5styles 71 Avril 2014

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MUSIC | CULTURE | SPORT | TELEVISION | SOCIETE

#71 - AVRIL 2014

MAC TYER & NIRO “ TANT QUE LA RUE RESTE À L’ECOUTE ” DOSSIERS

OÙ SONT LES FEMMES ? PROFS EN SEINE SAINT DENIS QUEL AVENIR POUR LE RAP ? LA FRANCE QUI BOUGE

Magazine gratuit - Ne peut être vendu


S ’ É C H A P P E R AV E C L E PACTOLE DES CAÏDS OU RES TER LES POCHES VIDES DANS VO T RE CI T É... QUEL SERAIT VOTRE CHOIX ?


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Pourquoi New-York les fait rêver ? Breaking Bad Fabrice Ramothe Dossier : Où sont les femmes ? Cover : Mac Tyer & Niro Hier le rap, aujourd’hui le rap, demain…le rap ? Les profs Une France qui s’engage Trouver un emploi de nos jours : une galère ? Cinq astuces pour trouver un taf Sur les tatamis du Gokudo Les quatre visages du PSG Wicked one tournament Les amis de Kamel Amrane Kamel Amrane & Jean-Marc Mormeck Saint-Denis positive Je (ne) dans (pas) le MIA Méto, le vrai mec à l’ancienne 10 ans de rap français L’école de la cité 5Styles fait son cinéma Urban talents : El Seed Calligraffiti

Avril 2014


5STYLES, MAGAZINE GRATUIT EST EDITE PAR L’ASSOCIATION QUATRE VINGT TREIZE LETTRES Comité de direction, rédacteur en chef Rachid Santaki Direction artistique Charles « Obsen » Eloidin Rédactrice en chef adjointe Camélia Badry

29 COVER : MAC TYER & NIRO

Coordinatrice de la rédaction Aurélie Lumon Journalistes Zakaria Soullami, Fanny Wegscheider, Samba Doucouré, Redwane Telha, Kevin « l’impertinent » Victoire, Fanny Arlandis, Badr Kidiss. Photographes Toma Abuz, Yann Mambert, Fabrice Ramothe, Boris Hanequin.

20 DOSSIER : OÙ SONT LES FEMMES ?

71 LES AMIS DE KAMEL AMRANE

5 Styles est édité par Quatre vingt Treize Lettre Siren 794 785 766 ISSN 1638-8194 MENSUEL GRATUIT - NE PEUT ETRE VENDU. 5 STYLES et HIP HOP LE MAG sont des marques déposées à l’INPI. ©Tous droits réservés. La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos publiées qui engagent la seule responsabilité de leurs auteurs. Toute reproduction de textes, photos, logos ou autres est strictement interdite sans accord écrit de la part de l’éditeur sous peine de poursuite. Les documents reçus ne sont pas retournés et leur réception implique l’accord de l’auteur.


EDITO #71

CASE DEPART ?

Et si ce numéro censé clôturer dix ans de presse était le retour d’un support pour ramener la réflexion dans notre société d’immédiateté ? Pour l’instant, 5Styles revient avec 132 pages et pour la suite ? C’est une autre histoire... Tout est parti d’un noyau d’amis comme les potes de Google ou de Facebook. Comme ces belles histoires il y a eu ce début d’aventure, cette enthousiasme suivi (inévitablement ?) de ces tensions, de ces différents qui nous divisent provisoirement ou nous séparent définitivement. Si le magazine a existé, remporté des prix et a vécu pendant huit ans c’est grâce à cette synergie, cet élan. Et j’ai décidé un matin de tout arrêter pour écrire des romans. J’ai lâché huit ans de travail pour prendre du plaisir à fabriquer des histoires, écrire des scénarios mais j’ai gardé un goût amer d’avoir lâché 5Styles, sur un coup de tête et surtout parce que je n’y prenais plus de plaisir. Quand j’ai pensé à faire ce numéro c’était pour une dernière fois et je peux vous dire que j’avais oublié combien c’est difficile la presse. Etablir le chemin de fer, réunir l’équipe, caler les interviews, les photos. Bref, beaucoup de travail et de la tension même avec 70 numéros publiés, même en ayant livrés des milliers de cartons en huit ans. Mais je voulais remercier les gens présents au départ de 5Styles et tout a commencé en décembre 2002 autour d’une table avec Stéphane Ackermann et Fabrice Allouche. Cela a continué avec d’autres personnes, des partenaires devenus des amis (Wrung Division) et si le magazine a passé un cap c’est aussi avec l’aide de personnalités singulières (Adnen Bouachir, Ahmed Kerrar, Grégory Choplin, Arnold Mansilla aka Nono). Et je citerai évidemment Kamel Amrane. 5Styles, c’est bien plus qu’une expérience de presse, c’est une leçon de vie avec son lot de victoires et de défaites. 5Styles c’est surtout une rédaction et celle de ce nouveau 71ème numéro est prometteuse ! Elle se compose de plumes fraîches, débordantes d’énergie et de convictions. Ils ont moins de trente ans (ou tout juste) et ont assuré ce numéro dédié au département de la Seine Saint Denis et la ville des rois (Saint Denis) avec efficacité. Parce que le 93 a fait émerger 5Styles. Parce qu’il est ancré dans la culture hip hop. Parce qu’il est rempli de valeurs. Parce que des figures du mouvement achipé achopé comme les Aktuel Force, les 93 MC et NTM y sont nés, y ont menés leurs premières performances il était logique de s’inscrire ici, à Saint Denis et de consacrer une partie de ce numéro à la


banlieue nord. Mais chers lecteurs d’autres territoires sont couverts, vous constaterez que les sujets s’étendent à l’ensemble de l’Hexagone avec « la France qui bouge ». A le lire, vous remarquerez ces acteurs agissant par amour pour leur contrée et pour les autres. Et dans cette forme d’altruisme, on grandit, on avance beaucoup plus qu’en s’isolant. 5Styles c’est un magazine axé sur la musique – il était nécessaire de s’interroger sur l’avenir du rap. Qu’en est-il de cette musique plébiscitée par les jeunes – Quel lendemain pour ce mouvement qui s’est éloigné de ses prémices ? Les deux artistes Mac Tyer et Niro sont à l’affiche pour nous parler de leur musique et de la société. Nous avons évidemment traités d’autres sujets avec des personnalités remarquables : Sabrina Ouazani, Laura Satana et Nathalie Ianeta. Puis nous nous sommes posés la question : Peut-on s’affronter sur le ring et devenir ami ? C’est ce que nous raconte Kamel Amrane. Les histoires sont nombreuses entre ces pages et vous découvrirez également d’enseignants engagés dans leur travail. Après plusieurs expériences en tant que romancier, scénariste et d’autres casquettes, je savoure le bouclage de ce magazine et je félicite l’ensemble de l’équipe pour sa participation. J’espère, au nom de la rédaction, que vous apprécierez ce numéro et qu’il éveillera votre curiosité. Paix.

@Santakirachid

Ce magazine a reçu le soutien de la Préfecture de Seine Saint Denis et la ville de Saint-Denis.


▶CONTRIBUTEURS◀

Charles Eloidin

Infographiste depuis de longues années et donc passionné par l’image en général. En bon mercenaire multi-casquette, il pratique la photo, le graffiti, la peinture, le motion design et également le tatouage. Blogueur à ses heures, il a également lancé le blog urban69.fr Série (du moment) : House Of Cards.

Camélia Badry

Rédactrice en chef adjointe, cette diplômée d’Histoire et de Géographie et enseignante est aussi une ancienne de la rédaction. Présente sur les opérations de mes romans, co-organisatrice de l’évènement culturel à l’Hôtel de ville de Paris ou très impliquée sur la dictée des cités (elle s’est notamment chargée du choix des textes), actuellement sur son premier roman elle écrit pour différents supports. Elle a rédigé les articles dans le dossier « où sont les femmes ? » les séries, l’école de la cité et «Les amis de Kamel Amrane». Elle voue une fascination pour Monsieur Mackey, le conseiller d’éducation de South Park (la drogue c’est mal, m’voyez).

Toma Abuzz

Photographe Autodidacte de 32 ans, Toma vit « photos » depuis six ans. Il s’est chargé des campagnes publicitaires pour Adidas, Wrung Division et également des portraits de différents artistes. Avec son objectif il capture le temps et a réalisé la couverture de ce numéro. Série : The Wire

Série : South Park

Fanny Wegscheider

Diplômé d’école de commerce (BAC+5), elle s’est reconvertie dans le journalisme (avec cinq années d’études dans ce domaine). Elle a écrit pour Rolling Stone puis a été journaliste reporter Images et animatrice d’une émission culturelle chez TVM Est Parisien. Aujourd’hui, elle travaille à la Rédaction du «12.45» de M6 et sur d’autres projets. Fanny s’est chargée d’interviewer les personnalités du dossier « Où Sont Les Femmes ». Série : Felicity

Samba Doucouré

Economiste, il écrit des billets et des sujets pour différents supports sur la toile. Il est jeune et l’avenir est à lui ! Il s’est chargé du sujet sur « les jeunes et l’emploi».

Samba écrit pour Africultures, il est producteur de l’émission «Bienvenue chez oam» sur Radio Fréquence Paris Plurielle. Diplômé du Centre de formation des journalistes (CFJ), il est passé par RTL, Canal+, Streetpress.com et ZaléaTV. Ce qu’il ne déclare pas c’est qu’il a gagné le concours « L’égalité des chances dans la société française d’aujourd’hui » car il a sûrement claqué le prix dans une chicha sans nous inviter. Ben bravo Samba...

Série : Game Of Thrones.

Série : Dragon Ball Z

Kevin Victoire


Marion Bao

Ayant grandi dans le 95, Marion Bao F. entame un CAP de Graphiste Décorateur et poursuit ses études aux Beaux-Arts en Bretagne où elle obtient son DNSEP. Immergée par passion dans l’univers du Hip-Hop, du monde de l’édition et de la culture DIY, elle participe à des manifestations et s’investit dans des projets de graphisme avec son acolyte Thibault Larcher. Elle a fait les illustrations des « Quatre Visages Du PSG » et du dossier « Où Sont Les Femmes ».

Fanny Arlandis

Journaliste, photo-journaliste, icono et éditrice photo elle écrit pour Le monde, Slate, Snatch, Getty Images en culture et en société principalement sur la photographie, la guerre, le genre. Elle a réalisé le sujet sur « La France Qui Bouge » Série : The Wire

Rakidd

Rakidd ou (Rachid Sguini en IRL) est illustrateur, il a grandi au Puy-en-Velay, fait mes études d’art à Lyon et vit désormais à Paris. Blogger BD sur «Les Gribouillages de Rakidd». Il peint et écrit quand il a le temps. Il a illustré l’édito ainsi que les articles sur « New York », « Les jeunes et l’emploi », « 5 astuces pour un taffe ». Série : Seinfeld

Série : DesperateHousewives

Zakaria Soullami

Redwane Telha

Journaliste, il a écrit pour des blogs, bossé à Radio FG, Beur FM. Il a également travaillé à l’émission de « Touche Pas A Mon Poste ». Agé de seulement 21 ans, il est le benjamin des contributeurs et a déjà fait couler beaucoup d’encre. Il a réalisé les sujets sur l’avenir du rap, les dix ans et assuré le bouclage de ce magazine. Série : Magnum

Admissible à l’ESJ pro Montpellier, journaliste rédacteur au service des sports de France Télévisions, Zakaria vient de Saint-Denis et fait partie des pépites dionysiennes. Il se dirige vers le journalisme sportif et fera parler de lui. Il a écrit sur le sujet sur les profs et participe à la vie associative de Saint-Denis. Série : Dexter

Thibault Larcher

Graphiste de formation, amoureux de l’image, Thibault est un grand passionné de HipHop et de l’univers du sport. C’est l’acolyte de Marion et il s’est chargé d’intervenir sur le graphisme des dessins de Marion. Série : Sons Of Anarchy

Badr Kidiss

Passionné d’écriture depuis toujours, il a obtenu son master en Journalisme à l’ESJ de Casablanca et écrit des dizaines d’articles sur différentes thématiques. Il prépare actuellement une licence en Sciences Politiques à Paris 8.


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ON EMBARQUE !

POURQUOI NEW YORK LES FAIT REVER ? L’intérêt grandissant des jeunes français pour le continent outreatlantique nous a interpellé. Au point de recueillir l’avis de deux habitués des Etats Unis ; Pourquoi les New York fait rêver de plus en plus de jeunes ? ▶ Texte | Rachid Santaki - Illustration | Rakkid ◀

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vec ses 50 Etats, ses 319 millions d’habitants. Les states font rêver. Les states font bouger. Ceux qui ont tutoyés la grande pomme nous dépeignent une société où tout est immense, tout est possible, quelque soit votre culture, votre religion ou votre couleur de peau. Pauline Peretz, historienne sur les Etats Unis, nous parle de la société 12

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américaine qu’elle connaît depuis l’âge de douze ans puisque son père y a enseigné et qu’elle y a vécu deux ans pour ses études. Son avis sur le rêve américain ? « La première dimension c’est que le pays a été construit par des immigrants. L’accueil fait aux immigrants, on le trouve dans très peu de pays. Cette dimension de rêve se trouve dans la richesse ethnique raciale aux états Unis et le cosmopolisme


qu’on voit dans les grandes villes de l’ouest et de l’est ». Elle nous explique les avantages de la société américaine : « J’aime cette idée de fabrique démocratique, chaque personne peut y arriver et plus facilement que dans d’autres pays. Tu peux très vite rentrer dans un marché mais la contrepartie c’est que tu peux aussi faire banqueroute. Cela te donne une impression de fluidité et d’énergie». Les domaines de réussites des étrangers à New York se situent pour la plupart dans la restauration, la mode, l’art. Pauline Peretz cite Atef Boulaabi fondatrice de l’enseigne SOS Chef* comme belle réussite.

« chaque personne peut y arriver et plus facilement que dans d’autres pays » Notre second point de vue est celui de Haikel Drine - âgé de 32 ans - informaticien en free-lance à New York où il travaille tous les deux mois. Cet habitant du Blanc Mesnil (Seine Saint Denis) s’est rendu dans la grosse pomme en 2010 et y vaque depuis quatre ans. Là bas, il a tout reconstruit et lancé des maraudes dans les rues de New York. « Aux Etats Unis vous pouvez

très vite décoller mais aussi vite chuter pour vous retrouver à la rue. Tandis que la France vous offre une couverture sociale. Le rêve américain est une véritable perspective de réussite, d’émancipation mais au prix fort ». Nous les avons interrogés sur les avantages de notre société. Tous les deux relèvent le conservatisme mais Pauline Peretz souligne le maillage associatif, le soucis de certaines municipalités sur des projets, la couverture sociale et également le système éducatif, possible pour tous. Pour Haikel, la France ne laisse pas de place aux illusions : « En France, nous avons des jeunes et moins jeunes qui sont en perte de confiance et d’espoir à cause de l’échec scolaire qui enclenche un mécanisme où la personne n’est plus intégrée dans la société et se sent mis à l’écart. Ils sont alors livrés à eux mêmes et le monde obscur de la délinquance leur est ouvert ». Il rejoint Pauline sur l’éducation aux Etats Unis ; un luxe à cause de son coût excessif. Certains enfants de familles modestes en sont détournés. Une autre différence se situe au niveau de la dureté des milieux sociaux modestes. « Aux États-Unis c’est plus difficile qu’en France ou en Région Parisienne. La délinquance, la prostitution courante et la drogue font partie du quotidien. Certaines associations mènent des actions dans plusieurs quartiers sur New-York mais il n’y en a pas assez ». Pauline conclue sur la force de l’Hexagone aux Etats Unis : « La force des français à l’étranger se place à travers le goût, la mode, la gastronomie ». 5 STYLES N°71

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MEDIAS

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BREAKING

BAD Dès sa sortie, nous savions que cette série avait du potentiel et en avions traité dans nos pages. Sans mauvaise surprise Breaking Bad a remporté depuis plusieurs prix dont sept Primetime Emmy Awards, une Nymphe d’or et de nombreuses autres distinctions, et a conquis un public et marqué de nombreux esprits. Nous profitons de ce numéro pour traiter de Walter White et de ses (sales) affaires. ▶ Texte | Camélia Badry ◀

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raduisez Breaking Bad par devenir mauvais. Le titre exprime parfaitement la trajectoire de ce professeur de chimie, brillant, condamné par un cancer des poumons. Et pour assurer l’avenir de son épouse et de son fils handicapé, il se lance dans la cuisine. Pas n’importe laquelle, celle de métamphétamine avec l’aide de Jesse, l’un de ses anciens élèves.

Walter, un père pas comme les autres... Vince Gilligan, créateur de la série, à qui l’on doit de nombreux épisodes sur plusieurs saisons d’ X-Files a révolutionné le petit écran. Tout d’abord en imposant un personnage qui change, un personnage lambda, qui de plus est un père de famille exemplaire. Et qui apprend sa maladie. Cet élément déclencheur

dans la vie de Walter White le transforme en un homme de plus en plus dur. S’il tue d’abord pour sauver sa peau, il finit par assassiner pour sauver ses intérêts, son business. Et la série va de mal en pire. On voit un personnage changer physiquement et mentalement. Il passe du chevelu/moustachu au crâne rasé accentuant le foncé de ses traits qui rendent son physique aussi sombre que sa morale. Au départ, Walther White vit un semi-échec dans ce lycée du nouveau Mexique. Il a manqué de monter une affaire avec des anciens collègues qui ont fait fortune grâce à une idée à laquelle il a contribuée et se retrouve dans l’enseignement à assurer le crédit de sa maison et de son quotidien familiale. Avec lui est loin le modèle des pères comme Charles Ingalls, Homer Simpsons ou même Hal (dans la série Malcom) incarné par l’acteur qui joue le rôle de Walter White. 5 STYLES N°71

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MEDIAS

Si les pères avaient ce côté patriarche classique avec les valeurs de la famille, le travail, les épaules et tout ce qui va avec, Walter brise les traditions et deale pour mettre à l’abri sa famille. Et ça marche !

