(RE) DÉCOUVRIR L’EXPOSITION D’OUMAR LY – PORTRAITS DE BROUSSE ET DE STUDIO, PODOR (1963-1978)

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Oumar Ly Portraits de brousse et de studio, Podor

(1963-1978)


Biographie Oumar Ly est fils de commerçant. Il est né en 1943 à Podor sur les rives du fleuve Sénégal. Il n’a jamais appris à lire. C’est par hasard, en regardant les militaires, installés dans le fort de la ville, prendre des clichés qu’il découvre la photographie. Le jeune Ly acquiert son premier appareil, un Kodak Brownie flash pour 1500 CFA. Il se forme auprès de Demba Assane Sy qui exerce à côté de son métier d’infirmier celui de photographe. Le destin lui sourit quand le Sénégal, devenu indépendant, veut fournir des papiers d’identités aux populations. L’administration l’embauche et l’envoie sillonner la brousse faire les photos de ses concitoyens. En 1963, la photo est à la mode. Les clients affluent pour se faire tirer le portrait au studio Thioffy, installé dans le quartier du marché de Podor, alors prospère petite ville de commerce, frontalière avec la Mauritanie. Jusqu’à sa mort en 2016, il ne quittera pas sa région natale et son studio, Après avoir photographié toutes les époques, les riches en boubous, les familles, les jeunes gens à la mode Yéyé et même les manifestations publiques qui marquèrent la vie de cette province éloignée, au nord du Sénégal.


Préface Omar Ly est décédé en 2016 à 73 ans. Il laisse derrière lui une grande famille et des archives photographiques uniques, relatant la vie des habitants de Podor et des villages alentour. On y découvre un petit monde peuplé de visages d’enfants et d’adultes qui ont pris la pose dans le studio, dès les années 1963, devant les toiles peintes d’un Boeing 747, d’une mosquée, d’un paysage luxuriant. Mais aussi –et ce qui est plus rare- des milliers de clichés pris dans les villages avec pour seul fond, un pagne, la portière blanche de la 2CV du sous-préfet ou tout simplement le ciel pâle écrasé par la chaleur. Sur ces images-là on devine, invité en douce, le paysage de la brousse : terre sèche clairsemée d’acacias ; fouettée par l’harmattan. Et surtout la singularité de chacun des modèles qui timidement, maladroitement, s’offre pour la première fois à l’objectif du photographe. Tous ces magnifiques et émouvants portraits resteront à jamais la mémoire de Podor. Des portraits d’une élégance singulière, des images justes, simplement justes et libres. Frédérique Chapuis Commissaire de l’exposition 3



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Oumar Ly, Portraits de brousse Extrait du livre Oumar Ly, Portraits de brousse, paru chez Filigranes Editions


[...] Ce jour-là, au fort, les tables sont dressées, c’est la fête. Oumar Ly, venu livrer des légumes, raconte avoir été intimidé par tous ces hommes vêtus de blanc, mais fasciné par celui qui tenait un appareil photo. Il le regarde faire. L’homme le photographie. Et, lorsque le jeune Ly repart avec son portrait, il ne rêve plus que d’une chose : acquérir un appareil. C’est sur le quai, à la boutique Maurel et Prom voisine de celle que tient son père, qu’il trouve un Kodak Brownie Flash, pour 1500 francs CFA. [...] En 1963, Oumar Ly ouvre le premier studio de la ville. Il ne chôme pas. La photo est à la mode. On se presse au Tioffy studio toute la journée, et les jeunes s’y donnent rendez-vous le soir, à l’heure du thé dansant. La campagne de recensement menée par le gouvernement sénégalais est une véritable manne. Son Rolleiflex dans une petite valise, le photographe part sillonner les villages de brousse à pied, à cheval ou parfois dans la 2 CV du sous-préfet. [...] À la fin des années 80, l’installation de nouveaux studios et l’arrivée de la couleur font une rude concurrence au Tioffy studio. [...] La prise de vue est avant tout, pour cet artisan photographe, une succession de problèmes à résoudre, un cadre, de la lumière juste suffisante et l’économie de la pellicule. C’est 9


