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Interview de Mathieu Jaton

MATHIEU JATON

« NOTHING IS IMPOSSIBLE ! »

À la tête du Montreux Jazz Festival (MJF) depuis 2013, Mathieu Jaton est un fin analyste du business de la musique et des festivals ainsi qu’un visionnaire bouillonnant d’idées qui réinvente en permanence le Festival tout en conservant son identité.

Comment avez-vous débuté au sein du Festival?

J’ai des souvenirs de Claude Nobs, le fondateur du Festival, par mes parents. Mon père était scout à Vevey et Claude à Montreux. J’entendais donc souvent parler de lui et du festival à la maison. À 16 ans, jeune musicien, j’avais très envie de rencontrer Claude Nobs que je voyais davantage, à l’époque, comme le patron de Warner plutôt que du Festival. J’ai eu la chance grâce à mes parents de passer une heure dans son bureau, il m’a donné des conseils, c’était super-sympa. Et puis, deux ans plus tard, j’ai commencé à faire des extras au Montreux Palace dans le cadre de mes études à l’École hôtelière de Lausanne. Un soir, à 5 heures du matin, j’avais 18 ans et je faisais un extra pour le Bal du Printemps. Quelqu’un me tape sur l’épaule et c’était Claude. On discute et il me demande de venir l’aider le lendemain à son chalet car il recevait le patron des Monty Python. J’y suis allé et, à trois heures du matin, je discutais avec Claude quand il s’est mis à me parler du Festival. En partant, il m’avait proposé de venir l’aider au chalet lorsqu’il recevait des artistes. Je l’ai fait pendant six ans avec des copains de l’école. Quand j’ai commencé à chercher du travail, j’ai lui ai fait des allusions au festival, mais sans vraiment y croire car, à l’époque, la structure était encore petite. Quelques mois plus tard, il m’a contacté en me proposant de remplacer son responsable du sponsoring et marketing qui partait. J’ai été un peu interloqué, mais Claude m’a convaincu. Une année plus tard, Claude a 65 ans, il est retraité de Warner et il décide de créer le poste de secrétaire général. Je suis le dernier arrivé dans la maison mais, à la surprise générale, il me nomme à ce poste. Claude m’explique qu’il doit penser au futur et que nous devons le construire ensemble. Nous l’avons fait pendant quinze ans.

Quels sont les meilleurs souvenirs que vous gardez de Claude?

Il y en a tellement, c’est difficile. Mais je vais donner un souvenir et un apprentissage. Ce souvenir résume vraiment bien Claude. On était à Atlanta pour un festival et on devait rentrer le samedi. Je suis dans la chambre de Claude, il est au téléphone et il me dit: «Au fait, on ne rentre pas demain.» Jusque-là c’était assez classique de sa part. Il me dit: «On

va dans un petit bled, faut que tu loues une voiture et on va voir les gars.» Je comprends plus ou moins que l’on va chez Bertis, le manager du groupe REM. On roule deux heures, on arrive dans une petite bourgade au fin fond de la Géorgie et chez le fameux Berties où il y a un barbecue. Après un moment, Claude me dit: «C’est super, les gars vont arriver.» Un des musiciens de REM arrive et ensuite Michael Stipe avec son petit chien… Tout était très simple, naturel. Au cours de la soirée, Michael Stipe s’assoit à côté de moi et on a parlé pendant deux heures non pas de musique, mais de philosophie.

Quelques mois plus tard, REM joue à Zurich et Claude étant en voyage, il me demande d’aller voir. J’arrive en backstage, Michael sort de sa loge et il vient vers moi. On avait parlé à Atlanta et des mois plus tard il s’en souvenait.

Ce sont ces moments humains qui me touchent le plus, ce qui m’amène à la question de l’apprentissage. On me demande souvent ce que j’ai appris de Claude et la réponse est l’hospitalité et l’authenticité. On pouvait rencontrer un chef d’État et le lendemain le boulanger qui apportait le pain au festival, et l’intensité de la relation était la même. C’est ce qui m’a toujours fasciné chez Claude. Il était d’une générosité authentique.

Et, bien sûr, la qualité principale qu’il a léguée à toute l’équipe d’aujourd’hui, c’est cette capacité de penser: «nothing is impossible». C’est vraiment l’ADN du Festival et on a pu le voir pendant la pandémie. On a annulé en 2020 et on a fait un festival digital, en 2021, on a construit une scène sur le lac… C’était important pour nous d’apporter de la culture, de divertir les gens pendant les pires moments.

Si Claude avait été en vie pendant cette crise, il aurait voulu faire mille trucs tout le temps, ce qui aurait été super-compliqué! Dans le monde actuel où il y a toujours mille raisons de ne pas faire, Claude Nobs nous a surtout appris qu’il y avait mille raisons de faire.

Si on veut vivre une expérience unique et espérer que quelque chose se passe, il faut venir à Montreux.

L'ambiance unique du Festival Montreux Jazz.