« La drogue c’est mal, m’voyez ! » dixit le conseiller Mackey dans South Park La figure de l’enseignant, brillant, rigoureux devient celle du dealer talentueux. Et c’est un euphémisme ! Walter fabrique une drogue de

synthèse d’excellente qualité. La meilleure. Sa meth, appelée aussi cristal Meth est d’une telle qualité, que le prof et son acolyte coiffent tous les autres fournisseurs et s’imposent largement sur le territoire. La couleur de leur produit est bleue d’où son surnom la blueSky ; elle se fume, se sniffe, s’injecte et fait de gros dégâts auprès de ses consommateurs. C’est également le sujet abordé dans la série avec ces images fortes comme celles de ces deux junkies qui affronteront nos deux cuisto. Si le sujet est la trajectoire de Walter et celle de Jesse, où le premier est abjecte le second maladroit et sensible, le sujet dans lequel nos deux personnages évoluent reste celui de ce stupéfiant. On voit l’impact de la drogue sur la famille, sur la jeunesse et sur le comportement du consommateur. Il y a évidemment l’intérêt financier et les limites toujours franchies par Monsieur White.

Un fauteuil pour deux...

Si Walter nous surprend et nous inquiète au fil des épisodes et de saisons, son acolyte (et fils qu’il n’a pas eu) dédramatise les évènements. Pourtant la maladresse de Jesse, sa sensibilité et son addiction à la drogue alimente les situ16

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ations. Mais Jesse est l’antithèse de White. Car il est blessé, il est jeune. Et même si c’est un type issu de la classe aisée, il nous interpelle. A toujours se retrouver dans les sales plans. Il se drogue, trafique et même quand il trouve sa moitié, il loupe le coche. C’est de sa rencontre que Walter se nourrit et l’association trouve sa place dans la série et prend son envol quand l’enseignant se frotte aux autres dealers. Jesse, lui, n’a rien compris aux affaires, c’est un gentil garçon. Pendant les quatre saisons on voit un jeune homme irresponsable mais pour lequel on a de l’empathie. Parce qu’il est d’abord humain. Pourtant Jesse n’est pas proche de la mort comme White. Jesse n’a pas une famille à charge. Il a la trouille face à Paco et autres durs que le duo rencontre dans son parcours. Breaking Bad, c’est ce professeur qui s’endurcit et ce

jeune adulte qui mûrit. A l’image de sa transformation, il dénonce l’instrumentalisation de gamins dans des guerres de territoire pour la vente de drogue. Walter passe le cap dès la première saison, du meurtre avec plusieurs homicides et franchit plusieurs épreuves avec succès. Il y a dans sa cruauté une abnégation et un déterminisme qui fait froid dans le dos ou force le respect. L’autre point fort de Breaking Bad, c’est bien entendu son scénario. Il a tous les codes ; climax, spin-off et la mise en suspens de l’intrigue à chaque fin de saison. Mais son caractère se situe dans la boucle scénaristique et ses auteurs bouclent la boucle avec des rebondissements et une notion de destin.

LE (FAUX) PORTRAIT CHINOIS DE WALTER WHITE ▶ Si Walter White était un plat, il serait : Un seau de cuisses de poulet de l’enseigne Los Pollos Hermanos ▶ Si Walter White était un personnage de film, il serait : Carlito Brigante, le personnage principal de L’impasse. ▶ Si Walter White était un livre, il serait : Des Chiffres Et Des Litres, de Rachid Santaki ▶ Si Walter White était un homme politique, il serait : Nicolas Sarkozy 5 STYLES N°71

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FABRICE RAMOTHE

- LE HIP HOP COMME OUTIL DE FORMATION -

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urant une décennie, 5Styles a fait plusieurs rencontres dont celle avec Fabrice, formateur multimédia. Ce trentenaire natif de La Courneuve (où il vit toujours), s’affiche volontairement avec le livre The Tanning Of America, qui explique comment la culture hip hop a générée une nouvelle économie. Et c’est ce qu’il a vécu à travers ce mouvement puisqu’il a monté avec ses amis un label musical et porté les trois éditions du battle Hors Limite dont la dernière (qui s’est déroulée en 2004) a réunit quatre cent personnes au 4000. Infinite Musiq a également produit la première tape digitale en 2004, produit plusieurs disques. En 2007, Fabrice a stoppé ses activités avec l’association pour devenir formateur multimédia. Aujourd’hui, il initie ou perfectionne à l’utilisation de logiciels multimédias des actifs de grandes entreprises du tertiaire, des médias, de la communication. Il travaille sur deux projets, un tutorial vidéo sur le net et un site pour valoriser les réussites du pays en commençant par la Seine Saint Denis. Aficionados des séries, nous lui avons demandé une playlist de cinq séries. contact@tonifara.com

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PLAYLIST

LE TOP 5 DES SERIES SELON FABRICE Si dans les années 90, le cinéma retranscrivait la société et marquait le public, c’est aujourd’hui les séries qui illustrent des villes, des sociétés et marquent par leurs personnages, leurs trajectoires les jeunes d’aujourd’hui. Fabrice, aficionados de séries nous a sélectionné son top 5 des séries et nous a brièvement expliqué son choix. 1 The Wire, l’intégrale des saisons (US) The Wire est la meilleure série que j’ai pu voir et c’est un chef d’œuvre télévisuel. Là où les strates de la ville de Baltimore font partie du même game. Des flics aux voyous, des drogués aux politiciens tous dévorés par le capitalisme. Chaque saison nous donne un point de vue différent avec des profils intéressants». 2 The Fowolling, saison 1 (US) J’ai été scotché par The Fowolling son réseau, sa secte de tueurs en séries, d’un flic Ryan Hardy aussi torturé que le tueur qui poursuit Joe Caroll qui finit par lui ressembler. La saison 2 à regarder de toute urgence.

5 Top Boy, saison 2 (UK) Une série qui rejoint The Wire mais axée sur des jeunes prêts à tout pour monter les marches du trafic de stupéfiants. J’ai kiffé les décors de summerhouse qui ressemblent à nos cités HLM.

3 Luther, saison 1 (UK) Idris Elba est devenu un nouveau Denzel et a réussit à me faire oublier son personnage de Stringer Bell en un épisode. John Luther est un policier déchiré, impulsif, dépressif, violent, suicidaire malgré tout ça avec une intelligence accrue et élucide des crimes en franchissant la limite de la légalité.

4 How To Make It In America, saison 1 (US) Cette série c’est le système D, et la série est pour tous ceux qui veulent voir ce qu’est de porter un projet, de réussir à tout prix. C’est un classique. 5 STYLES N°71

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PORTRAIT

OÙ SONT

LES FEMMES? Texte | Camélia Badry - Illustration | Marion Bao – Thibault Larcher

La question peut sembler saugrenue. Et pourtant ! Suite à des années de lutte, pour que la femme sorte de ses statuts d’enfant ou de matriarche, un goût amer de cliché réduit cette dernière à des candidates de la télé-réalité ou des mannequins. Un courant qui nourrit les plus jeunes et les plus isolées. Tantôt caricaturée dans l’hyperbole de la liberté, tantôt noyée dans l’excès de la féminisation, la représentation du genre féminin à travers les supports les plus facile et courant d’accès, n’est plus en adéquation avec l’ère de celles qui se sont battues pour donner de la profondeur au statut de femme. Des

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femmes qui ont bâtis la passerelle entre politique et culture, telle que Simone Veil (à l’origine de la « loi veil » promulguée le 17 janvier 1975, sous son mandat de ministre de la santé, qui légalise le recours à l’interruption volontaire de grossesse), Olympe de Gouges (auteure de la « Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne » adressée à Marie-Antoinette d’Autriche, sous le règne de Louis XVI, afin d’établir l’égalité juridique et légale des femmes par rapport aux hommes) ; ou encore Simone de Beauvoir (auteure notamment du « Deuxième sexe », essai existentialiste et féministe paru en 1949).


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ourtant ces femmes, celles qui contribuent à notre société, sont toujours présentes. Aussi impliquées et déterminées. C’est cette femme engagée et téméraire qui nous montre la place de la femme et sa contribution à notre société. Dans « Le parlement des invisibles » Pierre Rosanvallon explique que la compréhension de la société passe par la littérature ou le cinéma. Aussi, Dominique Manotti, historienne et militante politique depuis la fin des années 50, et syndicaliste jusqu’au milieu des années 80, qui a permis la régularisation d’onze milles travailleurs turcs sans papiers au Sentier, continue son combat en qualité d’écrivaine ,puisque déçue par le milieu politique, et a publié une dizaine de romans « Nos Fantastiques années fric », « Bien connu des services de police », « Sombre Sentier » et parle de différents milieux, le foot, la police ou bien le monde des affaires. Aujourd’hui elle est toujours active et poursuit son travail, en observant la société, participant à des rencontres, manifestations et restant aux aguets de l’innovation.

négative qui ne doit pas nous freiner à l’accès de nos ambitions. Alizée English, quant à elle est comme Soraya, un specimen rare issue de l’EFAP et NEOMA business school. La « détachée de presse » hors du commun, après de nombreux stages dans des entreprises comme Coca-cola ou Microsoft, chef de publicité chez la marque de renom Clarins, donne un nouveau souffle, jeune et créatif, au marketing. A travers son blog «Détachée de presse» elle apporte une dose de bonne humeur, de sourires et de découvertes. Sa démarche est de créer un univers, un état d’esprit à proprement parlé “So Dettachée”, une vision audacieuse, décalée, légère, parfois humoristique, un moment d’évasion. La jeune femme y traite des thématiques très différentes les unes des autres ce qui lui permet d’avoir un large panorama de marques clientes. Elles sont aussi engagées comme Aude de Thuin, entrepreneure, fondatrice d’Osons la France et auteure de « Femmes si vous osiez, le monde s’en porterait mieux ». Elle invite les femmes à s’émanciper et casser les modèles anciens pour s’investir dans la société et y participer car la mixité est l’avenir et également un levier pour le progrès. Finalement, les femmes investissent plusieurs champs et celui qui reste encore difficile est celui de l’entreprise. Si les femmes citées résident à Paris, le renouvellement peut venir de la banlieue où les femmes sont brillantes. Pour exemples, elles assurent au sein du foyer, dans les études et la vie associative comme Melissa Samory, 26ans, diplômée de la prestigieuse école internationale d’esthétique et de cosmétique Françoise Morice, réalisant des miracles à domicile ou dans le salon Clarins où elle travaille, ou Marie-Claude Fournier, maman, ancienne professeur des écoles et investie depuis de nombreuses années en politique locale pour défendre les questions environnementales et les droits des clichois. A ceux qui se posent la question « Ou sont les femmes ? », elles sont présentes dans notre société et vous en retrouverez trois singulières dans les pages suivantes.

Le renouvellement peut venir de la banlieue où les femmes sont brillantes.

Toujours dans ce modèle de contemporaine actives, il y a Stéphanie Chevrier, fondatrice des éditions Don Quichotte, qui a publié des livres d’artistes comme Aznavour, Grand Corps Malade ou Diam’s. Engagée, elle n’hésite pas à ébranler les codes de la littérature en publiant des plumes qui n’entrent pas dans le classique. Ou encore Marlène Schiappa, fondatrice et présidente de l’association « Maman travaille » le premier réseau de mères actives, journaliste et écrivain. Le numérique a aussi ses jeunes « leadeuses » productives et dynamiques. Issue de SciencesPo Soraya Khireddine, à l’âge de 26 ans, est cofondatrice du site « minute buzz », et conseillère avérée auprès de nombreuses entreprises sur leur développement des réseaux sociaux. Grâce à son blog « 12goals » où elle se lance 12 défis annuels, la super-woman du net, prouve à la jeunesse que l’impossible n’est qu’une idée

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PORTRAIT

NATHALIE

IANNETTA - LA FIDELE -

Propos recueillis | Fanny Wegscheider

Interviewer la journaliste de sport n’a pas été chose facile ! Première épreuve : trouver le bon créneau. Ensuite : attendre... Car il faut bien le dire, Nathalie avait juste “complètement oublié” notre rendezvous. Mais comment en vouloir à une personne si sincèrement désolée et si sympathique en entretien ? 22

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OÙ SONT

LES FEMMES ?

Nathalie, pour commencer, parlez-nous de votre enfance ? Je suis née à Thiais et je suis issue d’une famille d’immigrés italiens, avec tout ce que ça comporte : beaucoup d’amour, de débats, de foot, beaucoup de politique et de cinéma aussi… La famille comme on l’aime, quoi ! (Rires) Votre amour du foot, c’est de famille ? Oui. C’était la passion de mon père. Comme il travaillait beaucoup et consacrait son temps libre au foot, je profitais de ces moments avec lui. Et dans ma famille, en Italie, il y avait deux rendez-vous incontournables le dimanche : la messe à midi et le match à quinze heures ! Quel est votre parcours ? Il est assez classique : après mon bac, j’ai fait une Hypokhâgne et une Khâgne, puis une Licence et une Maîtrise d’histoire, et enfin un DEA de sciences politiques. Ensuite, je suis entrée au service des sports de Canal, à 23 ans. Ça va faire ma 19ème saison : je suis une fidèle. J’ai les mêmes amis, je n’ai pas changé de vie, ni de boîte, ni de mari ! (Rires) Thierry Gilardi, votre mentor, ne vous a pas tout de suite bien accueillie, à votre arrivée à Canal +... Oui. En fait, il craignait que je ne sois qu’un coup marketing : il détestait la starification des gens d’antenne. Donc il m’a vite fait comprendre qu’il fallait que je mérite mon poste. Et seulement parce que j’étais une journaliste qui avait toute sa place dans la Rédaction. C’est le plus grand service qu’il m’ait rendu. Quelle est le secret de votre réussite ? Comme partout, le seul secret, c’est le travail ! Notre métier, même s’il est très enviable, a quand même ses contraintes. D’abord, sur une émission en direct, il faut travailler TOUS les dossiers, même ceux sur lesquels on ne parle pas... au cas où. Il faut aussi une technique de l’improvisation absolue. Il faut savoir maîtriser ses nerfs, ne rien laisser paraître. Et puis, la télé est un milieu ultra violent où tout peut s’arrêter du jour au len-

demain, alors il faut une vraie personnalité pour ça ! Quels sont les clichés sur le foot qui vous agacent ? Tout le monde les connaît : que c’est un sport de beaufs, qu’il y a trop de pognon, que les supporters, les joueurs... et les journalistes qui vont avec, sont des abrutis ! Et des femmes journalistes : que ce sont des potiches et qu’elles sont forcément là pour de mauvaises raisons. Heureusement, les mentalités changent ! Et les joueuses ? Là aussi, ça évolue mais longtemps, elles n’ont pas été considérées comme de vraies filles. Je vous passe les moqueries, les préjugés... Aujourd’hui, grâce à la professionnalisation, même les hommes considèrent qu’elles produisent un jeu spectaculaire.

Dans ma famille, en Italie, il y avait deux rendez-vous incontournables le dimanche : la messe à midi et le match à quinze heures ! Quelles sont vos convictions dans la vie ? Il y a d’abord la loyauté et l’honnêteté : les gens qui trichent, ça finit toujours par se voir. Ensuite, la gratitude : il ne faut jamais oublier les gens qui nous ont fait des cadeaux dans la vie. Et puis, il y a la transmission : j’arrive à un âge où ce qui m’intéresse, c’est transmettre mon expérience [aux jeunes] qui prendront un jour ma place. Quelles est votre actu professionnelle ? Sur Canal, il y a la Ligue des Champions : la grande émission qui précède les grosses affiches. Et sur Canal + Sports, j’anime tous les jeudi “Les Spécimens”, un débat autour du sport mais sous un angle sociétal, politique, économique ou culturel. Ça me ressemble. 5 STYLES N°71

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PORTRAIT

SABRINA

OUAZANI

- UNE ACTRICE BIEN DANS SES NIKE ! Propos recueillis | Fanny Wegscheider - photo | Zaher Rehaz

J’attends Sabrina Ouazani dans un café des Champs Elysées, près du Lido, où elle remettra un prix à la cérémonie des Globes de Cristal, le soir-même. Alors que je sirote un smoothie, en cette chaude journée de mars, Speedy Gonzales... euh, Sabrina... déboule à ma table ! Pleine d’énergie et tout en sourire, la comédienne, originaire de la Cité des 4000 à La Courneuve, répond à mes questions sans chichi ! 24

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OÙ SONT

LES FEMMES ?

Sabrina, comment es-tu devenue actrice ? Ma mère avait vu une affiche pour un casting, dans la cité [pour le film L’Esquive, d’Abdellatif Kechiche]. J’avais treize ans. Elle nous a demandé si ça nous intéressait, mon frère et moi. On a tenté le coup et on a été retenus ! Et avant même que L’Esquive ne sorte, le réalisateur Jean-Loup Hubert, qui préparait un film dans la même production que L’Esquive, m’a vue dans une scène et m’a proposé un rôle dans Trois Petites Filles, avec Adriana Karembeu, Gérard Jugnot... J’étais comme une folle ! Après le succès de L’Esquive, il y a eu les interviews et puis ma nomination aux Césars comme « meilleur espoir féminin » ! A treize ans, je me retrouvais à monter les marches, habillée en Dior : c’était fou ! (Rires). Et tes études, dans tout ça ? Comme je voulais mettre toutes les chances de mon côté pour faire un métier que j’aime, – prof de sport ou journaliste – j’ai continué le sport et fait un Bac ES. Je suis allée jusqu’en deuxième année de Licence d’Histoire... J’ai 25 piges ; si tout s’arrête demain, je peux toujours faire autre chose ! Tu es une égérie de la marque Nike. Que représente le sport pour toi ? Depuis tous petits, ma ma mère nous a toujours inscrits au sport, mon frère et moi. Peut-être pour ne pas qu’on « tienne les murs », à la cité... On a fait du judo et de la natation, ensemble. Après, j’ai fait, en même temps, du rugby et de danse classique, puis du modern jazz... J’ai toujours été une touche-à-tout. A quoi ressemble une semaine-type, dans ta vie ? En dehors de la comédie, il y a le sport, mes amis et ma boutique à Paris : « Les Javottes », ouverte avec une de mes meilleures amies, la comédienne Lorraine Mordillat, depuis novembre, près des Halles. Je fais du cirque aussi. J’ai découvert le « tissu » en préparant un numéro pour le Gala des Artistes, au Cirque d’Hiver, en

novembre dernier. C’est devenu une passion. Je m’entraîne deux heures par jour, à l’école du cirque, à Rosny. Côté cinéma, je réalise mon premier court-métrage, LàBas. C’est un hommage à mon papa et à sa nostalgie d’avoir quitté son pays d’origine, l’Algérie. Biyouna et Smaïn joueront les parents. Moi, je ne jouerai pas parce que, pour ma première réalisation, je ne veux pas m’éparpiller.

