Rapport 2024 INJEPR & IFMA- Hybridation des ressources

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INJEP NOTES & RAPPORTS

Décembre 2024

INJEPR-2024/19

Faire face aux difficultés de financement dans les associations artistiques et culturelles

Quelles stratĂ©gies d’hybridation des ressources ?

AUSOUTIEN À LA RECHERCHE

Giorgia TRASCIANI, professeure junior en sciences de gestion

Julien MAISONNASSE, maßtre de conférences en sciences de gestion

Francesca PETRELLA, professeure en sciences économiques

UniversitĂ© d’Aix-Marseille, LEST (UMR 7317)

Ce rapport a bénéficié du soutien financier de l'INJEP. Il engage la seule responsabilité de ses auteurs et/ou autrices.

Faire face aux difficultĂ©s de financement dans les associations artistiques et culturelles : quelles stratĂ©gies d’hybridation des ressources ?

Trasciani, Julien Maisonnasse et Francesca Petrella

Giorgia

Pour citer ce document

TRASCIANI, G., MAISONNASSE J., PETRELLA F., 2024, Faire face aux difficultĂ©s de financement dans les associations artistiques et culturelles : quelles stratĂ©gies d’hybridation des ressources ?, INJEP Notes & rapports.

2.1.

2.2.

4.1. Une hybridation des ressources réelle mais qui répond à des stratégies différentes selon les

Des recettes marchandes en lien avec les pouvoirs publics et encastrées dans des relations réciprocitaires

Des ressources réciprocitaires en réponse à des stratégies variées : dons, bénévolat et mécénat

4.2. Au-delĂ  d’une approche budgĂ©taire des ressources, la rĂ©ciprocitĂ© comme socle du projet

Des dynamiques de réciprocité sur les territoires source de plasticité et de légitimité 48

Des dynamiques de rĂ©ciprocitĂ© au cƓur de la fabrique de la gouvernance des associations 51

CONCLUSIONS : QUELLES STRATÉGIES ASSOCIATIVES EN TERMES

SYNTHÈSE

Dans un contexte marquĂ© par des mutations profondes de l’environnement institutionnel et Ă©conomique, de nombreuses associations, en particulier dans le champ artistique et culturel, se sentent fortement fragilisĂ©es, fragilitĂ©s que la crise sanitaire a rĂ©vĂ©lĂ©es voire exacerbĂ©es (ChataignĂ© et al., 2020 ; Le Mouvement associatif, 2021 ; Labo de l’ESS, 2020)

Les associations ont ainsi le sentiment de faire face, malgrĂ© des besoins croissants, Ă  une diminution de leurs ressources financiĂšres (Greffe, Pflieger, 2015), couplĂ©e Ă  des modalitĂ©s d’obtention de plus en plus basĂ©es sur des instruments fondĂ©s sur le marchĂ©, tels que des appels Ă  projets qui renforcent par ailleurs la mise en concurrence entre structures. De plus, une rhĂ©torique de l’excellence dans le secteur artistique et culturel a Ă©tĂ© entamĂ©e, avec un financement basĂ© sur deux dimensions d’évaluation, l’une rattachĂ©e exclusivement Ă  des indicateurs d’évaluation quantitatifs, par exemple la frĂ©quentation fondĂ©e sur l’élargissement de la demande, l’autre sur la valeur artistique de l’offre, selon des critĂšres peu explicites, laissĂ©e aux mains d’un comitĂ© d’experts (Langeard et al., 2014)

Dans ce contexte trĂšs incertain, plusieurs associations rĂ©interrogent leur modĂšle socio-Ă©conomique et expĂ©rimentent de nouvelles formes de mobilisation de ressources, pas uniquement financiĂšres. Ce sont ces nouvelles pratiques que notre Ă©tude, financĂ©e par l’Institut français du monde associatif (IFMA) dans le cadre d’un appel Ă  projets sur « le monde associatif Ă  la lumiĂšre de la crise COVID-19 » soutenu par l’INJEP, se propose d’examiner, en regardant de plus prĂšs les rĂ©flexions, solutions et pratiques mises en Ɠuvre par les associations artistiques et culturelles au niveau de leur modĂšle socio-Ă©conomique pour assurer leur pĂ©rennitĂ©. Au-delĂ  d’une situation d’urgence et des problĂšmes de trĂ©sorerie Ă  court terme causĂ©s par la crise sanitaire en 2020, dont les effets Ă  moyen et Ă  long terme n’étaient pas encore connus au moment de notre travail, il s’agit plus largement d’étudier les stratĂ©gies mises en Ɠuvre par ces associations pour faire face aux transformations de ce secteur. Notre question de recherche est dĂšs lors la suivante : comment se construisent et se transforment les modalitĂ©s d’hybridation des ressources au sein des associations artistiques et culturelles ? Nous entendons l’hybridation comme un processus visant Ă  articuler et agencer des ressources de natures diffĂ©rentes

Dans ce travail, nous centrons notre analyse sur l’hybridation des ressources et ses tensions ou contradictions. PrĂŽnĂ©e depuis quelques dĂ©cennies (Tchernonog, 2018), celle-ci est prĂ©sentĂ©e comme une solution Ă  la diminution des financements publics, mais n’est pas, comme le fait ressortir notre recherche, sans risques pour les associations.

AprĂšs avoir donnĂ© un aperçu des grandes orientations de politiques publiques dans le secteur culturel et artistique, et analysĂ© la maniĂšre dont le concept d’hybridation est dĂ©fini dans la littĂ©rature, nous identifions les diffĂ©rentes stratĂ©gies mises en place par les associations de ce secteur ainsi que les risques qui y sont associĂ©s. Notre problĂ©matique est d’examiner jusqu’oĂč et sous quelles formes l’hybridation des ressources permet aux associations de consolider et de pĂ©renniser leur structure, en cohĂ©rence avec leur projet associatif. Nous concluons enfin sur la diversitĂ© des stratĂ©gies d’hybridation identifiĂ©es tout en soulignant le rĂŽle central des relations de rĂ©ciprocitĂ© dans la mobilisation et la diversification des ressources des associations.

Le contexte de la recherche : l’ESS, un acteur central dans le champ artistique et culturel

La politique culturelle française se caractérise par une politique volontariste et centralisée, menée par le ministÚre de la culture depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (Négrier, 2017). Au cours des vingt derniÚres années, trois dynamiques ont contribué à questionner et à influencer cette politique : la décentralisation qui a entraßné un morcellement des sources de financement entre les différentes collectivités territoriales ; un renforcement de la demande de démocratie culturelle qui a remis en cause une conception élitiste de la politique culturelle ; la transformation des modes de financement qui, couplée à un désengagement financier, a transformé les pratiques des acteurs et imposé progressivement de nouveaux modes de fonctionnement. Ce triple mouvement, que l'on peut observer dans d'autres pays européens, s'est accompagné de la montée en puissance du secteur privé, lucratif ou non, dans l'offre culturelle.

Plus rĂ©cemment, la crise pandĂ©mique a rĂ©vĂ©lĂ© et exacerbĂ© des fragilitĂ©s du milieu des arts et de la culture, quelquefois prĂ©existantes. Elle a ainsi fait ressortir des lacunes dans la protection sociale des artistes et professionnels qui sont au cƓur des industries culturelles et crĂ©atives, et mis Ă©galement en lumiĂšre les contradictions Ă©conomiques qui traversent le systĂšme de financement du secteur artistique et culturel

Au sein de ce secteur, l’économie sociale et solidaire (ESS) joue un rĂŽle majeur. Outre le fait qu'elle reprĂ©sente un quart des effectifs salariĂ©s, l’ESS prĂ©sente de profondes affinitĂ©s de principe avec le secteur culturel. Si la culture est « au cƓur de la cohĂ©sion sociale », comme le souligne le ministĂšre de la culture (2020 ; Labo de l’ESS, 2018), elle relĂšve aussi une « identitĂ© des fins poursuivies », comme concourir Ă  l’émancipation des personnes, nourrir la dĂ©mocratie et porter l’attention aux nouveaux enjeux de sociĂ©tĂ©. GrĂące Ă  leurs capacitĂ©s de garantir une gestion collaborative des projets des Ă©tablissements, d’ancrer l’action dans son territoire et de garantir les droits culturels et le vivre ensemble (Le Labo de l’ESS, 2018), les organisations de l’ESS sont fortement soutenues par les financements publics qui reprĂ©sentent en moyenne 41 % de leur budget (Demoustier et al., 2020)

L’organisation internationale du travail (OIT) considĂšre que l’ESS est un acteur central du dĂ©veloppement territorial par le biais de l'activitĂ© culturelle qu’elle peut porter, soulignant que la pandĂ©mie mondiale a dĂ©montrĂ© le rĂŽle clĂ© que le secteur culturel et crĂ©atif peut jouer en temps de crise. Elle distingue ainsi trois volets illustrant cet aspect (International Labor Organization, 2021). D’une part, les organisations de l’ESS peuvent favoriser l'inclusion et l'harmonie sociĂ©tale, par la connaissance, l'Ă©ducation et la sensibilisation culturelle. Elles peuvent, d’autre part, renforcer l'autonomie des personnes et orienter l'innovation et la crĂ©ativitĂ©. Enfin elles sont aussi des actrices Ă©conomiques, qui peuvent tirer profit de leurs liens avec le territoire et avec les communautĂ©s, en assurant leur pleine contribution Ă  l'Ă©conomie locale et aux investissements dans les infrastructures et les services. L’OCDE (2022) souligne aussi le rĂŽle jouĂ© par les acteurs du secteur de la crĂ©ativitĂ© et l’opportunitĂ© de dĂ©velopper un secteur culturel soutenable, qui peut contribuer Ă  un dĂ©veloppement local et rĂ©gional qui soutient les transitions Ă©cologiques et sociales. Elle montre comment une vie culturelle dĂ©veloppĂ©e peut accroĂźtre considĂ©rablement l'attrait des destinations et l'interaction avec les visiteurs, et comment de nouveaux modĂšles de tourisme crĂ©atif peuvent apporter une valeur ajoutĂ©e considĂ©rable, accroĂźtre la demande touristique et diversifier l'offre touristique.

En tant qu'espace d'expression dĂ©mocratique, et Ă  travers sa quĂȘte de transformation sociale (inclusion sociale, dĂ©mocratisation de l'accĂšs Ă  la culture ), l’ESS peut reprĂ©senter une forme d'action politique en faveur d’une sociĂ©tĂ© plus solidaire et dĂ©mocratique (Gibson-Graham, 2008). La densitĂ© de la vie associative constitue en effet un facteur clĂ© dans le renforcement de la citoyennetĂ© auquel contribuent les associations en tant qu’espaces privilĂ©giĂ©s de production de rĂ©seaux horizontaux de rĂ©ciprocitĂ© et de confiance entre les individus – le capital social – c’est-Ă -dire d’échanges interpersonnels formels et informels non hiĂ©rarchisĂ©s (Putnam, 2000)

Ces donnĂ©es mettent ainsi clairement en lumiĂšre le rĂŽle central des organisations de l’ESS dans les activitĂ©s artistiques et culturelles, Ă  la fois d’un point de vue Ă©conomique, l’ESS Ă©tant un acteur majeur en nombre d’emplois et d’établissements et source d’innovation et de crĂ©ativitĂ©, mais aussi d’un point de vue sociopolitique, en tant qu’acteur-clĂ© pour la dĂ©mocratisation culturelle, la citoyennetĂ© et la cohĂ©sion sociale.

Le cadre conceptuel :l’hybridationdesressources dans sa complexitĂ©

Pour aborder l’analyse de l’hybridation des ressources et de son Ă©volution, il nous semble tout d’abord essentiel de la replacer dans le contexte plus large de la transformation de l’action publique et, plus prĂ©cisĂ©ment, des transformations des modalitĂ©s de financement des associations. Depuis le dĂ©but des annĂ©es 1970, une profonde modification des structures et des fondements idĂ©ologiques de l'Étatprovidence a eu lieu dans la plupart des pays europĂ©ens, conduisant progressivement Ă  en redĂ©finir les modalitĂ©s d’intervention. Comme dans d’autres pays europĂ©ens, le tournant libĂ©ral en France ne s’est pas caractĂ©risĂ© par un retrait brutal de l'État de la sphĂšre sociale (comme aux États-Unis), mais plutĂŽt par un changement des mĂ©canismes de base de financement, notamment en rĂ©duisant les subventions directement octroyĂ©es aux prestataires au profit de formes de mise en concurrence pour les financements publics et de financements par projet (Laville, Nyssens, 2001). Le recours croissant au marchĂ© et Ă  des mĂ©canismes de marchĂ© afin de rĂ©partir les fonds publics a Ă©tĂ© dĂ©fini comme l'une des façons les plus significatives et les plus controversĂ©es de transformer les États sociaux (Gilbert, 2002)

Ces Ă©volutions dans les modalitĂ©s d’action publique ont modifiĂ© en profondeur la nature des financements publics et ont encouragĂ© la diversification des ressources des associations. Ainsi, la diminution de 34 % Ă  20 %, entre 2005 et 2020, du volume de subventions publiques dans le budget des associations a parallĂšlement entraĂźnĂ© une augmentation du nombre de contrats signĂ©s avec les autoritĂ©s publiques (c'est-Ă -dire des commandes publiques), de 17 % Ă  29 % sur la mĂȘme pĂ©riode (Tchernonog, Prouteau, 2023). Ce faisant, les associations sont soumises Ă  une pression croissante pour devenir plus « business-minded », c’est-Ă -dire pour se comporter selon les normes des entreprises dites « classiques », et atteindre un certain Ă©quilibre Ă©conomique (Rodriguez, 2016). Ces Ă©volutions conduisent Ă  une modification en profondeur des modĂšles socio-Ă©conomiques des associations que nous proposons de caractĂ©riser en mobilisant la littĂ©rature rĂ©cente.

Dans ce contexte, nous repartons des travaux ayant caractĂ©risĂ© les modĂšles socio-Ă©conomiques des associations. En effet, si d’un cĂŽtĂ© une partie des travaux adoptent une vision opposant les ressources provenant du marchĂ© Ă  celles de l'État, une autre partie de la littĂ©rature remet spĂ©cifiquement en question cette dichotomie des ressources afin d'introduire et de souligner la centralitĂ©, dans les associations, de la logique d'Ă©change de la rĂ©ciprocitĂ©. Cet ensemble de travaux, qui cherche Ă  mieux

prendre en compte l’hybridation des ressources, prend appui sur la grille d’analyse de Karl Polanyi (1983) Nous complĂ©tons cette revue de littĂ©rature sur l’hybridation des ressources par des travaux portant sur les organisations hybrides, elles-mĂȘmes, considĂ©rĂ©es ainsi, car traversĂ©es par des logiques institutionnelles diffĂ©rentes, parfois contradictoires (Battilana, Dorado, 2010 ; Pache, Santos, 2013)

L’hybridation des ressources n’est toutefois pas sans risques et peut conduire certaines associations Ă  l’éloignement de leurs missions

Si l’ouverture croissante des associations Ă  des ressources privĂ©es et la mobilisation accrue de nouveaux instruments de politique publique dans le cadre de relations toujours plus concurrentielles sont Ă©tudiĂ©es, ce travail dĂ©passe une simple approche de leurs ressources financiĂšres, d’une part, en y intĂ©grant aussi celles de nature plus immatĂ©rielle et en repositionnant, d’autre part, la question de l’hybridation dans l’écosystĂšme de l’organisation (partenarial, sectoriel et territorial). Les stratĂ©gies mises en Ɠuvre par les associations en regard de leur gouvernance et des formes de coopĂ©ration engendrĂ©es sur les territoires sont Ă©galement prises en compte : deux dimensions qui peuvent exercer une influence non nĂ©gligeable sur leurs modĂšles socio-Ă©conomiques.

UNE MÉTHODOLOGIE QUALITATIVE ET PARTENARIALE

Ce travail repose sur une mĂ©thodologie de recherche partenariale participative, qui mobilise des modalitĂ©s de recherche impliquant une articulation forte avec un milieu de pratique Dans ce cadre, les acteurs ont Ă©tĂ© associĂ©s aux diffĂ©rentes Ă©tapes de la recherche : participation Ă  la dĂ©finition du projet, Ă  la validation de la mĂ©thodologie, Ă  la construction de la grille d’entretien, Ă©changes croisĂ©s au-delĂ  de leur situation singuliĂšre, mobilisation des acteurs avec lesquels ils travaillent, mise en discussion des rĂ©sultats de la recherche (ces diffĂ©rents points ayant Ă©tĂ© validĂ©s par les partenaires). La recherche est rĂ©alisĂ©e Ă  partir de quatre Ă©tudes de cas approfondies dans la rĂ©gion sud (deux en milieu rural, deux en milieu urbain). De petite taille (voire de trĂšs petite taille) et avec des durĂ©es d’existence similaires, les associations artistiques et culturelles Ă©tudiĂ©es ont notamment Ă©tĂ© sĂ©lectionnĂ©es pour leur finalitĂ© sociale et leur ancrage territorial. L’analyse se fonde sur prĂšs de vingt entretiens semi-directifs individuels auprĂšs de salariĂ©s, de bĂ©nĂ©voles ou d’acteurs institutionnels, ainsi que sur l’observation des acteurs du terrain (Ă©vĂšnements artistiques, conseil d’administration, assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale, groupe de travail collectif) Elle est complĂ©tĂ©e par une analyse documentaire concernant les associations Ă©tudiĂ©es.

Quelle

hybridation des ressources ? Entre stratégies communes et spécificités

L’entrĂ©e par l’hybridation, telle que nous la proposons dans une acception large qui dĂ©passe une approche dichotomique des ressources publiques/privĂ©es, nous a permis d’analyser la spĂ©cificitĂ© des diffĂ©rentes stratĂ©gies mises en place par les associations. Nous avons ainsi pu identifier des choix stratĂ©giques variĂ©s quant Ă  l’élargissement de leurs ressources monĂ©taires, mais aussi non monĂ©taires. En effet, les quatre associations qui ont participĂ© Ă  cette recherche nous ont montrĂ© que, derriĂšre une mĂȘme action, Ă  savoir la recherche de nouveaux financements, des logiques diffĂ©rentes pouvaient ĂȘtre mobilisĂ©es pour mener Ă  bien le mĂȘme type d'activitĂ©, et que la logique entrepreneuriale ne devait pas nĂ©cessairement ĂȘtre prĂ©dominante.

MalgrĂ© l’adoption de stratĂ©gies en faveur d’une plus grande hybridation des ressources, les financements publics constituent une part importante de leurs budgets, en lien avec leur finalitĂ© sociale et leur ancrage territorial. Ce processus d’hybridation se traduit tout d’abord par une diversification accrue des ressources publiques, qui proviennent d’institutions variĂ©es et Ă  des Ă©chelles diffĂ©rentes, allant jusqu’à l’échelon europĂ©en pour certaines associations. De plus, la multiplication des instruments de contractualisation (contrats, appels Ă  projets, marchĂ©s publics) oblige les associations Ă  dĂ©dier beaucoup de temps aux questions administratives parfois au dĂ©triment de l’action, tout en augmentant la concurrence entre associations au sein d’un mĂȘme champ. Cette multiplication des sources et des modalitĂ©s de financement public, qui plus est de courte durĂ©e dans la plupart des cas, est vĂ©cue, sans surprise par rapport Ă  ce que nous enseigne la littĂ©rature (Bucolo et al., 2019 ; Fraisse, 2018), comme source d’incertitude quant Ă  la pĂ©rennisation du projet et comme un alourdissement des tĂąches administratives. Les associations Ă©tudiĂ©es, qui existent depuis plus d’une vingtaine d’annĂ©es, ont toutefois soulignĂ© l’importance des relations de confiance construites avec certains acteurs publics et la reconnaissance par ces derniers de leur contribution au dĂ©veloppement artistique et culturel sur leurs territoires. Ces relations, basĂ©es sur une logique rĂ©ciprocitaire, se sont d’ailleurs rĂ©vĂ©lĂ©es essentielles durant la crise sanitaire.

Pour certaines associations, le processus d’hybridation se fait Ă©galement Ă  partir d’une diversification des activitĂ©s qui entraĂźne un dĂ©veloppement des ressources issues de la prestation de services et/ou des ressources venant du mĂ©cĂ©nat. Cette hybridation vers des ressources privĂ©es a toutefois montrĂ© certaines limites durant la crise sanitaire, notamment pour les associations qui dĂ©pendaient des recettes venant de la prestation de services ou d’activitĂ©s ouvertes au public. Sans les aides publiques durant la crise sanitaire, ces associations n'auraient sans doute pas survĂ©cu.

Cependant, alors que la littĂ©rature actuelle se concentre sur la question de la perte d'identitĂ© organisationnelle qui conduit les associations Ă  devenir « business-minded », soit Ă  penser et agir selon les normes Ă©conomiques dominantes au sein des entreprises dites « classiques », notamment en lien avec l’augmentation de la part des ressources marchandes dans les budgets associatifs, ce travail met en exergue la possibilitĂ© d'une hybridation des ressources qui permette le maintien de la mission principale de l'organisation, celle de contribuer Ă  la dĂ©mocratisation culturelle, vĂ©cue de diffĂ©rentes maniĂšres par les organisations interrogĂ©es (certaines Ă  travers la fourniture de services culturels directs, d'autres en tant que soutien aux travailleurs et aux organisations du secteur, certaines dans les quartiers dĂ©favorisĂ©s, d'autres dans les zones rurales). Cette analyse des ressources a mis en avant Ă  la fois la

centralité de la logique réciprocitaire et la forte interconnexion des logiques marchandes, non marchandes et réciprocitaires qui permettent le développement ou la survie du projet associatif, pour et avec les citoyens.

Ainsi, il ressort que la logique de rĂ©ciprocitĂ©, si on ne la limite pas Ă  la mobilisation de dons et du bĂ©nĂ©volat, participe au maintien du projet collectif au fil du temps. MalgrĂ© la diversification des activitĂ©s et des financements, nous n’avons pas observĂ© d’éloignement de la mission (mission drift) au sein des associations Ă©tudiĂ©es. Au contraire, la valorisation de leur contribution Ă  l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et leur fonction sociopolitique constitue clairement une stratĂ©gie pour les quatre associations Ă©tudiĂ©es afin de consolider leur reconnaissance et leur lĂ©gitimitĂ© auprĂšs de leurs publics, mais aussi de leurs partenaires.

La centralitĂ© de la logique rĂ©ciprocitaire et la forte interconnexion des logiques marchandes, redistributives et rĂ©ciprocitaires ressortent clairement dans les choix stratĂ©giques en matiĂšre de gouvernance et de maillage territorial adoptĂ©s par les associations Ă©tudiĂ©es afin de se dĂ©velopper et de garder le cap de leur mission malgrĂ© les difficultĂ©s rencontrĂ©es tout au long de leur histoire. Un premier choix a concernĂ© leur gouvernance et plus prĂ©cisĂ©ment, une rĂ©flexion sur le conseil d’administration, Ă  la fois sur son Ă©largissement Ă  une plus grande diversitĂ© de parties prenantes et sur son rĂŽle de soutien Ă  l’équipe salariĂ©e. Ces Ă©volutions de la gouvernance ont pris appui sur des logiques relevant de la rĂ©ciprocitĂ©, basĂ©es sur l’adhĂ©sion au projet, l’engagement militant, la proximitĂ© des acteurs, la mutualisation des compĂ©tences et le renforcement des dynamiques participatives, que ce soit entre administrateurs et salariĂ©s ou entre diffĂ©rentes parties prenantes (par exemple en encourageant la participation des artistes). Une deuxiĂšme modalitĂ© stratĂ©gique repose sur le renforcement du maillage territorial. Les quatre associations ont tissĂ© des liens sur leurs territoires, comme forme de rĂ©appropriation du territoire par les acteurs locaux, Ă  partir d’une mutualisation de ressources, dĂ©passant les logiques du marchĂ©Ì et de la redistribution, et s'appuyant sur la rĂ©ciprocitĂ© et la confiance entre acteurs qui partagent le territoire.

