Le Cinema Français Aujourd'Hui

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textes en français facile/CIVILISATION

Le cinéma français aujourd'hui Nicole McBRIDE Polytechnic of North London

LIBRAIRIE HACHETTE 79, boulevard Saint-Germain/PARIS (6e)


Photographie du film « Touchez pas la femme blanche », de Marco Ferreri Photographie du film «Les deux Anglaises et le continent», de François Truffaut.


Photographie du film « Le Genou de Claire », d'Éric Rohmer.


Photographie du film « Lacombe Lucien », de Louis Malle.

© Librairie Hachette .

1974.

La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux larmes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective H, et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit nu ayants cause, est illicite " (alinéa 1er de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.


Les Français et le cinéma Le cinéma semble avoir une place très importante dans la vie moderne. Tous les jours, les journaux, la télévision, la radio parlent de nouveaux films, il y a la queue devant les cinémas. Mais en 1972, on rencontre une forme de publicité nouvelle : elle ne demande pas aux Français d'aller voir le dernier film de Jean-Luc Godard, ni un film avec Louis de Funès ou Jean-Paul Belmondo, mais simplement d'aller au cinéma. « Quand on aime la vie, on va au cinéma », lit-on. Le cinéma traverserait-il des temps difficiles ?2 En 1961, il y avait eu 328 millions de billets vendus, en 1974, il n'y en a plus que 178 millions. Quelles sont les raisons de ce changement ? On pense tout de suite à la télévision. Il y a de plus en plus de gens qui regardent la télévision — 30 millions est le chiffre le plus souvent donné — et surtout les programmes du samedi soir ou du dimanche ; ce sont les moments que les Français choisissaient le plus souvent pour aller au cinéma. La télévision est sans aucun doute la plus grande salle de cinéma française, mais est-ce seulement pour cela que les Français ne vont pas au cinéma ?

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Demandons au public. M. X. Bonjour Madame, excusez-moi, pourriez-vous répondre à quelques questions sur le cinéma ? Mme A. Oui. . . M. X. Allez-vous souvent au cinéma ? Mme A. Non, avec de jeunes enfants, vous savez, c'est presque impossible. M. X. Et vous, Monsieur ? M. B. Si vous croyez que j'ai le temps. . . M. X. Et le soir ? M. B. Le soir, je rentre du travail à sept heures et demie, je suis fatigué, je préfère aller me coucher ou regarder la télévision. M. X. Mademoiselle. . . Mlle F. Moi, je voudrais bien, mais les places sont trop chères : 10 francs, 12 francs ou même 15 francs pour voir un nouveau film, vraiment c'est trop cher. M. T. Je suis tout à fait d'accord. D'abord c'est cher et en plus, les films en ce moment n'en valent pas la peine. M. D. Oui, l'amour et les coups de poing, on en a assez ; moi, je préfère la pêche, on est plus tranquille. Ils sont plus de 50% de Français comme cela. La dernière enquête faite en 19691 montre que seulement 47,7% des Français de plus de quinze ans sont allés au cinéma au moins une fois dans les douze derniers mois. Dans ces 47,7%, il y en a : 11,4% 29,4% 21,4% 37,8%

qui vont au cinéma

1 fois 1 à 3 1 fois moins

par semaine. fois par mois. tous les 2 ou 3 mois. souvent.

1 Faite part le centre d'études des supports de publicité. 6


Pourquoi vont-ils au cinéma ? Pour une bonne partie de ces spectateurs, c'est avant tout « une raison pour sortir » avec ou sans ami, de « voir du monde ». Au cinéma, ils cherchent ou bien « à oublier la vie », à rire, « surtout pas de films tristes, la vie est déjà assez triste », ou au contraire, « ce qui est vrai, près de la vie » ; enfin certains veulent apprendre quelque chose, « un film, ça doit faire penser ; il faut qu'il vous reste quelque chose après ; aller au cinéma, c'est être de son temps et avec son temps ».

Qu'est-ce que les spectateurs sont allés voir entre 1961 et 1972 ? — La Belle Américaine (R. Dhéry) 1961 — La Guerre des boutons (Y. Robert) 1962 — Mélodie en sous-sol (H. Verneuil) 1963 — La Cuisine au beurre (G. Grangier) — Le Gendarme de Saint-Tropez (J. Girault) 1964 — Le Corniaud (G. Oury) , 1965 — La Grande Vadrouille (G. Oury) 1966 1967 — Oscar (E. Molinaro) — Le Petit baigneur (R. Dhéry) 1968 — Le Gendarme se marie (J. Girault) — Le Cerveau (G. Oury) 1969 1970 — Le Cercle rouge (J.-P. Melville) — Borsalino (J. Deray) — Mourir d'aimer (A. Cayatte) 1971 — La Folie des grandeurs (G. Oury) — Les Bidasses en folie (C. Zidi) 1972 - Rabbi Jacob (G. Oury) 1973 7


Quels films aiment-ils ?

Les films drôles

78%

Les films policiers ou d'espionnage . . . . 73%

Les westerns

71%

Les films sur l'histoire

66%

Les films sur de grands problèmes

8

de notre temps

61%

Les dessins animés

58%

Les films d'amour

51%

Les films de guerre

49%

Les comédies musicales

41%

Les films d'épouvante ou de science fiction

34%


Qu'est-ce qu'un film ? Production Producteur délégué Scénario et dialogues

D'après le roman « L'horloger d'Everton « de Réalisation Musique

LIRA-FILMS (1973) RAYMOND DANON JEAN AURENCHE PIERRE BOST BERTRAND TAVERNIER GEORGES SIMENON BERTRAND TAVERNIER PHILIPPE SARDE

INTERPRETATION Michel Descombes Commissaire Guibout Antoine Edouard Officier de police Bricard

Costes Janine Boltard L'avocat Bernard Descombes Madeleine Fourmet Martine Liliane Torrlni L'adjoint de Bricard La secrétaire La femme de ménage Les plombiers Les casseurs Lemercler Le juge d'Instruction La femme interviewée Le speaker-télé Johannès Papa Chauvin La petite fille du train

PHILIPPE NOIRET JEAN ROCHEFORT JACQUES DENIS JULIEN BERTHEAU YVES AFONSO JACOUES HILLING CLOTILDE JOANO WILLIAM SABATIER SYLVAIN ROUGERIE ANDREE TAINSY CECILE VASSORT CHRISTINE PASCAL HERVE MOREL JACQUELINE COROT LIZA BRACONNIER HENRI VART LOUIS MORARD HENRI PASQUALE JCHNNY WESSELER ANDRE SAN FRATELLO S A C H A BAUER JANINE BERDIN JEAN MARIGNY BERNARD FRANGIN PAPA CHAUVIN TIFFANY TAVERNIER

EQUIPE TECHNIQUE Chef opérateur Cameraman Décorateur Monteur Script girl Ingénieur du son Chef machiniste Chef électricien

Habilleuse Assîstants-réalisateurs

Directeur général de la production Directeur de production Régisseur général Photographe de plateau Attaché de presse Distribution Procédé Ecran Durée Sortie

PIERRE WILLIAM GLENN WALTER BAL JEAN MANDAROUX A R M A N D PSENNY ELIANE B A U M HARALD MAURY ALBERT BONOMI RENE ROCHERA YVETTE BONNAY CLAUDE OTHNIN-GIRARD LAURENT HEYNEMANN

RALPH B A U M ANDRE HOSS ROGER FERA ETIENNE GEORGE JEAN-CLAUDE MISSIAEN PATHE-CFDC-SIRIUS (Paris) Eastmancolor 1 x 1.66 1 h 45 le 16 janvier 1974 à Paris aux cinémas : Concorde I, Français, Caravelle, Cambronne, Montparnasse, Victor-Hugo, Saint-Germaln-Village.

Ce film a obtenu le « P R I X LOUIS DELLUC 1974»

Un film, c'est des idées et de l'argent. C'est aussi le travail de tous ces gens qui ont leur nom à la fin d'un film.

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Les acteurs et l'équipe technique se préparent à faire le film, à le tourner. Il y a le chef opérateur qui est le directeur de la photographie, il s'occupe de la lumière sur les acteurs et les décors que la caméra va filmer ; l'architecte-décorateur qui s'occupe des décors ; l'ingénieur du son. Ils sont aidés par des assistants, des cadreurs, des machinistes.