A treize ans, je me retrouvais à monter les marches [des Césars], habillée en Dior : c’était fou !

Tu es une battante. Quelles sont les convictions qui te mènent, dans ta vie ? La cause des femmes me tient énormément à cœur. Je fais partie du collectif « Unissons nos voix », avec des artistes féminines, des chanteuses et des comédiennes, comme Biyouna, Laetitia Milot, Lea Castel... Il y a aussi des journalistes. On aide l’association FIT, Une femme, Un toit, qui héberge des jeunes femmes victimes de violences. On est soutenues par la ministre Najat Vallaud-Belkacem et on a enregistré une chanson, au bénéfice du FIT. Moi, je chante seulement le refrain : je ne suis pas chanteuse, je fais comme je peux ! (Rires). Quel conseil de réussite donnerais-tu à des jeunes qui voudraient suivre ta voie ? De persévérer dans ce qu’ils aiment et de toujours faire les choses correctement. Ce n’est pas en ayant les dents longues ou en écrasant les autres qu’on réussit. On peut monter très haut mais on tombe aussi très vite.

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PORTRAIT

LAURA

SATANA

- UNE ARTISTE ENCRÉE DANS LA VIE Propos recueillis | Fanny Wegscheider - Photo | Toma Abuzz

Porte sécurisée et ouverture actionnée de l’intérieur... Non, ce n’est pas en prison que j’ai rendez-vous avec la tatoueuse Laura Satana mais bien à Exxxotic Tattoo, son salon de la Rue des Pyrénées, à Paris. Moulée dans son petit jean et haut perchée sur ses bottes, la jolie taulière m’accueille tout sourire. Malgré les tattoos qui débordent discrètement de ses manches et sa gouaille de Titi parisien, Laura ressemble plus à une poupée qu’à une vilaine matonne. La mort d’un cliché ! 26

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OÙ SONT

LES FEMMES ?

Qui es-tu, Laura ? J’ai 36 ans, je tatoue depuis 16 ans et ça fait 11 ans que j’ai ma boutique dans le 20ème. Ce que je fais, je l’ai fait toute seule. Je suis une vraie self-made woman. Tu as commencé par des études d’art... Après mon bac, j’ai fait un an d’atelier, puis je suis rentrée dans une école d’art mais ça m’a soûlée ! C’était pas assez axé sur la liberté artistique. Le tattoo, ça t’est venu comment ? Ado, je faisais partie du mouvement Punk. Attention, pas ceux d’aujourd’hui. On n’attendait pas avec les chiens devant le Franprix ! [Rires]. Comme je dessinais tout le temps, mes potes me demandaient de faire des dessins pour se les faire tatouer et je me suis dit : « C’est ça que je devrais faire, en fait ! » Il y a une place pour les femmes dans le tattoo ? Aujourd’hui oui, mais quand j’ai commencé il y avait très peu d’artistes féminines. C’était souvent des femmes de tatoueurs, avec un style stéréotypé, un peu girly. Depuis quelques années, de plus en plus de nanas font des trucs qui déchirent. Ça fait plaisir ! C’est quoi ton style ? J’ai pas UN style mais ce qui me parle, ce sont les choses un peu thug et romantiques à la fois. J’aime bien cette dualité. Que représentent tes propres tatouages ? C’est la couleur de ma peau ! Pour moi, les tatouages, on naît avec et c’est la vie qui les fait apparaître au fur et à mesure. Mes tatouages racontent ma vie. C’est pas seulement esthétique. Tu tatoues Booba. D’autres célébrités aussi ? Oui, des sportifs, des artistes étrangers… Par exemple, j’ai tatoué toute l’équipe de The Weeknd. J’ai aussi tatoué Chad Hugo [The Neptunes] et Jonny, le guitariste de Social Distortion.

Que t’apportent tes collaborations avec des marques comme Nike, Make Up Forever, Wrung ? Ca fait seize ans que je tatoue, je veux pas me lasser. D’où les collabs, les toiles, les illustrations. Après je suis super contente de reprendre ma machine de tattoo. Et le sport ? J’aime vraiment beaucoup la course à pied ! C’est comme le tattoo, c’est très mental. Je vais faire le semi-marathon en mars. Comment transmets-tu ton art aux jeunes ? Je dis tout le temps à mes apprentis que c’est bien beau de vouloir faire des tatouages mais il faut une vraie passion parce que ça demande un investissement personnel très important pour être bon. A mes débuts, je me levais le matin, je dessinais avant d’aller à la boutique, je rentrais le soir, je préparais mes dessins pour le lendemain... Quelles sont les convictions qui t’animent ? Je pense qu’il faut se défaire des stéréotypes qui nous empêchent d’être libres dans notre art. Des fois, des mecs qui me voient me disent : « Ah, je t’imaginais pas comme ça ! Quand tu communiques, on a l’impression que t’es super rentre-dedans... ». Ils s’imaginent une camionneuse ! [Rires]. C’est pas parce qu’on a du caractère qu’on est forcément une camionneuse. Il faut juste être soi-même et c’est ce que j’essaye de faire !

[Mes tatouages], c’est la couleur de ma peau ! Je pense qu’on naît avec et que c’est la vie qui les fait apparaître au fur et à mesure.

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COVER INTERVIEW

MAC TYER &

NIRO L’un est du 9-3, l’autre est d’ailleurs. Quand l’un sortait ses premiers projets, l’autre sortait à peine du collège. Mac Tyer et Niro n’ont à première vue rien en commun. Et pourtant, on les a réunis lors d’une interview croisée. L’occasion de philosopher avec eux sur ce qu’est le rap. Du moins, leur rap. ▶ Propos recueillis | Rachid Santaki- Photos | Toma Abuzz ◀

Comment s’est faite la connexion entre vous ? MAC TYER : Sur un morceau qu’on a fait pour le projet de Joke par l’intermédiaire d’Oumar (DA Def Jam France). C’était notre première rencontre et nous sommes restés branchés. Niro est un très bon rappeur et quelqu’un que j’apprécie humainement. NIRO : Exactement. (il sourit). Je confirme ce que Monsieur a dit. On est sur la même lon-

gueur d’ondes. Que ce soit dans la couleur, dans le délire et humainement. C’est un bonhomme. Niro, on t’a choisi en couverture car tu touches un grand nombre de jeunes. Comment tu expliques l’impact de ta musique sur eux ? NIRO : Les jeunes s’apparentent à nous. Quand on parle avec les gens, ils n’ont pas l’impression qu’on leur ment. Et ça colle tellement à leur ré5 STYLES N°71

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alité. Ça en fait des supporters, des frères ou des sœurs qui nous soutiennent et qui se reconnaissent dans les expériences de vie. Et puis le rap reste une musique dans l’ère du temps. En parlant de rap dans le morceau Laisse Pas Trainer Ton Fils, Niro dit « Ecoute pas ces rappeurs, wallah rien qu’ils mythonnent ». Mac Tyer, que penses tu de la responsabilité des rappeurs ? MAC TYER : Tout le monde écoute du rap. Donc cette musique accompagne les jeunes mais le rap n’a pas d’influence sur eux. Le public s’intéresse au rap et a un avis beaucoup plus poussé qu’il y a quinze ans. Ils peuvent écouter un artiste et dire : « On l’aime bien mais il ne va durer ». Les jeunes ont un esprit critique et une analyse sur ce qui se passe dans le rap, que cela ne les influence pas.

« Les jeunes ont un esprit critique et une analyse sur ce qui se passe dans le rap, que cela ne les influence pas » Niro C’est un peu comme dans le foot ? Tout le monde est informé ? MAC TYER : Voilà ! (il fait un signe de la main). Ils sont au courant de tout comme s’ils étaient dans les coulisses du rap, ils parlent même des signatures des artistes en maison de disques. C’est un peu comme dans la téléréalité. Et les auditeurs sont dans les coulisses. NIRO : Les gens sont même au courant de tes ventes, si cela correspond à ton buzz. Même s’ils savent tout du business, ils s’interrogent beaucoup sur ta vie privée. Quand je mets en ligne un nouveau morceau, il y a des RT (ndlr 30

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retweet) mais ils s’intéressent à l’aspect privée de la chose. Est ce que je sors avec quelqu’un? Et si c’est une actrice ou telle femme ? Et les gens accordent de l’importance au physique: « Lui il est moche. Lui il est gros ». Tu peux avoir du talent mais si ton image n’évolue pas en fonction de ta popularité, on se fout de ta gueule. Si tu changes de coupe de cheveux, on va dire que tu as changé. Si tu rappes plus énervé, on va dire que tu as changé. MAC TYER : Quelque part, si les gens critiquent ton apparence, c’est qu’ils s’approprient ton image et ce n’est pas quelque chose qui arrive tout de suite. D’abord tu découvres la musique puis la personne et c’est ensuite que tu fais attention à sa dégaine. Plus jeune, on écoutait des rappeurs et on se faisait une image d’eux. On les façonnait dans notre tête et les gens réalisent que ce sont des mythes, des symboles. Comme il y en a eu dans le rap américain ces quinze dernières années. Mac Tyer tu évoquais les quinze dernières années. Tu es présent dans le rap game depuis la fin des années 90. comment-as tu traversé ces époques ? MAC TYER : J’ai fait sept disques et aucun de mes albums ne se ressemblent. Je ne me répète pas et c’est parce que je fais du rap comme un puriste, c’est peut être une question de caractère. Mais avec ce public qui s’approprie le rap on va enfin voir qui sont les artistes. C’est simple d’arriver dans le rap mais une fois que tu y es, c’est à toi donner la direction et pas l’inverse. Tu as des gens qui n’aiment pas la musique et qui se retrouvent prisonniers du public. Je suis libre à ce niveau là et c’est ce qui me permet d’être là. Effectivement le problème c’est que des rappeurs répondent à une demande et ça ne te permet pas de construire une carrière. NIRO : Tout a changé. Le respect de l’artiste, de sa musique mais une partie du public le connait, sait quelles valeurs ça implique et c’est pour ces raisons qu’on ne sera jamais au sommet du top des ventes. Je prends l’exemple du morceau Ha ! Ha ! Ha ! où So a pris des risques


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avec un morceau house et j’ai souvenir que des gens me disaient « Il part en couilles ». Alors que le titre était bien fait. Et le but c’est de se diversifier. Et on te laisse deux choix, soit tu te répètes et tu réponds à une demande. Soi tu sors de ça et on dit que tu es sorti de la rue. Beaucoup de paramètres rentrent en jeu et c’est à l’artiste de faire preuve de caractère, de traverser le désert car tôt ou tard, le public se rend compte de ton travail, de ta démarche. Je me souviens des premières fois où j’ai vu Le Général (ndlr surnom de Mac Tyer), il était dans une ambiance Dirty (ndlr genre musical). J’étais dans ce délire, d’ailleurs c’était avant-gardiste et je trouvais qu’il faisait ça bien. Mais ce n’était pas le cas de tout le monde, et c’est arrivé après. MAC TYER : La mode ça part. Et ce qu’il te reste dans ta carrière c’est ce que tu apportes

à la musique. On vit dans un monde déjà difficile. Et la musique c’est encore plus difficile. Et le rap l’est encore plus. On va monter, chuter et c’est ça une carrière. Les artistes durent. Pas les rappeurs. Niro, qu’est ce qui t’as donné envie de franchir le pas et d’aller vers la musique ? NIRO : Je devais avoir onze ans, à peine trois ans après être venu du Maroc. J’allais dans des concerts avec des anciens. J’avais la maturité de kiffer des Mob Deep (ndlr groupe New Yorkais), de reproduire ça. Quand tu cherches des repères et que dehors ça vend de la drogue, ça braque ou ça fait du rap, l’écriture c’est devenue une thérapie. Je bougeais beaucoup et j’ai rencontré des gens, posé sur des projets. Je vais pas dire que j’ai forcé les freestyles. Mais pr5 STYLES N°71

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esque (il rigole). A l’époque, j’ai croisé beaucoup de rappeurs et ils ne s’en souviennent pas. Et c’est le travail qui m’a fait avancer. Et un ancien de ma cité qui a disparu depuis 2003 et c’est d’ailleurs l’une des raisons qui fait qu’on est fier. Cela te gêne qu’on mette en avant le fait que tu viennes de province ? NIRO : Non. D’autres artistes viennent de province comme Joke. Gras Dur aussi qui vient du nord. Et ça fait du bien. C’est une fierté de représenter une grande partie de la France, je vois que ça motive les gens. Ils me voient avancer et cela leur donne plus de confiance. Avant le rap n’était pas accessible. Tout se passait sur la capitale, à Marseille ou les grandes métropoles avec des mecs comme Dadoo. Mais c’étaient des gens qui bougeaient. MAC TYER : Quand je regarde l’état du rap français, je vois que la fraicheur vient de province. Les rappeurs parisiens sont ramollis par les chichas, les réseaux sociaux,... Les artistes de province ont une approche de la musique

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plus profonde. J’ai l’impression que c’est la province qui va faire avancer le rap français. Mac Tyer, on parle de la province et l’une de tes lacunes c’est l’absence de concerts, notamment en province et même à Paris ? MAC TYER : J’avais plusieurs obstacles. Au niveau de ma vie privée et mon point de vue en tant qu’indépendant était de privilégier les clips, les albums et du coup, j’ai négligé cette étape que j’aime. Tu as fait ta première date en novembre dernier et c’était la première en solo. C’est surprenant pour un artiste avec une telle discographie ? MAC TYER : Oui, j’ai joué ma musique sur la scène du Nouveau Casino en novembre 2013 et ça a surpris les gens qui ne m’avaient jamais vu en concert. Mais à l’avenir je vais faire des concerts, me prendre la tête car la scène, c’est quelque chose d’incontournable. Avoir le micro en main, partager ça avec le public, c’est un moment de partage, ça véhicule plein


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d’émotions. J’espère monter une tournée avec Niro et d’autres artistes. Faire comme le font certains rappeurs américains. Et toi Niro, tu tournes pas mal déjà ? NIRO : Oui, je faisais des concerts à droite et à gauche, des clubs et j’ai tourné avec Kery James. Je faisais partie du show on a fait le tour de la France, j’avais que ça à faire et ça m’a permis d’écrire l’album. Niro tu disais que les gens sont bousillés par la rap ? NIRO : Ça rejoint tout ce qu’on dit. Le rap ce n’est que de la musique mais en même temps ça peut susciter des vocations. Ça peut te donner envie d’entreprendre. Mac Tyer, l’aspect militant du rap, c’est ce que tu défends en tant qu’indépendant ? MAC TYER : Oui. Le rap est une musique comme les autres et elle s’inscrit dans le quotidien de certaines personnes, dans leur réflexion, leur condition. Le rap comme le blues, la soul, a bousillé les gens. I Feel Good de James Brown est considéré comme un classique. Mais il l’a fait à une période où les noirs américains n’avaient pas le droit de rentrer dans les lieux où les blancs mangeaient, etc... Et dans ce morceau qui dit « je me sens bien » (traduction du refrain), en pleine ségrégation, ça portait les gens. Ils adhéraient et la musique avait une portée. Le rap c’est un courant qui influence le peuple. Comme la musique des anarchistes avec leur métal rock. Il y a toujours eu ça, Bob Dylan a été tué par un de ses fans et son meurtrier devait être bousillé. Cela accompagne tellement la vie des gens. Le rap français a un impact sur les gens en prison et ça a un autre impact. Le type incarcéré écoute des morceaux et peut découvrir un artiste et avoir une valeur inestimable et développer un rapport avec l’artiste à travers l’album. Et c’est dans ce cas là qu’il se passe quelque chose. En même temps et c’est ce qui ressort du dossier sur l’avenir du rap c’est que ce genre musical est au carrefour de la pop.

Est ce que cela te dérange Niro ? NIRO : Non, cela ne me dérange pas qu’on aie plusieurs genres et que certains soient dans un délire pop. Que la visibilité ne soit pas répartie, ça me dérange parce qu’on croit que le rap ne se limite qu’au rap grand public. Et en mettant en avant un seul genre, on n’a plus de développement, plus d’artiste pour “notre” rap.

“ Quand je regarde l’état du rap français, je vois que la fraicheur vient de province. Les rappeurs parisiens sont ramollis par les chichas, les réseaux sociaux,...” Mac Tyer

Mac Tyer quelle est ta vision sur le développement du rap, sur le développement artistique ? MAC TYER : Ils ne prennent plus de risques. Avant je pensais que le vrai rap ne passait pas en radio et quand ça tournait sur les ondes, c’est que c’était un buzz. Mais la musique c’est un cycle et c’est éphémère. C’est comme ça, c’est pas lié à l’artistique et un rappeur fort va traverser les époques. Et le rappeur lambda va juste faire son buzz. La durée de vie d’un rappeur c’est trois ou quatre ans. Quand j’écoute un rappeur je sais s’il va durer grâce à son contrat ou grâce sa musique. Et l’artiste ne saura même pas qu’il s’essouffle, il ne le réalisera pas. Je sais que je suis un artiste et que je suis intelligent et bosseur. Que tu sois fort ou faible, tu vas durer. C’est comme au football, tu peux être fort mais il faut gérer, tout est une question d’intelligence et de travail. Tu peux être un génie et rapper un seize mesures mais tu peux pas changer le rap avec un seize 5 STYLES N°71

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mesure. C’est en étant régulier dans ton travail que tu contribues au mouvement. Si tu dis que tu es quelqu’un dans le rap, c’est que t’as apporté quelque chose, on t’identifie, c’est ça un rappeur. C’est comme aux Etats Unis. Et c’est dans tous les domaines, soit t’es dans une mode, soit tu traverses les époques et je ne te parle pas de réussite commerciale. Jay-Z a traversé les époques et d’autres mecs comme Jadakiss ont traversé les époques. Juice G qui vient d’un groupe de rap qui s’appelle Three Six Mafia et que tous les jeunes écoutant aujourd’hui alors qu’il a vingt ans de carrière ! Je te donne un exemple avec un mec comme Booba qui est là depuis très longtemps et qui fait son business. Ou un mec comme Dany Dan qui fait un seize mesures avec des petits jeunes. Tu as des gens qui traversent les époques parce qu’ils restent actifs, parce qu’ils participent à ce mouvement.