Notre recherche contribue ainsi Ă  rĂ©habiliter la notion de rĂ©ciprocitĂ© dans le concept d’hybriditĂ© des ressources et Ă  rĂ©affirmer le rĂŽle des collectifs pour crĂ©er et entretenir des dynamiques de rĂ©ciprocitĂ©. La rĂ©ciprocitĂ© est souvent apprĂ©hendĂ©e comme secondaire dans l’hybriditĂ©, comme moins centrale que la redistribution et le marchĂ©. Ceci provient de deux caractĂ©ristiques : la limitation de la rĂ©ciprocitĂ© au bĂ©nĂ©volat et aux dons, et son invisibilitĂ© comparative. Le couplage exclusif rĂ©ciprocitĂ©-bĂ©nĂ©volat tend Ă  circonscrire l’ampleur de la rĂ©ciprocitĂ©. Si le lien entre les deux est pertinent dans une visĂ©e comptable afin de rendre compte de cette ressource Ă  partir des comptes « emploi des contributions en nature » et « contributions volontaires par catĂ©gorie », il est trop limitatif pour exposer la rĂ©ciprocitĂ© dans son entiĂšretĂ©. Les ressources marchandes et publiques sont, pour leur part, fortement visibles, car elles donnent Ă  voir des flux financiers ce qui n’est pas le cas de la rĂ©ciprocitĂ© qui, par dĂ©finition, n’est pas caractĂ©risĂ©e par des flux de cette nature et qui est donc moins visible. Dans un environnement institutionnel qui met l’accent sur la quantification des rapports d’échange, la rĂ©ciprocitĂ© est relĂ©guĂ©e Ă  la pĂ©riphĂ©rie. Or notre analyse met en exergue sa centralitĂ© tant comme socle du projet collectif (rappelant l’impulsion rĂ©ciprocitaire Ă  la crĂ©ation d’une association) que comme maniĂšre d’encastrer les ressources marchandes et publiques mobilisĂ©es dans ce projet collectif.

Un second apport de la recherche porte sur l’identification de la dimension multilatĂ©rale de la rĂ©ciprocitĂ©, tout en mettant en Ă©vidence sa complexitĂ© allant au-delĂ  de la notion de bĂ©nĂ©volat. Notre Ă©tude montre l’importance des liens sociaux multiples construits par les associations analysĂ©es. Ces liens permettent

de saisir des ressources potentielles ou latentes, monĂ©taires ou non monĂ©taires, qui sont mobilisables grĂące Ă  l’engagement au sein mĂȘme de l’association ou en lien avec l’association. Celles-ci sont accessibles directement ou indirectement selon l’existence ou non d’un intermĂ©diaire. Dans l’étude, nous mettons en lumiĂšre que les multiples rĂ©seaux auxquels l’association participe ou qu’elle tisse, lui permettent d’accĂ©der Ă  des ressources diverses (accĂšs Ă  des services, par exemple Ă  une offre d’hĂ©bergement d’artistes gratuite par des spectateurs, aide Ă  l’installation de scĂšnes, etc.), mais aussi Ă  des financements publics avec, par exemple, des sollicitations directes en urgence pour bĂ©nĂ©ficier d’enveloppes budgĂ©taires non consommĂ©es et donc disponibles. Ainsi, la logique de rĂ©ciprocitĂ© contribue Ă  maintenir le sens du projet collectif dans la recherche de diffĂ©rentes sources de financement et dans la diversification des activitĂ©s.

Il y a lĂ  un enjeu tant pour la recherche que pour le monde associatif. CaractĂ©riser les formes que prend la rĂ©ciprocitĂ© est Ă  la fois une question de recherche et un enjeu stratĂ©gique pour les associations. L’identification de la place de la rĂ©ciprocitĂ© dans les organisations, au-delĂ  de la seule prise en compte des dons et du bĂ©nĂ©volat, permet de mieux comprendre comment les diffĂ©rentes ressources s’articulent et interagissent pour potentiellement procĂ©der Ă  des ajustements stratĂ©giques. Le caractĂšre peu visible de la rĂ©ciprocitĂ©, Ă  la fois dans ses dimensions intrinsĂšques et par le fonctionnement du champ institutionnel, fait que les acteurs associatifs eux-mĂȘmes peuvent l’invisibiliser.

Introduction

Dans un contexte marquĂ© ces derniĂšres annĂ©es par des mutations profondes de l’environnement institutionnel et Ă©conomique, de nombreuses associations, en particulier dans le champ artistique et culturel, se sentent fortement fragilisĂ©es (ChataignĂ© et al., 2020 ; Le Mouvement associatif, 2021 ; Le Labo de l’ESS, 2020). La crise liĂ©e Ă  la pandĂ©mie mondiale a rĂ©vĂ©lĂ© et renforcĂ© diverses formes de fragilitĂ©s dont certaines liĂ©es Ă  une baisse des recettes consĂ©cutive Ă  l’annulation d'Ă©vĂ©nements culturels, aux mesures de distanciation sociale et aux restrictions de rassemblement. Cela a eu un impact direct sur les recettes, mais aussi sur la visibilitĂ© des associations culturelles. La crise a souvent nĂ©cessitĂ© des ajustements dans la gestion des ressources humaines, avec des consĂ©quences sur l'emploi, les contrats Ă  durĂ©e dĂ©terminĂ©e et la mobilisation des bĂ©nĂ©voles. Dans son rapport sur les associations aprĂšs le confinement, le Mouvement associatif montre en effet que 89 % des associations interrogĂ©es ont rencontrĂ© des difficultĂ©s dans la gestion des bĂ©nĂ©voles en France pendant la crise (Le Mouvement associatif, 2021), nĂ©cessitant dĂšs lors la recherche de moyens innovants pour maintenir ou renouveler l’engagement du public et/ou justifier de leur objet

Si les transformations des associations artistiques et culturelles sont en cours depuis plusieurs annĂ©es, on assiste non seulement Ă  une diminution de leurs ressources par rapport Ă  des besoins croissants (Greffe, Pflieger, 2015), mais aussi Ă  des modalitĂ©s diffĂ©rentes d’allocation de ces ressources, qui reposent de plus en plus sur des instruments fondĂ©s sur le marchĂ©, tels que des outils de contractualisation et de mise en concurrence (comme des appels d’offres), une caractĂ©ristique des Ă©conomies contemporaines qui dĂ©passe le seul domaine de la culture. De plus, une rhĂ©torique de l’excellence dans le secteur artistique et culturel a Ă©tĂ© entamĂ©e, avec un financement basĂ© sur deux dimensions d’évaluation, Ă  savoir la valeur artistique de l’offre ramenĂ©e Ă  l’excellence et la frĂ©quentation fondĂ©e sur l’élargissement de la demande (Langeard etal., 2014) Si la dĂ©finition de l’’excellence artistique n’est pas toujours claire et fait l’objet de nombreux dĂ©bats, cette notion introduit inĂ©vitablement un processus d’évaluation Ă  partir d’une batterie de critĂšres, souvent quantitatifs, dĂ©finis par des experts permettant un processus de sĂ©lection parmi les Ɠuvres artistiques. La frĂ©quentation est Ă©galement un facteur quantitatif d’évaluation de la qualitĂ© de l’offre artistique.

Dans ce contexte trĂšs incertain, plusieurs associations rĂ©interrogent leur modĂšle socio-Ă©conomique et expĂ©rimentent de nouvelles formes de mobilisation de ressources, pas uniquement financiĂšres. Ce sont ces nouvelles pratiques que notre Ă©tude, cofinancĂ©e par l’Institut français du monde associatif (IFMA) dans le cadre d’un appel Ă  projets sur « le monde associatif Ă  la lumiĂšre de la crise COVID-19 », se propose d’examiner, en regardant de plus prĂšs les rĂ©flexions, solutions et pratiques mises en Ɠuvre par les associations artistiques et culturelles au niveau de leur modĂšle socio-Ă©conomique pour assurer leur pĂ©rennitĂ©. Au-delĂ  d’une situation d’urgence et des problĂšmes de trĂ©sorerie Ă  court terme causĂ©s par la crise sanitaire en 2020, il s’agit d’étudier les stratĂ©gies mises en Ɠuvre par ces associations pour faire face aux transformations de ce secteur. Notre question de recherche est dĂšs lors la suivante : comment les modalitĂ©s d’hybridation des ressources se construisent-elles et se transforment-elles au sein des associations artistiques et culturelles ?

Dans ce travail, nous centrons notre analyse sur l’hybridation des ressources et ses tensions ou contradictions. ConstatĂ©e depuis quelques dĂ©cennies (Tchernonog, 2018), celle-ci est prĂ©sentĂ©e comme

une solution Ă  la diminution des financements publics bien que n’étant pas sans risque pour les associations elles-mĂȘmes. Dans cette perspective, nous explorons d’une part les difficultĂ©s liĂ©es aux Ă©volutions des subventions publiques, qui ont rendu plus complexe l’accĂšs Ă  ces financements. En effet, les associations de taille petite ou moyenne font face Ă  des contraintes administratives et financiĂšres grandissantes, qui rendent parfois nĂ©cessaires des services administratifs et comptables que seules les associations de grande taille possĂšdent. D’autre part, nous examinons les consĂ©quences, notamment en termes de fragilisation, engendrĂ©es par la dĂ©pendance croissante Ă  de multiples sources de financement de courte durĂ©e. De plus, la diffĂ©renciation des financements publics (Ă  l'Ă©chelle europĂ©enne, nationale, rĂ©gionale ou locale) et les multiples instruments de contractualisation (contrats, appels Ă  projets, marchĂ©s publics) obligent les associations Ă  dĂ©dier beaucoup de temps aux questions administratives parfois au dĂ©triment de l’action, tout en augmentant la concurrence entre associations au sein d’un mĂȘme champ.

Partant des travaux ayant caractĂ©risĂ©, d’une part, les modĂšles socio-Ă©conomiques des associations et leurs Ă©volutions, et, d’autre part, les organisations hybrides, nous analysons les formes d’hybridation de ressources et leurs Ă©volutions. Si l’ouverture croissante des associations vers des ressources privĂ©es et la mobilisation accrue de nouveaux instruments de politique publique dans le cadre de relations toujours plus concurrentielles sont Ă©tudiĂ©es, ce travail a Ă©galement vocation Ă  dĂ©passer une approche strictement financiĂšre ou budgĂ©taire des ressources. En effet, nous replaçons la question de l’hybridation dans l’écosystĂšme de l’organisation (partenarial, sectoriel et territorial) en prenant en compte l’ensemble des ressources de l’organisation, dont celles considĂ©rĂ©es comme immatĂ©rielles Pour ce faire, nous nous concentrons sur les stratĂ©gies mises en Ɠuvre par les associations en regard de leur gouvernance et des formes de coopĂ©ration engendrĂ©es sur les territoires, deux dimensions qui peuvent exercer une influence non nĂ©gligeable sur leurs modĂšles socio-Ă©conomiques.

MalgrĂ© des rĂ©ponses trĂšs variĂ©es face aux Ă©volutions de l’environnement institutionnel et Ă©conomique de la part des associations, la diversitĂ© des financements qui permet de maintenir des activitĂ©s, de se dĂ©velopper et d’innover, interroge nĂ©anmoins le maintien du projet initial et des valeurs caractĂ©risant l’association. Notre recherche a donc l’objectif de mettre en Ă©vidence les diffĂ©rentes stratĂ©gies associatives en termes d’hybridation des ressources, au sens large, et leurs Ă©volutions.

Dans la premiĂšre partie, nous donnons un aperçu des grandes orientations de politiques publiques dans le secteur culturel et artistique. Nous prĂ©sentons ensuite notre cadre conceptuel afin d’analyser comment le concept d’hybridation est dĂ©fini dans la littĂ©rature, d’identifier les diffĂ©rentes stratĂ©gies mises en place par les associations du secteur artistique et culturel ainsi que les risques qui y sont associĂ©s. Prenant appui sur cette littĂ©rature, notre problĂ©matique est donc de voir jusqu’oĂč et sous quelles formes l’hybridation des ressources permet aux associations de consolider et pĂ©renniser leur structure, en cohĂ©rence avec leur projet associatif. Dans une troisiĂšme partie, nous prĂ©cisons notre mĂ©thodologie avant de prĂ©senter nos principaux rĂ©sultats. Nous concluons sur la diversitĂ© des stratĂ©gies d’hybridation identifiĂ©es tout en soulignant le rĂŽle central des relations de rĂ©ciprocitĂ© dans la mobilisation et la diversification des ressources des associations.

Chapitre 1. Contexte de la recherche

1.1. Le secteur artistique et culturel et les politiques publiques de soutien

La politique culturelle française se caractĂ©rise par une politique volontariste et centralisĂ©e, menĂ©e par le ministĂšre de la culture depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (NĂ©grier, 2017). Au cours des vingt derniĂšres annĂ©es, trois dynamiques ont contribuĂ© Ă  la questionner et Ă  l’influencer. Tout d’abord, le dĂ©veloppement de la dĂ©centralisation a renforcĂ© la nĂ©cessitĂ© d’une coordination entre les diffĂ©rents niveaux administratifs (État, RĂ©gion, DĂ©partement, commune et autres collectivitĂ©s territoriales). Ensuite, la montĂ©e de la demande de dĂ©mocratie culturelle a remis en cause une conception encore Ă©litiste de la politique culturelle française. Enfin, le dĂ©sengagement financier, d’une part, et la transformation des modes de financement liĂ©e Ă  la montĂ©e des appels d’offres et Ă  la diversification des sources de financement, d’autre part, ont transformĂ© les pratiques des acteurs et imposĂ© progressivement de nouveaux modes de fonctionnement. Ce triple mouvement, que l’on peut observer dans d’autres pays europĂ©ens, s’est accompagnĂ© de la montĂ©e en puissance du secteur privĂ©, lucratif ou non, dans l’offre culturelle.

MalgrĂ© ces Ă©volutions, l’accent semble encore mis sur des propositions relevant de l’excellence artistique et de sa diffusion, tout en soutenant des producteurs dĂ©jĂ Ì reconnus et des Ɠuvres estimĂ©es a priori comme rentables Ă©conomiquement, au dĂ©triment de l’action culturelle, des droits culturels et de l’éducation populaire (Gimello-Mesplomb, 2003 ; Le Labo de l’ESS, 2018).

Aujourd’hui en France, les financements du secteur sont fortement fragmentĂ©s. Ainsi, au niveau national, plusieurs ministĂšres participent au financement de la culture en fonction des actions rĂ©alisĂ©es (ministĂšres de la culture, de l’éducation nationale, des affaires Ă©trangĂšres, de la cohĂ©sion des territoires, etc.). Outre le niveau ministĂ©riel, les collectivitĂ©s territoriales sont Ă©galement des financeurs importants de la culture, que ce soit au niveau des RĂ©gions, des DĂ©partements ou des communes et de leurs groupements.

Au niveau central, en 2020 le budget du ministĂšre de la culture est de 3,6 milliards, budget stable par rapport aux deux annĂ©es prĂ©cĂ©dentes, mais en baisse en regard du budget de 2009 (4,2 milliards (ministĂšre de la culture français, 2021). Sur les 3,6 milliards d’euros, plus d’un tiers sont destinĂ©s Ă  70 opĂ©rateurs culturels, et la moitiĂ© de cette somme est absorbĂ©e par 6 Ă©tablissements (BibliothĂšque nationale de France, OpĂ©ra de Paris, MusĂ©e du Louvre, Universcience, Institut national d’archĂ©ologie prĂ©ventive et Centre Georges Pompidou). Notons que ce budget a Ă©tĂ© en augmentation depuis lors pour atteindre 4,5 milliards en 2024 dans le projet de loi de finances pour 2024 (ministĂšre de la culture, 2023). Pour ce qui concerne les collectivitĂ©s territoriales, les communes et leurs groupements, rĂ©gions et dĂ©partements dĂ©pensent prĂšs 8,7 milliards en 2020 (Bunel, DelvainquiĂšre, 2023). La plus grande partie (80 %) est celle des communes, qui ont aussi la plupart des compĂ©tences (livre, lecture, Ă©ducation artistique, sites et Ă©vĂ©nements culturels, entre autres). Alors qu’en 2015 la loi NOTRe rĂ©affirme leur rĂŽle dans le financement de la culture, 60 % ont procĂ©dĂ© Ă  des rĂ©ductions de leurs budgets culturels entre 2016 et 2017 (Le Labo de l’ESS, 2018). Les dĂ©penses culturelles des communes de plus de

10 000 habitants ont plutĂŽt stagnĂ© en volume dans les derniĂšres dĂ©cennies (Greffe, Pflieger, 2015) alors que le nombre de groupements de communes ou d’intercommunalitĂ©s actives dans le domaine culturel a progressĂ© et que leurs dĂ©penses culturelles ont augmentĂ©. Les dĂ©penses culturelles des DĂ©partements et des RĂ©gions restent plutĂŽt secondaires. De plus, les communes et les groupements de communes dĂ©dient leur budget aux activitĂ©s culturelles principalement (crĂ©ation et diffusion des Ɠuvres artistiques, enseignement des diffĂ©rentes disciplines, animation culturelle).

La crise pandĂ©mique a Ă©tĂ© rĂ©vĂ©latrice des fragilitĂ©s du milieu des arts et de la culture, voire a exacerbĂ© certaines d’entre elles dĂ©jĂ  prĂ©existantes. Elle a fait ainsi ressortir des lacunes dans la protection sociale de celles et ceux qui sont au cƓur des industries culturelles et crĂ©atives, Ă  savoir les artistes et les professionnels de la culture. Elle a Ă©galement mis en lumiĂšre les faiblesses et contradictions Ă©conomiques du systĂšme de financement du secteur Du point de vue des politiques publiques dans le champ de la culture, on constate d’une part une concentration de la majoritĂ© des financements sur de grands projets ou institutions et d’autre part, un morcellement des sources de financement entre les diffĂ©rentes collectivitĂ©s territoriales qui, malgrĂ© une dĂ©centralisation des compĂ©tences, n’ont pas forcĂ©ment augmentĂ© leurs dĂ©penses culturelles.

1.2. L’économie

sociale et solidaire dans le secteur artistique et culturel

Les chiffres du secteur artistique et culturel

Les organisations de l’économie sociale et solidaire (ESS) employant plus de 34 000 salariĂ©s reprĂ©sentent plus d’un quart de l’emploi du secteur artistique et culturel (26 %) derriĂšre le public (38 %) et le privĂ© hors ESS (36,2 %) (Demoustier et al., 2020) Au total l’ESS compte 22 200 Ă©tablissements culturels, plutĂŽt de trĂšs petite taille. 97 % d’entre eux ont moins de 10 salariĂ©s et concentrent 50 % des emplois du secteur (INSEE, 2017)

Parmi les organisations de l’ESS, les associations occupent une place largement prĂ©dominante, c.-Ă -d. presque 99 % des Ă©tablissements (Demoustier et al., 2020), ce qui correspond Ă  23 % de l’ensemble des associations, tous secteurs confondus (Tchernonog, Prouteau, 2019). La grande majoritĂ© Ɠuvre dans le spectacle vivant, comprenant des organisations productrices de spectacles, mais aussi des compagnies de théùtre, des orchestres, des radios associatives, des maisons d’édition de livres et de journaux. Le secteur privĂ© Ă  but lucratif est, quant Ă  lui, plutĂŽt concentrĂ© dans le secteur de l’industrie musicale, et le secteur public est reprĂ©sentĂ© par des activitĂ©s liĂ©es Ă  la gestion du patrimoine ou d’équipement publics culturels.

L’emploi dans ce secteur est caractĂ©risĂ© par une forte prĂ©caritĂ© avec 13,6 % de contrats aidĂ©s, seulement 54 % de postes Ă  temps complet et 62 % sous forme de CDI. L’observatoire national de l’ESS indique qu’entre 2010 et 2018, 13 000 emplois dans l’ESS du secteur ont disparu, ce qui correspond Ă  un tiers des effectifs. En revanche, le taux de bĂ©nĂ©voles a augmentĂ© lors de la dĂ©cennie 2010 (Tchernonog, Prouteau, 2019). Le volume de travail bĂ©nĂ©vole dans ce secteur d’activitĂ© enregistre un taux global d’évolution de +33,2 % (donnĂ©es 2011-2017), avec un taux annuel moyen d’évolution de +6 %. Cependant, si on regarde les bĂ©nĂ©voles actifs dans tous les secteurs de l’ESS, celles et ceux qui animent et participent bĂ©nĂ©volement

dans le domaine de la culture ne sont que 11,9 %, derriĂšredes secteurs comme la dĂ©fense de droits (23,2 %), le social (20,2 %), le sport (17 %)et le loisir (17 %). Si le taux de participation bĂ©nĂ©vole tous secteurs confondus reste plus Ă©levĂ© pour les hommes, dans le secteur de la culture, on observe que ce sont les femmes les plus engagĂ©es (7 %). Ces donnĂ©es nous montrent que, face Ă  la dĂ©centralisation des politiques publiques culturelles, Ă  la diversification de ses acteurs et Ă  la concurrence accrue avec le secteur Ă  but lucratif, les organisations de l’ESS font face Ă  de multiples dĂ©fis.

Quel rîle de l’ESS dans le secteur de l’art et culture ?

Outre le fait qu’elle reprĂ©sente un quart des effectifs du secteur, l’ESS a de profondes affinitĂ©s de principe avec le secteur culturel. Si la culture est « au cƓur de la cohĂ©sion sociale », comme le souligne le Labo de l’ESS (2018), elle rĂ©vĂšle aussi une « identitĂ© des fins poursuivies », comme concourir Ă  l’émancipation des personnes, nourrir la dĂ©mocratie et porter l’attention aux nouveaux enjeux de sociĂ©tĂ©. GrĂące Ă  leurs capacitĂ©s Ă  impulser une gestion collaborative des projets des Ă©tablissements, Ă  ancrer l’action dans leur territoire et Ă  garantir les droits culturels et le vivre ensemble (Le Labo de l’ESS, 2018), les organisations de l’ESS sont fortement soutenues par les financements publics. En moyenne, les financements publics reprĂ©sentent 41 % de leur budget (Demoustier et al., 2020) L’organisation internationale du travail (OIT) est Ă©galement d’accord sur le fait que l’ESS est un acteur central du dĂ©veloppement territorial par le biais de l’activitĂ© culturelle, soulignant que la pandĂ©mie mondiale a dĂ©montrĂ© le rĂŽle clĂ© que le secteur culturel et crĂ©atif peut jouer en temps de crise. Dans son rapport de 2021 (International Labor Organization, 2021), elle met ainsi en Ă©vidence un triple volet. Les organisations de l’ESS peuvent favoriser l’inclusion et l’harmonie sociĂ©tale, par la connaissance, l’éducation et la sensibilisation culturelles Elles peuvent Ă©galement renforcer l’autonomie des personnes et orienter l’innovation et la crĂ©ativitĂ©. Mais elles sont aussi des actrices Ă©conomiques qui peuvent tirer profit de leurs liens avec le territoire et avec les communautĂ©s, en assurant leur pleine contribution Ă  l’économie locale et aux investissements dans les infrastructures et les services.

L’OCDE (2022) souligne aussi le rĂŽle jouĂ© par les acteurs du secteur de la crĂ©ativitĂ© et l’opportunitĂ© de dĂ©velopper un secteur culturel durable, qui peut contribuer Ă  un dĂ©veloppement local et rĂ©gional et soutenir les transitions Ă©cologiques et sociales. Elle montre comment une vie culturelle dĂ©veloppĂ©e peut accroĂźtre considĂ©rablement l’attrait des destinations et l’interaction avec les visiteurs, et comment de nouveaux modĂšles de tourisme crĂ©atif peuvent apporter une valeur ajoutĂ©e considĂ©rable, accroĂźtre la demande touristique et diversifier l’offre touristique.

