L'artiste producteur en France en 2008

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les études de l’Adami

société civile pour l’administration des droits des artistes et musiciens interprètes

L’artisteproducteur

en France en 2008 ÉTUDE RÉALISÉE POUR LE COMPTE DE L’ADAMI PAR AYMERIC PICHEVIN

MUSIC AUDIOVISUAL NEW MEDIA


L’artisteproducteur

en France en 2008 ÉTUDE RÉALISÉE POUR LE COMPTE DE L’ADAMI PAR AYMERIC PICHEVIN

L’artiste producteur en France 2008 – Aymeric Pichevin

3


Table des matières ABSTRACT

6

INTRODUCTION

15

1. ÉVOLUTION DU PHÉNOMÈNE

20

UN PHÉNOMÈNE STABLE… EN APPARENCE DES CHIFFRES À L’ÉTAL Sacem-SDRM : 4 500 demandes d’autorisation en autoproduction par an Plus de 4 000 associés de l’Adami en autoproduction sur 3 ans… et 5 000 à venir ! «JE N’AI JAMAIS VU AUTANT D’AUTOPRODUCTIONS !»

20 20 20 23 24

POURQUOI S’AUTOPRODUIRE ? MOINS DE CONTRAT D’ARTISTES L’AUTOPRODUCTION, UN CALCUL ÉCONOMIQUE ? LE GRAAL DEMEURE LA MAISON DE DISQUES !

28 28 32 34

2. LES PARTENAIRES DES ARTISTES PRODUCTEURS

38

LES PARTENAIRES HISTORIQUES UNE DISTRIBUTION INDISPENSABLE DES PARTENAIRES PANACHÉS ESTIMATION GLOBALE DE L’AUTOPRODUCTION EN FRANCE AUTOPRODUCTION, AUTOPROMOTION, AUTODISTRIBUTION CONTRAT DE DISTRIBUTION, CONTRAT DE LICENCE CONTRAT D’ARTISTE COPRODUCTION LES DISQUAIRES PARTENAIRES L’ÉDITEUR MUSICAL LE MANAGER DES SERVICES SPÉCIALISÉS UNE AUTOPRODUCTION TROP ABONDANTE ?

38 38 41 42 44 45 47 48 49 52 54 54 55

LES PARTENAIRES NUMÉRIQUES PROMOTION EN LIGNE DES VENTES NUMÉRIQUES NÉGLIGEABLES LES DISTRIBUTEURS NUMÉRIQUES DE NOUVEAUX INTERMÉDIAIRES

56 56 58 59 61

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3. L’ARTISTE ENTREPRENEUR

64

STRUCTURE JURIDIQUE : L’ASSOCIATION REINE DES BUDGETS SERRÉS DÉFAILLANCE MARKETING

64 65 68

FINANCEMENT L’EMPRUNT BANCAIRE… UN PARFUM DE NOSTALGIE ? LES AVANCES

70 71 72

LES AIDES À L’AUTOPRODUCTION LES AIDES DE LA PROFESSION LES AIDES PUBLIQUES

73 74 76

4. LES REVENUS DES ARTISTES PRODUCTEURS

79

VENTES DE DISQUES

79

UNE RENTABILITÉ SUR LA DURÉE LA VENTE EN CONCERT UN INVESTISSEMENT RAREMENT RENTABLE

83 84 85

DROITS D’AUTEURS, DROITS VOISINS DES DROITS VOISINS À PARTAGER DES MONTANTS MODESTES

86 88 89

CONCLUSION

92

GLOSSAIRE

96

REMERCIEMENTS

99

ANNEXE

100

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Abstract ABSTRACT, PARTIE 1 – ÉVOLUTION DU PHÉNOMÈNE • Définition de l’artiste producteur : Plus que celui qui finance la bande master, la définition de l’artiste producteur serait l'artiste qui possède son master, quelle que soit la manière dont elle a été financée. • Nous nous intéressons dans cette étude à tous les artistes producteurs, qu’ils se produisent seulement eux-mêmes ou qu’ils produisent aussi d’autres artistes. Nous avons en revanche restreint notre enquête aux artistes « professionnels » ou ayant l’ambition de le devenir. • La SDRM permet aux déposants de déclarer leurs œuvres en autoproduction. Le nombre de phonogrammes ainsi recensés est resté assez stable depuis 2003, à environ 4 500 par an. • Ce chiffre est loin d’inclure l’ensemble de l’autoproduction, excluant par exemple les artistes en contrat de licence. Le croisement de ces chiffres avec une enquête menée auprès d’artistes de la musique membres de l’Adami permet globalement d’estimer à 6 000 le nombre de phonogrammes autoproduits susceptibles de s’insérer dans un projet professionnel en 2007 en France. Ces extrapolations sont à prendre comme des ordres de grandeur plus que comme des valeurs absolues.

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Nombre de phonogrammes1 pressés en autoproduction en France en 2007 par type d’exploitation ORDRES DE GRANDEURS Type d’exploitation

Nombre de phonogrammes concernés

Pourcentage

contrat d’artiste

430

7%

contrat de licence

969

15,8%

contrat de distribution

1 265

20,7%

se débrouillent seul

3 235

52,9%

Pas de disque physique (mais approche professionnelle)

215

3,5%

TOTAL

6 114

100%

Source : M.A.N Media

• L’autoproduction concerne un très grand nombre d’artistes : 45% des artistes de musique associés de l’Adami2 ont réalisé au moins un enregistrement en autoproduction dans les trois dernières années. Ce chiffre devrait aller croissant : 57,4% d’entre eux prévoient de s’autoproduire dans les deux années à venir. • Les professionnels de la musique constatent eux depuis plusieurs années une forte croissance de l’autoproduction, ce qui laisse supposer que l’autoproduction de niveau professionnel a déjà augmenté sur les dernières années. • Ces chiffres ne prennent pas en compte l’importance du numérique, qui donne voix à une catégorie d’artistes jusqu’ici moins visible : les amateurs, souvent éclairés. S’assumant comme tels pour la plupart, ces amateurs prennent une place croissante dans l’économie des contenus, mais ne sont pas directement concernés par notre étude.

Attention : dans cette étude, nous entendons par phonogramme la fixation sur support d’un ensemble de titres enregistrés. Il peut donc s’agir par exemple d’un titre seul ou d’un album. 2 Notre étude portant exclusivement sur la musique, le terme « associé » de l’Adami est systématiquement entendu comme « artiste de la musique associé » de l’Adami. 1

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Illustrations de l’importance du numérique en autoproduction 2005-2008 Nombre d’artistes de musique associés de l'Adami en autoproduction

Environ 4 000

Nombre d’artistes présentant une œuvre autoproduite sur le service Jamendo

Environ 10 000

Source : M.A.N Media

2007 Nombre de demandes en autoproduction déposées à la SDRM

Environ 4 500

Nombre de maquettes en autoproduction proposées au distributeur numérique Believe

Environ 20 000

Source : M.A.N Media

Pourquoi s’autoproduire ? • Les profils d’artistes concernés par l’autoproduction ne semblent guère avoir évolué depuis dix ans, avec trois piliers de l’autoproduction : les artistes en début de carrière sans producteur ; les artistes de musiques dites de niche, donc peu rentables ; les artistes en haut de l’affiche, pour qui l’autoproduction peut se révéler un calcul financièrement intéressant. • Le contexte économique a néanmoins réduit les possibilités de signature auprès des principales maisons de disques, ce qui explique le grand nombre d’artistes « professionnels » se produisant eux-mêmes. • La véritable nouveauté viendrait du fait que des artistes en développement au potentiel commercial déjà affirmé choisissent également l’autoproduction, fait plutôt rare jusqu’ici. On commence à voir ce type de cas, avec Soko ou Peter Von Poehl, voire Zoé Avril.

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• Pour le moment, le contrat avec une maison de disques reste une denrée très recherchée que peu d’artistes, sauf les plus capés, semblent disposés à refuser pourvu que les conditions soient correctes. • Dans les motivations des associés de l’Adami3 pour réaliser une autoproduction, le contrôle de sa production arrive en tête - critère cité comme « important » ou « assez important » par 86% des répondants - devant l’impossibilité de trouver une maison de disques (74,4%) et être indépendant (72,9%). Le désir de gagner plus d’argent rassemble 64% de réponses positives. *** • L’autoproduction est probablement en train de se professionnaliser, avec des artistes de mieux en mieux entourés qui auraient sans doute été produits par une maison de disques il y a encore quelques années.

ABSTRACT, PARTIE 2 – LES PARTENAIRES DES ARTISTES PRODUCTEURS • La fabrication de disque et une distribution professionnelle restent quasiment obligatoires pour exister dans les circuits professionnels aujourd’hui. Sans elles, pas de presse, de tournées, d’aides, de prêts, etc. • Si la distribution est essentielle, elle est difficile à obtenir. Elle concerne environ la moitié des artistes de la musique de l’Adami en autoproduction. • Les difficultés à trouver des places en distribution risquent de s’accroître : les demandes d’autorisation en autoproduction à la SDRM montrent une nette baisse des projets distribués depuis 2003. Distribution des œuvres déclarées en autoproduction à la SDRM

Phonogrammes faisant l’objet d’une distribution

2003

2007

37,7%

28,1%

Source : M.A.N Media à partir de données Sacem

3

Cf. note 2 p. 7

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• Au niveau des détaillants également, les places se raréfient. La Fnac poursuit par exemple sa politique envers l’autoproduction, mais encourage les artistes à passer par le distributeur spécialisé Musicast plutôt que de faire du dépôt-vente en direct. • Pour la majorité des artistes, l’autoproduction dépasse la seule étape de production. Si l’on se fie aux types de contrats signés avec leur partenaires, 69,5% prennent en charge la fabrication de disques (et donc très probablement les frais SDRM associés) et 73,5% assument le travail de promotion et de marketing. • Toutefois, la lecture de ce type de pratiques se brouille : l’importance croissance de l’autoproduction entraîne de nouvelles formes de collaboration. Un certain nombre d’artistes producteurs signent ainsi des contrats hybrides entre la distribution et la licence avec un partenaire, label ou distributeur. Des maisons de disques comme PIAS proposent des services de promotion / marketing adaptés à l’artiste producteur. • D’autres partenaires se trouvent de fait impliqués : les éditeurs, notamment. Environ 15% des associés de l’Adami4 ayant eu un projet d’autoproduction dans les trois dernières années travaillent ainsi avec un éditeur tiers. Mais de même qu’ils s’autoproduisent, de nombreux artistes s’autoéditent, illustrant une tendance de certains artistes à vouloir contrôler l’ensemble de leurs droits dans un environnement instable. • En termes purement pratiques, ce sont bien souvent les managers qui gèrent dans les faits l’autoproduction de l’artiste. Certaines sociétés fournissent également ce service. • La disparition du filtre que constitue le producteur et le manque de partenaires professionnels pour un grand nombre d’artistes posent la question d’une autoproduction quantitativement supérieure aux capacités d’absorption du marché. Les filtres s’adaptent et se déplacent, notamment avec l’expansion du numérique.

Pourquoi s’autoproduire ? • Par la multiplicité des canaux qu’il propose, Internet peut être vu comme une réponse aux problèmes d’accès au marché physique de nombreux artistes. L’existence de services permettant à des artistes de toucher directement leur public a facilité certaines pratiques, mais n'a semble-t-il pas encore vraiment chamboulé le paysage professionnel de la musique.

4

Cf. note 2 p. 7

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• Seuls 4,4% des associés de l’Adami5 en autoproduction se passent de fabrication physique. • Les ventes en ligne représentent en effet des revenus anecdotiques pour l’immense majorité des artistes autoproduits, même si quelques succès en montrent le potentiel. • De nouveaux intermédiaires vivent du numérique, tels les distributeurs dédiés, qui ont tendance à diversifier leurs opérations pour peu à peu devenir des labels numériques. Le web collaboratif est en train de montrer son potentiel, mais il faut l’envisager avec mesure. • Le numérique prenant de l’ampleur, et surtout les difficultés de la distribution physique se faisant croissantes, l’ensemble des acteurs professionnels sont en train de se positionner sur le numérique : on peut donc envisager des évolutions significatives dans un futur proche.

ABSTRACT, PARTIE 3 – L’ARTISTE ENTREPRENEUR • L’analyse des structures juridiques portant les projets en autoproduction montre une envergure globalement limitée : 31,3% des projets des associés de l’Adami6, pourtant professionnels de la musique, sont montés en dehors de toute structure. L’association se taille la part du lion, avec 49,8% des autoproductions. Les sociétés, porteuses a priori de projets de plus grande envergure, ne sont utilisées que dans 14,3% des cas. • Le montant moyen des budgets en autoproduction s’élève à 17 400 € au total. Pour les artistes aidés par l’Adami, le budget est d’environ 34 200 €. • Les budgets d’autoproduction auxquels nous avons pu avoir accès montraient le plus souvent un déséquilibre structurel pénalisant la diffusion de l’œuvre. Ainsi, pour les artistes en contrat de distribution, la part du budget consacrée à la promotion n’était que de 13,5% en moyenne, s’élevant le plus souvent à quelques milliers d’euros. Cette somme est insuffisante pour une campagne de promotion d’envergure.

5 6

Cf. note 2 p. 7 Cf. note 2 p. 7

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• Un certain nombre de budgets incluent le paiement des musiciens, mais ils ne sont pas majoritaires. Les musiciens, quand ils ne réalisent pas l’enregistrement à titre gracieux, sont souvent « rémunérés » via des royalties ou des paiements rétroactifs. Les aides provenant de la profession ou de la sphère publique imposant le respect de la loi, les projets aidés incluent le paiement des séances d’enregistrement des musiciens comme de l’artiste interprète. • 87% des associés de l’Adami concernés ont financé leur autoproduction au moins en partie sur fonds propres. Les aides et l’échange de services sont ensuite les deux modes de financement les plus représentés : ils ont concerné chacun un peu plus de 20% des projets. • Parmi les aides délivrées par la profession, celles de la Sacem et de l’Adami se portent en nombre sur les artistes autoproduits. Les aides à l’autoproduction de la Sacem, qui concerne 30 à 50 dossiers par an, se montent à 3 000 € max. Les aides de l’Adami ont concerné 70 artistes en 2007, pour un montant moyen que l’on peut estimer à environ 5 600 €. • Les avances de la part des maisons de disques se font plus rares et souvent moins élevées qu’il y a quelques années ; elles interviennent souvent après l’enregistrement de l’album, obligeant donc l’artiste producteur à trouver d’autres sources de financement.

ABSTRACT, PARTIE 4 – LES REVENUS DES ARTISTES PRODUCTEURS • Les conditions proposées en contrat de licence ont tendance à se durcir ; un certain nombre d’artistes trouvent finalement plus d’intérêt à signer un contrat de distribution, qui serait financièrement plus intéressant pour des artistes vendant quelques dizaines de milliers d’exemplaires de chaque album. • Les ventes en concert, tolérées jusqu’à un certain niveau par les distributeurs, permettent de générer des revenus significatifs pour les artistes en distribution, en raison de marges très confortables. • Les ventes moyennes des disques autoproduits sont de plus de 12 000 exemplaires. Ce chiffre cache une très grande disparité selon les artistes, la moyenne étant tirée par quelques très grosses ventes.

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Nombre d’exemplaires vendus (sous forme de CD) par les associés de l’Adami7 ayant effectué une autoproduction au cours des trois dernières années 0

3,5%

De 1 à 499

18,1%

De 500 à 999

19,2%

De 1 000 à 4 999

38,5%

De 5 000 à 9 999

11,9%

De 10 000 à 49 999

6,9%

De 50 000 à 99 999

0,8%

Plus de 100 000

1,2%

Source : M.A.N Media, à partir de l’enquête CNAM – Telecom Paris Tech, résultats préliminaires

• Le croisement des diverses données recueillies, s’il ne permet pas de produire de chiffre fiable, permet de constater l’importance très significative des ventes en volume de disques d’artistes producteurs sur le marché global. • Environ un tiers (34,7%) des autoproductions sont rentabilisées. Mais bien souvent, ce n’est pas le but : l’autoproduction sert de carte de visite pour ce qui fait vivre l’artiste (scène, illustration sonore, etc.) • Les artistes producteurs sont bien plus nombreux à percevoir des droits d’auteurs que des droits voisins, qui ne génèrent que peu de revenus dans la majorité des cas. Ils peuvent néanmoins constituer le bénéfice d’un projet de production d’un artiste. • En outre, les producteurs doivent souvent partager les droits voisins avec leur licencié ou leur distributeur, généralement à hauteur de 50%. • Seuls 21,5% sont membres d’une société civile de producteur.

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Cf. note 2 p. 7

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ABSTRACT, CONCLUSION

• La masse des artistes concernés par l’autoproduction telle que nous l’avons définie n’a pas nécessairement augmenté ces dernières années, mais est probablement appelée à le faire à court terme. Elle est en revanche déjà en pleine évolution qualitative, avec un professionnalisme moyen en hausse. • La majorité des projets en autoproduction semble fonctionner avec des budgets déséquilibrés, très axés sur la production, au détriment de l’effort de promotion et de marketing nécessaire pour accéder au public. En outre, l’accès à la distribution professionnelle physique se restreint. Or, cette distribution reste nécessaire pour vendre sa musique, mais aussi tout simplement pour exister auprès des médias ou des organisateurs de concert. • Ces deux barrières à l’accès au marché expliquent sans doute pourquoi, aujourd’hui comme hier, l’attrait des maisons de disques n’a pas faibli. • Les outils Internet sont d’ores et déjà largement plébiscités par les artistes producteurs en termes de communication. Ils sont en revanche pour l’instant anecdotiques pour la très grande majorité des artistes producteurs en termes de revenus. • Avec le déclin de la distribution physique à grande échelle, on peut imaginer que les pratiques des artistes producteurs vont se modifier profondément. On devrait voir apparaître ou se renforcer de nouveaux partenaires, issus du monde numérique mais également de la filière traditionnelle (manager, éditeur, etc.) • Aujourd’hui, les deux tiers environ des projets d’autoproduction menés par des professionnels de la musique ne sont pas rentables, mais ils constituent le cœur d’un métier qui cherche ses revenus ailleurs (scène, réalisation sonore, etc.) Demain, l’enregistrement restera au centre des carrières musicales et les artistes seront peut-être plus libres d’en contrôler la commercialisation à travers des partenaires variés.

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Introduction L’autoproduction est un phénomène bien connu de l’industrie de la musique, en particulier depuis l’adoption à grande échelle des technologies numériques amorcée il y a plus de 20 ans. De nombreux outils et services pour l’enregistrement, puis la diffusion de musique, ont vu le jour et sont rapidement devenus accessibles au plus grand nombre. On évoque facilement une explosion de l’autoproduction liée à ces évolutions technologiques et l’auteur de cette étude a même eu l’heur de coécrire un guide sur l’autoproduction à la fin des années 90. Pourtant, il est aujourd’hui encore difficile de saisir, ou au moins de décrire l’ampleur de ce phénomène et ses mécanismes. L’actualité récente du disque rend plus que jamais nécessaire une meilleure compréhension de l’autoproduction telle qu’elle se pratique sur le terrain. Avec un marché du disque quasiment divisé par deux depuis 2002 et la remise en cause des modèles économiques traditionnels de la filière musicale, les débouchés offerts par les labels se font plus rares. Les artistes décidant de se produire eux-mêmes en sont-ils mécaniquement plus nombreux ? C’est à cette question, parmi beaucoup d’autres, que cette étude cherchera à répondre. Nous nous attacherons globalement à déterminer comment les artistes producteurs organisent leur projet phonographique, dans quelle mesure la production d’un enregistrement sert un projet global, comment les artistes s’entourent pour le réaliser, quelles sont leurs sources de financement et quels revenus ils tirent de leur production. Préalablement à ces questions complexes se pose une interrogation tout aussi délicate : qu’est-ce que l’autoproduction ? Le terme recouvre en effet bien des réalités : « star » en contrat de licence8 avec une major, artiste en tout début de carrière gérant son autoproduction de A à Z, patron de label produisant ses œuvres et celle d’autrui… la liste est longue ! Certains crieront au loup devant cette largeur de champ, l’autoproduction étant un terme souvent connoté idéologiquement, revendication d’un ‘Do It Yourself’ intégral, d’une indépendance affirmée pour les uns, ou d’un total dénuement pour d’autres. Cette étude s’intéresse aux artistes qui produisent leur phonogramme, quelle que soit leur situation, leurs motivations et quel que soit le genre musical. Elle n’entend donc pas donner une définition de l’autoproduction, mais bien étudier un phénomène plus général : celui de l’artiste-producteur. 8

Voir glossaire.

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Il nous faut malgré tout définir aussi précisément que possible les limites de notre champ de recherche. Nous l’avons retenu aussi large que possible.

L’ARTISTE-PRODUCTEUR, UN PROFIL MOUVANT On définit couramment le producteur comme la personne physique ou morale qui finance l’enregistrement de la bande master9. L’artiste producteur serait donc celui qui finance son propre enregistrement. Il nous semble que le critère le plus pertinent porte sur le fait de posséder la bande master, quelle que soit la manière dont elle a été financée. Cela permet par exemple d'inclure sans ambigüité les avances des maisons de disques, courantes pour les artistes de forte notoriété, le financement par souscription, voire les nouveaux modes de coproduction en ligne – pour ceux qui laisse la propriété du master à l’artiste. L’artiste producteur est donc celui qui possède le master de son enregistrement. Le débat porte alors sur les modalités qui lui permettent de le détenir. L’artiste peut le posséder en propre ou via une personne morale, association ou société par exemple. Notre propos n’étant pas de débattre sur la nature de l’autoproduction, notre champ de recherche inclura les artistes qui ne sont que partiellement propriétaires de leur bande master, en tant que coactionnaire d’une société par exemple. Les degrés d’implication de l’artiste dans la production de ses propres œuvres regroupent des réalités très différentes, beaucoup d’artistes allant au-delà de la seule production en prenant en charge la promotion, le marketing ou la distribution de leur phonogramme10. Certains délèguent tout ou partie de ces activités à des partenaires, d’autres s‘en occupent de leur mieux par eux-mêmes. Ces artistes producteurs exercent des métiers finalement très disparates, nous considérons qu’ils rentrent tous dans le champ de notre enquête. Nous avons en revanche restreint la recherche aux artistes professionnels ou visant une professionnalisation, c’est-à-dire cherchant à vivre de leur musique, même si cette définition est relativement vague. Nous avons également exclu les productions à but exclusivement promotionnel.