« Beaucoup ont décroché mais nous, on continue le combat. » Mac Tyer Contrairement à des époques où je t’ai connu plus virulent, je trouve que tu es apaisé. Plus serein. MAC TYER : Oui, je me sens léger. Le rap est aujourd’hui comme je le souhaitais. J’ai été l’un des premiers rappeurs à choquer le public en chantant sur le titre « Petit Frère » et tout le monde disait : « Mac Tyer part en couilles ». Mais ce décalage, je l’avais déjà avec mon groupe Tandem où l’on est arrivé en rappant sans rimes, qu’avec des allitérations. J’ai l’habitude de faire ce que je souhaite et je me sens en phase avec le public. J’ai ressenti ça lors d’une scène en jouant le morceau « Scorpion » avec Niro et Joke. Quelles sont les réactions des rappeurs 34

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qui ont décrochés quand tu les vois ? MAC TYER : Ils me disent que ça a changé, la musique. Alors que j’ai l’impression que ça commence. Je suis de l’école haut couteau (il sourit). Je ne sais pas comment t’expliquer mais j’ai essayé de relier ma musique à un combat social. J’ai racheté mon contrant alors que les gens cherchent des contrats. Beaucoup ont décroché mais nous, on continue le combat. Lors des tournées, tu expliquais que cela te gênait, l’enthousiasme du public ? NIRO : En fait c’est un mélange de plusieurs sentiments. De gêne. De fierté. Etre un artiste c’est une expérience de vie, pouvoir rencontrer ton public et en tant qu’artiste, on est quelque part privilégié. Plusieurs sortes de gens viennent à mes concerts et j’ai l’occasion de discuter avec des mamans, des enfants, des sportifs, des voyous, des handicapés et on partage tous les mêmes valeurs. C’est fort humainement et ça t’apprends beaucoup de choses. Ouais, c’est enrichissant, c’est lourd. Dans un titre tu dis : « Le rap français on s’en bat les couilles tant que la rue reste à l’écoute » ? NIRO : Le jour où mon public ne me suit plus, ça sert à quoi ? Je veux bien qu’on développe sa carrière mais à quel prix ? Je ne me fixe pas de limite tant que cela reste de la musique. Que ça parle à mes gens, à mon poto So et je n’ai pas la prétention de dire que je suis plus fort de la terre. Surtout que dans le ghetto, on n’aime pas trop les gens prétentieux. Mac Tyer, quelles sont tes limites en tant qu’artiste ? MAC TYER : Les limites se fixent dans les valeurs humaines. Selon notre éducation, on a des limites à ne pas dépasser. (ndlr Mac Tyer montre genius, le beatmaker de Niro venu à la séance studio). Tu vois Niro, il est là avec son beatmaker. Ils peuvent écouter, regarder des films, écouter des musiques et trouver un sample. Mais à partir du moment où tu es un artiste, t’as pas de limites, tu te nourris et tu vas le plus loin possible.


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Et toi Niro, à qui évites-tu de faire écouter ta musique ? NIRO : Aux rappeurs (rires)... J’ai mis des restrictions au niveau de ma famille et j’ai fait ça par pudeur car ce ne sont pas ces valeurs qu’ils m’ont inculquées. Dès que je ferai des trucs plus ouverts, je les laisserai écouter. C’est une expérience de vie, ça rassure ma mère mais j’évite de lui montrer ce que je fais. C’est normal de préserver sa famille de ces perversions. On parle des parents. Pensez vous que les jeunes parents se déresponsabilisent ? MAC TYER : Ce sont de nouvelles structures

familiales. Aujourd’hui les parents qui font des enfants sont nés ici. Ces nouveaux couples se déchirent devant les enfants et les impliquent même dans le conflit. Alors qu’avant, nos parents nous préservaient. Aujourd’hui, dans les familles, c’est Berverly-Hills, c’est la génération occidentale. Et c’est ce qui fait qu’on a ces bouleversements dans les familles. NIRO : Il y a certains parents qui sont dépassés. Ils ne peuvent plus lutter. J’ai déjà vu ma mère dire : « je n’ai plus de force ». Mais tu ne peux pas dire que les parents se déresponsabilisent. Après c’est une autre génération de parents, tu as des parents qui fument et qui envoient leur enfants chercher du shit. 5 STYLES N°71

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MUSIQUE

HIER, LE RAP. AUJOURD’HUI, LE RAP. DEMAIN… LE RAP ? ▶ Texte | Redwane Telha ◀

Il y a 24 ans, « Qui sème le vent récolte le tempo » du rappeur MC Solaar s’était vendu à 400 000 exemplaires. Pourtant, il n’a pas contribué à l’époque à rendre le rap « fréquentable ». Marginalisé pendant longtemps, cantonné à une certaine périphérie musicale depuis toujours, le rap sort désormais des caves pour venir s’imposer au grand public : clash Booba/La Fouine en boucle sur BFM TV, Maître Gims en rotation sur NRJ,... Cette nouvelle exposition va-t-elle tuer le rap ou en faire une culture dominante ? Retour sur le rap d’hier pour comprendre de quoi sera composé celui de demain.

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tudio SFP. Boulogne. 29 novembre 2012. Le soir. L’ambiance est électrique. L’air l’est tout autant. Cyril Hanouna s’articule. Il s’agite, brasse de l’air, anime son show à lui, son instant, son Touche pas à mon poste. Mais cette fois-ci, et ce pour la première 36

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fois de la saison, tous les regards ne sont pas tournés vers lui. La star, c’est l’autre, l’homme qui arrive, voilà : lui là bas! Casquette vissée, attitude franchement désinvolte, tee-shirt trop près du corps. Lui, c’est Booba. Le public de TPMP l’attendait avec impatience, certains étaient même station-


nés devant le studio, espérant voir passer la Audi RS4 noire qui amenait le rappeur. Les chroniqueurs n’ont qu’une seule hâte : pouvoir se frotter, dans tous les sens du terme, à B2OBA. Alors, lorsque Cyril Hanouna invite le MC à faire son entrée sur le plateau sous les applaudissements, on comprend soudain. Ici, en plein cœur du système et du showbiz, le Duc de Boulogne joue à domicile. Lui qui est si controversé dans les rues de nos villes a trouvé sa place. Lui qui avait été censuré de partout jusqu’à très récemment, qui n’avait pas eu sa place sur Skyrock à ses débuts, jugé trop underground, est ovationné, ici, dans l’une des émissions de télévision les plus populaires de France. En 2012 comme en 2014, Booba n’est qu’un Marc Lavoine comme un autre. Il a fait son entrée dans le grand paysage musical français. Et le rap, tel qu’il le conçoit, n’est qu’une musique comme une autre. Ce n’était pourtant pas gagné d’avance. Lorsque la génération de Booba commence le rap au milieu des années 1990, elle trouve une musique qui n’en était qu’à ses premiers balbutiements. Seules quelques exceptions arrivaient à se faire entendre du grand public. Le rap n’avait, à cette époque, pas vocation à cela. « On rappait pour

s’amuser, se démarquer, se faire respecter » nous confie Zoxea, rappeur du groupe Les Sages Poètes de la Rue, « c’était juste une passion, un moyen de s’exprimer qui ne générait pas autant d’argent qu’aujourd’hui. » Le rap c’était ça : la spontanéité artistique d’une génération qui n’avait pas conscience de l’impact qu’aurait son art vingt ans plus tard. L’industrie musicale, elle, le comprend bien vite. « Dès les premiers pas du rap en France, notamment après sa médiatisation grâce à l’émission de télévision H.I.P. H.O.P. en 1984, les maisons de disques ont sauté sur certains rappeurs et leur ont fait signé des contrats d’exclusivité. C’est comme ça que MC Solaar, NTM ou IAM se sont retrouvés pieds et poings liés à l’industrie musicale » nous explique Karim Hammou, spécialiste de la culture hip hop.

De la création DU rap à la création DES rap Et alors que NTM s’enchaîne déjà à un certain star-system, d’autres rappeurs continuent à garder en tête que le message est au centre de tout. Lorsqu’on rap, on transmet. C’est l’époque de la Haine, nos banlieues fascinent et les rappeurs en sont les principaux colporteurs. Brut est le rap de ces années car brutale est la vie des quartiers. Les MCs ne passent pas par quatre chemins : ils pointent du doigt les dysfonctionnements du pouvoir en place et réclament une plus grande justice sociale. Des habitants des cités, les rappeurs en sont devenus les porte-voix. C’est le rap à caractère politique, qu’on appelle à tort ou à raison « rap conscient ». Mais très vite, d’autres jeunes rappeurs, avec d’autres ambitions, se disent que le message n’est rien sans un minimum d’enrobage. Et alors que jusqu’alors, en France, on ne se contentait que de reproduire ce que les américains faisaient, ces nouveaux rappeurs vont se mettre à jouer avec la langue de Molière pour aller encore plus loin dans la créativité: c’est le début du rap français tel qu’on l’entend aujourd’hui.

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MUSIQUE

« T’es l’enfant seul ? Viens-tu des bas fonds ? Des quartiers neufs ? Bref, au fond tous la même souffrance » Oxmo Puccino –

L’enfant seul – Opéra Puccino - 1998

Petit à petit, on se détache du message. L’important est de faire de belles choses, de beaux freestyles à Radio Nova. Le succès du concert de NTM au Stade de France ainsi que « L’école du micro d’argent » d’IAM fait comprendre à cette nouvelle génération que le rap prend de l’ampleur et n’est pas qu’un phénomène d’un jour. Les rappeurs sont de plus en plus nombreux et de moins en moins amateurs. Ils ne sont plus que les mégaphones de nos quartiers, ils sont artistes, soignent leurs flows et leurs rimes, leurs personnalités aussi. Ainsi, on a des titres aussi différents que « Dealer pour survivre » d’Expression Direkt et « La loi du point final » d’Oxmo Puccino. Alors que l’on avait un rap uniforme au début des années 1990, on se retrouve avec un rap aussi divers qu’il y a de rappeurs. Et à l’aube de l’an 2000, on peut déjà difficilement ranger Doc Gyneco et Kery James dans la même catégorie. Le rap est riche, le rap fascine, il est le rock de ces prochaines années. Le phénomène Mafia K’1 Fry ne fera que confirmer la chose.

Rap de rue De l’avis de tous, jamais nous n’avions eu un rap qui était aussi représentatif de ce qu’étaient les quartiers populaires français. En rupture avec le courant incarné par 38

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Time Bomb (Oxmo, Booba, Ill pour ne citer qu’eux), qui privilégiait la forme au fond, la Mafia K’1 Fry, elle, voulait être au plus proche de ce qu’était la rue. Alors, chez elle, les rappeurs sont souvent incarcérés. Certains sont assassinés. Jamais – non jamais - la Mafia ne se déconnecte de la street alors, sa côte ne fait que monter. Ses membres importent l’esprit Thug Life en France et c’est toutes les banlieues, pas seulement le 94 dont ils sont originaires, qui se sentent proches de ces rappeurs. Ils ont la crédibilité de la rue et ça, pour certains, c’est plus important que toutes considérations artistiques.

« À travers ma voix, tu marches dans ma rue. Et ce que t’entends, c’est ce que tu vois, lyrics tirés d’images crues » Rohff – Message à la

racaille – La Fierté des notres - 2004

Le rap de rue c’est ça. Un type qui raconte la rue car il a la crédibilité nécessaire pour la raconter. Quelqu’un qui sent tellement la street qu’il chante la street. Et ce style de rap plait au plus grand nombre. Les banlieues se reconnaissent et le grand public fantasme. Rohff a vendu 800 000 exemplaires de son single « Qui est l’exemple ? » en arborant une attitude bien plus hardcore que ce que pouvait montrer NTM dans les années 1990. La différence est là : alors qu’auparavant, le rap faisait partie de la culture hip hop, il fait désormais partie de la culture caillera. Dans toute la France, on abandonne peu à peu le break dance et le graffiti. Désormais, les jeunes ne parlent que de rap et d’affrontement entre quartiers. Au début des années 2000, internet nait, les skyblogs émergent et avec eux la multiplication de ces deux débats : « quelle est la cité la plus dangereuse de France ? » ou alors « Booba VS Rohff ? Qui est le plus chaud ? » Le rap parle à ce public, essentiellement masculin et qui cherche avec ces artistes à trouver le Scarface de demain, la référence ultime de la virilité et de l’attitude caillera.


Un rap grand public

Sauf que ce style coupe les rappeurs de tout un public potentiel. Hors des banlieues, qui arriverait à écouter Alpha 5.20 ou LIM tant les codes de la cité marquent la musique de ces artistes ? Certains l’assimilent au point de repousser parfois les limites de ce qu’est le rap. En 2006, Oxmo Puccino sort « Lipopette Bar », son quatrième album, et de nombreux fans lui reprochent de ne plus faire du rap tant cette œuvre a des airs jazzy. Mais d’autres auditeurs, peu enclin au rap à la base, vont écouter Oxmo désormais. C’est cette même vague qui va profiter à la Fouine qui produit un rap plus musical, plus chanté, plus adapté à un public plus varié. Désormais, même les tauliers n’hésitent pas à s’ouvrir au plus grand nombre. « Au début, rapper c’était appartenir à une contre-culture qui était en marge de tout ce qu’on nous faisait ingurgiter comme soupe commerciale. Maintenant c’est un énorme business où chacun essaye de tirer un maximum de profit. » nous dit Zoxea. Booba, par exemple, a été un des premiers en France a adopter l’autotune en 2008 pour s’essayer à la chanson. Désormais, le rap se substitue à un R’n’B de moins en moins existant, séduisant ainsi un public féminin beaucoup plus large. Il s’est ouvert au-delà des frontières qu’il s’était, ou qu’on lui avait fixé. Au point de perdre son âme? Pas pour le spécialiste Karim Hammou qui rappelle « qu’il y a toujours eu des rappeurs mainstream. Dans les années 1990 il y avait Benny B ou Alliance Ethnik. Il y a eu Diam’s ensuite. Ca n’a jamais tué le rap. Ca ne le tuera pas. Ni aujourd’hui. Ni demain. » Sauf que ces exemples étaient des exceptions. Maintenant, le rap n’est que grand public.

“Le rap s’est éduqué, ce n’est plus une bécane de cité mais un 4X4 tout terrain?” Dawala, boss de Wati B

« Il faut nous comprendre, le rap dur ne vend pas beaucoup. » Ces mots sont ceux

de Dawala, le patron du label Wati B qui a révélé la Sexion D’Assaut et en particulier Maître Gims dont le premier album solo a été écoulé à plus de 600 000 exemplaires. « Le Wati B, à la base, vient de la rue mais on est obligé d’être stratégique pour continuer à vivre. Il faut faire de la musique pour tout le monde » En quelques mots, Dawala résume la mentalité de son label et d’une génération qui arrive et qui le prend pour modèle. « Tant que l’instru est bonne, que la musicalité est là, tout roule ! On fait de la musique nous, on est dans une démarche positive. » Et lorsqu’on lui parle de pop-rap pour évoquer Maître Gims en faisant le parallèle avec le pop-rock, Dawala nous répond « qu’aujourd’hui, il faut mélanger tous les styles. » Parallèlement à cette ouverture soudaine du rap sur les autres, il y a une fascination étonnante de la hype parisienne pour le rap. Eric Hannezo, producteur du Before, l’émission sauce pop culture de Canal +, explique que « Thomas Thouroude (le présentateur) et moi même avons une ADN totalement hip hop. On a grandi à une époque où les jeunes bouffaient autant de rap que de rock. » Et là on se rappelle que le rap a déjà plus de vingt ans. Et qu’il a déjà touché plusieurs générations et de nombreuses personnalités, notamment François Baroin, l’ex ministre de l’économie, qui avait rappé du IAM en juillet 2009 sur Europe 1. Et si le véritable problème du rap était que ce sont ces amateurs qui fixent désormais les règles du jeu ? Pour foutre le feu, on attendra. 5 STYLES N°71

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SOCIETE

LES

PROFS Chaque année, 60 000 élèves quittent l’école sans aucun diplôme. Ce constat est alarmant et on est bien souvent face à ce genre de phénomène dans les banlieues, en particulier dans les établissements classés ZEP : zones d’éducation prioritaire. Dans un club de football, quand les résultats ne sont pas au rendez-vous, on s’en prend à l’entraîneur. Alors forcément quand les élèves sont en situation d’échec scolaire, c’est le professeur que l’on pointe du doigt. Même si le professeur a un rôle primordial dans la réussite des élèves, c’est toute l’équipe éducative qui en est responsable. ▶ Texte | Zakaria Soullami & Samba Doucouré - photos | Tonifara ◀

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ar ailleurs, il existe de nombreux clichés autour du métier de professeur. Contrairement à ce que l’on peut penser, cette profession est particulièrement chronophage (prend beaucoup de temps) et énergophage (nécessite beaucoup d’énergie).

En effet, si un professeur a 18 heures de cours par semaine, son temps de travail hebdomadaire est en réalité bien plus conséquent. Il faut ainsi préparer les cours, répondre aux différentes sollicitations des parents d’élèves... sans oublier les problèmes de discipline qu’il faut gérer au quotidien. Des problèmes aux42

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quels les professeurs sont confrontés en ZEP plus qu’ailleurs. Certains profs de ZEP n’ont aucune expérience, sont originaires de province et ne connaissent pas les réalités de la banlieue parisienne. Pire encore, il arrive qu’on leur impose de travailler là. Alors à la première occasion, ils s’en vont. Tout cela explique en partie les maux de l’école. Mais tout n’est pas sombre, le tableau est même parsemé de belles éclaircies. Nous avons rencontré trois professeurs ou anciens professeurs pour qui c’est un choix de travailler en banlieue. Des profs pas comme les autres.