Le clapman vient de dire le nom du film et le numéro du plan. On tourne, en studio (à l'intérieur) ou « en extérieurs ». C'est ce qu'on appelle le premier tour de manivelle (même si maintenant les caméras n'ont plus de manivelle). Le réalisateur, aussi appelé metteur en scène, doit se faire comprendre de tous : des techniciens comme des acteurs. La script-girl est toujours là : elle décrit tout ce qui se passe sur le plateau. Elle doit tout voir, par exemple que cet acteur n'avait pas de pipe quand il a commencé à tourner cette scène et qu'il en a maintenant une. 12


L'équipe de réalisation ( o u de mise en scène) Les scénaristes, les acteurs, les techniciens ne sont employés que pour le tournage d'un seul film. De même, le producteur ne loue les studios et les laboratoires que quand il en a besoin. La censure en France La commission de contrôle des films comprend 26 personnes choisies par le gouvernement. Elle donne un avis mais la décision, à la fin, est prise par le ministre des Affaires culturelles. Quand la commission de contrôle donne-t-elle son avis ? avant la réalisation du film, ' souvent, sur scénario ; - après la réalisation, pour tous les films. Que peut-elle faire ? - elle peut défendre que le film passe en France ou à l'étranger ; - elle peut faire des coupures, c'est-à-dire enlever certaines parties du film ; - elle peut ne pas permettre que les moins de 13 ans ou les moins de 18 ans voient le film. Qu'a-t-elle fait entre 1972 et 1974 ? Films interdits aux : Films présentés à la commission

1972

1973

1974

Français Étrangers Total Français Étrangers Total Français Étrangers Total

187 458 645 211 512 723 245 524 769

- de

- de

13 ans

18 ans

Totalement

37 84 121 52 118 170 98 146 244

1 8 9 2 9 11 0 3 3

24 67 91 19 79 98 19 119 138

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Ce que nous voyons sur l'écran.

Un plan d'ensemble

Un plan moyen

Un plan américain

Un gros plan

Une contre-plongée Le plan est la partie de film prise entre le moment où la caméra commence à filmer et le moment où elle s'arrête. 16


Les réalisateurs ont la parole La façon de faire un film change beaucoup d'un réalisateur à l'autre. L'un préférera écrire ses dialogues et même son scénario lui-même (Lelouch, Tati), l'autre laissera tout cela à un scénariste (Carné, Resnais). L'un voudra que tout soit écrit avant le tournage (Clair, Bresson, Resnais), l'autre travaillera au jour le jour (Renoir, Godard, Chabrol) ; l'un laissera ses acteurs très libres (Godard), l'autre leur demande ce qu'il veut et rien d'autre (Clouzot, Bresson). Certains préféreront filmer eux-mêmes (Lelouch), d'autres au contraire pensent qu'il faut « laisser la technique aux vrais techniciens » (Chabrol). . . On pourrait presque dire qu'il y a autant de façons de faire un film que de réalisateurs. Savez-vous que. . . Il y a une école: l'I. D. H. E.C. (Institut des Hautes Études Cinématographiques) qui prépare aux métiers du cinéma et de la télévision. La Bibliothèque de l'I.D.H.E.C. est ouverte à tous, de 14 heures à 18 heures 30, tous les jours sauf le samedi. Son adresse : 92, Champs-Elysées, PARIS. 17


Éric Rohmer (né en 1920) Critique de cinéma, longtemps à la tête des Cahiers du Cinéma, il réalise avec très peu d'argent son premier long métrage en 1959 : « Le Signe du lion ». C'est un « auteur » au sens que lui donnera la nouvelle vague : il fait lui-même ses scénarios, leur découpage, les dialogues et la mise en scène et s'occupe quelquefois aussi du montage. Ce qu'on remarque tout de suite chez Rohmer, c'est le côté intellectuel. Il n'a pas peur de filmer un long dialogue sur l'amour ou sur la religion. On parle beaucoup dans ses films, mais jamais trop. Là où Bresson se sert du silence, Rohmer fait parler ses acteurs. Ses films ne sont pas faits pour ceux qui veulent du mouvement. Parlant de « Ma Nuit chez Maud », un journaliste écrivait : « On se croirait revenu au XVIIIe siècle » ; et un autre: « Mais ce n'est pas du cinéma. . . » Éric Rohmer a même été jusqu'à faire de ses six derniers films, six leçons de morale. Il les appelle « contes moraux ». Leur histoire est toujours la même : un homme déjà marié (« L'Amour l'après-midi », 1972) ou sur le point de faire sa vie avec une femme (« Le Genou de Claire », 1970, « Ma nuit chez Maud », 1969) en rencontre une autre à qui il s'intéresse mais qu'il finira toujours par laisser pour la première. Les Petites filles modèles (1952), Le Signe du lion (1959), Six contes moraux (1962/1965). 20


Jean-Luc Godard (né en 1930) « Je ne fais pas seulement du cinéma quand je tourne, je fais mes films. . . quand je déjeune, quand je lis, quand je parle avec vous. » Un film, pour Godard, c'est la vie vue de tous les côtés. C'est pourquoi il est difficile d'y trouver une histoire. Ce sont des images et des sons avec lesquels il essaye de trouver une nouvelle langue qui sera la vie. Il semble se moquer de ce que le public pense. Chaque film pour lui est un pas en avant dans ce sens. Dans « Le Gai savoir », il fait dire à Jean-Pierre Léaud : « Ce film, ce n'est pas le film qu'il faut faire, mais il montre le chemin par où il faut passer pour faire un film. » Tout mettre dans un film, c'est le faire au jour le jour, le scénario n'est jamais fini. Écoutez ce que dit Marina Vlady : « Je crois que pour un comédien en face de Godard, il ne faut pas se poser de problèmes, il faut se laisser aller. Je n'ai. . . pas de texte 1 à apprendre. Jean-Luc me dit ce texte au moment de tourner la scène. Je ne suis pas étonnée. . . Nous avons beaucoup travaillé "ensemble avant la réalisation du film. . . et je crois savoir ce qu'il veut faire. » A bout de souffle (1959), Une Femme est une femme (1960). Le Petit soldat (1961), Vivre sa vie (1963), Les Carabiniers (1963), Le Mépris (1964), Une Femme mariée (1964), Pierrot le fou (1965), Alphaville (1965), Deux ou trois choses que je sais d'elle (1966), La Chinoise (1967), Week end (1967), Tout va bien (1972). 1 Dialogue


François Truffaut (né en 1932) D'abord critique de cinéma, il n'a pas peur de dire tout ce qu'il pense ; en 1959, il pose son stylo pour prendre une caméra et réalise « Les Quatre cents coups ». Il en écrit le scénario et les dialogues. Ce premier film est fait avec très peu d'argent et sans vedette. L'acteur principal, Jean-Pierre Léaud, est un jeune garçon de treize ans, Antoine Doinel, que l'on retrouvera dans plusieurs de ses films. Truffaut ne veut pas faire de films d'idées : « Je ne m'occupe pas des grands problèmes de notre temps », a-t-il dit. Ce qui l'intéresse c'est la vie de tous les jours, avec ses petits problèmes, bien sûr. Un jour, il a dit qu'il cherchait à faire de ses films un spectacle où il n'y a jamais deux mêmes numéros l'un après l'autre, pour ne pas déplaire au public. II dit aussi qu'il s'intéresse d'abord aux personnages. Dans « Baisers volés », Delphine Seyrig dit à Jean-Pierre Léaud : « les gens sont formidables » et c'est un peu ce que Truffaut essaye de nous montrer dans ses films.

Les Quatre cents coups (1959), Tirez sur le pianiste (1961), Jules et Jim (1961), La Peau douce (1964), , Farenheit 451 (1966), La Mariée était en noir (1967), Baisers volés (1968), La Sirène du Mississippi (1969), L'Enfant sauvage (1969), Les Deux Anglaises et le continent (1971), Une belle fille comme moi (1972), La Nuit américaine (1973). Histoire d'Adèle H (1975), L'Argent de poche (1975).


Claude Chabrol (né en 1930) Très aimé puis très critiqué, il a été le premier des cinéastes de la nouvelle vague à produire un film : « Le Beau Serge » (1958) ; il monte ensuite sa maison de production, aide ses amis, mais doit aussi quelquefois faire des films rien que pour l'argent. Ses films nous présentent la bourgeoisie avec son ordre et surtout ses désordres, souvent causés par l'arrivée d'une troisième personne — Why-Frédérique-Paul, dans « Les Biches » (1967), Charles-Hélène-Théo, dans « La Décade prodigieuse » (1971). Il y en a toujours une en trop, une qui finira par mourir. Le monde n'est pas toujours beau et Chabrol ne nous cache rien, mais il n'oublie pas l'humour non plus. Il aime que ses acteurs ne travaillent pas trop « en dedans ». « Il faut montrer les choses, sans ça les gens ne comprendront rien. » Ce qui l'intéresse avant tout, c'est « de mettre la caméra au bon endroit » et sur ce terrain, Chabrol est devenu un maître. Ce qui fait sa force, c'est qu'il construit l'image à partir du jeu de ses comédiens : ainsi pour Michel Bouquet dans « la Rupture » (1970) « La Femme infidèle » (1968). « Les acteurs, dit-il, on ne les dirige que quand on s'est trompé dans son choix. . . autrement, il suffit de les laisser aller. » Il aimerait pouvoir toujours travailler avec le même groupe d'acteurs. Sa femme, Stéphane Audran, joue dans presque tous ses films. D'autres films : Les Cousins (1959), A Double tour (1959), Les Bonnes femmes (1959), La Ligne de démarcation (1966),

Le Boucher (1969), Que la bête meure (1969), Juste avant la nuit (1970), Les Noces rouges (1973), Nada (1974).


