
INJEP NOTES & RAPPORTS
Décembre 2024
INJEPR-2024/19
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Décembre 2024
INJEPR-2024/19
Giorgia TRASCIANI, professeure junior en sciences de gestion
Julien MAISONNASSE, maßtre de conférences en sciences de gestion
Francesca PETRELLA, professeure en sciences économiques
UniversitĂ© dâAix-Marseille, LEST (UMR 7317)
Ce rapport a bénéficié du soutien financier de l'INJEP. Il engage la seule responsabilité de ses auteurs et/ou autrices.
Faire face aux difficultĂ©s de financement dans les associations artistiques et culturelles : quelles stratĂ©gies dâhybridation des ressources ?
Trasciani, Julien Maisonnasse et Francesca Petrella
Pour citer ce document
TRASCIANI, G., MAISONNASSE J., PETRELLA F., 2024, Faire face aux difficultĂ©s de financement dans les associations artistiques et culturelles : quelles stratĂ©gies dâhybridation des ressources ?, INJEP Notes & rapports.
2.1.
2.2.
4.1. Une hybridation des ressources réelle mais qui répond à des stratégies différentes selon les
Des recettes marchandes en lien avec les pouvoirs publics et encastrées dans des relations réciprocitaires
Des ressources réciprocitaires en réponse à des stratégies variées : dons, bénévolat et mécénat
4.2. Au-delĂ dâune approche budgĂ©taire des ressources, la rĂ©ciprocitĂ© comme socle du projet
Des dynamiques de réciprocité sur les territoires source de plasticité et de légitimité 48
Des dynamiques de rĂ©ciprocitĂ© au cĆur de la fabrique de la gouvernance des associations 51
CONCLUSIONS : QUELLES STRATĂGIES ASSOCIATIVES EN TERMES
Dans un contexte marquĂ© par des mutations profondes de lâenvironnement institutionnel et Ă©conomique, de nombreuses associations, en particulier dans le champ artistique et culturel, se sentent fortement fragilisĂ©es, fragilitĂ©s que la crise sanitaire a rĂ©vĂ©lĂ©es voire exacerbĂ©es (ChataignĂ© et al., 2020 ; Le Mouvement associatif, 2021 ; Labo de lâESS, 2020)
Les associations ont ainsi le sentiment de faire face, malgrĂ© des besoins croissants, Ă une diminution de leurs ressources financiĂšres (Greffe, Pflieger, 2015), couplĂ©e Ă des modalitĂ©s dâobtention de plus en plus basĂ©es sur des instruments fondĂ©s sur le marchĂ©, tels que des appels Ă projets qui renforcent par ailleurs la mise en concurrence entre structures. De plus, une rhĂ©torique de lâexcellence dans le secteur artistique et culturel a Ă©tĂ© entamĂ©e, avec un financement basĂ© sur deux dimensions dâĂ©valuation, lâune rattachĂ©e exclusivement Ă des indicateurs dâĂ©valuation quantitatifs, par exemple la frĂ©quentation fondĂ©e sur lâĂ©largissement de la demande, lâautre sur la valeur artistique de lâoffre, selon des critĂšres peu explicites, laissĂ©e aux mains dâun comitĂ© dâexperts (Langeard et al., 2014)
Dans ce contexte trĂšs incertain, plusieurs associations rĂ©interrogent leur modĂšle socio-Ă©conomique et expĂ©rimentent de nouvelles formes de mobilisation de ressources, pas uniquement financiĂšres. Ce sont ces nouvelles pratiques que notre Ă©tude, financĂ©e par lâInstitut français du monde associatif (IFMA) dans le cadre dâun appel Ă projets sur « le monde associatif Ă la lumiĂšre de la crise COVID-19 » soutenu par lâINJEP, se propose dâexaminer, en regardant de plus prĂšs les rĂ©flexions, solutions et pratiques mises en Ćuvre par les associations artistiques et culturelles au niveau de leur modĂšle socio-Ă©conomique pour assurer leur pĂ©rennitĂ©. Au-delĂ dâune situation dâurgence et des problĂšmes de trĂ©sorerie Ă court terme causĂ©s par la crise sanitaire en 2020, dont les effets Ă moyen et Ă long terme nâĂ©taient pas encore connus au moment de notre travail, il sâagit plus largement dâĂ©tudier les stratĂ©gies mises en Ćuvre par ces associations pour faire face aux transformations de ce secteur. Notre question de recherche est dĂšs lors la suivante : comment se construisent et se transforment les modalitĂ©s dâhybridation des ressources au sein des associations artistiques et culturelles ? Nous entendons lâhybridation comme un processus visant Ă articuler et agencer des ressources de natures diffĂ©rentes
Dans ce travail, nous centrons notre analyse sur lâhybridation des ressources et ses tensions ou contradictions. PrĂŽnĂ©e depuis quelques dĂ©cennies (Tchernonog, 2018), celle-ci est prĂ©sentĂ©e comme une solution Ă la diminution des financements publics, mais nâest pas, comme le fait ressortir notre recherche, sans risques pour les associations.
AprĂšs avoir donnĂ© un aperçu des grandes orientations de politiques publiques dans le secteur culturel et artistique, et analysĂ© la maniĂšre dont le concept dâhybridation est dĂ©fini dans la littĂ©rature, nous identifions les diffĂ©rentes stratĂ©gies mises en place par les associations de ce secteur ainsi que les risques qui y sont associĂ©s. Notre problĂ©matique est dâexaminer jusquâoĂč et sous quelles formes lâhybridation des ressources permet aux associations de consolider et de pĂ©renniser leur structure, en cohĂ©rence avec leur projet associatif. Nous concluons enfin sur la diversitĂ© des stratĂ©gies dâhybridation identifiĂ©es tout en soulignant le rĂŽle central des relations de rĂ©ciprocitĂ© dans la mobilisation et la diversification des ressources des associations.
La politique culturelle française se caractérise par une politique volontariste et centralisée, menée par le ministÚre de la culture depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (Négrier, 2017). Au cours des vingt derniÚres années, trois dynamiques ont contribué à questionner et à influencer cette politique : la décentralisation qui a entraßné un morcellement des sources de financement entre les différentes collectivités territoriales ; un renforcement de la demande de démocratie culturelle qui a remis en cause une conception élitiste de la politique culturelle ; la transformation des modes de financement qui, couplée à un désengagement financier, a transformé les pratiques des acteurs et imposé progressivement de nouveaux modes de fonctionnement. Ce triple mouvement, que l'on peut observer dans d'autres pays européens, s'est accompagné de la montée en puissance du secteur privé, lucratif ou non, dans l'offre culturelle.
Plus rĂ©cemment, la crise pandĂ©mique a rĂ©vĂ©lĂ© et exacerbĂ© des fragilitĂ©s du milieu des arts et de la culture, quelquefois prĂ©existantes. Elle a ainsi fait ressortir des lacunes dans la protection sociale des artistes et professionnels qui sont au cĆur des industries culturelles et crĂ©atives, et mis Ă©galement en lumiĂšre les contradictions Ă©conomiques qui traversent le systĂšme de financement du secteur artistique et culturel
Au sein de ce secteur, lâĂ©conomie sociale et solidaire (ESS) joue un rĂŽle majeur. Outre le fait qu'elle reprĂ©sente un quart des effectifs salariĂ©s, lâESS prĂ©sente de profondes affinitĂ©s de principe avec le secteur culturel. Si la culture est « au cĆur de la cohĂ©sion sociale », comme le souligne le ministĂšre de la culture (2020 ; Labo de lâESS, 2018), elle relĂšve aussi une « identitĂ© des fins poursuivies », comme concourir Ă lâĂ©mancipation des personnes, nourrir la dĂ©mocratie et porter lâattention aux nouveaux enjeux de sociĂ©tĂ©. GrĂące Ă leurs capacitĂ©s de garantir une gestion collaborative des projets des Ă©tablissements, dâancrer lâaction dans son territoire et de garantir les droits culturels et le vivre ensemble (Le Labo de lâESS, 2018), les organisations de lâESS sont fortement soutenues par les financements publics qui reprĂ©sentent en moyenne 41 % de leur budget (Demoustier et al., 2020)
Lâorganisation internationale du travail (OIT) considĂšre que lâESS est un acteur central du dĂ©veloppement territorial par le biais de l'activitĂ© culturelle quâelle peut porter, soulignant que la pandĂ©mie mondiale a dĂ©montrĂ© le rĂŽle clĂ© que le secteur culturel et crĂ©atif peut jouer en temps de crise. Elle distingue ainsi trois volets illustrant cet aspect (International Labor Organization, 2021). Dâune part, les organisations de lâESS peuvent favoriser l'inclusion et l'harmonie sociĂ©tale, par la connaissance, l'Ă©ducation et la sensibilisation culturelle. Elles peuvent, dâautre part, renforcer l'autonomie des personnes et orienter l'innovation et la crĂ©ativitĂ©. Enfin elles sont aussi des actrices Ă©conomiques, qui peuvent tirer profit de leurs liens avec le territoire et avec les communautĂ©s, en assurant leur pleine contribution Ă l'Ă©conomie locale et aux investissements dans les infrastructures et les services. LâOCDE (2022) souligne aussi le rĂŽle jouĂ© par les acteurs du secteur de la crĂ©ativitĂ© et lâopportunitĂ© de dĂ©velopper un secteur culturel soutenable, qui peut contribuer Ă un dĂ©veloppement local et rĂ©gional qui soutient les transitions Ă©cologiques et sociales. Elle montre comment une vie culturelle dĂ©veloppĂ©e peut accroĂźtre considĂ©rablement l'attrait des destinations et l'interaction avec les visiteurs, et comment de nouveaux modĂšles de tourisme crĂ©atif peuvent apporter une valeur ajoutĂ©e considĂ©rable, accroĂźtre la demande touristique et diversifier l'offre touristique.
En tant qu'espace d'expression dĂ©mocratique, et Ă travers sa quĂȘte de transformation sociale (inclusion sociale, dĂ©mocratisation de l'accĂšs Ă la culture ), lâESS peut reprĂ©senter une forme d'action politique en faveur dâune sociĂ©tĂ© plus solidaire et dĂ©mocratique (Gibson-Graham, 2008). La densitĂ© de la vie associative constitue en effet un facteur clĂ© dans le renforcement de la citoyennetĂ© auquel contribuent les associations en tant quâespaces privilĂ©giĂ©s de production de rĂ©seaux horizontaux de rĂ©ciprocitĂ© et de confiance entre les individus â le capital social â câest-Ă -dire dâĂ©changes interpersonnels formels et informels non hiĂ©rarchisĂ©s (Putnam, 2000)
Ces donnĂ©es mettent ainsi clairement en lumiĂšre le rĂŽle central des organisations de lâESS dans les activitĂ©s artistiques et culturelles, Ă la fois dâun point de vue Ă©conomique, lâESS Ă©tant un acteur majeur en nombre dâemplois et dâĂ©tablissements et source dâinnovation et de crĂ©ativitĂ©, mais aussi dâun point de vue sociopolitique, en tant quâacteur-clĂ© pour la dĂ©mocratisation culturelle, la citoyennetĂ© et la cohĂ©sion sociale.
Pour aborder lâanalyse de lâhybridation des ressources et de son Ă©volution, il nous semble tout dâabord essentiel de la replacer dans le contexte plus large de la transformation de lâaction publique et, plus prĂ©cisĂ©ment, des transformations des modalitĂ©s de financement des associations. Depuis le dĂ©but des annĂ©es 1970, une profonde modification des structures et des fondements idĂ©ologiques de l'Ătatprovidence a eu lieu dans la plupart des pays europĂ©ens, conduisant progressivement Ă en redĂ©finir les modalitĂ©s dâintervention. Comme dans dâautres pays europĂ©ens, le tournant libĂ©ral en France ne sâest pas caractĂ©risĂ© par un retrait brutal de l'Ătat de la sphĂšre sociale (comme aux Ătats-Unis), mais plutĂŽt par un changement des mĂ©canismes de base de financement, notamment en rĂ©duisant les subventions directement octroyĂ©es aux prestataires au profit de formes de mise en concurrence pour les financements publics et de financements par projet (Laville, Nyssens, 2001). Le recours croissant au marchĂ© et Ă des mĂ©canismes de marchĂ© afin de rĂ©partir les fonds publics a Ă©tĂ© dĂ©fini comme l'une des façons les plus significatives et les plus controversĂ©es de transformer les Ătats sociaux (Gilbert, 2002)
Ces Ă©volutions dans les modalitĂ©s dâaction publique ont modifiĂ© en profondeur la nature des financements publics et ont encouragĂ© la diversification des ressources des associations. Ainsi, la diminution de 34 % Ă 20 %, entre 2005 et 2020, du volume de subventions publiques dans le budget des associations a parallĂšlement entraĂźnĂ© une augmentation du nombre de contrats signĂ©s avec les autoritĂ©s publiques (c'est-Ă -dire des commandes publiques), de 17 % Ă 29 % sur la mĂȘme pĂ©riode (Tchernonog, Prouteau, 2023). Ce faisant, les associations sont soumises Ă une pression croissante pour devenir plus « business-minded », câest-Ă -dire pour se comporter selon les normes des entreprises dites « classiques », et atteindre un certain Ă©quilibre Ă©conomique (Rodriguez, 2016). Ces Ă©volutions conduisent Ă une modification en profondeur des modĂšles socio-Ă©conomiques des associations que nous proposons de caractĂ©riser en mobilisant la littĂ©rature rĂ©cente.
Dans ce contexte, nous repartons des travaux ayant caractĂ©risĂ© les modĂšles socio-Ă©conomiques des associations. En effet, si dâun cĂŽtĂ© une partie des travaux adoptent une vision opposant les ressources provenant du marchĂ© Ă celles de l'Ătat, une autre partie de la littĂ©rature remet spĂ©cifiquement en question cette dichotomie des ressources afin d'introduire et de souligner la centralitĂ©, dans les associations, de la logique d'Ă©change de la rĂ©ciprocitĂ©. Cet ensemble de travaux, qui cherche Ă mieux
prendre en compte lâhybridation des ressources, prend appui sur la grille dâanalyse de Karl Polanyi (1983) Nous complĂ©tons cette revue de littĂ©rature sur lâhybridation des ressources par des travaux portant sur les organisations hybrides, elles-mĂȘmes, considĂ©rĂ©es ainsi, car traversĂ©es par des logiques institutionnelles diffĂ©rentes, parfois contradictoires (Battilana, Dorado, 2010 ; Pache, Santos, 2013)
Lâhybridation des ressources nâest toutefois pas sans risques et peut conduire certaines associations Ă lâĂ©loignement de leurs missions
Si lâouverture croissante des associations Ă des ressources privĂ©es et la mobilisation accrue de nouveaux instruments de politique publique dans le cadre de relations toujours plus concurrentielles sont Ă©tudiĂ©es, ce travail dĂ©passe une simple approche de leurs ressources financiĂšres, dâune part, en y intĂ©grant aussi celles de nature plus immatĂ©rielle et en repositionnant, dâautre part, la question de lâhybridation dans lâĂ©cosystĂšme de lâorganisation (partenarial, sectoriel et territorial). Les stratĂ©gies mises en Ćuvre par les associations en regard de leur gouvernance et des formes de coopĂ©ration engendrĂ©es sur les territoires sont Ă©galement prises en compte : deux dimensions qui peuvent exercer une influence non nĂ©gligeable sur leurs modĂšles socio-Ă©conomiques.
Ce travail repose sur une mĂ©thodologie de recherche partenariale participative, qui mobilise des modalitĂ©s de recherche impliquant une articulation forte avec un milieu de pratique Dans ce cadre, les acteurs ont Ă©tĂ© associĂ©s aux diffĂ©rentes Ă©tapes de la recherche : participation Ă la dĂ©finition du projet, Ă la validation de la mĂ©thodologie, Ă la construction de la grille dâentretien, Ă©changes croisĂ©s au-delĂ de leur situation singuliĂšre, mobilisation des acteurs avec lesquels ils travaillent, mise en discussion des rĂ©sultats de la recherche (ces diffĂ©rents points ayant Ă©tĂ© validĂ©s par les partenaires). La recherche est rĂ©alisĂ©e Ă partir de quatre Ă©tudes de cas approfondies dans la rĂ©gion sud (deux en milieu rural, deux en milieu urbain). De petite taille (voire de trĂšs petite taille) et avec des durĂ©es dâexistence similaires, les associations artistiques et culturelles Ă©tudiĂ©es ont notamment Ă©tĂ© sĂ©lectionnĂ©es pour leur finalitĂ© sociale et leur ancrage territorial. Lâanalyse se fonde sur prĂšs de vingt entretiens semi-directifs individuels auprĂšs de salariĂ©s, de bĂ©nĂ©voles ou dâacteurs institutionnels, ainsi que sur lâobservation des acteurs du terrain (Ă©vĂšnements artistiques, conseil dâadministration, assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale, groupe de travail collectif) Elle est complĂ©tĂ©e par une analyse documentaire concernant les associations Ă©tudiĂ©es.
LâentrĂ©e par lâhybridation, telle que nous la proposons dans une acception large qui dĂ©passe une approche dichotomique des ressources publiques/privĂ©es, nous a permis dâanalyser la spĂ©cificitĂ© des diffĂ©rentes stratĂ©gies mises en place par les associations. Nous avons ainsi pu identifier des choix stratĂ©giques variĂ©s quant Ă lâĂ©largissement de leurs ressources monĂ©taires, mais aussi non monĂ©taires. En effet, les quatre associations qui ont participĂ© Ă cette recherche nous ont montrĂ© que, derriĂšre une mĂȘme action, Ă savoir la recherche de nouveaux financements, des logiques diffĂ©rentes pouvaient ĂȘtre mobilisĂ©es pour mener Ă bien le mĂȘme type d'activitĂ©, et que la logique entrepreneuriale ne devait pas nĂ©cessairement ĂȘtre prĂ©dominante.
MalgrĂ© lâadoption de stratĂ©gies en faveur dâune plus grande hybridation des ressources, les financements publics constituent une part importante de leurs budgets, en lien avec leur finalitĂ© sociale et leur ancrage territorial. Ce processus dâhybridation se traduit tout dâabord par une diversification accrue des ressources publiques, qui proviennent dâinstitutions variĂ©es et Ă des Ă©chelles diffĂ©rentes, allant jusquâĂ lâĂ©chelon europĂ©en pour certaines associations. De plus, la multiplication des instruments de contractualisation (contrats, appels Ă projets, marchĂ©s publics) oblige les associations Ă dĂ©dier beaucoup de temps aux questions administratives parfois au dĂ©triment de lâaction, tout en augmentant la concurrence entre associations au sein dâun mĂȘme champ. Cette multiplication des sources et des modalitĂ©s de financement public, qui plus est de courte durĂ©e dans la plupart des cas, est vĂ©cue, sans surprise par rapport Ă ce que nous enseigne la littĂ©rature (Bucolo et al., 2019 ; Fraisse, 2018), comme source dâincertitude quant Ă la pĂ©rennisation du projet et comme un alourdissement des tĂąches administratives. Les associations Ă©tudiĂ©es, qui existent depuis plus dâune vingtaine dâannĂ©es, ont toutefois soulignĂ© lâimportance des relations de confiance construites avec certains acteurs publics et la reconnaissance par ces derniers de leur contribution au dĂ©veloppement artistique et culturel sur leurs territoires. Ces relations, basĂ©es sur une logique rĂ©ciprocitaire, se sont dâailleurs rĂ©vĂ©lĂ©es essentielles durant la crise sanitaire.
Pour certaines associations, le processus dâhybridation se fait Ă©galement Ă partir dâune diversification des activitĂ©s qui entraĂźne un dĂ©veloppement des ressources issues de la prestation de services et/ou des ressources venant du mĂ©cĂ©nat. Cette hybridation vers des ressources privĂ©es a toutefois montrĂ© certaines limites durant la crise sanitaire, notamment pour les associations qui dĂ©pendaient des recettes venant de la prestation de services ou dâactivitĂ©s ouvertes au public. Sans les aides publiques durant la crise sanitaire, ces associations n'auraient sans doute pas survĂ©cu.
Cependant, alors que la littĂ©rature actuelle se concentre sur la question de la perte d'identitĂ© organisationnelle qui conduit les associations Ă devenir « business-minded », soit Ă penser et agir selon les normes Ă©conomiques dominantes au sein des entreprises dites « classiques », notamment en lien avec lâaugmentation de la part des ressources marchandes dans les budgets associatifs, ce travail met en exergue la possibilitĂ© d'une hybridation des ressources qui permette le maintien de la mission principale de l'organisation, celle de contribuer Ă la dĂ©mocratisation culturelle, vĂ©cue de diffĂ©rentes maniĂšres par les organisations interrogĂ©es (certaines Ă travers la fourniture de services culturels directs, d'autres en tant que soutien aux travailleurs et aux organisations du secteur, certaines dans les quartiers dĂ©favorisĂ©s, d'autres dans les zones rurales). Cette analyse des ressources a mis en avant Ă la fois la
centralité de la logique réciprocitaire et la forte interconnexion des logiques marchandes, non marchandes et réciprocitaires qui permettent le développement ou la survie du projet associatif, pour et avec les citoyens.
Ainsi, il ressort que la logique de rĂ©ciprocitĂ©, si on ne la limite pas Ă la mobilisation de dons et du bĂ©nĂ©volat, participe au maintien du projet collectif au fil du temps. MalgrĂ© la diversification des activitĂ©s et des financements, nous nâavons pas observĂ© dâĂ©loignement de la mission (mission drift) au sein des associations Ă©tudiĂ©es. Au contraire, la valorisation de leur contribution Ă lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et leur fonction sociopolitique constitue clairement une stratĂ©gie pour les quatre associations Ă©tudiĂ©es afin de consolider leur reconnaissance et leur lĂ©gitimitĂ© auprĂšs de leurs publics, mais aussi de leurs partenaires.
La centralitĂ© de la logique rĂ©ciprocitaire et la forte interconnexion des logiques marchandes, redistributives et rĂ©ciprocitaires ressortent clairement dans les choix stratĂ©giques en matiĂšre de gouvernance et de maillage territorial adoptĂ©s par les associations Ă©tudiĂ©es afin de se dĂ©velopper et de garder le cap de leur mission malgrĂ© les difficultĂ©s rencontrĂ©es tout au long de leur histoire. Un premier choix a concernĂ© leur gouvernance et plus prĂ©cisĂ©ment, une rĂ©flexion sur le conseil dâadministration, Ă la fois sur son Ă©largissement Ă une plus grande diversitĂ© de parties prenantes et sur son rĂŽle de soutien Ă lâĂ©quipe salariĂ©e. Ces Ă©volutions de la gouvernance ont pris appui sur des logiques relevant de la rĂ©ciprocitĂ©, basĂ©es sur lâadhĂ©sion au projet, lâengagement militant, la proximitĂ© des acteurs, la mutualisation des compĂ©tences et le renforcement des dynamiques participatives, que ce soit entre administrateurs et salariĂ©s ou entre diffĂ©rentes parties prenantes (par exemple en encourageant la participation des artistes). Une deuxiĂšme modalitĂ© stratĂ©gique repose sur le renforcement du maillage territorial. Les quatre associations ont tissĂ© des liens sur leurs territoires, comme forme de rĂ©appropriation du territoire par les acteurs locaux, Ă partir dâune mutualisation de ressources, dĂ©passant les logiques du marchĂ©Ì et de la redistribution, et s'appuyant sur la rĂ©ciprocitĂ© et la confiance entre acteurs qui partagent le territoire.