Voir glossaire. Rappelons que nous entendons ici par phonogramme la fixation sur support d’un ensemble de titres enregistrés. Il peut donc s’agir par exemple d’un titre seul ou d’un album. 9

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L’artiste producteur en France 2008 – Aymeric Pichevin


Pour résumer, notre étude s’intéresse à des profils d’artistes producteurs extrêmement variés, de par leur implication entrepreneuriale, leur genre musical, l’importance de leur marché potentiel ou le stade de leur carrière. La définition de notre champ de recherche n’est pas parfaite et a évidemment ses failles, à notre sens inévitables étant donné la diversité des formes d’autoproduction que l’on trouve sur le terrain.

MÉTHODOLOGIE Notre travail repose sur une double approche : Approche qualitative, avec plus de trente interviews de professionnels de la musique : artistes, managers, éditeurs, maisons de disques, distributeurs, détaillants physiques et numériques, représentants de sociétés collectives ou d’organismes de financement11. Approche statistique : une des forces de cette étude est peut-être d’avoir pu obtenir un certain nombre de chiffres d’organismes concernés de près ou de loin par l’autoproduction. Nous tenons à remercier chaleureusement l’Adami, la Fnac, la Sacem, la SCPP, la SPPF et la Bibliothèque nationale de France pour le temps qu’ils ont bien voulu nous consacrer. Lorsque c’était possible, nous avons analysé l’évolution des chiffres sur la période 2003-2007, soit les cinq années qui ont suivi le pic du marché du disque en 2002, à la suite duquel le marché français s’est enfoncé dans une décroissance régulière. On essaiera ainsi d’analyser l’impact de cette crise du disque sur l’autoproduction. Nous avons notamment effectué une analyse détaillée de dossiers d’artistes ayant reçu des aides de l’Adami en 2007, sur la base d’une présélection d’artistes autoproduits effectuée par l’action artistique de l’Adami12.

Voir la liste en annexe. Les dossiers étaient issus des deux commissions d’attribution d’aides de l’Adami : la commission Variétés et la commission Chefs d’orchestre et solistes, qui traite du classique et du jazz. Nous avons restreint notre analyse aux dossiers « soldés », portant sur des productions exécutées à la date de notre enquête. Cela nous a permis d’étudier les budgets réels et non prévisionnels. 11 12

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Nous avons enfin collaboré avec le Cnam (Conservatoire national des Arts et Métiers) et Telecom Paris Tech, qui ont conjointement réalisé une enquête par questionnaire auprès de plus de 4 000 artistes de la musique associés de l’Adami. Nous avons inséré un ensemble de questions spécifiques à l’artiste producteur dans cette enquête, dont la cible entrait en parfait adéquation avec le cadre de notre travail. Les critères d’admission à l’Adami délimitent en effet une population d’artistes se plaçant dans une logique professionnelle. L’analyse des réponses apporte donc un éclairage précieux sur la situation réelle des artistes producteurs en 200813. Nous remercions vivement le Cnam et Telecom Paris Tech pour leur précieux concours. *** L’autoproduction est un phénomène difficile à cerner, tant les barrières à l’entrée sont faibles et tant sont nombreuses les productions qui passent sous les différents radars de la filière phonographique. Nous n’avons pas la prétention d’en donner une photographie exacte, mais nous avons pu mettre des chiffres sur un certain nombre de points clé et ainsi donner quelques pistes sur l’ampleur du phénomène, ce qui nous semble constituer une première. Plus que des valeurs absolues, ces chiffres sont à prendre comme des indicateurs qui viennent nourrir une analyse globale. L’étude présente se concentre sur la réalité des artistes producteurs en 2008, qui passe encore, on le verra, essentiellement par la production de disque physique.

13 Pour des raisons de délai, nous n’avons eu accès qu’aux résultats préliminaires de l’enquête, dont n’ont pas été exclues les réponses incohérentes. Les pourcentages que nous indiquons pourront donc être affinés, mais les grandes tendances énoncées demeurent valides. Par ailleurs, il ne nous a pas été possible d’obtenir des statistiques croisées pour les mêmes raisons d’agenda. Certaines d’entre elles pourront être utilisées dans le deuxième volet de notre travail sur l’autoproduction.

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SYRANO, l’autoproduction bénéficiaire Premier disque autoproduit vendu à 10 000 exemplaires en distribution14 chez L’Autre Distribution. Structure juridique - association Genre - « Syrano, c’est Jacques Brel qui fait du rap » - J.L. Foulquier Budget - de l’ordre de 8 000 € Financement - Par les prix en numéraires ou en heures de studio gagnés dans de nombreux tremplins. Ventes - 10 000 albums vendus, dont la moitié en concert. Bénéfices - 14 000 € de bénéfice sur la vente des albums. 12 000 € de droits d’auteur, dont Syrano dit reverser une partie à ses musiciens : « Je leur cède des droits de composition à la Sacem pour leur montrer que leur implication n’est pas vaine. » Pourquoi l’autoproduction ? « Je n’ai jamais vraiment cherché de label, ça s’est fait par la force des choses. Je faisais beaucoup de concerts et j’avais besoin d’une carte de visite, de laisser une trace pour les programmateurs, les tourneurs, pour trouver un manager. J’ai fait les découvertes du printemps de Bourges puis les Francofolies, gagné 6 ou 7 tremplins, ce qui m’a permis de financer le 1er album, avec des bouts de ficelle. » Envisagez-vous de vous faire produire ? « L’autoproduction, c’est une masse de travail très importante, donc si ça peut être fait par quelqu’un d’autre, tant mieux ! Après si ça me retire de l’autonomie, que je ne peux plus faire ma pochette ou mettre les chansons que je veux sur le disque, je préfère continuer à le faire tout seul. On est dans une démarche créative et artistique avant d’être dans le commercial. » Et ensuite ? Deuxième autoproduction prévue, avec financement par souscription.

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Voir glossaire.

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1. Évolution du phénomène Cette première partie de l’étude a pour but d’appréhender l’ampleur du phénomène d’autoproduction en France et son évolution dans les cinq dernières années, aussi bien en termes quantitatifs que qualitatifs.

UN PHÉNOMÈNE STABLE… EN APPARENCE

Des chiffres à l‘étal Il n’existe pas de source permettant de déterminer de manière fiable le nombre d’artistes producteurs en France. Nous avons cherché à en obtenir un ordre de grandeur en recoupant des statistiques obtenues auprès de plusieurs structures, points de passage incontournables pour une majorité d’artistes producteurs. Les approches choisies ne peuvent rendre compte de l’ensemble de la réalité ; elles permettent d’en avoir une idée un peu plus concrète.

Sacem-SDRM : 4 500 demandes d’autorisation en autoproduction par an La SDRM est un point de passage obligé de la musique enregistrée : un producteur doit demander son autorisation avant de presser un phonogramme physique, afin d’obtenir le droit d’exploiter le catalogue concerné. Le disque physique restant encore presque indispensable à toute démarche d’autoproduction professionnelle – ce dont nous discuterons plus loin - la mesure des dépôts SDRM est un outil pertinent, pourvu que l’on parvienne à isoler les demandes relevant strictement de l’autoproduction. La SDRM propose trois types de contrat pour délivrer cette autorisation. En schématisant, les deux premiers concernent les majors et les labels indépendants ayant une activité significative, avec lesquels la SDRM a des échanges réguliers. Le troisième, appelé « œuvre par œuvre » (OPO), régit les relations entre la SDRM et des structures déposant occasionnellement des demandes d’autorisation ; il inclut également certaines demandes spéciales des maisons de disques.

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L’artiste producteur en France 2008 – Aymeric Pichevin


On peut donc légitimement penser que la majorité des artistes producteurs demandant une autorisation à la SDRM utilise ce type de contrat, à l’exception de ceux qui sont en contrat de licence15. Dans ce contrat, la SDRM a prévu une case « Autoproduction » que le déposant peut cocher, à des fins de traitement plus rapide. Le nombre total de demandes en OPO est resté relativement stable entre 2003 et 2007, à environ 23 000 par an. La possibilité d’effectuer cette demande par Internet est offerte depuis 2002. À notre demande, le Drim (Département du Droit de Reproduction, Internet, Medias) a aimablement compté le nombre de demandes déposées par Internet en « OPO » comportant la case « Autoproduction » cochée en 2003 et en 2007. En 2007, le nombre de demandes en ligne était 18 184, dont 3 652 - soit 20% - avaient la case « Autoproduction » cochée. Le calcul d’extrapolation porte le nombre de disques autoproduits déposés en 2007, en ligne et hors ligne, à environ 4 50016. En 2003, le nombre de demandes en ligne était de 5 859, dont 1 099 avec la case « Autoproduction », soit un pourcentage de 18,8%. On constate donc un pourcentage d’œuvres déclarées en autoproduction très proche entre 2003 et 2007. Le nombre total de dépôt en œuvre par œuvre ayant lui-même peu évolué, on peut estimer – en tenant compte de la marge d’erreur inhérente à ce type de calcul - que le nombre d’œuvres autoproduites déposées en œuvre par œuvre à la SDRM est resté relativement stable à environ 4 500 œuvres par an.

Nombre approximatif de demandes en OPO « Autoproduction » déposées à la SDRM 2003

4 500

2007

4 500

Source : M.A.N Media, à partir de données fournies par la Sacem

Les demandes d’autorisation étant normalement déposées par l’éditeur phonographique. Selon la SDRM, la nature des demandes en ligne et celle effectué sous forme papier ne diffère pas, on peut donc extrapoler les résultats obtenus pour Internet au total de demandes d’autorisation, déduction faite d’un millier de dépôts correspondant à des projets spéciaux hors champ selon la SDRM. Le calcul d’extrapolation est donc le suivant : (23000-1000)*20% = 4500.

15 16

L’artiste producteur en France 2008 – Aymeric Pichevin

21


Ce chiffre appelle toutefois plusieurs commentaires : • Le critère de définition d’une autoproduction n’est pas défini par la SDRM ; le résultat donné dépend donc de l’appréciation du déposant. • Les autorisations délivrées pour des artistes autoproduits en contrat de licence – voire de distribution – ne sont a priori pas incluses dans ces chiffres, la maison de disques se chargeant le plus souvent du dépôt SDRM en dehors du cadre « œuvre par œuvre ». • Les œuvres d’artistes gravant « manuellement » leurs CDs ne sont évidemment pas non plus comptabilisées. Notre étude s’intéressant avant tout à l’autoproduction professionnelle ou « professionnalisante », on peut considérer que la fabrication manuelle de CD est hors champ. • Ces chiffres n’incluent pas les œuvres publiées exclusivement en numérique - sans donc de fabrication physique - qui ne sont pas comptabilisées dans les dépôts SDRM. Le chiffre de 4 500 autoproductions par an est donc probablement sous-estimé – nous l’affinerons d’ailleurs plus loin - mais il donne un premier ordre de grandeur pour des projets pouvant s’insérer dans une logique professionnelle. Il est intéressant de constater que ce nombre a peu évolué entre 2003 et 2007, ce qui peut paraître surprenant au vu de la dégradation du marché du disque et de la multiplication des outils Internet mis à disposition des artistes durant cette période. On peut déjà supposer que l’autoproduction à vocation professionnelle, si elle a probablement évolué dans sa structure, n’a pas fondamentalement changé en termes de nombre d’artistes concernés.

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L’artiste producteur en France 2008 – Aymeric Pichevin


Plus de 4 000 associés de l’Adami en autoproduction sur 3 ans… et 5 000 à venir ! Les dépôts à la SDRM permettent d’avoir une première approche du nombre d’œuvres déposées en autoproduction par an. L’enquête menée auprès des associés de l’Adami donne des indications sur la proportion d’artistes concernés.

Artistes de la musique associés de l’Adami ayant recours à l’autoproduction En Pourcentage

Extrapolation à la population d’artistes de la musique associés de l’Adami17

Autoproduction au cours des trois dernières années

45%

4 050

Projet d’autoproduction dans les deux années à venir

57,4%

5166

Source : M.A.N Media, à partir de l’enquête CNAM – Telecom Paris Tech, résultats préliminaires

Notons que, comme pour le formulaire SDRM, le questionnaire d’enquête ne donnait pas de définition précise de l’autoproduction. Ainsi, près de la moitié des artistes de la musique associés de l’Adami ont eu recours à l’autoproduction au cours des trois dernières années et plus encore ont un projet en ce sens dans les deux ans à venir. Même si du projet à la réalisation, il y a un pas, la différence laisse augurer d’une hausse du phénomène dans les années à venir. Ces résultats montrent à quel point l’autoproduction a une importance cruciale dans la filière musicale à un niveau professionnel.

17

9 000 associés artistes de la musique qualifiés pour cette enquête.

L’artiste producteur en France 2008 – Aymeric Pichevin

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*** Recouper les données obtenues via la SDRM et l’Adami est un exercice délicat, puisque les déposants SDRM non membres de l’Adami sont probablement nombreux. Retirons pour l’instant de ces deux statistiques que la pratique de produire son disque est extrêmement courante pour un artiste et qu’elle va probablement s’intensifier dans les années à venir. Ces statistiques forment toutefois un compte-rendu tout à fait imparfait du phénomène des artistes producteurs, qui regroupent des cas disparates. L’enquête de terrain permet d’affiner l’analyse.

« Je n’ai jamais vu autant d’autoproductions ! » Si les chiffres que nous venons de voir annonce une hausse de l’autoproduction, nombreux sont les professionnels de la musique à l’avoir déjà perçue dans leur activité, notamment dans le domaine de la distribution. « Je n’ai jamais vu autant d’autoproductions » confie Guy Messina, alors directeur du disque et de la vidéo de la Fnac. « C’est en phase avec le marché et avec les outils qui facilitent la mise à disposition. » Côté distributeur, les échos sont plus partagés. Annie Benoid directrice du distributeur indépendant L’Autre Distribution, partage le sentiment de Guy Messina : « Le nombre d’autoproductions est évidemment en hausse ! Il y a deux ans, je recevais dix albums par semaine, maintenant c’est cent par jour, dont les trois-quarts sont autoproduits ! » Ce n’est pas la perception de Julien Kertudo, DG du distributeur spécialisé sur l’autoproduction Musicast, qui ne constate pas d’évolution en nombre significative. Soulignons les approches très différentes de L’Autre Distribution et de Musicast. Le premier travaille avec un nombre réduit d’artistes pour un accompagnement plus en profondeur, tandis que Musicast travaille sur un nombre de références significativement plus élevé porté par des artistes sans doute moins avancés dans leur développement.

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L’artiste producteur en France 2008 – Aymeric Pichevin


Peut-être donc la demande s’est elle récemment renforcée sur les canaux de distribution les plus sophistiqués : l’autoproduction serait en train d’évoluer vers une plus forte professionnalisation. C’est en tous cas l’analyse de Lilian Goldstein, responsable des musiques actuelles de l’action culturelle de la Sacem, qui propose des aides à l’autoproduction : « On constate une professionnalisation de plus en plus élevée à tous points de vue, y compris artistique. » Les sociétés civiles de producteurs SCPP et SPPF ont ainsi vu s’élever le nombre d'adhésions d’artistes autoproduits ces dernières années. « Cela a beaucoup augmenté » explique Jacques Chesnais, directeur administratif et financier de la SCPP, « à la suite de ruptures de contrat ou de difficultés à trouver un producteur. » Tout en haut de l’échelle, du côté des stars, la vague autoproduction n’a peut-être pas encore frappé : de l’avis de nombreux acteurs interrogés, il n’y a pas significativement plus de démarches entrepreneuriales de leur part aujourd’hui. Odile Renaud, directrice de l’action artistique de l’Adami estime que « le nombre et le type de projets accompagnés sont assez stables depuis 2 ou 3 ans : il n’y a pas plus de « gros » artistes qui viennent demander des aides. » L’examen du Top 10 albums de ces dernières années montre une forte majorité d’artistes en contrat de production avec leur maison de disques pour les artistes signés en France. En 2007, un seul artiste était en contrat de licence parmi les sept artistes concernés (Top 10 hors artistes étrangers et compilations), pour quatre sur neuf en 2006, et un sur six en 2005. Difficile donc de tirer des conclusions.

Nombre d’artistes-producteurs signés en France dans le top 10 albums 2005

2006

2007

1

4

1

Source : M.A.N Media

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Les artistes numériques La description que nous venons de faire d’un phénomène d’autoproduction en mutation plus qu’en croissance peut paraître surprenante au vu de la multiplication récente des outils Internet permettant à chacun de publier ses œuvres sans intermédiaire. Porté par Myspace depuis 2003, ce phénomène permet à de nouveaux profils d’artistes de diffuser leur musique. Myspace a connu le succès fulgurant que l’on sait auprès des musiciens, au point de devenir la carte de visite d’un très grand nombre d’entre eux. Le service a offert la possibilité à tout un chacun de mettre sa musique à disposition du monde de manière très simple dans un environnement centralisé. Il est loin d’être le seul à disposition des musiciens sur la toile. Jamendo, qui diffuse depuis 2005 les oeuvres d’artistes exclusivement sous licence libre18, proposait 13 271 albums en octobre 2008, pour 10,000 artistes, tous autoproduits selon le directeur de Jamendo Laurent Kratz, qui précise : « Un certain nombre utilisent Jamendo pour se faire connaître et lancer leur carrière, mais la grande majorité font ça pour le fun : ils ont un métier qu’ils n’entendent pas quitter. » De son côté, Denis Ladegaillerie, président du distributeur numérique français Believe, déclare recevoir 20 000 maquettes par an – toutes des autoproductions - un chiffre en constante augmentation. Là encore, une grande majorité des artistes concernés ont une activité professionnelle hors musique, confirme D. Ladegaillerie.

De l’importance du numérique en autoproduction 2005-2008 Nombre d’associés Adami19 en autoproduction

Environ 4 000

Nombre d’artistes présentant une œuvre autoproduite sur le service Jamendo

Environ 10 000

Source : M.A.N Media

18 19

Licence par laquelle l'auteur cède tout ou partie des droits cessibles que lui confère le droit d'auteur. Cf. note 2 p. 7

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L’artiste producteur en France 2008 – Aymeric Pichevin


2007 Nombre de demandes en autoproduction déposées à la SDRM

Environ 4 500

Nombre de maquettes en autoproduction proposées au distributeur numérique Believe

Environ 20 000

Source : M.A.N Media

La comparaison de ces chiffres, tirés de deux services musicaux parmi une offre pléthorique sur Internet, le montre : il est plus que probable que les œuvres autoproduites à disposition du public via Internet soient en nombre considérablement supérieur à ce que les filtres traditionnels de la filière musicale nous permettent de constater. L’autoproduction au sens large serait donc un phénomène en forte croissance d’un point de vue purement statistique. Ces chiffres permettent de souligner l’émergence massive d’une catégorie d’artistes autoproduits : les amateurs, voire une nouvelle forme de semi-professionnels. Ceux-ci représentent un poids économique croissant, qui sera analysé dans le volet à venir de notre étude, dédié au numérique. *** Ces premiers éléments d’analyse nous ont fourni de premières indications quant à une évolution des pratiques liées d’autoproduction, avec un professionnalisme plus marqué et une concurrence accrue pour accéder aux portes d’entrée de la filière que sont les distributeurs ou les détaillants. Nous allons dans ce qui suit nous intéresser aux motivations des artistes menant à bien un projet d’autoproduction et voir comment ce projet s’insère dans un plan de carrière global.

L’artiste producteur en France 2008 – Aymeric Pichevin

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POURQUOI S’AUTOPRODUIRE ? En quoi un artiste a-t-il intérêt à produire l’enregistrement de ses œuvres en 2008 ? Les motivations n’ont pas forcément fondamentalement évolué depuis 1996, date où nous coécrivions la première version du guide « Autoproduire son Disque », mais elles sont exacerbées par le rétrécissement du marché du disque.

Moins de contrat d’artistes20 La violence de la crise du disque a obligé les maisons de disques à adapter leur stratégie et leurs investissements. Globalement, on constate une baisse significative du dépôt légal à la Bibliothèque Nationale de France (BNF), où il est obligatoire de déposer un exemplaire de tout phonogramme physique fabriqué. Le nombre de dépôts est passé de 15 709 en 2003 à 9 885 en 2007, à assiette comparable selon Pierre Pichon, responsable du dépôt légal des documents sonores de la BnF. Ce dernier attribue 90% de la baisse aux principales maisons de disques, l’obligation de dépôt étant mieux respectée par ces dernières que par les artistes autoproduits. Le constat se retrouve au niveau de la politique de signatures des majors : d’après le Snep, le nombre de nouvelles signatures de contrat d’artistes en major est passé de 171 en 2002 à 99 en 2007. Le différentiel entre le nombre de contrats signés et le nombre de contrats rendus, encore largement positif aujourd’hui, pourrait s’inverser prochainement selon certaines sources. Nous ne disposons pas de statistiques de ce type concernant les labels indépendants. Les majors sont très loin de représenter l’ensemble du marché en terme de volume de signatures et de gros labels indépendants comme Wagram ou Naïve revendiquent une politique de signature active. Pourtant, la tendance illustrée est largement ressentie sur le terrain : « Il y a de moins en moins de labels et de signatures, donc de fait, de plus en plus d'artistes en viennent à l'autoproduction » résume Luc Natali, co-fondateur de la société Open Bar et manager de la Rue Ketanou, Karpatt, Syrano ou P18.

20

Voir glossaire.