... Et maintenant les acteurs Si l'on demande aux gens qui font la queue devant un cinéma le nom du réalisateur du film qu'ils viennent voir, il n'y en a pas beaucoup qui pourront répondre, mais ils sauront tous qui ils vont voir sur l'écran. Ils font la queue parce que De Funès est en tête d'affiche et qu'ils veulent rire, ou parce qu'ils ont aperçu le joli visage de Catherine Deneuve. Pour la plus grande partie des spectateurs, un film, c'est avant tout ce qu'ils voient sur l'écran, c'est-à-dire des acteurs et des actrices qui jouent bien ou qui jouent mal. Pour l'acteur, ce que pense le public peut être très important : plus il plait au public, plus les producteurs sont prêts à bien le payer, et plus l'acteur peut choisir ses rôles.


Alain Delon Il est beau, presque trop beau, disent certains. Mauvais garçon dans ses films, il l'a aussi été dans la vie. Il est venu au cinéma sans le chercher ou, comme il dit, le cinéma « lui est tombé dessus ». Il a toujours eu envie d'autre chose que de ce qu'il avait : il ne se plaît nulle part, surtout pas à l'école ou dans la charcuterie de son beau-père, pas non plus en Indochine (il était entré dans l'armée). A 22 ans, il se retrouve à Paris où il fait différents métiers et a affaire plusieurs fois avec la police. C'est alors qu'Allégret lui donne une chance dans « Quand la femme s'en mêle » avec Edwige Feuillère. La caméra ne va plus quitter son nouveau jeune premier. Il joue avec Jean-Claude Brialy, Jean-Paul Belmondo, Jean Gabin et tourne beaucoup : « Sois belle et tais-toi » (1958), « Rocco et ses frères » (1960), « Le Samouraï » (1967), « La Piscine » (1969), « Le Cercle r o u g e t (1972), « L e Gitan» (1976). Il connaît aussi la grande vie ; Romy Schneider ne le quitte plus, elle sera quand même remplacée par Nathalie, qui devient sa femme, puis par Mireille Darc. En 1970, il décide de produire ses films lui-même. « Borsalino » sera très bien reçu par le public. Alain Delon est maintenant un grand acteur, mais il garde son image de mauvais garçon. Avec lui, on ne sait jamais où s'arrête la vie et où commence le cinéma. 25


Annie Girardot Annie a toujours eu envie de faire du théâtre et elle a 18 ans quand ce jour vient. Elle est infirmière. Cinq ans plus tard, en 1954, elle sort du conservatoire avec deux premiers prix. Elle entre aussitôt à la Comédie-Française. Une pièce de Cocteau, « La Machine à écrire », la fait vite connaître et le cinéma vient à elle. Peu de temps après, elle quitte la Comédie-Française. Maintenant libre, elle peut tout faire. Annie Girardot est une bonne actrice — tout le monde le dit — mais elle est trop gentille. Quand un ami lui offre un rôle, elle ne cherche pas à savoir si c'est un bon film, elle dit oui, et ce n'est pas toujours le meilleur choix. Pendant quelques années, elle va connaître des hauts et des bas, les producteurs ne croient plus en elle, mais ça ne fait rien. Ce qui compte pour elle, ce sont ses amis et sa fille Guilia. Elle retrouve enfin sa place dans le cinéma français avec « Rocco et ses frères » (Visconti), « Vivre pour Vivre » (Lelouch) et surtout en 1970 avec « Mourir d'Aimer » (Cayatte) — l'histoire vraie d'une jeune professeur qui aime un de ses élèves et finira par se tuer dans un monde qui la juge trop. Depuis, c'est le succès. Un des derniers : « Docteur Françoise Gailland ». Quand on lui demande pourquoi elle réussit si bien, elle répond : « C'est sans doute parce que je ne suis pas une vedette ». 26


Jeanne Moreau C'est Louis Malle qui lui donne sa première chance au cinéma avec « Ascenseur pour l'échafaud » (1956). Après cela, c'est « Les Amants », toujours avec Louis Malle, en 1958, puis les « Liaisons dangereuses » (1959) avec Vadim et « Jules et Jim » (1961) avec Truffaut. Elle devient une des actrices préférées de la Nouvelle Vague. Comme dira un journaliste, «elle a la chance d'avoir 30 ans vers 1960 et de conserver cet âge au cinéma jusqu'en 1968 ». Elle tourne beaucoup ; un film, deux films, quelquefois trois films par an. C'est la vie qu'elle veut : passer son temps à être quelqu'un d'autre. Elle ne joue pas vraiment, elle change de vie à chaque rôle. Elle ne choisit pas ses films, pour elle, ce qui compte, c'est le réalisateur, l'homme qui va lui donner une autre vie. Il faut qu'elle s'entende avec lui. C'est pourquoi elle aime tourner avec des amis : avec Truffaut, Antonioni ( « L a Notte »), Malle, Vadim. . . Depuis 1976, elle n'est plus seulement actrice (et chanteuse), elle est aussi réalisatrice. Son premier film « Lumière » montre la vie de quatre comédiennes. C'est un film de femme sur les femmes, le film d'une comédienne sur son métier.


Louis de Funès Même très jeune, Louis de Funès fait rire autour de lui, à l'école comme à la maison. Plus tard, quand il commence à travailler, il s'amuse trop et finit toujours par devoir changer de métier. Pendant la guerre, il décide de devenir comédien, mais ses débuts sont très difficiles. Il se marie et pour gagner un peu d'argent, il joue du piano dans un cabaret, de 5 heures de l'après-midi à 5 heures du matin, et aussitôt qu'il a un moment de libre, il court de studio en studio pour trouver des petits bouts de rôles. Il fait de tout, — rien de grand — mais se fait connaître du monde du théâtre et du cinéma. En 1956, la chance va lui sourire avec « La Traversée de Paris ». A 49 ans (« Pouic-Pouic », 1963), il devient le roi du rire en France, et fait un film à lui tout seul. « Le Corniaud » (1965), « La grande vadrouille » (1966) avec Bourvil, les « Gendarmes », « La Folie des grandeurs » (1971) ont tous fait mourir de rire des salles de cinéma. De Funès, c'est l'exemple du Français qui n'est jamais content, du petit qui n'a pas peur des gros et qui le montre, mais pas seulement avec des mots. Il dit tout avec ses yeux, son front, sa bouche, avec son visage. Il remue tout le temps, il saute, il ne reste pas en place et les Français ne peuvent s'empêcher de rire en le voyant.


Brigitte Bardot C'est sans doute l'actrice française la plus connue. Elle a été lancée en 1956 par Vadim (qui fut son premier mari) dans « Et Dieu créa la femme ». Elle est alors différente des autres ; sa voix lente et « sexy », ses lèvres molles, ses dents bien blanches, son regard droit. . . font que, bientôt, on ne l'aime pas, on l'adore, ou on ne peut pas la voir. Des armées de photographes vont la suivre. Une semaine ne passe pas sans que l'on parle d'elle dans les journaux. On sait tout sur elle, son poids: 52 kg, combien elle mesure: 1,68 m, le nombre de ses mariages : 3, le nom de son dernier amour, même s'il ne dure que quelques jours. Depuis 1956, elle a fait 56 films : « Les Bijoutiers du clair de lune » (1958), « Babette s'en va-t-en guerre » (où elle rencontre son deuxième mari : Jacques Charrier), « La Vérité » (1960), « Le Mépris » (1963), « Viva Maria » (1965), « Les Pétroleuses » (1971). Vadim la retrouve 16 ans plus tard pour « Et si Don Juan était une femme ». Ce n'est plus Brigitte, ce n'est plus B.B., mais Bri-Bri ! 29


Yves Montand La vie n'a pas toujours été facile pour Yves Montand. Ses parents sont chassés d'Italie quand il a deux ans et à 11 ans, il travaille déjà dans une usine. Il fait plusieurs métiers et chante à Marseille par plaisir. En 1944, il' monte à Paris où il rencontre Edith Piaf et c'est le début de tout pour lui. Sa vie se partage bientôt entre la chanson et le cinéma. En 195 3, il tourne « Le Salaire de la peur » de Clouzot. C'est aussi l'année des « Sorcières de Salem » avec Simone Signoret, sa femme depuis 1951. Il fait plusieurs films à Hollywood, joue avec Ingrid Bergman, Marilyn Monroe, Shirley McLaine et Barbara Streisand. Il a maintenant arrêté de chanter mais prend une place de plus en plus sûre à l'écran, où il tient des rôles très différents les uns des autres. « Comment choisissez-vous vos films ? — J'ai fait « César et Rosalie » parce que Sautet réalisait le film et que j'allais pouvoir jouer avec Romy Schneider. D'autres fois, c'est pour des raisons différentes : par exemple après « La Guerre est finie », « Z », « Le Diable par la queue », « L'Aveu », « Le Cercle rouge », Gérard Oury m'a demandé si je voulais tourner « La Folie des grandeurs ». J'ai dit oui. On n'a pas compris que je passe de « Z », un film politique, à « La Folie des grandeurs », un film comique. Pourquoi ? C'est une autre façon de se remettre en question. »


