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Caroline Frey

CAROLINE FREY
le Chardonnay. Pour chaque domaine, on est dans le prolongement de l’histoire.
Caroline Frey possède aussi des vignes en Valais et dans le Lavaux. Passionnée, toujours à arpenter ses domaines entre la France et la Suisse, la jeune quadragénaire franco-suisse a fait de Grandvaux, où elle s’est installée, son refuge, renouant avec les origines de sa famille et ses souvenirs d’enfance quand elle passait ses vacances dans la région.
Comment est née votre passion pour le vin ?
Je suis d’origine champenoise, ce qui fait que j’ai grandi au milieu des vignobles. Mon père avait repris une maison de champagne et des vignobles quand j’étais petite, nous avons donc vécu au rythme des vendanges. C’est plutôt la partie vignes et viticulture qui m’a amenée au vin. La passion de travailler dans la nature avec, en plus, l’univers gustatif à la fin.
En fait, c’est un métier qui associait plusieurs passions : les plantes, la botanique et le côté épicurien avec la cuisine et la gastronomie. Ce cocktail me convenait assez bien.
Ensuite, j’ai fait des études très axées sur les sciences avec un diplôme en sciences de la vie et de la terre, et j’ai complété par le Diplôme national d’œnologue. C’est à ce moment que je suis vraiment
entrée dans le monde du vin. Ensuite, il y a eu ces projets familiaux consistant à reprendre des domaines en France : le Château La Lagune et Jaboulet en 2006 et, plus récemment, en 2015, le château de Corton C.
Fully est venu en 2016, ce qui fait que j’ai déjà quelques millésimes à mon actif, puis Grandvaux, il y a trois ans. La production de Fully est petite, mais c’est un très beau vignoble.
Quelles sont les caractéristiques de ces domaines ?
Ils sont très différents. La Lagune est un grand cru classé depuis 1855. Nous faisons le vin avec les mêmes cépages qu’il y a 200 ans. En fait, chaque domaine a son histoire, chaque région a ses cépages.
Dans la vallée du Rhône c’est le Syrah pour les rouges, en Bourgogne c’est le Pinot et
À Fully, j’ai gardé les vieilles vignes qui ont, pour la plupart, plus de 100 ans. Il s’agit de Chasselas, de Petite Arvine et de Johannisberg. Quand on a la chance d’avoir un patrimoine, il serait dommage d’en faire table rase et de recommencer à zéro.
La digitalisation concerne maintenant tous les domaines. Comment voyez-vous l’évolution du métier de vigneronne ?
À la vigne comme à la cave, nous restons assez classiques. Nous ne sommes pas touchés par la digitalisation. Nous restons au rythme de la vigne. Nous sommes dans le temps très long, nous ne pouvons pas tellement accélérer les choses. C’est du reste assez agréable dans un monde où tout est plus rapide. Quand on arrache une vigne et qu’on la replante, on sait qu’elle ne fera pas de raisins avant cinq ou six ans. On n’a pas encore trouvé le moyen d’aller plus vite et heureusement !
En revanche, en ce qui concerne la partie distribution et communication, nous essayons d’utiliser des outils un peu plus actuels, mais dans notre métier, le plus important reste l’authenticité et la sincérité. Nous voyons maintenant se développer les blockchains, les NFT et les vins dans le métavers. Ce n’est pas un univers qui nous correspond et nous n’y rentrons pas.
Je crois aussi qu’il y a encore des univers où l’on est face à une certaine réalité et au rythme de la terre. Nous ne contrôlons pas tout. Le vin est très apprécié parce qu’il vient peut-être aussi compenser des excès de la digitalisation et l’accélération de tout. Le vin c’est le temps long, c’est la nature, c’est la terre et il en sera toujours ainsi.
Justement, qu’en est-il de la durabilité ?
La qualité de nos vins est complètement liée à celle de nos terroirs. Les vignes que nous cultivons ont parfois été plantées il y a plus de cent ans. Nous recevons un héritage et nous écrivons une petite page de l’histoire de ces vignes.
tifiés agriculture biologique et, depuis les années 2000, nos entreprises sont ISO 14001, une norme qui porte sur la gestion environnementale. Cette certification concerne, par exemple, les fournisseurs, le type de produits que l’on va utiliser ou encore la gestion des ressources et des déchets. La notion de durabilité est présente dans l’ensemble de la chaîne. Et tout ce que nous faisons en faveur de l’environnement va aussi se retrouver dans la qualité de nos vins.
Qu’est-ce qui fait, selon vous, un grand vin ?
on cultive bien la vigne, on peut faire un grand vin.