Le festival a évolué dans cette vision d’authenticité et de relations fortes…

Oui et c’est peut-être quelque chose qui a été sous-estimé par tout le monde, y compris nous, au décès de Claude. La réaction normale était de penser que l’avenir du festival était compromis avec la disparition de son porte-drapeau. Mais Claude était extrêmement généreux et son esprit fédérateur s’est poursuivi même après sa disparition. Je pense par exemple à Quincy Jones avec qui Claude était vraiment lié. Il aurait pu arrêter de venir à Montreux, mais le lendemain de la mort de Claude, il m’a appelé pour m’assurer de son soutien.

Quelle touche personnelle avez-vous apportée au festival?

Pour moi, il ne s’agit pas de regarder le Festival avec nostalgie, mais d’utiliser cet ADN du passé, surtout aujourd’hui dans le monde dans lequel nous vivons, et les valeurs d’humanité, d’authenticité et de proximité qui sont encore plus importantes aujourd’hui et de les utiliser avec les codes du passé. C’est certain que je ne vais pas agir comme Claude, je ne vais pas demain aller taper sur l’épaule de Santana et danser avec lui en backstage. Ce n’est pas moi. Je suis d’une autre génération et j’ai d’autres codes. Je suis aussi plus proche d’artistes comme Woodkid, Ibrahim Maalouf et Sam Smith, ce qui ne m’empêche pas de respecter et d’avoir de l’admiration pour les anciens.

Comment se fait la programmation?

C’est un travail annuel qui se faisait dans un temps très court, environ six mois. Il s’agit d’un business très risqué car on peut arriver en juin et ne pas avoir la programmation de l’été. Avec la pandémie, les délais se sont un peu rallongés. On a déjà booké des artistes pour 2023, mais c’est encore rare.

En automne, des agents nous contactent pour nous informer des dates potentielles de tournée d’un artiste en Europe. Globalement, on ne peut plus booker un artiste sauf s’il est en tournée. Ensuite, on fait une offre financière pour une date sans connaître, bien sûr, les montants proposés par les autres festivals. Une fois que l’agent a récupéré toutes les offres, il établit un calendrier et il nous informe ensuite si on fait ou non partie de la tournée.

En dehors de l’aspect financier, il y a aussi l’histoire et la notoriété du Festival qui comptent et surtout la liberté offerte aux artistes. Ailleurs, un artiste est dans un slot alors qu’à Montreux, il est libre. On essaie vraiment de pousser la liberté artistique à son paroxysme.

Le Festival a aussi 32 dates, ce qui est plus compliqué à remplir. Il faut également tenir compte des changements de dernière minute. Même s’il a confirmé sa présence, un artiste annulera s’il a une opportunité plus intéressante pour sa carrière. On est dans un métier qui sort des schémas de l’économie classique. Parfois c’est même difficile à comprendre pour le public qui s’étonne que l’on n’ait pas tel ou tel artiste.

Les artistes sont-ils pleinement conscients de la liberté qu’offre Montreux?

Oui, c’est même ce qui a fait la légende de Montreux. Par exemple, le concert de David Bowie en 2002, ou celui de Muse au cours duquel Matthew Bellamy n’a fait que des chansons peu connues du grand public.

La veille, il m’avait demandé s’il pouvait vraiment faire ce qu’il voulait. Le public a été étonné, mais le concert est devenu mythique. Si on veut vivre une expérience unique et espérer que quelque chose se passe, il faut venir à Montreux.

De très grands artistes aujourd’hui décédés sont passés à Montreux. Si vous pouviez organiser un concert avec l’un d’eux, qui choisiriez-vous?

Prince et Bowie. 2016 a été l’année la plus tragique dans l’histoire de la musique. On a perdu deux immenses artistes, mais pas uniquement en matière de talent musical. Ils ont influencé des générations. Ils transgressaient les limites en permanence. Actuellement, tout est tellement marketé que laisser la place à des personnalités de ce style devient très difficile, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en a pas. Le business exige de produire toujours plus, d’être sur les réseaux sociaux… Prince ou Bowie pouvaient rester cinq ou sept ans sans sortir d’album.

Aujourd’hui, d’un côté, les artistes ne sont plus dépendants des maisons de disque car ils peuvent émerger grâce aux réseaux sociaux, ce qui est génial, et d’un autre côté, il y a une perte de repères. On le voit aussi avec le public, il a accès à 10 millions d’artistes. Mais il ne sait plus qui écouter. Est-ce que ce sont des algorithmes qui vont nous dire ce que l’on va écouter demain? Nous sommes dans une période charnière.

Comment les festivals ont-ils évolué ces dernières années?

Quand j’ai commencé avec Claude, un festival était surtout la promotion d’un album. On venait dans un festival pour présenter son disque. Le métier des festivals est en train de changer ainsi que la manière de concevoir l’expérience client. Avant l’important était le nom de l’artiste et le lieu. Cela a déjà commencé à changer avec des festivals comme Glastonbury et Coachella, qui s’est construit sur le lifestyle, où la programmation est presque secondaire.

A cela s’ajoute désormais l’expérience. Elle est annuelle et digitalisée. Pour la génération TikTok, elle va aller au-delà du concert lui-même. Cela étant je crois à la complémentarité entre le live et les nouvelles technologies.

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