Notre recherche contribue ainsi Ă rĂ©habiliter la notion de rĂ©ciprocitĂ© dans le concept dâhybriditĂ© des ressources et Ă rĂ©affirmer le rĂŽle des collectifs pour crĂ©er et entretenir des dynamiques de rĂ©ciprocitĂ©. La rĂ©ciprocitĂ© est souvent apprĂ©hendĂ©e comme secondaire dans lâhybriditĂ©, comme moins centrale que la redistribution et le marchĂ©. Ceci provient de deux caractĂ©ristiques : la limitation de la rĂ©ciprocitĂ© au bĂ©nĂ©volat et aux dons, et son invisibilitĂ© comparative. Le couplage exclusif rĂ©ciprocitĂ©-bĂ©nĂ©volat tend Ă circonscrire lâampleur de la rĂ©ciprocitĂ©. Si le lien entre les deux est pertinent dans une visĂ©e comptable afin de rendre compte de cette ressource Ă partir des comptes « emploi des contributions en nature » et « contributions volontaires par catĂ©gorie », il est trop limitatif pour exposer la rĂ©ciprocitĂ© dans son entiĂšretĂ©. Les ressources marchandes et publiques sont, pour leur part, fortement visibles, car elles donnent Ă voir des flux financiers ce qui nâest pas le cas de la rĂ©ciprocitĂ© qui, par dĂ©finition, nâest pas caractĂ©risĂ©e par des flux de cette nature et qui est donc moins visible. Dans un environnement institutionnel qui met lâaccent sur la quantification des rapports dâĂ©change, la rĂ©ciprocitĂ© est relĂ©guĂ©e Ă la pĂ©riphĂ©rie. Or notre analyse met en exergue sa centralitĂ© tant comme socle du projet collectif (rappelant lâimpulsion rĂ©ciprocitaire Ă la crĂ©ation dâune association) que comme maniĂšre dâencastrer les ressources marchandes et publiques mobilisĂ©es dans ce projet collectif.
Un second apport de la recherche porte sur lâidentification de la dimension multilatĂ©rale de la rĂ©ciprocitĂ©, tout en mettant en Ă©vidence sa complexitĂ© allant au-delĂ de la notion de bĂ©nĂ©volat. Notre Ă©tude montre lâimportance des liens sociaux multiples construits par les associations analysĂ©es. Ces liens permettent
de saisir des ressources potentielles ou latentes, monĂ©taires ou non monĂ©taires, qui sont mobilisables grĂące Ă lâengagement au sein mĂȘme de lâassociation ou en lien avec lâassociation. Celles-ci sont accessibles directement ou indirectement selon lâexistence ou non dâun intermĂ©diaire. Dans lâĂ©tude, nous mettons en lumiĂšre que les multiples rĂ©seaux auxquels lâassociation participe ou quâelle tisse, lui permettent dâaccĂ©der Ă des ressources diverses (accĂšs Ă des services, par exemple Ă une offre dâhĂ©bergement dâartistes gratuite par des spectateurs, aide Ă lâinstallation de scĂšnes, etc.), mais aussi Ă des financements publics avec, par exemple, des sollicitations directes en urgence pour bĂ©nĂ©ficier dâenveloppes budgĂ©taires non consommĂ©es et donc disponibles. Ainsi, la logique de rĂ©ciprocitĂ© contribue Ă maintenir le sens du projet collectif dans la recherche de diffĂ©rentes sources de financement et dans la diversification des activitĂ©s.
Il y a lĂ un enjeu tant pour la recherche que pour le monde associatif. CaractĂ©riser les formes que prend la rĂ©ciprocitĂ© est Ă la fois une question de recherche et un enjeu stratĂ©gique pour les associations. Lâidentification de la place de la rĂ©ciprocitĂ© dans les organisations, au-delĂ de la seule prise en compte des dons et du bĂ©nĂ©volat, permet de mieux comprendre comment les diffĂ©rentes ressources sâarticulent et interagissent pour potentiellement procĂ©der Ă des ajustements stratĂ©giques. Le caractĂšre peu visible de la rĂ©ciprocitĂ©, Ă la fois dans ses dimensions intrinsĂšques et par le fonctionnement du champ institutionnel, fait que les acteurs associatifs eux-mĂȘmes peuvent lâinvisibiliser.
Dans un contexte marquĂ© ces derniĂšres annĂ©es par des mutations profondes de lâenvironnement institutionnel et Ă©conomique, de nombreuses associations, en particulier dans le champ artistique et culturel, se sentent fortement fragilisĂ©es (ChataignĂ© et al., 2020 ; Le Mouvement associatif, 2021 ; Le Labo de lâESS, 2020). La crise liĂ©e Ă la pandĂ©mie mondiale a rĂ©vĂ©lĂ© et renforcĂ© diverses formes de fragilitĂ©s dont certaines liĂ©es Ă une baisse des recettes consĂ©cutive Ă lâannulation d'Ă©vĂ©nements culturels, aux mesures de distanciation sociale et aux restrictions de rassemblement. Cela a eu un impact direct sur les recettes, mais aussi sur la visibilitĂ© des associations culturelles. La crise a souvent nĂ©cessitĂ© des ajustements dans la gestion des ressources humaines, avec des consĂ©quences sur l'emploi, les contrats Ă durĂ©e dĂ©terminĂ©e et la mobilisation des bĂ©nĂ©voles. Dans son rapport sur les associations aprĂšs le confinement, le Mouvement associatif montre en effet que 89 % des associations interrogĂ©es ont rencontrĂ© des difficultĂ©s dans la gestion des bĂ©nĂ©voles en France pendant la crise (Le Mouvement associatif, 2021), nĂ©cessitant dĂšs lors la recherche de moyens innovants pour maintenir ou renouveler lâengagement du public et/ou justifier de leur objet
Si les transformations des associations artistiques et culturelles sont en cours depuis plusieurs annĂ©es, on assiste non seulement Ă une diminution de leurs ressources par rapport Ă des besoins croissants (Greffe, Pflieger, 2015), mais aussi Ă des modalitĂ©s diffĂ©rentes dâallocation de ces ressources, qui reposent de plus en plus sur des instruments fondĂ©s sur le marchĂ©, tels que des outils de contractualisation et de mise en concurrence (comme des appels dâoffres), une caractĂ©ristique des Ă©conomies contemporaines qui dĂ©passe le seul domaine de la culture. De plus, une rhĂ©torique de lâexcellence dans le secteur artistique et culturel a Ă©tĂ© entamĂ©e, avec un financement basĂ© sur deux dimensions dâĂ©valuation, Ă savoir la valeur artistique de lâoffre ramenĂ©e Ă lâexcellence et la frĂ©quentation fondĂ©e sur lâĂ©largissement de la demande (Langeard etal., 2014) Si la dĂ©finition de lââexcellence artistique nâest pas toujours claire et fait lâobjet de nombreux dĂ©bats, cette notion introduit inĂ©vitablement un processus dâĂ©valuation Ă partir dâune batterie de critĂšres, souvent quantitatifs, dĂ©finis par des experts permettant un processus de sĂ©lection parmi les Ćuvres artistiques. La frĂ©quentation est Ă©galement un facteur quantitatif dâĂ©valuation de la qualitĂ© de lâoffre artistique.
Dans ce contexte trĂšs incertain, plusieurs associations rĂ©interrogent leur modĂšle socio-Ă©conomique et expĂ©rimentent de nouvelles formes de mobilisation de ressources, pas uniquement financiĂšres. Ce sont ces nouvelles pratiques que notre Ă©tude, cofinancĂ©e par lâInstitut français du monde associatif (IFMA) dans le cadre dâun appel Ă projets sur « le monde associatif Ă la lumiĂšre de la crise COVID-19 », se propose dâexaminer, en regardant de plus prĂšs les rĂ©flexions, solutions et pratiques mises en Ćuvre par les associations artistiques et culturelles au niveau de leur modĂšle socio-Ă©conomique pour assurer leur pĂ©rennitĂ©. Au-delĂ dâune situation dâurgence et des problĂšmes de trĂ©sorerie Ă court terme causĂ©s par la crise sanitaire en 2020, il sâagit dâĂ©tudier les stratĂ©gies mises en Ćuvre par ces associations pour faire face aux transformations de ce secteur. Notre question de recherche est dĂšs lors la suivante : comment les modalitĂ©s dâhybridation des ressources se construisent-elles et se transforment-elles au sein des associations artistiques et culturelles ?
Dans ce travail, nous centrons notre analyse sur lâhybridation des ressources et ses tensions ou contradictions. ConstatĂ©e depuis quelques dĂ©cennies (Tchernonog, 2018), celle-ci est prĂ©sentĂ©e comme
une solution Ă la diminution des financements publics bien que nâĂ©tant pas sans risque pour les associations elles-mĂȘmes. Dans cette perspective, nous explorons dâune part les difficultĂ©s liĂ©es aux Ă©volutions des subventions publiques, qui ont rendu plus complexe lâaccĂšs Ă ces financements. En effet, les associations de taille petite ou moyenne font face Ă des contraintes administratives et financiĂšres grandissantes, qui rendent parfois nĂ©cessaires des services administratifs et comptables que seules les associations de grande taille possĂšdent. Dâautre part, nous examinons les consĂ©quences, notamment en termes de fragilisation, engendrĂ©es par la dĂ©pendance croissante Ă de multiples sources de financement de courte durĂ©e. De plus, la diffĂ©renciation des financements publics (Ă l'Ă©chelle europĂ©enne, nationale, rĂ©gionale ou locale) et les multiples instruments de contractualisation (contrats, appels Ă projets, marchĂ©s publics) obligent les associations Ă dĂ©dier beaucoup de temps aux questions administratives parfois au dĂ©triment de lâaction, tout en augmentant la concurrence entre associations au sein dâun mĂȘme champ.
Partant des travaux ayant caractĂ©risĂ©, dâune part, les modĂšles socio-Ă©conomiques des associations et leurs Ă©volutions, et, dâautre part, les organisations hybrides, nous analysons les formes dâhybridation de ressources et leurs Ă©volutions. Si lâouverture croissante des associations vers des ressources privĂ©es et la mobilisation accrue de nouveaux instruments de politique publique dans le cadre de relations toujours plus concurrentielles sont Ă©tudiĂ©es, ce travail a Ă©galement vocation Ă dĂ©passer une approche strictement financiĂšre ou budgĂ©taire des ressources. En effet, nous replaçons la question de lâhybridation dans lâĂ©cosystĂšme de lâorganisation (partenarial, sectoriel et territorial) en prenant en compte lâensemble des ressources de lâorganisation, dont celles considĂ©rĂ©es comme immatĂ©rielles Pour ce faire, nous nous concentrons sur les stratĂ©gies mises en Ćuvre par les associations en regard de leur gouvernance et des formes de coopĂ©ration engendrĂ©es sur les territoires, deux dimensions qui peuvent exercer une influence non nĂ©gligeable sur leurs modĂšles socio-Ă©conomiques.
MalgrĂ© des rĂ©ponses trĂšs variĂ©es face aux Ă©volutions de lâenvironnement institutionnel et Ă©conomique de la part des associations, la diversitĂ© des financements qui permet de maintenir des activitĂ©s, de se dĂ©velopper et dâinnover, interroge nĂ©anmoins le maintien du projet initial et des valeurs caractĂ©risant lâassociation. Notre recherche a donc lâobjectif de mettre en Ă©vidence les diffĂ©rentes stratĂ©gies associatives en termes dâhybridation des ressources, au sens large, et leurs Ă©volutions.
Dans la premiĂšre partie, nous donnons un aperçu des grandes orientations de politiques publiques dans le secteur culturel et artistique. Nous prĂ©sentons ensuite notre cadre conceptuel afin dâanalyser comment le concept dâhybridation est dĂ©fini dans la littĂ©rature, dâidentifier les diffĂ©rentes stratĂ©gies mises en place par les associations du secteur artistique et culturel ainsi que les risques qui y sont associĂ©s. Prenant appui sur cette littĂ©rature, notre problĂ©matique est donc de voir jusquâoĂč et sous quelles formes lâhybridation des ressources permet aux associations de consolider et pĂ©renniser leur structure, en cohĂ©rence avec leur projet associatif. Dans une troisiĂšme partie, nous prĂ©cisons notre mĂ©thodologie avant de prĂ©senter nos principaux rĂ©sultats. Nous concluons sur la diversitĂ© des stratĂ©gies dâhybridation identifiĂ©es tout en soulignant le rĂŽle central des relations de rĂ©ciprocitĂ© dans la mobilisation et la diversification des ressources des associations.
La politique culturelle française se caractĂ©rise par une politique volontariste et centralisĂ©e, menĂ©e par le ministĂšre de la culture depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (NĂ©grier, 2017). Au cours des vingt derniĂšres annĂ©es, trois dynamiques ont contribuĂ© Ă la questionner et Ă lâinfluencer. Tout dâabord, le dĂ©veloppement de la dĂ©centralisation a renforcĂ© la nĂ©cessitĂ© dâune coordination entre les diffĂ©rents niveaux administratifs (Ătat, RĂ©gion, DĂ©partement, commune et autres collectivitĂ©s territoriales). Ensuite, la montĂ©e de la demande de dĂ©mocratie culturelle a remis en cause une conception encore Ă©litiste de la politique culturelle française. Enfin, le dĂ©sengagement financier, dâune part, et la transformation des modes de financement liĂ©e Ă la montĂ©e des appels dâoffres et Ă la diversification des sources de financement, dâautre part, ont transformĂ© les pratiques des acteurs et imposĂ© progressivement de nouveaux modes de fonctionnement. Ce triple mouvement, que lâon peut observer dans dâautres pays europĂ©ens, sâest accompagnĂ© de la montĂ©e en puissance du secteur privĂ©, lucratif ou non, dans lâoffre culturelle.
MalgrĂ© ces Ă©volutions, lâaccent semble encore mis sur des propositions relevant de lâexcellence artistique et de sa diffusion, tout en soutenant des producteurs dĂ©jĂ Ì reconnus et des Ćuvres estimĂ©es a priori comme rentables Ă©conomiquement, au dĂ©triment de lâaction culturelle, des droits culturels et de lâĂ©ducation populaire (Gimello-Mesplomb, 2003 ; Le Labo de lâESS, 2018).
Aujourdâhui en France, les financements du secteur sont fortement fragmentĂ©s. Ainsi, au niveau national, plusieurs ministĂšres participent au financement de la culture en fonction des actions rĂ©alisĂ©es (ministĂšres de la culture, de lâĂ©ducation nationale, des affaires Ă©trangĂšres, de la cohĂ©sion des territoires, etc.). Outre le niveau ministĂ©riel, les collectivitĂ©s territoriales sont Ă©galement des financeurs importants de la culture, que ce soit au niveau des RĂ©gions, des DĂ©partements ou des communes et de leurs groupements.
Au niveau central, en 2020 le budget du ministĂšre de la culture est de 3,6 milliards, budget stable par rapport aux deux annĂ©es prĂ©cĂ©dentes, mais en baisse en regard du budget de 2009 (4,2 milliards (ministĂšre de la culture français, 2021). Sur les 3,6 milliards dâeuros, plus dâun tiers sont destinĂ©s Ă 70 opĂ©rateurs culturels, et la moitiĂ© de cette somme est absorbĂ©e par 6 Ă©tablissements (BibliothĂšque nationale de France, OpĂ©ra de Paris, MusĂ©e du Louvre, Universcience, Institut national dâarchĂ©ologie prĂ©ventive et Centre Georges Pompidou). Notons que ce budget a Ă©tĂ© en augmentation depuis lors pour atteindre 4,5 milliards en 2024 dans le projet de loi de finances pour 2024 (ministĂšre de la culture, 2023). Pour ce qui concerne les collectivitĂ©s territoriales, les communes et leurs groupements, rĂ©gions et dĂ©partements dĂ©pensent prĂšs 8,7 milliards en 2020 (Bunel, DelvainquiĂšre, 2023). La plus grande partie (80 %) est celle des communes, qui ont aussi la plupart des compĂ©tences (livre, lecture, Ă©ducation artistique, sites et Ă©vĂ©nements culturels, entre autres). Alors quâen 2015 la loi NOTRe rĂ©affirme leur rĂŽle dans le financement de la culture, 60 % ont procĂ©dĂ© Ă des rĂ©ductions de leurs budgets culturels entre 2016 et 2017 (Le Labo de lâESS, 2018). Les dĂ©penses culturelles des communes de plus de
10 000 habitants ont plutĂŽt stagnĂ© en volume dans les derniĂšres dĂ©cennies (Greffe, Pflieger, 2015) alors que le nombre de groupements de communes ou dâintercommunalitĂ©s actives dans le domaine culturel a progressĂ© et que leurs dĂ©penses culturelles ont augmentĂ©. Les dĂ©penses culturelles des DĂ©partements et des RĂ©gions restent plutĂŽt secondaires. De plus, les communes et les groupements de communes dĂ©dient leur budget aux activitĂ©s culturelles principalement (crĂ©ation et diffusion des Ćuvres artistiques, enseignement des diffĂ©rentes disciplines, animation culturelle).
La crise pandĂ©mique a Ă©tĂ© rĂ©vĂ©latrice des fragilitĂ©s du milieu des arts et de la culture, voire a exacerbĂ© certaines dâentre elles dĂ©jĂ prĂ©existantes. Elle a fait ainsi ressortir des lacunes dans la protection sociale de celles et ceux qui sont au cĆur des industries culturelles et crĂ©atives, Ă savoir les artistes et les professionnels de la culture. Elle a Ă©galement mis en lumiĂšre les faiblesses et contradictions Ă©conomiques du systĂšme de financement du secteur Du point de vue des politiques publiques dans le champ de la culture, on constate dâune part une concentration de la majoritĂ© des financements sur de grands projets ou institutions et dâautre part, un morcellement des sources de financement entre les diffĂ©rentes collectivitĂ©s territoriales qui, malgrĂ© une dĂ©centralisation des compĂ©tences, nâont pas forcĂ©ment augmentĂ© leurs dĂ©penses culturelles.
1.2. LâĂ©conomie
Les organisations de lâĂ©conomie sociale et solidaire (ESS) employant plus de 34 000 salariĂ©s reprĂ©sentent plus dâun quart de lâemploi du secteur artistique et culturel (26 %) derriĂšre le public (38 %) et le privĂ© hors ESS (36,2 %) (Demoustier et al., 2020) Au total lâESS compte 22 200 Ă©tablissements culturels, plutĂŽt de trĂšs petite taille. 97 % dâentre eux ont moins de 10 salariĂ©s et concentrent 50 % des emplois du secteur (INSEE, 2017)
Parmi les organisations de lâESS, les associations occupent une place largement prĂ©dominante, c.-Ă -d. presque 99 % des Ă©tablissements (Demoustier et al., 2020), ce qui correspond Ă 23 % de lâensemble des associations, tous secteurs confondus (Tchernonog, Prouteau, 2019). La grande majoritĂ© Ćuvre dans le spectacle vivant, comprenant des organisations productrices de spectacles, mais aussi des compagnies de théùtre, des orchestres, des radios associatives, des maisons dâĂ©dition de livres et de journaux. Le secteur privĂ© Ă but lucratif est, quant Ă lui, plutĂŽt concentrĂ© dans le secteur de lâindustrie musicale, et le secteur public est reprĂ©sentĂ© par des activitĂ©s liĂ©es Ă la gestion du patrimoine ou dâĂ©quipement publics culturels.
Lâemploi dans ce secteur est caractĂ©risĂ© par une forte prĂ©caritĂ© avec 13,6 % de contrats aidĂ©s, seulement 54 % de postes Ă temps complet et 62 % sous forme de CDI. Lâobservatoire national de lâESS indique quâentre 2010 et 2018, 13 000 emplois dans lâESS du secteur ont disparu, ce qui correspond Ă un tiers des effectifs. En revanche, le taux de bĂ©nĂ©voles a augmentĂ© lors de la dĂ©cennie 2010 (Tchernonog, Prouteau, 2019). Le volume de travail bĂ©nĂ©vole dans ce secteur dâactivitĂ© enregistre un taux global dâĂ©volution de +33,2 % (donnĂ©es 2011-2017), avec un taux annuel moyen dâĂ©volution de +6 %. Cependant, si on regarde les bĂ©nĂ©voles actifs dans tous les secteurs de lâESS, celles et ceux qui animent et participent bĂ©nĂ©volement
dans le domaine de la culture ne sont que 11,9 %, derriĂšredes secteurs comme la dĂ©fense de droits (23,2 %), le social (20,2 %), le sport (17 %)et le loisir (17 %). Si le taux de participation bĂ©nĂ©vole tous secteurs confondus reste plus Ă©levĂ© pour les hommes, dans le secteur de la culture, on observe que ce sont les femmes les plus engagĂ©es (7 %). Ces donnĂ©es nous montrent que, face Ă la dĂ©centralisation des politiques publiques culturelles, Ă la diversification de ses acteurs et Ă la concurrence accrue avec le secteur Ă but lucratif, les organisations de lâESS font face Ă de multiples dĂ©fis.
Quel rĂŽle de lâESS dans le secteur de lâart et culture ?
Outre le fait quâelle reprĂ©sente un quart des effectifs du secteur, lâESS a de profondes affinitĂ©s de principe avec le secteur culturel. Si la culture est « au cĆur de la cohĂ©sion sociale », comme le souligne le Labo de lâESS (2018), elle rĂ©vĂšle aussi une « identitĂ© des fins poursuivies », comme concourir Ă lâĂ©mancipation des personnes, nourrir la dĂ©mocratie et porter lâattention aux nouveaux enjeux de sociĂ©tĂ©. GrĂące Ă leurs capacitĂ©s Ă impulser une gestion collaborative des projets des Ă©tablissements, Ă ancrer lâaction dans leur territoire et Ă garantir les droits culturels et le vivre ensemble (Le Labo de lâESS, 2018), les organisations de lâESS sont fortement soutenues par les financements publics. En moyenne, les financements publics reprĂ©sentent 41 % de leur budget (Demoustier et al., 2020) Lâorganisation internationale du travail (OIT) est Ă©galement dâaccord sur le fait que lâESS est un acteur central du dĂ©veloppement territorial par le biais de lâactivitĂ© culturelle, soulignant que la pandĂ©mie mondiale a dĂ©montrĂ© le rĂŽle clĂ© que le secteur culturel et crĂ©atif peut jouer en temps de crise. Dans son rapport de 2021 (International Labor Organization, 2021), elle met ainsi en Ă©vidence un triple volet. Les organisations de lâESS peuvent favoriser lâinclusion et lâharmonie sociĂ©tale, par la connaissance, lâĂ©ducation et la sensibilisation culturelles Elles peuvent Ă©galement renforcer lâautonomie des personnes et orienter lâinnovation et la crĂ©ativitĂ©. Mais elles sont aussi des actrices Ă©conomiques qui peuvent tirer profit de leurs liens avec le territoire et avec les communautĂ©s, en assurant leur pleine contribution Ă lâĂ©conomie locale et aux investissements dans les infrastructures et les services.
LâOCDE (2022) souligne aussi le rĂŽle jouĂ© par les acteurs du secteur de la crĂ©ativitĂ© et lâopportunitĂ© de dĂ©velopper un secteur culturel durable, qui peut contribuer Ă un dĂ©veloppement local et rĂ©gional et soutenir les transitions Ă©cologiques et sociales. Elle montre comment une vie culturelle dĂ©veloppĂ©e peut accroĂźtre considĂ©rablement lâattrait des destinations et lâinteraction avec les visiteurs, et comment de nouveaux modĂšles de tourisme crĂ©atif peuvent apporter une valeur ajoutĂ©e considĂ©rable, accroĂźtre la demande touristique et diversifier lâoffre touristique.
De plus lâESS, en tant quâespace dâexpression dĂ©mocratique et Ă travers sa quĂȘte de transformation sociale (notamment en faveur de la cohĂ©sion sociale et de la dĂ©mocratisation de lâaccĂšs Ă la culture) reprĂ©sente une forme dâaction politique (Gibson-Graham, 2008). La densitĂ© de la vie associative constitue en effet un facteur clĂ© dans le renforcement de la citoyennetĂ©, car les associations sont des espaces privilĂ©giĂ©s de production de rĂ©seaux horizontaux de rĂ©ciprocitĂ© et de confiance entre les individus â le capital social âcâest-Ă -dire dâĂ©changes interpersonnels formels et informels non hiĂ©rarchisĂ©s (Putnam, 2000)
Ces donnĂ©es mettent ainsi clairement en lumiĂšre le rĂŽle central des organisations de lâESS dans les activitĂ©s artistiques et culturelles, Ă la fois dâun point de vue Ă©conomique, lâESS Ă©tant un acteur majeur en termes dâemploi et en nombre dâĂ©tablissements et source dâinnovation et de crĂ©ativitĂ©, mais aussi dâun point de vue sociopolitique, en tant quâacteur clĂ© pour la dĂ©mocratisation culturelle, la citoyennetĂ© et la cohĂ©sion sociale.