Aujourd’hui, quand on achète un Cabernet, un Merlot ou un Sauvignon, on choisit un cépage. C’est un peu standard.
Un grand vin, en revanche, a un goût unique que l’on ne retrouvera pas. Si vous achetez une bouteille de La Lagune, c’est un goût que l’on ne peut pas reproduire.
Quelle est aujourd’hui la place des femmes dans le monde du vin ?
Je n’ai pas l’impression que les femmes soient sous-représentées même si cette idée persiste. Au contraire, il y a de plus en plus de vigneronnes. Après, il y a encore cette notion que le vin est plus masculin, mais je pense que c’est en train de passer. Il y a de grandes vigneronnes et cela depuis de nombreuses années. Je pense, par exemple, à Marie-Thérèse Chappaz qui est une figure emblématique du monde du vin.
Avez-vous de nouveaux projets ?
Nos projets ont toujours une part d’affectif. Le Valais, par exemple, s’est fait parce que j’y allais tout le temps pour faire de la montagne. De plus, quand j’ai débuté mes études d’œnologie, j’ai été formée par l’un des plus grands œnologues, Denis Dubourdieu, aujourd’hui décédé, qui me faisait déguster des Petites Arvines de chez Marie-Thérèse. Pour moi, ça a toujours été une référence. Tout cela a fini par me conduire en Valais.
Si, un jour, un nouveau projet se fait, ce serait peut-être dans le Val d’Aoste parce que l’histoire familiale a commencé là-bas. Nous avons retrouvé dans des archives la trace d’arrière-arrière-grandspères qui étaient vignerons.
Nous devons penser aux futures générations pour qu’elles aient la chance, comme nous, d’avoir des vignes en très bon état. Le destin de nos entreprises dépend directement de la bonne santé de la terre. Tous nos vignobles sont cer-
Il faut déjà avoir la chance de posséder un grand terroir. Entre Bordeaux, la Bourgogne, la vallée du Rhône, le Valais et le Lavaux, nous avons des terroirs qui ont des géologies excessivement intéressantes et variées. À partir de là, si
Votre sœur Céline est à la tête de Firstcaution et votre autre sœur, Delphine, a lancé sa marque de vêtements. Vous êtes toutes les trois entrepreneuses… 8js, la marque de Delphine, marche très bien et elle m’a rejointe dernièrement dans les affaires viticoles en tant que directrice marketing et communication. Nous avions fait des essais avec différentes personnes, mais nous avions toujours un peu buté sur ce poste. Mais avec ma sœur c’est fantastique car elle me connaît, elle sait ce que je fais et tout fonctionne très bien. Nous allons pouvoir mettre en place pleins de nouveaux projets.
La maison bleue en bas de
Et ma sœur Céline a une réussite exemplaire dans un univers différent, cependant nous avons tous plaisir à nous retrouver autour d’une belle bouteille des domaines familiaux.

Est-ce que l'entrepreneuriat était une évidence ?


Je n’ai jamais senti la fibre entrepreneuriale, mais lorsqu’on exerce un métier qui est une passion, je pense que les choses se font naturellement. Et puis, nous avons aussi été éduquées comme ça par un père qui est un entrepreneur par excellence. (ndlr Jean-Jacques Frey a construit le groupe familial en France dans l’immobilier commercial puis dans le vin.)
Vous avez des vignes à Grandvaux. Quelle relation entretenez-vous avec le canton de Vaud ?

Je me suis installée en 2004 à Grandvaux où j’ai eu mon premier appartement. Il y a donc un bon moment que je crapahute dans le coin. Maintenant, j’ai cette maison de vigneron à Grandvaux que l’on a rénovée et dans laquelle je vais emménager.
Aujourd’hui, ma famille est installée dans le canton de Vaud, alors pour moi c’est un peu un retour aux origines puisque mon grand-père était suisse. Même si nous avons grandi en France, nous venions passer les vacances d’été ici. Quand j’étais enfant, je rapportais toujours des petites bouteilles de shampoing de l’hôtel que j’avais vidées pour les remplir de
l’eau du lac Léman. J’ai toujours senti une attache assez forte avec cette région. Retourner en Suisse était une évidence. C’est là que se trouvent les racines de ma famille. Je me déplace beaucoup, mais ma vie est ici. Ma fille va à l’école à Pully et elle est au ski club de Château-d’Oex. Cette année, elle a été championne suisse romande U12 de géant et de slalom.
La colline de l'Hermitage