Jean-Louis Trintignant Pour le public, c'est le gentil Trintignant. En quinze ans (son premier rôle est celui du fiancé de B.B. dans « Et Dieu créa la femme »), il a fait plus de cinquante films qui lui donnent la liberté de choisir ce qu'il fait. En 1966, c'est « Un Homme et une femme » puis « Ma nuit chez Maud », ensuite il y a « Le Voyou », « Le Conformiste » (celui qu'il préfère), « L'Attentat » . . . et les films de sa femme, Nadine. « Comment voyez-vous votre métier d'acteur, Jean-Louis ? — Moi, j'apprends mon métier avec les enfants. Quand les enfants jouent, ils sont très vrais mais ils savent qu'ils jouent. Quand ils sont en plein jeu et que leur mère les appelle pour leur donner du pain et du chocolat, ils prennent leur morceau de pain et ils recommencent à jouer. Quand j'arrive à jouer avec eux et qu'ils oublient que j'ai 40 ans, je me dis : je deviens un grand comédien. — Et maintenant, vous tournez encore un film, pourquoi faire un film vous-même ? — Il y a 20 ans que j ' y pense. Vous comprenez, dans un film, c'est le metteur en scène qui décide. — Est-ce que nous ne verrons plus Jean-Louis Trintignant acteur seulement ? — Si, bien sûr. Le metteur en scène est toujours un peu seul, l'acteur lui, en travaillant avec plusieurs metteurs en scène, prend à chacun ce qu'il a d'intéressant et devient meilleur. » 31


Catherine Deneuve Catherine Deneuve est née sous une bonne étoile. De la chance, elle en a eu et elle en a encore. Ses parents étaient déjà dans le théâtre et sa sœur, l'actrice Françoise Dorléac, lui fera avoir son premier rôle à 15 ans. Trois ans plus tard (1964), elle tourne « Les Parapluies de Cherbourg ». Cette jolie blonde qui se tient bien droite, qui a toujours l'air loin de vous, plaît beaucoup au public, et à partir de ce moment-là, elle est prise au jeu. On va la retrouver dans les films de Vadim : « Le Vice et la vertu » (1963) (il voudra en faire sa femme mais Catherine Deneuve ne tient pas au mariage, elle ne gardera de lui qu'un fils) ; de Buñuel :« Belle de jour », de Rappeneau : « La Vie de château », de Polanski : « Répulsion », de Truffaut : « La Sirène du Mississippi », de Ferreri : « Liza ». . . « Vous pourriez jouer un rôle où vous ne seriez pas belle ? — Ce serait difficile, me faire plus vieille peut-être mais à 30 ans, j'ai le temps. . . — Et vous avez déjà tourné une trentaine de films. — Oui et on apprend quelque chose avec tous les films. Ce qu'il faut dans la vie, c'est être libre, libre de choisir, libre comme un homme. — Que voulez-vous le plus ? — Devenir la deuxième meilleure actrice du monde. Ainsi, il me restera toujours une place à gagner. Je n'arrêterai jamais de me battre. » 32


Jean-Paul Belmondo Chapeau mou, lunettes noires, cigarette à la bouche, c'est Jean-Paul Belmondo dans « A bout de souffle » ; prêtre tranquille et simple, le voici dans « Léon Morin prêtre » (Melville) ; mauvais garçon, il l'est souvent : « Cartouche » (P. de Broca), « Le Doulos » (Melville), « 100 000 dollars au soleil » (H. Verneuil) et même quelquefois gangster : « Le Voleur » (1966), « Le Cerveau » (1968), « Borsalino » (1970). Il n'a jamais peur du danger, c'est même souvent un vrai casse-cou (« L'Homme de Rio », « Les Tribulations d'un Chinois en Chine ».) Le cinéma pour lui, c'est l'action.» Je ne prends pas ces rôles pour rester dans un fauteuil », dit-il. Il a une tête impossible. . . Tout le monde dit qu'il n'est pas beau, mais il plaît. Il joue avec les plus belles actrices : Jean Seberg, Ursula Andress (les journaux ont beaucoup parlé d'eux), Marlène Jobert, Claudia Cardinale, Anna Karina, Annie Girardot, Jeanne Moreau. . . Les gens du cinéma croiront longtemps qu'il n'est pas fait pour l'écran. . . II faudra « A bout de souffle » pour qu'ils se tournent vers lui. Depuis, il a joué dans des films de Sautet, Chabrol, de Broca, Melville, Verneuil, Malle, Truffaut, Resnais. . . sans oublier Godard, bien sûr ; en tout, 56 films en quinze ans, certains meilleurs que d'autres, mais « Bébel » n'aime pas dire non à ses amis. « L'important, c'est de travailler en s'amusant, dit-il, avec des cinéastes qui ne se prennent pas au sérieux. »


Jean Yanne Un des Français qui ont fait le plus parler d'eux. . . et qui parlent le plus. Il n'a pas peur de dire ce qu'il pense, et avec les mots les plus forts. Il peut être méchant, impossible (comme dans « Que la bête meure ») et content de l'être et quelquefois en même temps, agréable (« Le Boucher » de Chabrol, « Nous ne vieillirons pas ensemble » de Pialat). Il dit qu'il ne croit pas au métier d'acteur : « Moi, j'ai l'œil mort, alors je baisse un peu la tête et je suis triste. . . s'il faut que je fasse rire un peu, je la lève un peu, ça passe, mais le reste. . . » Il préfère la mise en scène. Maintenant il produit lui-même ses films ; son premier : « Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil » a rempli les salles. Jean Yanne, c'est le Français qui est tout le temps pour ce qui est contre et contre ce qui est pour. Il n'est pas content de la vie, il ne veut pas être commandé mais il ne pourrait pas vivre dans un autre monde. . . C'est pour voir cette nouvelle image d'euxmêmes que des Français vont au cinéma chaque fois qu'ils voient le nom de Jean Yanne à l'affiche, chaque fois qu'ils ont un peu besoin d'humour. 34


Tout a c o m m e n c ĂŠ en 1895... Du documentaire au spectacle


C'est le 28 décembre 1895 que les Frères Lumière ont donné leur première représentation à Paris. Peu de temps après, un public nombreux venait voir dix petits films de deux minutes chacun : « L'Arrivée du train en gare », « La Sortie des usines. . . » Pour les Frères Lumière, le cinéma est un moyen de « refaire » la vie ; le décor est naturel et même si, dans «L'Arroseur arrosé»,'"on trouve déjà un scénario, ils font avant tout des documentaires. Méliès, lui, va faire du cinéma un spectacle. Directeur de théâtre, il va apporter au cinéma tout ce que le théâtre peut lui donner et en faire un monde de poésie où on montre ce qui est là mais aussi ce qui ne l'est pas. Il filme surtout en studios, il fera plus de deux mille films. On revoit toujours avec plaisir son « Voyage dans la lune ». A partir de ce moment-là, deux chemins s'offrent au cinéma : le documentaire et le spectacle.

Le cinéma, industrie ou art ? C'est alors que s'ouvrent à Paris deux grandes maisons de production : Pathé et Gaumont, qui vont faire du cinéma une industrie. . . Zecca qui travaille pour Pathé lance les films policiers, qui plaisent tout de suite beaucoup. Gaumont a aussi ses réalisateurs : Feuillade qui fait un film en plusieurs épisodes ou parties : « Fantômas » ; Emile Cohl à qui on doit les premiers dessins animés avec son personnage « Fantoche ». Gaumont produit à peu près vingt films par mois. On porte à l'écran beaucoup de pièces de théâtre. . . Tous les films qui sortent se ressemblent. En 1908, un nouveau film, « L'Assassinat du Duc de Guise », joué par des acteurs de la Comédie-Française, va essayer de faire 36


du cinéma un art. Les acteurs étaient bons mais ils jouaient sur un plateau comme sur une scène de théâtre. Le cinéma connaît alors sa première vedette, Max Linder, l'acteur comique le plus connu non seulement en France mais aussi dans le monde. Avant la première guerre mondiale, le cinéma français avait 70% de la production de films dans le monde. Avec la guerre, les films américains arrivent en Europe et vont porter un coup terrible à la production française. Beaucoup de studios ferment leurs portes, le cinéma français doit changer. Le temps de l'image Louis Delluc écrit alors dans « Paris-Midi », sur le cinéma. Il demande un cinéma qui soit du cinéma et non pas un outil de la littérature ou du théâtre. Autour de lui on trouve Abel Gance par exemple. Pour lui, «le temps de l'image est venu». Dans « La Roue », long film sur le chemin de fer, il se sert du montage accéléré (qui fait passer les images plus vite) ; pour « Napoléon », il essaie aussi de nouvelles choses : la caméra ne reste plus toujours au même endroit, ainsi, il va la mettre sur un cheval pour que les spectateurs pensent être avec Napoléon. En 1927, il présente un film sur trois écrans. C'est déjà l'idée de l'écran panoramique qui nous viendra des États-Unis trente ans plus tard. Marcel Lherbier fait aussi partie de ce groupe. Pour lui ce qui compte dans « Eldorado », dans « L'Argent », ce n'est pas l'histoire mais la photo. Tous ces metteurs en scène apporteront quelque chose à la technique du cinéma, mais le public trouve leurs films trop longs et sans histoire. 37