Notre recherche se centre sur lâanalyse de lâhybridation des ressources et des diverses contradictions qui sây attachent. Dâune façon gĂ©nĂ©rale, nous utilisons le terme dâhybridation plus que dâhybriditĂ©, car lâanalyse porte sur les processus dâarticulation de diffĂ©rentes ressources et sur leurs Ă©volutions. Pour aborder cette question, il nous semble tout dâabord essentiel de replacer la question de lâhybridation des ressources dans le contexte plus large de la transformation de lâaction publique et, plus prĂ©cisĂ©ment, des transformations des modalitĂ©s de financement des associations. Nous prolongeons ensuite cette analyse Ă partir des travaux dĂ©jĂ existants concernant lâanalyse des modĂšles socio-Ă©conomiques des associations. En effet, si dâun cĂŽtĂ© une partie des travaux adoptent une vision opposant les ressources provenant du marchĂ© Ă celles de lâĂtat, une autre partie de la littĂ©rature remet spĂ©cifiquement en question cette dichotomie des ressources afin dâintroduire et de souligner la centralitĂ©, dans les associations, de la logique dâĂ©change de la rĂ©ciprocitĂ©. Cet ensemble de travaux, qui cherche Ă mieux prendre en compte lâhybridation des ressources, prend appui sur la grille dâanalyse de Karl Polanyi (1983), dans la caractĂ©risation des modĂšles socio-Ă©conomiques, afin de dĂ©passer cette vision dichotomique des ressources. Enfin, nous complĂ©tons cette revue de littĂ©rature sur lâhybridation des ressources par des travaux portant sur les organisations hybrides, qui proposent une analyse des organisations considĂ©rĂ©es comme hybrides, car traversĂ©es par des logiques institutionnelles diffĂ©rentes, parfois contradictoires (Battilana, Dorado, 2010 ; Pache, Santos, 2013). Lâhybridation des ressources nâest toutefois pas sans risques pour les associations. Nous terminons ainsi la prĂ©sentation de notre cadre conceptuel par les risques dâisomorphisme et dâĂ©loignement de leur mission auxquels sont confrontĂ©es de nombreuses associations.
2.1. La transformation des instruments dâintervention publique : quelles consĂ©quences sur lâhybridation des ressources
Depuis le dĂ©but des annĂ©es 1970, une transformation profonde des structures et des fondements idĂ©ologiques de lâĂtat-providence a eu lieu dans la plupart des pays europĂ©ens. Le contexte a depuis lors Ă©tĂ© caractĂ©risĂ© par des rĂ©formes dĂ©finies comme la Nouvelle Gestion publique (NGP ou en anglais New Public Management), cette derniĂšre reposant sur lâhypothĂšse que le secteur public pourrait mieux fonctionner, dans une perspective dâefficacitĂ©, sâil prenait la gestion du secteur privĂ© comme principe organisationnel de rĂ©fĂ©rence (Pollitt, Bouckaert, 2011). Ce contexte a conduit, dans les annĂ©es 1980, Ă la configuration dâun nouvel ordre du discours, qui a redĂ©fini les modalitĂ©s et les structures de lâintervention de lâĂtat. Comme dans dâautres pays europĂ©ens, le tournant libĂ©ral en France ne se caractĂ©rise pas par un retrait brutal de lâĂtat de la sphĂšre sociale (comme aux Ătats-Unis), mais plutĂŽt par un changement des mĂ©canismes de base (Laville, Nyssens, 2001)
Le recours au marchĂ© et Ă des mĂ©canismes de marchĂ© afin de rĂ©partir les fonds publics a Ă©tĂ© dĂ©fini comme lâune des façons les plus significatives et les plus controversĂ©es de transformer les Ătats sociaux (Gilbert, 2002). LâidĂ©e dâintroduire la concurrence pour allouer les ressources conduit lâĂtat Ă dĂ©finir des
situations de « quasi-marchĂ© », dans le but dâimposer la logique de marchĂ©, lĂ oĂč elle Ă©tait absente jusquâalors. Le Grand et Bartlett (1993) dĂ©finissent le quasi-marchĂ© comme un marchĂ© oĂč lâoffre dâun service est assurĂ©e par des fournisseurs en concurrence, mais oĂč, dans une optique de solvabilisation de la demande plus que de subvention de lâoffre, les acheteurs du service sont partiellement financĂ©s par des ressources publiques plutĂŽt que par leurs propres ressources privĂ©es. Lâintroduction de diffĂ©rentes formes de contractualisation, notamment dans le secteur sanitaire et social, a ainsi modifiĂ© les relations entre pouvoirs publics et associations, accentuant leur rĂŽle de prestataires de services, en rĂ©ponse Ă une commande publique (Petrella, Richez-Battesti, 2012 ; Salamon, 1987 ; Smith, Lipsky, 1993)
Outre lâintroduction de mĂ©canismes de marchĂ© dans lâallocation des fonds publics, la mise en place de quasi-marchĂ©s sâaccompagne de lâintroduction dâindicateurs de performance quantitatifs dans le but de rĂ©duire les dĂ©penses publiques et dâamĂ©liorer lâefficacitĂ© des politiques.
De plus, si auparavant, les chercheurs ont prĂ©sentĂ© le choix des instruments dâaction publique et leur mode opĂ©ratoire comme relevant de simples choix techniques, des auteurs comme Pierre Lascoumes et Patrick Le GalĂšs (2004, p. 321), mettent en Ă©vidence que ces instruments constituent Ă©galement un dispositif social qui « organise des rapports sociaux spĂ©cifiques entre la puissance publique et ses destinataires en fonction des reprĂ©sentations et des significations dont il est porteur ». La question du choix des instruments est dĂšs lors intimement liĂ©e Ă celle du « policy design » qui signifie « le dĂ©veloppement d'une comprĂ©hension systĂ©matique de la sĂ©lection des instruments et de leur dimension Ă©valuative » (Linder, Peters, 1984, citĂ©s par (Lascoumes, Le GalĂšs, 2007, p. 5). Le choix des instruments nâest pas neutre et est ainsi rĂ©vĂ©lateur des transformations de lâaction publique et plus largement du systĂšme Ă©conomique et social et des rapports de force qui le composent (Chiapello, Gilbert, 2013)
LâĂ©volution des dĂ©penses publiques, tant en termes de volume que de modalitĂ©s dâexĂ©cution, a entraĂźnĂ© une modification significative de la structure de financement des associations. En France, la diminution de la part relative des subventions publiques dans le budget des associations (de 34 % en 2005 Ă 20 % en 2020) sâest conjuguĂ©e Ă une augmentation du nombre de contrats signĂ©s en particulier avec les autoritĂ©s publiques (c.-Ă -d. des commandes publiques), passant de 17 % en 2005 Ă 29 % en 2020, comme prĂ©sentĂ© dans le tableau 1 infra. Face ces Ă©volutions dans les modalitĂ©s de financement public, les associations sont contraintes de renforcer lâhybridation de leurs ressources en augmentant notamment la part des recettes dâactivitĂ© (prestation de services) et en dĂ©veloppant le mĂ©cĂ©nat. Dans le tableau 1, on voit que, malgrĂ© les encouragements Ă dĂ©velopper les dons et le mĂ©cĂ©nat, leur part reste quasiment identique entre 2005 et 2020 (5 % du budget). En revanche, les recettes dâactivitĂ© (publiques et privĂ©es) ont augmentĂ©. Notons que lâaugmentation est principalement due aux commandes publiques plus quâĂ une vente plus importante de prestations aux usagers (qui passe de 32 % Ă 36 %).
TABLEAU 1. ĂVOLUTION DE LA STRUCTURE DES RESSOURCES PRIVĂES ET PUBLIQUES ENTRE 2005 ET 2020
et compensations
Source : Tchernonog et Prouteau (2023) Champ : nature des ressources publiques et privĂ©es en 2005, 2017, 2020. Lecture : en 2020, les recettes dâactivitĂ© publiques et privĂ©es reprĂ©sentent 65 % du budget des associations alors quâelles reprĂ©sentaient 49 % du budget en 2005.
GRAPHIQUE 1. ĂVOLUTION DE LA STRUCTURE DES RESSOURCES PRIVĂES ET PUBLIQUES ENTRE 2005 ET 2020

Source : figure rĂ©alisĂ©e par les auteurs Ă partir des donnĂ©es de Tchernonog et Prouteau (2023) Champ : nature des ressources publiques et privĂ©es en 2005, 2017, 2020. Lecture : en 2020, les recettes dâactivitĂ© publiques et privĂ©es reprĂ©sentent 65 % du budget des associations alors quâelles reprĂ©sentaient 49 % du budget en 2005.
Ces Ă©volutions dans les modalitĂ©s dâaction publique ont modifiĂ© en profondeur la nature des financements publics et ont encouragĂ© la diversification des ressources des associations. Ce faisant, les associations sont soumises Ă une pression croissante pour devenir plus « business-minded », câest-Ă -dire adopter les normes et les comportements du monde de lâentreprise dite « classique », et atteindre un Ă©quilibre Ă©conomique (Rodriguez, 2016). Ce processus de transformation isomorphe a Ă©tĂ© qualifiĂ© de « business-like evolution » des associations, i.e. lorsque le comportement des associations se rapproche de plus en plus des entreprises dites classiques (Baines, 2010 ; Hvenmark, 2013 ; Maier et al., 2016) Nous dĂ©velopperons ce point ci-dessous aprĂšs une prĂ©sentation des travaux qui ont Ă©tudiĂ© les Ă©volutions des modĂšles socio-Ă©conomiques des associations.
Lâanalyse des modĂšles socio-Ă©conomiques associatifs et de leurs Ă©volutions a dĂ©jĂ fait lâobjet de plusieurs travaux qui ont cherchĂ© Ă les caractĂ©riser Ă la suite des transformations de lâenvironnement institutionnel et Ă©conomique (Bucolo et al., 2019 ; Dor et al., 2020 ; KPMG, 2017 ; Le RAMEAU, 2019) Comme soulignĂ© par Bucolo et al. (2019, p. 5), les modĂšles socio-Ă©conomiques sont souvent abordĂ©s Ă partir dâune approche dichotomique des financements mobilisĂ©s (publics et privĂ©s) et de la maniĂšre dont sont octroyĂ©s ces financements (recettes, subventions ou contrats), comme illustrĂ© dans leur rapport par les deux tableaux ci-dessous.
TABLEAU 2. : LES SEPT MODĂLES ĂCONOMIQUES ASSOCIATIFS MONĂTAIRES « CPCA »

Source : CPCA (2014), repris par Bucolo et al., 2019 (p. 19)
Une autre étude citée par Bucolo et al. (2019) est celle de KPMG qui propose une typologie des modÚles socio-économiques dite « KPMG », en fonction de la prépondérance des financements publics ou privés et de la réponse à un besoin social, selon que la réponse est unique ou plus globale.

Source : KPMG, 2017, p. 16, repris par Bucolo et al., 2019 (p. 21)
Ces deux typologies, souvent citĂ©es, illustrent bien lâapproche binaire des financements (publics et privĂ©s) mobilisĂ©s par les associations, approche qui ne permet pas de rendre compte des spĂ©cificitĂ©s associatives, et notamment de lâimportance du bĂ©nĂ©volat comme ressource pour ces structures. Un second ensemble de travaux tente dâestimer le bĂ©nĂ©volat en cherchant Ă lui attribuer une valeur monĂ©taire (Prouteau, 2018 ; Tchernonog, Prouteau, 2019), mais ces dĂ©marches sont peu intĂ©grĂ©es dans les approches des modĂšles socio-Ă©conomiques. Comme le soulignent Bucolo et al. (2019), ces travaux ne permettent pas non plus de mettre en Ă©vidence la fonction sociopolitique des associations, portĂ©e par de nombreuses associations citoyennes ancrĂ©es localement, qui cherchent Ă innover face aux pressions institutionnelles.
Il faut donc se tourner vers un troisiĂšme ensemble de travaux qui visent Ă mieux prendre en compte lâhybridation des ressources, adoptant la grille dâanalyse de Karl Polanyi dans la caractĂ©risation des modĂšles socio-Ă©conomiques, afin de dĂ©passer une vision dichotomique et monĂ©taire des financements mobilisĂ©s et de ne pas cantonner les associations dans un rĂŽle de prestataires de biens et services, souvent afin de rĂ©pondre Ă la commande publique.
Karl Polanyi propose une approche substantive de lâĂ©conomie. Si cette derniĂšre nâest rien dâautre quâune construction institutionnelle visant Ă assurer la satisfaction des besoins humains (Juan, Laville, 2019), une conception substantive de lâĂ©conomie contient lâidĂ©e que « les relations sociales de lâhomme englobent, en gĂ©nĂ©ral, son Ă©conomie » (Polanyi, 1983, p. 75). Lâadoption dâun sens substantif de lâĂ©conomie permet Ă Karl Polanyi (1983) de mettre en exergue une pluralitĂ© de logiques dâĂ©change, qui sont combinĂ©es en sociĂ©tĂ© de maniĂšre diffĂ©rente : le marchĂ©, la redistribution et la rĂ©ciprocitĂ©. Dans nos sociĂ©tĂ©s modernes, le modĂšle du marchĂ© constitue la rĂ©fĂ©rence dominante. Il sâappuie sur la notion de contrat dĂ©finissant les termes de lâĂ©change entre une offre et une demande sur un marchĂ©. Câest une relation bilatĂ©rale. La redistribution repose sur la centralitĂ© dâune autoritĂ© en mesure de collecter les richesses pour les redistribuer, en lâoccurrence lâĂtat ou les collectivitĂ©s territoriales. La rĂ©ciprocitĂ© consiste en lâĂ©change de la production sur un principe de symĂ©trie (Degavre, LemaĂźtre, 2008) selon lequel les individus, membres dâune mĂȘme sociĂ©tĂ©, sont en relation de complĂ©mentaritĂ© et dâinterdĂ©pendance. Ces trois modĂšles ne sont pas exclusifs les uns des autres, mais se retrouvent tous au sein des sociĂ©tĂ©s modernes ainsi quâau sein des organisations productives. Si Ă chaque forme dâintĂ©gration correspond un modĂšle institutionnel particulier, câest leur cohabitation et leur articulation que Polanyi met en Ă©vidence.
La rĂ©ciprocitĂ© est toutefois une notion complexe Ă apprĂ©hender. Elle renvoie Ă des relations dâinterdĂ©pendance et de complĂ©mentaritĂ© entre individus, met en avant des relations de don/contredon (Mauss, 2007), mais sans Ă©quivalence monĂ©taire (pas dâĂ©galitĂ© mathĂ©matique) ni contrainte temporelle, au sein desquelles le lien social est primordial. Elle souligne en outre lâencastrement des relations marchandes et redistributives dans des relations de rĂ©ciprocitĂ©.
Notre objectif est donc de rendre visibles et de comprendre les diffĂ©rentes formes dâĂ©change et leur cohabitation et de redonner une place paritaire aux ressources rĂ©ciprocitaires, pouvant prendre la forme de dons, numĂ©raires ou non, dâengagements bĂ©nĂ©voles ou, plus gĂ©nĂ©ralement, dâĂ©changes basĂ©s sur des relations non marchandes et non redistributives, masquĂ©es dans les approches dichotomiques des ressources qui reposent sur les synergies Ătat-marchĂ©. Ces logiques dâĂ©change qui sâeffectuent sur le mode de la complĂ©mentaritĂ© restent centrales dans le modĂšle socio-Ă©conomique de lâorganisation associative, comme observĂ© dans les cas empiriques analysĂ©s dans cette recherche. Pour MaĂŻtĂ© Juan et Jean-Louis Laville (2019) câest vĂ©ritablement dans la logique de la rĂ©ciprocitĂ© que les associations questionnent les inĂ©galitĂ©s, les injustices et globalement le vivre ensemble, car câest Ă travers elle que sâexprime leur dimension politique. Pour ces auteurs, les ressources rĂ©ciprocitaires sont plus difficiles Ă tracer et Ă dĂ©tecter, car elles reposent sur des mĂ©canismes souvent caractĂ©risĂ©s par une moindre formalisation. Elles restent trop souvent invisibles et nĂ©gligĂ©es. Redonner sa place Ă la rĂ©ciprocitĂ© dans les logiques dâĂ©change et dans les modĂšles socio-Ă©conomiques a Ă©tĂ© une dĂ©marche Ă©galement adoptĂ©e par Marie-Catherine Henry et Luc de Larminat (2023 dans le champ des associations artistiques et culturelles. Il sâagit ainsi de rappeler, dâune part, lâimpulsion rĂ©ciprocitaire des associations, Ă la base de la crĂ©ation des associations puisquâelles sont créées sous lâimpulsion de citoyens soucieux de rĂ©pondre Ă des besoins sociaux. Dâautre part, rendre visible les relations de rĂ©ciprocitĂ© rappelle que les associations sont des « espaces publics de proximitĂ© » (Eme, Laville, 1994) dont le rĂŽle est de permettre la participation citoyenne dans les dĂ©cisions et dans les dĂ©bats collectifs (Henry, Larminat, 2023
Adopter une grille dâanalyse basĂ©e sur la notion dâhybridation permet donc de visibiliser les Ă©changes basĂ©s sur la rĂ©ciprocitĂ©, en rĂ©vĂ©lant les liens sociaux particuliers entre les personnes. Une telle grille permet dĂšs lors dâenrichir la perception des ressources en rĂ©duisant la focale mise sur les ressources issues des relations marchandes dans une perspective utilitariste (Eynaud, Carvalho de França Filho, 2019). Elle permet Ă©galement de montrer comment ces relations marchandes et redistributives sont elles-mĂȘmes encastrĂ©es dans des relations de rĂ©ciprocitĂ©. Dans ce sens, lâencastrement (Polanyi, 1957) de lâĂ©conomie dans la sociĂ©tĂ©, entendu comme lâenchĂąssement des dynamiques Ă©conomiques dans les dynamiques sociĂ©tales, est politique et aboutit au vivre ensemble (Chochoy, 2015) La prise en considĂ©ration de la rĂ©ciprocitĂ© avec cette grille dâanalyse permet ainsi dâĂȘtre au plus prĂšs des rĂ©alitĂ©s des fonctionnements associatifs.
Des organisations hybrides par lâarticulation des logiques dâĂ©change
Sâappuyant sur le cadre proposĂ© par Karl Polanyi (1983), Jean-Louis Laville et Marthe Nyssens (2001) dĂ©finissent lâĂ©conomie sociale (ou plus prĂ©cisĂ©ment dans leur cas lâentreprise sociale) comme une Ă©conomie « plurielle », capable de mobiliser diffĂ©rents principes de comportement Ă©conomique : marchĂ©, rĂ©ciprocitĂ© et redistribution, principes qui se traduisent notamment par la mobilisation de ressources diffĂ©rentes : marchandes, non marchandes et volontaires (comme le don ou le bĂ©nĂ©volat).
Jacques Defourny et Marthe Nyssens (2017) proposent ainsi de reprĂ©senter cette articulation propre Ă lâĂ©conomie sociale et Ă lâentreprise sociale et les Ă©volutions potentielles de cette combinaison Ă partir du triangle repris ci-dessous.
GRAPHIQUE 1 LâENTREPRISE SOCIALE Ă LA CROISĂE DES LOGIQUES DâĂCHANGE

Source : Defourny et Nyssens (2017), adapté de Pestoff (1998).
En France, les donnĂ©es rĂ©centes montrent que le don et le mĂ©cĂ©nat reprĂ©sentent 5 % du budget des organisations de lâESS (Tchernonog, Prouteau, 2023). Le don rĂ©pond au principe de la rĂ©ciprocitĂ©, Ă©tant dĂ©fini comme un soutien matĂ©riel ou financier apportĂ©, sans contrepartie directe de la part du bĂ©nĂ©ficiaire, Ă une Ćuvre ou Ă une personne morale pour lâexercice dâactivitĂ©s prĂ©sentant un intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Historiquement le champ culturel et patrimonial fait partie des trois principaux secteurs bĂ©nĂ©ficiaires : le social reprĂ©sente prĂšs dâun tiers des dons, immĂ©diatement suivi par le secteur culturel et patrimonial (autour de 25 %) et celui de lâĂ©ducation (autour de 23 %).
Le mĂ©cĂ©nat dâentreprise (financier, en nature ou de compĂ©tence) est, quant Ă lui, encouragĂ© et encadrĂ© par de nombreux dispositifs lĂ©gaux. ParallĂšlement le mĂ©cĂ©nat Ă©manant des particuliers, qui prend principalement la forme de versements monĂ©taires ou de dons en nature est Ă©galement soumis Ă un rĂ©gime fiscal avantageux. Bien que rĂ©glementĂ© et soutenu par les institutions, le mĂ©cĂ©nat n âest pas sans risque. Comme le souligne Messaoud Saoudi (2018, p. 90) : « Le mĂ©cĂ©nat dâentreprise subit lâimpact positif ou nĂ©gatif de la conjoncture Ă©conomique, qui peut dĂ©terminer la continuitĂ© ou la discontinuitĂ© du financement des activitĂ©s culturelles et partant de lâeffectivitĂ© ou non du droit et de la libertĂ© de crĂ©ation culturelle » De plus, les rĂ©formes de la fiscalitĂ© de 2018 et de 2020 avec une rĂ©duction du plafonnement de 60 Ă 40 % pour les dons dâentreprises les plus importants ont pu avoir un rĂ©el impact sur la gĂ©nĂ©rositĂ© des entreprises alors mĂȘme quâelles restent historiquement des financeuses importantes, notamment pour les organisations culturelles de taille majeure. Combinant ces logiques dâĂ©change, les associations, et plus globalement les organisations du tiers secteur, sont aujourdâhui considĂ©rĂ©es comme des « organisations hybrides », en raison de leur capacitĂ© Ă mobiliser ces diffĂ©rentes ressources et de dĂ©passer les frontiĂšres institutionnelles classiques, combinant des caractĂ©ristiques propres aux diffĂ©rents idĂ©aux types dâorganisations, publiques, privĂ©es Ă but lucratif ou privĂ©es Ă but non lucratif (Brandsen, KarrĂ©, 2011).
Des organisations hybrides par lâarticulation de logiques institutionnelles
Dâautre part, non sans lien avec cette articulation de logiques dâĂ©change, plusieurs auteurs considĂšrent les associations ou plus largement les organisations du tiers secteur, telles quâelles sont souvent dĂ©signĂ©es au niveau international, comme hybrides, car traversĂ©es par des logiques institutionnelles diffĂ©rentes, parfois contradictoires (Skelcher, Smith, 2015). Une logique institutionnelle (Friedland, Alford, 1991) se dĂ©finit comme « un ensemble de pratiques matĂ©rielles, dâhypothĂšses, de valeurs, de croyances et de rĂšgles socialement et historiquement construites et par lesquelles les individus donnent une signification aÌ la rĂ©alitĂ©Ì sociale » (Thornton, Ocasio, 1999, p. 804). Ces logiques permettent dâidentifier et de comprendre les Ă©ventuelles contradictions qui traversent les organisations afin de pouvoir y faire face. Cette littĂ©rature est largement mobilisĂ©e dans diffĂ©rents travaux sur lâentreprise sociale, Ă©tant intrinsĂšquement constituĂ©e de logiques institutionnelles concurrentes, voire contradictoires (Battilana, Dorado, 2010 ; Pache, Santos, 2013)
Aujourdâhui, que ce soit en sâappuyant sur le cadre polanyien ou sur celui des logiques institutionnelles, les travaux sur le tiers secteur sâinterrogent sur les façons de maintenir leur caractĂšre hybride et de trouver un Ă©quilibre entre ces diffĂ©rentes logiques dâĂ©change ou logiques institutionnelles (Zimmer et al., 2018). Par exemple, Petrella et al. (2022) mettent en Ă©vidence la maniĂšre dont les organisations du tiers secteur ont fait Ă©voluer leur gouvernance pour faire face aux tensions entre ces diffĂ©rentes logiques. Ă la suite de Doherty et al. (2014, p. 427), nous considĂ©rons que la nature hybride des organisations du tiers
secteur est à la fois un défi et une opportunité pour faire face aux évolutions institutionnelles et trouver des réponses organisationnelles innovantes à ces évolutions.