De plus l’ESS, en tant qu’espace d’expression dĂ©mocratique et Ă  travers sa quĂȘte de transformation sociale (notamment en faveur de la cohĂ©sion sociale et de la dĂ©mocratisation de l’accĂšs Ă  la culture) reprĂ©sente une forme d’action politique (Gibson-Graham, 2008). La densitĂ© de la vie associative constitue en effet un facteur clĂ© dans le renforcement de la citoyennetĂ©, car les associations sont des espaces privilĂ©giĂ©s de production de rĂ©seaux horizontaux de rĂ©ciprocitĂ© et de confiance entre les individus – le capital social –c’est-Ă -dire d’échanges interpersonnels formels et informels non hiĂ©rarchisĂ©s (Putnam, 2000)

Ces donnĂ©es mettent ainsi clairement en lumiĂšre le rĂŽle central des organisations de l’ESS dans les activitĂ©s artistiques et culturelles, Ă  la fois d’un point de vue Ă©conomique, l’ESS Ă©tant un acteur majeur en termes d’emploi et en nombre d’établissements et source d’innovation et de crĂ©ativitĂ©, mais aussi d’un point de vue sociopolitique, en tant qu’acteur clĂ© pour la dĂ©mocratisation culturelle, la citoyennetĂ© et la cohĂ©sion sociale.

Chapitre 2. Cadre conceptuel : l’hybridation des ressources dans sa complexitĂ©

Notre recherche se centre sur l’analyse de l’hybridation des ressources et des diverses contradictions qui s’y attachent. D’une façon gĂ©nĂ©rale, nous utilisons le terme d’hybridation plus que d’hybriditĂ©, car l’analyse porte sur les processus d’articulation de diffĂ©rentes ressources et sur leurs Ă©volutions. Pour aborder cette question, il nous semble tout d’abord essentiel de replacer la question de l’hybridation des ressources dans le contexte plus large de la transformation de l’action publique et, plus prĂ©cisĂ©ment, des transformations des modalitĂ©s de financement des associations. Nous prolongeons ensuite cette analyse Ă  partir des travaux dĂ©jĂ  existants concernant l’analyse des modĂšles socio-Ă©conomiques des associations. En effet, si d’un cĂŽtĂ© une partie des travaux adoptent une vision opposant les ressources provenant du marchĂ© Ă  celles de l’État, une autre partie de la littĂ©rature remet spĂ©cifiquement en question cette dichotomie des ressources afin d’introduire et de souligner la centralitĂ©, dans les associations, de la logique d’échange de la rĂ©ciprocitĂ©. Cet ensemble de travaux, qui cherche Ă  mieux prendre en compte l’hybridation des ressources, prend appui sur la grille d’analyse de Karl Polanyi (1983), dans la caractĂ©risation des modĂšles socio-Ă©conomiques, afin de dĂ©passer cette vision dichotomique des ressources. Enfin, nous complĂ©tons cette revue de littĂ©rature sur l’hybridation des ressources par des travaux portant sur les organisations hybrides, qui proposent une analyse des organisations considĂ©rĂ©es comme hybrides, car traversĂ©es par des logiques institutionnelles diffĂ©rentes, parfois contradictoires (Battilana, Dorado, 2010 ; Pache, Santos, 2013). L’hybridation des ressources n’est toutefois pas sans risques pour les associations. Nous terminons ainsi la prĂ©sentation de notre cadre conceptuel par les risques d’isomorphisme et d’éloignement de leur mission auxquels sont confrontĂ©es de nombreuses associations.

2.1. La transformation des instruments d’intervention publique : quelles consĂ©quences sur l’hybridation des ressources

?

Depuis le dĂ©but des annĂ©es 1970, une transformation profonde des structures et des fondements idĂ©ologiques de l’État-providence a eu lieu dans la plupart des pays europĂ©ens. Le contexte a depuis lors Ă©tĂ© caractĂ©risĂ© par des rĂ©formes dĂ©finies comme la Nouvelle Gestion publique (NGP ou en anglais New Public Management), cette derniĂšre reposant sur l’hypothĂšse que le secteur public pourrait mieux fonctionner, dans une perspective d’efficacitĂ©, s’il prenait la gestion du secteur privĂ© comme principe organisationnel de rĂ©fĂ©rence (Pollitt, Bouckaert, 2011). Ce contexte a conduit, dans les annĂ©es 1980, Ă  la configuration d’un nouvel ordre du discours, qui a redĂ©fini les modalitĂ©s et les structures de l’intervention de l’État. Comme dans d’autres pays europĂ©ens, le tournant libĂ©ral en France ne se caractĂ©rise pas par un retrait brutal de l’État de la sphĂšre sociale (comme aux États-Unis), mais plutĂŽt par un changement des mĂ©canismes de base (Laville, Nyssens, 2001)

Le recours au marchĂ© et Ă  des mĂ©canismes de marchĂ© afin de rĂ©partir les fonds publics a Ă©tĂ© dĂ©fini comme l’une des façons les plus significatives et les plus controversĂ©es de transformer les États sociaux (Gilbert, 2002). L’idĂ©e d’introduire la concurrence pour allouer les ressources conduit l’État Ă  dĂ©finir des

situations de « quasi-marchĂ© », dans le but d’imposer la logique de marchĂ©, lĂ  oĂč elle Ă©tait absente jusqu’alors. Le Grand et Bartlett (1993) dĂ©finissent le quasi-marchĂ© comme un marchĂ© oĂč l’offre d’un service est assurĂ©e par des fournisseurs en concurrence, mais oĂč, dans une optique de solvabilisation de la demande plus que de subvention de l’offre, les acheteurs du service sont partiellement financĂ©s par des ressources publiques plutĂŽt que par leurs propres ressources privĂ©es. L’introduction de diffĂ©rentes formes de contractualisation, notamment dans le secteur sanitaire et social, a ainsi modifiĂ© les relations entre pouvoirs publics et associations, accentuant leur rĂŽle de prestataires de services, en rĂ©ponse Ă  une commande publique (Petrella, Richez-Battesti, 2012 ; Salamon, 1987 ; Smith, Lipsky, 1993)

Outre l’introduction de mĂ©canismes de marchĂ© dans l’allocation des fonds publics, la mise en place de quasi-marchĂ©s s’accompagne de l’introduction d’indicateurs de performance quantitatifs dans le but de rĂ©duire les dĂ©penses publiques et d’amĂ©liorer l’efficacitĂ© des politiques.

De plus, si auparavant, les chercheurs ont prĂ©sentĂ© le choix des instruments d’action publique et leur mode opĂ©ratoire comme relevant de simples choix techniques, des auteurs comme Pierre Lascoumes et Patrick Le GalĂšs (2004, p. 321), mettent en Ă©vidence que ces instruments constituent Ă©galement un dispositif social qui « organise des rapports sociaux spĂ©cifiques entre la puissance publique et ses destinataires en fonction des reprĂ©sentations et des significations dont il est porteur ». La question du choix des instruments est dĂšs lors intimement liĂ©e Ă  celle du « policy design » qui signifie « le dĂ©veloppement d'une comprĂ©hension systĂ©matique de la sĂ©lection des instruments et de leur dimension Ă©valuative » (Linder, Peters, 1984, citĂ©s par (Lascoumes, Le GalĂšs, 2007, p. 5). Le choix des instruments n’est pas neutre et est ainsi rĂ©vĂ©lateur des transformations de l’action publique et plus largement du systĂšme Ă©conomique et social et des rapports de force qui le composent (Chiapello, Gilbert, 2013)

L’évolution des dĂ©penses publiques, tant en termes de volume que de modalitĂ©s d’exĂ©cution, a entraĂźnĂ© une modification significative de la structure de financement des associations. En France, la diminution de la part relative des subventions publiques dans le budget des associations (de 34 % en 2005 Ă  20 % en 2020) s’est conjuguĂ©e Ă  une augmentation du nombre de contrats signĂ©s en particulier avec les autoritĂ©s publiques (c.-Ă -d. des commandes publiques), passant de 17 % en 2005 Ă  29 % en 2020, comme prĂ©sentĂ© dans le tableau 1 infra. Face ces Ă©volutions dans les modalitĂ©s de financement public, les associations sont contraintes de renforcer l’hybridation de leurs ressources en augmentant notamment la part des recettes d’activitĂ© (prestation de services) et en dĂ©veloppant le mĂ©cĂ©nat. Dans le tableau 1, on voit que, malgrĂ© les encouragements Ă  dĂ©velopper les dons et le mĂ©cĂ©nat, leur part reste quasiment identique entre 2005 et 2020 (5 % du budget). En revanche, les recettes d’activitĂ© (publiques et privĂ©es) ont augmentĂ©. Notons que l’augmentation est principalement due aux commandes publiques plus qu’à une vente plus importante de prestations aux usagers (qui passe de 32 % Ă  36 %).

TABLEAU 1. ÉVOLUTION DE LA STRUCTURE DES RESSOURCES PRIVÉES ET PUBLIQUES ENTRE 2005 ET 2020

et compensations

Source : Tchernonog et Prouteau (2023) Champ : nature des ressources publiques et privĂ©es en 2005, 2017, 2020. Lecture : en 2020, les recettes d’activitĂ© publiques et privĂ©es reprĂ©sentent 65 % du budget des associations alors qu’elles reprĂ©sentaient 49 % du budget en 2005.

GRAPHIQUE 1. ÉVOLUTION DE LA STRUCTURE DES RESSOURCES PRIVÉES ET PUBLIQUES ENTRE 2005 ET 2020

Source : figure rĂ©alisĂ©e par les auteurs Ă  partir des donnĂ©es de Tchernonog et Prouteau (2023) Champ : nature des ressources publiques et privĂ©es en 2005, 2017, 2020. Lecture : en 2020, les recettes d’activitĂ© publiques et privĂ©es reprĂ©sentent 65 % du budget des associations alors qu’elles reprĂ©sentaient 49 % du budget en 2005.

Ces Ă©volutions dans les modalitĂ©s d’action publique ont modifiĂ© en profondeur la nature des financements publics et ont encouragĂ© la diversification des ressources des associations. Ce faisant, les associations sont soumises Ă  une pression croissante pour devenir plus « business-minded », c’est-Ă -dire adopter les normes et les comportements du monde de l’entreprise dite « classique », et atteindre un Ă©quilibre Ă©conomique (Rodriguez, 2016). Ce processus de transformation isomorphe a Ă©tĂ© qualifiĂ© de « business-like evolution » des associations, i.e. lorsque le comportement des associations se rapproche de plus en plus des entreprises dites classiques (Baines, 2010 ; Hvenmark, 2013 ; Maier et al., 2016) Nous dĂ©velopperons ce point ci-dessous aprĂšs une prĂ©sentation des travaux qui ont Ă©tudiĂ© les Ă©volutions des modĂšles socio-Ă©conomiques des associations.

2.2. Les modÚles socio-économiques des associations : une approche dichotomique et essentiellement financiÚre

L’analyse des modĂšles socio-Ă©conomiques associatifs et de leurs Ă©volutions a dĂ©jĂ  fait l’objet de plusieurs travaux qui ont cherchĂ© Ă  les caractĂ©riser Ă  la suite des transformations de l’environnement institutionnel et Ă©conomique (Bucolo et al., 2019 ; Dor et al., 2020 ; KPMG, 2017 ; Le RAMEAU, 2019) Comme soulignĂ© par Bucolo et al. (2019, p. 5), les modĂšles socio-Ă©conomiques sont souvent abordĂ©s Ă  partir d’une approche dichotomique des financements mobilisĂ©s (publics et privĂ©s) et de la maniĂšre dont sont octroyĂ©s ces financements (recettes, subventions ou contrats), comme illustrĂ© dans leur rapport par les deux tableaux ci-dessous.

TABLEAU 2. : LES SEPT MODÈLES ÉCONOMIQUES ASSOCIATIFS MONÉTAIRES « CPCA »

Source : CPCA (2014), repris par Bucolo et al., 2019 (p. 19)

Une autre étude citée par Bucolo et al. (2019) est celle de KPMG qui propose une typologie des modÚles socio-économiques dite « KPMG », en fonction de la prépondérance des financements publics ou privés et de la réponse à un besoin social, selon que la réponse est unique ou plus globale.

TABLEAU 3. : TYPOLOGIE DES MODÈLÉS SOCIO-ÉCONOMIQUES « KPMG»

Source : KPMG, 2017, p. 16, repris par Bucolo et al., 2019 (p. 21)

Ces deux typologies, souvent citĂ©es, illustrent bien l’approche binaire des financements (publics et privĂ©s) mobilisĂ©s par les associations, approche qui ne permet pas de rendre compte des spĂ©cificitĂ©s associatives, et notamment de l’importance du bĂ©nĂ©volat comme ressource pour ces structures. Un second ensemble de travaux tente d’estimer le bĂ©nĂ©volat en cherchant Ă  lui attribuer une valeur monĂ©taire (Prouteau, 2018 ; Tchernonog, Prouteau, 2019), mais ces dĂ©marches sont peu intĂ©grĂ©es dans les approches des modĂšles socio-Ă©conomiques. Comme le soulignent Bucolo et al. (2019), ces travaux ne permettent pas non plus de mettre en Ă©vidence la fonction sociopolitique des associations, portĂ©e par de nombreuses associations citoyennes ancrĂ©es localement, qui cherchent Ă  innover face aux pressions institutionnelles.

Il faut donc se tourner vers un troisiĂšme ensemble de travaux qui visent Ă  mieux prendre en compte l’hybridation des ressources, adoptant la grille d’analyse de Karl Polanyi dans la caractĂ©risation des modĂšles socio-Ă©conomiques, afin de dĂ©passer une vision dichotomique et monĂ©taire des financements mobilisĂ©s et de ne pas cantonner les associations dans un rĂŽle de prestataires de biens et services, souvent afin de rĂ©pondre Ă  la commande publique.

2.3.KarlPolanyi :larĂ©habilitationdelarĂ©ciprocitĂ© comme logique d’échange

Karl Polanyi propose une approche substantive de l’économie. Si cette derniĂšre n’est rien d’autre qu’une construction institutionnelle visant Ă  assurer la satisfaction des besoins humains (Juan, Laville, 2019), une conception substantive de l’économie contient l’idĂ©e que « les relations sociales de l’homme englobent, en gĂ©nĂ©ral, son Ă©conomie » (Polanyi, 1983, p. 75). L’adoption d’un sens substantif de l’économie permet Ă  Karl Polanyi (1983) de mettre en exergue une pluralitĂ© de logiques d’échange, qui sont combinĂ©es en sociĂ©tĂ© de maniĂšre diffĂ©rente : le marchĂ©, la redistribution et la rĂ©ciprocitĂ©. Dans nos sociĂ©tĂ©s modernes, le modĂšle du marchĂ© constitue la rĂ©fĂ©rence dominante. Il s’appuie sur la notion de contrat dĂ©finissant les termes de l’échange entre une offre et une demande sur un marchĂ©. C’est une relation bilatĂ©rale. La redistribution repose sur la centralitĂ© d’une autoritĂ© en mesure de collecter les richesses pour les redistribuer, en l’occurrence l’État ou les collectivitĂ©s territoriales. La rĂ©ciprocitĂ© consiste en l’échange de la production sur un principe de symĂ©trie (Degavre, LemaĂźtre, 2008) selon lequel les individus, membres d’une mĂȘme sociĂ©tĂ©, sont en relation de complĂ©mentaritĂ© et d’interdĂ©pendance. Ces trois modĂšles ne sont pas exclusifs les uns des autres, mais se retrouvent tous au sein des sociĂ©tĂ©s modernes ainsi qu’au sein des organisations productives. Si Ă  chaque forme d’intĂ©gration correspond un modĂšle institutionnel particulier, c’est leur cohabitation et leur articulation que Polanyi met en Ă©vidence.

La rĂ©ciprocitĂ© est toutefois une notion complexe Ă  apprĂ©hender. Elle renvoie Ă  des relations d’interdĂ©pendance et de complĂ©mentaritĂ© entre individus, met en avant des relations de don/contredon (Mauss, 2007), mais sans Ă©quivalence monĂ©taire (pas d’égalitĂ© mathĂ©matique) ni contrainte temporelle, au sein desquelles le lien social est primordial. Elle souligne en outre l’encastrement des relations marchandes et redistributives dans des relations de rĂ©ciprocitĂ©.

Notre objectif est donc de rendre visibles et de comprendre les diffĂ©rentes formes d’échange et leur cohabitation et de redonner une place paritaire aux ressources rĂ©ciprocitaires, pouvant prendre la forme de dons, numĂ©raires ou non, d’engagements bĂ©nĂ©voles ou, plus gĂ©nĂ©ralement, d’échanges basĂ©s sur des relations non marchandes et non redistributives, masquĂ©es dans les approches dichotomiques des ressources qui reposent sur les synergies État-marchĂ©. Ces logiques d’échange qui s’effectuent sur le mode de la complĂ©mentaritĂ© restent centrales dans le modĂšle socio-Ă©conomique de l’organisation associative, comme observĂ© dans les cas empiriques analysĂ©s dans cette recherche. Pour MaĂŻtĂ© Juan et Jean-Louis Laville (2019) c’est vĂ©ritablement dans la logique de la rĂ©ciprocitĂ© que les associations questionnent les inĂ©galitĂ©s, les injustices et globalement le vivre ensemble, car c’est Ă  travers elle que s’exprime leur dimension politique. Pour ces auteurs, les ressources rĂ©ciprocitaires sont plus difficiles Ă  tracer et Ă  dĂ©tecter, car elles reposent sur des mĂ©canismes souvent caractĂ©risĂ©s par une moindre formalisation. Elles restent trop souvent invisibles et nĂ©gligĂ©es. Redonner sa place Ă  la rĂ©ciprocitĂ© dans les logiques d’échange et dans les modĂšles socio-Ă©conomiques a Ă©tĂ© une dĂ©marche Ă©galement adoptĂ©e par Marie-Catherine Henry et Luc de Larminat (2023 dans le champ des associations artistiques et culturelles. Il s’agit ainsi de rappeler, d’une part, l’impulsion rĂ©ciprocitaire des associations, Ă  la base de la crĂ©ation des associations puisqu’elles sont créées sous l’impulsion de citoyens soucieux de rĂ©pondre Ă  des besoins sociaux. D’autre part, rendre visible les relations de rĂ©ciprocitĂ© rappelle que les associations sont des « espaces publics de proximitĂ© » (Eme, Laville, 1994) dont le rĂŽle est de permettre la participation citoyenne dans les dĂ©cisions et dans les dĂ©bats collectifs (Henry, Larminat, 2023

Adopter une grille d’analyse basĂ©e sur la notion d’hybridation permet donc de visibiliser les Ă©changes basĂ©s sur la rĂ©ciprocitĂ©, en rĂ©vĂ©lant les liens sociaux particuliers entre les personnes. Une telle grille permet dĂšs lors d’enrichir la perception des ressources en rĂ©duisant la focale mise sur les ressources issues des relations marchandes dans une perspective utilitariste (Eynaud, Carvalho de França Filho, 2019). Elle permet Ă©galement de montrer comment ces relations marchandes et redistributives sont elles-mĂȘmes encastrĂ©es dans des relations de rĂ©ciprocitĂ©. Dans ce sens, l’encastrement (Polanyi, 1957) de l’économie dans la sociĂ©tĂ©, entendu comme l’enchĂąssement des dynamiques Ă©conomiques dans les dynamiques sociĂ©tales, est politique et aboutit au vivre ensemble (Chochoy, 2015) La prise en considĂ©ration de la rĂ©ciprocitĂ© avec cette grille d’analyse permet ainsi d’ĂȘtre au plus prĂšs des rĂ©alitĂ©s des fonctionnements associatifs.

2.4. Lesassociations:desorganisationshybrides?

Des organisations hybrides par l’articulation des logiques d’échange

S’appuyant sur le cadre proposĂ© par Karl Polanyi (1983), Jean-Louis Laville et Marthe Nyssens (2001) dĂ©finissent l’économie sociale (ou plus prĂ©cisĂ©ment dans leur cas l’entreprise sociale) comme une Ă©conomie « plurielle », capable de mobiliser diffĂ©rents principes de comportement Ă©conomique : marchĂ©, rĂ©ciprocitĂ© et redistribution, principes qui se traduisent notamment par la mobilisation de ressources diffĂ©rentes : marchandes, non marchandes et volontaires (comme le don ou le bĂ©nĂ©volat).

Jacques Defourny et Marthe Nyssens (2017) proposent ainsi de reprĂ©senter cette articulation propre Ă  l’économie sociale et Ă  l’entreprise sociale et les Ă©volutions potentielles de cette combinaison Ă  partir du triangle repris ci-dessous.

GRAPHIQUE 1 L’ENTREPRISE SOCIALE À LA CROISÉE DES LOGIQUES D’ÉCHANGE

Source : Defourny et Nyssens (2017), adapté de Pestoff (1998).

En France, les donnĂ©es rĂ©centes montrent que le don et le mĂ©cĂ©nat reprĂ©sentent 5 % du budget des organisations de l’ESS (Tchernonog, Prouteau, 2023). Le don rĂ©pond au principe de la rĂ©ciprocitĂ©, Ă©tant dĂ©fini comme un soutien matĂ©riel ou financier apportĂ©, sans contrepartie directe de la part du bĂ©nĂ©ficiaire, Ă  une Ɠuvre ou Ă  une personne morale pour l’exercice d’activitĂ©s prĂ©sentant un intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Historiquement le champ culturel et patrimonial fait partie des trois principaux secteurs bĂ©nĂ©ficiaires : le social reprĂ©sente prĂšs d’un tiers des dons, immĂ©diatement suivi par le secteur culturel et patrimonial (autour de 25 %) et celui de l’éducation (autour de 23 %).

Le mĂ©cĂ©nat d’entreprise (financier, en nature ou de compĂ©tence) est, quant Ă  lui, encouragĂ© et encadrĂ© par de nombreux dispositifs lĂ©gaux. ParallĂšlement le mĂ©cĂ©nat Ă©manant des particuliers, qui prend principalement la forme de versements monĂ©taires ou de dons en nature est Ă©galement soumis Ă  un rĂ©gime fiscal avantageux. Bien que rĂ©glementĂ© et soutenu par les institutions, le mĂ©cĂ©nat n ’est pas sans risque. Comme le souligne Messaoud Saoudi (2018, p. 90) : « Le mĂ©cĂ©nat d’entreprise subit l’impact positif ou nĂ©gatif de la conjoncture Ă©conomique, qui peut dĂ©terminer la continuitĂ© ou la discontinuitĂ© du financement des activitĂ©s culturelles et partant de l’effectivitĂ© ou non du droit et de la libertĂ© de crĂ©ation culturelle » De plus, les rĂ©formes de la fiscalitĂ© de 2018 et de 2020 avec une rĂ©duction du plafonnement de 60 Ă  40 % pour les dons d’entreprises les plus importants ont pu avoir un rĂ©el impact sur la gĂ©nĂ©rositĂ© des entreprises alors mĂȘme qu’elles restent historiquement des financeuses importantes, notamment pour les organisations culturelles de taille majeure. Combinant ces logiques d’échange, les associations, et plus globalement les organisations du tiers secteur, sont aujourd’hui considĂ©rĂ©es comme des « organisations hybrides », en raison de leur capacitĂ© Ă  mobiliser ces diffĂ©rentes ressources et de dĂ©passer les frontiĂšres institutionnelles classiques, combinant des caractĂ©ristiques propres aux diffĂ©rents idĂ©aux types d’organisations, publiques, privĂ©es Ă  but lucratif ou privĂ©es Ă  but non lucratif (Brandsen, KarrĂ©, 2011).