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L’artiste producteur en France 2008 – Aymeric Pichevin


Quelques indices d’évolution du catalogue en maison de disques 2003

2007

Nombre de signatures en contrat d’artistes en major21

132 (171 en 2002)

99

Nombre de dépôts de phonogrammes à la BNF22

15 709

9 885

Nous avons également cherché à savoir si la baisse probable du nombre de contrats d’artistes pouvait avoir engendré un report vers des contrats de licence, les labels privilégiant des dépenses réduites à un investissement à plus long terme. « Dans le contexte actuel, les producteurs ont intérêt à être propriétaires du master sur le long terme » résume Jérôme Roger, directeur général de la SPPF. « À court terme, ils peuvent trouver un intérêt en signant en licence ». Nous avons interrogé un certain nombre de maisons de disques sur le sujet et il semble difficile de dégager un consensus. Avec l’incertitude qui pèse sur les modes futurs de commercialisation de la musique, certains parient sur la valeur de l’actif, d’autres sur la valeur du service. Et chacun fait surtout en fonction de ses moyens. La crise du disque n’a donc pas forcément un impact d’ensemble sur la stratégie des maisons de disques, qui continuent à proposer contrats de licence ou contrats d’artistes au cas par cas. Globalement, le marché offre moins de débouchés qu’auparavant. Le filtre que constituent les maisons de disques, déjà sélectif en période de croissance, devient drastique, et ne laisse d’autre choix à de nombreux artistes que de se produire eux-mêmes.

21 22

Source Snep. Source BNF (Bibliothèque Nationale de France).

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Exister En début de carrière en particulier, les jeunes artistes s’autoproduisent très souvent pour pouvoir exister en l’absence de contrat proposé par un producteur. « L’autoproduction est avant tout un moyen de se faire connaître pour pouvoir faire des concerts » souligne David Godevais, producteur et président du Calif23. Une assertion confirmée par un membre du réseau Zone Franche, représentant des artistes de musiques du monde : « L’enregistrement reste LE vecteur d'un projet artistique, quitte à ce que nous l'accompagnions pour le faire. » Les coûts d’enregistrement et de fabrication étant aujourd’hui abordables, cette catégorie concerne un grand nombre d’artistes. Le phénomène n’est pas nouveau : les artistes frappant à la porte de maisons de disques ont toujours été bien plus nombreux que les capacités d’absorption du marché. La crise du disque a en revanche crûment mis en lumière une autre catégorie d’artistes autoproduits : ceux à qui on a rendu leur contrat.

Licence contre licenciement Un certain nombre d’artistes ayant connu le succès, mais désormais considérés comme insuffisamment rentables par leur producteur n’ont eu d’autre choix que de se produire eux-mêmes. Les exemples sont très nombreux ; on se souvient d’Alain Chamfort, remercié par son label, dont le clip Les Beaux Yeux de Laure incluait une demande ironique de maison de disques en 2004. Mano Solo, qui, après des années en contrat d’artiste chez Warner, a tenté l’autoproduction de A à Z en 2007 avant de signer en licence chez Wagram, a tiré des conclusions de ses diverses expériences. Pour lui, « les maisons de disques ne signent des contrats d’artiste que pour des talents en développement dont le potentiel est inconnu, donc pour lequel il peuvent potentiellement toucher le jackpot. Une valeur sûre à quelques dizaines de milliers d’exemplaires, cela ne les intéresse pas, sauf en licence. »

Club Action des Labels Indépendants, dont le but est de favoriser la création de points de vente de disques sur le territoire français.

23

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L’artiste producteur en France 2008 – Aymeric Pichevin


Les marchés autoporteurs Dans un certain nombre de genres musicaux, l’autoproduction est extrêmement répandue, soit parce que le marché est de taille réduite, soit parce que le genre lui-même découle quasiment de la production directe par l’artiste. Les musiques dont l’enregistrement repose massivement sur l’utilisation de machines semblent ainsi plus propices que les musiques reposant essentiellement sur l’enregistrement plus onéreux de voix ou d’instruments analogiques. Les artistes de musiques électroniques fonctionnent traditionnellement en autoproduction, à l’instar de Martin Solveig, David Guetta, Laurent Wolf, Kid Loco ou d’autres, même si certaines pratiques de signature de contrat d’artistes – avec rachat de la bande master – ont pu nous être rapportées. Mais les techniques d’enregistrement permettent aujourd’hui à l’autoproduction d’être présente dans tous les genres musicaux, même dans la variété, secteur longtemps plus fermé. Les formes d’autoproduction peuvent varier selon les genres musicaux : de nombreux rappeurs ont recours à des mixtapes pour se faire connaître ou pour donner libre cours à leur créativité entre deux albums. Dans les musiques du monde ou dans le jazz, il est courant que des artistes se groupent de manière plus ou moins formelle pour faciliter les autoproductions de chacun d’entre eux. Jean-Jacques Birgé a ainsi fondé le label de jazz GRRR, qui compte sept artistes à son catalogue. « GRRR n’est pas un label d’accueil » explique-t-il. « On est vraiment dans une logique d’autoproducteurs car même les artistes que GRRR produit s’autogèrent. Tous les artistes du label ont leur propre studio, chacun est complètement indépendant. Il s’agit plutôt d’entraide entre artistes, de solidarité familiale. » D’une manière générale, on peut également supposer que l’autoproduction est présente sur les genres musicaux où la scène est prépondérante : les concerts restent en effet un excellent vecteur de ventes de disques. ***

L’artiste producteur en France 2008 – Aymeric Pichevin

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Si elle est souvent choisie par défaut, l’autoproduction présente de nombreux avantages pour l’artiste, qui jouit d’une liberté bien plus forte dans ses choix, en particulier dans ses choix artistiques. « C’est après plusieurs expériences malheureuses avec des producteurs que j’ai décidé que, finalement, je me débrouillerais mieux tout seul » explique Jean Jacques Birgé. « Cela permet aussi d’être totalement libre, de tout maîtriser jusqu’à la pochette, de faire vraiment ce que l’on veut et de garder le droit sur ses œuvres. Mais je me considère comme un autoproduit, pas comme un producteur. » Le principe d’autoproduction comporte aussi évidemment une composante économique non négligeable, qui amène de plus en plus d’artistes à le considérer d’un œil positif.

L’autoproduction, un calcul économique ? Plus l’artiste joue de rôles, plus la part qui lui revient sur chaque vente de disque est importante. Le taux de royalties en contrat de licence est significativement plus élevé que celui d’un contrat d’artiste, moins que celui d’un contrat de distribution. Mais les coûts varient également en proportion. L’artiste doit donc résoudre une équation mêlant gain unitaire, volume de ventes et dépenses nécessaire pour atteindre ce volume. De nombreux artistes à succès décident d’investir dans la production de leur enregistrement, en considérant sans doute que les ventes minimum auxquelles ils peuvent s’attendre permettront de rentabiliser leur mise - même si on ne peut systématiquement leur prêter cette seule motivation pour se produire. D’autres artistes moins vendeurs privilégient le contrat de distribution, suivant un calcul que nous présentons dans la quatrième partie de cette étude. Mais le fait de se produire n’a pas qu’une incidence financière immédiate : l’opération est également intéressante à long terme, l’artiste producteur se constituant un catalogue qui prendra de la valeur si sa carrière fonctionne. C’est ainsi que Charles Aznavour a vendu l’ensemble des masters enregistrés en licence depuis le début de sa carrière au moment de signer un contrat d’artiste avec EMI en 1993. C’est également le calcul que font Thomas Bonardi et David Barat, fondateurs de la société de management Bellevue, pour deux de leurs artistes - Soko, dont la réputation a décollé grâce à Internet, et Peter Van Poehl. « Financièrement, ils gagnent plus à se produire. À court terme, mais aussi à long terme, car ils se créent de l’actif ! »

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L’artiste producteur en France 2008 – Aymeric Pichevin


Il est courant pour un artiste de démarrer en contrat de production avec une maison de disques et, si le succès est au rendez-vous, de passer en licence à un moment ou à un autre de sa carrière. C’est le parcours de Jean-Jacques Goldman, qui a monté JRG après avoir longtemps été en contrat d’artiste. Renaud ou Patrick Bruel, parmi d’autres exemples connus, sont aujourd’hui en autoproduction. Il y a toujours des contre-exemples : Johnny Hallyday ou Michel Sardou sont par exemple, à notre connaissance, toujours en contrat d’artistes. Mais on se rappelle également que Johnny avait vainement essayé en 2005 de récupérer la propriété de l’ensemble de ses enregistrements, pourtant produits par Universal depuis le début de sa carrière. La question de la propriété des masters pour les artistes est d’ailleurs centrale dans les revendications de la Featured artists coalition, une coalition née en 2008 en GrandeBretagne pour défendre les droits des artistes dans le paysage musical qui se dessine.

« Ce qui est nouveau, c’est l’autoproduction comme mode de gestion de carrière » Hors marché de niche, l’autoproduction concerne historiquement les deux extrémités de l’échelle, avec les artistes en début de carrière qui ne trouvent pas de producteur et ceux au contraire qui on atteint ou dépassé le pic de leur succès. Le « milieu » de l’échelle est-il aujourd’hui concerné ? Les artistes débutants à fort potentiel commercial, ou les artistes établis qui ne trustent pas nécessairement les toutes premières places des tops, ont-ils aujourd’hui plus qu’hier tendance à s’autoproduire ? « Jusqu’à présent, les exemples de type Tryo, qui ont fait l’ensemble de leur carrière en autoproduction, sont plutôt rares » témoigne Luc Natali. Pourtant, selon lui, « pour des artistes dont les ventes ne sont pas énormes, c’est le meilleur choix économique. » La période actuelle est propice au changement. Selon Hervé Rony, directeur du Snep : « L’artiste qui s’autoproduit en début de carrière, c’est classique. Ce qui est nouveau, c’est l’autoproduction comme mode de gestion de carrière, phénomène rendu plus aigu par la crise du disque. » Jérôme Roger confirme : « Il y a une tendance lourde pour les artistes confirmés à avoir leur propre structure de production et d’édition. Pas seulement chez les artistes établis : ceux qui arrivent le font de plus en vite. Zoé Avril [dont le premier album est sorti en 2008] a sa structure, Lorie, d’abord en contrat d’artiste, est maintenant en licence, etc. »

L’artiste producteur en France 2008 – Aymeric Pichevin

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On l’a vu, la société de management Bellevue a fait le pari de l’autoproduction pour Soko dès son premier album, alors que sa reconnaissance prometteuse sur Internet avait suscité l’intérêt de nombreuses maisons de disques. David Barat n’en fait cependant pas une règle, et seuls deux artistes sont en autoproduction parmi les huit artistes managés par Bellevue. « Nous parlons d’artistes avec un certain niveau d’audience, dont le développement va nécessiter des investissements lourds pour essayer de passer au stade supérieur. Ces investissements peuvent être rentabilisés uniquement pour des artistes au potentiel international. » Passer au niveau supérieur, l’idée est lâchée, celle qui rattache encore nombre d’artistes à leur maison de disques…

Le graal demeure la maison de disques ! Si un certain nombre d’artistes choisissent l’autoproduction, il semble que fondamentalement, la perspective d’être produit par une maison de disques reste très attractive, en particulier pour les artistes en développement. La grande majorité des artistes et managers à qui nous avons parlé seraient prêts à abandonner leur entreprise d’autoproduction pour un bon contrat d’artiste. La raison primordiale tient dans leur savoir faire artistique… et économique ! Les investissements nécessaires pour toucher le grand public sont importants : « Le producteur doit aussi payer le clip, les EPK24, etc. Cela coûte très cher et ils n’ont pas souvent les moyens ! » explique David Barat. Sans compter les investissements marketing massifs nécessaires pour amener un artiste à un succès massif, investissements qu’une maison de disques sera sans doute plus encline à effectuer si elle produit l’artiste. Si l’on reprend le Top 10 albums en France de 2005 à 2007, on peut d’ailleurs remarquer que tous les artistes en début de carrière étaient produits par un tiers. Au-delà de l’aspect financier, l’artiste multi-casquettes est une espèce rare. « L'artiste veut avant tout s'occuper de sa musique » considère Rodolphe Dardalhon, manager et co-fondateur du label Roy Music. « L'administratif, c'est quasiment un plein temps si tu as les éditions avec ! En dehors des Radiohead and co, je constate que les artistes s'autoproduisent toujours par défaut. »

24

Voir glossaire.

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L’artiste producteur en France 2008 – Aymeric Pichevin


Etre artiste producteur requiert des compétences multiples, un investissement en temps considérable, et une gymnastique difficile entre des occupations d’ordre commercial et la disponibilité d’esprit nécessaire à la création. S’il parvient à triompher de tous ces obstacles, l’artiste risque encore apparemment de se trouver confronté au regard de ses pairs… « Tous les musiciens rêvent d’avoir un producteur ! » renchérit Mano Solo. « L’autoproduction est vue comme un échec : tu n’es pas crédible ! » *** On le voit, les raisons qui peuvent pousser un artiste à s’autoproduire sont très variables et souvent multiples. Le tableau suivant résume les motivations des associés de l’Adami ayant réalisé un enregistrement autoproduit au cours des trois dernières années. On constate que l’indépendance et le contrôle sur sa production figurent dans le tiercé de tête des raisons invoquées, avec l’impossibilité de trouver une maison de disques. Le désir de gagner plus d’argent, s’il reste cité par 64% des personnes sondées, arrive loin derrière.

Critères de décision pour les artistes de la musique associés de l’Adami ayant réalisé une autoproduction au cours des trois dernières années25 Meilleur contrôle sur sa production musicale

86%

Impossibilité de trouver une maison de disques

74,4%

Etre indépendant

72,9%

Autoproduction est la règle dans mon univers musical

66%

Désir de gagner plus d’argent

64%

Bénéficier d’une plus grande liberté dans la promotion / marketing

51,4%

Source : M.A.N Media, à partir de l’enquête CNAM – Telecom Paris Tech, résultats préliminaires

25

Pourcentage des artistes ayant répondu « important » ou « assez important » pour chaque réponse.

L’artiste producteur en France 2008 – Aymeric Pichevin

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*** En terme quantitatif, l’autoproduction au sens large représente probablement une immense majorité des phonogrammes commercialisés en France, les contrats d’artistes étant relativement limités. L’autoproduction est appelée à continuer à se développer, en témoignent les projets foisonnants des associés de l’Adami pour les deux années à venir. Un certain nombre de professionnels anticipent en effet une accélération du phénomène d’autoproduction, qui sera selon eux poussée par des choix de plus en plus assumés par les artistes. « Je pense qu’on arrive à un recul du nombre de signatures dans les contrats d’artistes » note Jérôme Roger. « Les artistes sont de mieux en mieux conseillés. » Pour Annie Benoid, la force des artistes vient de leur entourage, toujours plus professionnel : « Il n’y a pas forcément d’intérêt à céder ses droits à un producteur, alors qu’aujourd’hui, se produire nécessite un investissement réduit et d’être bien entouré » résume-t-elle. C’est donc des partenaires de l’artiste producteur que dépend le succès de son projet. C’est l’objet de notre seconde partie.

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L’artiste producteur en France 2008 – Aymeric Pichevin


FELOCHE, l’autoproduction en contrat d’artiste CD 5 titres autoproduit, enregistré dans le home studio de l’artiste. Sélection aux Découvertes du Printemps de Bourges, programmé à Fnac Indétendances. Signature en 2008 en contrat d’artiste avec un label indépendant, avec rachat du 5 titres. Genre musical - « électro-cajun » Structure juridique - « Pas de structure ! on passe par une asso de copains » Genre - Seule la photographe a été rémunérée pour la pochette. 750 € pour les 500 premiers disques chez MPO, dont 100 étaient destinés à la vente. Deuxième tirage de 500, essentiellement destinés aux professionnels. Pourquoi l’autoproduction ? « Parce que je n’avais pas de proposition de maison de disques ! Mais tu ne peux pas faire un disque seul, sinon tu ne le finis jamais : il faut t’entourer ! » Pourquoi ne pas rester en autoproduction ? « Pour aller vite : je n’ai pas 20 ans, et cela ne fait pas 10 ans que je tourne ! Si tu as ton public, tu peux y arriver seul, mais ce n’est pas mon cas, donc ce serait très long. Mais si j’avais commencé plus tôt, je pense que j’aurais monté un label. Je gagnerais sans doute plus par disque vendu, mais peut-être pas au total. De toutes manières l’argent n’est pas la motivation première ! » Et ensuite ? Premier album à sortir en 2009.

L’artiste producteur en France 2008 – Aymeric Pichevin

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2. Les partenaires des artistes producteurs L’étape de production n’est peut-être pas la plus compliquée pour l’artiste producteur. Il faut ensuite entrer dans le processus de commercialisation de l’œuvre, qui implique de nombreux métiers. Si ce n’est pas forcément de son ressort de s’en occuper, l’artiste producteur doit s’assurer que les différentes étapes de ce processus seront assumées au mieux de ses intérêts. Certains artistes prennent en charge l’ensemble des ces étapes, d’autres s’entourent de partenaires pour le faire. D’une manière générale, il est rare que l’artiste soit complètement seul, l’entraide et le système D étant presque toujours de mise. Les partenaires les plus visibles des artistes producteurs concernent les modes de distribution de leur phonogramme ; même si chaque contrat est unique, le type de contrat signé – contrat de licence ou contrat de distribution par exemple – donne une idée des implications de chacune des parties, c’est pourquoi nous avons cherché à en évaluer la teneur. Nous nous sommes ensuite intéressés aux autres professionnels entourant traditionnellement l’artiste, avant d’aborder les intermédiaires numériques qui se positionnent pour, peut-être, prendre une place prépondérante.

LES PARTENAIRES HISTORIQUES

Une distribution indispensable Même si ce critère pourrait devenir moins déterminant à l’avenir, l’autoproduction à but professionnel reste encore très liée au disque physique. Le disque assure encore l’essentiel des ventes de musique enregistrée en France et l’autoproduction n’est pas moins concernée. Certes, l’érosion très rapide des ventes de disques, associée à une croissance réelle des ventes numériques, pourrait changer cet état de fait dans les années à venir. Mais les artistes vivent dans le temps présent et cherchent donc à tirer parti au mieux des conditions du moment.

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L’artiste producteur en France 2008 – Aymeric Pichevin


Le pourcentage d’artistes membres de l’Adami réalisant une autoproduction purement numérique est ainsi très faible : Pourcentage d’associés de l’Adami26 ayant produit un enregistrement sans fabrication physique au cours des trois dernières années

4,4%

Source : M.A.N Media, à partir de l’enquête CNAM – Telecom Paris Tech, résultats préliminaires

Ce chiffre corrobore les échos que nous avons recueillis auprès d’artistes et de managers, qui sans exception nous ont confirmé que le CD était aujourd’hui indispensable pour mener à bien un projet d’autoproduction à vocation professionnelle.

« Sans distribution, pas de presse, et sans presse, pas de tournée ! » Au-delà de la fabrication du disque, une distribution professionnelle constitue le sésame pour passer les étapes du développement en autoproduction. « Tout le monde est encore un peu formaté à l'ancienne » admet Luc Natali, « Il ne se passe rien sans distribution : sans elle, pas de presse, et sans presse, pas de tournée ! » L’absence de distribution prive donc l’artiste d’une bonne partie de ce qui fait son métier, en particulier les concerts. Mais ce n’est pas son seul intérêt : en amont, il le prive de ressources potentielles pour financer sa création : « Sans distribution, vous n’avez pas de subvention, ni de prêt bancaire » explique Annie Benoid. Avoir une distribution physique est en effet une condition nécessaire pour obtenir des aides de l’Adami, de la SCPP, de la SPPF et du FCM. Seule la Sacem ne l’exige pas. « Il faut qu'il y ait un distributeur, sinon ce n'est pas la peine de produire ! » s’exclame Mathieu de Seauve, directeur crédit aux entreprises de l’IFCIC (Institut pour le Financement du Cinéma et des Industries Culturelles), qui a soutenu le financement de plusieurs projets musicaux en autoproduction. « La vente en direct plus un distributeur numérique ne sont pas encore suffisants, en tous cas, je n'ai pas d'exemples le démontrant. »

26

Cf. note 2 p. 7

L’artiste producteur en France 2008 – Aymeric Pichevin

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Tout est cependant une question d’échelle : pour beaucoup d’artistes autoproduits, les ventes se font essentiellement en concert. « Actuellement, les ventes en magasin sont ridicules » témoigne Jean-Jacques Birgé. « On a des exemples d’artistes chez GRRR qui font 90% de leurs ventes à la sortie des concerts. » D’un point de vue purement commercial, une distribution n’est peut-être pas systématiquement indispensable en dessous d’un certain potentiel de ventes, ce dont convient d’ailleurs Mathieu de Seauve : « C'est vrai qu'en dessous de 1 000 ou 500 exemplaires, une distribution ne sert peutêtre à rien: pour vendre 1 000 albums, vous devez être présent sur toute la France, donc en presser 2 ou 3 000, sur lesquels vous payez la SDRM, et vous allez prendre beaucoup de retours. » La distribution physique ne se justifie donc pas toujours d’un point de vue commercial. Elle est pourtant nécessaire pour être crédible aux yeux de la filière musicale et donc pouvoir travailler avec des partenaires. Point noir : une distribution digne de ce nom est toujours plus difficile à obtenir, avec la fermeture de plusieurs distributeurs indépendants ces dernières années. Les chiffres communiqués par la SDRM témoignent d’un net fléchissement du nombre d’œuvres autoproduites en distribution physique depuis le début de la crise du disque. Seul un gros quart des œuvres autoproduites traitées en « OPO » par la SDRM ont fait l’objet d’une distribution professionnelle en 2007. Rappelons que cette statistique ne concerne pas l’ensemble des œuvres autoproduites en France, et exclut notamment la grande majorité des artistes en contrat de licence.

Distribution des autoproductions déclarées en « opo » à la SDRM27

Phonogrammes faisant l’objet d’une distribution

2003

2007

37,7%

28,1%

Source : M.A.N Media à partir de données Sacem

Lors de la demande d’autorisation de pressage des œuvres, les artistes en autoproduction sont invités à déclarer si le phonogramme fera l’objet d’une distribution, entendue par la SDRM comme professionnelle, sans qu’il soit précisé si la distribution est nationale ou régionale.

27

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L’artiste producteur en France 2008 – Aymeric Pichevin


Les chiffres obtenus auprès de la population de l’Adami offrent une vision plus complète. En additionnant les artistes autoproduits en contrat de distribution, de licence et d’artiste, pour lesquels on peut considérer qu’il y a une distribution professionnelle, on aboutit à un taux de distribution de 49,5% pour des autoproductions effectuées « au cours des trois dernières années ».