ALEXANDRA DE MONTAIGNE, 29 ans La militante

Prof de français au collège Iqbal Masih et en MLDS (mission de lutte contre le décrochage scolaire) ▶ Carte d’identité Alexandra a grandi dans une petite cité HLM à Juvisy (91). Sa mère était secrétaire pour les Aéroports de Paris. Poussée par sa prof de philo, Alexandra va rejoindre le prestigieux lycée Henri IV après le bac. Elle y fait son hypokhâgne mais marquée par le choc culturel, elle préfère faire sa deuxième année ailleurs avant de se replier vers une double licence lettres-philosophie. Après un master de philosophie en Allemagne puis un master de lettres à Paris, elle passe le concours de professeur de français. Qu’elle réussit. ▶ Sa motivation Alexandra veut rendre à l’école ce que l’école lui a donné. Elle veut enseigner dans les quartiers populaires car « c’est là où l’école publique a gardé son prestige. » ▶ Rapport aux élèves « Il faut être attentif au comportement de l’élève: s’il vient en retard, n’a pas ses affaires, n’a pas fait ses exercices, se tient mal sur sa chaise, ne participe plus,... Lorsque ça se répète, ce sont des signes qui montrent que l’élève se désengage de sa scolarité. Il faut lui montrer que ce n’est pas normal et en discuter avec les collègues : « tu as remarqué qu’untel faisait ça ? ». Puis faire des entretiens

avec la famille, l’infirmière, la psychologue pour déterminer l’origine du problème. Un élève qui ne veut pas réussir ça n’existe pas.» ▶ Spécificité du travail Alexandra aide les collégiens à trouver un stage en 3e par l’intermédiaire de son réseau. Certains ont accès ainsi à d’autres sphères sociales. « Je leur dit souvent : « quand vous serez maire, quand vous serez ministre » il faut qu’ils se projettent. Pendant les heures de vie de classe on fait des jeux de rôle où l’on simule des entretiens professionnels. » Par l’intermédiaire de l’option média qui existe au collège Iqbal Masih de Saint-Denis, des journalistes et des écrivains interviennent et répondent aux questions des jeunes. ▶ Formation des profs « Les futurs enseignants effectuent leur stage à proximité de chez eux avec des élèves de leur milieu. C’est un cercle vicieux. Il faudrait apprendre à travailler avec tout type d’élèves. Enseigner dans certains endroits ne doit plus être une punition pour ceux qui réussissent moins bien leur concours. » ▶ Le plus beau métier du monde ? « Assurément, c’est un métier humain, où l’on va de l’avant, où l’on cherche à réussir, où l’on a le désir d’apprendre. C’est magnifique. J’en apprends moi-même tous les jours. En revanche, ça demande beaucoup d’énergie et je dois être lucide, je ne pourrai pas faire ça toute ma vie. Je travaillerai bien dans des programmes ou dans des dispositifs du rectorat pour continuer à aider les élèves. »

FABIEN TRUONG, 37 ans Le sociologue Enseignant au département de sociologie de Paris VIII et auteur de l’ouvrage Des capuches et des hommes, Trajectoires de « jeunes de banlieue » ▶ Carte d’identité Fabien Truong a grandi à Pithiviers, une ville moyenne dans le Loiret. Très loin de la Seine SaintDenis mais assez typique du profil des professeurs qui y enseigne. Sa mère est prof d’anglais et son père pharmacien. Fabien était animateur social pendant les vacances. Il travaillait avec des jeunes habitants des cités HLM près de chez lui. Cela 5 STYLES N°71

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SOCIETE

l’a préservé des fantasmes autour des quartiers réputés sensibles. ▶ Sa motivation L’élitisme, la reproduction sociale, tout cela l’ennuie. Fabien a enseigné au Lycée Janson-deSailly. « Dans ce type d’établissement, à quoi tu sers ? Comme dirait Bourdieu tu apprends juste au poisson comment nager. » J’enseignais en ES et donc j’avais une cohorte de jeunes « en train de s’en sortir. Des élèves en ascension sociale que ce soit par rapport à leurs camarades dans les filières pro ou leurs parents. Les jeunes avaient envie de jouer le jeu de l’école mais c’était compliqué. Le bac n’était assuré pour personne. » ▶ Rapport aux élèves « J’ai toujours perçu ces jeunes comme des ados. Je n’ai jamais joué au copain des élèves. Je mettais de la distance et ce, avec le savoir. Je suis là pour vous apprendre des choses, on va lire, on va bosser . Le respect tu l’acquiers à travers ce que tu transmets, tu peux passer par la conflictualité parce que parfois c’est difficile. Tu confrontes les élèves à leurs insuffisances. » ▶ Spécificité du travail « La SES ça plaît aux élèves, c’est concret pour eux de parler du pouvoir, du chômage, de l’économie. Mais quand tu as parlé de la violence symbolique ça change les choses. Une fois que tu as parlé des inégalités à l’école, la relation profs/élèves n’est plus la même. Devant les chiffres élevés des taux d’échec de fils d’ouvriers, la réaction immédiate c’est le déni. Puis ils se disent « oui mais je serai l’exception ». Enfin ils comprennent que ça va être difficile pour eux. Comme dit Spinoza « pour être libre il faut compren44

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dre pourquoi je ne suis pas libre ». C’est émancipateur de comprendre ses déterminations. ▶ Formation des profs « Sur l’orientation je me rends compte que j’ai fait des erreurs. J’étais un peu victime de ma trajectoire scolaire. La première année j’étais complètement à la rue. Je ne m’étais jamais demandé ce qu’était un BTS, un IUT etc.. On n’est pas formé pour ça. Les conseillers d’orientation ont une mission qui est impossible « comment conseiller quelqu’un que tu connais très mal ? » ▶ Le plus beau métier du monde ? Je n’ai jamais mal vécu mon métier même si c’est exigeant, c’est physique. J’ai apprécié ce métier mais je savais que je ne pouvais pas faire ça pendant trente ans. C’est compliqué de donner toute l’implication nécessaire à ça pendant toute une carrière.

KARIMA IKENE, 31 ans La dyonisienne Prof de lettres et d’histoire-géo au lycée Suger, «son lycée» où elle était déjà surveillante d’externat à 18 ans

▶ Carte d’identité : Issue d’une famille modeste, son père travaille dans l’hôtellerie et sa mère dans une crèche. Karima a un lien très particulier avec la ville de Saint-Denis. Elle y a grandi, y a fait tout son parcours scolaire avant d’y revenir pour enseigner. Et elle en est fière ! Elle est passée par le collège Garcia Lorca et le lycée Paul Eluard à Saint-Denis avant de poursuivre ses


études supérieures à l’Université Paris VIII, toujours à Saint-Denis bien sûr ! Brillante étudiante, elle obtient sa maîtrise à 22 ans. ▶ Sa motivation ? «Enseigner, c’est l’un de mes engagements citoyens. Et petite, j’aimais déjà aider les autres à faire leurs devoirs. Voir réussir les élèves, c’est aussi réussir, il y a un effet miroir». Rapport aux élèves : «respect et autorité bienveillante» «Quand tu sais, tu transmets. En classe, je parle à un groupe d’élèves, et en même temps à chaque individu.» « La discipline, c’est la moitié du travail en banlieue. On est des marins, parfois la mer est calme, et parfois c’est la tempête. Moi je gueule dès qu’il y a une anomalie, je ne laisse pas passer (...) ensuite ils t’aiment. Être juste est essentiel, ce qui crée la fermeture, c’est quand le message ne passe pas». ▶ Spécificité du travail : «Moi j’ai de la chance, je suis chez moi.» Karima rend à l’école ce que l’école lui a donné. La dyonisienne est de nature optimiste, «il faut savoir que l’échec existe mais croire en la réus-

site» et elle a à cœur de « créer des passerelles. » Par l’intermédiaire de son club de lecture, Karima fait lire aux élèves des livres comme Les Anges s’habillent en Caillera de Rachid Santaki, le genre de livre qui parle aux élèves. « Rendre la littérature accessible » en est le but, d’abord lire Rachid Santaki et passer ensuite à Emile Zola. Avec au programme des sorties pédagogiques ou encore des stages, Karima veut «rendre les choses concrètes pour les élèves ». ▶ Formation des profs : Formée à l’institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) de Saint-Denis, Karima est préparée à différentes situations conflictuelles. Du coup «je n’étais pas étonnée, je savais comment réagir». Faire passer tous les professeurs par ce genre de formation peut être un début de solution. ▶ Le plus beau métier du monde ? «Je ne sais pas mais en tout cas, j’ai toujours voulu faire ça, j’aime faire ça. Mais je ne sais pas ce que je ferai dans cinq ans. J’ai un épanouissement personnel grâce à ce métier. J’ai de la chance.»

5 FILMS SUR L’ÉCOLE EN ZEP ENTRE LES MURS (2008) | réalisé par Laurent Cantet

Entre les murs a fait sensation en remportant la Palme d’Or du Festival de Cannes en 2008. Le film se déroule dans un collège du 20ème arrondissement de Paris et met en scène un professeur de français face à une classe de ZEP. François Bégaudeau, l’acteur principal rejoue en fait son expérience de prof qu’il avait retranscrit dans son roman Entre les murs. Il y dépeint la difficile communication entre les élèves et le corps éducatif.

LA JOURNÉE DE LA JUPE (2009) | réalisé par Jean-Paul Lilienfeld

Le come-back d’Isabelle Adjani dans le rôle d’une enseignante qui décide de prendre sa classe en otage après avoir découvert un pistolet dans le sac de l’élève racailleux Moussa. La revendication

de Sonia Bergerac est qu’on puisse enfin porter une jupe en banlieue sans être traitée de salope. Un film qui a le mérite de n’oublier aucun cliché sur les quartiers : islam, tournantes, deal, violence, délinquance et j’en passe.

LE PLUS BEAU MÉTIER DU MONDE (1996) | réalisé par Gérard Lauzier

Une comédie potache classique du cinéma français qui repose surtout sur l’omniprésent Gérard Depardieu. Laurent Monier, prof d’histoire à Annecy demande sa mutation en région parisienne pour suivre son ex-femme qui enseigne à Paris. Il se retrouve avec une classe de 4ème techno à Saint-Denis et doit apprendre à apprivoiser l’environnement sauvage de la « Cité des Muriers ».

L’ESQUIVE (2004) | réalisé par Abdellatif Kéchiche Film d’auteur qui a raflé quatre récompenses dont celui de meilleur film aux

Césars, L’Esquive est un classique. Abdelkrim est amoureux de Lydia, la blonde de la classe qui s’apprête à jouer dans la pièce de théâtre « Le jeu de l’amour et du hasard ». Krimo s’inscrit pour y participer mais sa timidité est rédhibitoire. Tourné avec des amateurs, L’Esquive est une fiction proche d’un documentaire.

ÉCRIRE POUR EXISTER (Freedom writers en VO) (2007) réalisé par Richard LaGravenese

Long beach, Los Angeles aux États-Unis, où les Latinos, les Noirs, les Blancs et les Asiatiques sont divisés en communautés au sein du lycée. Hilary Swank joue le rôle d’une prof engagée qui tente de rétablir le dialogue entre les élèves de sa classe. Le film est basé sur l’histoire vraie d’Erin Gruwell qui se déroule sous fond des émeutes de 1992 et de l’affaire Rodney King. 5 STYLES N°71

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SOCIETE

UNE FRANCE QUI S’ENGAGE ▶ Texte | Fanny Arlandis ◀

La France compte 16 millions de bénévoles associatifs, auxquels s’ajoutent 1,8 million de salariés du secteur, soit 8% du nombre total de salariés.A la mi-février, le gouvernement déclarait l’engagement associatif « Grande Cause Nationale » de 2014.Mais quelle place pour les jeunes ? Quelles sont les motivations de leur engagement ?

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n entend souvent dire que les jeunes sont « apathiques », « individualistes ». En y regardant de plus près, on se rend compte (quelle surprise) que c’est complétement faux. Qu’ils défendent des valeurs d’égalité, de solidarité, de respect ou de citoyenneté, les jeunes sont bel et bien présents dans le paysage associatif. D’après une enquête de l’INSEE menée en juin 2012, 43,4% des 15-30 ans sont adhérents à au moins une association. Six adhérents sur dix ne le sont qu’à une seule, un peu plus d’un sur cinq à deux associations et environ un sur six déclarent au moins trois adhésions. Par contre, les jeunes ne s’engagent pas tous de la même façon. Des différences existent, dues entre autres à la situation géographique, à l’âge ou au sexe. La « politique de la ville » et les quartiers Si les données montrent que les jeunes des zones rurales sont plus disposés à adhérer à des associations (toutes confondues) que les habitants des grandes agglomérations, le cas du développement associatif dans « les quartiers » depuis une trentaine d’année mérite qu’on s’y attarde un peu.

dans la banlieue de Lyon, à Vaulx-en-Velin et Vénissieux, dans les années 1970/80, les municipalités ont décidé de réagir. On était aussi en plein mouvement de décentralisation qui déléguait une partie de l’action sociale aux départements. Elles ont alors créé ce qu’on appelle la « politique de la ville ». « L’idée c’était de soulever que quelque chose de particulier se passait dans ces quartiers où pauvreté et surreprésentation de la population étrangère régnaient. On est parti du constat que pour que ça marche, il fallait à la fois rénover le bâti et travailler sur l’humain. On voulait faire participer les gens à la vie de leur quartier, on a donc beaucoup sollicité le bénévolat pour faire de l’action publique», explique la sociologue Elsa Lagier. « Les municipalités ont alors sollicité la participation des gens aux associations et se constituaient partenaire pour mettre en place certains aspects de la politique sociale. (…) La solidarité est une valeur très forte pour les descendants d’immigrés qui ont eux-mêmes ou leurs parents connus des parcours difficiles, parfois la précarité ou la pauvreté. L’engagement est un moyen de maintenir un peu cette valeur importante d’entraide liée à l’expérience de la migration. »

Quand sont apparus les premiers phénomènes de violences urbaines médiatisées

Le lancement de cette politique dans les villes n’est pas anodin dans les mutations qu’a

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connues le monde associatif depuis les années 1970. Les activités économiques y sont depuis en pleine expansion, favorisées aussi par la professionnalisation du secteur. De la « consommation » à l’action Mais en parallèle, des actions plus personnelles ont vu le jour. « La seule façon d’avoir une harmonie dans les quartiers et que les gens se parlent et tout, c’est de créer des évènements. Et la seule chose qui va faire que tout ça reste, c’est nous, les habitants», commente Abdellah Boudour, co-fondateur de Force des mixités. « L’idée, c’est qu’il faut que chaque journée te serve à quelque chose », plaisante quant à lui Ychem Sallouh, chargé de développement à la Mairie de Vaulx-enVelin. Les plus jeunes s’orientent principalement vers des associations au sein desquelles ils pratiquent une activité sportive (50,5%) _ même si il ne faut pas oublier que le poids des stéréotypes participe au fait que les filles sont moins enclines à adhérer à ce genre d’association_ ou culturelle (34,7%), alors qu’à partir de 20/25 ans, les jeunes investissent de manière plus importante des associations à vocation altruiste ou militante. Mais l’engagement, c’est quelque chose de très large. « Il y a toute sorte d’engagement, constate Ychem, ceux qui s’engagent pour la Palestine, ceux qui bossent pour leurs quartiers ou même juste faire de bonnes études c’est aussi de l’engagement pour moi». « Pour moi, c’est alerter, faire évoluer les choses », pense quant à elle Mbarka Haj Ben Mohammed, qui vient de fonder à Lyon l’association « Keep Impact ». C’est aussi visiblement ce que partage Amine Fatih, originaire de Clermont-Ferrand, pour qui l’engagement c’est faire évoluer la société « vers l’acceptation de chacun ». « Les choses se changent de l’intérieur et on ne les modifie pas en pointant du doigt et en étant négatif. On les change en étant acteurs et en s’engageant professionnellement dans quelque chose sinon c’est s’avouer vaincu avant même de

commencer. Aujourd’hui une des choses dont je suis le plus fier par exemple, c’est d’avoir permis à des jeunes d’être valorisés, de jouer devant un public, et d’accéder à des activités qu’ils ne faisaient jamais. » « L’engagement est aussi une façon de lutter contre le racisme et les préjugés : la misère n’a ni couleur, ni religion », poursuit Majid Rafa, co-fondateur d’un collectif à Strasbourg. Un chemin semé d’embuches… Bien sûr l’engagement c’est aussi un chemin semé d’embuches. La plus grosse difficulté rencontrée ? « La crédibilité », lâche Abdellah du tac au tac. « Au début quand vous commencez vous êtes nouveau. Et tout ce qui est nouveau fait peur. » On ne peut pas non plus oublier que le fait d’être jeune, et donc parfois sans expérience, freine la confiance des gérants d’associations, des politiques et même souvent des habitants eux-mêmes… Parfois même, les « handicaps » se cumulent. Dans le monde associatif, être jeune est une chose ; être immigré ou descendant d’immigré, quand le climat social et les préjugés ne sont pas franchement en sa faveur, c’en est une autre ! « Bien souvent, avant même d’être légitimes pour ce que l’on essai de mettre en place, on est tout de suite catalogués par l’image qu’on renvoi en tant que personne immigrée et en tant que jeunes venant de certains territoires avec tout ce que ça peut avoir comme connotations », témoigne Amine. « Beaucoup de leaders associatifs ont eu du mal à être reconnus comme des interlocuteurs valables, confirme Elsa Lagier. Ils doivent toujours faire plus que les autres pour prouver leur loyauté et montrer que leur démarche n’est pas intéressée mais que leur but est légitime. On pense que c’est une façade qui cache d’autres motivations et ça rend le parcours d’autant plus complexe pour ces jeunes-là. Mais ça n’empêche pas l’engagement ». « On arrive tout de même à avancer, poursuit Amine. Je dis souvent que c’est juste une excuse, un prétexte, on ne peut pas s’arrêter à dire « de toute façon ça sert à rien ». Il faut ▶▶ 5 STYLES N°71