Des organisations hybrides par l’articulation de logiques institutionnelles

D’autre part, non sans lien avec cette articulation de logiques d’échange, plusieurs auteurs considĂšrent les associations ou plus largement les organisations du tiers secteur, telles qu’elles sont souvent dĂ©signĂ©es au niveau international, comme hybrides, car traversĂ©es par des logiques institutionnelles diffĂ©rentes, parfois contradictoires (Skelcher, Smith, 2015). Une logique institutionnelle (Friedland, Alford, 1991) se dĂ©finit comme « un ensemble de pratiques matĂ©rielles, d’hypothĂšses, de valeurs, de croyances et de rĂšgles socialement et historiquement construites et par lesquelles les individus donnent une signification à la rĂ©alitĂ©Ì sociale » (Thornton, Ocasio, 1999, p. 804). Ces logiques permettent d’identifier et de comprendre les Ă©ventuelles contradictions qui traversent les organisations afin de pouvoir y faire face. Cette littĂ©rature est largement mobilisĂ©e dans diffĂ©rents travaux sur l’entreprise sociale, Ă©tant intrinsĂšquement constituĂ©e de logiques institutionnelles concurrentes, voire contradictoires (Battilana, Dorado, 2010 ; Pache, Santos, 2013)

Aujourd’hui, que ce soit en s’appuyant sur le cadre polanyien ou sur celui des logiques institutionnelles, les travaux sur le tiers secteur s’interrogent sur les façons de maintenir leur caractĂšre hybride et de trouver un Ă©quilibre entre ces diffĂ©rentes logiques d’échange ou logiques institutionnelles (Zimmer et al., 2018). Par exemple, Petrella et al. (2022) mettent en Ă©vidence la maniĂšre dont les organisations du tiers secteur ont fait Ă©voluer leur gouvernance pour faire face aux tensions entre ces diffĂ©rentes logiques. À la suite de Doherty et al. (2014, p. 427), nous considĂ©rons que la nature hybride des organisations du tiers

secteur est à la fois un défi et une opportunité pour faire face aux évolutions institutionnelles et trouver des réponses organisationnelles innovantes à ces évolutions.

2.5. Une hybridation des ressources non sans risques pour les associations

Bien que les structures associatives soient par nature des organisations hybrides, alliant l’économique au social, en raison des pressions institutionnelles intenses, plusieurs processus d’isomorphisme peuvent favoriser la diffusion de logiques entrepreneuriales et concurrentielles, ce qui pourrait transformer intimement leurs configurations organisationnelles internes et leurs relations avec les acteurs publics et avec les autres acteurs du marchĂ©. Ce processus isomorphique, qui conduirait les organisations de l’ESS Ă  devenir de plus en plus similaires aux organisations Ă  but lucratif, perdant leur particularitĂ© et leur identitĂ© organisationnelle alternative, a Ă©tĂ© qualifiĂ© dans la littĂ©rature anglo-saxonne de « business-like Ă©volution », soit d’évolution vers un fonctionnement similaire Ă  l’entreprise dite « classique » des associations (Baines, 2010 ; Hvenmark, 2013 ; Maier et al., 2016)

Dans ce contexte marquĂ© par l’évolution des modes de financement, avec d’un cĂŽtĂ© la baisse structurelle de subventions et de l’autre l’augmentation de la commande publique et des appels Ă  projets, Ă  travers des contrats toujours plus stricts et un systĂšme de rĂ©munĂ©ration par objectifs, les pouvoirs publics risquent de dĂ©naturer la mission des associations. De nombreux services publics ont mis en place des systĂšmes de contrĂŽle de la performance dĂ©finie comme « une comparaison quantifiĂ©e d’un rĂ©sultat Ă  un objectif simple et ciblĂ©, dans un contexte d’accountability » (Jany-Catrice, 2012, p. 11), qui s’appuie sur la quantification ou le chiffrage, afin de rĂ©duire l’incertitude. Visant l’augmentation de la productivitĂ©, le concept de performance est encore plus difficile Ă  appliquer aux services, dont les rĂ©sultats sont immatĂ©riels et leur qualitĂ© difficilement mesurable. Plusieurs Ă©tudes ont montrĂ© que l’application des indicateurs quantitatifs aussi bien que la marchandisation du secteur permettent un contrĂŽle accru d’une organisation Ă  une autre, commedans le cas des autoritĂ©s publiquessur les organisations de l’ESS. Cela se produit lorsquela relation se configure comme une relation entre l’acheteur et le fournisseur, pour laquelle se rĂ©vĂšle nĂ©cessaire une fonction de contrĂŽle. Le « contrat de performance » (Islam, 1993 ; Mallon, 1994) facilite l’évaluation de la prestation sur la base des rĂ©sultats plutĂŽt que sur la base du respect des rĂšgles et rĂšglements bureaucratiques. Le suivi des contrats de performance est le moyen par lequel les pouvoirs publics peuvent clairement identifier et communiquer aux organisations de l’ESS, ce qu’ils attendent d’elles en termes de rĂ©sultats/effets et de performance. Les agences responsables du suivi sont donc chargĂ©es de contrĂŽler et de vĂ©rifier le respect de ces contrats.

Plusieurs Ă©tudes ont montrĂ© que l’application des indicateurs quantitatifs pousse les associations Ă  augmenter leur taille (Trasciani, 2020), elles deviennent alors plus structurĂ©es, selon un processus que la littĂ©rature anglo-saxonne dĂ©finit par « corporatization » (Alexander, Weiner, 1998 ; Suarez, 2010). Des niveaux plus Ă©levĂ©s de formalisation procĂ©durale, un processus dĂ©cisionnel plus centralisĂ© ainsi que la dĂ©finition des structures et dĂ©partements avec des fonctions bien spĂ©cifiques, caractĂ©risent cette tendance

Julie Battilana et Silvia Dorado (2010) soutiennent que les organisations du tiers secteur pourraient ĂȘtre fortement influencĂ©es par la mise en Ɠuvre d’outils basĂ©s sur le fonctionnement d’un marchĂ©, au point

que leurs activitĂ©s pourraient ĂȘtre soumises Ă  un changement de mission. Dans ce cas, le tiers secteur cesse de rĂ©pondre Ă  leur mission sociale (comment rĂ©pondre avec une intervention sociale spĂ©cifique lorsque les interventions ne sont plus dĂ©tectĂ©es sur le terrain), mais offre une rĂ©ponse standardisĂ©e Ă  un besoin identifiĂ© par l’administration, pour obtenir les fonds recherchĂ©s (Battilana, Dorado, 2010)

L’application d’outils issus du marchĂ© et l’internalisation de nouvelles logiques de marchĂ© pourraient Ă©galement reprĂ©senter d’autres dĂ©fis pour ce type d’organisations, tels que les tensions internes, l’affaiblissement de la gouvernance dĂ©mocratique, le dĂ©passement par la logique de gestion avec des consĂ©quences importantes pour l’organisation en termes de lĂ©gitimitĂ©, d’identitĂ© et de sens de l’action (Curchod et al., 2015). À l’ùre de la « gestion par la performance », les changements dans les caractĂ©ristiques organisationnelles sont poursuivis pour des raisons Ă  la fois techniques et politiques, en recherchant des rĂ©sultats substantiels ainsi qu’une lĂ©gitimitĂ© formelle (Ashworth et al., 2009)

Une recherche plus poussĂ©e de cette hybridation est toutefois la stratĂ©gie de survie de certaines associations soumises Ă  la diminution structurelle des subventions publiques. L’hybridation des ressources est ainsi mise en avant comme un moyen de consolider le projet en rĂ©duisant la dĂ©pendance des associations aux financements publics. La littĂ©rature met toutefois en exergue les contradictions et les risques associĂ©s Ă  une hybridation des ressources, selon la diversification des ressources opĂ©rĂ©es, qui peut conduire Ă  un Ă©loignement de leur mission initiale et de leurs spĂ©cificitĂ©s associatives. D’une part, la multiplication des financements publics octroyĂ©s dans des logiques de quasi-marchĂ© et leur morcellement entre diffĂ©rents types de financeurs et de nombreux appels Ă  projets fragilisent les associations et renforcent la bureaucratie et les lourdeurs administratives. D’autre part, l’hybridation des ressources qui conduit Ă  augmenter la part des recettes marchandes risque de conduire Ă  une marchandisation accrue des associations et Ă  une Ă©volution de type « business-like ».

Pour conclure, notre revue de littĂ©rature montre que l’hybriditĂ© des ressources des associations peut ĂȘtre interprĂ©tĂ©e selon des prismes thĂ©oriques diffĂ©rents. Si les modĂšles socio-Ă©conomiques sont souvent abordĂ©s sous une approche dichotomique des financements mobilisĂ©s (publics et privĂ©s), d’autres cadres thĂ©oriques permettent d’analyser l’hybridation des ressources en dĂ©passant cette approche dichotomique et en mettant en lumiĂšre une pluralitĂ© de logiques d’échange ou institutionnelles. Ces approches permettent en outre d’identifier les pressions institutionnelles auxquelles les associations sont confrontĂ©es et les risques liĂ©s Ă  diffĂ©rentes formes d’hybridation des ressources.

De ce cadre conceptuel, nous formulons les questions de recherche suivante :

- Comment les modalitĂ©s d’hybridation des ressources se construisent-elles et se transformentelles au sein des associations artistiques et culturelles ?

- Jusqu’oĂč et sous quelles formes l’hybridation des ressources permet-elle aux associations de consolider et de pĂ©renniser leur structure, en cohĂ©rence avec leur projet associatif ?

Chapitre 3. Méthodologie

3.1. Une recherche partenariale participative

Ce travail repose sur une mĂ©thodologie de recherche partenariale participative (Bonny, 2017). Ce choix se justifie par la volontĂ© de comprendre en profondeur les mĂ©canismes de fonctionnement des organisations en s’appuyant sur une co-construction de la recherche par les acteurs impliquĂ©s. L’approche partenariale participative, qui mobilise des modalitĂ©s de recherche impliquant une articulation forte avec un milieu de pratique (Bonny, 2017), a permis un questionnement des acteurs et une co-construction de la problĂ©matique de recherche avec eux. Dans le cadre de notre recherche, l’appropriation par les acteurs repose sur un engagement fort de ceux-ci dans les diffĂ©rentes Ă©tapes de la recherche : participation Ă  la dĂ©finition du projet, Ă  la validation de la mĂ©thodologie, Ă  la construction de la grille d’entretien, Ă©changes croisĂ©s au-delĂ  de leur situation singuliĂšre, mobilisation des acteurs avec lesquels ils travaillent, mise en discussion des rĂ©sultats de la recherche (ces diffĂ©rents points ayant Ă©tĂ© validĂ©s par les partenaires). La traduction opĂ©rationnelle de cette posture de recherche est l’organisation de temps d’échanges avec les partenaires de maniĂšre bilatĂ©rale (chercheurs et association) et multilatĂ©rale (chercheurs et ensemble des associations), qu’ils soient restreints aux acteurs internes de la structure ou Ă©largis Ă  tous les partenaires.

Cette recherche partenariale et participative repose sur quatre Ă©tudes de cas approfondies (cf. cidessous) dans la RĂ©gion Sud (Provence-Alpes-CĂŽte d’Azur), rĂ©gion dans laquelle l’emploi culturel reprĂ©sentait 2,56 % des emplois en 2018. Au total, vingt entretiens semi-directifs individuels ont Ă©tĂ© effectuĂ©s, pendant la pĂ©riode 2021 -2022, auprĂšs de salariĂ©s et de bĂ©nĂ©voles, lorsque cela Ă©tait possible et pertinent, des associations sĂ©lectionnĂ©es. Ces entretiens ont Ă©tĂ© complĂ©tĂ©s par des entretiens menĂ©s auprĂšs des certaines parties prenantes comme la direction rĂ©gionale des affaires culturelles (DRAC), la communautĂ© de communes Alpes-Provence-Verdon, la caisse d’allocations familiales des Alpes-deHaute-Provence (04). En parallĂšle, afin de complĂ©ter nos donnĂ©es, diverses observations sur le terrain ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es : pendant les festivals, lors d’évĂ©nements artistiques, d’assemblĂ©es gĂ©nĂ©rales ou pendant des rĂ©unions de conseil d’administration et du personnel.

En outre, un groupe de travail collectif afin de faire interagir les quatre associations a Ă©tĂ© créé. Plusieurs rĂ©unions ont eu lieu : avant le dĂ©but projet, pour clarifier les questions de recherche, au dĂ©but du projet pour construire collectivement la grille d’entretien, au milieu de la recherche afin de discuter de l’état d’avancement et des premiers rĂ©sultats qui Ă©mergeaient, et enfin une derniĂšre rĂ©union Ă©galement ouverte aux acteurs externes des organisations dans un but d’échange et de partage des premiers rĂ©sultats

La collecte de ces donnĂ©es de premiĂšre main (entretiens, observations, rĂ©unions de travail) a Ă©tĂ© complĂ©tĂ©e par une analyse documentaire concernant les associations Ă©tudiĂ©es sur la base de leurs rapports d’activitĂ©s et de leurs bilans et dossiers financiers d’exercice des trois derniĂšres annĂ©es, des informations publiĂ©es sur les rĂ©seaux sociaux et sites web.

Cette mĂ©thodologie nous a permis de reconstituer les grandes lignes du dĂ©veloppement de ces associations afin d’identifier les Ă©lĂ©ments de contexte jouant ou ayant jouĂ© un rĂŽle sur leur fonctionnement, et en particulier sur les Ă©volutions de leurs modĂšles socio-Ă©conomiques, tout en Ă©clairant leurs caractĂ©ristiques actuelles. En consĂ©quence, chaque association a Ă©tĂ© analysĂ©e comme

une Ă©tude de cas diffĂ©rente mais appartenant (embedded) au mĂȘme contexte (Yin, 2009). Il existe une difficultĂ© notoire Ă  tracer une dĂ©marcation entre les dynamiques organisationnelles et leur contexte (Yin, 2009). Pour ce faire, ce dernier a Ă©tĂ© explorĂ© notamment Ă  travers les caractĂ©ristiques institutionnelles (modĂšle lĂ©gislatif en vigueur dans le secteur d’activitĂ©, Ă©volution historique du secteur, Ă©volution du financement, etc.) afin de dĂ©crire les diffĂ©rentes influences sur le changement organisationnel. Ce procĂ©dĂ© a permis de nourrir notre grille d’analyse thĂ©orique.

Pour cette Ă©tude, nous avons donc choisi une mĂ©thodologie qualitative, basĂ©e sur la comparaison de quatre Ă©tudes de cas. Bien que cette comparaison de cas spĂ©cifiques ne puisse conduire Ă  une gĂ©nĂ©ralisation, elle peut nĂ©anmoins permettre d’affiner l’analyse d’informations qui, autrement, seraient restĂ©es Ă©parses. En revanche, l’étude croisĂ©e des micropratiques et des activitĂ©s menĂ©es par les organisations peut nous fournir des informations plus dĂ©taillĂ©es sur des phĂ©nomĂšnes plus particuliers En outre, ce type de recherche permet de passer de la description de l’action Ă  la recherche de la signification de cette action et, par le biais d’une approche constructiviste, d’aller Ă  la recherche de ce que l’acteur voit derriĂšre son geste. Cela permet donc d’aller au-delĂ  de la littĂ©rature qui dĂ©finit un phĂ©nomĂšne spĂ©cifique, afin de le reconstruire Ă  travers les yeux de l’acteur lui-mĂȘme. C’est pourquoi il nous a semblĂ© essentiel de coconstruire d’abord l’enquĂȘte puis l’analyse, grĂące Ă  des Ă©changes rĂ©guliers avec les acteurs du territoire.

La recherche, prĂ©vue sur une pĂ©riode de 12 mois dans le cadre d’un contrat postdoctoral financĂ© par l’IFMA, s’est dĂ©roulĂ©e de novembre 2020 Ă  dĂ©cembre 2022. La premiĂšre phase de « construction » a eu lieu de novembre 2020 Ă  juin 2021. Lors de cette phase, nous avons construit le projet de recherche en lien avec les partenaires socio-Ă©conomiques. La deuxiĂšme phase fut celle de la « rĂ©alisation », allant de juillet 2021 Ă  juillet 2022. Elle a permis de mener Ă  bien le protocole de cette recherche (finalisation de la revue de littĂ©rature, rĂ©alisation du travail d’enquĂȘte, premiĂšre analyse et confrontation avec les acteurs).

La troisiĂšme phase concernait la « finalisation », phase de rĂ©daction du rapport de recherche (aoĂ»t 2022–octobre 2022). Enfin, une quatriĂšme phase a Ă©tĂ© celle de la « transmission » et de la valorisation des rĂ©sultats dans diffĂ©rents colloques et publications. Une restitution de la recherche auprĂšs de trois des quatre associations a Ă©tĂ© menĂ©e.

Nous retenons de ce travail que la recherche partenariale participative demande du temps et un investissement collectif important tant du point de vue des chercheurs que des acteurs. La pĂ©riode de l’étude n’était pas la plus propice au dĂ©ploiement d’une telle dĂ©marche. Durant cette pĂ©riode 2021-2022, donc post-Covid, les associations ont eu des plannings chargĂ©s Ă  la suite d’une reprise d’activitĂ© « normale » Ă  laquelle se sont ajoutĂ©es des activitĂ©s reprogrammĂ©es en 2021-2022, par suite de la crise sanitaire. Le fait de travailler sur deux zones Ă©loignĂ©es gĂ©ographiquement n’a pas non plus simplifiĂ© la dynamique collective, malgrĂ© la possibilitĂ© de faire certaines rĂ©unions en visioconfĂ©rence.

3.2. Présentation des cas étudiés

Les cas ont été choisis sur la base de cinq critÚres retenus pour à la fois répondre aux objectifs de la recherche et comparer des associations qui partagent a minima des caractéristiques communes au sein de ce secteur artistique et culturel si diversifié : une réponse à des besoins sociaux insatisfaits (accompagnement des acteurs précarisés et isolés ; accÚs à un programme culturel de grande qualité ; activité de production et de diffusion artistique et culturelle comme vecteur de citoyenneté et de démocratisation de la culture) ; un ancrage territorial revendiqué et partagé par les partenaires ; une

localisation dans une mĂȘme rĂ©gion dont deux en milieu urbain et deux en milieu rural ; une taille les classant dans la catĂ©gorie des petites organisations ; une anciennetĂ© similaire et permettant d’identifier potentiellement des sĂ©quences distinctes de dĂ©veloppement (toutes les quatre ont Ă©tĂ© créées Ă  la fin des annĂ©es 1990).

Art et Culture-La Chouette, association entre Alpes et Provence

L’association Art et Culture–la Chouette a vu le jour en 1998. Elle est situĂ©e Ă  Beauvezer dans les Alpesde-Haute-Provence. Ses activitĂ©s principales sont la programmation culturelle et artistique et l’accompagnement des projets et des acteurs culturels locaux. Cette activitĂ© se dĂ©ploie Ă  l’échelle d’une intercommunalitĂ© regroupant 41 communes. Elle officie sur un territoire rural de montagne.

L’association a Ă©tĂ© créée Ă  l’initiative d’élus locaux qui, Ă  la suite de la loi d’orientation pour l’amĂ©nagement et le dĂ©veloppement du territoire de 1995, dite loi Pasqua, et en prĂ©vision de la loi d’orientation pour l’amĂ©nagement et le dĂ©veloppement durable du territoire de 1999, dite loi Voynet, ont souhaitĂ© soutenir la crĂ©ation d’une association culturelle en considĂ©rant la culture comme un levier de dĂ©mocratie et de dĂ©veloppement rural et en prĂ©figuration du Pays « Asse, Verdon, VaĂŻre, Var », créé en 2000.

L’association a ses bureaux Ă  Beauvezer dans les Alpes-de-Haute-Provence. Historiquement son territoire d’intervention Ă©tait le Pays Asse, Verdon, VaĂŻre, Var, puis celui de la communautĂ© de communes Alpes-Provence-Verdon – Source de LumiĂšre, collectivitĂ© reprenant les frontiĂšres du Pays. Cet espace est constituĂ© de 43 communes situĂ©es Ă  l’est du dĂ©partement comportant 11 443 habitants (INSEE, recensement de la population, 2018). C’est un territoire Ă  la ruralitĂ© trĂšs prononcĂ©e et Ă©loignĂ©e des aires urbaines et mĂ©tropolitaines. Depuis prĂšs de quatre ans, l’activitĂ© de l’association dĂ©passe le cadre de la collectivitĂ© locale avec des interventions Ă  l’échelle du dĂ©partement des Alpes-de-Haute-Provence.

Son activitĂ© s’appuie sur deux axes : la programmation culturelle et artistique et l’accompagnement des projets et des acteurs culturels locaux. Sur le premier axe, elle organise des Ă©vĂ©nements culturels : festivals de musique, reprĂ©sentations de spectacles vivants, rĂ©sidences d’artistes
 pour tout public ou pour public spĂ©cifique. Elle travaille notamment de maniĂšre forte et rĂ©currente avec les Ă©coles, les EHPAD ou les crĂšches du territoire. Sur son second axe, elle dĂ©veloppe une action d’accompagnement des acteurs de son territoire d’intervention dans leur projet, et ce Ă  des degrĂ©s diffĂ©rents allant de la transmission d’informations gĂ©nĂ©rales ponctuelles Ă  de l’orientation pour la sollicitation de subventions ou encore de l’aide Ă  la programmation culturelle. Elle met Ă©galement Ă  disposition son parc technique Ă  ses adhĂ©rents. En 2007, elle est reconnue d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Depuis 2017, elle est pour son territoire historique co-rĂ©fĂ©rente de proximitĂ©, avec la ludothĂšque itinĂ©rante « au temps des lutins » du rĂ©seau d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents (REAAP) local. En 2019, elle reçoit l’agrĂ©ment de la CAF « Espace de vie sociale ». Sur l’annĂ©e 2021, 35 Ă©quipes artistiques ont Ă©tĂ© accueillies et plus de 200 Ă©vĂ©nements ont Ă©tĂ© organisĂ©s. L’association dĂ©clare en donnĂ©es brutes la frĂ©quentation de 4 600 spectateurs.

L’association dĂ©clare appuyer son action sur six piliers : respecter des principes de gratuitĂ© et d’itinĂ©rance afin d’îter des freins matĂ©riels Ă  l’accĂšs Ă  la culture ; faire bĂ©nĂ©ficier le territoire de dispositifs et de projets impulsĂ©s par des structures dĂ©partementales et rĂ©gionales, en Ă©tant un catalyseur de projets et d’ opportunitĂ©s ; proposer des rendez-vous Ă  l’annĂ©e, et tout particuliĂšrement lors des intersaisons, pour s’adresser principalement aux rĂ©sidents permanents et non aux touristes ; impliquer les habitants dans l’accueil des projets culturels, que ce soit en amont en participant aux choix ou pendant en participant Ă 

l’accueil ; s ’associer aux acteurs locaux, associatifs ou communaux, pour la mise en place de projets partagĂ©s et systĂ©matiquement multipartenariaux ; mutualiser compĂ©tences, moyens et initiatives Ă  l’échelle du territoire.

Pour mener Ă  bien sa mission, l’association s’appuie sur une Ă©quipe salariĂ©e de 2,8 Ă©quivalents temps plein occupĂ©s par une directrice, une chargĂ©e de dĂ©veloppement culturel, une secrĂ©taire administrative et, depuis trois ans, une Ă©tudiante en contrat d’alternance. RĂ©guliĂšrement, elle fait appel Ă  de la prestation de services dans le cadre de contrats d’intermittence du spectacle, et Ă  des contrats courts, un par an au maximum, pour faire face Ă  des pĂ©riodes d’activitĂ© dense. L’association dĂ©clare ĂȘtre accompagnĂ©e par une vingtaine de bĂ©nĂ©voles rĂ©guliers, dont une dizaine particuliĂšrement active, et avoir environ 70 adhĂ©rents. Pour rĂ©aliser son activitĂ© dense, l’association, ayant en donnĂ©es brutes une frĂ©quence d’évĂ©nement de 1,8 jour, en plus de ses ressources humaines internes, s’appuie sur plus de 70 partenaires. Ces derniers peuvent ĂȘtre des professionnels, comme des associations employeuses ou non employeuses, des Ă©tablissements, ou simplement des amateurs. Leur degrĂ© de participation est variable, mais considĂ©rĂ©, par la direction et la prĂ©sidence, comme impĂ©ratif pour le dĂ©ploiement des actions.