Les associés de l’Adami28 s’étant autoproduits ces trois dernières années ont eu recours pour la distribution physique29 contrat d’artiste + contrat de licence + contrat de distribution

49,5%

Source : M.A.N Media, à partir de l’enquête CNAM – Telecom Paris Tech, résultats préliminaires

Environ la moitié des œuvres autoproduites par des musiciens professionnels feraient donc l’objet d’une distribution physique.

Des partenaires panachés Au-delà de la distribution se pose la question du partenaire qui la prend en charge et des autres services qu’il assure. L’artiste producteur peut signer un contrat de licence avec une maison de disques, et ainsi s’en tenir strictement à son rôle de producteur. Il peut au contraire assumer en sus la fabrication, la promotion et le marketing et signer un contrat de distribution simple. Paradoxalement, un nombre significatif d’artistes ayant répondu à cette enquête a déclaré avoir signé un contrat d’artiste, transmettant finalement la fonction de producteur qu’ils avaient initialement. Nous avons interviewé Féloche, qui se trouve dans ce cas, et dont l’histoire est décrite ailleurs dans cette étude. Si elles montrent une plus forte représentation du contrat de distribution, les statistiques ci-dessous montrent que la licence et le contrat d’artiste sont utilisés de manière significative par les artistes producteurs.

28 29

Cf. note 2 p.7 En considérant que les contrats d’artistes incluent systématiquement une distribution physique.

L’artiste producteur en France 2008 – Aymeric Pichevin

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Les associés de l’Adami30 s’étant autoproduits ces trois dernières années ont eu recours pour se distribuer : contrat d’artiste

8%31

contrat de licence

18,1%

contrat de distribution

23,5%

Se débrouillent seul

46%

Pas de disque physique

4,4%

Source : M.A.N Media, à partir de l’enquête CNAM – Telecom Paris Tech, résultats préliminaires

Ces chiffres nous permettent d’affiner l’estimation du phénomène d’autoproduction que nous avons effectuée en première partie de cette étude.

Estimation globale de l’autoproduction en France Nous l’avons vu, 28,1% des œuvres autoproduites recensées par la SDRM en 2007 ont fait l’objet d’une distribution professionnelle, soit 1 265 phonogrammes distribués. Ce chiffre n’inclut cependant pas les œuvres en licence, voire en contrat d’artistes. Pour avoir une idée plus globale du nombre d’œuvres autoproduites par an, on peut s’appuyer sur les proportions indiquées par l’enquête Adami. La population des associés de l’Adami n’est certes pas la même que celle des déposants à la SDRM ; on peut supposer qu’elle est globalement plus professionnelle. En effet, alors que la demande d’autorisation à la SDRM est obligatoire pour tout pressage légal de phonogrammes en France, l’adhésion à l’Adami n’est possible que sur certains critères montrant une démarche poussée (contrat de distribution pour un artiste autoproduit par exemple).

Cf. note 2 p.7 Rappelons que les résultats exposés ici n’ont pas encore été finalisés ; le chiffre de 8% pour les contrats d’artistes est probablement surestimé, certains artistes en contrat de production ayant coché cette case par erreur. 30 31

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L’artiste producteur en France 2008 – Aymeric Pichevin


Avec la marge d’erreur liée à cette différence de population, on peut utiliser les pratiques relevées chez les associés Adami et les croiser avec les données recueillies auprès de la SDRM. Ceci nous permet d’évaluer grossièrement le nombre total de disques autoproduits en France en 2007.

Nous avons appliqué les taux de pratiques contractuelles des associés de l’Adami au nombre d’autoproductions en distribution recensé par la SDRM.

Nombre d’œuvres sorties en autoproduction en France en 2007 par type d’exploitation ORDRES DE GRANDEURS Type d’exploitation

Nombre de phonogrammes concernés

Pourcentage

contrat d’artiste

43032

7%

contrat de licence

96933

15,8%

contrat de distribution

1 265

20,7%

se débrouillent seul

3 23534

52,9%

Pas de disque physique (mais approche professionnelle)

21535

3,5%

TOTAL

6 114

100%

Source : M.A.N Media

8/23.5*1265 = 430,64 18/23.5*1265 = 968,94 34 (100-28.1)%*4500 = 3235,5 35 4/23.5*1265 = 215,32 32 33

L’artiste producteur en France 2008 – Aymeric Pichevin

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Pour valider l’échelle de cette estimation, on peut la comparer avec le nombre de références sorties en France en 2007. L’institut GfK nous a plus précisément communiqué le nombre de références vendues à plus d’un exemplaire, dont la date de première vente était en 200736. Ce chiffre s’élève à 57 000, catalogue international inclus. Avec le seul catalogue de variétés locales, nous comprenons que l’on aboutit à un montant beaucoup plus faible. L’ordre de grandeur de 6 000 références autoproduites en France paraît donc compatible. Il l’est également avec le nombre de dépôts de phonogrammes à la BnF, qui était de 9 885 en 200737. Avec toutes les réserves que nous avons émises sur la marge d’erreur de ce calcul, on peut estimer le nombre de phonogrammes autoproduits - hors démarche amateur - à environ 6 000 par an en France, dont une grosse moitié ne bénéficie pas de distribution. Si les chiffres obtenus manquent de précision, ils nous semblent utiles pour donner une mesure du phénomène d’autoproduction en France. Ils n’ont toutefois pas la fiabilité suffisante pour nous servir de base à la suite de notre étude. Nous continuerons donc à nous apppuyer sur les statistiques plus solides que nous avons utilisées jusqu’ici.

Autoproduction, autopromotion, autodistribution On peut également vérifier que les artistes producteurs vont en général bien au-delà de la seule production dans leur projet. En reprenant l’enquête auprès des associés Adami et en se basant sur les partenaires de distribution annoncés, on constate que 69,5% des artistes producteurs prennent a priori en charge la fabrication de disques (contrat de distribution plus pas de distribution), et donc très probablement les frais SDRM associés. 73,5% assumeraient le travail de promotion et de marketing, en considérant que seuls les contrats de licence et d’artistes peuvent les décharger de ces tâches, ce qui correspond à la pratique générale, même si nous avons pu relever des contre-exemples. On mesure donc à quel point l’autoproduction constitue une démarche globale, impliquant le plus souvent des compétences et un financement lourds pour l’artiste.

36 37

Dans son panel de 1800 magasins. Rappelons que ces dépôts ne comprennent sans doute pas un nombre significatif d’autoproductions.

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Contrat de distribution, contrat de licence Le contrat de distribution est le plus utilisé par les artistes associés de l’Adami38 et probablement par l’ensemble des artistes ayant recours à une distribution professionnelle. Mais les distributeurs les plus établis ne signeraient plus que rarement des contrats de distribution avec des artistes seuls, privilégiant la signature de catalogues. Les artistes autoproduits qui trouvent malgré tout une distribution fonctionnent le plus souvent sous forme de dépôt-vente avec leur distributeur, notamment sur les marchés de niche. Ainsi Jean-Jacques Birgé, qui presse entre 1 000 et 2 000 exemplaires par disque, distribués nationalement par Orchestra, fonctionne-t-il sous ce mode contractuel, Orchestra réglant les artistes une fois par an. Quelques distributeurs se sont spécialisés sur la distribution d’artistes autoproduits. Nous avons interviewé les fondateurs de Musicast et de L’Autre Distribution, qui ont deux approches très différentes. Musicast, dont le catalogue est exclusivement tourné vers l’autoproduction, propose « des milliers de références, dont 1 000 à 1 500 sont actives » estime Julien Kertudo, son gérant. En fonction des projets, la société est capable de distribuer un disque sur une région comme sur l’ensemble du territoire national. « Si un artiste nous tient informé, nous pouvons mettre des disques dans les bacs au moment où il passe dans une région. Nous vendons aussi sur Fnac.com et Amazon ». Musicast fonctionne sous forme de dépôt-vente avec les artistes, ce que justifie Julien Kertudo : « Un distributeur peut prendre 1 000 disques à un label et les payer - moins les provisions pour retour. Moi je ne peux pas : je sais que je ne reverrai jamais l’artiste si ses disques ne se vendent pas ! » Musicast prend 30% des ventes et paye ses artistes tous les deux mois. Le distributeur prend 5 à 6 nouveaux disques en distribution par semaine. L’Autre Distribution, compte un catalogue de 1 200 références, dont 95% proviennent d’artistes autoproduits. Si la société ne signe pas de contrat de licence, son service inclut souvent des prestations normalement plus attendues en licence, à commencer par la fabrication des disques, qui est avancée par l’Autre Distribution.

38

Cf. note 2 p.7

L’artiste producteur en France 2008 – Aymeric Pichevin

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« C’est à l’avantage des artistes pour deux raisons », explique Annie Benoid. « D’une part, ils bénéficient de prix de pressage qu’ils ne pourraient pas avoir seuls, d’autant que je le leur refacture avec 10% de réduction. D’autre part, ils n’ont pas à avancer cet argent, qui est recoupé [sur les ventes]. Le but est qu’ils puissent consacrer plus de moyens à la promotion en s’offrant les services d’un attaché de presse par exemple. De mon côté, l’avantage, c’est que je maîtrise les stocks. Mais ce sont toujours leurs disques : c’est un contrat de distribution ! » C’est d’ailleurs l’artiste autoproduit qui paye la SDRM. L’Autre Distribution s’investit dans le travail commercial (PLV, stickage, etc.), voire même dans le travail de promotion. La société est très impliquée dans le projet de l’artiste : « C’est nous qui faisons l’ordre des pistes sur le CD, on peut demander de raccourcir certaines intros, on a notre mot à dire sur la pochette, sur les dates de concerts, etc. Nous sommes envahissants ! » s’amuse Annie Benoid. Cette implication a un prix, puisque le distributeur conserve 45% des ventes, un taux supérieur aux 40% généralement évoqués dans la distribution traditionnelle. À la sortie du deuxième album, L’Autre Distribution ne retient plus que 40% sur les ventes du premier. Cette implication signifie également que le distributeur travaille simultanément sur un nombre de disques limités, de l’ordre de 7 à 8 par mois en moyenne. Selon Annie Benoid, la plupart des artistes n’ont jamais été signés, mais certains viennent de maisons de disques (Mano Solo, Pigalle, etc.) Même si L’Autre Distribution propose clairement des contrats de distribution, son implication multiple représente une voie hybride pour les artistes autoproduits en leur donnant plus de moyens pour mener à bien le travail. Cette approche n’est pas isolée : le groupe de hip-hop Nouvel R décrit lui aussi un arrangement complexe avec un label distribué par Discograph. « Le disque était déjà prêt donc on a trouvé un label avec qui on a un mélange contrat de licence/ contrat de distribution. Ils nous ont avancé le pressage et les droits SDRM, les achats d’encarts de pub, et ont investi 4 000 €. » Ces accords sont précieux pour l’artiste, pour qui le contrat de distribution traditionnelle risque d’être lourd à porter. Comme le rappelle Rodolphe Dardalhon : « La distribution est évidement plus intéressante financièrement, mais encore faut-il en avoir les moyens ! Un artiste autoproduit ne les a pas. »

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La distribution laisse en effet à l’artiste autoproduit la charge du marketing et de la promotion, extrêmement preneurs en temps et en argent. Pour atteindre le grand public, le contrat de licence avec une maison de disques possédant le savoir-faire et la surface financière suffisante semble presque incontournable. « Il n’y a quasiment plus de bons contrats de licence. » Tout dépend de ce que le label est prêt à investir dans le cadre d’un contrat de licence. Or, les conditions moyennes ont nécessairement tendance à se durcir en temps de crise. « Wagram va moins investir sur mon album en licence que ce que j’ai mis sur le précédent, alors que j’avais tout payé moi-même ! » s’exclame Mano Solo. « Mieux vaut une distribution qu'une mauvaise licence », recommande Luc Natali. « Or, sauf quand il y a surenchère sur l'artiste, il n'y a quasiment plus de bons contrats de licence en ce moment : 20% de royalties, pas d'avance, pas de garantie marketing, pas de tour support, etc. » Selon Thomas Bonardi, un taux acceptable de licence se situe entre 24 à 28% en moyenne, même si les abattements consentis peuvent modifier considérablement les conditions réelles. Même si les conditions se sont durcies, la licence reste toutefois très utilisée : environ 18% des artistes de l’Adami en autoproduction y ont eu recours.

Contrat d’artiste Nous l’avons dit, un certain nombre d’artistes producteur ont finalement signé un contrat avec un producteur, lui transférant ainsi la propriété de leur master. La pratique est toutà-fait acceptable d’un point de vue éthique lorsque la maison de disques achète le master de l’artiste. C’est ce qui est arrivé à Féloche, artiste dont le parcours est décrit ailleurs dans cette étude, qui a signé un contrat d’artiste avec un label indépendant reconnu, en lui vendant sa bande 5 titres. « Ils aiment les défauts de ma musique et veulent que j’enregistre l’album chez moi », explique Féloche. « Mais ils ne voulaient pas de licence. Ils m’ont dit : si tu veux une licence, tu peux aller chez une major ! »

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David Godevais témoigne de pratiques plus douteuses, au moins en Angleterre, dans le domaine de l’électro ou des musiques du monde : « Une grande partie de l’autoproduction est récupérée par les labels, qui font signer un contrat d’artiste ou obligent à céder l’exploitation de la bande sur des périodes pouvant aller jusqu’à douze ans, avec des conditions très éloignées d’un contrat de licence : en electro, on va laisser 6 à 7% à l’artiste, même si c’est lui qui a payé l’enregistrement ! »

Coproduction Notons enfin que la coproduction semble avoir une place significative dans le monde de l’autoproduction. Les seules statistiques générales dont nous disposons sur ce sujet proviennent des projets en autoproduction aidés par l’Adami en 2007 :

Projets d’autoproduction aidés par l’Adami (sur 24 dossiers étudiés) taux de coproduction

41,7%

Source : M.A.N Media à partir de données fournies par l’Adami

Il est toutefois impossible d’en tirer des statistiques plus globales, l’Adami ayant pu privilégier les projets en coproduction en raison de leur plus grande solidité. Les motivations et types d’accord derrière une coproduction sont extrêmement variables. Ils peuvent être financiers, mais ils peuvent également être justifiés par un partenariat. Dans le cas de dossiers de l’Adami que nous avons pu examiner, le coproducteur était fréquemment un éditeur, ce qui atteste a priori d’un véritable partenariat avec l’artiste-producteur. La coproduction comme forme de rémunération d’un service est également courante. Ainsi, environ 11% des associés de l’Adami en autoproduction ont signé un contrat de coproduction avec un studio d’enregistrement. Dans d’autres cas, ce sont les musiciens qui sont coproducteurs, pour compenser une rémunération faible pour leurs services.

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Autoproductions réalisées dans les trois dernières années par des associés de l’Adami39 taux de coproduction avec un studio

11,2%

Source : M.A.N Media, à partir de l’enquête CNAM – Telecom Paris Tech, résultats préliminaires

Si ces pratiques de coproduction semblent légitimes, elles peuvent elles aussi cacher certaines dérives. « Il y a souvent des dossiers compliqués dans le classique, avec des producteurs qui laissent tout faire à des ensembles – qui sont donc de fait producteurs - et se mettent coproducteurs », souligne un responsable de l’action artistique de l’Adami.

Les disquaires partenaires Chez les disquaires eux-mêmes, la situation des artistes autoproduits pâtit forcément du durcissement du marché. « Il n’y a plus de vendeur motivé en magasin, les STARTER40 ferment un par un », déplore Julien Kertudo. « Un magasin comme Rennes Musique41 nous vendait 20 vinyles sur un tirage de 200 ! En plus, on doit être très prudents : lorsqu’un disquaire ferme, je dois payer à l’artiste pour ses disques en dépôt ! » Les places se font donc rares, même si les disquaires aidés par le Calif continuent à prendre de l’autoproduction, eux aussi en dépôt vente. La Fnac, qui a un temps fait de l’autoproduction un fer de lance de sa communication, continue d’accueillir des disques d’artistes autoproduits dans ses bacs. Hors numérique, elle annonce ainsi avoir vendu 2 882 références d’artistes autoproduits en 2007, la plupart n’ayant pas de distributeur. Ce chiffre est en augmentation, puisque la Fnac avait distribué 2 600 références autoproduites en 2006.

Cf. note 2 p.7 Réseau de disquaires indépendants. 41 Fermé en 2008. 39 40

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Guy Messina détaille le fonctionnement de la Fnac : « Les disques en autoproduction que nous proposons sont dans 90% des cas en vente magasin par magasin : c’est du dépôtvente en région. Certains remontent du disquaire local jusqu’à notre système centralisé - c’est arrivé par exemple avec les Freebeez. Mais d’un autre côté, beaucoup d’artistes nous déposent les disques et ne reviennent jamais ! » Selon Guy Messina, la Fnac ne gagne pas d’argent sur l’autoproduction, d’autant que et cela nous a été confirmé – qu’elle baisse ses marges sur ces produits. « C’est plus un service, pour l’image », explique-t-il. Prendre une autoproduction est laissé à la libre appréciation des vendeurs, pour qui cela constitue une surcharge de travail. La Fnac reconnaît que le nombre de vendeurs acceptant les autoproductions décroît. La chaîne entend désormais pousser les artistes autoproduits à se faire distribuer par Musicast plutôt que de passer en direct, ce qui allègera le travail de ses disquaires tout en permettant à un artiste autoproduit d’être mieux référencé dans ses magasins.

Ventes de disques autoproduits dans les magasins physiques Fnac en 2007

nombre de références vendues nombre d’exemplaires vendus au total

Hors Musicast

Distibués par Musicast

Total Autoprod.

Ventes ensemble catalogue Fnac

Rapport Autoprod. / catalogue global

2 882

860

3 742

208 000

1,8%

21 000

23 000

44 000

20,4 millions

0,2%

Source : M.A.N Media à partir de données Fnac

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Ces chiffres ne concernent qu’une partie de l’autoproduction, faite par des artistes se distribuant seuls ou via Musicast. La Fnac vend également de nombreuses autres références d’artistes-producteurs qui passent par l’ensemble des distributeurs du secteur, pour lesquelles elle ne dispose pas de chiffres. Les artistes producteurs concernés par le tableau ci-dessus sont donc ceux qui, sauf exception, génèrent de faibles montants de vente. On constate qu’ils représentent 1,8% des références Fnac, pour seulement 0,2% de son chiffre d’affaires. Si la Fnac se désengage de la distribution en direct d’artistes autoproduits, elle prolonge son action autour de l’autoproduction via les CD Fnac Indétendances, compilations de titres issus de labels indépendants publiés tous les deux mois. Un titre autoproduit est intégré dans chaque volume, désormais sélectionné par le Music Manager Forum en France. « C'est un gage de garantie pour la Fnac », déclare R. Dardalhon. « C'est mieux d'avoir au moins un manager pour pouvoir bosser efficacement avec elle. » Certains des artistes autoproduits présents sur Fnac Indétendances sont ensuite sélectionnés pour les découvertes du printemps de Bourges, ou programmés au festival Fnac Indétendances qui se déroule l’été à Paris. La Fnac peut ainsi s’enorgueillir d’avoir poussé des artistes comme Tété en début de carrière, ou récemment Féloche et Philomène, tous les deux sur le point de signer un contrat en maison de disque au moment où nous réalisions cette enquête. *** Au-delà des partenaires purement issus de la filière discographique, les artistes producteurs s’appuient fréquemment sur des professionnels extérieurs, à commencer par le fidèle partenaire de l’auteur-compositeur : l’éditeur.

L’artiste producteur en France 2008 – Aymeric Pichevin

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L’éditeur musical L’éditeur est un partenaire privilégié de l’artiste producteur lorsque celui-ci écrit et/ou compose les œuvres qu’il interprète. L’éditeur a un rôle financier – nous avons vu qu’il était souvent impliqué dans des coproductions – mais aussi un rôle de conseil. Ainsi, Bruno Lion, directeur de Peer Music France, qui travaille avec l’artiste en autoproduction Mr Lab, détaille-t-il le rôle de Peer Music : « On l’a signé à la sortie du festival Les Autoproduits de la Sacem, il avait vendu 7 000 exemplaires de son premier album via Codaex. Nous lui avons trouvé un vrai réalisateur artistique (Pedro de Tahiti 80). Les autres moyens de production, il les avait. Nous lui avons donné une avance, bien sûr, mais elle est confidentielle.» Pour Kassav, continue Lion, le rôle de Peer Music était différent : « Ils en sont à leur quinzième album, le troisième en autoproduction. Ils sont très bien organisés. Nous leur donnons des moyens financiers et réalisons des tâches administratives pour eux. »

« Plus de marketing, moins de préparation » Travailler avec des artistes autoproduits modifie la nature des investissements de Peer Music, explique Bruno Lion : « On va là où les partenaires n’investissent pas. [En l’absence de maison de disques,] nous allons peut-être dépenser plus sur du marketing que sur la préparation du projet (formation, résidence, etc.) » Le fait que les éditeurs puissent moins investir dans la préparation du projet implique presque mécaniquement que les éditeurs travaillent plus avec des artistes confirmés, reconnaît-il. Avec la perte de puissance du disque, la place de l’éditeur est en train d’évoluer dans la filière musicale. Le rôle de l’éditeur comme partenaire de l’artiste autoproduit est donc probablement appelé à se renforcer. « Potentiellement, on sera peut-être plus souvent amenés à recommander l’autoproduction à nos artistes », anticipe Bruno Lion. Environ 15% des associés de l’Adami ayant eu un projet d’autoproduction dans les trois dernières années travaillent ainsi avec un éditeur tiers.

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Mais de même qu’ils s’autoproduisent, de nombreux artistes s’autoéditent. C’est le cas de Nouvel R, qui cherche ainsi à maximiser le retour financier, selon son manager Vivien Gouery. Le choix est à double tranchant, l’autoproducteur se privant d’un partenaire clé qui pourrait lui permettre de développer son activité. Il illustre une tendance de certains artistes à vouloir contrôler l’ensemble de leurs droits dans un environnement instable.