L'Avant Garde Le cinéma français continue quand même dans ce sens-là. Vers 1920, « l'Avant-garde » s'intéresse aussi à un public intellectuel. Ces réalisateurs sont pour des films sans histoire ; ils font partie du mouvement « dada » qu'on retrouve en littérature. Un de leurs meilleurs films est celui de René Clair : « Entr'acte » (cf. Fiche 1, p. 50). Le cinéma parlant Pendant ce temps, vers 1929, ce sont les débuts du cinéma parlant aux États-Unis. Des maisons de production étrangères viennent s'installer à Paris et produisent un grand nombre de films. Ils sont parlants, mais c'est la seule chose qu'ils ont pour eux. Les années trente René Clair commence par être contre le cinéma parlant mais il devient vite un de ceux qui aident le cinéma à ne pas seulement mettre du théâtre « en boîte ». En 1930 il fait « Sous les toits de Paris » qui est très bien reçu partout ; puis ce sera « A nous la liberté » et « Le Million ». Son prochain film ne plaira pas et René Clair partira pour l'Angleterre. C'est au même moment que la France perd Jean Vigo. De Jean Vigo, on connaît surtout « Zéro de conduite » où il montre la vie des élèves dans un collège de petite ville et ce qui coupe le monde des grandes personnes du monde des enfants. Il sait donner de la poésie à tout. Mais ce ne sont pas les seuls grands noms des années trente. A côté des réalisateurs, on trouve des scénaristes : Charles Spaak, qui va écrire des scénarios pour Jacques Feyder : « Le Grand jeu », « Pension Mimosa», et pour Duvivier «La Bandera», « Carnet de bal ». Dans tous ces scénarios, le milieu 38


Photographie du film « La Belle et la bête », de Jean Cocteau.

où se trouvent les personnages a beaucoup d'importance. Jacques Prévert écrira de très beaux dialogues presque toujours pour Marcel Carné. On pourrait dire que leurs films sont toujours noirs : la mort empêche l'amour entre l'homme et la femme, entre Jean Gabin et Michèle Morgan dans « Quai des Brumes », entre Jouvet et Arletty dans « Hôtel du Nord ». Jean Gabin met un nouveau personnage en vedette sur les écrans : l'ouvrier que l'on retrouve non seulement dans les films de Carné mais aussi dans « La belle équipe » de Duvivier et dans « Le crime de Monsieur Lange » de Renoir. Jean Renoir était déjà connu au temps du cinéma muet. Il part quelquefois de romans de Zola (« Nana », 1926 ; « La Bête humaine », 1938) et dans ses films, la vie de ses personnages est 39


commandée par le milieu d'où ils viennent. En 1939, quand la guerre commence, il finit « La règle du jeu » (cf. Fiche 3). Pendant la guerre C'est le temps des premiers films en couleurs ; en France presque tous les studios ferment leurs portes. Ceux qui restent ouverts seront aux mains des Allemands. Beaucoup de réalisateurs quittent le pays pour Hollywood : Renoir, Clair, Duvivier. . . les acteurs suivent quelquefois. En 1941, les studios rouvrent leurs portes mais l'ennemi est là et les cinéastes qui sont restés vont chercher leurs scénarios dans le passé ou le fantastique. C'est ainsi que Marcel Carné réalise « Les Visiteurs du soir » puis « Les Enfants du paradis » et Jean Cocteau : « La Belle et la bête ». Ces temps difficiles permettront à de jeunes cinéastes de se faire connaître : Claude Autant-Lara avec « Goupi Mains rouges » qui est une histoire policière mais nous donne aussi un tableau très soigné de la vie du paysan et de son décor ; Robert Bresson avec « Les Anges du péché » (dialogue de Giraudoux), Jean Delannoy qui reprend l'histoire de Tristan et Yseult dans « L'Éternel retour » et HenriGeorges Clouzot avec un film policier : « Le Corbeau», l'histoire de celui qui écrit des lettres signées « le Corbeau » aux habitants d'une petite ville de France. Après la guerre La guerre est maintenant finie. Le nouveau départ sera difficile : dans les salles ce sont surtout des films américains qui passent et le public les aime. Mais, enfin libre, le cinéma va continuer son chemin. 40


Photographie du film « Le salaire de la peur », de H.G. Clouzot.

Les grands noms d'avant la guerre On retrouve bien sûr les grands noms d'avant la guerre. René Clair retrouve son public avec « Les Belles de nuit » (1952) et « Les Grandes manœuvres (1955). Marcel Carné a moins de chance : « Les Portes de la nuit » ne plait pas, et il aura beaucoup de mal à trouver de l'argent pour faire d'autres films. Jean Cocteau et Jean Renoir réalisent des films beaucoup plus jeunes et riches, ce qui leur donne une place à part. Jean Cocteau nous fait entrer dans un monde de poésie avec « Orphée » (1950) où Jean Marais suit partout celle qu'il aime : une employée de la mort. Jean Renoir continue à nous montrer deux « milieux » dans ses films : les acteurs et les riches dans « Le Carrosse d'or » (1952), les intellectuels et les paysans dans « Le Déjeuner sur l'herbe» (1959), les prisonniers et ceux qui les gardent dans « Le Caporal épingle » (1962). L'amour peut rapprocher ces deux mondes mais c'est souvent l'ordre premier qui gagne. Les cinéastes de la guerre Nous retrouvons aussi certains réalisateurs qui avaient fait leurs débuts pendant la guerre. René Clément par exemple fait d'abord des films de 41


guerre : « La Bataille du rail » (1946), « Jeux interdits » ( 1952). Henri-Georges Clouzot, lui, après « Quai des Orfèvres » et surtout « Le Salaire de la peur» (1953), devient vraiment le maître français du suspense. Ce dernier film est l'histoire de quatre hommes qui, contre beaucoup d'argent, doivent conduire des camions chargés d'explosifs. Le monde qu'il nous peint est dur, noir, sans amour. Ces réalisateurs adaptent beaucoup de romans : « Le Blé en herbe », « Le Rouge et le noir » (Claude Autant-Lara), « Le Salaire de la peur » (Henri-Georges Clouzot), « Gervaise » (René Clément), « Touchez pas au grisbi » (Jacques B e c k e r ) , « La Chartreuse de Parme » (Christian-Jacque), « La Symphonie pastorale » (Delannoy), etc. Ils travaillent surtout en studios et leurs films sont souvent sombres. Ils veulent être aussi vrais que possible mais leurs films ne changeront pas vraiment le cinéma, surtout que les producteurs ne leur laisseront pas toujours faire ce qu'ils veulent. Deux réalisateurs, — l'un, Bresson, a commencé aussi pendant la guerre, l'autre, Tati, fera son premier film en 1947, — semblent très différents des autres. Difficiles, ils ne tourneront que très peu de films et prendront tout leur temps pour ne faire que ce qu'ils veulent. Robert Bresson ne garde du scénario, du dialogue, des décors que ce qui permet un mouvement intérieur (cf. Fiche 5). Jacques Tati nous peint un comique, est beaucoup plus à voir qu'à entendre. Auteur-acteur dans « Jour de fête », dans « les vacances de Monsieur Hulot », « Mon oncle », il nous fait rire devant ce personnage un peu trop grand, qui n'a pas de chance. . . et qui quelquefois nous ressemble beaucoup (cf. Fiche 4). 42


Vers la nouvelle vague Un autre groupe de cinéastes va d'une façon ou d'une autre préparer l'arrivée de la nouvelle vague. Leurs noms ? Alexandre Astruc qui parle le premier de « caméra stylo » quand sort son film « Le Rideau cramoisi » en 1953 , Melville qui produit lui-même et sans décors « Le Silence de la mer » (1947) ; Vadim qui montre une nouvelle façon de vivre dans « Et Dieu créa la femme » (1956), et amène à l'écran Brigitte Bardot. La nouvelle vague 1959 est l'année de : Les Quatre-cents coups (Truffaut) A Bout de souffle (Godard) (Fiche 6, p. 55) Les Cousins (Chabrol) Hiroshima mon amour (Resnais) (Fiche 7, p. 56) Cette année-là plusieurs jeunes vont faire un film qui changera les habitudes des spectateurs et des producteurs. Ils ont pour nom : Vadim, Marcel Camus, Rouch, Malle, Franju, Chris Marker, Agnès Varda, Truffaut, Godard, Rohmer, Chabrol. . . Ils ont déjà presque tous fait des courts-métrages et viennent souvent des «Cahiers du Cinéma». Truffaut est le premier à écrire, dans ces « cahiers », contre les grands du « cinéma à Papa » et les autres suivront. Ils veulent, comme Astruc, que le réalisateur puisse se servir du cinéma pour pouvoir dire tout ce qu'il pense, comme un écrivain se sert de son stylo. C'est ce qu'il appelait la caméra-stylo. Ceci veut dire que c'est un même homme qui doit faire le scénario et réaliser le film : il devient alors «auteur». La nouvelle vague reconnaît quelques auteurs chez les anciens : Renoir, Bresson, Cocteau, Becker, Gance, Ophuls et Tati. 43


Ce qui a vraiment donné du poids aux idées de la Nouvelle Vague, c'est que ces critiques se sont mis à tourner des films eux-mêmes. Qu'ont-ils changé ?

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Avant la Nouvelle Vague

La Nouvelle Vague

— Comme un film coûte très cher, le producteur prête seulement son argent aux réalisateurs connus. Il a peur de ce qui est nouveau. Les jeunes ne peuvent qu'être assistants de ces réalisateurs pendant des années.