Sur le plan formel du fonctionnement, l’association a les trois instances classiques de gouvernance : l’assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale, le conseil d’administration et le bureau. L’assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale se rĂ©unit une fois par an ; elle est composĂ©e de l’ensemble des adhĂ©rents. Elle est organisĂ©e ces derniĂšres annĂ©es sur un format relativement court de 2 heures en soirĂ©e en semaine. Au-delĂ  des obligations lĂ©gales, l’accent est mis sur la synthĂšse et l’échange pour en faire un temps de vie et non un temps d’enregistrement administratif. La parole est partagĂ©e entre plusieurs membres de l’équipe salariĂ©e et du bureau. Il y a aussi rĂ©guliĂšrement des tĂ©moignages des partenaires et/ou de bĂ©nĂ©voles. Le conseil d’administration (CA) pour sa part se rĂ©unit trois Ă  quatre fois par an. Il est composĂ© d’adhĂ©rents individuels et de six Ă©lus du territoire d’origine. Il est Ă©galement organisĂ© sur une logique de temps relativement court. Il constitue un moment d’échange et de contrĂŽle des orientations prises ou Ă  prendre par l’association. Le bureau est composĂ© de quatre Ă  cinq membres. Il y a une relative stabilitĂ© dans ses membres avec un renouvellement qui se fait selon un roulement informel. Il se rĂ©unit huit Ă  dix fois par an en prĂ©sence de la directrice. En fonction des thĂ©matiques abordĂ©es, la chargĂ©e de dĂ©veloppement peut ĂȘtre prĂ©sente. Il a pour rĂŽle de suivre et d’orienter le dĂ©ploiement de l’association et constitue Ă©galement un moment important pour permettre la convergence des temps d’implication des salariĂ©es et des bĂ©nĂ©voles.

L’Espace culturel de Chaillol

Créé en 1998, l’Espace culturel de Chaillol est un outil de coopĂ©ration culturelle des Hautes-Alpes. L’association propose une saison de concerts itinĂ©rants associĂ©e Ă  un programme d’action culturelle en direction des habitants du territoire et une politique de commande d’Ɠuvres et de rĂ©sidence de crĂ©ation.

L’Espace culturel de Chaillol a vu le jour en 1998 avec l’organisation de la premiĂšre Ă©dition d’un festival de musique Ă  Chaillol, village de montagne situĂ© dans la vallĂ©e du Champsaur dans le dĂ©partement des Hautes-Alpes. OrganisĂ© de maniĂšre informelle par un groupe d’amis diplĂŽmĂ©s de conservatoire de musique dont certains avaient des attaches dans la vallĂ©e, ce festival Ă©tait vouĂ© Ă  s’arrĂȘter aprĂšs cette premiĂšre Ă©dition. Cependant, le maire de la commune leur a proposĂ© d’organiser une deuxiĂšme Ă©dition. Bien qu’elle ne puisse pas offrir de financements, la municipalitĂ© s’engage Ă  fournir un lieu de

reprĂ©sentation. Pendant l’hiver et le printemps qui suivent, la mairie avec une partie des habitants rĂ©habilite une vieille Ă©glise rĂ©formĂ©e et fermĂ©e depuis 35 ans, oĂč aura lieu la 2e Ă©dition.

En 2003, lors de la crise nationale des intermittents du spectacle, l’association prend conscience de son action au-delĂ  du projet d’une bande de copains dans un village reculĂ© de montagne, un dĂ©clic se produit pour les membres en tant qu’acteur culturel. DĂšs lors, l’association va chercher Ă  se professionnaliser et, pour ce faire, va chercher plus de subventions. Dans la foulĂ©e, la rencontre avec le directeur de l’office de tourisme du territoire va ĂȘtre un marqueur important. Avec cette rencontre nait ce qui apparaĂźt encore aujourd’hui comme les deux jambes de l’association : l’articulation des compĂ©tences artistiques et des compĂ©tences d’ingĂ©nierie de dĂ©veloppement territorial.

En 2008, une nouvelle phase de dĂ©veloppement se fait jour avec la rencontre du Pays gapençais, structure de dĂ©veloppement de projets territoriaux, issue de la loi Voynet de 1999. Cette rencontre permet Ă  l’association de dĂ©velopper ses compĂ©tences mĂ©thodologiques dans le montage de projets et d’obtenir un soutien dans ses demandes de subventions. À cette pĂ©riode, l’association dĂ©veloppe un programme culturel hors festival tout au long de l’annĂ©e afin de s’ancrer sur le territoire en s’adressant aux locaux et non aux touristes. Cette nouvelle stratĂ©gie permet de saisir des financements pour le dĂ©veloppement local et non plus uniquement pour de la diffusion artistique. Si l’association reste vigilante afin d’ĂȘtre reconnue dans le secteur de la culture, directeur et prĂ©sident comprennent aussi que l’ancrage territorial est nĂ©cessaire pour obtenir des budgets. Les liens avec les autoritĂ©s locales – service culturel et service territoire – se tissent de plus en plus Ă©troitement. Petit Ă  petit l’association Ă©largit ses contacts directs avec les partenaires publics en passant du niveau micro local au niveau rĂ©gional.

La derniĂšre Ă©volution majeure de l’association a commencĂ© en 2017 avec la visite de la ministre de la culture Ă  Chaillol dans le cadre de l’obtention du label « scĂšne conventionnĂ©e d’intĂ©rĂȘt national art en territoire » qui sera octroyĂ© pour 2019. Ce label vient marquer un point de maturitĂ© du projet artistique et territorial et permet Ă  l’association de gagner en lĂ©gitimitĂ© auprĂšs des diffĂ©rents partenaires. Ce label octroyĂ© pour quatre ans renouvelables a permis Ă  l’association d’augmenter et de stabiliser pour partie ses ressources financiĂšres.

Au niveau du fonctionnement de l’association, il y a eu aussi de grandes Ă©volutions en cette pĂ©riode. À partir de 2017, le directeur, prĂ©sent depuis l’origine, est salariĂ© par l’association. Auparavant, il occupait cette fonction Ă  titre bĂ©nĂ©vole, les salariĂ©s, quand il y en a eu, s’occupaient de l’administration et de l’organisation des actions culturelles. Du fait du label Art en territoire, les effectifs vont se stabiliser Ă  cinq permanents, avec l’emploi pour les questions techniques et scĂ©niques d’intermittents rĂ©guliers et fidĂ©lisĂ©s. Les bureaux de l’association ont dĂ©mĂ©nagĂ© dans la ville de Gap. En 2019, l’association a profondĂ©ment repensĂ© son organisation interne et ses outils de pilotage. La gouvernance associative a Ă©tĂ© repensĂ©e pour devenir paritaire au niveau du CA et renforcer le double ancrage sur les questions artistiques et territoriales. Des groupes de travail thĂ©matiques composĂ©s de salariĂ©s et de bĂ©nĂ©voles ont Ă©galement Ă©tĂ© créés. Au sein des instances de gouvernance, le directeur joue un rĂŽle central aussi bien dans la structuration, l’animation ou la rĂ©gulation. Ce rĂŽle est renforcĂ© par le label qui est obtenu et portĂ© rĂ©glementairement par le directeur et non par l’association. Au niveau de l’engagement bĂ©nĂ©vole, l’association s’appuie sur une soixantaine de bĂ©nĂ©voles considĂ©rĂ©s comme essentiels pour le dĂ©ploiement des actions. Ainsi, il revient dans les propos de l’ensemble des personnes rencontrĂ©es que le festival estival ne pourrait avoir lieu sans l’engagement opĂ©rationnel des bĂ©nĂ©voles. Ils sont Ă©galement mobilisĂ©s sur les Ă©vĂ©nements tout au long de l’annĂ©e pour l’organisation opĂ©rationnelle.

Sur le plan de l’organisation du travail salariĂ©, un important travail de formalisation a Ă©tĂ© opĂ©rĂ© afin de redĂ©finir les pĂ©rimĂštres de responsabilitĂ©s de chacun avec la réécriture des fiches de postes, la redĂ©finition des modalitĂ©s de coordination, avec le renforcement de l’autonomie de gestion de chacun, couplĂ© au renforcement de la coordination par des sĂ©ances de travail collectif hebdomadaires. Sur le plan de la gestion, de nouveaux outils dynamiques de prĂ©vision et de suivi budgĂ©taires ont Ă©tĂ© mis en place et les relations avec le cabinet comptable ont Ă©tĂ© revues.

Les TĂȘtes de l’Art

L’association, créée en 1996, se situe Ă  Marseille au Comptoir Toussaint-Victorine, une friche industrielle sur le site d’une ancienne usine d’allumettes. Son activitĂ© est centrĂ©e sur le dĂ©veloppement et le soutien de pratiques artistiques participatives par l’entremise d’artistes et d’habitants, sur l’accompagnement d’acteurs dans leur projet culturel et artistique.

Créée par trois amis comĂ©diens, l’association avait comme objectif de dĂ©velopper les activitĂ©s de spectacle des comĂ©diens et d’organiser des sĂ©jours et des classes artistiques pour enfants. Ils voulaient crĂ©er un pont entre les activitĂ©s culturelles et artistiques et les activitĂ©s socioculturelles (organisĂ©es par les centres de jeunesse ou les centres communautaires). À cette Ă©poque, le concept d’animation socioculturelle Ă©tait d’usage, mais l’association avait la conviction de faire de l’animation socioculturelle, mais aussi quelque « chose d’autre », dont on ne parlait pas encore, « la mĂ©diation culturelle ». Il a fallu du temps Ă  l’association pour mettre des mots sur ce qu’elle faisait. Aujourd’hui, elle se considĂšre au croisement entre culture, Ă©ducation populaire et Ă©conomie sociale et solidaire.

L’association Les TĂȘtes de l’Art (TDA) s’est structurĂ©e Ă©tape par Ă©tape. Pendant les cinq premiĂšres annĂ©es, l’association a pu ĂȘtre caractĂ©risĂ©e comme une association d’amis qui partageaient un projet commun (phase d’émergence). Son installation en 2001 Ă  Marseille au Comptoir Toussaint-Victorine, une ancienne friche industrielle, dans le quartier de la Belle de Mai Ă  Marseille, dans la rĂ©gion PACA, a marquĂ© une Ă©tape importante en accĂ©lĂ©rant le dĂ©veloppement de son activitĂ© À partir de 2006, le directeur dĂ©cide d’initier de nombreux changements au sein de l’association. Jusqu’en 2012, c’est une phase de « grands travaux », une phase de professionnalisation et de dĂ©veloppement pourrions-nous dire, qui a Ă©tĂ© menĂ©e au sein de l’association, Ă  partir d’une rĂ©flexion collective et d’un travail mobilisant toutes les parties prenantes. Ce processus de transformation a Ă©tĂ© entamĂ© afin de mieux faire coĂŻncider le projet et les valeurs de l’association avec son fonctionnement interne. Ce processus a Ă©tĂ© marquĂ© par une volontĂ© affirmĂ©e de mettre en place une gouvernance partagĂ©e, de renforcer la participation des salariĂ©s et des artistes dans un climat de transparence. Si au dĂ©part, le conseil d’administration Ă©tait composĂ© d’amis des comĂ©diens, le directeur mentionne qu’il a clairement voulu passer d’un « CA de complaisance Ă  un CA de compĂ©tence. » Plusieurs moyens ont Ă©galement Ă©tĂ© expĂ©rimentĂ©s afin de rapprocher le CA des salariĂ©s. Aujourd’hui, chaque pĂŽle de l’association a un rĂ©fĂ©rent au sein du CA. Des sĂ©minaires de rĂ©flexion sont organisĂ©s chaque annĂ©e afin que toutes les parties prenantes participent Ă  la coconstruction des projets. Pour conduire ces changements, TDA a Ă©tĂ© soutenue par diffĂ©rents instruments et politiques publiques, notamment les dispositifs locaux d’accompagnement des associations ou les politiques de la ville, mais aussi par le fait que le directeur a repris des Ă©tudes pour obtenir un master dans le domaine de l’économie sociale. Depuis 2012, l’association a atteint une phase de maturitĂ©. Cependant, mĂȘme Ă  ce stade de l’organisation, le directeur considĂšre l’association comme un « laboratoire ». Elle est continuellement Ă  la recherche du modĂšle le plus appropriĂ©, toujours en train d’expĂ©rimenter et de tester de nouvelles idĂ©es au niveau interne et externe. Elle se considĂšre dans un

processus de « recherche-action » et a pour ambition d’ĂȘtre un « rĂ©vĂ©lateur d’optimisme » auprĂšs de l’ensemble de ses adhĂ©rents, comme le souligne son directeur

Aujourd’hui, TDA est une association de mĂ©diation artistique et culturelle, centrĂ©e sur le dĂ©veloppement et le soutien de pratiques artistiques participatives par l’entremise d’artistes et d’habitants. Elle porte une vision de l’art comme « outil de transformation sociale, vecteur de citoyennetĂ© ». Sa mission est de faire de l’art « avec » les personnes et non pas « pour » elles, dans une perspective d’émancipation et de rĂ©appropriation de l’espace public par le public. Elle intervient notamment dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV). Parmi les multiples projets dĂ©veloppĂ©s, citons le projet Place Ă  l’Art, qui visait Ă  rĂ©introduire l’art dans le quotidien des habitants dans un quartier prioritaire du centre-ville en faisant des espaces publics des espaces de crĂ©ation artistique et de rencontre tout en amĂ©liorant le cadre de vie. Citons Ă©galement BoulĂšgue, la tĂ©lĂ©vision participative du 3e, qui accompagne des habitants et des structures du quartier dans la rĂ©alisation de contenus audiovisuels, avec Ă©galement pour but de favoriser la crĂ©ation et les liens sociaux. L’association est aussi centrĂ©e sur l’accompagnement d’acteurs dans leur projet culturel et artistique et sur le dĂ©veloppement de projets europĂ©ens.

L’association est aujourd’hui organisĂ©e en quatre pĂŽles :

o le pÎle Projets artistiques et participatifs, qui réalise prÚs de 60 projets artistiques pluridisciplinaires par an, donnant lieu à une création collective, en partenariat avec des établissements scolaires, sanitaires, sociaux ou spécialisés ;

o le pîle Accompagnement, qui propose des temps d’accompagnement individuels et collectifs aux artistes et associations culturelles du territoire ;

o le pĂŽle international, qui partage avec d’autres structures en Europe et en mĂ©diterranĂ©e ses pratiques d’accompagnement de projets artistiques ou de crĂ©ations collectives participatives, pour aborder des questions culturelles, politiques, sociales et environnementales, au travers d’activitĂ©s artistiques et citoyennes ;

o Le pĂŽle transversal Communication et administration.

Au moment de notre Ă©tude, l’équipe est constituĂ©e de 12 salariĂ©s permanents, de 9 volontaires en service civique et de 5 stagiaires. Elle compte 134 adhĂ©rents, 4 000 bĂ©nĂ©ficiaires directs et travaille avec 110 organisations comme partenaires associĂ©s.

ZINC – Seconde Nature

L’association ZINC, créée en 1998, est un centre de crĂ©ation des arts et des cultures numĂ©riques situĂ© Ă  Marseille au sein de la Friche Belle de Mai, Ă©galement une ancienne friche industrielle dĂ©diĂ©e au dĂ©veloppement artistique et culturel tout en Ă©tant au cƓur d’un projet de dĂ©veloppement urbain dont ZINC est un des membres fondateurs. L’association ZINC s’est progressivement rapprochĂ©e de Seconde Nature, une association créée en 2007 et situĂ©e Ă  Aix-en-Provence, qui dĂ©veloppe des activitĂ©s similaires, autour de la promotion des arts et cultures numĂ©riques. Aujourd’hui, ces deux associations se prĂ©sentent sous une appellation commune : « Chroniques » (https://chroniques.org)

Au milieu des annĂ©es 1990, ZINC est l’émanation d’un collectif de journalistes et artistes. AprĂšs ĂȘtre rentrĂ©s des États-Unis et ayant dĂ©couvert internet, ils ont proposĂ© Ă  la Friche La Belle de Mai un projet sur l’accĂšs Ă  internet, crĂ©ant ainsi le premier cyber cafĂ© de France. L’objectif de dĂ©part Ă©tait d’offrir un accĂšs Ă  internet gratuit en prenant appui sur la crĂ©ation de postes de service civique (qui n’était pas

encore trĂšs dĂ©veloppĂ© comme alternative au service militaire). À partir de 2003, ZINC se constitue en association et bĂ©nĂ©ficie d’un soutien public en tant qu’espace culturel multimĂ©dia de la Belle de Mai pour accompagner l’appropriation des outils informatiques par le public. Ces dispositifs s’étant arrĂȘtĂ©s depuis, une rĂ©orientation du projet a commencĂ© Ă  s’opĂ©rer durant la pĂ©riode 2010-2012 pour articuler Ă©ducation populaire et soutien Ă  la crĂ©ation d’art numĂ©rique. Sur cette pĂ©riode, la mĂ©diation numĂ©rique a Ă©voluĂ© vers, d’une part, un soutien Ă  la transition numĂ©rique pour les petites entreprises et, d’autre part, vers l’inclusion numĂ©rique au niveau rĂ©gional. ZINC a ainsi dĂ©veloppĂ© la dimension artistique numĂ©rique du projet (notamment autour de la ville crĂ©ative, des smart cities, etc.).

ZINC dĂ©veloppe Ă©galement une action internationale soutenue conjointement par la RĂ©gion ProvenceAlpes-CĂŽte d’Azur, la Ville de Marseille et le ministĂšre des affaires Ă©trangĂšres dans le cadre de l’appel Ă  projets triennal de coopĂ©ration dĂ©centralisĂ©e. Chaque projet ou action fait l’objet d’un montage spĂ©cifique, avec des financements appropriĂ©s et diversifiĂ©s, notamment par l’Union europĂ©enne. Avec Marseille Ă©lue capitale europĂ©enne de la culture en 2013, ZINC a confirmĂ© sa volontĂ© d’ĂȘtre un Ă©quipement culturel reconnu dans sa capacitĂ© Ă  articuler un lieu qui est un laboratoire de la crĂ©ation contemporaine avec une logique de programmation pour le grand public.

Depuis 2007, ZINC a rencontrĂ© l’association Seconde Nature, situĂ©e Ă  Aix-en-Provence et a progressivement renforcĂ© les collaborations pour aujourd’hui faire tous les projets ensemble, mais sans fusionner. La fusion Ă©tant souvent justifiĂ©e pour des raisons Ă©conomiques, les associations ont souhaitĂ© rester sĂ©parĂ©es pour insister sur le rapprochement centrĂ© sur des valeurs communes. Il y a donc un seul projet, mais avec deux associations distinctes, l’une fiscalisĂ©e (i.e. soumises aux impĂŽts commerciaux) et l’autre pas, avec comme objectif de mutualiser les ressources pour financer des actions plus importantes, pour ĂȘtre sur deux territoires diffĂ©rents tout en conservant les financements des deux associations. Les gouvernances demeurent distinctes malgrĂ© des croisements entre les deux conseils d’administration pour travailler ensemble et des assemblĂ©es gĂ©nĂ©rales communes. Le fait que Marseille soit capitale europĂ©enne de la culture en 2013 a Ă©galement jouĂ© un rĂŽle important, notamment dans la coproduction d’un Ă©vĂ©nement central pour les deux associations, la Biennale, nommĂ©e « Chroniques », dont la premiĂšre Ă©dition a eu lieu en 2016. Chroniques est d’ailleurs l’appellation commune sous laquelle, depuis peu, se prĂ©sentent les deux associations. ZINC - Seconde Nature anime Ă©galement plusieurs rĂ©seaux, comme celui des tiers-lieux, Ă  la suite du label « Fabrique de territoire » obtenu par la Friche, mais portĂ© par ZINC, ou comme le rĂ©seau national des arts hybrides et cultures numĂ©riques (HACNUM).

ZINC structure ses activitĂ©s autour de trois axes : la production, en proposant soutien et accompagnement Ă  la production artistique numĂ©rique et Ă  la diffusion de ces Ɠuvres ; la mĂ©diation numĂ©rique, en organisant des ateliers crĂ©atifs permettant Ă  tous de s’initier et de pratiquer les technologies numĂ©riques, notamment dans le cadre d’un Fablab ; la formation Ă  destination de professionnels de la culture et du social. Aujourd’hui une derniĂšre brique s’ajoute Ă  ces axes, une activitĂ© de consulting et d’ingĂ©nierie. Le dĂ©veloppement de l’activitĂ© chez ZINC passe par une diversification assez forte des activitĂ©s.

L’équipe de ZINC est pluridisciplinaire et constituĂ©e, au moment de notre Ă©tude, de 6 salariĂ©s permanents, de 21 Ă©quivalents temps plein Ă  l’annĂ©e (car il peut y avoir le recours Ă  un nombre plus Ă©levĂ© de salariĂ©s Ă  la veille d’un gros Ă©vĂ©nement). Des bĂ©nĂ©voles sont mobilisĂ©s uniquement pour des actions ponctuelles et des Ă©vĂ©nements. Les activitĂ©s de diffusion, bien que la frĂ©quentation soit difficile Ă  mesurer dans des espaces publics, rassemblent 40000 personnes par an selon les estimations. Quant

aux activitĂ©s de mĂ©diation et d’éducation, la frĂ©quentation est de 1 453 Ă©lĂšves et 738 participants tous publics. Le conseil d’administration de ZINC est aujourd’hui composĂ© de profils variĂ©s (chefs d’entreprises, acteurs du secteur culturel, acteurs de la formation professionnelle, acteurs du tourisme). Le CA de ZINC est constituĂ© de sept administrateurs, celui de Seconde Nature de cinq. Durant la pĂ©riode de notre Ă©tude, le CA a Ă©tĂ© peu sollicitĂ©, faute de temps. Comme mentionnĂ© ci-dessus, les assemblĂ©es gĂ©nĂ©rales des deux associations sont communes.

Quatre associations engagĂ©es territorialement pour la dĂ©mocratisation culturelle et l’émancipation

Les quatre associations que nous avons sĂ©lectionnĂ©es, ont en commun de jouer un rĂŽle dĂ©terminant dans la cohĂ©sion des territoires oĂč elles sont implantĂ©es et sont des acteurs majeurs des dynamiques d’engagement et de citoyennetĂ©, en adĂ©quation avec leur mission sociale. Elles contribuent toutefois de maniĂšre diffĂ©rente Ă  la dĂ©mocratisation culturelle. Ainsi, Art et Culture–la Chouette, par exemple, considĂšre avoir une fonction sociopolitique notamment Ă  travers l’engagement d’ĂȘtre lĂ , sur « le territoire », toute l’annĂ©e, en saison comme hors saison. C’est un rĂ©el engagement qui suppose une itinĂ©rance des activitĂ©s dans la mesure oĂč l’association n’a pas de salle de spectacle, pas de cafĂ© associatif, pas de lieu pour se rencontrer. L’itinĂ©rance, qui force Ă  monter des projets en partenariat avec d’autres associations ou collectivitĂ©s, est toutefois source de contraintes fortes afin de produire des espaces de qualitĂ© pour la reprĂ©sentation de spectacles professionnels avec des problĂ©matiques techniques multiples (taille de l’espace, hauteur disponible, jauges acceptables, normes Ă©lectriques, etc.). Mais elle est ce qui pourrait ĂȘtre l’essence mĂȘme de la fonction sociopolitique de l’association : aller lĂ  oĂč l’art n’est pas prĂ©sent, oĂč il trouve difficilement sa place, et inventer des solutions pour qu’il y trouve sa place. L’Espace culturel de Chaillol vise aussi la dĂ©mocratisation culturelle, reconnue notamment Ă  travers le conventionnement « Art en territoire ». La contribution Ă  la dĂ©mocratisation culturelle est Ă©galement au cƓur du projet des TĂȘtes de l’Art, et se traduit entre autres par un accompagnement inconditionnel des artistes et des projets qui souhaitent se dĂ©velopper, ainsi que dans le cas de ZINC, pour qui les activitĂ©s de mĂ©diation et d’éducation numĂ©rique sont centrales, en ciblant notamment un public scolaire.

Chapitre 4. Quelle hybridation des ressources ?