Bien que les structures associatives soient par nature des organisations hybrides, alliant lâĂ©conomique au social, en raison des pressions institutionnelles intenses, plusieurs processus dâisomorphisme peuvent favoriser la diffusion de logiques entrepreneuriales et concurrentielles, ce qui pourrait transformer intimement leurs configurations organisationnelles internes et leurs relations avec les acteurs publics et avec les autres acteurs du marchĂ©. Ce processus isomorphique, qui conduirait les organisations de lâESS Ă devenir de plus en plus similaires aux organisations Ă but lucratif, perdant leur particularitĂ© et leur identitĂ© organisationnelle alternative, a Ă©tĂ© qualifiĂ© dans la littĂ©rature anglo-saxonne de « business-like Ă©volution », soit dâĂ©volution vers un fonctionnement similaire Ă lâentreprise dite « classique » des associations (Baines, 2010 ; Hvenmark, 2013 ; Maier et al., 2016)
Dans ce contexte marquĂ© par lâĂ©volution des modes de financement, avec dâun cĂŽtĂ© la baisse structurelle de subventions et de lâautre lâaugmentation de la commande publique et des appels Ă projets, Ă travers des contrats toujours plus stricts et un systĂšme de rĂ©munĂ©ration par objectifs, les pouvoirs publics risquent de dĂ©naturer la mission des associations. De nombreux services publics ont mis en place des systĂšmes de contrĂŽle de la performance dĂ©finie comme « une comparaison quantifiĂ©e dâun rĂ©sultat Ă un objectif simple et ciblĂ©, dans un contexte dâaccountability » (Jany-Catrice, 2012, p. 11), qui sâappuie sur la quantification ou le chiffrage, afin de rĂ©duire lâincertitude. Visant lâaugmentation de la productivitĂ©, le concept de performance est encore plus difficile Ă appliquer aux services, dont les rĂ©sultats sont immatĂ©riels et leur qualitĂ© difficilement mesurable. Plusieurs Ă©tudes ont montrĂ© que lâapplication des indicateurs quantitatifs aussi bien que la marchandisation du secteur permettent un contrĂŽle accru dâune organisation Ă une autre, commedans le cas des autoritĂ©s publiquessur les organisations de lâESS. Cela se produit lorsquela relation se configure comme une relation entre lâacheteur et le fournisseur, pour laquelle se rĂ©vĂšle nĂ©cessaire une fonction de contrĂŽle. Le « contrat de performance » (Islam, 1993 ; Mallon, 1994) facilite lâĂ©valuation de la prestation sur la base des rĂ©sultats plutĂŽt que sur la base du respect des rĂšgles et rĂšglements bureaucratiques. Le suivi des contrats de performance est le moyen par lequel les pouvoirs publics peuvent clairement identifier et communiquer aux organisations de lâESS, ce quâils attendent dâelles en termes de rĂ©sultats/effets et de performance. Les agences responsables du suivi sont donc chargĂ©es de contrĂŽler et de vĂ©rifier le respect de ces contrats.
Plusieurs Ă©tudes ont montrĂ© que lâapplication des indicateurs quantitatifs pousse les associations Ă augmenter leur taille (Trasciani, 2020), elles deviennent alors plus structurĂ©es, selon un processus que la littĂ©rature anglo-saxonne dĂ©finit par « corporatization » (Alexander, Weiner, 1998 ; Suarez, 2010). Des niveaux plus Ă©levĂ©s de formalisation procĂ©durale, un processus dĂ©cisionnel plus centralisĂ© ainsi que la dĂ©finition des structures et dĂ©partements avec des fonctions bien spĂ©cifiques, caractĂ©risent cette tendance
Julie Battilana et Silvia Dorado (2010) soutiennent que les organisations du tiers secteur pourraient ĂȘtre fortement influencĂ©es par la mise en Ćuvre dâoutils basĂ©s sur le fonctionnement dâun marchĂ©, au point
que leurs activitĂ©s pourraient ĂȘtre soumises Ă un changement de mission. Dans ce cas, le tiers secteur cesse de rĂ©pondre Ă leur mission sociale (comment rĂ©pondre avec une intervention sociale spĂ©cifique lorsque les interventions ne sont plus dĂ©tectĂ©es sur le terrain), mais offre une rĂ©ponse standardisĂ©e Ă un besoin identifiĂ© par lâadministration, pour obtenir les fonds recherchĂ©s (Battilana, Dorado, 2010)
Lâapplication dâoutils issus du marchĂ© et lâinternalisation de nouvelles logiques de marchĂ© pourraient Ă©galement reprĂ©senter dâautres dĂ©fis pour ce type dâorganisations, tels que les tensions internes, lâaffaiblissement de la gouvernance dĂ©mocratique, le dĂ©passement par la logique de gestion avec des consĂ©quences importantes pour lâorganisation en termes de lĂ©gitimitĂ©, dâidentitĂ© et de sens de lâaction (Curchod et al., 2015). Ă lâĂšre de la « gestion par la performance », les changements dans les caractĂ©ristiques organisationnelles sont poursuivis pour des raisons Ă la fois techniques et politiques, en recherchant des rĂ©sultats substantiels ainsi quâune lĂ©gitimitĂ© formelle (Ashworth et al., 2009)
Une recherche plus poussĂ©e de cette hybridation est toutefois la stratĂ©gie de survie de certaines associations soumises Ă la diminution structurelle des subventions publiques. Lâhybridation des ressources est ainsi mise en avant comme un moyen de consolider le projet en rĂ©duisant la dĂ©pendance des associations aux financements publics. La littĂ©rature met toutefois en exergue les contradictions et les risques associĂ©s Ă une hybridation des ressources, selon la diversification des ressources opĂ©rĂ©es, qui peut conduire Ă un Ă©loignement de leur mission initiale et de leurs spĂ©cificitĂ©s associatives. Dâune part, la multiplication des financements publics octroyĂ©s dans des logiques de quasi-marchĂ© et leur morcellement entre diffĂ©rents types de financeurs et de nombreux appels Ă projets fragilisent les associations et renforcent la bureaucratie et les lourdeurs administratives. Dâautre part, lâhybridation des ressources qui conduit Ă augmenter la part des recettes marchandes risque de conduire Ă une marchandisation accrue des associations et Ă une Ă©volution de type « business-like ».
Pour conclure, notre revue de littĂ©rature montre que lâhybriditĂ© des ressources des associations peut ĂȘtre interprĂ©tĂ©e selon des prismes thĂ©oriques diffĂ©rents. Si les modĂšles socio-Ă©conomiques sont souvent abordĂ©s sous une approche dichotomique des financements mobilisĂ©s (publics et privĂ©s), dâautres cadres thĂ©oriques permettent dâanalyser lâhybridation des ressources en dĂ©passant cette approche dichotomique et en mettant en lumiĂšre une pluralitĂ© de logiques dâĂ©change ou institutionnelles. Ces approches permettent en outre dâidentifier les pressions institutionnelles auxquelles les associations sont confrontĂ©es et les risques liĂ©s Ă diffĂ©rentes formes dâhybridation des ressources.
De ce cadre conceptuel, nous formulons les questions de recherche suivante :
- Comment les modalitĂ©s dâhybridation des ressources se construisent-elles et se transformentelles au sein des associations artistiques et culturelles ?
- JusquâoĂč et sous quelles formes lâhybridation des ressources permet-elle aux associations de consolider et de pĂ©renniser leur structure, en cohĂ©rence avec leur projet associatif ?
Ce travail repose sur une mĂ©thodologie de recherche partenariale participative (Bonny, 2017). Ce choix se justifie par la volontĂ© de comprendre en profondeur les mĂ©canismes de fonctionnement des organisations en sâappuyant sur une co-construction de la recherche par les acteurs impliquĂ©s. Lâapproche partenariale participative, qui mobilise des modalitĂ©s de recherche impliquant une articulation forte avec un milieu de pratique (Bonny, 2017), a permis un questionnement des acteurs et une co-construction de la problĂ©matique de recherche avec eux. Dans le cadre de notre recherche, lâappropriation par les acteurs repose sur un engagement fort de ceux-ci dans les diffĂ©rentes Ă©tapes de la recherche : participation Ă la dĂ©finition du projet, Ă la validation de la mĂ©thodologie, Ă la construction de la grille dâentretien, Ă©changes croisĂ©s au-delĂ de leur situation singuliĂšre, mobilisation des acteurs avec lesquels ils travaillent, mise en discussion des rĂ©sultats de la recherche (ces diffĂ©rents points ayant Ă©tĂ© validĂ©s par les partenaires). La traduction opĂ©rationnelle de cette posture de recherche est lâorganisation de temps dâĂ©changes avec les partenaires de maniĂšre bilatĂ©rale (chercheurs et association) et multilatĂ©rale (chercheurs et ensemble des associations), quâils soient restreints aux acteurs internes de la structure ou Ă©largis Ă tous les partenaires.
Cette recherche partenariale et participative repose sur quatre Ă©tudes de cas approfondies (cf. cidessous) dans la RĂ©gion Sud (Provence-Alpes-CĂŽte dâAzur), rĂ©gion dans laquelle lâemploi culturel reprĂ©sentait 2,56 % des emplois en 2018. Au total, vingt entretiens semi-directifs individuels ont Ă©tĂ© effectuĂ©s, pendant la pĂ©riode 2021 -2022, auprĂšs de salariĂ©s et de bĂ©nĂ©voles, lorsque cela Ă©tait possible et pertinent, des associations sĂ©lectionnĂ©es. Ces entretiens ont Ă©tĂ© complĂ©tĂ©s par des entretiens menĂ©s auprĂšs des certaines parties prenantes comme la direction rĂ©gionale des affaires culturelles (DRAC), la communautĂ© de communes Alpes-Provence-Verdon, la caisse dâallocations familiales des Alpes-deHaute-Provence (04). En parallĂšle, afin de complĂ©ter nos donnĂ©es, diverses observations sur le terrain ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es : pendant les festivals, lors dâĂ©vĂ©nements artistiques, dâassemblĂ©es gĂ©nĂ©rales ou pendant des rĂ©unions de conseil dâadministration et du personnel.
En outre, un groupe de travail collectif afin de faire interagir les quatre associations a Ă©tĂ© créé. Plusieurs rĂ©unions ont eu lieu : avant le dĂ©but projet, pour clarifier les questions de recherche, au dĂ©but du projet pour construire collectivement la grille dâentretien, au milieu de la recherche afin de discuter de lâĂ©tat dâavancement et des premiers rĂ©sultats qui Ă©mergeaient, et enfin une derniĂšre rĂ©union Ă©galement ouverte aux acteurs externes des organisations dans un but dâĂ©change et de partage des premiers rĂ©sultats
La collecte de ces donnĂ©es de premiĂšre main (entretiens, observations, rĂ©unions de travail) a Ă©tĂ© complĂ©tĂ©e par une analyse documentaire concernant les associations Ă©tudiĂ©es sur la base de leurs rapports dâactivitĂ©s et de leurs bilans et dossiers financiers dâexercice des trois derniĂšres annĂ©es, des informations publiĂ©es sur les rĂ©seaux sociaux et sites web.
Cette mĂ©thodologie nous a permis de reconstituer les grandes lignes du dĂ©veloppement de ces associations afin dâidentifier les Ă©lĂ©ments de contexte jouant ou ayant jouĂ© un rĂŽle sur leur fonctionnement, et en particulier sur les Ă©volutions de leurs modĂšles socio-Ă©conomiques, tout en Ă©clairant leurs caractĂ©ristiques actuelles. En consĂ©quence, chaque association a Ă©tĂ© analysĂ©e comme
une Ă©tude de cas diffĂ©rente mais appartenant (embedded) au mĂȘme contexte (Yin, 2009). Il existe une difficultĂ© notoire Ă tracer une dĂ©marcation entre les dynamiques organisationnelles et leur contexte (Yin, 2009). Pour ce faire, ce dernier a Ă©tĂ© explorĂ© notamment Ă travers les caractĂ©ristiques institutionnelles (modĂšle lĂ©gislatif en vigueur dans le secteur dâactivitĂ©, Ă©volution historique du secteur, Ă©volution du financement, etc.) afin de dĂ©crire les diffĂ©rentes influences sur le changement organisationnel. Ce procĂ©dĂ© a permis de nourrir notre grille dâanalyse thĂ©orique.
Pour cette Ă©tude, nous avons donc choisi une mĂ©thodologie qualitative, basĂ©e sur la comparaison de quatre Ă©tudes de cas. Bien que cette comparaison de cas spĂ©cifiques ne puisse conduire Ă une gĂ©nĂ©ralisation, elle peut nĂ©anmoins permettre dâaffiner lâanalyse dâinformations qui, autrement, seraient restĂ©es Ă©parses. En revanche, lâĂ©tude croisĂ©e des micropratiques et des activitĂ©s menĂ©es par les organisations peut nous fournir des informations plus dĂ©taillĂ©es sur des phĂ©nomĂšnes plus particuliers En outre, ce type de recherche permet de passer de la description de lâaction Ă la recherche de la signification de cette action et, par le biais dâune approche constructiviste, dâaller Ă la recherche de ce que lâacteur voit derriĂšre son geste. Cela permet donc dâaller au-delĂ de la littĂ©rature qui dĂ©finit un phĂ©nomĂšne spĂ©cifique, afin de le reconstruire Ă travers les yeux de lâacteur lui-mĂȘme. Câest pourquoi il nous a semblĂ© essentiel de coconstruire dâabord lâenquĂȘte puis lâanalyse, grĂące Ă des Ă©changes rĂ©guliers avec les acteurs du territoire.
La recherche, prĂ©vue sur une pĂ©riode de 12 mois dans le cadre dâun contrat postdoctoral financĂ© par lâIFMA, sâest dĂ©roulĂ©e de novembre 2020 Ă dĂ©cembre 2022. La premiĂšre phase de « construction » a eu lieu de novembre 2020 Ă juin 2021. Lors de cette phase, nous avons construit le projet de recherche en lien avec les partenaires socio-Ă©conomiques. La deuxiĂšme phase fut celle de la « rĂ©alisation », allant de juillet 2021 Ă juillet 2022. Elle a permis de mener Ă bien le protocole de cette recherche (finalisation de la revue de littĂ©rature, rĂ©alisation du travail dâenquĂȘte, premiĂšre analyse et confrontation avec les acteurs).
La troisiĂšme phase concernait la « finalisation », phase de rĂ©daction du rapport de recherche (aoĂ»t 2022âoctobre 2022). Enfin, une quatriĂšme phase a Ă©tĂ© celle de la « transmission » et de la valorisation des rĂ©sultats dans diffĂ©rents colloques et publications. Une restitution de la recherche auprĂšs de trois des quatre associations a Ă©tĂ© menĂ©e.
Nous retenons de ce travail que la recherche partenariale participative demande du temps et un investissement collectif important tant du point de vue des chercheurs que des acteurs. La pĂ©riode de lâĂ©tude nâĂ©tait pas la plus propice au dĂ©ploiement dâune telle dĂ©marche. Durant cette pĂ©riode 2021-2022, donc post-Covid, les associations ont eu des plannings chargĂ©s Ă la suite dâune reprise dâactivitĂ© « normale » Ă laquelle se sont ajoutĂ©es des activitĂ©s reprogrammĂ©es en 2021-2022, par suite de la crise sanitaire. Le fait de travailler sur deux zones Ă©loignĂ©es gĂ©ographiquement nâa pas non plus simplifiĂ© la dynamique collective, malgrĂ© la possibilitĂ© de faire certaines rĂ©unions en visioconfĂ©rence.
Les cas ont été choisis sur la base de cinq critÚres retenus pour à la fois répondre aux objectifs de la recherche et comparer des associations qui partagent a minima des caractéristiques communes au sein de ce secteur artistique et culturel si diversifié : une réponse à des besoins sociaux insatisfaits (accompagnement des acteurs précarisés et isolés ; accÚs à un programme culturel de grande qualité ; activité de production et de diffusion artistique et culturelle comme vecteur de citoyenneté et de démocratisation de la culture) ; un ancrage territorial revendiqué et partagé par les partenaires ; une
localisation dans une mĂȘme rĂ©gion dont deux en milieu urbain et deux en milieu rural ; une taille les classant dans la catĂ©gorie des petites organisations ; une anciennetĂ© similaire et permettant dâidentifier potentiellement des sĂ©quences distinctes de dĂ©veloppement (toutes les quatre ont Ă©tĂ© créées Ă la fin des annĂ©es 1990).
Lâassociation Art et Cultureâla Chouette a vu le jour en 1998. Elle est situĂ©e Ă Beauvezer dans les Alpesde-Haute-Provence. Ses activitĂ©s principales sont la programmation culturelle et artistique et lâaccompagnement des projets et des acteurs culturels locaux. Cette activitĂ© se dĂ©ploie Ă lâĂ©chelle dâune intercommunalitĂ© regroupant 41 communes. Elle officie sur un territoire rural de montagne.
Lâassociation a Ă©tĂ© créée Ă lâinitiative dâĂ©lus locaux qui, Ă la suite de la loi dâorientation pour lâamĂ©nagement et le dĂ©veloppement du territoire de 1995, dite loi Pasqua, et en prĂ©vision de la loi dâorientation pour lâamĂ©nagement et le dĂ©veloppement durable du territoire de 1999, dite loi Voynet, ont souhaitĂ© soutenir la crĂ©ation dâune association culturelle en considĂ©rant la culture comme un levier de dĂ©mocratie et de dĂ©veloppement rural et en prĂ©figuration du Pays « Asse, Verdon, VaĂŻre, Var », créé en 2000.
Lâassociation a ses bureaux Ă Beauvezer dans les Alpes-de-Haute-Provence. Historiquement son territoire dâintervention Ă©tait le Pays Asse, Verdon, VaĂŻre, Var, puis celui de la communautĂ© de communes Alpes-Provence-Verdon â Source de LumiĂšre, collectivitĂ© reprenant les frontiĂšres du Pays. Cet espace est constituĂ© de 43 communes situĂ©es Ă lâest du dĂ©partement comportant 11 443 habitants (INSEE, recensement de la population, 2018). Câest un territoire Ă la ruralitĂ© trĂšs prononcĂ©e et Ă©loignĂ©e des aires urbaines et mĂ©tropolitaines. Depuis prĂšs de quatre ans, lâactivitĂ© de lâassociation dĂ©passe le cadre de la collectivitĂ© locale avec des interventions Ă lâĂ©chelle du dĂ©partement des Alpes-de-Haute-Provence.
Son activitĂ© sâappuie sur deux axes : la programmation culturelle et artistique et lâaccompagnement des projets et des acteurs culturels locaux. Sur le premier axe, elle organise des Ă©vĂ©nements culturels : festivals de musique, reprĂ©sentations de spectacles vivants, rĂ©sidences dâartistes⊠pour tout public ou pour public spĂ©cifique. Elle travaille notamment de maniĂšre forte et rĂ©currente avec les Ă©coles, les EHPAD ou les crĂšches du territoire. Sur son second axe, elle dĂ©veloppe une action dâaccompagnement des acteurs de son territoire dâintervention dans leur projet, et ce Ă des degrĂ©s diffĂ©rents allant de la transmission dâinformations gĂ©nĂ©rales ponctuelles Ă de lâorientation pour la sollicitation de subventions ou encore de lâaide Ă la programmation culturelle. Elle met Ă©galement Ă disposition son parc technique Ă ses adhĂ©rents. En 2007, elle est reconnue dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Depuis 2017, elle est pour son territoire historique co-rĂ©fĂ©rente de proximitĂ©, avec la ludothĂšque itinĂ©rante « au temps des lutins » du rĂ©seau dâĂ©coute, dâappui et dâaccompagnement des parents (REAAP) local. En 2019, elle reçoit lâagrĂ©ment de la CAF « Espace de vie sociale ». Sur lâannĂ©e 2021, 35 Ă©quipes artistiques ont Ă©tĂ© accueillies et plus de 200 Ă©vĂ©nements ont Ă©tĂ© organisĂ©s. Lâassociation dĂ©clare en donnĂ©es brutes la frĂ©quentation de 4 600 spectateurs.
Lâassociation dĂ©clare appuyer son action sur six piliers : respecter des principes de gratuitĂ© et dâitinĂ©rance afin dâĂŽter des freins matĂ©riels Ă lâaccĂšs Ă la culture ; faire bĂ©nĂ©ficier le territoire de dispositifs et de projets impulsĂ©s par des structures dĂ©partementales et rĂ©gionales, en Ă©tant un catalyseur de projets et dâ opportunitĂ©s ; proposer des rendez-vous Ă lâannĂ©e, et tout particuliĂšrement lors des intersaisons, pour sâadresser principalement aux rĂ©sidents permanents et non aux touristes ; impliquer les habitants dans lâaccueil des projets culturels, que ce soit en amont en participant aux choix ou pendant en participant Ă
lâaccueil ; s âassocier aux acteurs locaux, associatifs ou communaux, pour la mise en place de projets partagĂ©s et systĂ©matiquement multipartenariaux ; mutualiser compĂ©tences, moyens et initiatives Ă lâĂ©chelle du territoire.
Pour mener Ă bien sa mission, lâassociation sâappuie sur une Ă©quipe salariĂ©e de 2,8 Ă©quivalents temps plein occupĂ©s par une directrice, une chargĂ©e de dĂ©veloppement culturel, une secrĂ©taire administrative et, depuis trois ans, une Ă©tudiante en contrat dâalternance. RĂ©guliĂšrement, elle fait appel Ă de la prestation de services dans le cadre de contrats dâintermittence du spectacle, et Ă des contrats courts, un par an au maximum, pour faire face Ă des pĂ©riodes dâactivitĂ© dense. Lâassociation dĂ©clare ĂȘtre accompagnĂ©e par une vingtaine de bĂ©nĂ©voles rĂ©guliers, dont une dizaine particuliĂšrement active, et avoir environ 70 adhĂ©rents. Pour rĂ©aliser son activitĂ© dense, lâassociation, ayant en donnĂ©es brutes une frĂ©quence dâĂ©vĂ©nement de 1,8 jour, en plus de ses ressources humaines internes, sâappuie sur plus de 70 partenaires. Ces derniers peuvent ĂȘtre des professionnels, comme des associations employeuses ou non employeuses, des Ă©tablissements, ou simplement des amateurs. Leur degrĂ© de participation est variable, mais considĂ©rĂ©, par la direction et la prĂ©sidence, comme impĂ©ratif pour le dĂ©ploiement des actions.
Sur le plan formel du fonctionnement, lâassociation a les trois instances classiques de gouvernance : lâassemblĂ©e gĂ©nĂ©rale, le conseil dâadministration et le bureau. LâassemblĂ©e gĂ©nĂ©rale se rĂ©unit une fois par an ; elle est composĂ©e de lâensemble des adhĂ©rents. Elle est organisĂ©e ces derniĂšres annĂ©es sur un format relativement court de 2 heures en soirĂ©e en semaine. Au-delĂ des obligations lĂ©gales, lâaccent est mis sur la synthĂšse et lâĂ©change pour en faire un temps de vie et non un temps dâenregistrement administratif. La parole est partagĂ©e entre plusieurs membres de lâĂ©quipe salariĂ©e et du bureau. Il y a aussi rĂ©guliĂšrement des tĂ©moignages des partenaires et/ou de bĂ©nĂ©voles. Le conseil dâadministration (CA) pour sa part se rĂ©unit trois Ă quatre fois par an. Il est composĂ© dâadhĂ©rents individuels et de six Ă©lus du territoire dâorigine. Il est Ă©galement organisĂ© sur une logique de temps relativement court. Il constitue un moment dâĂ©change et de contrĂŽle des orientations prises ou Ă prendre par lâassociation. Le bureau est composĂ© de quatre Ă cinq membres. Il y a une relative stabilitĂ© dans ses membres avec un renouvellement qui se fait selon un roulement informel. Il se rĂ©unit huit Ă dix fois par an en prĂ©sence de la directrice. En fonction des thĂ©matiques abordĂ©es, la chargĂ©e de dĂ©veloppement peut ĂȘtre prĂ©sente. Il a pour rĂŽle de suivre et dâorienter le dĂ©ploiement de lâassociation et constitue Ă©galement un moment important pour permettre la convergence des temps dâimplication des salariĂ©es et des bĂ©nĂ©voles.