— Pour pouvoir faire ce qu'ils veulent et montrer aux producteurs qu'ils peuvent quand même réussir, les jeunes de la Nouvelle Vague vont produire leur premier film eux-mêmes. Ils ont tous à peu près trente ans.

— La production d'un film coûte entre 800 000 F et un million. Les films sont chers parce que presque tout le tournage est fait en studio et que le producteur emploie des acteurs et des actrices très connus. Le film a ainsi des chances de mieux se vendre (l'affaire n'est intéressante au-dessus de 800 000 F que si le film est vendu à l'étranger).

— Les films de la Nouvelle Vague au début ne vont pas coûter plus de 500 000 F. Pour cela : — ils ne filment presque pas en décors ; — ils emploient des acteurs qui ne sont pas connus.

— Le scénariste a une place importante. On se rappelle l'équipe Charles Spaak / Feyder ou Renoir / Prévert / Carné.

— Les jeunes de la Nouvelle Vague écrivent leurs scénarios et leurs dialogues eux-mêmes.


Plus tard Jean Aurenche et Pierre Bost écriront des dialogues pour Autant-Lara Clément et Delannoy.

S'ils travaillent quelquefois avec un scénariste, celui-ci n'a pas un grand rôle (Resnais est ici très différent des autres).

— Les scénarios sont surtout des adaptations de romans ou de pièces de théâtre.

— Certains auteurs de la Nouvelle Vague vont trouver leurs scénarios dans leurs vies. D'autres les trouveront dans la jeunesse qui est autour d'eux et représenteront sa nouvelle façon de vivre, sa façon de parler.

— Le réalisateur filme comme on lui a appris à filmer. La caméra doit être à un certain endroit," les raccords de plan suivent des « lois » . . .

— Les réalisateurs de la Nouvelle Vague oublient quelquefois ces lois et essaient quelque chose de nouveau.

Après 1959 Il est difficile de parler d'écoles dans le cinéma français après 1959. Il est encore trop près de nous. Mais il est quand même possible de voir plusieurs directions. La première est représentée par un homme qui semble se couper de plus en plus des autres cinéastes : Jean-Luc Godard. Par l'image, par le son, par le dialogue, il cherche à faire avec le cinéma quelque chose de nouveau. Dans ses films, il pense tout haut et attend de nous que nous pensions avec lui plutôt que nous venions voir une histoire. 45


Depuis 1968, il semble chercher quelque chose d'autre, travaille avec des « collectifs » mais son public ne le suit plus beaucoup. Si Claude Lelouch et Claude Chabrol essaient, de leur côté, de faire tout ce qu'il est possible de faire avec une caméra, ils cherchent quand même à plaire au public ou à attraper son attention par le suspense ou par le rire. C'est là une autre direction (Fiche 8, p. 57).

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Une troisième, représentée par Alain Resnais, s'intéresse aussi beaucoup au nouveau langage que permet le cinéma. Elle garde le sérieux qu'on trouve dans les films de Bresson. Elle est très près de la littérature, surtout du nouveau roman. Le scénario d'« Hiroshima mon amour » avait été écrit par Marguerite Duras, celui de « L'Année dernière à Marienbad » est de Robbe-Grillet. Ces deux écrivains feront à leur tour des films : « Trans-EuropExpress » (1966) de Robbe-Grillet et « La Chaise longue » (1969) de Marguerite Duras. A ce groupe, on peut ajouter Jacques Rivette (« La Religieuse »). Plusieurs cinéastes voient leurs noms souvent suivis de « cinéma-vérité ». Jean Rouch part chercher l'homme, le Noir d'abord (« Moi, un Noir », 1959), « Petit à petit ». (1972), et le Blanc (« Chronique d'un été », 1961) ; il le regarde, le filme, le fait parler et fait des films à partir de cela. Chris Marker rapporte des films de plusieurs pays «Cuba si», mais donne aussi son image de Paris « Le Joli Mai ». Il travaille aussi avec des groupes de cinéastes amateurs, surtout des ouvriers comme le groupe SLON, le collectif Iskra. Iskra filme' les luttes des ouvriers, des paysans, des lycéens, des femmes. Leur dernier film « La Spirale » est sur le Chili. Un autre groupe semble s'intéresser d'abord à


Photographie du A. Robbe-Grillet.

film

«Glissements

progressifs

du

plaisir»,

de

l'histoire et à la façon de la raconter. François Truffaut a donné l'exemple avec une histoire à laquelle il tenait beaucoup « Les Quatre cents coups », et maintenant avec « l'Argent de Poche » (1976) (cf. Fiche 9); Éric Rohmer nous place par son dialogue dans un monde nouveau. Jacques Demy fait chanter ses acteurs dans « Les Parapluies de Cherbourg » (cf. Fiche 10). Louis Malle se sert de tout ce que le cinéma lui offre pour bien raconter « Zazie dans le métro » (1960), « Le Feu follet» (1963) (cf. Fiche 11), «Le Souffle au cœur» (1971), Claude Sautet : «Vincent, François, Paul et les autres » et Claude Pinoteau : « La Gifle » (1974) savent nous faire vivre avec leurs personnages. 47


Le cinéma fait petit à petit une place à la politique. Costa Gavras a donné le départ avec « Z » (1969), « L'Aveu » (1969) puis- « État de Siège » (1972). Il est suivi par Yves Boisset : « L'Attentat » (1972), «Dupont Lajoie » (.1974) et Louis Malle avec « Lacombe Lucien » (1974). A côté de ce cinéma qui utilise des acteurs et raconte des histoires plus ou moins vraies, il y a des films-reportages faits par des groupes : ouvrières qui occupent une usine dans « Coup pour Coup » (1971) de Marin Karmitz, élections françaises dans « Bonne chance, la France » du collectif Cinélutte (1976).. . Quelques films comme « Themroc » (1972) de Claude Faraldo et « La grande bouffe » (1973) ou « La dernière femme » (1976) de Marco Ferreri ressemblent à des cris contre la vie que nous connaissons. Mais les Français continuent à aller très nombreux vers le cinéma-spectacle. Là, il faut avant tout que l'histoire les retienne : — par le rire comme dans les comédies de Gérard Oury : « Les aventures de Rabbi Jacob » avec Louis de Funès ; — par le suspense : les Français aiment les films policiers et en 1976 ils vont tous voir Yves Montand et Simone Signoret dans un film d'Alain Comeau : «Police Python 357»; ou par l'érotisme : « Emmanuelle » a connu et connaît toujours un grand succès. Né il y a moins de cent ans, le cinéma, à la fois art et industrie, a beaucoup changé, mais il reste l'image du monde où nous vivons, d'un monde qui se cherche, qui agit, qui se bat, mais qui veut aussi oublier. 48


Photographie du film «Z », de Costa-Gavras. 49


Fiche 1 Entr'acte (1924), de René Clair C'est vraiment un entr'acte que nous voyons. Il avait été demandé à René Clair par Francis Picabia1 pour être montré entre les deux parties de ses Ballets Suédois au Théâtre des Champs-Elysées. Erik Satie 2 en écrira la musique, image par image. Le public fut très étonné : il n'y a pas d'histoire mais plusieurs scènes qui reviennent d'un bout à l'autre du film. Quelquefois, on voit deux images à la fois (c'est le début de la surimpression) ou une photo dans le mauvais sens. C'est, disait Picabia qui a écrit le scénario, « un entr'acte à la vie de tous les jours ». On s'y moque de tout : il y a le corbillard (cette voiture où on met les morts) tiré par un chameau et suivi par des hommes qui ne sont pas tristes du tout, qui se promènent d'abord, puis courent et sautent de plus en plus vite. L'un d'eux a faim et il va manger une des couronnes posées sur le corbillard. Il y a aussi une danseuse : on voit ses pieds, sa robe et enfin sa tête, elle a une longue barbe noire et des lunettes. A la fin, le mort sort de sa boîte et il ne reste plus un seul vivant. Tout le film est comme cela, le spectateur nage dans l'impossible, l'étonnement et aussi il rit. 1 Peintre français (1879-1953), un des premiers peintres abstraits. 2 Musicien français (1866-1925).


Fiche 2 Le jour se lève (1939), de Marcel Carné François, un ouvrier (Jean Gabin) vient de tuer un homme. La police arrive mais il ne veut pas sortir de sa chambre et va y passer la nuit. Petit à petit, par retours en arrière, nous allons savoir pourquoi il a tué cet homme, connaître Françoise la fille qu'il aimait et Clara la femme avec qui il vivait, et savoir pourquoi il met fin à sa vie quand le jour se lève. La musique (Maurice Jaubert) change quand nous passons du présent au passé, s'arrête quand quelque chose s'est cassé dans la vie de François. Elle raconte l'histoire à sa façon. On croirait que les personnages sont là pour montrer une chose : que ce qui leur arrive était écrit. Prenons François, il n'a pas eu de chance dans la vie. Il n'a pas connu ses parents, il n'a fait que des métiers difficiles — celui qu'il a maintenant est mauvais pour sa santé, il pense enfin avoir trouvé une raison de vivre : Françoise. La vie avec quelqu'un qui lui ressemble comme Clara serait facile mais c'est avec Françoise qu'il veut vivre. Il va trouver qu'elle le trompe avec la personne la plus différente d'elle, la plus désagréable ; cela rendra leur amour impossible. Cette idée de l'amour impossible, c'est quelque chose que l'on retrouve dans beaucoup des films réalisés par Carné et pour lesquels Jacques Prévert a écrit les dialogues.