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SOCIETE

▶▶ beaucoup plus de patience, savoir être plus téméraire, prouver beaucoup plus au quotidien, ça c’est vrai. Mais quoi qu’il arrive, les portes qui se ferment peuvent se rouvrir. Et alors là, on rentre dedans de plein pied et on montre qu’on est capable aussi de faire des choses et que nos intentions sont aussi louables que n’importe quelle autre personne. Ça pousse les gens à se questionner et à se rendre compte qu’ils nous ont caricaturés. Les choses peuvent évoluer, les barrières peuvent tomber, même si ça demande beaucoup d’énergie et que c’est un combat de tous les jours.» Après, on ne peut pas se leurrer, les difficultés surviennent aussi en interne. « Avant, je m’insérais dans des associations déjà existantes. Mais j’ai remarqué qu’il y avait toujours des incompréhensions, des concurrences internes qui nuisent au développement réel de l’association et de ses activités. C’est pour ça que j’ai décidé de monter ma propre association en décembre dernier », confie Mbarka. Mais elle a décidé de transformer ses difficultés en force. « J’ai pris conscience de mes capacités en vivant des échecs dans des associations. C’est aussi eux qui m’ont poussé à monter ma propre association et qui m’ont permis de découvrir que j’en étais capable ». …mais dont les enseignements sont essentiels Pour beaucoup, s’engager c’est effectivement un moyen de s’accomplir et de s’épanouir. Les apports personnels peuvent être énormes. « Dans le milieu associatif, le simple fait de s’entretenir avec des personnes qui ont des parcours complétement différents permet d’apprendre beaucoup. D’un autre côté, ça m’a donné confiance en moi parce qu’on m’a demandé beaucoup de choses sans forcément savoir si oui ou non j’étais capable de les faire. Ça m’a permis de savoir de quoi j’étais capable, de devenir autonome et d’avoir des initiatives, mais ça m’a aussi conforté dans ce que je voulais faire personnellement », raconte Fatoumata Touré, membre de Sabouniuma et de Giving Back. D’autres, comme Mbarka, se 48

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confrontent à des situations radicalement différentes de celles qu’ils ont vécus étant plus jeunes. Maintenant, elle se sent plus en « accord avec la réalité ». Les témoignages soulignent aussi l’ouverture, que seuls l’engagement et la confrontation aux autres permettent. Le récit d’Amine est surement le plus parlant : « Avec le recul, je me rends compte que j’ai grandi avec des gens qui étaient plus ou moins comme moi, c’est à dire des personnes d’origines immigrées. Elles constituent 40 à 50% du quartier d’où je viens, la Gauthière à Clermont-Ferrand. Ces personnes ont la même culture que moi, la même façon de penser, les mêmes gouts vestimentaires, culturels et sportifs. En fait, j’étais conditionné dans cette vision très étriquée et j’avais l’impression que tout ce qui pouvait sortir de ce que j’avais connu pendant ces annéeslà d’une part ne m’intéressait pas et d’autre part n’étaient pas pour moi. Finalement le fait de pouvoir m’engager, de pouvoir rencontrer des gens me confronter à des choses qui sont complétement opposées a permis de m’ouvrir au monde. L’accès à la connaissance de façon générale est possible et même obligatoire si on veut grandir, évoluer et du coup je pense que d’une vision étriquée je suis arrivée à une vision un peu plus ouverte et je continue toujours malgré tout mon chemin aussi dans cette voie-là ». L’individualisation qui marque parfois notre société n’écarte pas nécessairement la quête de solidarité et d’échanges. Ni ce que chacun en retire. Ni l’envie de vivre et de partager notre multiculturalisme. Aujourd’hui, les jeunes sont prêts à construire des choses. Ils ont un vrai potentiel, une vraie espérance. Les politiques de la ville s’en servent, leurs permettent parfois de monter leurs projets, mais souvent ne les comprennent pas. Quand les valoriserontils réellement ? Quand cesseront-ils de les voir comme une menace ? Quand les pousseront-ils à se fédérer ?


AMINE FATIH (34 ANS) Amine vient de la Gauthière, les quartiers nord de Clermont-Ferrand. Il a intégré le monde associatif dès l’âge de douze ans, comme « bénéficiant » d’abord, avant de devenir entraîneur et dirigeant dans des structures sportives avec comme but principal de « promouvoir le basket et de permettre une alternatif au foot ». Depuis des années maintenant, il se bat pour que les équipements sportifs de la ville de Clermont-Ferrand soient accessibles et utilisés par tous « tout en valorisant les jeunes et en les sensibilisant aux discriminations et aux inégalités ». Il participe par exemple à l’organisation d’un projet en deux temps : un tournoi de basket au début de l’été et la promotion de la culture le reste de l’année (ateliers autour de la musique, la danse, le théâtre, du stand up, organisation de sorties…). Quand on lui parle de son engagement, Amine mentionne aussi le collectif « Justice et Vérité pour Wissam ». Wissam El-Yamni est un jeune clermontois décédé à la saint sylvestre 2011 dans des circonstances encore troubles lors d’une arrestation par la police. Ce collectif organise des actions ponctuelles comme des conférences ou des débats afin d’une part de faire avancer le dossier et de l’autre « faire en sorte que soit entendue la parole des habitants de ces territoires un peu oubliés ». ▶https://www.facebook.com/pages/M-Rod/156477677840623

MAJID RAFA (29 ANS) En 2011, Majid crée une sorte de collectif « en mémoire des valeurs inculquées par mon père adoptif maintenant décédé ». Aujourd’hui entre vingtcinq et trente personnes y interagissent. Le collectif n’a pas souhaité se constituer en association « pour que les actions puissent continuer même si ceux qui ont crée le collectif viennent à le quitter ». Des couvertures sont apportées aux SDF l’hiver, certaines personnes ont organisé des collectes d’habits et de médicaments pour le Maroc. Cette année, Majid travaille à l’écriture de son premier roman qu’il appellera « Un parmi des millions », « en référence au Rat Luciano et à Koma, mais pas seulement ». ▶https://www.facebook.com/pages/Un-parmi-des-millions/209689695765253

FATOUMATA TOURÉ (26 ANS) La première association dans laquelle Fatoumata s’est engagée, c’est celle de sa mère : Sabouniuma, à Nevers, en 2001. Elle l’a d’abord aidé à organiser les manifestations de danse africaine puis à gérer les papiers administratifs et la communication. Elle s’est ensuite rendue au Mali pour amener un conteneur de matériels médicaux et scolaires dans un village. Ça lui a donné envie de s’impliquer mais d’une façon plus personnelle, « je voulais faire plus » explique-t-elle. Elle a alors participé à l’organisation de tournois de Basket à Nevers et au Mali et à la création de la fédération malienne de Canoë. En 2010, elle rencontre BabacarSy, le Président de l’association Giving Back,une chaîne de solidarité instaurée par des sportifs et des artistes d’origine africaine, ayant pour but de soutenir la jeunesse défavorisée dans ses projets et d’appliquer le slogan : n’oublie jamais d’où tu viens. Fatoumata commence par gérer la communication et l’administration de l’association avant de devenir référent sur les évènements, comme les matchs de Gala organisés à Paris, ClermontFerrand ou Blois. ▶http://gouana.blog4ever.com ▶http://www.givingbackcharity.com 5 STYLES N°71

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SOCIETE

ABDALLAH BOUDOUR (28 ANS) Abdallah a grandi à la Haie-Normande, une cité du val d’Argenteuil Nord. A l’âge de 16 ans, il organise des gouters et des tournois de foot avec les autres jeunes du quartier. En 2005, il monte sa propre association « force des mixités ». Elle compte aujourd’hui quinze membres actifs et environ soixante bénévoles. Elle met en place des ateliers d’écriture pour les jeunes ou encore des actions pour les familles monoparentales ou pour les femmes battues. Depuis trois ans, Simply Market est partenaire. Le supermarché leur permet de récupérer des denrées alimentaires pour les distribuer aux familles. Début février, « force des mixités » inauguraient leur épicerie solidaire dans un local que « l’association rêvait d’avoir depuis toujours », à la Haie-Normande. L’association se diversifie depuis quelques années. Elle participe à la Dictée des cités et effectue des opérations en Afrique. ▶http://www.fdm-tv.com

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MBARKAHAJ BEN MOHAMMED (33 ANS) Déçue par des expériences précédentes, Mbarka a décidé de monter sa propre association à Lyon. « Keep impact » a vu le jour en décembre 2013 et compte aujourd’hui six à sept membres. Cette association s’articule autour de trois pôles : média, éducation et conférences. La première idée a été de créer un blog et une émission de radio mensuelle autour de l’actualité. Keep impact souhaite ensuite travailler avec les élèves exclus pour une longue durée de leur collège. L’objectif est de faire travailler l’élève sur la raison de son exclusion, « mais dans un autre contexte. (…) C’est parti du constat que les établissements scolaires n’ont pas le temps d’éduquer, ils sanctionnent mais n’éduquent pas derrière ». Chaque élève aurait la possibilité d’intervenir à la radio, d’organiser des conférences et des débats en lien avec la raison de sa sanction. Mbarka a aussi l’ambition de réussir à mettre en place des conférences et des débats « de manière participative, que chaque personne qui veut travailler à l’élaboration du débat ou de la conférence puisse le faire, indépendamment de sa place dans l’association ou de son âge ». Cette année, c’est la problématique de l’accès à l’eau dans le monde qui sera débattue, un rapport sera ensuite rédigé à l’attention des élus. ▶https://www.facebook.com/keep.qalam

YCHEM SALLOUH (34 ANS) Ychem est « amoureux » de sa ville. Il le dit, en rit, insiste. Vaulx-en-Velin, il la côtoie depuis sa naissance : l’enfance, les études et aujourd’hui le travail. Il a d’abord été directeur adjoint du secteur adolescent du centre social Lévy. Maintenant il est chargé de développement social et urbain à la Mairie « dans le but de réduire les inégalités entre les différentes classes sociales ». Il aide les associations et les comités locaux à créer et à mener à bien leurs projets. « Mon travail est de faire en sorte que les gens vivent mieux dans leur quartier. Il ne faut pas se voiler la face, on a quarante-six nationalités différentes sur la ville de Vaulx-en-Velin, ce sont des gens qui sont en difficultés, nous on les pousse tout le temps à aller plus loin dans leurs démarches, leurs projets. » Il a aussi participé à l’opération « un stade pour Gaza » qui met en place un tournoi de foot pour collecter des fonds et les envoyer dans un camp de réfugiés palestiniens. D’un point de vu plus local, Ychem participe également à la dictée des cités et organise des évènements ponctuels comme récemment la réalisation d’une fresque (la « fresque des Noirettes ») « pour réunir les gens ». ▶http://unstadepourlasolidarite.over-blog.com/article-un-stade-pour-gaza-2013-un-projet-deuxnations-115083549.html

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TROUVER UN EMPLOI DE NOS JOURS :

UNE GALERE ? ▶ Texte | Kevin Victoire - Illustration | Rakkid ◀

Trouver aujourd’hui un emploi est devenu une galère pour tout le monde. En pleine situation de crise, le chômage n’en finit pas de monter. Dans ce contexte, la catégorie des actifs (ensemble des personnes en âge de travailler présents sur le marché de l’emploi) la plus touchée est celle des moins de 25 ans. Actuellement, un jeune français sur quatre recherche un emploi. Pour ceux qui en ont un, la tâche se révèle souvent compliquée. Pour les autres, c’est un vrai parcours du combattant.

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ur le marché de l’emploi, les moins diplômés sont souvent les plus fragiles. Non pas qu’ils soient nécessairement moins compétents mais les employeurs se méfient à tort d’eux. C’est ce qu’explique Charlotte, aujourd’hui employée en CDI en tant que conseillère commerciale dans le secteur automobile : « Quand tu ne possèdes pas de diplôme, tu ne peux pas postuler à grand-chose et quand tu postules, il n’y a pas de réponse au bout. Je trouve cette manière de fonctionner débile, car tout dépend de ton caractère et de ta facilité d’adaptation. » Passée quelques années en Angleterre, elle explique qu’outre-

Manche tout est différent : « En GrandeBretagne, on regarde plus comment tu bosses. C’est aussi plus simple, tu peux quitter un taf aujourd’hui et en retrouver un le lendemain. » Elle ajoute cependant, que la France possède l’avantage de la sécurité de l’emploi. C’est grâce à une formation en attachée commerciale financée par la région Poitou-Charentes, où elle habite actuellement. Elle précise à ce sujet : « Ségolène (Royal), elle est ce qu’elle est, mais dans la région, niveau formation pour les jeunes, elle a fait des trucs pas mal. » Des difficultés, Hélène en connaît encore actuellement. Possédant un bac professionnel en comptabilité, la jeune femme cherche à se réorienter dans le social. m



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Elle explique que « sans un diplôme dans le social – qui s’obtiennent après concours – on ne peut pas travailler. Et c’est vrai même pour un poste en bureau, par exemple de secrétaire.

pour conclure : « J’aurais bien aimé rester en France mais aujourd’hui je tente ma chance à Londres. Le problème c’est que je ne sais pas trop comment ça marche là-bas et j’ai personne pour me guider. » Discours un peu similaire du côté d’Anaïs En attendant de pouvoir faire une formaqui a empoché son master en communition, c’est difficile de trouver un travail cation depuis octobre 2011 et qui malgré plusieurs expériences (3 stages en ensans bac +2. » Pour la jeune rennaise, le treprises, ainsi que 6 mois en Inde) n’est soucis vient de sa formation de départ : aujourd’hui qu’en CDD d’un an à 20 heu« La formation que j’ai eu était suffisante res par semaine comme Chargée de commais la comptabilité ne m’intéressait munication dans l’association FAM LR. pas. J’y suis arrivée par défaut. Le collège Elle évoque diverses difficultés, comme n’a pas voulu que je fasse une classe générale. » Elle ne compte pas non plus sur le les « refus inexpliqués », « l’impossibilité Pôle emploi qui selon elle « n’accompagne de pouvoir négocier un salaire corpas les chômeurs et ne leur rect » (à peine plus que propose pas de formation le SMIC), « les exigences non plus ». LES JEUNES DOIVENT, des entreprises toujours plus hautes qui cherchent Les jeunes diplômés du DÈS LEUR ENTRÉE des candidats toujours supérieur éprouvent deux DANS LA VIE plus polyvalents, expérifois moins de difficultés à trouver un emploi que les ACTIVE, AFFRONTER mentés, très vite opéraUN UNIVERS ceux titulaires simplement tionnels », « les fausses d’un bac ou d’un BEP, qui joies, suite aux réponses IMPITOYABLE ont eux-mêmes deux fois négatives des structures à moins de mal à s’insérer la fin du processus de redans le monde professionnel que les non crutement » ou encore « difficultés liées à diplômés. Pourtant, l’apparition du chôla conjoncture économique ». Le chômage mage de masse il y a 30 ans suivi des difest aussi un facteur de difficultés psyférentes crises jusqu’à la nôtre a eu pour chologiques : que ça soit « l’adaptation effet de fragiliser la situation des jeunes à ce nouveau statut de “chercheuse diplômés. De plus, une vraie dichotomie d’emploi” », « les nombreuses remises en existe entre les meilleures écoles (type question ». HEC, Polytechnique ou encore Centrale) et les universités. Ibrahim, titulaire d’un Le défi est de « tenter de ne pas sombrer master en finance d’une fac parisienne et dans l’isolement et dans la culpabiliau chômage depuis 5 mois exprime très té ». La jeune femme met clairement en clairement le problème : « La finance est cause sa formation qui ne l’a « pas assez informé sur les démarches et l’accès aujourd’hui en pleine crise. Quand on veut travailler dans ce secteur, si on ne à l’emploi ». Elle ajoute également : « Je sort pas d’une école d’ingénieur ou qu’on n’ai eu en master aucun module sur la création d’outils de candidature (CV et n’a pas de piston, c’est très compliqué ». lettre de motivation), ni de simulations Le jeune homme a même l’air désabusé. Il d’entretiens et aucune information sur déclare : « Si j’ai choisi de faire de longues le marché de l’emploi dans le secteur études c’était justement pour éviter de de la communication. Ils n’ont aussi pas galérer mais je me rends compte que je mis l’accent sur l’importance des réseaux connais autant de difficultés que plein de potes moins diplômés », avant d’ajouter professionnels dans la recherche. »


CINQ ASTUCES POUR UN TAF En France, la recherche d’un emploi ou même d’un stage en alternance vous confronte au marché du travail. Ce monde est très violent quand nous n’y sommes pas préparés. Trouver un taf, demande une préparation, un travail sur soi, car il faut s’ouvrir et se valoriser. Nous vous donnons quelques conseils élémentaires pour prendre l’autoroute de l’emploi. ▶ Texte | Rachid Santaki - Illustration | Rakkid ◀

1) LE CURRICULUM VITAE.

Le fameux « Cévé » est le support qui vous présente et qui permet de vous découvrir de manière concise. Pour cela éviter de charger le document avec des informations en bloc, des données inutiles, sélectionner les expériences sur lesquelles vous aurez matière à vous valoriser et montrer votre personnalité. Et pensez à son originalité dans la forme sans partir dans l’extravagance. Vous pouvez télécharger des modèles de CV et faire le votre : http://cv.modele-cv-lettre.com/modele-cv.php

2) ACTIVEZ LES RÉSEAUX.

Activer les réseaux ne signifie pas de demander autour de soi « Steuplait t’as pas un taffe ? » mais signifie qu’il faut rencontrer des gens, parler de votre recherche dans votre cercle, mais aussi l’étendre, sollicitez des associations, des clubs entreprise, déplacez vous sur les salons liés à l’emploi aux entreprises. Et aujourd’hui avec les réseaux sociaux, vous pouvez solliciter des responsables de recrutement ou salariés qui partageront tout simplement leur expérience. Les écouter, vous nourrir de leur point de vue vous amènera à faire des rencontres. Consultez le site www.nqt.fr (nos quartiers ont du talent).

3) VOUS !