Créé en 1998, lâEspace culturel de Chaillol est un outil de coopĂ©ration culturelle des Hautes-Alpes. Lâassociation propose une saison de concerts itinĂ©rants associĂ©e Ă un programme dâaction culturelle en direction des habitants du territoire et une politique de commande dâĆuvres et de rĂ©sidence de crĂ©ation.
LâEspace culturel de Chaillol a vu le jour en 1998 avec lâorganisation de la premiĂšre Ă©dition dâun festival de musique Ă Chaillol, village de montagne situĂ© dans la vallĂ©e du Champsaur dans le dĂ©partement des Hautes-Alpes. OrganisĂ© de maniĂšre informelle par un groupe dâamis diplĂŽmĂ©s de conservatoire de musique dont certains avaient des attaches dans la vallĂ©e, ce festival Ă©tait vouĂ© Ă sâarrĂȘter aprĂšs cette premiĂšre Ă©dition. Cependant, le maire de la commune leur a proposĂ© dâorganiser une deuxiĂšme Ă©dition. Bien quâelle ne puisse pas offrir de financements, la municipalitĂ© sâengage Ă fournir un lieu de
reprĂ©sentation. Pendant lâhiver et le printemps qui suivent, la mairie avec une partie des habitants rĂ©habilite une vieille Ă©glise rĂ©formĂ©e et fermĂ©e depuis 35 ans, oĂč aura lieu la 2e Ă©dition.
En 2003, lors de la crise nationale des intermittents du spectacle, lâassociation prend conscience de son action au-delĂ du projet dâune bande de copains dans un village reculĂ© de montagne, un dĂ©clic se produit pour les membres en tant quâacteur culturel. DĂšs lors, lâassociation va chercher Ă se professionnaliser et, pour ce faire, va chercher plus de subventions. Dans la foulĂ©e, la rencontre avec le directeur de lâoffice de tourisme du territoire va ĂȘtre un marqueur important. Avec cette rencontre nait ce qui apparaĂźt encore aujourdâhui comme les deux jambes de lâassociation : lâarticulation des compĂ©tences artistiques et des compĂ©tences dâingĂ©nierie de dĂ©veloppement territorial.
En 2008, une nouvelle phase de dĂ©veloppement se fait jour avec la rencontre du Pays gapençais, structure de dĂ©veloppement de projets territoriaux, issue de la loi Voynet de 1999. Cette rencontre permet Ă lâassociation de dĂ©velopper ses compĂ©tences mĂ©thodologiques dans le montage de projets et dâobtenir un soutien dans ses demandes de subventions. Ă cette pĂ©riode, lâassociation dĂ©veloppe un programme culturel hors festival tout au long de lâannĂ©e afin de sâancrer sur le territoire en sâadressant aux locaux et non aux touristes. Cette nouvelle stratĂ©gie permet de saisir des financements pour le dĂ©veloppement local et non plus uniquement pour de la diffusion artistique. Si lâassociation reste vigilante afin dâĂȘtre reconnue dans le secteur de la culture, directeur et prĂ©sident comprennent aussi que lâancrage territorial est nĂ©cessaire pour obtenir des budgets. Les liens avec les autoritĂ©s locales â service culturel et service territoire â se tissent de plus en plus Ă©troitement. Petit Ă petit lâassociation Ă©largit ses contacts directs avec les partenaires publics en passant du niveau micro local au niveau rĂ©gional.
La derniĂšre Ă©volution majeure de lâassociation a commencĂ© en 2017 avec la visite de la ministre de la culture Ă Chaillol dans le cadre de lâobtention du label « scĂšne conventionnĂ©e dâintĂ©rĂȘt national art en territoire » qui sera octroyĂ© pour 2019. Ce label vient marquer un point de maturitĂ© du projet artistique et territorial et permet Ă lâassociation de gagner en lĂ©gitimitĂ© auprĂšs des diffĂ©rents partenaires. Ce label octroyĂ© pour quatre ans renouvelables a permis Ă lâassociation dâaugmenter et de stabiliser pour partie ses ressources financiĂšres.
Au niveau du fonctionnement de lâassociation, il y a eu aussi de grandes Ă©volutions en cette pĂ©riode. Ă partir de 2017, le directeur, prĂ©sent depuis lâorigine, est salariĂ© par lâassociation. Auparavant, il occupait cette fonction Ă titre bĂ©nĂ©vole, les salariĂ©s, quand il y en a eu, sâoccupaient de lâadministration et de lâorganisation des actions culturelles. Du fait du label Art en territoire, les effectifs vont se stabiliser Ă cinq permanents, avec lâemploi pour les questions techniques et scĂ©niques dâintermittents rĂ©guliers et fidĂ©lisĂ©s. Les bureaux de lâassociation ont dĂ©mĂ©nagĂ© dans la ville de Gap. En 2019, lâassociation a profondĂ©ment repensĂ© son organisation interne et ses outils de pilotage. La gouvernance associative a Ă©tĂ© repensĂ©e pour devenir paritaire au niveau du CA et renforcer le double ancrage sur les questions artistiques et territoriales. Des groupes de travail thĂ©matiques composĂ©s de salariĂ©s et de bĂ©nĂ©voles ont Ă©galement Ă©tĂ© créés. Au sein des instances de gouvernance, le directeur joue un rĂŽle central aussi bien dans la structuration, lâanimation ou la rĂ©gulation. Ce rĂŽle est renforcĂ© par le label qui est obtenu et portĂ© rĂ©glementairement par le directeur et non par lâassociation. Au niveau de lâengagement bĂ©nĂ©vole, lâassociation sâappuie sur une soixantaine de bĂ©nĂ©voles considĂ©rĂ©s comme essentiels pour le dĂ©ploiement des actions. Ainsi, il revient dans les propos de lâensemble des personnes rencontrĂ©es que le festival estival ne pourrait avoir lieu sans lâengagement opĂ©rationnel des bĂ©nĂ©voles. Ils sont Ă©galement mobilisĂ©s sur les Ă©vĂ©nements tout au long de lâannĂ©e pour lâorganisation opĂ©rationnelle.
Sur le plan de lâorganisation du travail salariĂ©, un important travail de formalisation a Ă©tĂ© opĂ©rĂ© afin de redĂ©finir les pĂ©rimĂštres de responsabilitĂ©s de chacun avec la réécriture des fiches de postes, la redĂ©finition des modalitĂ©s de coordination, avec le renforcement de lâautonomie de gestion de chacun, couplĂ© au renforcement de la coordination par des sĂ©ances de travail collectif hebdomadaires. Sur le plan de la gestion, de nouveaux outils dynamiques de prĂ©vision et de suivi budgĂ©taires ont Ă©tĂ© mis en place et les relations avec le cabinet comptable ont Ă©tĂ© revues.
Lâassociation, créée en 1996, se situe Ă Marseille au Comptoir Toussaint-Victorine, une friche industrielle sur le site dâune ancienne usine dâallumettes. Son activitĂ© est centrĂ©e sur le dĂ©veloppement et le soutien de pratiques artistiques participatives par lâentremise dâartistes et dâhabitants, sur lâaccompagnement dâacteurs dans leur projet culturel et artistique.
Créée par trois amis comĂ©diens, lâassociation avait comme objectif de dĂ©velopper les activitĂ©s de spectacle des comĂ©diens et dâorganiser des sĂ©jours et des classes artistiques pour enfants. Ils voulaient crĂ©er un pont entre les activitĂ©s culturelles et artistiques et les activitĂ©s socioculturelles (organisĂ©es par les centres de jeunesse ou les centres communautaires). Ă cette Ă©poque, le concept dâanimation socioculturelle Ă©tait dâusage, mais lâassociation avait la conviction de faire de lâanimation socioculturelle, mais aussi quelque « chose dâautre », dont on ne parlait pas encore, « la mĂ©diation culturelle ». Il a fallu du temps Ă lâassociation pour mettre des mots sur ce quâelle faisait. Aujourdâhui, elle se considĂšre au croisement entre culture, Ă©ducation populaire et Ă©conomie sociale et solidaire.
Lâassociation Les TĂȘtes de lâArt (TDA) sâest structurĂ©e Ă©tape par Ă©tape. Pendant les cinq premiĂšres annĂ©es, lâassociation a pu ĂȘtre caractĂ©risĂ©e comme une association dâamis qui partageaient un projet commun (phase dâĂ©mergence). Son installation en 2001 Ă Marseille au Comptoir Toussaint-Victorine, une ancienne friche industrielle, dans le quartier de la Belle de Mai Ă Marseille, dans la rĂ©gion PACA, a marquĂ© une Ă©tape importante en accĂ©lĂ©rant le dĂ©veloppement de son activitĂ© Ă partir de 2006, le directeur dĂ©cide dâinitier de nombreux changements au sein de lâassociation. Jusquâen 2012, câest une phase de « grands travaux », une phase de professionnalisation et de dĂ©veloppement pourrions-nous dire, qui a Ă©tĂ© menĂ©e au sein de lâassociation, Ă partir dâune rĂ©flexion collective et dâun travail mobilisant toutes les parties prenantes. Ce processus de transformation a Ă©tĂ© entamĂ© afin de mieux faire coĂŻncider le projet et les valeurs de lâassociation avec son fonctionnement interne. Ce processus a Ă©tĂ© marquĂ© par une volontĂ© affirmĂ©e de mettre en place une gouvernance partagĂ©e, de renforcer la participation des salariĂ©s et des artistes dans un climat de transparence. Si au dĂ©part, le conseil dâadministration Ă©tait composĂ© dâamis des comĂ©diens, le directeur mentionne quâil a clairement voulu passer dâun « CA de complaisance Ă un CA de compĂ©tence. » Plusieurs moyens ont Ă©galement Ă©tĂ© expĂ©rimentĂ©s afin de rapprocher le CA des salariĂ©s. Aujourdâhui, chaque pĂŽle de lâassociation a un rĂ©fĂ©rent au sein du CA. Des sĂ©minaires de rĂ©flexion sont organisĂ©s chaque annĂ©e afin que toutes les parties prenantes participent Ă la coconstruction des projets. Pour conduire ces changements, TDA a Ă©tĂ© soutenue par diffĂ©rents instruments et politiques publiques, notamment les dispositifs locaux dâaccompagnement des associations ou les politiques de la ville, mais aussi par le fait que le directeur a repris des Ă©tudes pour obtenir un master dans le domaine de lâĂ©conomie sociale. Depuis 2012, lâassociation a atteint une phase de maturitĂ©. Cependant, mĂȘme Ă ce stade de lâorganisation, le directeur considĂšre lâassociation comme un « laboratoire ». Elle est continuellement Ă la recherche du modĂšle le plus appropriĂ©, toujours en train dâexpĂ©rimenter et de tester de nouvelles idĂ©es au niveau interne et externe. Elle se considĂšre dans un
processus de « recherche-action » et a pour ambition dâĂȘtre un « rĂ©vĂ©lateur dâoptimisme » auprĂšs de lâensemble de ses adhĂ©rents, comme le souligne son directeur
Aujourdâhui, TDA est une association de mĂ©diation artistique et culturelle, centrĂ©e sur le dĂ©veloppement et le soutien de pratiques artistiques participatives par lâentremise dâartistes et dâhabitants. Elle porte une vision de lâart comme « outil de transformation sociale, vecteur de citoyennetĂ© ». Sa mission est de faire de lâart « avec » les personnes et non pas « pour » elles, dans une perspective dâĂ©mancipation et de rĂ©appropriation de lâespace public par le public. Elle intervient notamment dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Parmi les multiples projets dĂ©veloppĂ©s, citons le projet Place Ă lâArt, qui visait Ă rĂ©introduire lâart dans le quotidien des habitants dans un quartier prioritaire du centre-ville en faisant des espaces publics des espaces de crĂ©ation artistique et de rencontre tout en amĂ©liorant le cadre de vie. Citons Ă©galement BoulĂšgue, la tĂ©lĂ©vision participative du 3e, qui accompagne des habitants et des structures du quartier dans la rĂ©alisation de contenus audiovisuels, avec Ă©galement pour but de favoriser la crĂ©ation et les liens sociaux. Lâassociation est aussi centrĂ©e sur lâaccompagnement dâacteurs dans leur projet culturel et artistique et sur le dĂ©veloppement de projets europĂ©ens.
Lâassociation est aujourdâhui organisĂ©e en quatre pĂŽles :
o le pÎle Projets artistiques et participatifs, qui réalise prÚs de 60 projets artistiques pluridisciplinaires par an, donnant lieu à une création collective, en partenariat avec des établissements scolaires, sanitaires, sociaux ou spécialisés ;
o le pĂŽle Accompagnement, qui propose des temps dâaccompagnement individuels et collectifs aux artistes et associations culturelles du territoire ;
o le pĂŽle international, qui partage avec dâautres structures en Europe et en mĂ©diterranĂ©e ses pratiques dâaccompagnement de projets artistiques ou de crĂ©ations collectives participatives, pour aborder des questions culturelles, politiques, sociales et environnementales, au travers dâactivitĂ©s artistiques et citoyennes ;
o Le pĂŽle transversal Communication et administration.
Au moment de notre Ă©tude, lâĂ©quipe est constituĂ©e de 12 salariĂ©s permanents, de 9 volontaires en service civique et de 5 stagiaires. Elle compte 134 adhĂ©rents, 4 000 bĂ©nĂ©ficiaires directs et travaille avec 110 organisations comme partenaires associĂ©s.
Lâassociation ZINC, créée en 1998, est un centre de crĂ©ation des arts et des cultures numĂ©riques situĂ© Ă Marseille au sein de la Friche Belle de Mai, Ă©galement une ancienne friche industrielle dĂ©diĂ©e au dĂ©veloppement artistique et culturel tout en Ă©tant au cĆur dâun projet de dĂ©veloppement urbain dont ZINC est un des membres fondateurs. Lâassociation ZINC sâest progressivement rapprochĂ©e de Seconde Nature, une association créée en 2007 et situĂ©e Ă Aix-en-Provence, qui dĂ©veloppe des activitĂ©s similaires, autour de la promotion des arts et cultures numĂ©riques. Aujourdâhui, ces deux associations se prĂ©sentent sous une appellation commune : « Chroniques » (https://chroniques.org)
Au milieu des annĂ©es 1990, ZINC est lâĂ©manation dâun collectif de journalistes et artistes. AprĂšs ĂȘtre rentrĂ©s des Ătats-Unis et ayant dĂ©couvert internet, ils ont proposĂ© Ă la Friche La Belle de Mai un projet sur lâaccĂšs Ă internet, crĂ©ant ainsi le premier cyber cafĂ© de France. Lâobjectif de dĂ©part Ă©tait dâoffrir un accĂšs Ă internet gratuit en prenant appui sur la crĂ©ation de postes de service civique (qui nâĂ©tait pas
encore trĂšs dĂ©veloppĂ© comme alternative au service militaire). Ă partir de 2003, ZINC se constitue en association et bĂ©nĂ©ficie dâun soutien public en tant quâespace culturel multimĂ©dia de la Belle de Mai pour accompagner lâappropriation des outils informatiques par le public. Ces dispositifs sâĂ©tant arrĂȘtĂ©s depuis, une rĂ©orientation du projet a commencĂ© Ă sâopĂ©rer durant la pĂ©riode 2010-2012 pour articuler Ă©ducation populaire et soutien Ă la crĂ©ation dâart numĂ©rique. Sur cette pĂ©riode, la mĂ©diation numĂ©rique a Ă©voluĂ© vers, dâune part, un soutien Ă la transition numĂ©rique pour les petites entreprises et, dâautre part, vers lâinclusion numĂ©rique au niveau rĂ©gional. ZINC a ainsi dĂ©veloppĂ© la dimension artistique numĂ©rique du projet (notamment autour de la ville crĂ©ative, des smart cities, etc.).
ZINC dĂ©veloppe Ă©galement une action internationale soutenue conjointement par la RĂ©gion ProvenceAlpes-CĂŽte dâAzur, la Ville de Marseille et le ministĂšre des affaires Ă©trangĂšres dans le cadre de lâappel Ă projets triennal de coopĂ©ration dĂ©centralisĂ©e. Chaque projet ou action fait lâobjet dâun montage spĂ©cifique, avec des financements appropriĂ©s et diversifiĂ©s, notamment par lâUnion europĂ©enne. Avec Marseille Ă©lue capitale europĂ©enne de la culture en 2013, ZINC a confirmĂ© sa volontĂ© dâĂȘtre un Ă©quipement culturel reconnu dans sa capacitĂ© Ă articuler un lieu qui est un laboratoire de la crĂ©ation contemporaine avec une logique de programmation pour le grand public.
Depuis 2007, ZINC a rencontrĂ© lâassociation Seconde Nature, situĂ©e Ă Aix-en-Provence et a progressivement renforcĂ© les collaborations pour aujourdâhui faire tous les projets ensemble, mais sans fusionner. La fusion Ă©tant souvent justifiĂ©e pour des raisons Ă©conomiques, les associations ont souhaitĂ© rester sĂ©parĂ©es pour insister sur le rapprochement centrĂ© sur des valeurs communes. Il y a donc un seul projet, mais avec deux associations distinctes, lâune fiscalisĂ©e (i.e. soumises aux impĂŽts commerciaux) et lâautre pas, avec comme objectif de mutualiser les ressources pour financer des actions plus importantes, pour ĂȘtre sur deux territoires diffĂ©rents tout en conservant les financements des deux associations. Les gouvernances demeurent distinctes malgrĂ© des croisements entre les deux conseils dâadministration pour travailler ensemble et des assemblĂ©es gĂ©nĂ©rales communes. Le fait que Marseille soit capitale europĂ©enne de la culture en 2013 a Ă©galement jouĂ© un rĂŽle important, notamment dans la coproduction dâun Ă©vĂ©nement central pour les deux associations, la Biennale, nommĂ©e « Chroniques », dont la premiĂšre Ă©dition a eu lieu en 2016. Chroniques est dâailleurs lâappellation commune sous laquelle, depuis peu, se prĂ©sentent les deux associations. ZINC - Seconde Nature anime Ă©galement plusieurs rĂ©seaux, comme celui des tiers-lieux, Ă la suite du label « Fabrique de territoire » obtenu par la Friche, mais portĂ© par ZINC, ou comme le rĂ©seau national des arts hybrides et cultures numĂ©riques (HACNUM).
ZINC structure ses activitĂ©s autour de trois axes : la production, en proposant soutien et accompagnement Ă la production artistique numĂ©rique et Ă la diffusion de ces Ćuvres ; la mĂ©diation numĂ©rique, en organisant des ateliers crĂ©atifs permettant Ă tous de sâinitier et de pratiquer les technologies numĂ©riques, notamment dans le cadre dâun Fablab ; la formation Ă destination de professionnels de la culture et du social. Aujourdâhui une derniĂšre brique sâajoute Ă ces axes, une activitĂ© de consulting et dâingĂ©nierie. Le dĂ©veloppement de lâactivitĂ© chez ZINC passe par une diversification assez forte des activitĂ©s.
LâĂ©quipe de ZINC est pluridisciplinaire et constituĂ©e, au moment de notre Ă©tude, de 6 salariĂ©s permanents, de 21 Ă©quivalents temps plein Ă lâannĂ©e (car il peut y avoir le recours Ă un nombre plus Ă©levĂ© de salariĂ©s Ă la veille dâun gros Ă©vĂ©nement). Des bĂ©nĂ©voles sont mobilisĂ©s uniquement pour des actions ponctuelles et des Ă©vĂ©nements. Les activitĂ©s de diffusion, bien que la frĂ©quentation soit difficile Ă mesurer dans des espaces publics, rassemblent 40000 personnes par an selon les estimations. Quant
aux activitĂ©s de mĂ©diation et dâĂ©ducation, la frĂ©quentation est de 1 453 Ă©lĂšves et 738 participants tous publics. Le conseil dâadministration de ZINC est aujourdâhui composĂ© de profils variĂ©s (chefs dâentreprises, acteurs du secteur culturel, acteurs de la formation professionnelle, acteurs du tourisme). Le CA de ZINC est constituĂ© de sept administrateurs, celui de Seconde Nature de cinq. Durant la pĂ©riode de notre Ă©tude, le CA a Ă©tĂ© peu sollicitĂ©, faute de temps. Comme mentionnĂ© ci-dessus, les assemblĂ©es gĂ©nĂ©rales des deux associations sont communes.
Quatre associations engagĂ©es territorialement pour la dĂ©mocratisation culturelle et lâĂ©mancipation
Les quatre associations que nous avons sĂ©lectionnĂ©es, ont en commun de jouer un rĂŽle dĂ©terminant dans la cohĂ©sion des territoires oĂč elles sont implantĂ©es et sont des acteurs majeurs des dynamiques dâengagement et de citoyennetĂ©, en adĂ©quation avec leur mission sociale. Elles contribuent toutefois de maniĂšre diffĂ©rente Ă la dĂ©mocratisation culturelle. Ainsi, Art et Cultureâla Chouette, par exemple, considĂšre avoir une fonction sociopolitique notamment Ă travers lâengagement dâĂȘtre lĂ , sur « le territoire », toute lâannĂ©e, en saison comme hors saison. Câest un rĂ©el engagement qui suppose une itinĂ©rance des activitĂ©s dans la mesure oĂč lâassociation nâa pas de salle de spectacle, pas de cafĂ© associatif, pas de lieu pour se rencontrer. LâitinĂ©rance, qui force Ă monter des projets en partenariat avec dâautres associations ou collectivitĂ©s, est toutefois source de contraintes fortes afin de produire des espaces de qualitĂ© pour la reprĂ©sentation de spectacles professionnels avec des problĂ©matiques techniques multiples (taille de lâespace, hauteur disponible, jauges acceptables, normes Ă©lectriques, etc.). Mais elle est ce qui pourrait ĂȘtre lâessence mĂȘme de la fonction sociopolitique de lâassociation : aller lĂ oĂč lâart nâest pas prĂ©sent, oĂč il trouve difficilement sa place, et inventer des solutions pour quâil y trouve sa place. LâEspace culturel de Chaillol vise aussi la dĂ©mocratisation culturelle, reconnue notamment Ă travers le conventionnement « Art en territoire ». La contribution Ă la dĂ©mocratisation culturelle est Ă©galement au cĆur du projet des TĂȘtes de lâArt, et se traduit entre autres par un accompagnement inconditionnel des artistes et des projets qui souhaitent se dĂ©velopper, ainsi que dans le cas de ZINC, pour qui les activitĂ©s de mĂ©diation et dâĂ©ducation numĂ©rique sont centrales, en ciblant notamment un public scolaire.