Gestion des éditions des disques autoproduits par des associés de l’Adami42 au cours des trois dernières années Éditeur tiers

15,2%

Société d’édition de l’artiste autoproduit

15,5%

Pas d’éditeur

52,3%

Décision non encore tranchée

17%

Source : M.A.N Media, à partir de l’enquête CNAM – Telecom Paris Tech, résultats préliminaires

On peut en revanche s’étonner que plus de la moitié des artistes producteurs n’ait pas d’éditeur, ce qui semble paradoxal à l’heure où les droits éditoriaux prennent une importance cruciale dans la nouvelle économie de la musique. Cela montre sans doute à quel point l’autoproduction reste pour une bonne partie des créateurs une initiative hors des circuits traditionnels de la musique. On l’a vu, l’éditeur pourrait être amené à accompagner plus d’artistes dans une démarche d’autoproduction, tant les contrats se raréfient en maison de disques. Un autre partenaire traditionnel de l’artiste se retrouve bon gré mal gré impliqué dans cette démarche : le manager.

42

Cf. note 2 p.7

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Le manager L’enquête nous l’a montré : les managers, lorsqu’il y en a, se trouvent souvent de fait à gérer l’autoproduction de leur poulain. Certaines sociétés de management se sont structurées pour pouvoir gérer la production de leurs artistes, comme V.M.A., qui s’occupe, entre autres, de l’autoproduction d’artistes renommés comme Renaud. Bellevue est également très impliqué dans l’autoproduction de ses artistes : « On leur mâche le boulot », expliquent David Barat et Thomas Bonardi. « On leur présente divers scénarios, ils choisissent. On leur amène des partenaires, on supervise la création de la société, le fiscal, etc. On peut être gérant, ou l’artiste l’est, mais c’est compliqué pour lui d’avoir en plus le statut d’intermittent. Nous nous rémunérons sur les revenus des sociétés. » Luc Natali agit de la même manière, avec une limite ferme : « Je refuse d'avoir la signature [de la structure de production de ses artistes] : c’est trop dangereux pour eux que quelqu’un qui connaît toutes les ficelles du métier puisse signer ! Je ne fais pas les démarches, mais je les conseille, je passe les coups de fils. Je fais aussi les comptes, le budget prévisionnel, l’aide à la recherche de subventions ou de partenariats, je leur trouve un attaché de presse, etc. » Un artiste producteur représente finalement beaucoup de travail pour le manager ! « C'est sûr que c’est beaucoup plus de boulot pour moi » concède Luc Natali, « mais c’est aussi plus de rentrées d’argent puisque je touche un pourcentage sur tous ses revenus ! »

Des services spécialisés Notons enfin que des services spécialisés dans l’aide aux artistes se sont créés pour les aider dans leurs démarches. Ainsi, la société Supercalifragilistic, qui se définit comme un service d’assistance aux artistes, gère-t-elle l'administration des labels d’Etienne de Crécy (Pixadelic) et d’Alex Gopher (go4music). La démarche récente de PIAS est sans doute plus symbolique des évolutions en cours. La maison de disques a récemment lancé un nouveau service, baptisé Integral, destiné à répondre aux besoins des managers, des artistes et des micro-labels. Integral propose du conseil en promotion et en marketing, voire même des avances, mais sans signer de licence43. 43

Source : Musique Info Hebdo n°500, p. 7.

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Une autoproduction trop abondante ? Nous l’avons dit, l’autoproduction est bien souvent le fait d’artistes qui ne trouvent pas de producteur prêt à miser sur eux – pour quelque raison que ce soit. Nous venons de voir une liste non exhaustive de partenaires qui peuvent aider l’artiste à inscrire son autoproduction dans un vrai projet de carrière, mais beaucoup d’artistes restent très isolés dans leur démarche. On peut alors se demander dans quelle mesure le marché est prêt à accueillir autant d’artistes. En termes provocateurs, l’autoproduction nourrit-elle la créativité musicale ou la parasite-t-elle ? Avec l’élimination du producteur de la chaîne de production, c’est un oeil externe sur le travail d’un artiste qui disparaît, donc une forme de conseil et de régulation. Yves Riesel, président du distributeur Abeille Musique et de LyraMediaGroup, n’y va pas par quatre chemins : « L’autoproduction empêche les filtres que sont les professionnels d’exister. Cela veut-il dire qu’on laisse passer la nullité ? » Dans la distribution, les places se font rares, avec une réduction globale des linéaires et un nombre de distributeurs réduits. On a vu comment la Fnac est en train d’adapter sa politique vis-à-vis de l’autoproduction, notamment en s’appuyant sur Musicast et sur l’organisation de managers MMF. Guy Messina le justifie : « La hausse de l’autoproduction commence à devenir problématique pour nous : il faut sélectionner. Donc on est en train de reconstruire quelque chose de plus professionnel. » « La Fnac a récupéré des paquets de disques dont ils ne savaient pas quoi faire car il n’y avait pas de boulot de fait derrière » renchérit David Godevais. « La plupart sont cohérents en vente en sortie de concert, mais pas dans les circuits de distribution. »

« L’autoproduction pénalise la diversité » Pour Mano Solo, le constat va au-delà : l’autoproduction n’embouteille pas le marché, il l’empêche de se renouveler. « Si une major cartonne sur un disque » raisonne-t-il, « elle peut investir sur un Mano Solo. J’ai signé chez Carrère pour 2 millions de Francs, grâce au pognon [généré par] Adamo ! Mais si tout le monde s’autoproduit, personne ne produit son voisin, on va être des millions à faire la manche ! »

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Les filtres traditionnels du secteur musical sont en train d’évoluer. Certains artistes producteurs sont extrêmement bien entourés par des professionnels de la musique. Mais beaucoup sont « livrés à eux-mêmes » et l’arrivée du numérique ne fait que renforcer ce phénomène.

LES PARTENAIRES NUMÉRIQUES L’irruption de l’Internet commercial a eu les conséquences que l’on sait sur les ventes de disques. Internet et la téléphonie mobile sont en train de modifier profondément la manière dont fonctionne cette industrie. Les débuts ont laissé imaginer une ère de services qui permettraient à l’artiste de travailler en dehors des circuits traditionnels. En particulier, l’artiste pourrait être en contact direct avec ses fans pour promouvoir et vendre sa musique. De fait, de très nombreux services ont vu le jour, certains connaissant un très grand succès, comme l’inévitable MySpace. Largement adopté par les musiciens, Internet s’avère un formidable outil de communication. Pourtant, il ne semble pas avoir encore bouleversé les habitudes fondamentales des artistes autoproduits.

Promotion en ligne On a beaucoup écrit sur les innombrables options offertes par Internet pour magnifier le lien entre l’artiste et son public. La totalité des artistes que nous avons interviewés utilisent certains de ces services numériques pour leur promotion, particulièrement MySpace. Internet est désormais rentré dans les mœurs des artistes et des maisons de disques comme mode de communication avec le public.

Opérations fanbase La relation avec les fans s’en trouve renforcée et nous n’en sommes probablement qu’au début d’un phénomène appelé à prendre de l’ampleur. C’est ce qu’ont bien compris des artistes comme Radiohead ou Barbara Hendricks, qui ont tous deux mis en place des opérations de vente en téléchargement à un prix librement fixé par l’internaute.

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Au-delà de l’impact médiatique et des ventes générées, le profit de telles opérations est sans doute avant tout marketing. L’opération sur l’album baroque de Barbara Hendricks, menée en partenariat avec le distributeur numérique Believe en 2007, aurait permis de récupérer quelques 20 000 adresses de fans. Les résultats de l’opération menée par Radiohead quelques semaines auparavant sont tenus confidentiels, mais on sait que le groupe a pu se constituer une base de données de fans colossale, à la valeur inestimable à l’heure du numérique. Cette relation au fan, tout artiste autoproduit peut l’entretenir et l’exploiter à son échelle. Mais attention toutefois aux belles histoires que raconte l’Internet : si son pouvoir est réel et a permis à certains artistes d’émerger, il a toutefois ses limites, auxquelles s’est heurté Mano Solo.

« L’implication supposée des internautes n’a pas marché » En 2007, l’artiste, qui vient de quitter Warner, décide d’autoproduire son nouvel album « In the Garden ». En complément du budget de production de 130 000 €, financé par emprunt bancaire, l’artiste lance une souscription sur Internet pour couvrir les frais de promotion. « J’ai eu 1 800 souscriptions, à 17 € en moyenne » explique Mano Solo. « Ca nous a permis de payer les affichettes sur les portes du métro pendant une semaine. Mais l’implication supposée des internautes [dans la promotion de l’album] n’a pas marché. Il faut que cela vienne des canaux habituels, car le public ne va pas à l’info ! » La participation du fan n’est pas simple à déclencher, même quand on dispose déjà d’un public fidèle. Au-delà de la promotion, la transformation de la notoriété en revenus pour l’artiste est encore plus difficile à réaliser. Car même lorsque le buzz prend, que l‘information sur un album circule comme par magie via les internautes, les ventes suivent difficilement. Les quelques exemples archi-connus d’artistes ayant percé par le net et vendu beaucoup de disques cachaient presque toujours un travail acharné d’une maison de disques avec des méthodes tout à fait traditionnelles. Nous avons entendu parler de plusieurs artistes qui, sur la base d’une audience fidèle sur MySpace, ont décidé de fabriquer leurs disques et n’en ont vendu quasiment aucun, bien qu’ils se soient produits en concert. « Le numérique, ça marche comme carte de visite, comme canal de promo, mais comme canal de distribution, non, pas aujourd’hui du moins ! » résume ainsi Jérôme Roger, directeur général de la SPPF.

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Des ventes numériques négligeables En termes pécuniaires, le numérique est encore loin d’être une réalité concrète pour une grande majorité d’artistes. Rappelons que le marché du numérique ne représentait que 7% du chiffre d’affaires des éditeurs phonographiques en France en 2007. Même s’il est appelé à croître, le phénomène ne touche pas tous les artistes de la même manière.

« Moi, je ne prépare pas l'avenir, je fais des comptes d'exploitation tous les mois ! » Le consensus est net parmi les personnes que nous avons interrogées : sauf exception, Internet et la téléphonie mobile ne rapportent pas d’argent aux artistes autoproduits. « Karpatt, c'est 17 000 à 18 000 albums vendus depuis 2006, pour 300 ventes numériques ! » illustre Luc Natali, leur manager. « Et pourtant, il y avait eu une opération spéciale en ligne via un distributeur numérique! Moi, je ne prépare pas l'avenir, je fais des comptes d'exploitation tous les mois, donc le numérique ne m’intéresse pas ! » Selon Guy Messina, le téléchargement sur FnacMusic44 se fait avant tout sur des titres connus. « 60% des ventes, c’est du top ! On peut avoir des coups de cœur et mettre en avant des autoproductions, mais cela génère très peu de ventes. » Les contre exemples existent : selon Denis Ladegaillerie, Barbara Hendricks a vendu 5 000 ou 6 000 albums de son album baroque en digital, à 7 €65 en moyenne. Fabrice Absil indique quant à lui que le Trio Joubran, qu’il édite, vend 40 à 50% de ses albums sous forme numérique45. On peut remarquer que ces deux exemples portent sur des artistes au profil international. On touche ici à la grande force du numérique : il permet une exposition mondiale beaucoup plus facile. L’industrie de la musique étant de plus en plus dépendante de ventes à l’export, cet aspect du numérique offre des perspectives de développement intéressantes, mais encore floue pour beaucoup d’artistes autoproduits.

44 45

Plateforme de téléchargement de la Fnac. Déclaration faite lors des rencontres européennes des artistes de l’Adami à Cabourg le 28 novembre 2008.

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D’autres exemples de vente en ligne réussies par des artistes autoproduits concernent les ventes en exclusivité numérique. Ainsi, selon David Barat, « les ventes sur Internet ont bien fonctionné pour Soko, car son disque est uniquement disponible en numérique pour l’instant. Nous avons vendu entre 60 000 et 70 000 fichiers dans le monde à ce jour, pour un 5 titres (via Believe). Mais Peter Von Poehl ne vend rien par exemple. » Si son potentiel est réel, le numérique ne représente encore qu’un revenu marginal pour l’essentiel des artistes autoproduits. Les acteurs de la filière se préparent toutefois à une évolution rapide, comme l’explique Julien Kertudo : « Pour l’instant, c’est vrai que cela ne représente rien en termes de revenus pour nos artistes, mais cela commence à mûrir et le contexte change : il y a un vrai problème de place dans les bacs et de moins en moins de distributeurs indépendants ! » Le numérique permet en revanche à certaines sociétés qui agrègent les ventes de ces autoproductions de prendre leur essor et de proposer des services de plus en plus adaptés, constituant de nouveaux partenariats avec les artistes.

Les distributeurs numériques46 La distribution numérique a engendré l’apparition de nouveaux acteurs dédiés, d’abord appelés agrégateurs, aujourd’hui plutôt distributeurs numériques, voire labels numériques. En France, on peut évoquer Believe et Wild Palms Music, qui se sont construits autour de l’autoproduction, ou Idol, un distributeur qui travaille essentiellement avec des maisons de disques, mais qui a quelques artistes autoproduits à son catalogue. Chez Believe, 100% des artistes sont en autoproduction. Le contrat-type prévoit 60% des revenus pour l’artiste jusqu’à 25 000 € générés, 70% après. Les artistes plus reconnus comme MC Solaar touchent eux jusqu’à 80%. Selon Denis Ladegaillerie, la moyenne des royalties reversées est de 68%, versées de manière trimestrielle.

Nous parlons ici de distribution de musique dématérialisée, non de distribution sur Internet de supports physiques.

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« Le numérique permet de donner sa chance à un nombre beaucoup plus significatif de projets ! » En 2007, Believe annonce avoir signé entre 300 à 400 nouveaux contrats, dont « 15 à 20% sont des professionnels, 200 sont des semi-pros qui tentent leur chance sur 6 mois ou un an, et les autres ont une activité principale en dehors de la musique » explique Denis Ladegaillerie, président de Believe, avant d’ajouter : « Le numérique permet de donner sa chance à un nombre beaucoup plus significatif de projets ! » Les distributeurs physiques, qui ont pour la plupart démarré leur activité numérique avec retard, sont actuellement en train d’investir ce terrain au vu de la dégradation rapide du marché physique. Musicast est ainsi en train de développer son activité de distribution numérique, tandis que L’Autre Distribution la propose également, mais via les services de Believe. Les distributeurs numériques sont aujourd’hui les plaques-tournantes du commerce de musique en ligne et l’accès aux principales plateformes est quasiment impossible pour un artiste autoproduit sans passer par l’un d’eux. FnacMusic ne prend pas d’autoproduction numérique en direct, mais recommande de passer par un distributeur numérique. Bien que ces distributeurs soient, pour certains, moins sélectifs que les distributeurs physiques, la vente en ligne numérique ne semble pas encore être devenue une réalité pour de nombreux artistes autoproduits.

Mode de distribution numérique des autoproductions effectuées par les associés de l’Adami47 dans les trois dernières années Assurée par le même partenaire que la distribution physique

19,6%

Assurée par un autre partenaire

15,7%

Assurée par l’artiste

33,5%

Pas de distribution numérique

31,1%

Source : M.A.N Media, à partir de l’enquête CNAM – Telecom Paris Tech, résultats préliminaires

47

Cf. note 2 p.7

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On constate donc que seuls 35,3% des associés interviewés bénéficient d’une distribution numérique via une société tierce. Nous avons vu qu’ils étaient 49,5% pour la distribution physique. Cela montre comme le numérique reste à la traîne concernant l’autoproduction. Il est également intéressant de constater que lorsqu’il y a distribution numérique, elle est plus le fait de sociétés assurant également une distribution physique (19,6%) que de distributeurs purement numériques (15,7%), ce qui montre ici aussi une certaine inertie dans les modes de collaboration. Enfin, notons que 37,5% des œuvres autoproduites sont disponibles sur au moins une des grandes plateformes de vente de musique en téléchargement (iTunes, Virginmega, Fnacmusic, Orange music ou SFR music)48.

De nouveaux intermédiaires Malgré ses dix ans d’existence, l’Internet musical reste à construire ; on voit percer de nouvelles pratiques, pour lesquelles les artistes vont avoir besoin d’intermédiaires. Ainsi des distributeurs numériques comme Believe cherchent-ils à se positionner comme partenaire privilégié de l’artiste en élargissant la palette de leurs services, avec une promotion web élargie, et désormais un travail de promotion vers les médias traditionnels et un travail marketing. En 2008, Believe a sorti en exclusivité le dernier album de Patricia Kaas, qui à ce jour n’a pas fait l’objet de distribution physique. Au-delà de la promotion ou de la distribution, des services sont créés pour aider l’artiste à tous les niveaux. Le financement d’une production par les internautes, par exemple, fait parler de lui depuis quelques années dans le monde - depuis 2007 en France, avec des services type Mymajorcompany, Nomajormusik, Spidart. Ces services ont en commun de permettre aux internautes de miser de l’argent sur les artistes qu’ils aiment afin de leur permettre de produire un album. La communauté web se fait ainsi coproductrice de l’album, même si la réalité juridique de la coproduction reste à valider et est d’ailleurs très différente d’un service à l’autre.

48

Source : M.A.N Media, à partir de l’enquête CNAM – Telecom Paris Tech, résultats préliminaires.

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Internet apporte des possibilités de mutualisation des moyens de production, de diffusion ou de vente dont l’impact sur l’autoproduction devrait aller croissant, à mesure que le numérique prendra sa place dans la filière musicale. *** Le numérique, malgré tout son potentiel, n’a apparemment pas encore bouleversé la donne pour les artistes autoproduits cherchant à s’insérer dans la filière professionnelle. Pourtant, il met à disposition de l’artiste des moyens peu onéreux d’enregistrement ou de diffusion de musique et favorise de nouvelles formes d’interaction avec le public. À terme, il favorisera aussi la vente. Avec un marché numérique plus fort, on devrait voir de plus en plus d’artistes tenter le pari de l’autoproduction et de la vente en direct, mais le mythe de l’artiste gérant sa carrière sans intermédiaire reste improbable. En revanche, la nature et le rôle des intermédiaires pourraient évoluer. « On aura toujours des artistes star et des experts qui les aideront à accéder à ce statut, mais le marketing va être plus adapté à chacun » estime Denis Ladegaillerie. « Le numérique peut remettre en cause des manières de travailler, mais pas le travail de professionnalisation de la carrière artistique » résumé Hervé Rony. Le marché de l’autoproduction sera-t-il réellement plus accessible à l’arrivée ? Pascal Bittard, fondateur d’Idol, n’y croit pas : « L’autoproduction, c’est un miroir aux alouettes avec Internet : tout le monde croit qu’il peut vendre. Ce n’est pas parce que tu fais du pain chez toi que tu peux être boulanger ! Tout le monde n’a pas droit au marché : comme toujours, il y a peu d’élus. » Les théories sur ces questions s’affrontent, il nous semble inutile de rentrer dans ce débat ici. Quoi qu’il en soit, l’autoproduction à vocation amateur assumée comme telle devrait prendre une place plus importante à côté du monde professionnel, profitant des facilités de partage du web. Rappelons que ces artistes amateurs commencent à représenter un poids économique, sur lequel se fonde entre autres le service Jamendo, qui propose en écoute gratuite les albums autoproduits de 10 000 artistes, dont la majorité « font ça pour le fun ».

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MANO SOLO, l’autoproduction de A à Z Autoproduction en 2007 de l’album « In the Garden », en distribution chez L’Autre Distribution. Carrière antérieure : en contrat d’artiste chez Warner. Plusieurs disques d’or. Budget d’autoproduction - Production, fabrication : 130 000 €, empruntés à une banque, avec la maison de l’artiste en gage. - Promotion : 30 000 €, via une souscription auprès d’internautes. - Séances d’enregistrement des musiciens payées. 2 points de royalties pour chaque musicien, en compensation des répétitions non payées. Répartition recettes - Royalties Mano Solo : 15% (« comme chez Warner, mais sans les abattements ») - Royalties musiciens : 8% (2% pour chacun des quatre musiciens) - Royalties manager : 10% Rentabilité : « J’ai juste pu rembourser le prêt, avec 30 000 ventes » Pourquoi l’autoproduction ? « Je n’étais pas content de l’attitude de Warner et des autres vis-à-vis du numérique. J’ai voulu remettre l’artiste dans un contexte social, montrer que je fais vivre du monde ! » Enseignements tirés de l’expérience « J’ai pris une tarte, je pensais que le public me suivrait plus ; pendant deux ans, j’ai bossé gratos. L’autoproduction, c’est pour les aigris ou les révoltés, qui n’arrivent pas à en vivre. C’est comme quant tu publies un livre à compte d’auteur, les libraires n’en veulent pas. » Lu dans la presse : « Pour sauver sa boutique, Manu part en tournée « permanente » avec son groupe, celui avec lequel il a réalisé In the Garden »49 Et ensuite ? Actuellement en licence chez Wagram.

49

Le Soir, Belgique, 15/04/08.

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3. L’artiste entrepreneur L’autoproduction requiert un savoir-faire multiple, en termes de production artistique, de technique de sons, de stratégie marketing ou commerciale, etc. Elle demande également à l’artiste de se transformer en patron d’entreprise, de gérer une société, des budgets, des financements. Si tous ne le font pas en direct, ils en ont en revanche souvent la responsabilité. Nous nous attacherons ici à évaluer les choix le plus couramment effectués par les artistes-producteurs.

STRUCTURE JURIDIQUE : L’ASSOCIATION REINE L’activité d’autoproduction requiert avant tout une structure légale, dont la nature peut avoir des conséquences importantes sur le projet lui-même. La plupart des aides de la profession, notamment, sont attribuées à des personnalités morales, sociétés ou associations. Pourtant, si l’on se réfère à l’enquête menée auprès d’associés de l’Adami en autoproduction, on constate que près d’un tiers ont mené à bien un projet d’autoproduction sans aucune structure juridique. Ce chiffre peut paraître élevé, au vu de la population interrogée, qui est par définition à un stade relativement intégrée dans la sphère musicale professionnelle. Notons toutefois que l’absence de structure ne signifie pas forcément un renoncement aux aides : Jean-Jacques Birgé relate ainsi que le label GRRR n’existe pas en tant que structure officielle, mais qu’il a créé dès 1982 une association qui permet au collectif d’artistes de demander des aides.