Quand on postule pour rentrer dans une entreprise, il faut démontrer que nous avons notre place et que nous sommes engagés au sein de l’entreprise. Cet exercice se prépare au cœur de votre quartier ou de votre ville. Participez à la vie associative, cela vous permettra de rencontrer des gens, de vous faire du réseau et surtout de valoriser votre capacité à vous adapter. Consultez la maison associative de votre ville pour savoir quelle structure vous correspondra.

4) L’ENTRETIEN

La base ! Et elle reste essentielle. Trop de jeunes arrivent ou sollicitent une entreprise sans la connaître, si vous postulez, renseignez-vous sur la société, son histoire, son état et essayez d’avoir un point de vue de manière à surprendre le recruteur (sans en faire trop). La clé est le salarié intégré dans l’entreprise et en vous informant vous mettez un pied dedans. Pensez à préparer votre entretien avec quelqu’un.

5) LA DÉTERMINATION

Vous pouvez avoir tous les supports mais si vous visez un objectif sur du court ou moyen terme vous vous découragerez vite. Il faut assimiler que la recherche d’emploi se fait sur la longueur et surtout se fixer un objectif atteignable. Entre temps, prenez les opportunités pour garder une activité mais faites attention à avoir du temps pour continuer votre recherche.


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SOCIETE

SUR LES TATAMIS DU GOKUDO ▶ Textes | Rachid Santaki - Photos | BORIS ◀

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ouboute Amrane a débuté avec Vincent Parisi à Auguste Delaune en 2004. Il a pratiqué dans d’autres villes et se sont liés d’amitié. Après plusieurs essais dans des salles, Bouboute rencontre les trois frères Olivier dans leurs clubs Argenteuil et à Epinay. Fort d’une expérience associative dans le quartier Dourdain où il a entraîné les jeunes à la boxe anglaise au pieds-poings, les seniors à la remise en forme et même fait du coaching individuel à Paris. Bouboute propose aux frères Olivier d’intégrer la préparation physique et le suivi des licenciés. C’est de cette volonté qu’il donne une autre dimension au club en intégrant le stade annexe du stade de France dans la ville des

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rois en 2010. Très rapidement les résultats prennent de l’ampleur et le club devient le meilleur de France, plusieurs titres de champion de France (dont deux femmes), les Open d’Europe, vice champion du monde et même les qualifications d’Abou Dhabi. Les 200 licenciés viennent de partout, sont issus de différents milieux et forment tous une famille. Et comme le souligne Bouboute ce sont les élèves qui font le club, et chacun « ramène son parpaing », même si les profs « apportent le ciment » comme le dit ce passionné de sport avec sa gouaille à la Jean Gabin. Ils citent Curtis, Mohamed, sansue, Sniper, Hicham, Boris, Brahim, Matthias, Suzie, Rachid, Alain, Farid, Karl. Site Internet : http://www.gokudojj.fr/


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SOCIETE

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LES QUATRE VISAGES DU PSG

SUSIC•RAÏ DIANÉ•IBRAHIMOVIC ▶ Textes | Badr Kidiss, Samba Doucouré - Illustrations | Marion Bao, Thibault Larcher ◀

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▶ L’ÈRE BORELLI (1978-1991) : MAGIC SUSIC ◀

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a formidable histoire du Paris Saint-Germain démarre en 1973, lorsque le club est racheté par Daniel Hechter et « le gang des chemises roses ». Hechter est un couturier très chic et son crew est composé de personnalités mondaines de Paname comme Charles Talar, Jean-Paul Belmondo, Enrico Macias et bien sûr l’éditeur et publicitaire Francis Borelli. En 1978, après le scandale de la double-billetterie du Parc des Princes, Daniel Hechter est contraint de démissionner et de laisser sa place à Francis Borelli. Le PSG de l’ère Borelli est celui des grands nostalgiques du club. Il est indissociable d’une certaine époque du football, celle du romantisme des années 70 et 80. L’époque où l’on ne portait pas des shorts mais des culottes, l’époque des chaussettes basses et des « vrais » numéro 10. Safet Susic est indéniablement un joueur de son époque, l’un de ceux qu’on ne voit plus aujourd’hui, inadaptés au football moderne. Il est le stéréotype du meneur de jeu « yougo », très technique mais un peu facile. Safet Susic débute sa carrière en 1974 au FK Sarajevo, en Bosnie-Herzegovine, dans l’exYougoslavie. La loi interdisait aux footballeurs yougoslaves de jouer dans des clubs étrangers avant d’avoir 28 ans. C’est pourquoi Susic, arrivé durant l’été 1982 à Paris, n’a pu défendre les couleurs parisiennes avant la deuxième partie du championnat en janvier 83. Il ne tarde pas à conquérir les cœurs en offrant quelques mois plus tard au Paris Saint-Germain sa deuxième Coupe de France. Lors de la finale face au FC Nantes, « Magic Susic » marque un but et délivre une passe décisive. La passe décisive est un art et Safet en est un grand maître. Il régale les amateurs de football lors de l’historique PSG-Bastia du 22 septembre 1984 durant lequel il distille 5 passes

décisives pour un score final de 7-1. Le numéro 10 va distribuer la bagatelle de 61 passes décisives durant ses huit saisons sous le maillot parisien. La saison 1985-1986 sera l’apogée de la carrière de Susic au PSG et par la même occasion celle de l’ère Borelli. Le courageux Luis Fernandez est promu capitaine, l’ange Dominique Rocheteau plante 19 pions, Susic 10 et Paris est champion de France. Safet Susic a cependant ses défauts et il lui a souvent été reproché de ne pas assez se mettre au service du collectif et de s’égarer en dribbles inutiles. La saison 86-87 est catastrophique pour le PSG, l’entraîneur Gérard Houllier écarte Susic de l’équipe. Houllier est lui écarté à son tour au profit de Tomislav Ivic, le père spirituel de Vahid Halilhodzic, Pablo Correa, Jean Fernandez et tous les grands bétonneurs de Ligue 1. Paris joue avec une équipe très défensive mais efficace sans pour autant remporter de titre majeur. Après une honorable saison 90-91 où il inscrit une dizaine de buts, Susic rejoint le Red Star en deuxième division puis prend sa retraite en 1992. En 2010 il est élu par France Football, meilleur joueur de l’histoire du Paris SaintGermain. En 2012, le même journal lui attribue le titre de meilleur footballeur étranger de l’histoire du championnat de France. 5 STYLES N°71

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SPORT

▶ L’ÈRE CANAL+ (91-2006) : CAPITAINE RAÏ ◀

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près avoir connu bon nombre de difficultés à la fin des années 80, le PSG se relance en 1991 avec l’arrivée de Canal+ dans son capital. Le club francilien rentre dans une ère de grands succès mais aussi de ratés inoubliables.

rain, il dégageait une impression de calme olympien en toutes circonstances. Formé de 1984 à 1987 à Botafogo avant de rejoindre l’équipe de São Paulo, Rai est le frère cadet du célèbre footballeur Socratès. Altruiste balle au pied, doté d’une vista digne des plus grands, le génie de ce cador du football sud-américain avait tout pour faire peur aux défenses du Vieux Continent. Seulement voilà. Pour sa première saison et contre toute attente, la pépite Auriverde déçoit. Malgré le titre de champion de France obtenu par la formation parisienne, Raï balbutie son football et évolue dans l’ombre de Valdo, l’autre brésilien du PSG. Ses prestations assez moyennes l’ont même poussé à cirer le banc. Le club remporte néanmoins le titre de champion de France lors de cette première saison 93/94.

Au début des années 90, Canal+ est le diffuseur exclusif d’un Championnat en pleine décrépitude et sans grandes saveurs. Pour relancer la Ligue 1 et donc, redonner un peu de grain à moudre à un public moribond, la chaîne cryptée décide d’aider Paris à devenir le rival sportif de l’Olympique de Marseille. Afin de renforcer l’ossature de l’équipe, des joueurs de renommée sont, tour à tour, recrutés, à l’image de David Ginola, Bernard Lama, George Weah et des brésiliens, Ricardo et Valdo.

Après une Coupe du Monde 1994 assez difficile pour Raï (ndlr : il perd son rôle de capitaine en pleine compétition et ne joue que quelques minutes), le numéro 10 du PSG s’est métamorphosé à son retour en Hexagone. Décisif sur le terrain, l’inoxydable milieu brésilien s’est affirmé, au fil des rencontres, comme l’un des piliers du PSG et, s’est coltiné l’étiquette de « Cap’tain Raï ». Pendant ses cinq ans, le brésilien participe à la fantastique épopée européenne de Paris qui dispute deux demi-finales européennes consécutives et deux finales de Coupe d’Europe des vainqueurs de Coupes. La première est remportée en 96 face à l’Austria Vienne, la seconde est perdue face au Barça de Ronaldo et Figo.

Si l’on ne devait retenir qu’un seul joueur afin de « personnifier » cette période, ce serait sans doute, l’irréductible Rai. De 1993 à 1998, ce meneur de jeu brésilien a évolué sous les couleurs parisiennes, conduisant le club à de nombreux succès. Grand et athlétique, Rai en imposait déjà par son gabarit de déménageur (1,89 m, 87 kg). Sur le ter-

Raï joue sa dernière saison à Paris 1998, en soulevant la Coupe de France et la Coupe de la Ligue. L’idole du Parc des Princes décide de terminer sa carrière dans son Brésil natal. Il n’a pas été le premier Brésilien à avoir endossé le maillot parisien, mais il a, en tout cas, grandement participé à la notoriété du club au pays de la Samba.

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LES QUATRE VISAGES DU PSG

▶ L’ÈRE COLONY CAPITAL : LE SAUVEUR AMARA DIANÉ ◀

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a fin calamiteuse de l’ère Canal+ se conclue par le rachat du Paris SaintGermain par un trio d’entreprises pour la somme de 41 millions d’euros. Il y a la banque Morgan Stanley et deux fonds d’investissements, Colony Capital et Butler. Les américains de Colony Capital, actionnaires majoritaires voient à travers le PSG et surtout le Parc des Princes, le moyen de faire des bénéfices importants. Ils souhaitent acquérir les droits d’exploitations du stade et racheter une partie du parc immobilier tout autour. Pendant cinq saisons, les américains auront pour objectif principal de donner plus de valeur marchande au club d’où les investissements pour la rénovation du Camp des loges, centre d’entraînement du PSG à Saint-Germain-en-Laye. Concernant la politique sportive, le projet est essentiellement de réaliser de bons coups pour pas cher. Cela va se concrétiser par les arrivées de joueurs en fin de contrats tels que Gregory Coupet, Claude Makélélé, Ludovic Giuly et Guillaume Hoarau. Quelques petites stars de Ligue 1 sont achetées à l’image de Mevlut Erding, Stéphane Sessegnon et Mathieu Bodmer. Mais ce qui va caractériser le mandat de Colony Capital ce sera surtout une invraisemblable pelletée de joueurs au niveau très moyen et habitués aux second rôles. Amara Diané est l’un de ces joueurs dont on se demande comment il a pu atterrir dans un club du standing du Paris Saint-Germain. Diané démarre sa carrière en amateur en disputant trois saisons à l’US Roye avant de rejoindre le Stade de Reims. Sous le maillot rémois il réussit la montée de National (3e division) à Ligue 2. Il rejoint ensuite le RC Strasbourg en Ligue 1 mais malgré ses 9 buts, il échoue à maintenir son équipe. Amara Diané fait l’exploit de taper dans l’œil des recruteurs du PSG. Été 2006, 3,5 millions d’euros sont déboursés pour s’attacher les services de l’ivoirien. Diané est un joueur polyvalent capable de jouer sur

tout le front de l’attaque, à droite, à gauche ou dans l’axe. De toute manière, il fait tout le temps la même chose. Malgré une technique plutôt chancelante, il a le crochet vif et rapide. Quand il part en dribbles, il est imprévisible et personne ne semble capable de prédire où sa course va se terminer et sûrement que lui non plus. En somme, la version béta de Gervinho.

Au terme de sa première saison, Diané souvent remplaçant marque six buts, le club termine 15ème. L’année suivante est encore plus calamiteuse pour le PSG.. Pedro Miguel Pauleta, le buteur du PSG se fait vieux et a de plus en plus de mal à aligner les performances dans une équipe qui bafoue son football. Amara Diané est donc régulièrement aligné à ses côtés voire à sa place. L’ivoirien n’est pas un grand attaquant mais il marque quelques buts décisifs dans la course au maintien dont notamment un doublé à Auxerre à quatre journées du terme du championnat. Amara Diané rentre dans l’histoire du Paris Sant-Germain le 17 mai 2008, lors d’un déplacement à Sochaux. Paris joue son maintien en Ligue 1 sur ce match. Diané inscrit les deux buts de la victoire 2-1. Il ne sera malheureusement pas récompensé mais vendu dans la foulée au club qatari Al Rayyan. 5 STYLES N°71

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SPORT

▶L’ÈRE QATARIE : ZLATAN ◀ 2012 par exemple, le PSG a été le club le plus dépensier d’Europe, avec quelques 147 millions d’euros déboursés. Il a notamment réussi à attirer dans ses rangs deux stars du Milan AC : Thiago Silva et Zlatan Ibrahimovic.

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n mai 2011, le Qatar Sports Investments (QSI) a racheté 70% des parts du Paris Saint-Germain, de l’américain Colony Capital. Ce dernier a conservé une participation de 30% et a prévu de les revendre aux Qataris, au prix du marché dans les trois ou quatre ans (ce sera finalement fait dès mars 2012). Désormais sous pavillon qatari, le PSG se rêve en adversaire des grands d’Europe. A peine installés, les dirigeants qataris se sont fixés comme objectif de faire du PSG une grande formation européenne mais aussi, une marque mondiale. Dès son arrivée à la présidence du club, Nasser Al-Khelaïfi frappe un gros coup, en recrutant le Brésilien Leonardo au poste de directeur sportif (ce dernier a quitté son poste en juillet 2013). Sur sa lancée, le nouveau patron du club francilien confiait la direction générale du club à Jean-Claude Blanc, un spécialiste de l’économie du sport. De plus, les dirigeants espèrent que le club redevienne rentable, en moins de cinq ans. Le PSG dans le vert ? Un sacré pari pour un club déficitaire depuis la saison 1997/1998.

Miser plus pour gagner plus : QSI a tout changé, en dépensant sans compter pendant quelques mois. A l’été 64

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Le géant suédois d’1m95 ne laisse personne indifférent. Né d’un père bosniaque, « Ibra », comme on l’appelle, plaît ou agace. A cause de son égo surdimensionné, «Ibra» tranche radicalement avec le calme revendiqué dans les contrées scandinaves. Celui qui est né, il y a 32 ans, dans la banlieue de Malmö en Suède, a évolué dans les clubs les plus prestigieux en Europe : L’Ajax Amsterdam, la Juventus Turin, l’Inter Milan, le FC Barcelone, l’AC Milan et dernièrement, le PSG. Joueur spectaculaire, le colosse (1m95, 90 kg) est l’un des meilleurs au monde. Avec son physique hors-norme allié à une technique facile, Ibra ne cesse d’affoler les défenses européennes. Ce fan de Mohamed Ali a fait ses débuts dans le football en 1999, dans le club de sa ville natale. Et depuis, ce monstre de puissance à l’agilité d’un danseur, collectionne les qualités footballistiques. Sa technique et sa rapidité d’exécution, acquises aussi grâce à la pratique du Taekwondo, font de lui un attaquant phénoménal, une star planétaire. Transféré au PSG en juillet 2012 et présenté au pied de la Tour Eiffel, Ibrahimovic déclare ne rien savoir sur la Ligue 1 mais estime que «la Ligue 1 sait qui il est». Son arrivée à Paris a propulsé le club dans une autre dimension. Force est d’admettre qu’avec son titre de champion de France avec le PSG, sa première place au classement des buteurs et son entrée remarquée dans le paysage médiatique français dès sa première saison, Ibrahimovic ne fait pas les choses à moitié. Et c’est tout le mal que l’on souhaite au club parisien.


LES QUATRE VISAGES DU PSG

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SOCIETE

WICKED ONE

TOURNAMENT

SID – SANA, LES NOUVELLES STARS DU RING Le WOT est une jeune organisation d’évènements de boxe thaïlandaise. Si elle a le vent en poupe, c’est parce qu’elle révèle à chaque édition les talents du muay-thai. Au WOT, tout va vite et peut se jouer sur un coup. Présentation de deux boxeurs qui ont fait bouger les foules lors de la quatrième édition.

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▶ Textes | Rachid Santaki - Photos | Sapao ◀

e buzz montait depuis plusieurs semaines. Et la foule a répondu présente au gymnase Max Roussié, situé à la porte de Saint Ouen. Wendy, ami et organisateur de l’évènement m’a accueilli et fait accéder dans les lieux. A l’intérieur, Dany Bill, Grégory choplin, Kamel Amrane et d’autres figures du monde de la boxe ont fait le déplacement. Les adver66

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saires s’affrontent sur le ring et sous les encouragements des spectateurs. Après une heure d’oppositions, de coups et de sueurs, les deux boxeurs rentrent sur le ring et c’est le feu dans les tribunes. Dans le coin rouge, Samy Sana s’avance et semble détendu malgré la pression. Des tatouages, un corps taillé comme ceux des super-héros Marvel. Ce nak muay mange, dort et chie Muay Thaï. Agé de


25 ans, il a débuté la boxe à 13 ans dans le club parisien du Phœnix. Après un parcours dans les classes D, C et B, Sana a fait parler de lui grâce à ses succès à l’étranger en moins de 71 kilos. Ce nak muay ne dit jamais « non ». Il a décroché sa place en finale du WOT en expédiant ses adversaires.

contestée par Youssef qui a fait son travail mais qui ne s’est pas imposé aux yeux des juges.

Dans le coin rouge, Youssef Sid, son adversaire est plus concentré, plus rigide. Il vient d’Aubervilliers et a découvert la boxe par le biais de son grand frère, à 14 ans. Il pratique ce sport depuis six ans dans la salle du Derek Boxing, le crâne souvent coiffé d’un bonnet. Youssef, c’est une vraie gueule et une introversion dont il s’affranchit une fois sur le ring. C’est sous les encouragements de son public, en juin 2013, qu’il a pris son envol en battant Tarek Mouhoud et Mohamed Diaby.