Notre Ă©tude a pour but dâidentifier, pour les quatre associations impliquĂ©es dans cette recherche, les modalitĂ©s dâhybridation des ressources et leurs Ă©volutions ces derniĂšres annĂ©es, en tenant compte des transformations et des crises auxquelles elles ont dĂ» faire face. Ce travail permet de mettre en Ă©vidence diffĂ©rentes stratĂ©gies dâhybridation des ressources, qui ont Ă©voluĂ© dans le temps. Si certaines stratĂ©gies sont communes aux associations Ă©tudiĂ©es, des spĂ©cificitĂ©s sont cependant observĂ©es. Les avantages et les limites de diffĂ©rentes modalitĂ©s dâhybridation des ressources sont Ă©galement mis en Ă©vidence. Mais cette recherche souligne surtout, la nĂ©cessaire imbrication des logiques dâĂ©change, marchandes, redistributives et rĂ©ciprocitaires, dâune part, pour assurer le dĂ©veloppement et la pĂ©rennisation des associations Ă©tudiĂ©es. Dâautre part, elle contribue Ă visibiliser et Ă montrer la centralitĂ© de la logique rĂ©ciprocitaire pour ces associations afin dâĂ©viter un Ă©loignement de leur mission initiale.
Afin de caractĂ©riser lâhybridation des ressources dĂ©ployĂ©e par les associations Ă©tudiĂ©es, nous commençons par analyser la nature et le poids des diffĂ©rentes ressources mobilisĂ©es et, dans la mesure du possible, leur Ă©volution sur quatre ans. Nous prenons donc en compte les sources de financement des associations, publiques et privĂ©es (incluant les dons et le mĂ©cĂ©nat), auxquelles nous ajoutons le bĂ©nĂ©volat.
Ensuite, nous avons choisi dâapprofondir la question de la rĂ©ciprocitĂ©, afin de ne pas la limiter Ă la mobilisation de dons, de mĂ©cĂ©nat et de bĂ©nĂ©voles et de rendre compte de la rĂ©elle hybridation des ressources opĂ©rĂ©e par les associations Ă©tudiĂ©es et de mieux comprendre leur ancrage territorial. La logique rĂ©ciprocitaire dĂ©passe en effet les seules ressources tangibles et visibles pour inclure des ressources moins visibles, plus informelles telles que les relations sociales, interpersonnelles, de confiance et de proximitĂ©, la lĂ©gitimitĂ© et la reconnaissance par les acteurs, qui sont ressorties comme essentielles pour entretenir le projet social, la dimension collective et lâancrage territorial inhĂ©rents Ă ce projet. Les quatre associations reposent en effet sur des dynamiques collectives fortes, conduisant au dĂ©veloppement de multiples partenariats, Ă la mutualisation de ressources et Ă la constitution et lâanimation de nombreux rĂ©seaux sur les territoires dâimplantation.
Lepoidsdesfinancementspublics :delasubventionaucontrat ?
Les organisations Ă©tudiĂ©es se caractĂ©risent par une multiplicitĂ© de ressources monĂ©taires avec une prĂ©dominance des financements publics, mais dont les ratios varient selon les associations et selon les annĂ©es comme lâillustre le graphique 3. Elles soulignent Ă©galement les contraintes administratives et financiĂšres grandissantes (et qui rendraient parfois nĂ©cessaires des services administratifs et comptables
que seules les associations de grande taille possÚdent), mais aussi leur fragilisation liée à la dépendance croissante à de multiples sources de financement de courte durée.
GRAPHIQUE 3. PART DES SUBVENTIONS DANS LE BUDGET TOTAL (2017-2020)
Part des subventions en pourcentage dans le budget total
Art & Culture Espace Culturel de Chaillol TĂȘtes de l'Art Zinc
Source : calculs des auteurs à partir des données recueillies dans le bilan des associations étudiées Champ : part des subventions dans le budget des quatre associations étudiées entre 2017 et 2020 Lecture : la part des subventions dans le budget de Zinc est passée de 80,95 % en 2017 à 77,17 % en 2020.
Les quatre associations ont vu leurs parts de subventions augmenter dans leur budget en 2020 en comparaison de lâannĂ©e 2019. Ceci sâexplique par la baisse des entrĂ©es financiĂšres par prestation, due Ă lâimpact direct de la situation sanitaire, lâannĂ©e 2020 Ă©tant marquĂ©e par des confinements, des fermetures administratives et des limitations de jauge qui ont rĂ©duit le volume dâactivitĂ© des associations. Toutefois, pour voir un effet « Covid 19 » sur les subventions, nous pouvons comparer les taux de croissance annuels moyens entre 2018 et 2020 (graphique 4).
GRAPHIQUE 4. TAUX DE CROISSANCE ANNUEL MOYEN DES SUBVENTIONS DANS LE BUDGET TOTAL (2018-2020)
Art & Culture Espace Culturel de Chaillol
TĂȘtes de l'Art Zinc
Source : calculs des auteurs à partir des données recueillies dans le bilan des associations étudiées. Champ : taux de croissance annuel des subventions dans le budget des quatre associations étudiées entre 2018 et 2020. Lecture : en 2020, le montant des subventions obtenues par ZINC a augmenté de 10 % par rapport à 2019
Le graphique 4 permet de mettre en Ă©vidence une forte variabilitĂ© de la part des subventions dans les budgets des associations. Dans ce cadre, il est plus difficile de formuler une interprĂ©tation commune. Par exemple, Art et Cultureâla Chouette connaĂźt une variation de son taux de croissance dâune annĂ©e sur lâautre la plus importante, qui sâexplique essentiellement par la mĂ©canique du jeu des acteurs publics subventionneurs. Les taux de croissance Ă©levĂ©s en 2018 et 2020 marquent une capacitĂ© de rebond Ă la suite dâune perte importante de subventions. Ă la diffĂ©rence dâArt et Cultureâla Chouette, le budget des TĂȘtes de lâArt est plus variable du fait dâune stratĂ©gie plus affirmĂ©e de rĂ©ponse Ă des marchĂ©s publics et de recherche de financement par projets, notamment au niveau europĂ©en, ce qui implique par exemple une variation de lâemploi plus importante dans cette association en fonction des financements obtenus. Ainsi, les TĂȘtes de lâArt connaissent des variations budgĂ©taires fortes, car elles dĂ©veloppent une stratĂ©gie de financement par projet : une fois que le projet se termine, il nâest pas forcĂ©ment complĂ©tĂ© par un nouveau. Alors que les trois autres associations ont une logique de budget global au sein duquel les financements obtenus pour des projets spĂ©cifiques sâarticulent ensemble pour constituer le budget commun, les TĂȘtes de lâArt Ă©tablissent un budget global qui est la somme des budgets par projet. Notons toutefois que malgrĂ© cette variabilitĂ© due aux projets financĂ©s, lâassociation cherche le plus possible Ă stabiliser les emplois en CDI.
La prĂ©sentation de ces donnĂ©es chiffrĂ©es apporte des Ă©clairages sur le volume des subventions publiques dans les budgets et sur les Ă©volutions Ă moyen terme. Toutefois, ces donnĂ©es ne permettent pas dâidentifier les rĂ©alitĂ©s diffĂ©rentes et les stratĂ©gies mises en Ćuvre dans la construction mĂȘme des budgets. Ainsi, derriĂšre des niveaux de subventions se cachent des disparitĂ©s importantes sur lâarticulation des diffĂ©rents financeurs publics. Dâune annĂ©e sur lâautre, lâordre dâimportance des
financeurs peut varier (Art et Cultureâla Chouette, ZINC) ou ĂȘtre relativement stable (Espace culturel de Chaillol, TĂȘtes de lâArt), expliquant pour partie lâĂ©volution du taux de croissance des subventions. Aussi, entre les quatre associations, nous nâavons pas la mĂȘme construction ni la mĂȘme rĂ©partition des financeurs publics. Mentionnons par ailleurs quâune partie importante du budget de Art et Cultureâla Chouette est constituĂ© des cotisations que paie la communautĂ© de communes par habitant (soit 2,25 euros par habitant), ce qui constitue 24 % du budget de lâassociation en 2020. Ces cotisations ne sont pas comptabilisĂ©es dans les subventions publiques.
Pour lâEspace culturel de Chaillol, le label « scĂšne conventionnĂ©e art en territoire » a jouĂ© un rĂŽle structurant important avec la reconnaissance de lâacteur public central quâest le ministĂšre de la culture. Ce label a permis un changement dâĂ©chelle avec une stabilisation financiĂšre Ă court et moyen terme, notamment en consolidant les emplois au sein de lâassociation. Le directeur prĂ©cise : « Sans ce conventionnement, on ne serait peut-ĂȘtre plus lĂ aujourdâhui. » Aussi, lâassociation affiche une part de subventions publiques autour de 90 % sur les quatre annĂ©es de rĂ©fĂ©rence, ce qui nâest pas perçu comme un handicap par les partenaires publics, car, Ă travers ce label, elle doit assurer des missions de service public inscrites dans le cahier des charges associĂ© au conventionnement. Ă lâinverse, les trois autres associations ont dĂ», incitĂ©es par les financeurs publics, augmenter leurs ressources propres. Cela sâest fait Ă travers le dĂ©veloppement de la prestation de services, qui reprĂ©sente autour de 33 % du budget au moment de notre Ă©tude. Ainsi, pour faire face Ă la baisse des subventions publiques, les trois associations ont dĂ©veloppĂ© de la prestation de services, mais essentiellement auprĂšs des pouvoirs publics. De fait, si le volume des fonds publics est comparable dâune annĂ©e Ă lâautre, lâorigine des fonds et leur Ă©criture comptable diffĂšrent. Dâune façon gĂ©nĂ©rale, Ă©tant donnĂ© les missions des quatre associations Ă©tudiĂ©es, les prestations de services auprĂšs dâorganisations privĂ©es et la billetterie reprĂ©sentent des parts faibles dans leurs budgets.
Contrairement Ă la tendance observĂ©e globalement pour les organisations de lâESS, les associations interrogĂ©es ont ainsi plus de subventions que de recettes publiques liĂ©es Ă des prestations (par exemple dans le cadre dâappels dâoffres ou de marchĂ©s publics). Cependant les personnes interviewĂ©es ont dĂ©clarĂ© opĂ©rer une distinction entre subventions et recettes publiques depuis peu, Ă la suite de la montĂ©e du financement par projet et de la diminution des financements de fonctionnement. La multiplication des appels dâoffres, octroyĂ©s par des organismes diffĂ©rents, avec des modalitĂ©s et des procĂ©dures diffĂ©rentes, afin de rĂ©aliser des objectifs diffĂ©rents, demande un effort non nĂ©gligeable aux organisations tant du point de vue de la gestion de projet que de la gestion comptable. Cette diversification implique en effet un engagement important en termes administratifs : pour chaque projet, il est nĂ©cessaire dâĂ©laborer un budget, de rĂ©diger des rapports, de montrer son impact sur le territoire, le secteur... Lâenregistrement sous une seule forme de financement public invisibilise cet effort des organisations pour repĂ©rer les appels Ă projets, y rĂ©pondre et suivre les diffĂ©rents projets.
La question de lâĂ©chelon europĂ©en est rĂ©vĂ©latrice Ă ce niveau. Deux associations, les TĂȘtes de lâArt et ZINC, ont fait le choix de participer Ă la recherche de fonds europĂ©ens quand Art et Cultureâla Chouette, ayant dĂ©jĂ fait lâexpĂ©rience de ces fonds a dĂ©cidĂ©, sur la pĂ©riode de rĂ©fĂ©rence, de ne plus sâen saisir. Pour les TĂȘtes de lâArt et ZINC, lâintĂ©rĂȘt de cet Ă©chelon rĂ©side dans les montants importants allouĂ©s rĂ©guliĂšrement, conduisant les TĂȘtes de lâArt Ă structurer un « pĂŽle international » au sein de lâassociation, tandis que, pour Art et Cultureâla Chouette, la dimension administrative quâil implique a induit une mise en retrait.
Certains acteurs interrogĂ©s envisagent lâhybridation aussi sur le plan de lâactivitĂ©. Les quatre associations se caractĂ©risent par la multiplication et la diversification des actions afin de saisir des opportunitĂ©s de financement public et de rĂ©pondre aux besoins du territoire. Maintenir leur identitĂ© organisationnelle ainsi que leur mission sans tomber dans lâĂ©cueil de la dispersion reprĂ©sente un dĂ©fi majeur pour elles Par exemple, ZINC a largement diversifiĂ© ses activitĂ©s, optant pour un modĂšle plus entrepreneurial de type « start up », qui nâest pas sans risques. Lâassociation est bien consciente que le fait dâadopter une « culture de lâopportunitĂ© », sans positionnement clair ni arbitrage, peut entraĂźner lâassociation dans une course effrĂ©nĂ©e Ă la recherche de projets ou de fonds, engendrant donc un risque de dispersion, de perte dâĂ©nergie pour, en dĂ©finitive, subir les Ă©volutions de lâenvironnement socio-Ă©conomique et mettre en pĂ©ril son projet associatif. Une rĂ©flexion autour de la stratĂ©gie de lâassociation devrait ĂȘtre menĂ©e prochainement par le CA.
De plus, les autoritĂ©s octroyant les financements Ă©tant trĂšs peu en contact entre elles, il revient donc aux associations de trouver une cohĂ©rence entre les diffĂ©rents financements dont les buts peuvent ĂȘtre variĂ©s (par exemple soutenir la production artistique, contribuer au dĂ©veloppement territorial, encourager lâĂ©ducation Ă la lecture, dĂ©velopper des activitĂ©s artistiques et culturelles dans des centres sociaux), tout en gardant le cap par rapport Ă leur projet sociopolitique.
Mentionnons cependant que, malgrĂ© un contexte oĂč les appels Ă projets se multiplient et oĂč les financements sont dispersĂ©s entre une diversitĂ© dâacteurs publics, les associations rencontrĂ©es ont soulignĂ© les relations de confiance tissĂ©es depuis plusieurs annĂ©es avec certains financeurs publics, qui leur permettent dâaller nĂ©gocier, Ă la marge, certains financements ou certains projets. La logique de redistribution nâest donc pas toujours descendante pour les associations qui existent depuis plusieurs annĂ©es et qui ont construit une certaine lĂ©gitimitĂ© locale ainsi quâune reconnaissance par les pouvoirs publics de leur contribution au dĂ©veloppement artistique et culturel de leur territoire, voire au-delĂ .
Des recettes marchandes en lien avec les pouvoirs publics et encastrés dans des relations réciprocitaires
Les organisations interviewĂ©es ont peu de recettes marchandes, au sens de financements issus de la vente de prestations, ce qui est en concordance avec leur mission de dĂ©mocratisation culturelle et dâĂ©largissement de lâaccĂšs Ă une programmation culturelle et des services de qualitĂ©.
La part des recettes dites marchandes varie cependant entre les quatre organisations Ă©tudiĂ©es. Les TĂȘtes de lâArt et ZINC montrent un niveau plus Ă©levĂ© dâhybridation des ressources entre ressources publiques et marchandes. Les deux organisations opĂšrent dans un contexte urbain et sont donc soumises Ă un niveau de concurrence plus Ă©levĂ© que les deux associations en milieu rural afin dâobtenir les financements. Mais la majoritĂ© de leurs recettes issues de prestations provient toutefois dâacteurs publics.
Notons que diffĂ©rentes stratĂ©gies sont mises en Ćuvre pour dĂ©ployer la prestation de services. Ă des pĂ©riodes diffĂ©rentes et Ă des degrĂ©s diffĂ©rents, les trois associations concernĂ©es se sont mises Ă distinguer dans leurs budgets les subventions publiques et les recettes des prestations en rĂ©ponse Ă des appels dâoffres. Par exemple, lâune dâelles, enregistrant dans la catĂ©gorie des subventions les fonds perçus par un organisme social, sâest vu demander par le financeur une modification dans lâenregistrement comptable de lâopĂ©ration. Le financeur, pour ce type dâaction a un cadre lĂ©gal qui
dĂ©termine la part de subvention et la part dâachat de prestations de service. Lâassociation a rĂ©pondu favorablement afin non seulement de satisfaire la demande, mais aussi, dans une logique dâaugmentation de leur part dâautofinancement, pour rĂ©pondre aux attentes dâautres financeurs publics. DĂšs lors, il apparaĂźt que la question stratĂ©gique de lâhybridation des ressources financiĂšres trouve aussi une traduction dans un exercice dâĂ©criture comptable concertĂ© avec les partenaires et pas uniquement dans une mĂ©canique de mise Ă distance des partenaires publics au profit de partenaires privĂ©s. Pour conclure, notre Ă©tude rĂ©vĂšle que les « acheteurs », quâils soient publics ou privĂ©s, sâadressent Ă ces associations non seulement pour la qualitĂ© de leurs prestations, mais aussi en raison de leur finalitĂ© sociopolitique et de leur lĂ©gitimitĂ© dans ce champ dâactivitĂ©. Nous considĂ©rons ainsi que, mĂȘme dans le cadre dâune logique de marchĂ©, une grande partie des relations sont encastrĂ©es dans des relations relevant de la logique rĂ©ciprocitaire, dans la mesure oĂč la finalitĂ© sociale poursuivie par ces associations et les relations de confiance construites progressivement avec les diffĂ©rents acteurs jouent un rĂŽle important dans le choix du prestataire. En consĂ©quence, la variable dâajustement entre lâoffre et la demande ne repose pas uniquement sur le prix de la prestation, mais Ă©galement sur dâautres variables relevant de la rĂ©ciprocitĂ©, qui se sont construites dans le temps Ă travers des mises en relations rĂ©currentes permettant des ajustements dans les positions de chacun. Ces variables relĂšvent de lâencastrement social de la relation entre le financeur et lâassociation au-delĂ de la prestation de service. La logique rĂ©ciprocitaire se dĂ©ploie Ă deux niveaux. Le premier est bilatĂ©ral, entre lâassociation et le financeur. Il se matĂ©rialise dans la sollicitation directe du financeur. Par exemple, des financeurs ont sollicitĂ© rĂ©guliĂšrement, en fin dâannĂ©e, aussi bien lâEspace culturel de Chaillol que Art et Culture-la Chouette, pour les informer quâil leur reste du budget et quâil serait souhaitable que lâassociation leur fasse une proposition de prestation. Dans ce cadre, le directeur et la directrice des associations mentionnĂ©es soulignent que ces sollicitations sont le fruit des liens tissĂ©s avec le partenaire. Ils Ă©voquent la nĂ©cessitĂ© de ne pas forcĂ©ment rĂ©pondre affirmativement afin de ne pas avancer sur des engagements difficiles Ă tenir (charge de travail non prĂ©vue, pertinence par rapport au projet associatif, etc.). Ainsi, le directeur de lâEspace culturel de Chaillol dit avoir dĂ©jĂ dĂ©clinĂ© une proposition de ce type du fait du surcroĂźt dâactivitĂ© que celle-ci engendrerait et considĂ©rant que lâĂ©quipe nâaurait pas la capacitĂ© de lâassumer. Or ce refus a Ă©tĂ© entendu positivement par le financeur apprĂ©ciant lâhonnĂȘtetĂ© et la clartĂ© de la relation entretenue.
Le second niveau oĂč se dĂ©ploie la rĂ©ciprocitĂ© est multilatĂ©ral. Par exemple, les associations ont chacune exprimĂ© le fait quâelles obtiennent rĂ©guliĂšrement des informations de la part dâun partenaire financier sur des possibilitĂ©s de financement auprĂšs dâun autre financeur. Il arrive Ă©galement quâun financeur demande Ă ĂȘtre tenu informĂ© de la demande de financement auprĂšs dâautres financeurs afin de pouvoir apporter un soutien Ă leur demande.
Des ressources réciprocitaires en réponse à des stratégies variées : dons, bénévolat et mécénat
Pour ce qui concerne le don, le mĂ©cĂ©nat et le financement participatif, dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale, les ressources mobilisĂ©es restent peu importantes dans le budget des associations Ă©tudiĂ©es, mĂȘme si certaines dâentre elles ont clairement dĂ©veloppĂ© une stratĂ©gie de dĂ©veloppement de ces ressources. Le don et lemĂ©cĂ©nat sâexpriment globalementdans une logique de proximitĂ© et dâattachement Ă lâassociation. Par exemple, aussi bien Art et Cultureâla Chouette que lâEspace culturel de Chaillol ont reçu des dons
numĂ©raires en 2020 de la part dâadhĂ©rents ou de sympathisants qui voulaient signifier Ă travers ce geste leur attachement Ă lâassociation et Ă la culture, dans un contexte difficile. Concernant le financement participatif, les quatre associations sâaccordent sur le fait que ce mode de financement est spĂ©cifique et distinct des autres modes de financement. Il implique des compĂ©tences et des moyens spĂ©cifiques que les associations interviewĂ©es nâont pas, par exemple savoir dĂ©ployer une stratĂ©gie de communication spĂ©cifique, non seulement pour atteindre un large public, mais aussi pour maintenir lâengagement tout au long de la campagne. Une autre compĂ©tence afin de rendre efficace le financement participatif concerne la maĂźtrise des plateformes spĂ©cifiques. La directrice dâArt et Cultureâ la Chouette nous explique par exemple que des stratĂ©gies ont Ă©tĂ© Ă©laborĂ©es Ă plusieurs reprises, dans certains cas mĂȘme avec l'intervention d'experts externes, mais les rĂ©sultats nâont pas Ă©tĂ© pas Ă la hauteur des attentes. Les associationsont pourlâensembleenvisagĂ©,voireessayĂ©,lefinancementparticipatif, maisavecdesrĂ©sultats mitigĂ©s au regard des ressources mobilisĂ©es et des rĂ©sultats attendus ou obtenus
Toutefois, concernant le mĂ©cĂ©nat, lâexpĂ©rience en cours au moment de notre Ă©tude au sein de ZINC de structurer un mĂ©cĂ©nat dâentreprise mĂ©rite dâĂȘtre soulignĂ©e. Lâassociation a lancĂ© un club de mĂ©cĂšnes appelĂ© le « Digital Art Club » en vue de soutenir le dĂ©veloppement de lâart numĂ©rique dans la rĂ©gion et de dĂ©velopper la « stratĂ©gie dâinfluence » de ZINC. Au moment de notre enquĂȘte, le club compte 23 entreprises et leurs apports financiers sâĂ©lĂšvent Ă 9 % du budget de lâassociation. Parmi les entreprises adhĂ©rentes, nous distinguons trois catĂ©gories : les « faiseurs de la ville », ainsi nommĂ©s par une des personnes interrogĂ©es (par exemple des entreprises du BTP ou du secteur de lâĂ©nergie), des entreprises « high tech » et des entreprises du « retail » (commerce de dĂ©tail). Outre leur adhĂ©sion, ZINC sollicite les membres du club pour des projets spĂ©cifiques dans une logique de sponsoring. Le club propose des activitĂ©s trois Ă quatre fois par an, les relations entre les entreprises adhĂ©rentes du club et lâassociation sont trĂšs bonnes. Les entreprises sont ravies par exemple de faire des visites dâexpositions privatives ou dâaller visiter les coulisses des artistes. En Ă©change, elles apportent une aide financiĂšre et une lĂ©gitimitĂ© de la part du monde Ă©conomique, qui contribuent Ă sĂ©curiser le dĂ©veloppement de lâassociation. Cet Ă©change nâest pas formalisĂ©, il repose pleinement sur la logique du don et du contre-don entraĂźnant le renforcement des relations sociales entretenues. Lâassociation offre un accĂšs privilĂ©giĂ© aux Ćuvres et aux artistes permettant aux entreprises de dĂ©couvrir cet univers, les enjeux de la crĂ©ation et de la diffusion artistique et en retour, elles peuvent parler du projet de lâassociation et le soutenir auprĂšs dâautres entreprises. Nous pouvons y voir une dimension de rĂ©ciprocitĂ© dans la mesure oĂč lâoctroi de ressources financiĂšres par le mĂ©cĂ©nat financier est encastrĂ© dans des relations sociales de proximitĂ©, multilatĂ©rales et permettant de dĂ©ployer en commun des activitĂ©s pour soutenir le projet de lâassociation.