Quelle structure juridique choisie par les artistes de la musique associés de l’Adami ayant réalisé une autoproduction dans les trois dernières années Association SARL,EURL SAS Pas de structure Autre

49,8% 14% 0,3% 31,3% 4,5%

Source : M.A.N Media, à partir de l’enquête CNAM – Telecom Paris Tech, résultats préliminaires

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Pour les autres, c’est sans surprise l’association, beaucoup plus simple à créer et à gérer, qui constitue l’essentiel des structures choisies, dans 49,8% des cas. « Je conseille l’association la plupart du temps » explique Luc Natali. « Monter une SARL pour 3 000 albums, c'est compliqué. Avec une asso, tu as un code APE, un numéro de Siret, la TVA, mais une gestion plus light et presque aucun risque de contrôle des impôts, très consommateur en temps ! » Luc Natali prône même une production par l’artiste, qui signe ensuite en licence avec sa propre association. Cela évite d’avoir à gérer la question délicate de l’actif au moment de la liquidation d’une association. Seules 14,3% des autoproductions ont été effectuées dans le cadre d’une société, signe d’un degré de développement, ou au moins d’une ambition, supérieure.

DES BUDGETS SERRÉS Il n’y a évidemment pas de budget type pour une autoproduction. Tout est fonction du matériel dont dispose déjà l’artiste ou son entourage, du genre de musique à enregistrer, d’un degré plus ou moins élevé de système D, d’un respect plus ou moins grand de la légalité et des ambitions liées au projet. Nous avons néanmoins pu obtenir des moyennes à partir de sources différentes. L’étude des pratiques des membres de l’Adami en autoproduction montre un budget total moyen de 17 400 Euros, ce qui semble peu élevé, si l’on considère qu’entre les deux tiers et les trois quarts des artistes concernés doivent assumer la fabrication, la promotion et le marketing de leurs œuvres, comme nous l’avons vu dans la deuxième partie.

Budget total des artistes de la musique associés de l’Adami ayant réalisé une autoproduction au cours des trois dernières années Budget global moyen

17 400 €

Source : M.A.N Media – Telecom Paris Tech, résultats préliminaires

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L’étude des dossiers aidés par l’Adami montre des investissements nettement plus élevés50, ce qui s’explique notamment par le fait que ces dossiers ont par définition reçu un apport financier supplémentaire via les aides. On peut également supposer que le degré de professionnalisation moyen des projets d’autoproduction soutenus par l’Adami est supérieur à celui de l’ensemble de ses associés.

Projets musicaux en autoproduction aidés par l’Adami en 2007 : budget moyen Budget global moyen tous genres confondus

34 228 €

Budget moyen classique et jazz

30 304 €

Budget moyen variétés

37 032 €

Source : M.A.N Media, à partir de l’enquête CNAM – Telecom Paris Tech, résultats préliminaires

Remarquons enfin que les budgets de production moyens sont moins élevés pour les projets de musique classique et jazz que pour les projets de variétés.

Ces moyennes cachent évidemment des réalités très disparates. Ainsi, Syrano enregistre-t-il en studio après une préparation minutieuse chez lui pour y passer le moins de temps possible. Selon son manager Luc Natali, il a dépensé 8 000 € pour son album, qui inclut pourtant de nombreux instruments « réels ». Certains enregistrements ne coûtent rien ou presque. Selon Denis Ladegaillerie, seul le mastering est une dépense incontournable : « Un mastering professionnel, c’est 50 à 100 € par titre, donc si tu connais des gens pour le reste - et tu en connais toujours ton budget c’est 1 000 € à 1 500 € ! » Tout dépend du résultat que l’on veut obtenir : Mano Solo a investi 160 000 € au total pour son album « In the Garden ». « Je ne vois pas pourquoi l’autoproduction nuirait à la qualité » explique-t-il. « Le son, c’est un vrai métier, il te faut un ingénieur du son. »

50

Notons que pour l’Adami, la production inclut les processus d’enregistrement et de post-production.

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De fait, même si le home studio a pris une place importante dans l’autoproduction, on constate que les studios professionnels ont été utilisés dans plus de la moitié des cas pour l’enregistrement et plus des deux tiers pour le mixage.

Lieu d’enregistrement

Lieu de mixage

Home Studio

40,7%

Home Studio

31,8%

Studio Professionnel

52,4%

Studio Professionnel

66,8%

Autre

6,9%

Autre

1,4%

Source : M.A.N Media, à partir de l’enquête CNAM – Telecom Paris Tech, résultats préliminaires

Des musiciens payés… d’une manière ou d’une autre Les musiciens ne sont pas toujours payés pour leur prestation d’enregistrement d’une autoproduction. « C’est sûr qu'à ce prix-là, il ne faut pas demander les fiches de salaire des musiciens ! » constate Luc Natali. « Parfois, on s’arrange en les payant rétroactivement » indique Syrano, qui dit céder des droits de composition Sacem à ses musiciens professionnels « pour leur montrer que leur implication n’est pas vaine ». Un artiste nous a confié : « Je considère que les musiciens doivent dans ce cas être coproducteurs, et non pas percevoir de minuscules cachets et de ridicules royalties sur des ventes dérisoires...» Cependant, le non-paiement n’est pas la règle, d’autant que les aides consenties par la profession sont bien souvent conditionnées par le respect de la rémunération légale des musiciens. « La plupart du temps je ne me paye pas » explique Jean-Jacques Birgé. « Par contre je paye les musiciens ». Mano Solo a lui aussi payé ses musiciens pour l’enregistrement de son album, tout en cédant 2 points de royautés à chacun de ses quatre musiciens, en compensation des heures passées à répéter sans être payés.

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Le système d’aides à l’enregistrement mis en place par la profession, que nous détaillons plus loin, est très incitatif pour le paiement des musiciens, puisqu’il pose comme préalable le respect du cadre légal. Notons d’ailleurs que 20,6% des artistes producteurs membres de l’Adami ont déclaré s’être payé un cachet d’enregistrement51… soit quasiment exactement le pourcentage de projets ayant reçu des aides (voir plus bas) !

« Dès qu’ils entendent le mot licence, ils se lâchent au niveau des tarifs ! » Les coûts de production peuvent également dépendre des partenaires de l’artiste. plusieurs producteurs nous ont signalé une hausse des prix du côté des prestataires de service, qui ont tendance à se montrer plus gourmands sur les projets en licence, du moins avec de grosses maisons de disques. « Du côté des studios ou des autres prestataires » raconte R. Dardalhon, « ils se lâchent au niveau des tarifs dès qu’ils entendent le mot licence ! » Notons enfin que, même en contrat de licence, le budget de l’artiste producteur ne se limite pas toujours à la production du seul master : « les maisons de disques veulent des images pour le web, des captations de concerts, des bonus dvd, etc. » explique R. Dardalhon. « Et vu que ce ne sont pas elles qui payent, elles en réclament toujours plus ! » Sans parler du clip, souvent à la charge du producteur. Pour Thomas Bonardi, « Tout cela coûte très cher et ils [les artistes producteurs] n’ont pas souvent les moyens. »

Défaillance marketing Un budget d’autoproduction en contrat de distribution doit prévoir des dépenses supplémentaires, à commencer par la fabrication des supports physiques et le paiement de la SDRM, que l’on estime globalement à un Euro par CD chacun. Par ailleurs, l’artiste producteur doit payer les frais de promotion et de marketing, très lourds dans les budgets des maisons de disques. Nous avons analysé les dossiers d’autoproduction aidés par l’Adami en 2007 pour lesquels nous disposions du budget promotion / marketing (cette information n’est pas exigée par l’Adami).

51

Source : M.A.N Media, à partir de l’enquête CNAM – Telecom Paris Tech, résultats préliminaires

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Budget de productions des artistes autoproduits sous contrat de distribution aidés par l’Adami en 2007 Classique et jazz

Variétés

Total

Part du budget total consacré à la production

70,3%

67,5%

69%

Part du budget total consacré à la promotion/marketing

10,5%

17,5%

13,5%

Source : M.A.N Media à partir de données Adami

Avec plus des deux tiers de l’investissement consacré à la production, on constate une structure budgétaire déséquilibrée par rapport aux habitudes des maisons de disques dont nous avons pu avoir connaissance. Les dépenses en promotion et marketing en sont mécaniquement affectées, plus particulièrement encore pour les projets de musique classique et jazz. Dans la plupart des cas, les budgets promo s’élèvent à quelques milliers d’euros maximum. Ce type d’enveloppe permet de réaliser un certain travail mais est le signe que la plupart des artistes autoproduits restent dans le système D, loin des clips ou attachés de presse professionnels. Ces statistiques ne sont issues que d’un nombre limité de dossiers, mais ils illustrent les difficultés rencontrées par beaucoup d’artistes producteurs. Ainsi, Nouvel R a-t-il consacré 6 000 € de son budget de 20 000 € à la promotion de son premier album autoproduit. Un montant manifestement insuffisant, puisque le manager Vivien Gouery nous a déclaré : « Pour le deuxième, on espère que ce sera 5 fois plus ! »

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FINANCEMENT Nous avons vu que les artistes ont souvent recours à l’entraide ou à des systèmes de points sur les ventes pour « financer » un certain nombre de services, tels que la location de studio ou les séances d’enregistrement par des musiciens. Ces arrangements concernent presque 22% des associés de l’Adami en autoproduction. Ils ne permettent pas de financer l’ensemble d’un budget d’autoproduction, et les artistes doivent trouver des fonds pour mener à bien leur projet. Le tableau ci-dessous montre que les artistes ont très souvent recours à des fonds propres (87% des associés Adami ayant répondu à l’enquête), complétés le plus souvent par des aides (20,5%) ou des souscriptions (14,2%).

Sources de financement des projets d’autoproduction par les associés de l’Adami52 (plusieurs sources possibles pour chaque projet) Fonds propres

87%53

Avances sur recettes dans le cas d'une licence

7,7%

Souscriptions

14,2%

Aides à l'autoproduction

20,5%

Par échanges de services avec d'autres professionnels de la musique

21,9%

Autre

6,8%

Source : M.A.N Media, à partir de l’enquête CNAM – Telecom Paris Tech, résultats préliminaires

52 53

Cf. note 2 p.7 À lire ainsi : 87% des projets ont été financés au moins en partie par des fonds propres.

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L’emprunt bancaire… un parfum de nostalgie ? Par les temps qui courent, parler d’emprunt bancaire pour financer un disque peut sembler incongru. Au moment où nous avons réalisé notre enquête (avant l’explosion de la crise économique de fin 2008), cela restait envisageable… dans des cas rares. On l’a vu, pour financer l’enregistrement de « In The Garden », Mano Solo a emprunté 130 000 €, en hypothéquant sa maison. Mais tout le monde n’a pas la carrière de Mano Solo ni sa maison pour convaincre un banquier de prendre le risque de lui prêter des fonds. Le secteur de la musique dans son ensemble n’est pas considéré comme des plus sûrs par les banques et les emprunts ne sont pas faciles à obtenir. Pour pallier ce problème du secteur phonographique, les Ministère de la Culture et de l'Economie et des Finances ont missionné l’IFCIC (Institut pour le Financement du Cinéma et des Industries Culturelles ) afin d’aider les entreprises auprès des banques en garantissant une partie de l’emprunt. Si l’emprunt s’avère difficile pour une maison de disques établie, il relève de la performance pour l’artiste autoproduit. « Pour les banques, on ne peut pas prêter aux artistes autoproduits car, en caricaturant, le rôle de l'artiste est de créer, celui du producteur d'avoir les pieds sur terre » explique Mathieu de Seauve, directeur du crédit aux entreprises de l’IFCIC. Pourtant, en avril 2008, l’IFCIC avait cinq dossiers d'artistes autoproduits en cours, tous en contrat de distribution. « Ce sont des petits budgets » commente Mathieu de Seauve. « Les gros artistes n'ont pas forcément besoin de nous pour financer une production, d'autant que s'ils sont en contrat de licence : ils peuvent la financer avec l'avance. » Les critères de sélection de l’IFICIC reposent avant tout sur un risque mesuré : « [Les artistes sélectionnés] ne misent pas la réussite de leur entreprise uniquement sur le succès d'un album » détaille M. De Seauve. « Ce n'est pas parce que son disque ne se vend pas que l’artiste n'a pas de talent, donc il faut pouvoir tenir. Il faut pouvoir justifier d'une autre activité, plus stable - comme la création de bande son pour les radios par exemple - ou montrer des ventes conséquentes sur un album précédent (quelques milliers d’exemplaires). » L’implication de partenaires est aussi importante, avec obligatoirement un distributeur. Selon M. De Seauve, les emprunts effectués par les artistes en autoproduction sont presque systématiquement remboursés !

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D’autres structures peuvent accompagner les artistes dans leur démarche d’emprunt au niveau régional, en témoigne le manager de Nouvel R : « On a fait appel au centre de ressources Trempolino qui s’est porté garant auprès de la Société Générale. Mais on a reçu les fonds alors que l’album était déjà pratiquement sorti, et au lieu d’un taux bas, on a eu un taux à 4,8% + les frais de dossiers ! Donc j’aimerais éviter de réitérer l’expérience pour le 2me album, je préfèrerais faire appel au mécénat d’entreprise. » L’emprunt bancaire a été relativement peu cité comme source de revenu dans les interviews que nous avons effectuées. Hors système de garantie tels que ceux mis en place par l’IFCIC, qui concerne bien peu d’artistes producteurs, il semble peu probable que ce mode de financement puisse soutenir l’autoproduction musicale dans le contexte actuel.

Les avances Le système d’avances qui régit en partie les relations entre les différents acteurs de la musique a de l’avis de tous perdu de son importance avec la crise du disque. Les avances sont moins nombreuses et moins élevées. 7,7% des artistes questionnés dans l’enquête auprès des associés de l’Adami54 ont utilisé une avance pour financer leur autoproduction dans le cadre d’un contrat de licence. Les montants d’avance sont évidemment extrêmement variables. « Une avance typique d'artiste autoproduit en développement, c'est 50 000 € plus 12 000 € de tour support » estime Rodolphe Dardalhon. Dans le marché actuel, ce type d’avances concerne essentiellement des artistes au fort potentiel de vente, pour lesquels plusieurs maisons de disques entrent en concurrence. Pour les autres, les montants sont bien plus réduits, quand avance il y a. Dans les musiques du monde, par exemple : « Quand je place une production de musique du monde en licence chez une major, je suis content si j’ai 10 000 € d’avances » déclare David Godevais. Remarquons également que, pour beaucoup d’artistes, les avances sont rarement versées avant l’enregistrement lui-même, ce qui les oblige à trouver une autre source de trésorerie. En haut de l’affiche, en revanche, « l’artiste ne finance jamais son autoproduction : elle est toujours financée par avance » affirme Jacques Chesnais.

54

Cf. note 2 p.7

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Même si c’est proportionnellement plus rare, le distributeur peut le cas échéant verser des avances aux artistes autoproduits. Musicast a ainsi très exceptionnellement versé de l’argent pour le premier album de Hocus Pocus, qui s’est vendu à 10 000 exemplaires. « On leur a avancé de quoi fabriquer l’album, ce qui est très rare pour nous – on ne le fait que quand on sait qu’on va pouvoir récupérer notre mise » explique Julien Kertudo. L’Autre Distribution procède à une forme d’avance en prenant en charge le pressage des disques de nombre de ses artistes. Le coût de fabrication est ensuite recoupé sur les ventes. Les éditeurs également, versent souvent des avances pour aider des projets d’autoproduction. « Les avances vont de quelques milliers à 10 000 € pour des artistes en développement » explique Bruno Lion. « On investit en parallèle un budget non recoupable de 10 000 € maximum pour la création, que l’on peut dépenser nous-mêmes ou confier à l’artiste, selon les cas. » Notons enfin que, dans des cas très rares, la SDRM effectue une avance sur répartition pour ce qui concerne les droits mécaniques d’artistes autoproduits.

LES AIDES À L’AUTOPRODUCTION55 Le tableau précédent le montre : plus de 20% des projets réalisés par des associés de l’Adami56 au cours des trois dernières années ont reçu une ou plusieurs aides. Ces aides constituent souvent un élément essentiel dans le montage budgétaire du projet, même si elles sont conçues pour permettre de boucler un budget, non pour l'amorcer. Leur rôle est souvent essentiel pour la rémunération légale des musiciens. « Si je veux payer les musiciens » explique Jean-Jacques Birgé, « je dois demander de l’aide, le plus souvent aux sociétés civiles, ou par exemple à une maison de la culture qui a produit un de mes spectacles. »

55 56

Précisons que nous nous intéressons ici uniquement aux aides financières. Cf. note 2 p.7

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Les aides de la profession La profession dispose de plusieurs leviers pour aider la production musicale, essentiellement via les sociétés civiles (Sacem, Adami, SCPP, SPPF). Le FCM a également un programme d’aide à l’enregistrement. La plupart des programmes exigent un apport du producteur au moins égal à la moitié du budget de production (hors coût de fabrication des supports, mastering, et budget promotionnel). Si la Sacem est la seule à proposer une aide spécifique à l’autoproduction, l’Adami a également une forte politique envers les artistes autoproduits. Tous genres confondus, l’Adami a accompagné 70 projets en autoproduction en 2007, sur un total de 220 dossiers aidés. Sur les 24 dossiers soldés que nous avons analysés, la moyenne de l’aide allouée est de 5 625 €. Les autres programmes affichent un soutien à l’autoproduction sans doute moins marqué, mais attribuent néanmoins des aides à des artistes producteurs. À des degrés divers, la plupart des aides à la production semblent destinées à soutenir des professionnels plus que des artistes aspirant à le devenir. Ainsi, l’Adami ne soutient pas le premier enregistrement d’un album de variétés (sauf pour les musiques traditionnelles). La Sacem aide les auteurs en début de carrière, mais a fait évoluer ses critères de sélection pour l’aide à l’autoproduction afin de relever le niveau d’entrée : depuis 2006, les droits de reproduction mécanique doivent avoir été acquittés en amont et depuis 2007, il faut un minimum de 500 disques destinés à la vente. La Sacem attribue une aide de 3 000 € à l’auteur. Le programme d’aide à l’autoproduction de la Sacem a été créé en 2002. « Il y avait un vrai problème discographique, avec des gens mis sur le côté, des contrats rendus » explique Lilian Goldstein, responsable des musiques actuelles de l’action culturelle. « On avait une aide à la maquette qui n’avait plus beaucoup de sens puisque les maisons de disques n’avaient pas les moyens de développer des artistes. D’un autre côté, la technologie rendait facilement possible l’autoproduction.» La Sacem reçoit 500 à 700 demandes par an pour son aide à l’autoproduction, pour 33 à 53 dossiers retenus en moyenne entre 2003 et 2008.

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Statistiques Aides à l’autoproduction Sacem depuis 200357 Chanson Pop rock Mus. du Monde Jazz Electro Hip Hop Blues, Soul, funk Enfants TOTAL

95 32 31 28 16 13 9 1 225

Source M.A.N Media à partir de chiffres collectés auprès de la Sacem

L’aide à l’autoproduction de la Sacem va au-delà de l’apport financier. « Le but est de favoriser le lancement de carrières » explique Lilian Goldstein. « Nous aidons donc les musiciens à se produire puis à se diffuser ». Les musiciens autoproduits aidés par la Sacem peuvent bénéficier, s’ils le souhaitent, des partenariats suivants : • Diffusion via Francophonie diffusion, organisme destiné à promouvoir la production musicale française et francophone sur les radios internationales. • Distribution numérique via Believe. • La Sacem a enfin organisé en 2005 et 2007 le festival « Les Autres Prod », concert gratuit au Bataclan pour exposer les artistes autoproduits qu’elle soutient. Les aides constituent un poumon essentiel à la vitalité discographique, tout en étant une puissante incitation à rémunérer les musiciens participant au projet. Elles ne semblent pas à la portée de tous, du moins ne sont-elles pas perçues comme telles. Ainsi témoigne un membre du réseau les Allumés du Jazz : « Le problème c’est que quand on autoproduit, on ne peut obtenir à peu près aucune aide car les critères d’admission sont basés sur des budgets trop importants, avec des contrats contraignants, etc. » Une réflexion s’impose probablement sur les critères d’attribution de ces aides, en prenant en compte l’évolution rapide du marché du disque. Cette réflexion n’entre pas dans le cadre de cette étude, nous livrons ici quelques éléments qui sont apparus au cours de notre enquête.

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Regroupement par genre effectué par M.A.N Media.

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La distribution physique nationale, si elle fait sens pour de nombreuses autoproductions, peut laisser de côté des projets tout à fait valables, fondés sur la vente en concert et / ou une distribution numérique. Avec la fragilisation des réseaux de distribution physique et le renforcement des canaux numériques, ce constat risque de devenir récurrent. « Le but du critère de distribution est de montrer que le projet d’autoproduction s’inscrit dans le marché, mais il y a sans doute d’autres moyens » admet Bruno Lion, président du FCM, qui prône des critères plus souples, incluant malgré tout une distribution, « qui reste importante à ce jour. » Il faut également noter que ces aides portent sur la production de disque, non sur le marketing ou la promotion, qui sont peut-être les secteurs nécessitant le plus de soutien. L’Adami justifie ce choix par l’impossibilité de vérifier la réalité des dépenses budgétées en termes de promotion et de marketing.

Les aides publiques Si les aides de la filière sont les plus visibles pour la production phonographique, des aides publiques existent également. « Les premiers dispositifs ont plutôt été mis en place via des pôles régionaux, sous forme de soutien à la création » déclarait Frédéric Vilcoq, conseiller régional délégué aux cultures émergentes en Aquitaine et Vice-Président du Conseil Supérieur des Musiques Actuelles, lors des dernières rencontres européennes de l’Adami à Cabourg58. « Elles favorisaient l’autoproduction comme carte de visite pour démarcher les labels et les salles. Ce modèle existe encore dans certaines régions, mais il est désormais un peu obsolète : la difficulté n’est plus de produire, mais d’entrer dans un circuit de diffusion, de promotion et de distribution. Avec la crise du disque, on a en effet dû se poser des questions : Il y a des initiatives en faveur de la musique enregistrée depuis quelques années, mais pas spécialement sur l’autoproduction. » La région Bretagne a par exemple lancé en 2007 le site Labelmuzik.com destiné à mettre en avant des labels locaux. Le service, initialement réservé aux labels professionnels présents au Midem, est désormais ouvert aux artistes producteurs, sous réserve de garanties du respect de la légalité dans leur démarche.

58

28 novembre 2008.