ainsi que sur de nombreux clichés gurent côte à côte plusieurs personnages, simplement, dont chaque visage sera fortement recadré et découpé ensuite pour en faire une photo d’identité pour gurer sur le document o ciel. De ces prises de vue réalisées pour l’administration, il subsiste les négatifs montrant ces groupes d’hommes et de femmes alignés contre un mur de banco les visages sérieux. Ces “photos d’identités”, à la différence des autres photographies réalisées plus tard, se distinguent imperceptiblement par la tension des regards, des postures, des mains tenant serré le petit bout de papier indiquant le numéro de passage devant l’objectif du photographe. Forcés et contraints, ils sont venus, il leur en a coûté de l’argent et, si celui-ci manquait ils ont dû vendre un bien. Oumar Ly, accompagné de l’agent de recensement, avoue ne pas avoir toujours été très à l’aise dans cette situation. Plus tard, le photographe reviendra, seul, à la saison des fêtes ou pour la fin des récoltes. [...] Dans la brousse, loin de son studio de Podor ouvert en 1963 où il pratiquait la mise en scène avec décors peints et accessoires, ici, à Saldé, Diatar, Guédé, Donaye, on prend la pose sans chichi, dans l’ignorance des conventions. Les villageois et le photographe sont parfaitement libres. Pieds nus, assise sur un banc, la femme tient un enfant dans chaque bras,


et derrière on palabre ; l’image tient de l’instantané familial. Comme pour ce groupe installé en plein air sur une natte, la femme fièrement assise, ses trois petits au garde-à-vous derrière le père montrant du doigt le photographe. Parfois, pour une commande de “portrait de fête”, Oumar Ly doit mettre de l’ordre dans le désordre du décor naturel, de la cour ou de la véranda, non pas pour cadrer l’immensité du paysage, mais pour retenir la singularité de chacun. Il pose alors une frontière ; la natte, un pagne tendu ou encore un tapis permettent ainsi d’isoler ce qui paraît ingérable dans le cadre : l’extérieur insignifiant et superflu. Pour qu’enfin les éléments qui composent l’image puissent se détacher et se recomposer pour un autre dessein : le portrait. Dans ces postures consenties, nul drame, nulle oppression, le sujet reste le modèle qu’il faut voir et reconnaître. Alors chacun y met un peu de soi, timidement, maladroitement ou au contraire avec l’affirmation de sa présence au monde ou de sa position sociale dans la communauté. De ces négatifs enfin révélés après avoir été enfouis au fond des boîtes durant des décennies, il se dégage quelque chose d’éminemment émouvant qui tient aussi au dévoilement du hors champ qui devait, dans les limites du format carré, ne pas figurer, in fine, sur le tirage. 11


On y devine, invité en douce, le paysage [...]. Puis dans l’économie des plans, des angles de prises de vue, il y a la présence de petits détails que nous distinguons subrepticement [...]. De rares objets dispersés dans les cours ou sur les vérandas, qui “vivent” tranquillement leur temps. Au fond, l’art d’Oumar Ly est une grande leçon de banalité. C’est le tel que, le particulier absolu, le petit monde de Podor et ses environs uniques et qui sont ici révélés. Un art de la naïveté en quelque sorte, un commencement de l’acte de photographier, sans détour, avec candeur, tel que s’entend le portrait photographique à son origine. Une prise de vue sans prétention esthétique, à seule fin d’avoir une image de soi pour qu’elle devienne objet de culte ou souvenir, sans fioriture et sans prétention à l’art. [...] Pour lui, l’unique image reste et restera celle qu’il a fait apparaître à la lumière de son agrandisseur, telle qu’il l’a remise à son client et qui depuis a pâli à la lumière ou moisi à l’hivernage. Autant de reflets de lumières que le temps a engloutis. Des images justes. Simplement justes et libres. Le photographe, faute de ne savoir ni lire ni écrire, n’a procédé à aucun archivage. Aujourd’hui, seule la mémoire de monsieur Ly, mise en images, nous révèle l’histoire unique du petit peuple de Podor et de ses environs.


La ville de Podor, installée sur la rive sud du fleuve Sénégal, face à la Mauritanie, fut, du xixe siècle jusqu’aux années 40, un florissant comptoir de commerce de l’ambre et de la gomme arabique. La vie à Podor perd de son faste d’antan depuis que le chemin de fer a remplacé le commerce fluvial et depuis qu’en 1956, Saint-Louis, situé à 210 kilomètres, a perdu son statut de capitale de l’Afrique occidentale française au profit de Dakar. Seul le campement militaire, installé à côté du fort Faidherbe, assure un peu d’activité à la ville. Sur le quai de Podor, les anciens comptoirs sont en ruine, excepté la maison Guillaume Foy, aujourd’hui reconvertie en maison d’hôte. En 2006, le fort Faidherbe a été transformé en musée. Rares en sont les visiteurs, sauf deux fois par mois, quand le Bou El Mogdah, un ancien bateau des Messageries du Sénégal, accoste avec ses touristes. Frédérique Chapuis Commissaire de l’exposition

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Regard Sud galerie – Oumar Ly – exposition du 16 janvier au 14 mars 2020

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Oumar Ly Portraits de brousse et de studio, Podor (1963-1978)

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