Quant aux autres associations, dont la stratĂ©gie de mĂ©cĂ©nat Ă©tait au moment de notre Ă©tude moins dĂ©veloppĂ©e, elles estiment toutefois ĂȘtre reconnues par leurs partenaires pendant les festivals, ou par les commerçants locaux, pour leur rĂŽle central dans le dĂ©veloppement territorial. Ainsi, leur contribution Ă lâĂ©conomie locale, enaugmentant les visiteurs dans un village Ă©loignĂ© de zones urbaines ou en faisant vivre les territoires pendant lâhiver Ă travers diffĂ©rentes activitĂ©s, est reconnue. Le directeur de lâEspace culturel de Chaillol confirme une certaine fidĂ©litĂ© aux commerçants du territoire (par exemple pour lâimpression dâaffiches lors dâĂ©vĂ©nements, lâassociation passe par un imprimeur local avec qui des liens ont Ă©tĂ© tissĂ©s dans le temps). Il considĂšre cette construction de liens de proximitĂ© comme un investissement dans et pour le territoire Et vice-versa, la mĂȘme organisation dĂ©clare ĂȘtre fortement soutenue par les individus et par les petits commerces locaux. Se faire connaĂźtre et ĂȘtre reconnu comme acteur clĂ© du territoire grĂące Ă lâactivitĂ© dĂ©veloppĂ©e sont des points centraux pour toutes les organisations.
Mais dĂšs que les organisations essaient de changer dâĂ©chelle afin de se voir octroyer des montants plus importants, la situation se complique. Si le mĂ©cĂ©nat et le financement par les fondations peuvent ĂȘtre importants pour soutenir les organisations du secteur culturel, notre Ă©tude fait ressortir quâils se concentrent sur des activitĂ©s relevant de lâexcellence artistique et de sa diffusion, quâils soutiennent des producteurs dĂ©jĂ reconnus et des Ćuvres considĂ©rĂ©es a priori comme rentables au dĂ©triment de lâaction culturelle, des droits culturels et de lâĂ©ducation populaire. Les petites associations, trĂšs ancrĂ©es localement, ne participent pas Ă cette dynamique. Les efforts des TĂȘtes de lâArt, qui a fait appel Ă des consultants marketing pour le mĂ©cĂ©nat, et qui a tentĂ© Ă plusieurs reprises de rĂ©pondre aux appels Ă projets venant de fondations, ne se voient pas reconnus au moment de notre enquĂȘte. Si localement le rĂŽle crucial des associations culturelles est bien reconnu par les partenaires institutionnels et par les citoyens, faire financer par des fondations et des mĂ©cĂšnes ce travail de mĂ©diation et de dĂ©mocratisation culturelles sur les territoires demeure difficile. Les associations culturelles de petite taille ont du mal Ă se faire remarquer par les fondations et les mĂ©cĂšnes, en particulier si elles n'ont pas une prĂ©sence forte sur la scĂšne mĂ©diatique ou si elles manquent de rĂ©seaux influents dans le domaine du mĂ©cĂ©nat. De plus les fondations et les mĂ©cĂšnes peuvent avoir des prioritĂ©s spĂ©cifiques en termes de domaines d'intervention ou de types de projets qu'ils souhaitent soutenir. Si les projets proposĂ©s par les associations ne correspondent pas Ă ces attentes, il est probable qu'elles ne reçoivent pas de financement. Enfin le travail de dĂ©mocratisation culturelle sur le territoire reste toujours moins visible que les Ă©vĂ©nements culturels grand public. Par consĂ©quent, les mĂ©cĂšnes ont beaucoup plus de difficultĂ©s Ă comprendre, estimer et financer tout le travail de maillage rĂ©alisĂ© sur le territoire, et ne sont pas toujours conscients de l'impact rĂ©el de ces initiatives sur la communautĂ©. Le cas de ZINC est Ă©clairant aussi. Si lâassociation a fait du mĂ©cĂ©nat un axe de dĂ©veloppement, elle a clairement soulignĂ© la difficultĂ© de changer dâĂ©chelle Ă ce niveau. ZINC se considĂšre comme de trop petite taille pour aller chercher les grands comptes. Câest dâailleurs pour cette raison que lâassociation a dĂ©cidĂ© de crĂ©er le « Digital Art Club » avec des entreprises de taille intermĂ©diaire. Une autre difficultĂ© au dĂ©veloppement du mĂ©cĂ©nat concerne aussi le domaine dâactivitĂ©, les arts numĂ©riques, car les entreprises se tournent plutĂŽt vers dâautres enjeux sociaux ou environnementaux, qui sâintĂšgrent vraisemblablement davantage dans leurs enjeux de responsabilitĂ© sociale des entreprises (RSE)
Quant aux ressources bĂ©nĂ©voles, les quatre associations Ă©tudiĂ©es y recourent de maniĂšre importante. Le bĂ©nĂ©volat relĂšve clairement de la logique rĂ©ciprocitaire, au sein de laquelle les personnes qui participent aux actions cherchent en prioritĂ© Ă donner de leur propre temps Ă un projet auquel ils croient et Ă contribuer Ă la production de bĂ©nĂ©fices sociaux dĂ©coulant de lâaction menĂ©e par lâassociation, sur leur territoire et dans leur communautĂ©. Les bĂ©nĂ©voles en retirent Ă©galement plusieurs bĂ©nĂ©fices, outre le fait de contribuer Ă des projets socialement utiles, en termes de lien social, dâinsertion dans une communautĂ©, voire de dĂ©veloppement de compĂ©tences, sâinscrivant souvent dans une logique de don/contre-don. Par exemple, il arrive rĂ©guliĂšrement que de nouveaux rĂ©sidents se rapprochent de lâassociation culturelle en prĂ©sence Ă la fois pour « se rendre utile » et pour faire des connaissances. Lors dâun festival de danse organisĂ© par Art & Cultureâla Chouette, plusieurs bĂ©nĂ©voles ont pu exprimer leur engagement auprĂšs de lâassociation dans une logique de contre-don que lâon peut rĂ©sumer par les propos de lâun dâentre eux : « Nous avons la chance dâavoir la Chouette, il faut la garder, il faut lâaider et en plus [les salariĂ©es] sâoccupent trĂšs bien nous » Ces propos ont Ă©tĂ© massivement validĂ©s par les autres bĂ©nĂ©voles prĂ©sents. Ce bĂ©nĂ©volat permet en outre la crĂ©ation et le renforcement du lien social entre les groupes ou personnes impliquĂ©s, et non impliquĂ©s, et rend plus visible lâaction de lâorganisation au travers des relations interpersonnelles.
Le bĂ©nĂ©volat sâavĂšre mobilisĂ© de façon trĂšs diffĂ©rente par les associations Ă©tudiĂ©es, mais elles se questionnent toutes en continu la maniĂšre d'activer la communautĂ© autour de l'organisation sans que cela devienne un « modus operandi » associĂ© aux pratiques managĂ©riales. En effet, le risque dâassimiler le bĂ©nĂ©volat Ă une ressource classique est prĂ©sent, mais chaque association, au cours de son dĂ©veloppement, a expĂ©rimentĂ© diverses maniĂšres de mobiliser du bĂ©nĂ©volat, avançant par tĂątonnement entre les besoins de lâassociation et les besoins des bĂ©nĂ©voles, oscillant entre des moments dâĂ©quilibre et de moments de dĂ©sĂ©quilibre entre ces besoins. La relation avec les bĂ©nĂ©voles nâest stabilisĂ©e dans aucune des quatre associations, car rĂ©guliĂšrement rĂ©interrogĂ©e. Ainsi le bĂ©nĂ©volat peut parfois ĂȘtre pris dans une relation Ă sens unique, le bĂ©nĂ©vole devant servir lâassociation. Le risque est de perdre la valeur de la participation citoyenne et de la mobilisation des individus qui se retrouvent autour du projet de lâassociation au profit dâune logique verticale visant une optimisation instrumentale de lâallocation de la ressource. La participation des bĂ©nĂ©voles nâest pas seulement une ressource de plus Ă enregistrer comme un objet comptable. Elle reprĂ©sente le moteur de la participation politique de la citoyennetĂ©, qui se retrouve dans le projet local, dont elle partage les bĂ©nĂ©fices, et qu'elle enrichit de sa propre participation, dans une forme d'Ă©mancipation dĂ©mocratique, strictement territoriale, qui permet la crĂ©ation de liens susceptibles de se dĂ©velopper, par la suite, suivant les autres types de logiques, marchande et redistributive.
Par ailleurs, les quatre associations se distinguent selon la nature du bĂ©nĂ©volat, quâil soit de gestion ou dâaction. Dans le cadre du bĂ©nĂ©volat de gestion, les associations ont des stratĂ©gies diffĂ©rentes. LâEspace culturel de Chaillol a un conseil dâadministration (CA) composĂ© de personnes avec des qualitĂ©s diffĂ©rentes identifiables en trois catĂ©gories : artistique, local, dĂ©veloppement territorial. Cela se traduit par des membres gĂ©ographiquement Ă©clatĂ©s (sur le territoire national), mais avec des expertises Ă croiser. De mĂȘme, le CA de ZINC est composĂ© de diffĂ©rentes parties prenantes. Art et Cultureâla Chouette privilĂ©gie un CA constituĂ© exclusivement de personnes rĂ©sidentes ou travaillant sur le territoire dâintervention. Pour les membres du bureau, elle est attachĂ©e Ă ce quâils aient un engagement social militant. Les TĂȘtes de lâArt privilĂ©gient Ă©galement le fait dâavoir des administrateurs de proximitĂ© avec des compĂ©tences spĂ©cifiques (techniques, relationnelles, politiquesâŠ).
Au niveau du bĂ©nĂ©volat de terrain, une attention semble donnĂ©e Ă la participation aux Ă©vĂ©nements. Dans le cadre dâArt et Cultureâla Chouette qui a un recours important au bĂ©nĂ©volat dâaction (hĂ©bergement dâartistes, montage, accueil, dĂ©montage, etc.), il y a Ă la fois une structuration forte et une volontĂ© de maintien de la libertĂ© du bĂ©nĂ©vole. Si le bĂ©nĂ©volat a pu ĂȘtre perçu Ă lâorigine comme un moyen de diminuer les coĂ»ts financiers, sa structuration est entendue dĂ©sormais comme un vecteur central de lâassociation pour mettre en lien et faire vivre le projet associatif. La structuration est visible par exemple Ă partir de la crĂ©ation de plannings des bĂ©nĂ©voles lors des festivals oĂč sont identifiĂ©s qui doit aller oĂč, quand et pour quoi faire. Cet encadrement du bĂ©nĂ©volat est conçu et perçu comme un moyen de respecter les bĂ©nĂ©voles en leur permettant de participer Ă©galement au festival et de ne pas les Ă©puiser. Aussi, des temps conviviaux sont prĂ©vus qui permettent aux bĂ©nĂ©voles de rencontrer les artistes (lors des Ă©vĂšnements) et dâĂ©changer pour avoir des retours sur le fonctionnement de lâassociation. Il est intĂ©ressant de noter quâaussi bien la directrice que les membres du bureau considĂšrent que lâassociation « doit faire mieux pour dynamiser son bĂ©nĂ©volat », mettant alors lâaccent sur la nĂ©cessitĂ© de toujours interroger la vie bĂ©nĂ©vole.
Pour conclure lâanalyse de lâhybridation des ressources financiĂšres, nous pouvons identifier diffĂ©rentes stratĂ©gies poursuivies par nos quatre associations : une stratĂ©gie de maintien dâun financement
essentiellement public au nom de leur finalitĂ© de dĂ©veloppement du territoire et de dĂ©mocratisation culturelle (Espace culturel de Chaillol), stratĂ©gie que lâon retrouve chez Art et Cultureâla Chouette avec des sources de financement public plus variĂ©es ; une stratĂ©gie visant Ă rĂ©duire la dĂ©pendance vis-Ă -vis des fonds publics en dĂ©veloppant les ressources propres (Les TĂȘtes de lâArt) ; et enfin une politique plus affirmĂ©e que les autres envers le mĂ©cĂ©nat et le partenariat avec les entreprises tout en se rapprochant dâune autre association afin de mutualiser les ressources (ZINC). Des diffĂ©rences ont Ă©galement Ă©tĂ© observĂ©es quant Ă la mobilisation de bĂ©nĂ©voles pour les activitĂ©s menĂ©es, hors administrateurs. Les deux associations en milieu rural font appel Ă de nombreux bĂ©nĂ©voles. Soulignons le fait quâArt et Culture-la Chouette a mis en place une rĂ©elle stratĂ©gie de structuration et dâencadrement des bĂ©nĂ©voles, en particulier pour Ă©viter quâils ne sâĂ©puisent.
4.2. Au-delĂ dâune approche budgĂ©taire des ressources, la rĂ©ciprocitĂ© comme socle du projet collectif
Les ressources rĂ©ciprocitaires, au-delĂ des dons, du mĂ©cĂ©nat ou de la participation de bĂ©nĂ©voles, sont plus difficiles Ă tracer et Ă dĂ©tecter, car elles reposent sur des mĂ©canismes souvent caractĂ©risĂ©s par une moindre formalisation ; elles sont dĂšs lors souvent invisibilisĂ©es et nĂ©gligĂ©es. Or nos observations font clairement ressortir leur rĂŽle central et leur articulation avec les ressources publiques et marchandes pour finaliser des arrangements socio-Ă©conomiques diffĂ©rents et trĂšs spĂ©cifiques Ă chaque groupe dâacteurs et Ă chaque contexte. Plus spĂ©cifiquement, notre recherche a mis en exergue que les relations de rĂ©ciprocitĂ© ont conduit dâune part Ă des rapports aux territoires spĂ©cifiques et renforcĂ©s et, dâautre part, Ă des formes de gouvernance renouvelĂ©es dans un souci de renforcement de la participation dĂ©mocratique.
Des dynamiques de réciprocité dans les territoires, sources de plasticité et de légitimité
Au-delĂ de la mobilisation de ressources volontaires (dons, bĂ©nĂ©volat, mĂ©cĂ©nat), toutes les associations ont montrĂ© un lien trĂšs fort avec le territoire, une grande capacitĂ© Ă participer et Ă intĂ©grer une multiplicitĂ© de dynamiques locales, institutionnelles, culturelles, Ă©conomiques et sociales. La notion de territoire dĂ©signe ici un construit social, issu des interactions entre acteurs hĂ©tĂ©rogĂšnes qui veulent rĂ©soudre des problĂšmes sociaux ou productifs ou se saisir dâopportunitĂ©s dans un contexte spatial dĂ©terminĂ© (Pecqueur, Itçaina, 2012). Le territoire est ainsi un systĂšme complexe socialement construit en articulant des dimensions sociale et spatiale (Lussault, 2007) Le territoire peut donc renvoyer Ă des rĂ©alitĂ©s et Ă des Ă©chelles diffĂ©rentes, en fonction des structures Ă©tudiĂ©es.
De nombreux partenariats sont menĂ©s dans les territoires par les quatre associations Ă©tudiĂ©es. En effet, les associations dĂ©veloppent et sâappuient sur un large rĂ©seau, pour bĂ©nĂ©ficier de toutes les compĂ©tences nĂ©cessaires, mĂȘme si ce travail en rĂ©seau reste difficile. Il sâagit dĂšs lors de dĂ©velopper une logique de maillage territorial, basĂ©e sur un partenariat multiple, plus quâune logique de croissance interne de lâorganisation. En s'appuyant sur un rĂ©seau Ă©tendu, les associations peuvent tirer parti des compĂ©tences, des ressources et des expertises disponibles dans la communautĂ© locale sans avoir Ă les dĂ©velopper en interne. Cela permet d'optimiser l'utilisation des ressources disponibles localement dans une logique de coopĂ©ration plutĂŽt que de concurrence. En effet, ces associations, qui existent depuis
environ 25 ans, ne cherchent pas en prioritĂ© Ă augmenter leur taille (dans une logique de croissance interne), mais Ă tisser des liens au fil du temps et Ă crĂ©er des dynamiques de coopĂ©ration et de confiance entre acteurs afin de dĂ©velopper leurs actions dans les territoires. Ces stratĂ©gies de partenariat et de rĂ©seau contribuant Ă un maillage territorial peuvent ĂȘtre vues comme des stratĂ©gies de changement dâĂ©chelle basĂ©es sur de la coopĂ©ration et non sur des stratĂ©gies plus classiques de croissance interne ou externe (notamment via la fusion entre associations) ou sur de lâessaimage.
Les stratĂ©gies de partenariat ou de rĂ©seau sont nĂ©anmoins diffĂ©rentes selon les associations Ă©tudiĂ©es et se jouent Ă plusieurs Ă©chelles, allant de coopĂ©rations entre communes de territoires ruraux Ă des collaborations dans le cadre de projets europĂ©ens, en passant par des dynamiques de coopĂ©ration rĂ©gionale ou nationale mettant en lumiĂšre la grande plasticitĂ© des associations Ă©tudiĂ©es qui sâadaptent aux acteurs, aux ressources et aux besoins de leurs territoires.
Lâassociation Art et Culture-la Chouette, nâayant pas de lieu dĂ©diĂ©, ses activitĂ©s sont naturellement construites en partenariat avec dâautres structures et organisĂ©es dans diffĂ©rents lieux en itinĂ©rance. Cette prĂ©sence dans diffĂ©rentes petites communes parfois reculĂ©es contribue au tissage de liens dans une dynamique de rĂ©ciprocitĂ©. Mais Art et Cultureâla Chouette anime aussi diffĂ©rents rĂ©seaux, comme celui qui regroupe les bibliothĂšques et mĂ©diathĂšques de la communautĂ© de communes dans laquelle lâassociation est implantĂ©e, ou celui des acteurs culturels du dĂ©partement des Alpes-de-HauteProvence. En appui sur ces lieux et ces Ă©quipes, Art et Cultureâla Chouette coordonne un contrat territoire lecture qui vise Ă animer et dĂ©velopper la lecture publique localement. Mentionnons Ă©galement le REAAP (RĂ©seau d'Ă©coute, d'appui et d'accompagnement des parents) pour lequel lâassociation est rĂ©fĂ©rente. En outre, Art et Cultureâla Chouette a impulsĂ©, au niveau dĂ©partemental, la crĂ©ation dâ un rĂ©seau des acteurs culturels rĂ©unissant artistes et diffuseurs. Lâobjectif du rĂ©seau Ă©tait dans un premier temps, dâinviter les acteurs locaux Ă se rencontrer et Ă s âidentifier. Puis avec lâarrivĂ©e de la pandĂ©mie, il a permis dâorganiser une tournĂ©e Ă lâĂ©tĂ© 2020 pour soutenir la crĂ©ation artistique. Le rĂ©seau a aussi proposĂ©Ì une rĂ©ponse collective Ă un appel Ă projets lancĂ© par la DRAC. Cet exemple illustre comment une dynamique partenariale basĂ©e sur de la rĂ©ciprocitĂ© peut permettre la rĂ©vĂ©lation et la mobilisation de ressources qui existaient potentiellement ou Ă©taient latentes sur le territoire
Le cas de lâEspace culturel de Chaillol sâinscrit Ă©galement dans cette dynamique de renforcement des partenariats sur le territoire. Le label scĂšne conventionnĂ©e « Art en territoire », obtenu en 2019 et attribuĂ© par le ministĂšre de la culture pour quatre ans, reconnaĂźt son action en faveur de la crĂ©ation artistique et sa contribution au dĂ©veloppement de la vie culturelle du territoire. DestinĂ© Ă reconnaĂźtre et distinguer les capacitĂ©s dâinnovation des professionnels et des collectivitĂ©s, le programme dâune « scĂšne conventionnĂ©e dâintĂ©rĂȘt national » sâadresse Ă des lieux pluridisciplinaires de production et de diffusion (théùtres de ville, centres culturels, maisons des jeunes et de la cultureâŠ), exerçant des missions structurantes de soutien Ă la crĂ©ation et Ă la diffusion dans le domaine du spectacle vivant (musique, théùtre, danse, cirque, etc.) ainsi que dâaction culturelle. Lâobjectif est de soutenir des projets allant Ă la rencontre des populations au cĆur des territoires. Cette appellation a ainsi apportĂ© une lĂ©gitimitĂ© supplĂ©mentaire au projet et une sĂ©curitĂ© financiĂšre significative. L'Espace culturel de Chaillol fut lâun des premiers projets Ă recevoir cette appellation. Par ailleurs, il sâagit de la seule scĂšne conventionnĂ©e qui ne soit pas adossĂ©e Ă un Ă©quipement mais Ă un territoire. Ce caractĂšre innovant lui a donc confĂ©rĂ© du crĂ©dit aux yeux de la puissance publique. Le label a Ă©tĂ© obtenu en appui Ă la fois Ă la qualitĂ© de la programmation artistique et Ă lâimplantation territoriale de lâassociation. Cette implantation sâĂ©tablit principalement dans deux contextes. Le premier sâarticule autour des activitĂ©s de mĂ©diation oĂč
lâassociation a créé un rĂ©seau dâacteurs, Ă©coles, EHPAD, foyers de jeunes travailleursâŠ, en lien direct avec des publics spĂ©cifiques afin de dĂ©velopper lâaccĂšs Ă la culture. Le second concerne les acteurs politiques locaux, collectivitĂ©s, conseil dĂ©partemental, services dĂ©concentrĂ©s. Dans ce contexte, lâassociation participe aux discussions sur les orientations culturelles. Elle bĂ©nĂ©ficie dâune lĂ©gitimitĂ© du fait de son expĂ©rience et de son lien avec des acteurs culturels au niveau national comme le ministĂšre de la culture ou le syndicat professionnel.
En milieu urbain, les stratĂ©gies de partenariat sont Ă©galement essentielles, malgrĂ© une concurrence plus forte entre les associations pour lâobtention de financements publics. Ă Marseille, ZINC, dĂšs sa crĂ©ation, sâest installĂ© Ă la friche La Belle de Mai de Marseille, ce qui tĂ©moigne de leur volontĂ© dâinscrire leur projet artistique et culturel dans un projet de dĂ©veloppement urbain, en partenariat avec dâautres structures. Cette dynamique sur la Friche a donnĂ© lieu Ă la crĂ©ation de la sociĂ©tĂ© coopĂ©rative dâintĂ©rĂȘt collectif (SCIC) La Friche La Belle de Mai en 2007 afin de renforcer le projet collectif et la participation active de toutes les parties prenantes dans le projet, y compris les habitants du quartier. Depuis, ZINC sâest progressivement rapprochĂ© dâune autre association, Seconde Nature, situĂ©e Ă Aix-en-Provence, ce qui a permis une coproduction et un dĂ©veloppement des activitĂ©s sur un autre territoire. Le rapprochement opĂ©rĂ©, qui ne va pas jusquâĂ la fusion des deux associations, tĂ©moigne dâune volontĂ© de mutualisation des activitĂ©s et des ressources tout en gardant deux entitĂ©s autonomes juridiquement. Une telle dynamique nous semble originale et permettre, lĂ aussi, une consolidation des projets et le dĂ©veloppement de ressources potentielles ou latentes au sein de logiques rĂ©ciprocitaires. Mentionnons Ă©galement le fait que ZINC est chargĂ© de lâanimation dâun rĂ©seau des arts hybrides et de la culture numĂ©rique et, plus rĂ©cemment, dâun rĂ©seau rĂ©gional des tiers lieux (Sud Tiers-Lieux). Enfin la SCIC Friche La Belle de Mai est aujourdâhui labellisĂ©e par lâĂtat « Fabrique de territoires », ce qui reconnaĂźt son rĂŽle de « tiers-lieux structurants, câest-Ă -dire capables dâaugmenter la capacitĂ© dâaction des autres tiers-lieux de leur territoire1 2». Avec ce label, la Friche, mais aussi plus particuliĂšrement ZINC Ă lâintĂ©rieur de la Friche, contribue Ă dĂ©velopper de nouvelles maniĂšres de « faire ensemble » et Ă accompagner la transition numĂ©rique tout en dĂ©veloppant la mĂ©diation numĂ©rique, dĂ©jĂ au cĆur du projet de ZINC.