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D’autres régions se lancent dans la distribution, physique ou numérique. La région Rhônes-Alpes accompagne les labels indépendants sur la distribution physique et numérique via sa propre plateforme, tandis que la région Aquitaine cherche à fédérer les régions et de travailler avec la plateforme privée Cd1d. «Bientôt, nous aiderons à la distribution via des accords avec les librairies indépendants » explique Frédéric Vilcoq. « Cela fera 60 points de vente en Aquitaine. Cela s’adresse aux labels, mais aussi aux artistes producteurs reconnus : nous travaillons pour voir comment les intégrer juridiquement. » *** Les structures de financement des 24 projets d’autoproduction aidés par l’Adami que nous avons analysés montrent un nombre significatif de dossiers ayant bénéficié d’aides multiples, seuls 8 dossiers n’ayant pas obtenu d’aide complémentaire à celle de l’Adami. On constate que les aides proviennent aussi bien du secteur privé que du secteur public. Savoir-faire de l’artiste dans la recherche d’aides, ou intérêt commun des structures pour les mêmes projets ? Le pourcentage moyen de financement par aides est de 28%, avec un maximum constaté de 48%.

Sources de financement de 24 artistes autoproduits aidés par l’Adami en 2007 Environ 28% du budget d’une autoproduction provient d’aides, publiques ou privées Montant total d’aide privée : 177 200 € Montant total d’aide publique : 55 504 € 5 ont reçu une aide du FCM 3 ont reçu une aide de la SCPP 1 a reçu une aide de la SPPF 1 a reçu une aide de la SACEM 5 ont reçu une aide de la région 4 ont reçu une aide du département 2 ont reçu une aide de la ville 4 ont fait appel au mécénat Source M.A.N Media à partir de l’analyse de données Adami

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NOUVEL R, l’autoproduction hybride 1er album en autoproduction et autoédition. Bénéficiaire du programme d’aide à l’autoproduction de la Sacem. Genre musical - hip-hop Forme juridique - association Type de contrat - hybride distribution / licence. Répartition des ventes : 45% Nouvel R, 15% label, 40% distributeur (Discograph) Budget - 20 000 € au total, dont 6 000 € pour la promotion. Pourquoi l’autoproduction ? « On n’avait pas vraiment d’autre choix car on ne trouvait pas de label. Finalement la plupart des enregistrements étaient faits, le disque était déjà prêt donc on a trouvé un label avec qui on a un mélange contrat de licence/contrat de distribution. Ils nous ont avancé le pressage et les droits SDRM, les achats d’encarts de pub, et ont investi 4 000 €. Pour nous c’est plus intéressant de fonctionner comme ça car le retour financier est bien plus conséquent pour les artistes en autoproduction. Les marges sont beaucoup plus grosses. Mais il faut un énorme budget promo pour que ça marche, sinon ça ne sert à rien. » Et ensuite ? Deuxième album prévu dans les mêmes conditions d’autoproduction.

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4. Les revenus des artistes producteurs Dernier volet de notre enquête, celui des revenus est peut-être le plus difficile à évaluer. Nous avons cherché à valoriser les revenus issus à la fois de la vente directe de l’autoproduction, mais aussi les droits voisins et bien souvent les droits d’auteurs dans le cas d’auteurs compositeurs interprètes producteurs.

VENTES DE DISQUES L’autoproduction ayant une définition différente selon les détaillants, il est difficile d’obtenir des chiffres de marché. Par ailleurs, une partie des ventes s’effectue en dehors des circuits traditionnels de distribution, plus particulièrement en sortie de concert. Nous commencerons par nous appuyer sur les chiffres de la Fnac, que nous avons présentés dans la deuxième partie et que nous complétons ici avec les moyennes de ventes selon les produits.

Ventes de disques dans les magasins Fnac en 2007 Autoproduction Autoproduction distibuée hors distribution par Musicast Musicast

Total Autoprod.

Ventes TOTALES Fnac

nombre de références vendues

2 882

860

3 742

208 000

nombre d’exemplaires vendus au total

21 000

23 000

44 000

20,4 millions

ventes moyenne par référence

7,3

26,7

11,8

96,6

Source : M.A.N Media à partir de données Fnac

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Les ventes de disques autoproduits sont évidemment faibles par rapport au reste du marché : un disque se vend en moyenne à 7,3 exemplaires pour les artistes passant en direct par la Fnac, dont le disque n’est souvent disponible que dans un magasin. Le distributeur Musicast, partenaire de la Fnac à l’importance croissante pour l’autoproduction, génère des ventes supérieures, 26,7 par référence en moyenne. La distribution se fait alors généralement sur l’ensemble du réseau Fnac. S’il n’est pas communiqué, le chiffre d’affaires de la Fnac sur l’autoproduction est probablement modeste, comme l’a d’ailleurs dit lui-même Guy Messina. En prenant un prix de vente moyen de 15 €, on aboutit à un chiffre d’affaires de 660 000 €. Il faut toutefois considérer que ce chiffre est très loin d’englober l’ensemble de l’autoproduction telle que nous l’avons définie, et concerne surtout les artistes les moins vendeurs. Le chiffre d’affaires officiel de L’Autre Distribution, dont l’activité est également très axée sur l’autoproduction, mais avec des artistes non pris en compte dans les autoproduits de la Fnac, montre une autre échelle, à 1,9 millions d’euros en 2006. Alors que L’Autre Distribution travaille sur un nombre relativement faible de références, on en déduit que les ventes moyennes par phonogramme qu’elle distribue sont nettement plus élevées que pour celles considérées comme relevant de l’autoproduction par la Fnac. Si l’on s’intéresse maintenant aux revenus des artistes, on peut s’appuyer sur les chiffres suivants : Nombre d’exemplaires vendus (sous forme de CD) par les associés de l’Adami59 ayant effectué une autoproduction au cours des trois dernières années 0

3,5%

De 1 à 499

18,1%

De 500 à 999

19,2%

De 1 000 à 4 999

38,5%

De 5 000 à 9 999

11,9%

De 10 000 à 49 999

6,9%

De 50 000 à 99 999

0,8%

Plus de 100 000

1,2%

Source : M.A.N Media, à partir de l’enquête CNAM – Telecom Paris Tech, résultats préliminaires

59

Cf. note 2 p.7

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Rappelons que les chiffres de ventes annoncés sont à pondérer avec un facteur temps variable selon les projets, puisque l’autoproduction peut avoir été réalisée un mois avant l’enquête et donc ne pas avoir encore donné lieu à une exploitation. Ce facteur explique sans doute en partie les réponses indiquant 0 vente. Peut-être également les artistes ont-ils privilégié un disque promotionnel afin de se faire connaître plutôt que de le vendre. 37,3% des autoproductions se sont vendues à moins de 1 000 exemplaires, et presque autant (39,8%) entre 1 000 et 5 000 exemplaires. Ces résultats sont cohérents avec le nombre moyen d’exemplaires pressés, que l’on peut estimer entre mille et deux milles exemplaires, si l’on se fie aux projets aidés par l’Adami.

Projets aidés par l’Adami en 2007 - nombre d’exemplaires pressés Nombre d’exemplaires moyen pressés (variétés)

2 363 ex.

Nombre moyen d’exemplaires pressés (classique et jazz)

1 264 ex.

Source : M.A.N. Media à partir de données Adami

Cette moyenne exclut les deux extrêmes de l’autoproduction, à qui les aides de l’Adami ne sont pas destinées : l’artiste « star » et l’artiste en début de carrière ou au projet mal ficelé. Ces chiffres sont corroborés en termes d’échelle par ceux avancés par l’action culturelle de la Sacem, même si ces derniers sont inférieurs : la moyenne de pressage des projets autoproduits aidés par la Sacem – qui ne concerne que la variété oscille entre 500 et 2 000 disques.60 Les ventes sont évidemment extrêmement disparates, entre les Gipsy King en licence chez Warner qui ont vendu plus de 200 000 exemplaires de l’album « Roots » aux seuls Etats-Unis61 et l’artiste dont les CDs remplissent la baignoire. La Rue Ketanou vend de l’ordre de 75 000 exemplaires de chacun de ses albums, selon Luc Natali. Chez Musicast, les ventes exceptionnelles se situent à 10 000 exemplaires, comme pour l’album d’Hocus Pocus, voire 20 000 pour la mixtape de Diam’s. Mais une bonne vente moyenne se chiffre entre 800 à 1 200 exemplaires. « Notre cœur de métier, c’est vraiment de multiplier les petites ventes. »

60 61

Source : Lilian Goldstein et Nathalie Bégaud, Sacem Source : Bruno Lion.

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La moyenne des ventes pour les autoproductions réalisées par des artistes de l’Adami ayant répondu à l’enquête se situe à 12 194 exemplaires. Rappelons que ce chiffre concerne les phonogrammes produits au cours des trois dernières années, soit une moyenne d’exploitation de deux ans. Ventes moyenne pour une autoproduction sur deux ans d’exploitation environ

12 194

Source : Enquête CNAM – Telecom Paris Tech, résultats préliminaires

Le chiffre est en soi peu révélateur, puisqu’on vient de voir que quelques très grosses ventes tirent une moyenne générale relativement basse. Il est toutefois intéressant d’établir une estimation des ventes de disques autoproduits en France, en nous aidant sur l’évaluation faite précédemment du nombre d’œuvres sorties par an. Estimation du volume de ventes de disques sortis en autoproduction entre septembre 2006 - septembre 200762 : 6 114 * 12 194 = 74 554 116 ventes sur environ deux années d’exploitation.

En extrapolant, on obtiendrait des ventes annuelles d’autoproductions en volume de 75 millions d’exemplaires, pour la période sept. 2006 - sept. 200763 en France. Ce chiffre n’a pas de valeur en tant que tel, étant donné les biais liés à nos estimations. Il est d’ailleurs probablement largement surévalué, si on le compare avec le volume total des ventes de disques en France – productions étrangères comprises -, qui était de 83,1 millions d’unités physiques en 2007 et de 102,7 millions en 200664. Les ventes d’autoproduction ne sont pas toutes prises en compte dans le panel GfK (notamment les ventes hors distribution professionnelle, en concept par exemple). Les données exposées ne nous permettent donc pas de calculer la part de l’autoproduction dans le marché global.

L’enquête auprès des associés de l’Adami a été effectuée en septembre 2008. Elle a relevé les autoproductions effectuées au cours des trois dernières années, soit en moyenne entre septembre 2006 et septembre 2007. 63 Le chiffre de 75 millions concerne deux ans d’exploitation, soit 37,5 par an. Sur une année N, on a donc 37,5 millions de vente pour des phonogrammes sortis en année N, plus 37,5 ventes pour des phonogrammes sortis en année N-1. 64 Source : GfK. 62

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L’artiste producteur en France 2008 – Aymeric Pichevin


Ces estimations nous permettent néanmoins de constater que l’autoproduction, telle que nous l’avons définie dans cette étude, représente une part très significative des ventes de disques en France en volume.

UNE RENTABILITÉ SUR LA DURÉE Avec 10 000 ventes annoncées, le premier album de Syrano a été largement rentabilisé. « J’ai touché environ 14 000 € de bénéfice sur la vente des albums, une fois tous les frais payés » détaille l’artiste. « En plus, j’ai touché environ 12 000 € de droits d’auteur. » La rentabilité est liée aux ventes, mais aussi à l’investissement : malgré 30 000 ventes de « In the Garden », Mano Solo n’a pu que rembourser son prêt de 130 000 € (une chance, puisqu’il avait hypothéqué sa maison !) « Il y a un effet bascule » déclare son manager Fatiha. « Si cela avait un succès, alors on aurait gagné pas mal d’argent. » Mano Solo avait investi lourdement dans la production, bien plus que la moyenne, nous avons pu le vérifier. Selon Luc Natali, une vente d’environ 10 000 exemplaires en distribution permet généralement de dégager un bénéfice. Elle génère en effet un revenu de 40 000 €, SDRM et frais de fabrication déduits, ce qui permet de financer la production, le marketing, de payer le manager et un attaché de presse. Reste souvent un bénéfice de quelques milliers d'euros que Luc Natali recommande de réinvestir : « L’artiste peut le garder pour lui, mais il peut aussi l’investir dans du tour support par exemple, car c’est la scène qui le fait vivre : un artiste qui parvient faire 10 000 ventes, il fait 80 dates dans l'année. » Dans les cas de licence également, la rentabilisation est difficile à atteindre. « Il me faut vendre au moins 8 000 albums pour recouper une avance de 10 000 € » explique David Godevais. « Avec les abattements BIEM, pub et compagnie, tu passes d’un prix de gros de 10 € à 8 € ou 8,5 € ; avec un taux de 20% de royalties, il doit me rester 1,7 € par disque !65 » Les ventes nécessaires pour rentabiliser l’investissement sont donc relativement élevées. Nous parlons ici bien sûr d’artistes producteurs adoptant une démarche très poussée, avec un contrat de licence ou incluant le financement d’un attaché de presse, ou de marketing dans le cadre d’un contrat de distribution.

Sur une base de 1,7 € par disque, le calcul exact donne environ 6 000 albums pour recouper une avance de 10 000 €.

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L’artiste producteur en France 2008 – Aymeric Pichevin

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La vente en concert Nous l’avons déjà dit, la vente d’autoproductions se fait très souvent en fin de concert, y compris pour les disques faisant l’objet d’une distribution. « La plupart du temps, [les artistes distribués par Musicast] vendent aux copains et en sortie de concert » acquiesce Julien Kertudo. Le phénomène est particulièrement important pour les autoproductions à faibles niveau de diffusion, mais il concerne également les artistes les plus vendeurs : la moitié des 10 000 albums vendus par Syrano s’est effectuée en sortie de concert. Il ne s’agit pas là d’une moyenne. La société L’Autre Distribution, qui distribue Syrano, autorise par contrat ses artistes producteurs à vendre leurs disques à leur compte en fin de concert car elle considère que cela n’a pas d’impact sur les ventes en magasin. En dehors des volumes écoulés, les ventes en concert sont particulièrement intéressantes pour l’artiste producteur, qui profite a priori d’une marge très nettement supérieure. En effet, les artistes vendent généralement les disques à leur compte. Lorsqu’ils fabriquent eux-mêmes leurs disques (hors contrat de licence donc), un album vendu 15 € leur rapporte donc 13 € de marge, déduction faite de la SDRM et de la fabrication. La vente de 1 000 CD en sortie de concert serait donc équivalente pour l’artiste producteur à la vente de 3 250 CD en distribution66. Autrement dit :

Nombre de ventes nécessaires pour 10 000 € de revenus (coûts fixes déduits) pour l’artiste en contrat de distribution

2 500 ventes en distribution

770 ventes en concert

10 000 € pour l’artiste producteur

66

Sur la base de 4 € restant au producteur en contrat de distribution (voir plus haut).

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L’artiste producteur en France 2008 – Aymeric Pichevin


Ces pratiques sont courantes jusqu’à un certain niveau de vente, mais elles sont moins acceptées ensuite. « Nous ne occupons pas de la vente en concert, concert » explique Julien Kertudo. « Ce que nous disons aux artistes, c’est qu’à partir d’un certain niveau, s’ils tournent beaucoup, ils ont intérêt à limiter les ventes en concert pour qu’elles apparaissent en distribution et puissent intéresser de plus gros distributeurs, ce qui est souvent leur but. » La vente en concert est moins avantageuse en contrat de licence, sous le régime duquel l’artiste doit acheter ses disques à son label pour pouvoir les revendre en concert. Selon Luc Natali, le prix payé par l’artiste correspond au prix de gros HT avec un rabais de 10% à 20%, soit environ 9 €. Pour une vente en concert à 15 €, la marge n’est donc plus que de 6 euros (bien sûr, les coûts en contrat de licence sont également moins élevés).

Un investissement rarement rentable La vente en concert contribue donc largement aux recettes de nombre d’autoproduction. Malgré cet apport précieux, les projets autoproductions sont majoritairement déficitaires. Chez les associés de l’Adami, la proportion serait d’un tiers de projets rentabilisés pour deux tiers effectués à perte.

Rentabilité des projets en autoproduction réalisés par des associés de l’Adami67 au cours des trois dernières années Autoproduction rentable

34,7%

Autoproduction non rentable

65,3%

Source : Enquête CNAM – Telecom Paris Tech, résultats préliminaires

Rodolphe Dardalhon est d’ailleurs sceptique quant à la viabilité de l’autoproduction : « Je demande à voir sur le long terme. Chez Roy Music, on dépense 10 000 € par mois, en se payant mal et sans loyer, pour 5 artistes! ça veut dire qu’un artiste producteur doit dépenser plus de 2 000 € / mois ! » Encore une fois, nous parlons ici d’autoproduction de niveau professionnel, R. Dardalhon comparant le travail d’un artiste producteur avec celui d’une maison de disques comme la sienne. 67

Cf. note 2 p.7

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En termes de ventes pures, l’autoproduction constitue malgré tout souvent un investissement à perte. Mais là n’est peut-être pas le but… Nous l’avons vu, l’autoproduction est souvent le véhicule indispensable pour développer une carrière, plus qu’un investissement destiné à générer du profit.

« Si je ne vends que pour 2 000 €, ça vaut quand même le coup ! » « Je n’ai jamais gagné un sou avec les disques » explique Jean-Jacques Birgé, « mais grâce aux disques j’ai fait des choses qui elles m’ont permis de gagner ma vie : concerts, musiques de films, d’événements, etc. Un disque c’est un investissement. Ma musique se vend à tous petits volumes mais elle est passée à la télé, à la radio, c’est ce qui m’a permis de me faire connaître. Avec 5 000 € de dépenses, si je ne vends que pour 2 000 €, ça vaut quand même le coup ! » Le disque demeure la carte de visite indispensable de l’artiste, et peu gagnent directement de l’argent dessus. On se rappelle le conseil de Luc Natali : les quelques milliers d’euros de bénéfices qu’un artiste peut éventuellement retirer de son autoproduction seront peut-être mieux investis sur du marketing ou du tour support, afin de maximiser les activités qui le font réellement vivre. En dehors des ventes, le disque génère d’autres formes de revenus via la gestion collective.

DROITS D’AUTEURS, DROITS VOISINS Les artistes autoproduits touchent des droits voisins à double titre : celui d’artiste et de producteur. Par ailleurs, beaucoup d’artistes producteurs sont auteurs et/ou compositeurs des œuvres qu’ils enregistrent. S’ils sont membres de la Sacem, ils percevront donc également les droits d’auteur liés à l’exploitation de leurs œuvres. Notons que la Sacem a récemment mis en place un fonds spécial autoproduction (effectif en janvier 2009), alimenté par un pourcentage des versements des radios locales qui ne renseignent pas la Sacem sur leur programmation : « Ce sont de faibles montants » explique Claude Gaillard, directeur de la répartition de la Sacem. « Plutôt que de les répartir sur les gros pour qui ça ne change rien ou presque, autant les donner à des artistes autoproduits pour qui cela représente quelque chose ! »

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Dans les faits, les artistes producteurs sont apparemment nettement moins nombreux à percevoir des droits voisins que des droits d’auteur.

Pourcentage d’artistes de la musique associés de l’Adami ayant perçu des droits dans le cadre de leur projet en autoproduction Droits d’auteur

69,1%

Droits voisins

28,2%

Source : M.A.N Media, à partir de l’enquête CNAM – Telecom Paris Tech, résultats préliminaires

Les pourcentages indiqués ci-dessus sont à prendre avec précaution en valeur absolue en raison du décalage de six mois à plus d’un an entre le moment où les droits sont générés et celui où ils sont répartis. La différence en valeur relative est néanmoins significative, les artistes étant trois fois plus nombreux à déclarer avoir perçu des droits d’auteur que des droits voisins. On peut d’ailleurs constater que les artistes-producteurs sont relativement peu nombreux à avoir adhéré à une société civile de producteurs, seulement un cinquième d’entre eux l’ayant fait.

Nombre d’associés de l’Adami68 en autoproduction dont la structure est membre d'une société civile de producteurs Membres

21,5%

Non membres

78,5%

Source : M.A.N Media, à partir de l’enquête CNAM – Telecom Paris Tech, résultats préliminaires

68

Cf. note 2 p.7

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L’importance de ce chiffre est toutefois à nuancer pour deux raisons : - Il n’est pas obligatoire d’adhérer à une société civile pour toucher des droits voisins - Dans beaucoup de cas, le label licencié ou même le distributeur perçoivent les droits voisins au nom du producteur. En effet, si les droits voisins sont théoriquement destinés au producteur de l’œuvre, ils entrent souvent dans le cadre d’une négociation plus globale avec le licencié ou dans certains cas le distributeur.

Des droits voisins à partager En pratique, il semble très courant que le producteur – et donc l’artiste producteur – partage les droits voisins qui lui reviennent. « Nous touchons les droits voisins en tant qu’artistes interprètes mais pas en tant que producteurs » déclare Vivien Gouery, manager de Nouvel R. C’est notre label, qui est membre de la SPPF, qui le fait. Il nous en reverse ensuite 85%. » Le pourcentage généralement conservé par le label ou le distributeur semble toutefois plus élevé : le chiffre de 50% nous a souvent été rapporté. Dans certains cas, le producteur a cédé 100% de ses droits voisins. Cette pratique est dénoncée par certains, qui jugent que le producteur n’est pas en mesure de refuser de céder ses droits voisins, fût-ce en partie. Elle semble pourtant logique aux yeux de beaucoup des producteurs concernés, qui considèrent que le licencié participe activement à la diffusion de l’œuvre, donc à générer plus de droits voisins.

« Un levier supplémentaire de négociation » « Cela fait partie d’un tout et donne un levier supplémentaire de négociation, en permettant par exemple d'avoir un meilleur taux de royalties » explique Rodolphe Dardalhon. Cela permet également au producteur de se décharger de la gestion des droits voisins auprès de la société civile. Dans certains cas, le licencié perçoit l’ensemble des droits voisins et reverse sa part au producteur ; dans d’autres, la société civile fait la répartition elle-même.

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Des montants modestes Les droits voisins génèrent des revenus très inégalitaires selon les artistes, ce qui est dans la logique du marché, puisqu’ils sont calculés proportionnellement à la diffusion et aux ventes de l’œuvre.