Entre stratégies

communes et spécificités

Notre Ă©tude a pour but d’identifier, pour les quatre associations impliquĂ©es dans cette recherche, les modalitĂ©s d’hybridation des ressources et leurs Ă©volutions ces derniĂšres annĂ©es, en tenant compte des transformations et des crises auxquelles elles ont dĂ» faire face. Ce travail permet de mettre en Ă©vidence diffĂ©rentes stratĂ©gies d’hybridation des ressources, qui ont Ă©voluĂ© dans le temps. Si certaines stratĂ©gies sont communes aux associations Ă©tudiĂ©es, des spĂ©cificitĂ©s sont cependant observĂ©es. Les avantages et les limites de diffĂ©rentes modalitĂ©s d’hybridation des ressources sont Ă©galement mis en Ă©vidence. Mais cette recherche souligne surtout, la nĂ©cessaire imbrication des logiques d’échange, marchandes, redistributives et rĂ©ciprocitaires, d’une part, pour assurer le dĂ©veloppement et la pĂ©rennisation des associations Ă©tudiĂ©es. D’autre part, elle contribue Ă  visibiliser et Ă  montrer la centralitĂ© de la logique rĂ©ciprocitaire pour ces associations afin d’éviter un Ă©loignement de leur mission initiale.

4.1. Une hybridation des ressources réelle répondant à des stratégies différentes

Afin de caractĂ©riser l’hybridation des ressources dĂ©ployĂ©e par les associations Ă©tudiĂ©es, nous commençons par analyser la nature et le poids des diffĂ©rentes ressources mobilisĂ©es et, dans la mesure du possible, leur Ă©volution sur quatre ans. Nous prenons donc en compte les sources de financement des associations, publiques et privĂ©es (incluant les dons et le mĂ©cĂ©nat), auxquelles nous ajoutons le bĂ©nĂ©volat.

Ensuite, nous avons choisi d’approfondir la question de la rĂ©ciprocitĂ©, afin de ne pas la limiter Ă  la mobilisation de dons, de mĂ©cĂ©nat et de bĂ©nĂ©voles et de rendre compte de la rĂ©elle hybridation des ressources opĂ©rĂ©e par les associations Ă©tudiĂ©es et de mieux comprendre leur ancrage territorial. La logique rĂ©ciprocitaire dĂ©passe en effet les seules ressources tangibles et visibles pour inclure des ressources moins visibles, plus informelles telles que les relations sociales, interpersonnelles, de confiance et de proximitĂ©, la lĂ©gitimitĂ© et la reconnaissance par les acteurs, qui sont ressorties comme essentielles pour entretenir le projet social, la dimension collective et l’ancrage territorial inhĂ©rents Ă  ce projet. Les quatre associations reposent en effet sur des dynamiques collectives fortes, conduisant au dĂ©veloppement de multiples partenariats, Ă  la mutualisation de ressources et Ă  la constitution et l’animation de nombreux rĂ©seaux sur les territoires d’implantation.

Lepoidsdesfinancementspublics :delasubventionaucontrat ?

Les organisations Ă©tudiĂ©es se caractĂ©risent par une multiplicitĂ© de ressources monĂ©taires avec une prĂ©dominance des financements publics, mais dont les ratios varient selon les associations et selon les annĂ©es comme l’illustre le graphique 3. Elles soulignent Ă©galement les contraintes administratives et financiĂšres grandissantes (et qui rendraient parfois nĂ©cessaires des services administratifs et comptables

que seules les associations de grande taille possÚdent), mais aussi leur fragilisation liée à la dépendance croissante à de multiples sources de financement de courte durée.

GRAPHIQUE 3. PART DES SUBVENTIONS DANS LE BUDGET TOTAL (2017-2020)

Part des subventions en pourcentage dans le budget total

Art & Culture Espace Culturel de Chaillol TĂȘtes de l'Art Zinc

Source : calculs des auteurs à partir des données recueillies dans le bilan des associations étudiées Champ : part des subventions dans le budget des quatre associations étudiées entre 2017 et 2020 Lecture : la part des subventions dans le budget de Zinc est passée de 80,95 % en 2017 à 77,17 % en 2020.

Les quatre associations ont vu leurs parts de subventions augmenter dans leur budget en 2020 en comparaison de l’annĂ©e 2019. Ceci s’explique par la baisse des entrĂ©es financiĂšres par prestation, due Ă  l’impact direct de la situation sanitaire, l’annĂ©e 2020 Ă©tant marquĂ©e par des confinements, des fermetures administratives et des limitations de jauge qui ont rĂ©duit le volume d’activitĂ© des associations. Toutefois, pour voir un effet « Covid 19 » sur les subventions, nous pouvons comparer les taux de croissance annuels moyens entre 2018 et 2020 (graphique 4).

GRAPHIQUE 4. TAUX DE CROISSANCE ANNUEL MOYEN DES SUBVENTIONS DANS LE BUDGET TOTAL (2018-2020)

Art & Culture Espace Culturel de Chaillol

TĂȘtes de l'Art Zinc

Source : calculs des auteurs à partir des données recueillies dans le bilan des associations étudiées. Champ : taux de croissance annuel des subventions dans le budget des quatre associations étudiées entre 2018 et 2020. Lecture : en 2020, le montant des subventions obtenues par ZINC a augmenté de 10 % par rapport à 2019

Le graphique 4 permet de mettre en Ă©vidence une forte variabilitĂ© de la part des subventions dans les budgets des associations. Dans ce cadre, il est plus difficile de formuler une interprĂ©tation commune. Par exemple, Art et Culture–la Chouette connaĂźt une variation de son taux de croissance d’une annĂ©e sur l’autre la plus importante, qui s’explique essentiellement par la mĂ©canique du jeu des acteurs publics subventionneurs. Les taux de croissance Ă©levĂ©s en 2018 et 2020 marquent une capacitĂ© de rebond Ă  la suite d’une perte importante de subventions. À la diffĂ©rence d’Art et Culture–la Chouette, le budget des TĂȘtes de l’Art est plus variable du fait d’une stratĂ©gie plus affirmĂ©e de rĂ©ponse Ă  des marchĂ©s publics et de recherche de financement par projets, notamment au niveau europĂ©en, ce qui implique par exemple une variation de l’emploi plus importante dans cette association en fonction des financements obtenus. Ainsi, les TĂȘtes de l’Art connaissent des variations budgĂ©taires fortes, car elles dĂ©veloppent une stratĂ©gie de financement par projet : une fois que le projet se termine, il n’est pas forcĂ©ment complĂ©tĂ© par un nouveau. Alors que les trois autres associations ont une logique de budget global au sein duquel les financements obtenus pour des projets spĂ©cifiques s’articulent ensemble pour constituer le budget commun, les TĂȘtes de l’Art Ă©tablissent un budget global qui est la somme des budgets par projet. Notons toutefois que malgrĂ© cette variabilitĂ© due aux projets financĂ©s, l’association cherche le plus possible Ă  stabiliser les emplois en CDI.

La prĂ©sentation de ces donnĂ©es chiffrĂ©es apporte des Ă©clairages sur le volume des subventions publiques dans les budgets et sur les Ă©volutions Ă  moyen terme. Toutefois, ces donnĂ©es ne permettent pas d’identifier les rĂ©alitĂ©s diffĂ©rentes et les stratĂ©gies mises en Ɠuvre dans la construction mĂȘme des budgets. Ainsi, derriĂšre des niveaux de subventions se cachent des disparitĂ©s importantes sur l’articulation des diffĂ©rents financeurs publics. D’une annĂ©e sur l’autre, l’ordre d’importance des

financeurs peut varier (Art et Culture–la Chouette, ZINC) ou ĂȘtre relativement stable (Espace culturel de Chaillol, TĂȘtes de l’Art), expliquant pour partie l’évolution du taux de croissance des subventions. Aussi, entre les quatre associations, nous n’avons pas la mĂȘme construction ni la mĂȘme rĂ©partition des financeurs publics. Mentionnons par ailleurs qu’une partie importante du budget de Art et Culture–la Chouette est constituĂ© des cotisations que paie la communautĂ© de communes par habitant (soit 2,25 euros par habitant), ce qui constitue 24 % du budget de l’association en 2020. Ces cotisations ne sont pas comptabilisĂ©es dans les subventions publiques.

Pour l’Espace culturel de Chaillol, le label « scĂšne conventionnĂ©e art en territoire » a jouĂ© un rĂŽle structurant important avec la reconnaissance de l’acteur public central qu’est le ministĂšre de la culture. Ce label a permis un changement d’échelle avec une stabilisation financiĂšre Ă  court et moyen terme, notamment en consolidant les emplois au sein de l’association. Le directeur prĂ©cise : « Sans ce conventionnement, on ne serait peut-ĂȘtre plus lĂ  aujourd’hui. » Aussi, l’association affiche une part de subventions publiques autour de 90 % sur les quatre annĂ©es de rĂ©fĂ©rence, ce qui n’est pas perçu comme un handicap par les partenaires publics, car, Ă  travers ce label, elle doit assurer des missions de service public inscrites dans le cahier des charges associĂ© au conventionnement. À l’inverse, les trois autres associations ont dĂ», incitĂ©es par les financeurs publics, augmenter leurs ressources propres. Cela s’est fait Ă  travers le dĂ©veloppement de la prestation de services, qui reprĂ©sente autour de 33 % du budget au moment de notre Ă©tude. Ainsi, pour faire face Ă  la baisse des subventions publiques, les trois associations ont dĂ©veloppĂ© de la prestation de services, mais essentiellement auprĂšs des pouvoirs publics. De fait, si le volume des fonds publics est comparable d’une annĂ©e Ă  l’autre, l’origine des fonds et leur Ă©criture comptable diffĂšrent. D’une façon gĂ©nĂ©rale, Ă©tant donnĂ© les missions des quatre associations Ă©tudiĂ©es, les prestations de services auprĂšs d’organisations privĂ©es et la billetterie reprĂ©sentent des parts faibles dans leurs budgets.

Contrairement Ă  la tendance observĂ©e globalement pour les organisations de l’ESS, les associations interrogĂ©es ont ainsi plus de subventions que de recettes publiques liĂ©es Ă  des prestations (par exemple dans le cadre d’appels d’offres ou de marchĂ©s publics). Cependant les personnes interviewĂ©es ont dĂ©clarĂ© opĂ©rer une distinction entre subventions et recettes publiques depuis peu, Ă  la suite de la montĂ©e du financement par projet et de la diminution des financements de fonctionnement. La multiplication des appels d’offres, octroyĂ©s par des organismes diffĂ©rents, avec des modalitĂ©s et des procĂ©dures diffĂ©rentes, afin de rĂ©aliser des objectifs diffĂ©rents, demande un effort non nĂ©gligeable aux organisations tant du point de vue de la gestion de projet que de la gestion comptable. Cette diversification implique en effet un engagement important en termes administratifs : pour chaque projet, il est nĂ©cessaire d’élaborer un budget, de rĂ©diger des rapports, de montrer son impact sur le territoire, le secteur... L’enregistrement sous une seule forme de financement public invisibilise cet effort des organisations pour repĂ©rer les appels Ă  projets, y rĂ©pondre et suivre les diffĂ©rents projets.

La question de l’échelon europĂ©en est rĂ©vĂ©latrice Ă  ce niveau. Deux associations, les TĂȘtes de l’Art et ZINC, ont fait le choix de participer Ă  la recherche de fonds europĂ©ens quand Art et Culture–la Chouette, ayant dĂ©jĂ  fait l’expĂ©rience de ces fonds a dĂ©cidĂ©, sur la pĂ©riode de rĂ©fĂ©rence, de ne plus s’en saisir. Pour les TĂȘtes de l’Art et ZINC, l’intĂ©rĂȘt de cet Ă©chelon rĂ©side dans les montants importants allouĂ©s rĂ©guliĂšrement, conduisant les TĂȘtes de l’Art Ă  structurer un « pĂŽle international » au sein de l’association, tandis que, pour Art et Culture–la Chouette, la dimension administrative qu’il implique a induit une mise en retrait.

Certains acteurs interrogĂ©s envisagent l’hybridation aussi sur le plan de l’activitĂ©. Les quatre associations se caractĂ©risent par la multiplication et la diversification des actions afin de saisir des opportunitĂ©s de financement public et de rĂ©pondre aux besoins du territoire. Maintenir leur identitĂ© organisationnelle ainsi que leur mission sans tomber dans l’écueil de la dispersion reprĂ©sente un dĂ©fi majeur pour elles Par exemple, ZINC a largement diversifiĂ© ses activitĂ©s, optant pour un modĂšle plus entrepreneurial de type « start up », qui n’est pas sans risques. L’association est bien consciente que le fait d’adopter une « culture de l’opportunitĂ© », sans positionnement clair ni arbitrage, peut entraĂźner l’association dans une course effrĂ©nĂ©e Ă  la recherche de projets ou de fonds, engendrant donc un risque de dispersion, de perte d’énergie pour, en dĂ©finitive, subir les Ă©volutions de l’environnement socio-Ă©conomique et mettre en pĂ©ril son projet associatif. Une rĂ©flexion autour de la stratĂ©gie de l’association devrait ĂȘtre menĂ©e prochainement par le CA.

De plus, les autoritĂ©s octroyant les financements Ă©tant trĂšs peu en contact entre elles, il revient donc aux associations de trouver une cohĂ©rence entre les diffĂ©rents financements dont les buts peuvent ĂȘtre variĂ©s (par exemple soutenir la production artistique, contribuer au dĂ©veloppement territorial, encourager l’éducation Ă  la lecture, dĂ©velopper des activitĂ©s artistiques et culturelles dans des centres sociaux), tout en gardant le cap par rapport Ă  leur projet sociopolitique.

Mentionnons cependant que, malgrĂ© un contexte oĂč les appels Ă  projets se multiplient et oĂč les financements sont dispersĂ©s entre une diversitĂ© d’acteurs publics, les associations rencontrĂ©es ont soulignĂ© les relations de confiance tissĂ©es depuis plusieurs annĂ©es avec certains financeurs publics, qui leur permettent d’aller nĂ©gocier, Ă  la marge, certains financements ou certains projets. La logique de redistribution n’est donc pas toujours descendante pour les associations qui existent depuis plusieurs annĂ©es et qui ont construit une certaine lĂ©gitimitĂ© locale ainsi qu’une reconnaissance par les pouvoirs publics de leur contribution au dĂ©veloppement artistique et culturel de leur territoire, voire au-delĂ .

Des recettes marchandes en lien avec les pouvoirs publics et encastrés dans des relations réciprocitaires

Les organisations interviewĂ©es ont peu de recettes marchandes, au sens de financements issus de la vente de prestations, ce qui est en concordance avec leur mission de dĂ©mocratisation culturelle et d’élargissement de l’accĂšs Ă  une programmation culturelle et des services de qualitĂ©.

La part des recettes dites marchandes varie cependant entre les quatre organisations Ă©tudiĂ©es. Les TĂȘtes de l’Art et ZINC montrent un niveau plus Ă©levĂ© d’hybridation des ressources entre ressources publiques et marchandes. Les deux organisations opĂšrent dans un contexte urbain et sont donc soumises Ă  un niveau de concurrence plus Ă©levĂ© que les deux associations en milieu rural afin d’obtenir les financements. Mais la majoritĂ© de leurs recettes issues de prestations provient toutefois d’acteurs publics.

Notons que diffĂ©rentes stratĂ©gies sont mises en Ɠuvre pour dĂ©ployer la prestation de services. À des pĂ©riodes diffĂ©rentes et Ă  des degrĂ©s diffĂ©rents, les trois associations concernĂ©es se sont mises Ă  distinguer dans leurs budgets les subventions publiques et les recettes des prestations en rĂ©ponse Ă  des appels d’offres. Par exemple, l’une d’elles, enregistrant dans la catĂ©gorie des subventions les fonds perçus par un organisme social, s’est vu demander par le financeur une modification dans l’enregistrement comptable de l’opĂ©ration. Le financeur, pour ce type d’action a un cadre lĂ©gal qui

dĂ©termine la part de subvention et la part d’achat de prestations de service. L’association a rĂ©pondu favorablement afin non seulement de satisfaire la demande, mais aussi, dans une logique d’augmentation de leur part d’autofinancement, pour rĂ©pondre aux attentes d’autres financeurs publics. DĂšs lors, il apparaĂźt que la question stratĂ©gique de l’hybridation des ressources financiĂšres trouve aussi une traduction dans un exercice d’écriture comptable concertĂ© avec les partenaires et pas uniquement dans une mĂ©canique de mise Ă  distance des partenaires publics au profit de partenaires privĂ©s. Pour conclure, notre Ă©tude rĂ©vĂšle que les « acheteurs », qu’ils soient publics ou privĂ©s, s’adressent Ă  ces associations non seulement pour la qualitĂ© de leurs prestations, mais aussi en raison de leur finalitĂ© sociopolitique et de leur lĂ©gitimitĂ© dans ce champ d’activitĂ©. Nous considĂ©rons ainsi que, mĂȘme dans le cadre d’une logique de marchĂ©, une grande partie des relations sont encastrĂ©es dans des relations relevant de la logique rĂ©ciprocitaire, dans la mesure oĂč la finalitĂ© sociale poursuivie par ces associations et les relations de confiance construites progressivement avec les diffĂ©rents acteurs jouent un rĂŽle important dans le choix du prestataire. En consĂ©quence, la variable d’ajustement entre l’offre et la demande ne repose pas uniquement sur le prix de la prestation, mais Ă©galement sur d’autres variables relevant de la rĂ©ciprocitĂ©, qui se sont construites dans le temps Ă  travers des mises en relations rĂ©currentes permettant des ajustements dans les positions de chacun. Ces variables relĂšvent de l’encastrement social de la relation entre le financeur et l’association au-delĂ  de la prestation de service. La logique rĂ©ciprocitaire se dĂ©ploie Ă  deux niveaux. Le premier est bilatĂ©ral, entre l’association et le financeur. Il se matĂ©rialise dans la sollicitation directe du financeur. Par exemple, des financeurs ont sollicitĂ© rĂ©guliĂšrement, en fin d’annĂ©e, aussi bien l’Espace culturel de Chaillol que Art et Culture-la Chouette, pour les informer qu’il leur reste du budget et qu’il serait souhaitable que l’association leur fasse une proposition de prestation. Dans ce cadre, le directeur et la directrice des associations mentionnĂ©es soulignent que ces sollicitations sont le fruit des liens tissĂ©s avec le partenaire. Ils Ă©voquent la nĂ©cessitĂ© de ne pas forcĂ©ment rĂ©pondre affirmativement afin de ne pas avancer sur des engagements difficiles Ă  tenir (charge de travail non prĂ©vue, pertinence par rapport au projet associatif, etc.). Ainsi, le directeur de l’Espace culturel de Chaillol dit avoir dĂ©jĂ  dĂ©clinĂ© une proposition de ce type du fait du surcroĂźt d’activitĂ© que celle-ci engendrerait et considĂ©rant que l’équipe n’aurait pas la capacitĂ© de l’assumer. Or ce refus a Ă©tĂ© entendu positivement par le financeur apprĂ©ciant l’honnĂȘtetĂ© et la clartĂ© de la relation entretenue.

Le second niveau oĂč se dĂ©ploie la rĂ©ciprocitĂ© est multilatĂ©ral. Par exemple, les associations ont chacune exprimĂ© le fait qu’elles obtiennent rĂ©guliĂšrement des informations de la part d’un partenaire financier sur des possibilitĂ©s de financement auprĂšs d’un autre financeur. Il arrive Ă©galement qu’un financeur demande Ă  ĂȘtre tenu informĂ© de la demande de financement auprĂšs d’autres financeurs afin de pouvoir apporter un soutien Ă  leur demande.

Des ressources réciprocitaires en réponse à des stratégies variées : dons, bénévolat et mécénat

Pour ce qui concerne le don, le mĂ©cĂ©nat et le financement participatif, d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, les ressources mobilisĂ©es restent peu importantes dans le budget des associations Ă©tudiĂ©es, mĂȘme si certaines d’entre elles ont clairement dĂ©veloppĂ© une stratĂ©gie de dĂ©veloppement de ces ressources. Le don et lemĂ©cĂ©nat s’expriment globalementdans une logique de proximitĂ© et d’attachement Ă  l’association. Par exemple, aussi bien Art et Culture–la Chouette que l’Espace culturel de Chaillol ont reçu des dons

numĂ©raires en 2020 de la part d’adhĂ©rents ou de sympathisants qui voulaient signifier Ă  travers ce geste leur attachement Ă  l’association et Ă  la culture, dans un contexte difficile. Concernant le financement participatif, les quatre associations s’accordent sur le fait que ce mode de financement est spĂ©cifique et distinct des autres modes de financement. Il implique des compĂ©tences et des moyens spĂ©cifiques que les associations interviewĂ©es n’ont pas, par exemple savoir dĂ©ployer une stratĂ©gie de communication spĂ©cifique, non seulement pour atteindre un large public, mais aussi pour maintenir l’engagement tout au long de la campagne. Une autre compĂ©tence afin de rendre efficace le financement participatif concerne la maĂźtrise des plateformes spĂ©cifiques. La directrice d’Art et Culture– la Chouette nous explique par exemple que des stratĂ©gies ont Ă©tĂ© Ă©laborĂ©es Ă  plusieurs reprises, dans certains cas mĂȘme avec l'intervention d'experts externes, mais les rĂ©sultats n’ont pas Ă©tĂ© pas Ă  la hauteur des attentes. Les associationsont pourl’ensembleenvisagĂ©,voireessayĂ©,lefinancementparticipatif, maisavecdesrĂ©sultats mitigĂ©s au regard des ressources mobilisĂ©es et des rĂ©sultats attendus ou obtenus

Toutefois, concernant le mĂ©cĂ©nat, l’expĂ©rience en cours au moment de notre Ă©tude au sein de ZINC de structurer un mĂ©cĂ©nat d’entreprise mĂ©rite d’ĂȘtre soulignĂ©e. L’association a lancĂ© un club de mĂ©cĂšnes appelĂ© le « Digital Art Club » en vue de soutenir le dĂ©veloppement de l’art numĂ©rique dans la rĂ©gion et de dĂ©velopper la « stratĂ©gie d’influence » de ZINC. Au moment de notre enquĂȘte, le club compte 23 entreprises et leurs apports financiers s’élĂšvent Ă  9 % du budget de l’association. Parmi les entreprises adhĂ©rentes, nous distinguons trois catĂ©gories : les « faiseurs de la ville », ainsi nommĂ©s par une des personnes interrogĂ©es (par exemple des entreprises du BTP ou du secteur de l’énergie), des entreprises « high tech » et des entreprises du « retail » (commerce de dĂ©tail). Outre leur adhĂ©sion, ZINC sollicite les membres du club pour des projets spĂ©cifiques dans une logique de sponsoring. Le club propose des activitĂ©s trois Ă  quatre fois par an, les relations entre les entreprises adhĂ©rentes du club et l’association sont trĂšs bonnes. Les entreprises sont ravies par exemple de faire des visites d’expositions privatives ou d’aller visiter les coulisses des artistes. En Ă©change, elles apportent une aide financiĂšre et une lĂ©gitimitĂ© de la part du monde Ă©conomique, qui contribuent Ă  sĂ©curiser le dĂ©veloppement de l’association. Cet Ă©change n’est pas formalisĂ©, il repose pleinement sur la logique du don et du contre-don entraĂźnant le renforcement des relations sociales entretenues. L’association offre un accĂšs privilĂ©giĂ© aux Ɠuvres et aux artistes permettant aux entreprises de dĂ©couvrir cet univers, les enjeux de la crĂ©ation et de la diffusion artistique et en retour, elles peuvent parler du projet de l’association et le soutenir auprĂšs d’autres entreprises. Nous pouvons y voir une dimension de rĂ©ciprocitĂ© dans la mesure oĂč l’octroi de ressources financiĂšres par le mĂ©cĂ©nat financier est encastrĂ© dans des relations sociales de proximitĂ©, multilatĂ©rales et permettant de dĂ©ployer en commun des activitĂ©s pour soutenir le projet de l’association.