Quant aux TĂȘtes de lâArt, leur localisation depuis 2001 au Comptoir de la Victorine reflĂšte aussi leur volontĂ© de participer au dĂ©veloppement de leur territoire dâimplantation. SituĂ©e Ă Saint-Mauront, en bordure du quartier de la Belle de Mai, le Comptoir de la Victorine, aprĂšs des annĂ©es dâabandon, est devenu un lieu dâĂ©ducation populaire, dâinsertion professionnelle, de crĂ©ation et dâactivitĂ©s artistiques. Comme mentionnĂ© par lâadjointe au maire chargĂ©e de lâĂ©ducation populaire, le Comptoir de la Victorine est « un lieu de vie » qui rĂ©pond à « un besoin social » dans un quartier pauvre et plein de contradictions, mais en forte Ă©volution. Le dĂ©veloppement dâune plateforme de mutualisation des ressources Ă destination des associations artistiques pendant plusieurs annĂ©es, puis le dĂ©veloppement depuis dix ans du pĂŽle accompagnement ont Ă©galement renforcĂ© la dynamique de partenariat entre acteurs, non seulement sur le territoire marseillais, mais aussi Ă lâĂ©chelle rĂ©gionale. Lâobjectif est de dĂ©velopper et mutualiser les compĂ©tences des porteurs de projets artistiques et culturels afin de rĂ©pondre aux multiples besoins de ces acteurs et des structures en matiĂšre dâaccompagnement. La proximitĂ© autour dâun lieu et sur un territoire, en lien avec des dynamiques de partenariat et de mutualisation dans le cadre de relations de rĂ©ciprocitĂ© a permis de mobiliser des ressources qui Ă©taient latentes ou potentielles sur le territoire.
1 https://agence-cohesion-territoires.gouv.fr/fabriques-de-territoire-582
Ainsi notre recherche montre que la logique rĂ©ciprocitaire a permis de dĂ©clencher une sĂ©rie de mĂ©canismes de coopĂ©ration plus ou moins informels, qui ont conduit, au fil du temps Ă activer d'autres types de logiques, marchandes ou redistributives, Ă travers la formalisation d'accords contractuels, de rĂ©seaux, de partenariats, de mutualisation de ressources ou de financement avec les autoritĂ©s publiques (notamment via les scĂšnes conventionnĂ©es ou les labels de type « Fabrique de territoire »). Ces liens tissĂ©s dans les territoires sous diverses formes ont non seulement permis de mobiliser dâautres ressources, mais ont Ă©galement contribuĂ© Ă y construire et Ă y renforcer la lĂ©gitimitĂ© des associations auprĂšs dâacteurs publics et privĂ©s. Notre Ă©tude confirme en effet que les associations sont considĂ©rĂ©es comme actrices de la vitalitĂ© dĂ©mocratique dans leurs territoires et comme des lieux dâexpĂ©rimentation et dâinnovation. Par exemple, sur leur site internet, ZINC se prĂ©sente (avec Seconde nature) comme incubateur des imaginaires numĂ©riques. Plus largement, les quatre associations, par leurs dynamiques de partenariat, de mutualisation et de participation dâune multiplicitĂ© dâacteurs, nâont de cesse dâexpĂ©rimenter de nouvelles activitĂ©s, de nouvelles maniĂšres dâaccompagner la crĂ©ation artistique et le dĂ©veloppement culturel, innovant dans les formes de participation et de mobilisation des ressources et participant, par leurs actions, au renouvellement des politiques culturelles.
Ces dynamiques de rĂ©ciprocitĂ© se retrouvent Ă©galement dans des stratĂ©gies mises en place au niveau de la gouvernance des associations. Comme dĂ©jĂ mentionnĂ©, les TĂȘtes de lâArt ont rĂ©ellement dĂ©veloppĂ© une stratĂ©gie de recomposition de leur conseil dâadministration (CA) dâune part pour renforcer ses compĂ©tences et dâautre part pour avoir une part consĂ©quence dâadministrateurs vivant Ă proximitĂ©. On retrouve ce critĂšre de compĂ©tence ou dâexpertise pour le CA de lâEspace culturel de Chaillol et celui de proximitĂ© Ă Art et Cultureâla Chouette, comme mentionnĂ© ci-dessus.
Dans le cas des TĂȘtes de lâArt, outre lâobjectif de renforcer lâancrage local du CA et dâencourager la participation au sein de lâassociation, lâobjectif de cette recomposition Ă©tait aussi de renforcer la participation des membres du CA Ă lâorganisation, en crĂ©ant des liens plus Ă©troits entre les administrateurs bĂ©nĂ©voles et les salariĂ©s, notamment des administrateurs rĂ©fĂ©rents par pĂŽle dâactivitĂ©, afin que les administrateurs puissent apporter leur soutien Ă lâĂ©quipe salariĂ©e. Des sĂ©minaires collectifs sont rĂ©alisĂ©s afin de faire participer lâensemble des parties prenantes Ă la coconstruction des projets, artistes y compris (mĂȘme si cela sâest avĂ©rĂ© plus difficile de les mobiliser). Mentionnons Ă©galement un rĂ©el effort de la part des TĂȘtes de lâArt pour que leur assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale soit dynamique et mobilise un ensemble de partenaires plus large que leurs seuls adhĂ©rents.
Les liens entre administrateurs bĂ©nĂ©voles et salariĂ©s se sont Ă©galement renforcĂ©s chez Art et Cultureâla Chouette, et ce notamment au niveau du bureau. Ainsi, le bureau, et plus particuliĂšrement le prĂ©sident, joue un rĂŽle de contrĂŽle du temps de travail des salariĂ©s. Depuis plus de dix ans, au sein de lâassociation les salariĂ©s doivent comptabiliser de maniĂšre journaliĂšre leur temps de travail. Cette procĂ©dure a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ©e par le bureau dans une logique de soutien des salariĂ©s. Il a Ă©tĂ© constatĂ© en effet que les salariĂ©s effectuaient un nombre dâheures supplĂ©mentaires massif, qui nâĂ©taient pas toujours rĂ©cupĂ©rĂ©es ou rĂ©munĂ©rĂ©es, un fonctionnement allant Ă lâencontre des valeurs associatives sur le respect des individus et conduisant Ă un Ă©puisement professionnel. Ainsi, ce contrĂŽle des heures est perçu comme un moyen de soutenir les salariĂ©s et de les accompagner dans lâactivitĂ© en fournissant au bureau un indicateur pour rĂ©duire ou non le volume dâactivitĂ©. Dans un autre cadre, pour donner de la vie Ă la gouvernance et ne
pas la cantonner Ă des dimensions gestionnaires, lâassociation a mis en place depuis plusieurs annĂ©es une commission de programmation qui se rĂ©unit trois fois par an. Cette commission comprend les deux salariĂ©es programmatrices, le bureau et des adhĂ©rents cooptĂ©s. Il est intĂ©ressant de voir dans cette derniĂšre catĂ©gorie la prĂ©sence dâanciens membres du bureau qui sâen sont retirĂ©s ne se sentant pas compĂ©tents pour les questions gestionnaires et dâadhĂ©rents, mais qui ont un attrait profane et non expert pour lâart et la culture.
Quant Ă ZINC-Seconde Nature, le rapprochement entre les deux associations a conduit Ă une collaboration Ă©troite des instances de gouvernance, qui se traduit notamment par des assemblĂ©es gĂ©nĂ©rales communes, mĂȘme si les conseils dâadministration restent sĂ©parĂ©s, et Ă un budget consolidĂ© pour les deux associations. Ce rapprochement sans fusion reflĂšte une rĂ©elle volontĂ© de collaborer sur diffĂ©rents territoires en mobilisant une diversitĂ© accrue dâacteurs, qui rĂ©vĂšle lâexistence de dynamiques de rĂ©ciprocitĂ© fortes entre ces deux associations. Par ailleurs, ZINC, a dĂ©veloppĂ© une rĂ©elle stratĂ©gie dâĂ©largissement de son conseil dâadministration Ă des profils plus variĂ©s, intĂ©grant ainsi des chefs dâentreprises, des acteurs du secteur culturel, des acteurs de la formation professionnelle et des acteurs du tourisme.
Dans le cas de lâEspace culturel de Chaillol, il est intĂ©ressant de noter lâinitiative rĂ©cente, datant de 2021, de crĂ©er des journĂ©es de rĂ©flexion rĂ©unissant les membres du CA. Du fait de la distance physique entre les membres du CA, les rĂ©unions se rĂ©alisent en visioconfĂ©rence ou en format hybride. Il est clairement identifiĂ© que ce manque de proximitĂ© physique temporaire rĂ©duit la vie conviviale de lâassociation. Ainsi, en crĂ©ant des journĂ©es de rĂ©flexion, Ă lâinitiative du directeur et reprises par le bureau, le but est dâavoir un temps long, une journĂ©e, voire un week-end, dâĂ©change Ă la fois sur des questions gestionnaires, mais aussi sur des questions en lien avec la dimension sociopolitique de lâassociation comme la question des droits culturels.
Des similaritĂ©s dans le fonctionnement de la gouvernance des quatre associations ressortent clairement. La recherche dâune diversification dans la composition du conseil dâadministration, que ce soit sur la base dâun critĂšre de compĂ©tence ou dâexpertise et/ou sur la base dâun critĂšre de proximitĂ© qui est vue comme une façon de visibiliser des liens de rĂ©ciprocitĂ© entre acteurs et dâen faire une ressource pour consolider et dĂ©velopper leur projet associatif. Il y a Ă©galement une recherche partagĂ©e dans la dynamisation des espaces de gouvernance pour en faire des espaces de vie de lâassociation, des espaces de participation et de coconstruction et non des espaces de contrĂŽle et/ou dâenregistrement de lâactivitĂ©. Une troisiĂšme similaritĂ© rĂ©side dans la recherche dâune mise en discussion au sein de ces espaces de la dimension sociopolitique, ce qui est perçu comme une nĂ©cessitĂ© pour faire vivre lâassociation et rĂ©duire le pĂ©ril gestionnaire. La vie de la dimension sociopolitique repose sur la rĂ©ciprocitĂ©.
LâentrĂ©e par lâhybridation, telle que nous la proposons dans une acception large qui dĂ©passe une approche dichotomique des ressources publiques/privĂ©es, nous a permis dâanalyser la spĂ©cificitĂ© des diffĂ©rentes stratĂ©gies mises en place par les associations. Nous avons ainsi pu identifier des choix stratĂ©giques variĂ©s, visant Ă lâĂ©largissement de leurs ressources monĂ©taires mais aussi non monĂ©taires. En effet, les quatre associations qui ont participĂ© Ă cette recherche nous ont montrĂ© que, derriĂšre une mĂȘme action, Ă savoir la recherche de nouveaux financements, des logiques diffĂ©rentes pouvaient ĂȘtre mobilisĂ©es pour mener Ă bien le mĂȘme type d'activitĂ©s et que la logique entrepreneuriale ne devait pas nĂ©cessairement ĂȘtre prĂ©dominante.
Pour rappel, les associations Ă©tudiĂ©es ont Ă©tĂ© sĂ©lectionnĂ©es notamment pour leur finalitĂ© sociale en rĂ©ponse Ă des besoins sociaux insatisfaits (Ă partir dâune conception de la culture comme vecteur de citoyennetĂ© et de dĂ©mocratie) et pour leur ancrage territorial, revendiquĂ© et partagĂ© par les partenaires. Ces dimensions expliquent pourquoi les financements publics constituent une part importante de leurs budgets, malgrĂ© des stratĂ©gies en faveur dâune plus grande hybridation classique des ressources. Ce processus dâhybridation se traduit tout dâabord par une diversification accrue des ressources publiques, qui proviennent dâinstitutions variĂ©es et situĂ©es Ă des Ă©chelles diffĂ©rentes, allant jusquâĂ lâĂ©chelon europĂ©en pour certaines associations. Cette multiplication des sources de financement public est vĂ©cue, sans surprise par rapport Ă ce que nous enseigne la littĂ©rature (Bucolo et al., 2019; Fraisse, 2018), comme une source dâincertitude quant Ă la pĂ©rennisation du projet et comme un alourdissement des tĂąches administratives. Les associations Ă©tudiĂ©es, qui existent depuis plus dâune vingtaine dâannĂ©es, ont toutefois soulignĂ© lâimportance des relations de confiance construites avec certains acteurs publics et la reconnaissance par ces derniers de leur contribution au dĂ©veloppement artistique et culturel dans leurs territoires. Ces relations, basĂ©es sur une logique rĂ©ciprocitaire, se sont dâailleurs rĂ©vĂ©lĂ©es essentielles durant la crise sanitaire.
Pour certaines associations, le processus dâhybridation se fait Ă©galement Ă partir dâune diversification des activitĂ©s qui entraĂźne un dĂ©veloppement des ressources issues de la prestation de services et/ou des ressources venant du mĂ©cĂ©nat. Cette hybridation vers des ressources privĂ©es a toutefois montrĂ© certaines limites durant la crise sanitaire, en particulier pour les associations qui dĂ©pendaient des recettes venant de la prestation de services ou dâactivitĂ©s ouvertes au public. Sans les aides publiques durant la crise sanitaire, ces associations n'auraient sans doute pas survĂ©cu.
Cependant, alors que la littĂ©rature actuelle se concentre sur la question de la perte d'identitĂ© organisationnelle qui conduit les associations Ă devenir « business-minded », avec lâaugmentation de la part des ressources marchandes dans les budgets associatifs, ce travail met en exergue la possibilitĂ© d'une hybridation des ressources qui permette le maintien de la mission principale de l'organisation, celle de contribuer Ă la dĂ©mocratisation culturelle, vĂ©cue de diffĂ©rentes maniĂšres par les organisations interrogĂ©es (certaines Ă travers la fourniture de services culturels directs, d'autres en tant que soutien aux travailleurs et aux organisations du secteur, certaines en intervenant dans les quartiers dĂ©favorisĂ©s, d'autres dans les zones rurales).
Par ailleurs, cette approche nous a permis de reconstruire le parcours des organisations Ă©tudiĂ©es, en esquissant une analyse de leur histoire dans le temps. Nous avons tentĂ© de relire les choix opĂ©rĂ©s par les associations sous un angle diffĂ©rent, c'est-Ă -dire en intĂ©grant la rĂ©ciprocitĂ© lĂ oĂč elle restait invisible, dans leur parcours et dans leur maniĂšre de dĂ©velopper l'imbrication des diffĂ©rentes formes de ressources mobilisĂ©es. Ce travail met ainsi en lumiĂšre Ă la fois la centralitĂ© de la logique rĂ©ciprocitaire et la forte interconnexion des logiques marchandes, non marchandes et rĂ©ciprocitaires, qui permettent le dĂ©veloppement ou la survie du projet associatif, pour et avec les citoyens.
Ainsi, la logique de rĂ©ciprocitĂ©, si on ne la limite pas Ă la mobilisation de dons et du bĂ©nĂ©volat, participe au maintien du projet collectif au fil du temps. La fonction sociopolitique de contribution Ă la dĂ©mocratisation culturelle de ces associations demeure en effet centrale. MalgrĂ© la diversification des activitĂ©s et des financements, nous nâavons pas observĂ© dâĂ©loignement de leur mission (mission drift). Au contraire, la valorisation de leur contribution Ă lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et leur fonction sociopolitique constitue clairement pour elles une stratĂ©gie afin de consolider leur reconnaissance et leur lĂ©gitimitĂ© auprĂšs de leurs publics, mais aussi auprĂšs de leurs partenaires
Ce travail a donc rĂ©vĂ©lĂ© Ă la fois la centralitĂ© de la logique rĂ©ciprocitaire et la forte interconnexion des logiques marchandes, redistributives et rĂ©ciprocitaires, qui ont permis Ă ces associations dâadopter des choix stratĂ©giques en matiĂšre de gouvernance et de maillage territorial afin de se dĂ©velopper et de garder le cap de leur mission, malgrĂ© les difficultĂ©s rencontrĂ©es tout au long de leur histoire. Un premier choix a concernĂ© leur gouvernance et plus prĂ©cisĂ©ment, une rĂ©flexion sur le conseil dâadministration, Ă la fois sur son Ă©largissement Ă une plus grande diversitĂ© de parties prenantes et sur son rĂŽle de soutien Ă lâĂ©quipe salariĂ©e. Ces Ă©volutions de la gouvernance ont pris appui sur des logiques relevant de la rĂ©ciprocitĂ©, basĂ©es sur lâadhĂ©sion au projet, lâengagement militant, la proximitĂ© des acteurs, la mutualisation des compĂ©tences et le renforcement des dynamiques participatives, que ce soit entre administrateurs et salariĂ©s ou entre diffĂ©rentes parties prenantes (par exemple en encourageant la participation des artistes). Une deuxiĂšme modalitĂ© stratĂ©gique repose sur le renforcement du maillage territorial. Les quatre associations ont tissĂ© des liens sur leurs territoires, dessinant comme une forme de rĂ©appropriation du territoire par les acteurs locaux, Ă partir dâune mutualisation de ressources, dĂ©passant les logiques du marchĂ©Ì et de la redistribution et s'appuyant sur la rĂ©ciprocitĂ© et la confiance entre acteurs dâun mĂȘme territoire.
Notre recherche contribue ainsi Ă rĂ©habiliter la notion de rĂ©ciprocitĂ© dans le concept dâhybriditĂ© des ressources et Ă rĂ©affirmer le rĂŽle des collectifs pour crĂ©er et entretenir des dynamiques de rĂ©ciprocitĂ©. La rĂ©ciprocitĂ© est souvent apprĂ©hendĂ©e comme secondaire dans lâhybriditĂ©, comme moins centrale que la redistribution et le marchĂ©. Cela provient de deux caractĂ©ristiques : la limitation de la rĂ©ciprocitĂ© au bĂ©nĂ©volat et aux dons et son invisibilitĂ© comparative. Le couplage exclusif rĂ©ciprocitĂ©/bĂ©nĂ©volat tend Ă circonscrire lâampleur de la rĂ©ciprocitĂ©. Si le lien entre les deux est pertinent dans une visĂ©e comptable afin de rendre compte de cette ressource Ă partir des comptes « emploi des contributions en nature » et « contributions volontaires par catĂ©gorie », il est trop limitatif pour exposer la rĂ©ciprocitĂ© dans son entiĂšretĂ©. Cette entiĂšretĂ© est liĂ©e Ă la seconde caractĂ©ristique, la forte invisibilitĂ© de la rĂ©ciprocitĂ©. Les ressources marchandes et publiques sont, pour leur part, fortement visibles, car elles donnent Ă voir des flux financiers ce qui nâest pas le cas de la rĂ©ciprocitĂ© qui, par dĂ©finition, nâest pas caractĂ©risĂ©e par des flux de cette nature et qui est donc moins visible. Dans un environnement institutionnel qui met lâaccent sur la quantification des rapports dâĂ©change, la rĂ©ciprocitĂ© est relĂ©guĂ©e Ă la pĂ©riphĂ©rie. Or notre analyse met en exergue sa centralitĂ© tant comme socle du projet collectif (rappelant lâimpulsion rĂ©ciprocitaire Ă
la crĂ©ation dâune association) que comme maniĂšre dâencastrer les ressources marchandes et publiques mobilisĂ©es dans ce projet collectif.
Un second apport de la recherche porte sur lâidentification de la dimension multilatĂ©rale de la rĂ©ciprocitĂ©. Il met en Ă©vidence la complexitĂ© de la rĂ©ciprocitĂ© allant au-delĂ de la notion de bĂ©nĂ©volat. Notre Ă©tude a montrĂ© lâimportance des liens sociaux multiples construits par les associations analysĂ©es. Ces liens permettent de saisir des ressources potentielles ou latentes, monĂ©taires ou non monĂ©taires, et ce directement ou indirectement. Les ressources potentielles ou latentes sont des ressources non mobilisĂ©es par lâassociation, mais mobilisables grĂące Ă lâengagement au sein de lâassociation ou en lien avec lâassociation. La diffĂ©rence entre lâaccĂšs indirect ou direct Ă une ressource se fait Ă partir de lâexistence ou non dâun intermĂ©diaire. Dans lâĂ©tude, nous avons pu mettre en lumiĂšre que les multiples rĂ©seaux auxquels lâassociation participe ou qu'elle tisse lui permettent dâaccĂ©der Ă des ressources diverses : accĂšs Ă des services, comme lâhĂ©bergement gratuit dâartistes par des spectateurs, lâaide Ă lâinstallation de scĂšnes, etc. ; mais aussi Ă des financements publics avec par exemple des financeurs qui ont sollicitĂ© en urgence les associations, car la crise sanitaire avait perturbĂ© les fonctionnements administratifs alors que des enveloppes budgĂ©taires Ă©taient encore disponibles. Ainsi, la logique de rĂ©ciprocitĂ© contribue Ă maintenir le sens du projet collectif dans la recherche de diffĂ©rentes sources de financement et dans la diversification des activitĂ©s.
Il y a lĂ un enjeu tant pour la recherche que pour le monde associatif. CaractĂ©riser les formes que peut prendre la rĂ©ciprocitĂ© est Ă la fois une question de recherche et un enjeu stratĂ©gique pour les associations. Lâidentification de la place de la rĂ©ciprocitĂ© dans les organisations, au-delĂ de la seule prise en compte des dons et du bĂ©nĂ©volat, permet de mieux comprendre comment les diffĂ©rentes ressources sâarticulent et interagissent pour potentiellement procĂ©der Ă des ajustements stratĂ©giques. Le caractĂšre peu visible de la rĂ©ciprocitĂ©, Ă la fois dans ses dimensions intrinsĂšques et par le fonctionnement du champ institutionnel, fait que les acteurs associatifs peuvent eux-mĂȘmes lâinvisibiliser.
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Décembre 2024
INJEPR-2024/19
Dans un contexte marquĂ© par des transformations profondes de lâenvironnement Ă©conomique et institutionnel, de nombreuses associations rĂ©interrogent leur modĂšle socioĂ©conomique et expĂ©rimentent de nouvelles formes de mobilisation de ressources, pas uniquement financiĂšres. Dans cette perspective, cette Ă©tude, financĂ©e par lâInstitut français du monde associatif (IFMA) dans le cadre dâun appel Ă projets sur « le monde associatif Ă la lumiĂšre de la crise COVID-19 » soutenu par lâINJEP, examine de plus prĂšs les rĂ©flexions, solutions et pratiques dâhybridation des ressources mises en Ćuvre par les associations artistiques et culturelles pour assurer leur pĂ©rennitĂ©.
Par hybridation, nous entendons le fait dâarticuler et dâagencer des ressources de nature diffĂ©rente. Lâhybridation des ressources, encouragĂ©e par les pouvoirs publics depuis quelques dĂ©cennies comme une solution Ă la diminution des financements publics nâest toutefois pas sans risques pour les associations. MalgrĂ© des stratĂ©gies trĂšs variĂ©es de la part des associations, la diversitĂ© des financements, qui permet de maintenir des activitĂ©s, de se dĂ©velopper et dâinnover, interroge nĂ©anmoins le maintien du projet initial et des valeurs caractĂ©risant lâassociation. Câest pourquoi, au-delĂ de la situation dâurgence et des problĂšmes de trĂ©sorerie Ă court terme causĂ©s par la crise sanitaire en 2020, ce travail Ă©tudie plus largement les stratĂ©gies mises en Ćuvre par ces associations pour faire face aux transformations de ce secteur.


Notre question de recherche est dĂšs lors la suivante : comment se construisent et se transforment les modalitĂ©s dâhybridation des ressources au sein des associations artistiques et culturelles ? Pour y rĂ©pondre, des Ă©tudes de cas approfondies ont Ă©tĂ© menĂ©es auprĂšs de quatre associations artistiques et culturelles, dans le cadre dâune mĂ©thodologie qualitative et partenariale. Ce travail a permis de mettre en Ă©vidence la diversitĂ© des stratĂ©gies dâhybridation identifiĂ©es tout en soulignant le rĂŽle central des relations de rĂ©ciprocitĂ© dans le maintien du projet collectif ainsi que dans la mobilisation et la diversification des ressources des associations. ISSN : 2727-6465

Institut national de la jeunesse et de lâĂ©ducation populaire (INJEP) , service Ă compĂ©tence nationale Direction de la jeunesse, de lâĂ©ducation populaire et de la vie associative (DJEPVA) MinistĂšre des