« L’Autoproduction est totalement marginale ! » Du côté des droits des producteurs, la teneur est la même : « Il n'y a pas d'effet long tail69 » s’exclame Jacques Chesnais. « On reste à 90/10, si ce n'est 95/5! » Jérôme Roger, directeur général de la SPPF qui représente uniquement des labels indépendants, confirme : « Il y a un phénomène de concentration autour de 10 à 15 gros indépendants. L’autoproduction est totalement marginale ! » Même pour les principaux producteurs, les droits voisins représentent des revenus relativement faibles. En 2007, les producteurs ont perçu 74 millions d’euros au travers de la SCPP et de la SPPF, soit 9% de l’ensemble de leurs revenus70. On peut donc comprendre pourquoi la question ne semble pas essentielle aux yeux des artistes que nous avons interrogés, dont la plupart ignoraient s’ils avaient perçu des droits voisins en tant que producteur. Cela explique aussi une certaine désaffection des artistes autoproduits membres des sociétés civiles de producteurs, selon Jacques Chesnais : « On en voit disparaître. Ils viennent en pensant récupérer beaucoup d'argent et se rendent compte que mener l’artistique plus l’administratif, c'est lourd, et que le jeu n'en vaut pas toujours la chandelle au regard des sommes récupérées. »

7 800 € pour les nantis Des données collectées auprès de l’Adami nous permettent de conclure que les artistes bien lotis peuvent espérer 3 000 € de droits voisins par an environ, même si les artistes du top se situent à des niveaux de rémunération bien plus élevés.

69 Théorie économique qui appliquée dans le cas présent, voudrait schématiquement que l’ensemble des droits générés par les titres faiblement diffusés représente collectivement une part égale ou supérieure aux droits générés par les hits. 70 Source Snep

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La rémunération pour copie privée et la rémunération équitable étant réparties de manière équivalente au collège des artistes et au collège des producteurs, on peut grossièrement estimer que l’artiste producteur les percevra deux fois, au titre de producteur et d’artiste71. Les producteurs membres d’une société civile tirent toutefois d’autres revenus issus de la gestion collective, en faisant apport de leur droit exclusif concernant les vidéomusiques par exemple. La part de la rémunération équitable et de la copie privée représentait 62% des 74 millions générés en 2007. Un artiste producteur membre de la SCPP ou de la SPPF qui toucherait 3 000 € de droits voisins via l’Adami pourrait donc, toujours en théorie, recevoir en tant que producteur environ 4 800 €72. L’artiste producteur en réussite commerciale peut donc espérer toucher de l’ordre de 7 800 € de droits voisins par an, une somme probablement bien faible en regard des revenus issus des ventes de disque que doit tirer un artiste de ce calibre. Mais il y a une différence majeure avec les revenus du disque : les droits voisins constituent une rémunération quasi nette pour le producteur, sans frais inhérents. Certaines sources informées estiment ainsi la part de la gestion collective à la moitié du résultat d’exploitation pour une maison de disques! Le raisonnement peut se reproduire pour tous : « Les droits voisins ne représentent jamais beaucoup pour une autoproduction, mais c'est de la marge nette, et c'est peut-être ça qui fait le bénéfice d'une autoproduction » confirme Luc Natali. Par ailleurs, les droits voisins prennent une place croissante – en valeur relative et absolue - dans le financement de la musique enregistrée. Entre 2002 et 2007, les droits perçus par les sociétés civiles ont progressé de 19% (de 61,9 millions d’euros à 74 millions d’euros), pendant que les ventes de disques dégringolaient73. Les artistes producteurs, au moins pour les plus diffusés d’entre eux, auront donc de plus en plus intérêt à s’y intéresser.

Le calcul ne prend pas en compte le fait que les frais de gestion diffèrent d’une société civile à l’autre. 3000/62%= 4838. 73 Source Snep. 71 72

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SOKO, l’internationale numérique 5 titres autoproduit en distribution numérique via Believe. Album à venir, en licence pays par pays - Because pour la France. L’autoproduction est suivie de près par la structure de management Bellevue. À ses propres éditions, en administration globale chez Universal La belle histoire (racontée par Denis Ladegaillerie, Believe) « Il y a deux ans, nous signons avec Soko [i.e. pour une distribution numérique]. Un programmateur d’NRJ Danemark tombe dessus et rentre son titre en playlist ; on a fait un relais promo, le titre a été n°1 des ventes sur iTunes Danemark une semaine après, puis en Suède trois semaines après. Un peu plus tard, le titre est en playlist en radio en Belgique où Soko va jouer un concert et devient n°1 chez iTunes, puis il rentre dans le top 30 Allemagne, etc. C’est emblématique du numérique, infaisable en physique ! » Soko a pris son temps pour la suite. Sur les conseils de son management Bellevue, elle s’autoproduit, et signe des licences pays par pays. Résultats - 5 titres disponibles en exclusivité numérique ; 60 000 à 70 000 fichiers vendus dans le monde à ce jour. Pourquoi l’autoproduction ? « Elle voulait être indépendante et s’affranchir de directeur artistique » explique David Barat. « C’est possible, mais avec beaucoup d’organisation » Financièrement, c’est également intéressant : « Les maisons de disques veulent peut-être créer de l’actif, mais les artistes aussi ! » Et ensuite ? Sortie d’album prévue début 2009.

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Conclusion À l’instar d’un marché du disque en évolution rapide, la grande confrérie des artistes producteurs est en train d’accompagner les changements économiques liés à la diffusion de musique. Nous nous sommes concentrés dans cette étude sur les artistes dont le projet peut cadrer avec une perspective professionnelle. Nous avons constaté que le nombre d’artistes concernés n’avait sans doute pas fondamentalement évolué depuis cinq ans, alors que dans le même temps, les maisons de disques étaient pour beaucoup obligées de réduire la voilure. Si la masse d’artistes concernés n’a pas nécessairement augmenté, elle est probablement en train d’évoluer de manière qualitative avec un professionnalisme moyen en hausse. De nombreux artistes en autoproduction aujourd’hui auraient été produits par un tiers il y a encore cinq ans. Nous avons estimé le nombre de phonogrammes autoproduits sortis en 2007 à environ 6 000 – hors démarche amateur. Plus de la moitié d’entre eux ne font toutefois pas l’objet d’une distribution tierce, ce qui les exclut quasiment de fait de la filière musicale professionnelle. Dans la majeure partie des cas, les artistes producteurs vont bien au-delà de la seule production dans leur projet. Si l’on se réfère aux contrats passés par les associés de l’Adami en autoproduction, on constate qu’environ les deux tiers ont a priori assumé la fabrication de disques (et donc probablement les frais SDRM associés) et près des trois quarts assument la charge de promotion et de marketing. Cette implication multiple entraîne des besoins en financement importants. Dans le contexte économique actuel, cela pose évidemment question, même si le système D permet de remplacer bien des investissements. Peut-être les artistes se tourneront-ils plus vers la souscription, déjà utilisée et mise en lumière par certains services participatifs sur Internet. Les aides de la filière professionnelle, et dans une moindre mesure les aides publiques, fournissent néanmoins un soutien important à l’autoproduction. Elles permettent aux musiciens de percevoir la rémunération qui leur est légalement due pour leurs séances d’enregistrement.

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Sans surprise, les budgets en autoproduction sont en majorité insuffisants en regard des canons professionnels. Le système D ne peut pas tout et les artistes autoproduits sont souvent en fort déficit d’investissement pour la diffusion de leur travail.

Les goulets traditionnels La majorité des projets en autoproduction semble fonctionner avec des budgets déséquilibrés, très axés sur la production, au détriment de l’effort de promotion et de marketing nécessaire pour accéder au public. En outre, l’accès à la distribution professionnelle physique se restreint. Or, cette distribution reste nécessaire pour vendre sa musique, mais aussi tout simplement pour exister auprès des médias ou des organisateurs de concert. Ces deux barrières à l’accès au marché existent depuis longtemps et expliquent sans doute pourquoi, aujourd’hui comme hier, l’attrait des maisons de disques n’a pas faibli. La hausse qualitative de l’autoproduction tient probablement plus à la raréfaction des opportunités en maison de disques que d’une volonté des artistes de devenir indépendants. Finalement, la production par les principales maisons de disques pourrait se concentrer toujours plus sur les artistes au fort potentiel de développement, ce potentiel étant de plus en plus calculé à l’aune internationale. Les autres, artistes au public fidèle mais stable, artistes de niche ou artistes débutants seraient alors destinés à se produire. Mais ils le feront avec des armes inégales : il y a un monde entre un contrat de licence et une autoproduction allant jusqu’à l’autodistribution. Tous les artistes ne subiront pas ce choix. Dès aujourd’hui, un certain nombre d’entre eux vivent de leur musique avec un ou deux partenaires leur permettant de gérer leur entreprise de production. De nombreux musiciens, y compris parmi ceux qui vendent plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires de leurs albums, privilégient des marges plus confortables via des contrats de distribution.

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Des perspectives d’évolution à court terme La proportion d’associés de l’Adami porteurs d’un projet d’autoproduction dans les deux ans à venir montre que l’autoproduction devrait prendre de l’ampleur dans un futur proche. Nombre d’artistes, et non des moindres, revendiquent aujourd’hui l’autoproduction, voire le droit de posséder le master de leurs enregistrements. L’expérience de vente en direct de Radiohead est encore fraîche et la coalition d’artistes ‘Future Artists Coalition’ récemment formée en Grande Bretagne traduit cette revendication d’artistes entrepreneurs. Avec le déclin de la distribution physique à grande échelle, on peut imaginer que les pratiques des artistes producteurs vont se modifier profondément. On devrait voir apparaître ou se renforcer de nouveaux partenaires. Les managers sont appelés à accompagner de plus en plus de projets d’autoproductions. Les éditeurs également, même si eux aussi pourraient avoir à s’adapter à une volonté de bon nombre d’artistes de contrôler l’ensemble de leurs droits. Les maisons de disques et les distributeurs enfin, pourraient proposer des partenariats plus variés, en parallèle des traditionnels contrats d’artiste ou de licence. Nous avons vu comment certains artistes bénéficient de services hybrides entre le contrat de distribution et le contrat de licence. On devrait également voir fleurir des initiatives comme celle de la maison de disques PIAS et de son service Integral, qui prend acte du besoin d’un certain nombre d’artistes d’un accompagnement en promotion / marketing, plus que des services complets dune maison de disques.

Le numérique à contre courant Le numérique devrait largement contribuer à faire émerger de nouveaux partenaires. Les outils Internet sont d’ores et déjà largement plébiscités par les artistes producteurs en termes de communication. Ils sont en revanche pour l’instant anecdotiques pour la très grande majorité des artistes producteurs en termes de revenus. Paradoxalement, alors que l’autoproduction souffre traditionnellement d’un accès restreint au marché physique, le numérique semble pour le moment favoriser essentiellement les artistes les plus vendeurs. Bien sûr, des contre-exemples existent, mais ils ne sont pas encore suffisamment nombreux.

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À mesure que le numérique prendra sa place sur le marché et que les artistes producteurs seront plus organisés, on peut supposer qu’ils pourront bénéficier de revenus significatifs en provenance d’Internet. De nouveaux intermédiaires comme les distributeurs numériques - pour la plupart très ouverts à l’autoproduction - élargissent la palette de leurs services aux artistes et pourraient devenir des partenaires privilégiés au-delà des frontières du numérique. Les évolutions en cours poussent un certain nombre d’acteurs à s’interroger sur la pertinence d’une filière encore organisée autour d’une approche traditionnelle de l’autoproduction, avec par exemple des soutiens à la seule production ou une omniprésence de la distribution physique, sans laquelle quasiment aucun projet d’autoproduction d’envergure ne peut exister. Certes, le secteur nécessite des filtres permettant de ne pas submerger le public avec des œuvres de qualités inégales. Mais ces filtres risquent de devenir inadaptés au contexte de la musique tel qu’il se dessine. Aujourd’hui, les deux tiers environ des projets d’autoproduction menés par des professionnels de la musique ne sont pas rentables, mais ils constituent le cœur d’un métier qui cherche ses revenus ailleurs (scène, réalisation sonore, etc.) Demain, l’enregistrement restera au centre des carrières musicales et les artistes seront peut-être plus libres d’en contrôler la commercialisation à travers des partenaires variés. Lors des rencontres européennes des artistes organisées par l’Adami en novembre 2008, Frédéric Vilcoq, conseiller régional délégué aux cultures émergentes en Aquitaine et Vice-Président du Conseil Supérieur des Musiques Actuelles, appelait tous les acteurs publics et privés à se mettre autour d’une table pour définir leur rôle vis-à-vis des artistes producteurs. Bruno Boutleux, directeur général de l’Adami, commanditaire de cette étude, avait accepté l’invitation. Le débat est lancé…

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Glossaire Master, bande master : original de l’enregistrement, qui servira de base à la duplication physique ou numérique des œuvres.

EPK (Electronic Press Kit) : kit numérique à destination de la presse, pour la promotion d’un album. L’EPK peut par exemple contenir des extraits vidéo de concert, une interview de l’artiste, etc.

Contrat d’enregistrement exclusif, dit « contrat d’artiste »74 : le contrat d’enregistrement est conclu entre un artiste-interprète et un producteur phonographique. Le producteur prend à sa charge l’intégralité des frais de production. S’il est aussi éditeur phonographique, il couvrira les frais de fabrication et assurera la distribution, directement ou par le biais d’un distributeur. S’il est uniquement producteur, il négociera avec un éditeur un contrat de licence. L’artiste cède au producteur l’entière propriété des enregistrements et leurs diverses exploitations selon des rémunérations prévues au contrat. La cession est assortie d’une clause d’exclusivité portant sur une période et / ou un territoire défini par le contrat. Les redevances prévues pour chaque exploitation, les royalties, prennent la forme d’un intéressement de l’artiste ou du groupe aux recettes perçues par le producteur sur chacune des exploitations. Un pourcentage pour chaque type d’exploitation sera prévu au contrat. Les redevances varient selon les contrats et la notoriété de l’artiste. Selon l’article L.762-2 du Code du travail, elles ne prennent pas la forme de salaire, mais sont fiscalement considérées comme des bénéfices non commerciaux (BNC). Le paiement des redevances ne dispense pas le producteur de verser un salaire d’enregistrement aux artistes signataires du contrat d’exclusivité ainsi qu’aux musiciens additionnels engagés pour les séances de studio. Quoique revêtant une forme particulière, le contrat d’artiste est considéré comme un contrat de travail. L’absence de salaires d’enregistrement pourrait conduire, en cas de recours des artistes, à la requalification des redevances en salaire. Le contrat d’enregistrement exclusif représente la solution la plus simple et la moins onéreuse pour l’artiste et le groupe. On dira alors de ces derniers qu’ils sont « signés ».

74

Source : IRMA, fiche pratique « Les trois étapes du disque ». Extraits choisis par nos soins.

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Contrat de licence75 : un contrat de licence est passé entre un producteur et un éditeur phonographique. Le producteur prend à sa charge la réalisation de la bande mère, ce qui inclut le paiement des frais d’enregistrement (studio, bandes, ingénieur du son, etc.) et celui de tous les artistes intervenant dans la production. Il prend aussi en compte la préparation du livret intérieur (rédaction des textes, fourniture des photographies et illustrations). Le producteur concède à l’éditeur, pour une durée prévue au contrat, un droit d’exploitation des enregistrements dont il demeure le propriétaire. On détermine aussi une exclusivité d’exploitation sur un ou plusieurs territoires dont la liste figurera sur le contrat. Le territoire concédé peut s’étendre d’un pays ou d’un ensemble de pays jusqu’au monde entier. Ainsi, le producteur peut parfaitement se réserver le droit de traiter en licence avec d’autres éditeurs pour d’autres territoires. Le producteur reçoit des redevances sur les ventes réalisées par l’éditeur phonographique. Ce dernier paiera donc tous les frais de fabrication, et notamment la Société pour l’administration du droit de reproduction mécanique (SDRM). Il se chargera ensuite d’assurer la distribution et la promotion. Cette solution permet donc au producteur de limiter ses investissements à la production de la bande mère et aux frais de packaging et de pochette. Le reste est à la charge de l’éditeur. Le producteur ne faisant que céder pour un certain temps ses droits d’exploitation, il demeure le propriétaire de l’enregistrement. À l’échéance du contrat, il est libre de reconduire la licence ou de signer avec un autre éditeur, sous réserve des clauses de droit d’option et de droit de préférence. Si ce producteur est une émanation directe de l’artiste ou du groupe, cette solution permet à ces derniers de conserver la maîtrise de l’enregistrement. Toutefois, il convient d’être attentif aux conditions du retour sur investissement. Malgré des taux de redevances supérieurs aux redevances d’artistes, ce retour peut s’avérer à long terme peu intéressant si la production a été onéreuse ou si les tirages pressentis sont faibles.

Contrat de distribution76 : le contrat de distribution lie un éditeur phonographique à un distributeur pour la distribution commerciale d’un disque. Cet éditeur peut être aussi un producteur qui a décidé d’assumer la fabrication intégrale du disque. Le distributeur achète un produit manufacturé prêt à entrer dans le circuit de vente. Il prendra une marge sur le prix de gros. Le contrat déterminera, entre autres, le prix d’achat, l’échelonnement des livraisons et des paiements, et le territoire concédé. Les distributeurs ont en général des répertoires de prédilection ou des spécialités très précises dont il faudra tenir compte lors de la prospection. Ce contrat implique la prise en charge, le financement et le suivi de la fabrication par l’éditeur ou le producteur-éditeur. L’éditeur ou le producteur-éditeur assume la responsabilité du paiement de la SDRM.

75 76

Source : IRMA, fiche pratique « Les trois étapes du disque ». Source : IRMA, fiche pratique « Les trois étapes du disque ».

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Cette solution conduit donc au financement de la totalité du disque, depuis la séance de studio jusqu’à la livraison des disques fabriqués au distributeur. Mais, à la différence du contrat de licence, on ne bénéficie pas de la légitimité et du soutien d’une maison de disques ou d’un label. On doit aussi prendre en compte le fait que le paiement des ventes par le distributeur implique un délai entre la livraison et la facturation. Cette solution peut convenir aux artistes et aux groupes qui sont assurés, par ailleurs, de vendre une partie de leur production par d’autres circuits.

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Remerciements De nombreuses personnes nous ont aidés pour cette enquête, nous souhaitons les remercier chaleureusement ici, en commençant par l’ensemble des professionnels qui ont bien voulu répondre à nos questions. Nous remercions également Thierry Huret (Sacem), Louis Diringer (Sacem), Pierre Pichon (BnF), François Moreau (Cnam), Marc Bourreau (Telecom Paris Tech), la SCPP, la SPPF, l’institut GfK, Zone France, les Allumés du Jazz et les nombreuses personnes de l’Adami qui nous ont fourni leur soutien et permis de recueillir des données précieuses. Remerciements particuliers enfin à Elisabeth Dien, stagiaire de haute volée, pour son aide efficace sur cette enquête.

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Annexe LISTE DES PERSONNES INTERVIEWÉES • David Barat et Thomas Bonardi, fondateurs de Bellevue (management de Soko, Peter Von Poehl, entre autres) • Nathalie Bégaud et Lilian Goldstein, Action culturelle de la Sacem • Annie Benoid, directrice, L’autre Distribution • Jean-Jacques Birger, artiste • Pascal Bittard, fondateur, Idol • Jacques Chesnais, directeur administratif et financier, SCPP • Rodolphe Dardalhon, manager et co-fondateur du label Roy Music • Féloche, artiste • David Godevais, producteur, président du CALIF (Club Action des Labels Français) • Vivien Gouery, manager du groupe Nouvel R • Sophie Guénebeau, directrice, Zone Franche • Thierry Huret, Sacem – DRIM • Julien Kertudo, gérant, Musicast • Laurent Kratz, DG, Jamendo • Denis Ladegaillerie, président Believe • Bruno Lion, directeur, Peer Music France

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• Mano Solo, artiste • Guy Messina, directeur disque et vidéo, Fnac • Luc Natali, co-fondateur, Open Bar • Pierre Pichon, responsable du dépôt légal des documents sonores, Bibliothèque Nationale de France • Odile Renault et Frédéric Campo, Action artistique de l’Adami • Yves Riesel, président du distributeur Abeille Musique et de LyraMediaGroup • Jérôme Roger, directeur général, SPPF • Mathieu de Seauve, directeur du crédit aux entreprises, IFCIC • Syrano, artiste

Nous avons également interviewé un certain nombre d’artistes et de responsables de maisons de disques de manière plus informelle – ils ne sont pas cités nommément dans cette étude.

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les études de l’Adami Collection coordonnée par Jean Pelletier

Adami 14-16, rue Ballu, 75311 Paris Cedex 09 Tél. : 01 44 63 10 00 www.adami.fr

M.A.N Media 39, boulevard Diderot, 75012 Paris Tél. : 01 43 40 25 00 E-mail : info@manmedia.fr www.manmedia.fr

Achevé d’imprimé par Corlet Numérique (Condé-sur-Noireau) Dépôt légal : février 2009 Numéro d’imprimeur : XXXXXX Imprimé en France © Tous droits réservés

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> les études de l’Adami

L’artiste-producteur en France en 2008 ÉTUDE RÉALISÉE POUR LE COMPTE DE L’ADAMI PAR AYMERIC PICHEVIN janvier 2009

Fin 2007, le groupe de rock britannique Radiohead vendait son nouvel album « In Rainbows » en exclusivité sur son site Internet ; le groupe américain Nine Inch Nails, en fin de contrat avec sa maison de disques, décidait quant à lui de voler de ses propres ailes. Ces deux événements, portés par des artistes majeurs, ont braqué les projecteurs sur un phénomène apparu massivement il y a plus de vingt ans : l'autoproduction. Avec la crise du disque et le déferlement d'outils numériques à sa disposition, l'artiste est-il destiné à produire et diffuser son propre travail, remettant en cause les fondamentaux de la filière musicale ? L'étude présente a voulu évaluer pour la première fois la réalité du phénomène en France, via une batterie d'indicateurs statistiques et une enquête approfondie sur le terrain. Il en ressort que le phénomène est massif et monte en puissance, provoquant d'ores et déjà des changements profonds dans le mode de fonctionnement du secteur. Les relations entre les différents professionnels de la musique sont en pleine évolution – l'artiste en sera probablement plus que jamais le pilote.

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