Fiche 3 La règle du jeu (1939), de Jean Renoir « Courez voir ou revoir « La Règle du Jeu ». . . l'un des plus beaux films du monde », disait un journaliste en 1965. Le film sort en 1939, mais il est très mal reçu par le public, il ne durera que trois semaines. Ce n'est que 25 ans plus tard que le public se rendra compte que, par ses images, par son dialogue si vrai et si simple, par son montage sonore, il fait penser au cinéma d'aujourd'hui. Dans ce film, Renoir a mis tout ce qu'il aime : la nature (le film se passe en Sologne pendant une très belle partie de chasse, c'est un documentaire mais c'est aussi une page de poésie), les femmes. . . La vie, tout y est vu comme un vrai spectacle. Il y a la bourgeoisie mais il y a aussi le monde des serviteurs et ils se ressemblent tous beaucoup. S'il se moque de la bourgeoisie, il dit aussi que « Tout le monde a ses raisons ». Cette fois encore, Renoir a travaillé sur le vivant. Son travail est très différent de celui de René Clair, chacun donne son idée et le scénario ne reste pas le même pendant deux jours.


Fiche 4 Les vacances de Monsieur Hulot (195 3), de Jacques Tati Ce film nous fait vivre pendant quinze jours avec Monsieur Hulo (Jacques Tati) et tous les gens qui sont venus passer leurs vacances au même endroit que lui. Monsieur Hulot, la pipe à la bouche, dans sa vieille voiture, c'est un Français comme on en voit beaucoup, mais il lui arrive de drôles de choses. Ce n'est jamais sa faute et souvent il ne s'en rend pas compte. Par exemple, un jour il s'arrête dans un cimetière pour changer une roue. La roue tombe et commence à rouler. Les feuilles mortes se collent à elle. Des gens à un enterrement vont la prendre pour une couronne de fleurs. Une autre fois, assis au bord de l'eau, il peint un bateau ; le pot de peinture est sur l'eau ; il suit le mouvement de l'eau mais il est toujours là où il faut quand Tati approche — sans regarder — son pinceau de l'endroit où était le pot au début. Tati s'intéresse beaucoup plus à ses personnages qu'à la technique. Scénariste et réalisateur, c'est avant tout un acteur. Il se sert peu des visages pour faire rire et il y a donc peu de gros plans. C'est tout le personnage et ce qu'il y a autour qu'il faut voir. Il y a aussi peu de paroles ; ce qui compte ce sont les images, la musique et les bruits. Le comique de Tati est un comique que l'on regarde. 53


Fiche 5 Mouchette (1967), de Robert Bresson Cette fois encore, après le « Journal d'un curé de campagne », c'est vers Bernanos que se tourne Bresson. Il reste près du roman mais l'écrit « en cinéma ». Dans ce film, ce qui compte, c'est la vie de Mouchette dans un monde qui pour elle devient impossible aussi bien à l'école qu'à la maison ou au village. Au début, elle peut encore être aidée (elle s'amuse dans le manège que lui paye une dame qu'elle ne connaît pas), mais après ce qui lui arrive dans le bois avec Arsène, un homme qui a l'âge de son père, après la mort de sa mère (la seule personne à qui elle pouvait donner un peu d'amour), il est trop tard, personne ne peut plus rien faire pour elle (elle casse la tasse de café au lait que l'épicière lui donne et appelle une vieille dame qui lui donnait des vêtements « sale vieille bête »). Tout ce qui se trouve dans ce film est là pour nous amener naturellement à la fin : la mort voulue de Mouchette. Les personnages parlent peu. Dans le dialogue, il ne reste que ce qui est vraiment nécessaire. Quand les acteurs parlent, c'est de façon plate. C'est comme s'ils avaient perdu ce qui les rend différents les uns des autres. Ce sont les plans et leur montage qui donnent toute sa force au film et font parler les personnages pour le spectateur.


Fiche 6 A bout de souffle (1959), de Jean-Luc Godard C'est le film de la nouvelle vague. Parti d'une idée de Truffaut et avec Chabrol comme conseiller technique, Godard va réaliser ce film au jour le jour en quatre semaines. Le scénario : Michel Poiccard (Jean-Paul Belmondo) monte à Paris dans une voiture volée et tue un policier. A Paris il retrouve une jeune Américaine, Patricia (Jean Seberg), qui vend des journaux sur les Champs-Élysées. Elle finira par dire à la police où il se trouve pour se montrer à elle-même qu'elle ne l'aime pas vraiment. Mais elle le prévient. Michel ne se défend pas : « J'en ai marre, je veux dormir. » Si le scénario n'est pas nouveau, tout le reste l'est. D'abord les personnages : Godard nous présente une nouvelle jeunesse qu'il fait parler juste. Souvent, comme cela arrive dans la vie, ils ne se répondent pas et chacun continue de parler de ce qui l'intéresse. Godard tourne la caméra à la main sans s'occuper des habitudes des cinéastes d'avant. Si Michel et Patricia sont dans la rue nous nous sentons, nous aussi, par le mouvement de la caméra, par les bruits, au milieu des gens, en train de marcher. Godard met les uns après les autres des plans très différents ; ce qui les fait se suivre, c'est l'histoire. Par cette technique, l'histoire gagne une nouvelle force. 55


Fiche 7 Hiroshima mon amour (1959), d'Alain Resnais C'est un film d'amour mais c'est aussi un jeu sur les « passés ». Une actrice française qui tourne un film à Hiroshima, passe une nuit et une journée avec un Japonais. Nous la voyons se rappeler peu à peu, dans son amour pour le Japonais, sa vie à Nevers pendant la guerre et ce qu'elle a souffert quand les Français ont tué le soldat allemand qu'elle aimait. A Hiroshima, elle visite le musée de la guerre pour essayer de retrouver le passé de la ville. Mais, les photos, les images, les chiffres ne peuvent pas l'aider. Elle ne peut pas connaître Hiroshima, parce qu'elle n'a pas vécu l'histoire d'Hiroshima. Ce passé ne sera jamais à elle. Par contre en retrouvant des images d'un amour impossible, elle peut revivre ce qu'elle essayait d'oublier, son premier amour. Elle quittera Hiroshima pour Paris, mais elle est maintenant libre de son amour à Nevers. Il fait partie du passé reconnu comme passé et ne la fera plus souffrir. Resnais nous montre, en retours en arrière, la vie de cette actrice à Nevers, les vues d'Hiroshima pendant la guerre. Ceux-ci sont bien coupés du temps présent par le son, par l'image. Ils ne sont pas présentés dans l'ordre où ils se sont passés mais dans celui où elle se les rappelle. 56


Fiche 8 Un homme et une femme (1966), de Claude Lelouch Des centaines de milliers de spectateurs ont vu ce film. La critique a été ou bien très bonne ou bien très mauvaise. C'est une histoire d'amour : un homme (Jean-Louis) et une femme (Anne) se rencontrent à Deauville. Elle a passé la journée avec sa fille, lui avec son fils. Le soir venu, les enfants retournent à l'école. Elle va manquer son train. Il la ramène en voiture à Paris. C'est le début de leur histoire. . . C'est un film d'amour, c'est une chanson, mais ce sont surtout des couleurs et des images. Des couleurs qui passent par le noir et blanc, le marron, le bleu, le rouge, d'après le moment de la journée et ce à quoi pensent les personnages, le passé, le présent ou ce qu'ils voudraient. Lelouch dira : « Je pense d'abord image et suis. . . mon caméraman ». Donner la caméra à un autre, « c'est comme si Van Gogh avait passé son pinceau à un ami ». Il s'amuse avec ses images. Au début du film, Jean-Louis parle à son chauffeur ; la voiture part et ce n'est que plus tard que nous voyons qui conduit : son fils de cinq ans. Lelouch joue avec les différents plans •. les travellings et les plans généraux qui suivent les gros plans (la pluie sur les vitres de la voiture et les visages d'Anne et de Jean-Louis). Un critique disait : « Enlevez le zoom à Lelouch, il ne reste plus rien. » C'est aller trop loin, mais il y a du vrai. Il pense d'abord cinéma et il s'en sert pour raconter des histoires simples, avec des mots (et des silences) de tous les jours.