Quant aux autres associations, dont la stratĂ©gie de mĂ©cĂ©nat Ă©tait au moment de notre Ă©tude moins dĂ©veloppĂ©e, elles estiment toutefois ĂȘtre reconnues par leurs partenaires pendant les festivals, ou par les commerçants locaux, pour leur rĂŽle central dans le dĂ©veloppement territorial. Ainsi, leur contribution Ă  l’économie locale, enaugmentant les visiteurs dans un village Ă©loignĂ© de zones urbaines ou en faisant vivre les territoires pendant l’hiver Ă  travers diffĂ©rentes activitĂ©s, est reconnue. Le directeur de l’Espace culturel de Chaillol confirme une certaine fidĂ©litĂ© aux commerçants du territoire (par exemple pour l’impression d’affiches lors d’évĂ©nements, l’association passe par un imprimeur local avec qui des liens ont Ă©tĂ© tissĂ©s dans le temps). Il considĂšre cette construction de liens de proximitĂ© comme un investissement dans et pour le territoire Et vice-versa, la mĂȘme organisation dĂ©clare ĂȘtre fortement soutenue par les individus et par les petits commerces locaux. Se faire connaĂźtre et ĂȘtre reconnu comme acteur clĂ© du territoire grĂące Ă  l’activitĂ© dĂ©veloppĂ©e sont des points centraux pour toutes les organisations.

Mais dĂšs que les organisations essaient de changer d’échelle afin de se voir octroyer des montants plus importants, la situation se complique. Si le mĂ©cĂ©nat et le financement par les fondations peuvent ĂȘtre importants pour soutenir les organisations du secteur culturel, notre Ă©tude fait ressortir qu’ils se concentrent sur des activitĂ©s relevant de l’excellence artistique et de sa diffusion, qu’ils soutiennent des producteurs dĂ©jĂ  reconnus et des Ɠuvres considĂ©rĂ©es a priori comme rentables au dĂ©triment de l’action culturelle, des droits culturels et de l’éducation populaire. Les petites associations, trĂšs ancrĂ©es localement, ne participent pas Ă  cette dynamique. Les efforts des TĂȘtes de l’Art, qui a fait appel Ă  des consultants marketing pour le mĂ©cĂ©nat, et qui a tentĂ© Ă  plusieurs reprises de rĂ©pondre aux appels Ă  projets venant de fondations, ne se voient pas reconnus au moment de notre enquĂȘte. Si localement le rĂŽle crucial des associations culturelles est bien reconnu par les partenaires institutionnels et par les citoyens, faire financer par des fondations et des mĂ©cĂšnes ce travail de mĂ©diation et de dĂ©mocratisation culturelles sur les territoires demeure difficile. Les associations culturelles de petite taille ont du mal Ă  se faire remarquer par les fondations et les mĂ©cĂšnes, en particulier si elles n'ont pas une prĂ©sence forte sur la scĂšne mĂ©diatique ou si elles manquent de rĂ©seaux influents dans le domaine du mĂ©cĂ©nat. De plus les fondations et les mĂ©cĂšnes peuvent avoir des prioritĂ©s spĂ©cifiques en termes de domaines d'intervention ou de types de projets qu'ils souhaitent soutenir. Si les projets proposĂ©s par les associations ne correspondent pas Ă  ces attentes, il est probable qu'elles ne reçoivent pas de financement. Enfin le travail de dĂ©mocratisation culturelle sur le territoire reste toujours moins visible que les Ă©vĂ©nements culturels grand public. Par consĂ©quent, les mĂ©cĂšnes ont beaucoup plus de difficultĂ©s Ă  comprendre, estimer et financer tout le travail de maillage rĂ©alisĂ© sur le territoire, et ne sont pas toujours conscients de l'impact rĂ©el de ces initiatives sur la communautĂ©. Le cas de ZINC est Ă©clairant aussi. Si l’association a fait du mĂ©cĂ©nat un axe de dĂ©veloppement, elle a clairement soulignĂ© la difficultĂ© de changer d’échelle Ă  ce niveau. ZINC se considĂšre comme de trop petite taille pour aller chercher les grands comptes. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’association a dĂ©cidĂ© de crĂ©er le « Digital Art Club » avec des entreprises de taille intermĂ©diaire. Une autre difficultĂ© au dĂ©veloppement du mĂ©cĂ©nat concerne aussi le domaine d’activitĂ©, les arts numĂ©riques, car les entreprises se tournent plutĂŽt vers d’autres enjeux sociaux ou environnementaux, qui s’intĂšgrent vraisemblablement davantage dans leurs enjeux de responsabilitĂ© sociale des entreprises (RSE)

Quant aux ressources bĂ©nĂ©voles, les quatre associations Ă©tudiĂ©es y recourent de maniĂšre importante. Le bĂ©nĂ©volat relĂšve clairement de la logique rĂ©ciprocitaire, au sein de laquelle les personnes qui participent aux actions cherchent en prioritĂ© Ă  donner de leur propre temps Ă  un projet auquel ils croient et Ă  contribuer Ă  la production de bĂ©nĂ©fices sociaux dĂ©coulant de l’action menĂ©e par l’association, sur leur territoire et dans leur communautĂ©. Les bĂ©nĂ©voles en retirent Ă©galement plusieurs bĂ©nĂ©fices, outre le fait de contribuer Ă  des projets socialement utiles, en termes de lien social, d’insertion dans une communautĂ©, voire de dĂ©veloppement de compĂ©tences, s’inscrivant souvent dans une logique de don/contre-don. Par exemple, il arrive rĂ©guliĂšrement que de nouveaux rĂ©sidents se rapprochent de l’association culturelle en prĂ©sence Ă  la fois pour « se rendre utile » et pour faire des connaissances. Lors d’un festival de danse organisĂ© par Art & Culture–la Chouette, plusieurs bĂ©nĂ©voles ont pu exprimer leur engagement auprĂšs de l’association dans une logique de contre-don que l’on peut rĂ©sumer par les propos de l’un d’entre eux : « Nous avons la chance d’avoir la Chouette, il faut la garder, il faut l’aider et en plus [les salariĂ©es] s’occupent trĂšs bien nous » Ces propos ont Ă©tĂ© massivement validĂ©s par les autres bĂ©nĂ©voles prĂ©sents. Ce bĂ©nĂ©volat permet en outre la crĂ©ation et le renforcement du lien social entre les groupes ou personnes impliquĂ©s, et non impliquĂ©s, et rend plus visible l’action de l’organisation au travers des relations interpersonnelles.

Le bĂ©nĂ©volat s’avĂšre mobilisĂ© de façon trĂšs diffĂ©rente par les associations Ă©tudiĂ©es, mais elles se questionnent toutes en continu la maniĂšre d'activer la communautĂ© autour de l'organisation sans que cela devienne un « modus operandi » associĂ© aux pratiques managĂ©riales. En effet, le risque d’assimiler le bĂ©nĂ©volat Ă  une ressource classique est prĂ©sent, mais chaque association, au cours de son dĂ©veloppement, a expĂ©rimentĂ© diverses maniĂšres de mobiliser du bĂ©nĂ©volat, avançant par tĂątonnement entre les besoins de l’association et les besoins des bĂ©nĂ©voles, oscillant entre des moments d’équilibre et de moments de dĂ©sĂ©quilibre entre ces besoins. La relation avec les bĂ©nĂ©voles n’est stabilisĂ©e dans aucune des quatre associations, car rĂ©guliĂšrement rĂ©interrogĂ©e. Ainsi le bĂ©nĂ©volat peut parfois ĂȘtre pris dans une relation Ă  sens unique, le bĂ©nĂ©vole devant servir l’association. Le risque est de perdre la valeur de la participation citoyenne et de la mobilisation des individus qui se retrouvent autour du projet de l’association au profit d’une logique verticale visant une optimisation instrumentale de l’allocation de la ressource. La participation des bĂ©nĂ©voles n’est pas seulement une ressource de plus Ă  enregistrer comme un objet comptable. Elle reprĂ©sente le moteur de la participation politique de la citoyennetĂ©, qui se retrouve dans le projet local, dont elle partage les bĂ©nĂ©fices, et qu'elle enrichit de sa propre participation, dans une forme d'Ă©mancipation dĂ©mocratique, strictement territoriale, qui permet la crĂ©ation de liens susceptibles de se dĂ©velopper, par la suite, suivant les autres types de logiques, marchande et redistributive.

Par ailleurs, les quatre associations se distinguent selon la nature du bĂ©nĂ©volat, qu’il soit de gestion ou d’action. Dans le cadre du bĂ©nĂ©volat de gestion, les associations ont des stratĂ©gies diffĂ©rentes. L’Espace culturel de Chaillol a un conseil d’administration (CA) composĂ© de personnes avec des qualitĂ©s diffĂ©rentes identifiables en trois catĂ©gories : artistique, local, dĂ©veloppement territorial. Cela se traduit par des membres gĂ©ographiquement Ă©clatĂ©s (sur le territoire national), mais avec des expertises Ă  croiser. De mĂȘme, le CA de ZINC est composĂ© de diffĂ©rentes parties prenantes. Art et Culture–la Chouette privilĂ©gie un CA constituĂ© exclusivement de personnes rĂ©sidentes ou travaillant sur le territoire d’intervention. Pour les membres du bureau, elle est attachĂ©e Ă  ce qu’ils aient un engagement social militant. Les TĂȘtes de l’Art privilĂ©gient Ă©galement le fait d’avoir des administrateurs de proximitĂ© avec des compĂ©tences spĂ©cifiques (techniques, relationnelles, politiques
).

Au niveau du bĂ©nĂ©volat de terrain, une attention semble donnĂ©e Ă  la participation aux Ă©vĂ©nements. Dans le cadre d’Art et Culture–la Chouette qui a un recours important au bĂ©nĂ©volat d’action (hĂ©bergement d’artistes, montage, accueil, dĂ©montage, etc.), il y a Ă  la fois une structuration forte et une volontĂ© de maintien de la libertĂ© du bĂ©nĂ©vole. Si le bĂ©nĂ©volat a pu ĂȘtre perçu Ă  l’origine comme un moyen de diminuer les coĂ»ts financiers, sa structuration est entendue dĂ©sormais comme un vecteur central de l’association pour mettre en lien et faire vivre le projet associatif. La structuration est visible par exemple Ă  partir de la crĂ©ation de plannings des bĂ©nĂ©voles lors des festivals oĂč sont identifiĂ©s qui doit aller oĂč, quand et pour quoi faire. Cet encadrement du bĂ©nĂ©volat est conçu et perçu comme un moyen de respecter les bĂ©nĂ©voles en leur permettant de participer Ă©galement au festival et de ne pas les Ă©puiser. Aussi, des temps conviviaux sont prĂ©vus qui permettent aux bĂ©nĂ©voles de rencontrer les artistes (lors des Ă©vĂšnements) et d’échanger pour avoir des retours sur le fonctionnement de l’association. Il est intĂ©ressant de noter qu’aussi bien la directrice que les membres du bureau considĂšrent que l’association « doit faire mieux pour dynamiser son bĂ©nĂ©volat », mettant alors l’accent sur la nĂ©cessitĂ© de toujours interroger la vie bĂ©nĂ©vole.

Pour conclure l’analyse de l’hybridation des ressources financiĂšres, nous pouvons identifier diffĂ©rentes stratĂ©gies poursuivies par nos quatre associations : une stratĂ©gie de maintien d’un financement

essentiellement public au nom de leur finalitĂ© de dĂ©veloppement du territoire et de dĂ©mocratisation culturelle (Espace culturel de Chaillol), stratĂ©gie que l’on retrouve chez Art et Culture–la Chouette avec des sources de financement public plus variĂ©es ; une stratĂ©gie visant Ă  rĂ©duire la dĂ©pendance vis-Ă -vis des fonds publics en dĂ©veloppant les ressources propres (Les TĂȘtes de l’Art) ; et enfin une politique plus affirmĂ©e que les autres envers le mĂ©cĂ©nat et le partenariat avec les entreprises tout en se rapprochant d’une autre association afin de mutualiser les ressources (ZINC). Des diffĂ©rences ont Ă©galement Ă©tĂ© observĂ©es quant Ă  la mobilisation de bĂ©nĂ©voles pour les activitĂ©s menĂ©es, hors administrateurs. Les deux associations en milieu rural font appel Ă  de nombreux bĂ©nĂ©voles. Soulignons le fait qu’Art et Culture-la Chouette a mis en place une rĂ©elle stratĂ©gie de structuration et d’encadrement des bĂ©nĂ©voles, en particulier pour Ă©viter qu’ils ne s’épuisent.

4.2. Au-delĂ  d’une approche budgĂ©taire des ressources, la rĂ©ciprocitĂ© comme socle du projet collectif

Les ressources rĂ©ciprocitaires, au-delĂ  des dons, du mĂ©cĂ©nat ou de la participation de bĂ©nĂ©voles, sont plus difficiles Ă  tracer et Ă  dĂ©tecter, car elles reposent sur des mĂ©canismes souvent caractĂ©risĂ©s par une moindre formalisation ; elles sont dĂšs lors souvent invisibilisĂ©es et nĂ©gligĂ©es. Or nos observations font clairement ressortir leur rĂŽle central et leur articulation avec les ressources publiques et marchandes pour finaliser des arrangements socio-Ă©conomiques diffĂ©rents et trĂšs spĂ©cifiques Ă  chaque groupe d’acteurs et Ă  chaque contexte. Plus spĂ©cifiquement, notre recherche a mis en exergue que les relations de rĂ©ciprocitĂ© ont conduit d’une part Ă  des rapports aux territoires spĂ©cifiques et renforcĂ©s et, d’autre part, Ă  des formes de gouvernance renouvelĂ©es dans un souci de renforcement de la participation dĂ©mocratique.

Des dynamiques de réciprocité dans les territoires, sources de plasticité et de légitimité

Au-delĂ  de la mobilisation de ressources volontaires (dons, bĂ©nĂ©volat, mĂ©cĂ©nat), toutes les associations ont montrĂ© un lien trĂšs fort avec le territoire, une grande capacitĂ© Ă  participer et Ă  intĂ©grer une multiplicitĂ© de dynamiques locales, institutionnelles, culturelles, Ă©conomiques et sociales. La notion de territoire dĂ©signe ici un construit social, issu des interactions entre acteurs hĂ©tĂ©rogĂšnes qui veulent rĂ©soudre des problĂšmes sociaux ou productifs ou se saisir d’opportunitĂ©s dans un contexte spatial dĂ©terminĂ© (Pecqueur, Itçaina, 2012). Le territoire est ainsi un systĂšme complexe socialement construit en articulant des dimensions sociale et spatiale (Lussault, 2007) Le territoire peut donc renvoyer Ă  des rĂ©alitĂ©s et Ă  des Ă©chelles diffĂ©rentes, en fonction des structures Ă©tudiĂ©es.

De nombreux partenariats sont menĂ©s dans les territoires par les quatre associations Ă©tudiĂ©es. En effet, les associations dĂ©veloppent et s’appuient sur un large rĂ©seau, pour bĂ©nĂ©ficier de toutes les compĂ©tences nĂ©cessaires, mĂȘme si ce travail en rĂ©seau reste difficile. Il s’agit dĂšs lors de dĂ©velopper une logique de maillage territorial, basĂ©e sur un partenariat multiple, plus qu’une logique de croissance interne de l’organisation. En s'appuyant sur un rĂ©seau Ă©tendu, les associations peuvent tirer parti des compĂ©tences, des ressources et des expertises disponibles dans la communautĂ© locale sans avoir Ă  les dĂ©velopper en interne. Cela permet d'optimiser l'utilisation des ressources disponibles localement dans une logique de coopĂ©ration plutĂŽt que de concurrence. En effet, ces associations, qui existent depuis

environ 25 ans, ne cherchent pas en prioritĂ© Ă  augmenter leur taille (dans une logique de croissance interne), mais Ă  tisser des liens au fil du temps et Ă  crĂ©er des dynamiques de coopĂ©ration et de confiance entre acteurs afin de dĂ©velopper leurs actions dans les territoires. Ces stratĂ©gies de partenariat et de rĂ©seau contribuant Ă  un maillage territorial peuvent ĂȘtre vues comme des stratĂ©gies de changement d’échelle basĂ©es sur de la coopĂ©ration et non sur des stratĂ©gies plus classiques de croissance interne ou externe (notamment via la fusion entre associations) ou sur de l’essaimage.

Les stratĂ©gies de partenariat ou de rĂ©seau sont nĂ©anmoins diffĂ©rentes selon les associations Ă©tudiĂ©es et se jouent Ă  plusieurs Ă©chelles, allant de coopĂ©rations entre communes de territoires ruraux Ă  des collaborations dans le cadre de projets europĂ©ens, en passant par des dynamiques de coopĂ©ration rĂ©gionale ou nationale mettant en lumiĂšre la grande plasticitĂ© des associations Ă©tudiĂ©es qui s’adaptent aux acteurs, aux ressources et aux besoins de leurs territoires.

L’association Art et Culture-la Chouette, n’ayant pas de lieu dĂ©diĂ©, ses activitĂ©s sont naturellement construites en partenariat avec d’autres structures et organisĂ©es dans diffĂ©rents lieux en itinĂ©rance. Cette prĂ©sence dans diffĂ©rentes petites communes parfois reculĂ©es contribue au tissage de liens dans une dynamique de rĂ©ciprocitĂ©. Mais Art et Culture–la Chouette anime aussi diffĂ©rents rĂ©seaux, comme celui qui regroupe les bibliothĂšques et mĂ©diathĂšques de la communautĂ© de communes dans laquelle l’association est implantĂ©e, ou celui des acteurs culturels du dĂ©partement des Alpes-de-HauteProvence. En appui sur ces lieux et ces Ă©quipes, Art et Culture–la Chouette coordonne un contrat territoire lecture qui vise Ă  animer et dĂ©velopper la lecture publique localement. Mentionnons Ă©galement le REAAP (RĂ©seau d'Ă©coute, d'appui et d'accompagnement des parents) pour lequel l’association est rĂ©fĂ©rente. En outre, Art et Culture–la Chouette a impulsĂ©, au niveau dĂ©partemental, la crĂ©ation d’ un rĂ©seau des acteurs culturels rĂ©unissant artistes et diffuseurs. L’objectif du rĂ©seau Ă©tait dans un premier temps, d’inviter les acteurs locaux Ă  se rencontrer et Ă  s ’identifier. Puis avec l’arrivĂ©e de la pandĂ©mie, il a permis d’organiser une tournĂ©e Ă  l’étĂ© 2020 pour soutenir la crĂ©ation artistique. Le rĂ©seau a aussi proposĂ©Ì une rĂ©ponse collective Ă  un appel Ă  projets lancĂ© par la DRAC. Cet exemple illustre comment une dynamique partenariale basĂ©e sur de la rĂ©ciprocitĂ© peut permettre la rĂ©vĂ©lation et la mobilisation de ressources qui existaient potentiellement ou Ă©taient latentes sur le territoire

Le cas de l’Espace culturel de Chaillol s’inscrit Ă©galement dans cette dynamique de renforcement des partenariats sur le territoire. Le label scĂšne conventionnĂ©e « Art en territoire », obtenu en 2019 et attribuĂ© par le ministĂšre de la culture pour quatre ans, reconnaĂźt son action en faveur de la crĂ©ation artistique et sa contribution au dĂ©veloppement de la vie culturelle du territoire. DestinĂ© Ă  reconnaĂźtre et distinguer les capacitĂ©s d’innovation des professionnels et des collectivitĂ©s, le programme d’une « scĂšne conventionnĂ©e d’intĂ©rĂȘt national » s’adresse Ă  des lieux pluridisciplinaires de production et de diffusion (théùtres de ville, centres culturels, maisons des jeunes et de la culture
), exerçant des missions structurantes de soutien Ă  la crĂ©ation et Ă  la diffusion dans le domaine du spectacle vivant (musique, théùtre, danse, cirque, etc.) ainsi que d’action culturelle. L’objectif est de soutenir des projets allant Ă  la rencontre des populations au cƓur des territoires. Cette appellation a ainsi apportĂ© une lĂ©gitimitĂ© supplĂ©mentaire au projet et une sĂ©curitĂ© financiĂšre significative. L'Espace culturel de Chaillol fut l’un des premiers projets Ă  recevoir cette appellation. Par ailleurs, il s’agit de la seule scĂšne conventionnĂ©e qui ne soit pas adossĂ©e Ă  un Ă©quipement mais Ă  un territoire. Ce caractĂšre innovant lui a donc confĂ©rĂ© du crĂ©dit aux yeux de la puissance publique. Le label a Ă©tĂ© obtenu en appui Ă  la fois Ă  la qualitĂ© de la programmation artistique et Ă  l’implantation territoriale de l’association. Cette implantation s’établit principalement dans deux contextes. Le premier s’articule autour des activitĂ©s de mĂ©diation oĂč

l’association a créé un rĂ©seau d’acteurs, Ă©coles, EHPAD, foyers de jeunes travailleurs
, en lien direct avec des publics spĂ©cifiques afin de dĂ©velopper l’accĂšs Ă  la culture. Le second concerne les acteurs politiques locaux, collectivitĂ©s, conseil dĂ©partemental, services dĂ©concentrĂ©s. Dans ce contexte, l’association participe aux discussions sur les orientations culturelles. Elle bĂ©nĂ©ficie d’une lĂ©gitimitĂ© du fait de son expĂ©rience et de son lien avec des acteurs culturels au niveau national comme le ministĂšre de la culture ou le syndicat professionnel.

En milieu urbain, les stratĂ©gies de partenariat sont Ă©galement essentielles, malgrĂ© une concurrence plus forte entre les associations pour l’obtention de financements publics. À Marseille, ZINC, dĂšs sa crĂ©ation, s’est installĂ© Ă  la friche La Belle de Mai de Marseille, ce qui tĂ©moigne de leur volontĂ© d’inscrire leur projet artistique et culturel dans un projet de dĂ©veloppement urbain, en partenariat avec d’autres structures. Cette dynamique sur la Friche a donnĂ© lieu Ă  la crĂ©ation de la sociĂ©tĂ© coopĂ©rative d’intĂ©rĂȘt collectif (SCIC) La Friche La Belle de Mai en 2007 afin de renforcer le projet collectif et la participation active de toutes les parties prenantes dans le projet, y compris les habitants du quartier. Depuis, ZINC s’est progressivement rapprochĂ© d’une autre association, Seconde Nature, situĂ©e Ă  Aix-en-Provence, ce qui a permis une coproduction et un dĂ©veloppement des activitĂ©s sur un autre territoire. Le rapprochement opĂ©rĂ©, qui ne va pas jusqu’à la fusion des deux associations, tĂ©moigne d’une volontĂ© de mutualisation des activitĂ©s et des ressources tout en gardant deux entitĂ©s autonomes juridiquement. Une telle dynamique nous semble originale et permettre, lĂ  aussi, une consolidation des projets et le dĂ©veloppement de ressources potentielles ou latentes au sein de logiques rĂ©ciprocitaires. Mentionnons Ă©galement le fait que ZINC est chargĂ© de l’animation d’un rĂ©seau des arts hybrides et de la culture numĂ©rique et, plus rĂ©cemment, d’un rĂ©seau rĂ©gional des tiers lieux (Sud Tiers-Lieux). Enfin la SCIC Friche La Belle de Mai est aujourd’hui labellisĂ©e par l’État « Fabrique de territoires », ce qui reconnaĂźt son rĂŽle de « tiers-lieux structurants, c’est-Ă -dire capables d’augmenter la capacitĂ© d’action des autres tiers-lieux de leur territoire1 2». Avec ce label, la Friche, mais aussi plus particuliĂšrement ZINC Ă  l’intĂ©rieur de la Friche, contribue Ă  dĂ©velopper de nouvelles maniĂšres de « faire ensemble » et Ă  accompagner la transition numĂ©rique tout en dĂ©veloppant la mĂ©diation numĂ©rique, dĂ©jĂ  au cƓur du projet de ZINC.

