces différents lieux, des éléments monumentaux sont conservés, notamment les chevalements. Ainsi celui de l’ardoisière de Misengain, et surtout ceux de la mine de fer de Bois II-Bois III : l’un métallique datant des années 1930, l’autre en béton armé qui s’affirme comme l’un des édifices les plus spectaculaires de l’architecture industrielle de la région. Élevée en 1963, il s’agit d’une tour « Koepe » dans laquelle le treuil d’extraction est installé en partie haute.

La sauvegarde et la valorisation de ces héritages sont autant d’enjeux pour le territoire. En 1990, l’ancienne ardoisière de Saint-Blaise (Noyant-laGravoyère) a été transformée en site d’interprétation du patrimoine (La Mine Bleue). Le Bois II revit en partie avec des ateliers d’artistes créés grâce à l’action de l’association Centrale 7, installée sur la friche depuis 2006 afin de promouvoir la création contemporaine.

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Proposée par le Département de Maine-et-Loire, la collection Carnets d’Anjou est une invitation à découvrir la richesse du patrimoine à travers la diversité des lieux, des œuvres et des mémoires de notre territoire.

Mémoires industrielles est le premier volume des Carnets d’Anjou Photographie. Il fait suite à l’exposition éponyme réalisée conjointement par le Département de Maine-et-Loire et la communauté de communes Anjou Bleu Communauté, avec la participation de la Région des Pays de la Loire, et présentée pour la première fois à l’Atelier Legault (Ombrée-d’Anjou) du 17 septembre au 13 novembre 2022 dans le cadre de Prenez l’art !, la saison d’art contemporain du Département de Maine-etLoire ; puis au château du PlessisMacé (Longuenée-en-Anjou), du 12 juillet au 30 septembre 2023 ; et à la Maison de l’architecture, des territoires et des paysages (Angers), du 20 novembre 2023 au 27 septembre 2024.

Remerciements

Que soient très sincèrement remerciés les habitants qui ont pris le temps de poser et répondre à l’entretien sur l’habitat minier. Sylvain Duffard remercie tout particulièrement Jules Aligand, ancien maire de Combrée, trop tôt disparu, et Marc Beluet, président de l’Association des mines de fer de l’Anjou, pour leur très généreux accompagnement lors de sa résidence de création, ainsi que toutes les personnes lui ayant octroyé de leur temps dans ce cadre.

La Région des Pays de la Loire, service du patrimoine, Julien Boureau, chef de service ; Joël Guilloizeau, documentaliste.

Carnets d’Anjou Photographie

Direction éditoriale

Thierry Pelloquet, conservateur en chef du patrimoine

Photographies

Christophe Méloy

Sylvain Duffard

Armelle Maugin

Textes

Thierry Pelloquet

Avec les contributions de Sylvain Duffard et Armelle Maugin

Crédits photos

Christophe Méloy © Région Pays de la Loire – Inventaire général, p. 10-21

Repro. B. Rousseau / A. Maugin, p. 60, 62

Éditions 303

contact@editions303.com www.editions303.com

Direction

Aurélie Guitton

Coordination éditoriale

Alexandra Spahn

Édition

Emmanuelle Ripoche Carine Sellin

Correction

Juliette Paquereau

Diffusion

Élise Gruselle

Conception graphique BURO-GDS

Photogravure

Pascal Jollivet

Impression Edicolor, Bain-de-Bretagne

Papier Arena White Rough et Keaykolour Navy Blue

Typographie SangBleu

Les Éditions 303 bénéficient du soutien de la Région Pays de la Loire.

Dépôt légal : avril 2024

ISBN : 979-10-93572-98-7

© Département de Maine-etLoire et les Éditions 303, 2024. Tous droits réservés.

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