Fiche 9 Baisers volés (1968), de François Truffaut Antoine Doinel (Jean-Pierre Léaud) qu'on a déjà vu dans « Les 400 coups » (1959) dix ans plus tôt, réussit à quitter l'armée et commence, non sans peine, à chercher sa place dans la vie. Truffaut nous fait sourire en nous montrant comment il perd ses premiers emplois : garde de nuit dans un hôpital, détective, réparateur de télévision. Antoine croit trop facilement ce qu'on lui dit. Mais ce n'est pas important, il prend la vie comme elle vient. L'histoire que Truffaut nous raconte est très simple, mais il y met un grand nombre de scènes amusantes, qu'on se rappelle même si on a oublié l'histoire ; par exemple, il nous explique comment trouver l'adresse de quelqu'un quand on ne connaît que son numéro de téléphone, ailleurs, un client vient chez le deuxième directeur d'Antoine (le détective) prêt à payer tout l'argent nécessaire pour savoir — ce qui est clair pour les spectateurs — pourquoi personne ne l'aime. Tout comme la vie, cette histoire n'a pas vraiment de fin — elle n'avait pas de vrai commencement non plus.


Fiche 10 Les parapluies de Cherbourg (1963), de Jacques Demy « C'est, dit Demy lui-même, le premier film en couleurs et en chanté. » L'histoire est simple, mais elle fera courir tout Paris. Lui, Guy, travaille dans un garage, elle, Geneviève dans un magasin de parapluies. Ils s'aiment mais voilà qu'il doit partir pour l'Algérie faire son service dans l'armée. Ils se quittent, elle attend un bébé, le temps passe. Quand il rentre, les choses ont changé. Chacun s'est fait une nouvelle vie et a plus ou moins oublié l'autre. Ce qui a tant fait parler de ce film, ce n'est pas son histoire. D'abord une des vedettes de ce film, c'est la province : le film est tourné à Cherbourg et toute la ville y prend part. Ensuite, tous les personnages chantent ce qu'ils disent d'un bout à l'autre du film. Ils chantent pour se dire qu'ils s'aiment mais ils chantent pour demander leur chemin ou vingt litres d'essence ou pour dire que la viande est trop cuite. Demy tenait beaucoup à ce film. Pour lui, un film est avant tout un spectacle. Il a passé un an à préparer les paroles et la musique avec Michel Legrand. Cela fait, chaque personnage s'est trouvé coupé en deux : un chanteur et un comédien. Demy a d'abord fait chanter les chanteurs, puis les comédiens ont tourné tout le film en entendant leurs dialogues — ce qui n'était pas toujours facile ! 59


Le Feu Follet (1963), de Louis Malle Louis Malle s'est servi d'un roman de Drieu La Rochelle : ce sont les dernières 48 heures dans la vie d'Alain Leroy (Maurice Ronet). Il doit quitter une maison de repos où, pour lui, la vie était enfin devenue facile ; il semblait guéri. Sa femme, très riche, est aux États-Unis. Une amie vient le voir et passer la nuit avec lui, mais elle préférera repartir vers ses affaires. Il est seul, sans amour et n'a aucune raison de vivre. « La vie, elle ne va pas assez vite en moi » dit-il, et de là, il décide : « Demain, je me tue. » Il écrira la date sur sa glace. Avant, il va à Paris pour dire au revoir à ses anciens amis — tous occupés. Nous voyons très peu ces personnages, mais Malle a réussi à nous les rendre très vrais, quelquefois en cachant sa caméra pour les filmer. C'est par eux qu'il nous montre le passé d'Alain. Mais Alain ne peut plus rentrer dans cette vie. Nous vivons sa vie, minute par minute. Maurice Ronet est sur l'écran, d'un bout à l'autre du film, très souvent seul, on n'entend pas tout ce qu'il dit, ou bien il y a des silences. C'est peut-être par des riens comme cela que Maurice Ronet et Louis Malle ont réussi à rendre ce film si intéressant. 60


Comment s'informer sur le cinéma ? Celui qui aime le cinéma est sûr de trouver un film qui lui plaira à Paris. Avec ses 300 salles, Paris offre un très grand choix de films français ou étrangers, nouveaux ou anciens. Il y a aussi une cinémathèque au Palais de Chaillot qui présente tous les jours à partir de 15 heures cinq grands classiques du cinéma pour un prix très bas. Que joue-t-on au. . . ? Si vous ne savez pas où aller, achetez « L'Officiel des spectacles » ou « Une semaine de ParisPariscop ». Ils paraissent tous les mercredis, mais vous les trouverez chez les marchands de journaux toute la semaine. Vous y verrez tous les films qui passent à Paris et dans la région ; mais aussi quelques mots sur chacun d'eux, et les adresses et numéros de' téléphone des cinémas. En France, les films changent souvent le mercredi et ce jour-là les journaux vous donnent . aussi quelques renseignements. ' Si Paris est la capitale qui a le plus de cinémas, c'est aussi en France qu'on trouve le plus grand nombre de revues de cinéma. On en compte quinze en ce moment ; mais elles ne sont pas toutes très faciles à lire. Tous les mois « L'Avant — scène » du cinéma donne tout le texte et de découpage d'un film. Dans « La Revue du cinéma», «Téléciné», et «Jeune cinéma», on peut lire des articles et des interviews très intéressants. De même « Cinéma 76 ( 7 7 . . . ) » , et « Écran 76 » sont beaucoup lus par ceux qui veulent s'informer. Mais les noms de trois revues viennent en tête, parce qu'elles se sont souvent battues pour un nouveau cinéma et aussi l'une contre l'autre : « Les Cahiers du cinéma», sans doute la plus connue, 61


« Positif » et « Cinéthique ». Si la deuxième essaie encore d'apporter quelque chose à un public assez large, les deux autres, à cause de leurs idées trop révolutionnaires et de leur langue, ne sont plus lues que par un milieu très fermé. Beaucoup de Français s'intéressent au cinéma sans acheter ces revues mais lisent la critique qu'ils trouvent toutes les semaines dans « Le Nouvel Observateur », « L'Express », « Le Point » ou « Le Canard enchaîné», ou encore dans leur journal quotidien. Et s'ils veulent mieux connaître la vie de leurs acteurs ou de leurs actrices préférés, ils lisent « Paris-Match », « Jour de France », « Elle » ou « Marie-France ». S'ils veulent vraiment tout savoir ils achètent « Ciné-revue ».


INDEX

acteur, actrice, pp. 12, 44. architecte-décorateur, p. 12. assistant, pp. 12, 44. bruitage, p. 14. cadreur, p. 12. caméra, p. 11. caméra-stylo, p. 4 3 . chef opérateur, p. 12. cinéma-vérité, p. 46. clapman, p. 12. collectif, p. 46. commission de censure, p. 14. commission de contrôle, pp. 11, 13. contre-plongée, p. 16. copie, p. 14. coproduction, p. 10. coupures, p. 13. court-métrage, pp. 10, 19. critiques, p. 5. décor, p. 11. découpage, p. 11. dialogues, p. 45. distributeur, p. 14. documentaire, p. 36. écran panoramique, p. 37. équipe technique,.p. 12.

exclusivité, p. 15. gros plan, p. 16. ingénieur du son, p. 12. laboratoire, p. 14. long métrage, p. 12. machiniste, p. 12. manivelle, p. 12. metteur en scène, p. 12. mixage, p. 14. montage accéléré, p. 37. monteur, p. 14. nouvelle vague, p. 19. plan p. 11. plan américain, p. 16. plan d'ensemble, p. 16. plan moyen, p. 16. plateau, p. 37. première, p. 15. producteur, pp. 10, 44. production, p. 44. projeteur, p. 15. réalisateur, pp. 11, 44 45 scénario, p. 11. scénariste, pp. 11, 44. script-girl, p. 12. studio, pp. 12, 44. suspense, p. 42. synopsis, p. 16. tournage, pp. 17, 44. vedette, p. 37.


TABLE DES MATIERES Les Français et le cinéma . Les réalisateurs ont la parole . . . Et maintenant les acteurs Tout a commencé en 1895 . . . . .' Fiches de films

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TABLE DES ILLUSTRATIONS Photographies : G. R. Aldo : p. 39 ; C. I. C. : p. 4 ; Cinémathèque française : p. 59 ; Gaumont : pp. 25, 2 8 ; Établissements Lumière: p. 35 ; Gamma : pp. 3, 16, 19 ; Gilles Caron/Gamma : p. 21 ; Raymond Depardon/Gamma : pp. 2, 16 ; Jean Lattes/ Gamma : p. 2 3 ; Yves Manciet/Gamma : p. 47 ; Daniel Simon/Michel Ginfray/Gamma: p. 29 ; Jean Bonnotte/ Raymond Depardon/Gamma: p. 31 ; J. B. Bonnotte/ G a m m a : pp. 26, 3 1 ; Henri Bureau/Gamma-, p. 33 ; J . C . Gilbert/Dagieux : p. 54 ; Michel Lavoix : p. 18 ; Sam Levin : p. 52 ; Paris Match/Télé 7 Jours/Marie Claire: pp. 20, 49, 55 ; Michel Ristropoh/Télé 7 Jours : p. 27 ; Raymond Voinquel : p. 51 ; Roger-Viollet : pp. 30, 53. La photographie de couverture est de Télé-Hachette : Frédéric Rossif, bien connu en France, grâce à la Télévision, pour ses films d'histoire, et ses films sur les animaux notamment. Les dessins sont de Claude Lacroix.

Imprimé en France par Hemmerlé, Petit et Cie Paris 1911-07-1976 Dépôt légal n° 2101-7-1976 - Collection n° 04 - Édition n° 02

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15/4242/2 ISBN 2/01/00253/9




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