Quant aux TĂȘtes de l’Art, leur localisation depuis 2001 au Comptoir de la Victorine reflĂšte aussi leur volontĂ© de participer au dĂ©veloppement de leur territoire d’implantation. SituĂ©e Ă  Saint-Mauront, en bordure du quartier de la Belle de Mai, le Comptoir de la Victorine, aprĂšs des annĂ©es d’abandon, est devenu un lieu d’éducation populaire, d’insertion professionnelle, de crĂ©ation et d’activitĂ©s artistiques. Comme mentionnĂ© par l’adjointe au maire chargĂ©e de l’éducation populaire, le Comptoir de la Victorine est « un lieu de vie » qui rĂ©pond Ă  « un besoin social » dans un quartier pauvre et plein de contradictions, mais en forte Ă©volution. Le dĂ©veloppement d’une plateforme de mutualisation des ressources Ă  destination des associations artistiques pendant plusieurs annĂ©es, puis le dĂ©veloppement depuis dix ans du pĂŽle accompagnement ont Ă©galement renforcĂ© la dynamique de partenariat entre acteurs, non seulement sur le territoire marseillais, mais aussi Ă  l’échelle rĂ©gionale. L’objectif est de dĂ©velopper et mutualiser les compĂ©tences des porteurs de projets artistiques et culturels afin de rĂ©pondre aux multiples besoins de ces acteurs et des structures en matiĂšre d’accompagnement. La proximitĂ© autour d’un lieu et sur un territoire, en lien avec des dynamiques de partenariat et de mutualisation dans le cadre de relations de rĂ©ciprocitĂ© a permis de mobiliser des ressources qui Ă©taient latentes ou potentielles sur le territoire.

1 https://agence-cohesion-territoires.gouv.fr/fabriques-de-territoire-582

Ainsi notre recherche montre que la logique rĂ©ciprocitaire a permis de dĂ©clencher une sĂ©rie de mĂ©canismes de coopĂ©ration plus ou moins informels, qui ont conduit, au fil du temps Ă  activer d'autres types de logiques, marchandes ou redistributives, Ă  travers la formalisation d'accords contractuels, de rĂ©seaux, de partenariats, de mutualisation de ressources ou de financement avec les autoritĂ©s publiques (notamment via les scĂšnes conventionnĂ©es ou les labels de type « Fabrique de territoire »). Ces liens tissĂ©s dans les territoires sous diverses formes ont non seulement permis de mobiliser d’autres ressources, mais ont Ă©galement contribuĂ© Ă  y construire et Ă  y renforcer la lĂ©gitimitĂ© des associations auprĂšs d’acteurs publics et privĂ©s. Notre Ă©tude confirme en effet que les associations sont considĂ©rĂ©es comme actrices de la vitalitĂ© dĂ©mocratique dans leurs territoires et comme des lieux d’expĂ©rimentation et d’innovation. Par exemple, sur leur site internet, ZINC se prĂ©sente (avec Seconde nature) comme incubateur des imaginaires numĂ©riques. Plus largement, les quatre associations, par leurs dynamiques de partenariat, de mutualisation et de participation d’une multiplicitĂ© d’acteurs, n’ont de cesse d’expĂ©rimenter de nouvelles activitĂ©s, de nouvelles maniĂšres d’accompagner la crĂ©ation artistique et le dĂ©veloppement culturel, innovant dans les formes de participation et de mobilisation des ressources et participant, par leurs actions, au renouvellement des politiques culturelles.

Des dynamiques de rĂ©ciprocitĂ© au cƓur de la fabrique de la gouvernance des associations

Ces dynamiques de rĂ©ciprocitĂ© se retrouvent Ă©galement dans des stratĂ©gies mises en place au niveau de la gouvernance des associations. Comme dĂ©jĂ  mentionnĂ©, les TĂȘtes de l’Art ont rĂ©ellement dĂ©veloppĂ© une stratĂ©gie de recomposition de leur conseil d’administration (CA) d’une part pour renforcer ses compĂ©tences et d’autre part pour avoir une part consĂ©quence d’administrateurs vivant Ă  proximitĂ©. On retrouve ce critĂšre de compĂ©tence ou d’expertise pour le CA de l’Espace culturel de Chaillol et celui de proximitĂ© Ă  Art et Culture–la Chouette, comme mentionnĂ© ci-dessus.

Dans le cas des TĂȘtes de l’Art, outre l’objectif de renforcer l’ancrage local du CA et d’encourager la participation au sein de l’association, l’objectif de cette recomposition Ă©tait aussi de renforcer la participation des membres du CA Ă  l’organisation, en crĂ©ant des liens plus Ă©troits entre les administrateurs bĂ©nĂ©voles et les salariĂ©s, notamment des administrateurs rĂ©fĂ©rents par pĂŽle d’activitĂ©, afin que les administrateurs puissent apporter leur soutien Ă  l’équipe salariĂ©e. Des sĂ©minaires collectifs sont rĂ©alisĂ©s afin de faire participer l’ensemble des parties prenantes Ă  la coconstruction des projets, artistes y compris (mĂȘme si cela s’est avĂ©rĂ© plus difficile de les mobiliser). Mentionnons Ă©galement un rĂ©el effort de la part des TĂȘtes de l’Art pour que leur assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale soit dynamique et mobilise un ensemble de partenaires plus large que leurs seuls adhĂ©rents.

Les liens entre administrateurs bĂ©nĂ©voles et salariĂ©s se sont Ă©galement renforcĂ©s chez Art et Culture–la Chouette, et ce notamment au niveau du bureau. Ainsi, le bureau, et plus particuliĂšrement le prĂ©sident, joue un rĂŽle de contrĂŽle du temps de travail des salariĂ©s. Depuis plus de dix ans, au sein de l’association les salariĂ©s doivent comptabiliser de maniĂšre journaliĂšre leur temps de travail. Cette procĂ©dure a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ©e par le bureau dans une logique de soutien des salariĂ©s. Il a Ă©tĂ© constatĂ© en effet que les salariĂ©s effectuaient un nombre d’heures supplĂ©mentaires massif, qui n’étaient pas toujours rĂ©cupĂ©rĂ©es ou rĂ©munĂ©rĂ©es, un fonctionnement allant Ă  l’encontre des valeurs associatives sur le respect des individus et conduisant Ă  un Ă©puisement professionnel. Ainsi, ce contrĂŽle des heures est perçu comme un moyen de soutenir les salariĂ©s et de les accompagner dans l’activitĂ© en fournissant au bureau un indicateur pour rĂ©duire ou non le volume d’activitĂ©. Dans un autre cadre, pour donner de la vie Ă  la gouvernance et ne

pas la cantonner Ă  des dimensions gestionnaires, l’association a mis en place depuis plusieurs annĂ©es une commission de programmation qui se rĂ©unit trois fois par an. Cette commission comprend les deux salariĂ©es programmatrices, le bureau et des adhĂ©rents cooptĂ©s. Il est intĂ©ressant de voir dans cette derniĂšre catĂ©gorie la prĂ©sence d’anciens membres du bureau qui s’en sont retirĂ©s ne se sentant pas compĂ©tents pour les questions gestionnaires et d’adhĂ©rents, mais qui ont un attrait profane et non expert pour l’art et la culture.

Quant Ă  ZINC-Seconde Nature, le rapprochement entre les deux associations a conduit Ă  une collaboration Ă©troite des instances de gouvernance, qui se traduit notamment par des assemblĂ©es gĂ©nĂ©rales communes, mĂȘme si les conseils d’administration restent sĂ©parĂ©s, et Ă  un budget consolidĂ© pour les deux associations. Ce rapprochement sans fusion reflĂšte une rĂ©elle volontĂ© de collaborer sur diffĂ©rents territoires en mobilisant une diversitĂ© accrue d’acteurs, qui rĂ©vĂšle l’existence de dynamiques de rĂ©ciprocitĂ© fortes entre ces deux associations. Par ailleurs, ZINC, a dĂ©veloppĂ© une rĂ©elle stratĂ©gie d’élargissement de son conseil d’administration Ă  des profils plus variĂ©s, intĂ©grant ainsi des chefs d’entreprises, des acteurs du secteur culturel, des acteurs de la formation professionnelle et des acteurs du tourisme.

Dans le cas de l’Espace culturel de Chaillol, il est intĂ©ressant de noter l’initiative rĂ©cente, datant de 2021, de crĂ©er des journĂ©es de rĂ©flexion rĂ©unissant les membres du CA. Du fait de la distance physique entre les membres du CA, les rĂ©unions se rĂ©alisent en visioconfĂ©rence ou en format hybride. Il est clairement identifiĂ© que ce manque de proximitĂ© physique temporaire rĂ©duit la vie conviviale de l’association. Ainsi, en crĂ©ant des journĂ©es de rĂ©flexion, Ă  l’initiative du directeur et reprises par le bureau, le but est d’avoir un temps long, une journĂ©e, voire un week-end, d’échange Ă  la fois sur des questions gestionnaires, mais aussi sur des questions en lien avec la dimension sociopolitique de l’association comme la question des droits culturels.

Des similaritĂ©s dans le fonctionnement de la gouvernance des quatre associations ressortent clairement. La recherche d’une diversification dans la composition du conseil d’administration, que ce soit sur la base d’un critĂšre de compĂ©tence ou d’expertise et/ou sur la base d’un critĂšre de proximitĂ© qui est vue comme une façon de visibiliser des liens de rĂ©ciprocitĂ© entre acteurs et d’en faire une ressource pour consolider et dĂ©velopper leur projet associatif. Il y a Ă©galement une recherche partagĂ©e dans la dynamisation des espaces de gouvernance pour en faire des espaces de vie de l’association, des espaces de participation et de coconstruction et non des espaces de contrĂŽle et/ou d’enregistrement de l’activitĂ©. Une troisiĂšme similaritĂ© rĂ©side dans la recherche d’une mise en discussion au sein de ces espaces de la dimension sociopolitique, ce qui est perçu comme une nĂ©cessitĂ© pour faire vivre l’association et rĂ©duire le pĂ©ril gestionnaire. La vie de la dimension sociopolitique repose sur la rĂ©ciprocitĂ©.

Conclusions : quelles stratĂ©gies associatives en termes d’hybridation ?

L’entrĂ©e par l’hybridation, telle que nous la proposons dans une acception large qui dĂ©passe une approche dichotomique des ressources publiques/privĂ©es, nous a permis d’analyser la spĂ©cificitĂ© des diffĂ©rentes stratĂ©gies mises en place par les associations. Nous avons ainsi pu identifier des choix stratĂ©giques variĂ©s, visant Ă  l’élargissement de leurs ressources monĂ©taires mais aussi non monĂ©taires. En effet, les quatre associations qui ont participĂ© Ă  cette recherche nous ont montrĂ© que, derriĂšre une mĂȘme action, Ă  savoir la recherche de nouveaux financements, des logiques diffĂ©rentes pouvaient ĂȘtre mobilisĂ©es pour mener Ă  bien le mĂȘme type d'activitĂ©s et que la logique entrepreneuriale ne devait pas nĂ©cessairement ĂȘtre prĂ©dominante.

Pour rappel, les associations Ă©tudiĂ©es ont Ă©tĂ© sĂ©lectionnĂ©es notamment pour leur finalitĂ© sociale en rĂ©ponse Ă  des besoins sociaux insatisfaits (Ă  partir d’une conception de la culture comme vecteur de citoyennetĂ© et de dĂ©mocratie) et pour leur ancrage territorial, revendiquĂ© et partagĂ© par les partenaires. Ces dimensions expliquent pourquoi les financements publics constituent une part importante de leurs budgets, malgrĂ© des stratĂ©gies en faveur d’une plus grande hybridation classique des ressources. Ce processus d’hybridation se traduit tout d’abord par une diversification accrue des ressources publiques, qui proviennent d’institutions variĂ©es et situĂ©es Ă  des Ă©chelles diffĂ©rentes, allant jusqu’à l’échelon europĂ©en pour certaines associations. Cette multiplication des sources de financement public est vĂ©cue, sans surprise par rapport Ă  ce que nous enseigne la littĂ©rature (Bucolo et al., 2019; Fraisse, 2018), comme une source d’incertitude quant Ă  la pĂ©rennisation du projet et comme un alourdissement des tĂąches administratives. Les associations Ă©tudiĂ©es, qui existent depuis plus d’une vingtaine d’annĂ©es, ont toutefois soulignĂ© l’importance des relations de confiance construites avec certains acteurs publics et la reconnaissance par ces derniers de leur contribution au dĂ©veloppement artistique et culturel dans leurs territoires. Ces relations, basĂ©es sur une logique rĂ©ciprocitaire, se sont d’ailleurs rĂ©vĂ©lĂ©es essentielles durant la crise sanitaire.

Pour certaines associations, le processus d’hybridation se fait Ă©galement Ă  partir d’une diversification des activitĂ©s qui entraĂźne un dĂ©veloppement des ressources issues de la prestation de services et/ou des ressources venant du mĂ©cĂ©nat. Cette hybridation vers des ressources privĂ©es a toutefois montrĂ© certaines limites durant la crise sanitaire, en particulier pour les associations qui dĂ©pendaient des recettes venant de la prestation de services ou d’activitĂ©s ouvertes au public. Sans les aides publiques durant la crise sanitaire, ces associations n'auraient sans doute pas survĂ©cu.

Cependant, alors que la littĂ©rature actuelle se concentre sur la question de la perte d'identitĂ© organisationnelle qui conduit les associations Ă  devenir « business-minded », avec l’augmentation de la part des ressources marchandes dans les budgets associatifs, ce travail met en exergue la possibilitĂ© d'une hybridation des ressources qui permette le maintien de la mission principale de l'organisation, celle de contribuer Ă  la dĂ©mocratisation culturelle, vĂ©cue de diffĂ©rentes maniĂšres par les organisations interrogĂ©es (certaines Ă  travers la fourniture de services culturels directs, d'autres en tant que soutien aux travailleurs et aux organisations du secteur, certaines en intervenant dans les quartiers dĂ©favorisĂ©s, d'autres dans les zones rurales).

Par ailleurs, cette approche nous a permis de reconstruire le parcours des organisations Ă©tudiĂ©es, en esquissant une analyse de leur histoire dans le temps. Nous avons tentĂ© de relire les choix opĂ©rĂ©s par les associations sous un angle diffĂ©rent, c'est-Ă -dire en intĂ©grant la rĂ©ciprocitĂ© lĂ  oĂč elle restait invisible, dans leur parcours et dans leur maniĂšre de dĂ©velopper l'imbrication des diffĂ©rentes formes de ressources mobilisĂ©es. Ce travail met ainsi en lumiĂšre Ă  la fois la centralitĂ© de la logique rĂ©ciprocitaire et la forte interconnexion des logiques marchandes, non marchandes et rĂ©ciprocitaires, qui permettent le dĂ©veloppement ou la survie du projet associatif, pour et avec les citoyens.

Ainsi, la logique de rĂ©ciprocitĂ©, si on ne la limite pas Ă  la mobilisation de dons et du bĂ©nĂ©volat, participe au maintien du projet collectif au fil du temps. La fonction sociopolitique de contribution Ă  la dĂ©mocratisation culturelle de ces associations demeure en effet centrale. MalgrĂ© la diversification des activitĂ©s et des financements, nous n’avons pas observĂ© d’éloignement de leur mission (mission drift). Au contraire, la valorisation de leur contribution Ă  l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et leur fonction sociopolitique constitue clairement pour elles une stratĂ©gie afin de consolider leur reconnaissance et leur lĂ©gitimitĂ© auprĂšs de leurs publics, mais aussi auprĂšs de leurs partenaires

Ce travail a donc rĂ©vĂ©lĂ© Ă  la fois la centralitĂ© de la logique rĂ©ciprocitaire et la forte interconnexion des logiques marchandes, redistributives et rĂ©ciprocitaires, qui ont permis Ă  ces associations d’adopter des choix stratĂ©giques en matiĂšre de gouvernance et de maillage territorial afin de se dĂ©velopper et de garder le cap de leur mission, malgrĂ© les difficultĂ©s rencontrĂ©es tout au long de leur histoire. Un premier choix a concernĂ© leur gouvernance et plus prĂ©cisĂ©ment, une rĂ©flexion sur le conseil d’administration, Ă  la fois sur son Ă©largissement Ă  une plus grande diversitĂ© de parties prenantes et sur son rĂŽle de soutien Ă  l’équipe salariĂ©e. Ces Ă©volutions de la gouvernance ont pris appui sur des logiques relevant de la rĂ©ciprocitĂ©, basĂ©es sur l’adhĂ©sion au projet, l’engagement militant, la proximitĂ© des acteurs, la mutualisation des compĂ©tences et le renforcement des dynamiques participatives, que ce soit entre administrateurs et salariĂ©s ou entre diffĂ©rentes parties prenantes (par exemple en encourageant la participation des artistes). Une deuxiĂšme modalitĂ© stratĂ©gique repose sur le renforcement du maillage territorial. Les quatre associations ont tissĂ© des liens sur leurs territoires, dessinant comme une forme de rĂ©appropriation du territoire par les acteurs locaux, Ă  partir d’une mutualisation de ressources, dĂ©passant les logiques du marchĂ©Ì et de la redistribution et s'appuyant sur la rĂ©ciprocitĂ© et la confiance entre acteurs d’un mĂȘme territoire.

Notre recherche contribue ainsi Ă  rĂ©habiliter la notion de rĂ©ciprocitĂ© dans le concept d’hybriditĂ© des ressources et Ă  rĂ©affirmer le rĂŽle des collectifs pour crĂ©er et entretenir des dynamiques de rĂ©ciprocitĂ©. La rĂ©ciprocitĂ© est souvent apprĂ©hendĂ©e comme secondaire dans l’hybriditĂ©, comme moins centrale que la redistribution et le marchĂ©. Cela provient de deux caractĂ©ristiques : la limitation de la rĂ©ciprocitĂ© au bĂ©nĂ©volat et aux dons et son invisibilitĂ© comparative. Le couplage exclusif rĂ©ciprocitĂ©/bĂ©nĂ©volat tend Ă  circonscrire l’ampleur de la rĂ©ciprocitĂ©. Si le lien entre les deux est pertinent dans une visĂ©e comptable afin de rendre compte de cette ressource Ă  partir des comptes « emploi des contributions en nature » et « contributions volontaires par catĂ©gorie », il est trop limitatif pour exposer la rĂ©ciprocitĂ© dans son entiĂšretĂ©. Cette entiĂšretĂ© est liĂ©e Ă  la seconde caractĂ©ristique, la forte invisibilitĂ© de la rĂ©ciprocitĂ©. Les ressources marchandes et publiques sont, pour leur part, fortement visibles, car elles donnent Ă  voir des flux financiers ce qui n’est pas le cas de la rĂ©ciprocitĂ© qui, par dĂ©finition, n’est pas caractĂ©risĂ©e par des flux de cette nature et qui est donc moins visible. Dans un environnement institutionnel qui met l’accent sur la quantification des rapports d’échange, la rĂ©ciprocitĂ© est relĂ©guĂ©e Ă  la pĂ©riphĂ©rie. Or notre analyse met en exergue sa centralitĂ© tant comme socle du projet collectif (rappelant l’impulsion rĂ©ciprocitaire Ă 

la crĂ©ation d’une association) que comme maniĂšre d’encastrer les ressources marchandes et publiques mobilisĂ©es dans ce projet collectif.

Un second apport de la recherche porte sur l’identification de la dimension multilatĂ©rale de la rĂ©ciprocitĂ©. Il met en Ă©vidence la complexitĂ© de la rĂ©ciprocitĂ© allant au-delĂ  de la notion de bĂ©nĂ©volat. Notre Ă©tude a montrĂ© l’importance des liens sociaux multiples construits par les associations analysĂ©es. Ces liens permettent de saisir des ressources potentielles ou latentes, monĂ©taires ou non monĂ©taires, et ce directement ou indirectement. Les ressources potentielles ou latentes sont des ressources non mobilisĂ©es par l’association, mais mobilisables grĂące Ă  l’engagement au sein de l’association ou en lien avec l’association. La diffĂ©rence entre l’accĂšs indirect ou direct Ă  une ressource se fait Ă  partir de l’existence ou non d’un intermĂ©diaire. Dans l’étude, nous avons pu mettre en lumiĂšre que les multiples rĂ©seaux auxquels l’association participe ou qu'elle tisse lui permettent d’accĂ©der Ă  des ressources diverses : accĂšs Ă  des services, comme l’hĂ©bergement gratuit d’artistes par des spectateurs, l’aide Ă  l’installation de scĂšnes, etc. ; mais aussi Ă  des financements publics avec par exemple des financeurs qui ont sollicitĂ© en urgence les associations, car la crise sanitaire avait perturbĂ© les fonctionnements administratifs alors que des enveloppes budgĂ©taires Ă©taient encore disponibles. Ainsi, la logique de rĂ©ciprocitĂ© contribue Ă  maintenir le sens du projet collectif dans la recherche de diffĂ©rentes sources de financement et dans la diversification des activitĂ©s.

Il y a lĂ  un enjeu tant pour la recherche que pour le monde associatif. CaractĂ©riser les formes que peut prendre la rĂ©ciprocitĂ© est Ă  la fois une question de recherche et un enjeu stratĂ©gique pour les associations. L’identification de la place de la rĂ©ciprocitĂ© dans les organisations, au-delĂ  de la seule prise en compte des dons et du bĂ©nĂ©volat, permet de mieux comprendre comment les diffĂ©rentes ressources s’articulent et interagissent pour potentiellement procĂ©der Ă  des ajustements stratĂ©giques. Le caractĂšre peu visible de la rĂ©ciprocitĂ©, Ă  la fois dans ses dimensions intrinsĂšques et par le fonctionnement du champ institutionnel, fait que les acteurs associatifs peuvent eux-mĂȘmes l’invisibiliser.

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Décembre 2024

INJEPR-2024/19

FAIRE FACE AUX DIFFICULTÉS DE FINANCEMENT DANS LES ASSOCIATIONS ARTISTIQUES ET CULTURELLES

QUELLES STRATÉGIES D’HYBRIDATION DES RESSOURCES ?

Dans un contexte marquĂ© par des transformations profondes de l’environnement Ă©conomique et institutionnel, de nombreuses associations rĂ©interrogent leur modĂšle socioĂ©conomique et expĂ©rimentent de nouvelles formes de mobilisation de ressources, pas uniquement financiĂšres. Dans cette perspective, cette Ă©tude, financĂ©e par l’Institut français du monde associatif (IFMA) dans le cadre d’un appel Ă  projets sur « le monde associatif Ă  la lumiĂšre de la crise COVID-19 » soutenu par l’INJEP, examine de plus prĂšs les rĂ©flexions, solutions et pratiques d’hybridation des ressources mises en Ɠuvre par les associations artistiques et culturelles pour assurer leur pĂ©rennitĂ©.

Par hybridation, nous entendons le fait d’articuler et d’agencer des ressources de nature diffĂ©rente. L’hybridation des ressources, encouragĂ©e par les pouvoirs publics depuis quelques dĂ©cennies comme une solution Ă  la diminution des financements publics n’est toutefois pas sans risques pour les associations. MalgrĂ© des stratĂ©gies trĂšs variĂ©es de la part des associations, la diversitĂ© des financements, qui permet de maintenir des activitĂ©s, de se dĂ©velopper et d’innover, interroge nĂ©anmoins le maintien du projet initial et des valeurs caractĂ©risant l’association. C’est pourquoi, au-delĂ  de la situation d’urgence et des problĂšmes de trĂ©sorerie Ă  court terme causĂ©s par la crise sanitaire en 2020, ce travail Ă©tudie plus largement les stratĂ©gies mises en Ɠuvre par ces associations pour faire face aux transformations de ce secteur.

Notre question de recherche est dĂšs lors la suivante : comment se construisent et se transforment les modalitĂ©s d’hybridation des ressources au sein des associations artistiques et culturelles ? Pour y rĂ©pondre, des Ă©tudes de cas approfondies ont Ă©tĂ© menĂ©es auprĂšs de quatre associations artistiques et culturelles, dans le cadre d’une mĂ©thodologie qualitative et partenariale. Ce travail a permis de mettre en Ă©vidence la diversitĂ© des stratĂ©gies d’hybridation identifiĂ©es tout en soulignant le rĂŽle central des relations de rĂ©ciprocitĂ© dans le maintien du projet collectif ainsi que dans la mobilisation et la diversification des ressources des associations. ISSN : 2727-6465

Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP) , service Ă  compĂ©tence nationale Direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative (DJEPVA) MinistĂšre des

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Rapport 2024 INJEPR & IFMA- Hybridation des ressources by Occitanie en scĂšne - Issuu