Quel est le mode de vie de ces nouvelles stars des banlieues ? Leur rapport au Muay et quelles perspectives ? Ce que respire Samy Sana, c’est ce sport. Et il l’exprime avec une fougue singulière. Si le jeune boxeur originaire des Hauts de Seine fait parler de lui, c’est bien pour sa détermination. Pour preuve, sa victoire par KO sur le thaïlandais Armin and Pornsanaeen mars 2014 à Saint Ouen, a surpris jusque dans les rues de Bangkok. Son style est direct, sans fioriture. Il avance, et frappe pour faire mal. Ses adversaires peuvent en témoigner. Samy Sana est celui qu’on aime. Il a bien sûr répondu plusieurs défis, dont son match face à Yod Senklai. Samy donne tout à la boxe. Il déclare même « n’avoir que ça ».

Ce 15 février 2014, la finale commence dans une salle en ébullition. Une partie scande « Youssef ». Sid et Sana se connaissent et se respectent. La pression monte et durant 5 rounds, les deux boxeurs donnent le meilleur et évitent le pire ; le KO. A l’issue de 5 rounds serrés, Sana remporte le match. Une victoire

Ce qui séduit, au-delà de son image, c’est son combat pour son sport et son fair- play. Malgré les contestations du public de Youssef Sid lors de la finale du WOT, Samy a gardé son sang froid et su préserver son estime pour son adversaire d’un soir. Et ça paie : il est très apprécié. Sa visibilité et sa côte sont toujours en m

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m progression. Samy a tous les codes du show à l’américaine. Youssef Sid, lui, est plus réservé. Introverti, il ne s’emballe pas et s’exprime essentiellement dans sa discipline. Il se concentre sur sa gestuelle, observateur, il attend patiemment la faille. En mai 2013, l’albertvillarien a surpris le monde de la boxe lorsqu’il a commencé à battre ses adversaires avec son redoutable coup de genou. Le nak muay monte en puissance pour ce qu’il incarne et ses atouts sont de belles promesses pour la discipline. Bien sûr la nouvelle école est composée de nombreux boxeurs que vous pourrez découvrir lors des prochains galas. Mais ces deux là sont surtout les fers de lance de ce sport. Quand ils s’entrechoquent, cela reste dans les règles du muay. Si les adolescents, adultes et même seniors sont de plus en plus nombreux à assister à ces réunions, c’est pour l’esthétisme, l’accessibilité et l’authenticité de ces manifestations. Si dans d’autres sports, la monétisation des disciplines diminue les valeurs, il ne dégrade pas le muay, encore préservé grâce la passion de ses nombreux pratiquants. Samy ou Youssef donnent tout pour le muay. En vivre reste 68

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bien sûr l’idéal mais ce n’est pas la raison de leur abnégation. Et dans notre société, gangrenée par l’argent et les valeurs matérielles, ces deux boxeurs s’opposent pour leur honneur et dans le respect.

WICKED ONE TOURNAMENT Le WOT (Wicked One Tournament) est une compétition de boxe thaïlandaise lancée en 2012 et qui permet à plusieurs boxeurs de la même catégorie de s’affronter. Huit boxeurs s’affrontent à chaque édition et la finale du précédent tournoi se déroule. Le concept permet de suivre des nak muay et de s’y attacher d’un évènement à l’autre. Wendy Anonay, Konako sont à la base de ce projet qui prend de l’ampleur et conquis un public toujours plus large.


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SPORT

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LES AMIS DE KAMEL AMRANE Kamel Amrane a evolué pendant des années dans le noble art et s’est lié d’amitié avec plusieurs boxeurs. Le pur produit de Saint Denis souhaitait les mettre en avant et nous parler de ces pugilistes mais également d’autres compétiteurs comme Alain Madengué en Ju-jitsu, Grégory Choplin en muay Thai. Il n’a pas manqué de citer quelques absents comme Tarek Boucekhine, Bellati Hakkar qu’il estime. ▶ Propos recueillis | Camélia Badry - photos | Toma Abuz ◀

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SPORT

GENERATION SACRIFIEE

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onsieur Micalef, âgé de 84 ans entraineur du Red Star Olympique Audonien (à Saint Ouen) reste l’un des plus respectés de France et connaît le fils Amrane : « C’est quelqu’un d’extraordinaire par son caractère, son honnêteté et sa boxe. C’est quelqu’un de clair, quand il a quelque chose à dire, il le dit. Sur le ring, il faisait son travail, il était toujours prêt et sa boxe était à applaudir. C’était un très bon styliste. Kamel est vraiment unique dans son genre. Quand il a boxé Zaïm, j’étais sur le coin de Kamel avec Larine. J’ai donc assisté à bon nombre de ses combats et je peux vous assurer qu’avec son intelligence sur le ring, c’était logique qu’il termine champion. Il boxait avec sagesse et ne cherchait pas à donner le coup fatal à son adversaire. Même quand il dominait, il ne s’emballait pas. Au contraire, il essayait de gérer la suite de son combat. Et par rapport à la carrière de Kamel, on ne peut pas lui trouver de fautes ou lui reprocher quelque chose à mon sens ». Kamel Amrane travaille sur son livre pour parler

Kamel a d’abord pensé à ses amis du noble art en les exposant et mettant en avant leur relation fraternelle. de son histoire et surtout de cet héritage transmis par son défunt père, monsieur Ali Amrane, boxeur professionnel et figure de Saint-Denis. Si le fils Amrane, licencié du SDUS de Saint Denis a décroché cinq titres de champion de France, une place de vice-champion d’Europe et qu’il a accepté de partager son histoire c’est pour traiter de la dimension humaine qu’implique la boxe. Kamel a d’abord pensé à ses amis du 72

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noble art en les exposant et mettant en avant leur relation fraternelle. Si le dionysien est autant attaché à ces amitiés nées dans ce sport, c’est que ces hommes ont tous combattu sur le ring et en dehors pour devenir champion mais qu’ils ont tous rencontré, à un moment donné, un plafond de verre pour accéder au sommet et ce malgré leur courage, leur abnégation. Car le combat à leur époque ne s’arrêtait pas à leur boxe mais à tout un système régi par les promoteurs. Kamel Amrane, Turan Bagci, Jean Louis Mandengué, Sylvere Niangou, Jean Paul Mendy, Tarek Boucekhine font partie de cette « génération sacrifiée » bien qu’actifs du milieu des années 1990 jusqu’au milieu des années 2000. Bien qu’ils aient tout donné. Bien qu’ils soient devenus champions de France. Bien qu’ils aient boxé aux Jeux Olympiques ou les meilleurs de leur catégorie. Ils n’ont tout de même pas eu la reconnaissance méritée. Leur volonté commune d’atteindre le podium mondial pour la ceinture suprême. Et ils ont pour cela travaillé dur, n’ont pas lâché et y ont cru. Mais le business boxing les a limités. Ils ont battu les meilleurs, ont eu la légitimité d’avoir leur chance. En vain. Cette ampleur de business boxing ne prend pas en compte de votre talent, vos efforts et vos sacrifices. Si les années de boxe n’ont pas abouti au sommet international, il est né de ces liens, une « amitié éternelle » comme le dit Kamel et le confirme Jean Louis Mandengué, dont le frère figure dans ces pages car il reprend à travers le Ju-Jitsu, ces valeurs auprès de ses élèves. Vous comprendrez que ces combattants, d’une bravoure exceptionnelle, représentent par la qualité de leur boxe, leur quartier, leur ville à chaque combat, et qu’après avoir été adversaires ou partenaires d’entrainement, ils sont devenus compagnons dans la vie et l’idée était de partager ces belles amitiés dans 5styles.


▶TURAN BAGCI « Le roc »

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agui et moi nous nous sommes rencontrés pour la première fois à Pouchet avant de nous rencontrer sur le ring. C’est un boxeur rugueux, il a décroché dans la catégorie des lourds légers trois titres de champion de France, challenger européen et classé par les fédérations mondiales. Son palmarès est de 27 combats professionnels dont 21 victoires, 6 défaites et il a affronté tous les pointures françaises ; Christophe Mendy, Michel, Simon, Mormeck, Fabrice Tiozzo et moi même. J’avais fait match nul et j’ai été préféré pour le poste de challenger du championnat d’Europe. Nous avons été sparring-partner pour ses championnats de France, intercontinental, championnat d’Europe. On a lié une amitié et c’est un boxeur très solide qui n’a jamais lâché. Il a souvent été lésé et en plus de sa combativité, il travaille avec des jeunes sur des chantiers. C’est un grand monsieur de la boxe qui a traversé plusieurs générations et qui donne son savoir à la jeunesse. D’ailleurs il y a beaucoup de boxeurs généreux qui n’ont pas le succès qu’ils méritaient auxquels je pense ; Canour, Mohamed Mouss, Mourad Ferguen, Mehdi Azri, les frères Farias, Maxime Larine, Valery Brudov, Kamel Guerfi, Samuel Fleurimon, Ganguina Larme, Stéphane Ferrara, Samuel Menjobe, Bachir Alouane et il y en a beaucoup d’autres restés anonymes sur cette voie sans certitude qu’est la boxe et que j’ai oublié. Je m’excuse auprès d’eux car la liste est trop longue.

Kamel Amrane un acteur dans plusieurs disciplines. S’il a été plusieurs fois champion de France, vice champion d’Europe en boxe anglaise. Aujourd’hui il est président de Muay-Thaï Algérie et le chef de file avec Hadj Bettahar de cette association reconnue par l’IFMA (organisation mondiale du muay-thaï amateur) qui valorise à travers le monde les boxeurs français d’origine algérienne. Muay-Thaï Algérie s’est déplacée avec ses compétiteurs dans plusieurs pays dont l’Iran, la Russie, la Turquie et sera présente en Malaisie pour les championnats du monde du 1er au 10 mai 2014. La structure tend à se développer grâce aux excellents résultats de ses boxeurs, plusieurs médailles de bronze, d’argent et quatre en or décrochées en Turquie. Muay-Thai Algérie est soutenue par son sponsor officiel, La Ligue des Gladiateurs.

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SPORT

▶JEAN LOUIS MANDENGUE « L’indomptable »

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ean Louis est un frère. On ne s’est jamais affronté et comme il me l’a confié, même si on ne se faisait pas de cadeaux lors des mises de gants à la salle, nous aurions refusé de nous combattre. Jean Louis est un grand boxeur, il a fait les JO d’Atlanta en 1996, passé professionnel et a décroché le titre des mi-lourds. Il a même défendu son titre la mâchoire cassée en 2006 ! Il a fait 21 combats en pro, a décroché plusieurs titres de champion de France et même champion Union Européenne. Jean Louis fait partie de mes amis et de cette génération sacrifiée par les promoteurs. C’est quelqu’un qui s’est toujours battu même s’il savait qu’on était face au business boxing, il y allait et pour te dire, tu connais beaucoup de boxeurs qui auraient été au bout du match avec une double fracture de la mâchoire ? Aujourd’hui Jean Louis est fonctionnaire territorial et en parallèle il suit quelques boxeurs : Samy Anouche, Yazid Amghar. Selon Jean Louis la boxe est un virus qui te contamine une fois dans tes veines, tu es obligé de faire avec. Ce qui met cette discipline dans une situation délicate c’est que des opportunistes profitent des passionnés. Jean Louis nous a peut être attrapé un nouveau virus car il a fait son premier marathon (celui de Paris 2014) en 3h43.

▶ALAIN MANDENGUE « Puissant et humble »

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lain est le frère de Jean Louis, il pratique le Ju-jitsu. Champion de France de grappling, vice-champion d’Europe, il a fini troisième au mondiaux 2011. Je tenais à le citer pour mon amitié avec Jean Louis et parce que je côtoie Alain dans la pratique du Ju-jitsu. Il a également été Champion de l’open International d’Asie, qui a eu lieu les 26 et 27 Octobre 2013 au Japon. Ce sportif est aussi dans la transmission, le partage. C’est dans ce sens et à travers son palmarès qu’il a pu attirer plus d’une quinzaine de jeunes des quartiers pour leur donner la passion du sport et les règles qui vont avec : travail, fair-play, passion, bien être physique et mental qui sont d’ailleurs les valeurs sportives qui animent le ju-jitsu brésilien. Comme le dit Jean Louis son frère, Alain a la qualité de son défaut ; c’est qu’il ne dit jamais rien. Il est humble et fait partie des premiers français à avoir gagné des compétitions de Ju-jitsu au Brésil. Site internet : www.se-bjj.com

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▶JOHN DOVI « La matière grise »

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n s’est observé car on a débuté à la même période et on s’est retrouvé sur le ring. John c’est un grand technicien, il a préféré ne pas monter en professionnel et aujourd’hui il entraîne l’équipe de France. C’est quelqu’un d’intelligent, de réfléchi derrière ses petites lunettes. C’est la matière grise de la boxe et c’est un passionné. Un membre de notre famille. Lui aussi, il savait ce qu’il voulait, il avait un objectif et il restait dans la direction qu’il avait choisie. Il s’amusait et il était bon, une vélocité, une souplesse, un vrai talent. John a tout fait en termes de compétitions en tant que compétiteur et également en tant qu’entraineur. Comme le dit John le compétiteur prend les coups mais l’entraineur doit gérer, organiser, préparer ses boxeurs (les siens sont âgés de 18 à 29 ans) et dans toutes les catégories. Si John a vécu sur le ring et aujourd’hui dans le coin avec tout ce que cela engage, il se souhaite apporter sa part de progrès à ce sport. John est ambitieux et cherche donc à se renouveler, à aller plus loin. Quelle sera la prochaine étape pour ce fin technicien qui ne reste pas sur ses acquis ?

▶SILVER NIANGOU « La force tranquille »

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n s’est connu dans les années 90 et c’est quelqu’un de respectueux. et c’est quelqu’un de respectueux. On a fait nos classes ensemble. C’était le meilleur de sa catégorie et il cognait fort. On a été lié par nos entraineurs qui se connaissaient. On mettait les gants, on a fait les championnats à la même période déclare Kamel au sujet de son ami. Si Silver a fait le choix de s’éloigner des rings c’est parce qu’il a tout de suite réalisé que la boxe demandait énormément de sacrifices pour laisser peu de perspectives. Il l’a constaté dès ses premiers combats professionnels face à deux gros clients. Le premier en 2002 face au russe Valery Brudov qui sera désigné vainqueur d’un combat international aux points mais termina à l’hôpital (d’ailleurs Brudov deviendra champion du monde plus tard). Et Merrick Roberge, opposant en finale de la coupe internationale, fuit le combat et se fit tout de même attribuer la victoire (il sera champion de France). Après ces deux expériences et la nécessité de nourrir sa famille, le boxeur délaisse le sport pour monter son entreprise de sécurité (qu’il a monté avec Tarek son ami d’enfance et aussi boxeur pro) et faire du mannequinat. Niangou est remonté sur le ring pour deux combats (l’un en 2006 et l’autre en 2007) mais est resté aux affaires pour ne pas faire le combat de trop. 5 STYLES N°71

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SPORT

▶JEAN-PAUL MENDY « Au delà des limites »

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ean Paul n’est pas de ma catégorie et j’ai été fasciné par ce boxeur. En 1996, j’ai entendu parler de ses nombreux combats. Il en a deux cents si ce n’est pas plus. Il a fait toutes les compétitions, il était volontaire sous l’équipe de France et représentait le pays. Jean Paul était toujours présent et à partir de là il a été partout. Sa transition en professionnel n’était pas à la hauteur de son investissement dans la boxe. Il est passé à coté d’une ceinture au JO, il a eu une ceinture de champion de France. Et là où j’ai un énorme respect pour lui c’est qu’il n’a jamais lâché, il est parti aux EtatsUnis, c’est un fou de boxe. Il est technique il a tout. Mais je pense qu’on t’use. Il est parti aux Etats Unis et il a repoussé les limites. Il a cassé tous les murs. On s’est connu à la salle de boxe d’Aulnay et c’est devenu après Saint-Ouen c’est devenu le lieu de la boxe avec Marcel Denis et Nasser. C’était les deux entraîneurs jeunes et qui avait la mentale de l’ancienne école. C’était les 3000 et il y avait Jean Louis, John, Thuran. Et quand j’allais là bas. Et quand on s’est donné la main on était uni et je faisais toutes mes préparations. A travers cette amitié, on ne savait pas où on allait et on se motivait, on partageait malgré les difficultés à percer dans la boxe. Et avec Jean Louis on s’est dit qu’on devait se réunir car nous sommes liés pour la vie. Et cette amitié forte elle perdure et c’est ce qui nous soude. Car la boxe est un sport très dur. On a vécu quelque chose de profond, tout donner pour la boxe pour ne pas accéder et on se retrouve dans la joie. Pas dans l’amertume. Ce repas nous a permis de nous souder, de passer un moment de partager, de se voir, de se parler.

▶HASSAN N’DAM « Le vaillant »

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ui, je l’ai découvrert en fin de carrière et c’est un brave garçon. Il vient de Pantin et s’entraîne à Aulnay. Ses aînés sont Silver, Tarek et j’ai vu à travers lui un boxeur chevronné et on lui a donné des conseils pour lui éviter nos erreurs. Sa boxe est complète, il a un gros potentiel et c’est pour ça qu’il est a décroché son titre mondial. On n’a pas été champion du monde et lui a atteint cet objectif. Il a porté les espoirs de notre génération « sacrifiée » jusqu’au plus haut niveau et c’est vraiment un honneur de le voir continuer à gagner. 76

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▶FABRICE TIOZZO « Le diamantaire »

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’est un mec de Saint-denis. C’était le frère de Christophe, de Franck. J’ai mis les gants avec lui quand j’avais vingt deux ans et c’était nouveau. Je commençais à prendre confiance en moi et à baigner dans un cadre très professionnel. A Lyon on mettait aussi les gants avec Cherifi. Et la famille Tiozzo c’est la famille de Saint-Denis. Franck a été un grand boxeur. Christophe aussi. Et Fabrice m’a appris des choses, il m’a transmis son professionnalisme avec la team de professionnels dont il s’est entouré ; René Même. Et je pense qu’il fait partie d’une génération qui n’a pas voulu faire les mêmes erreurs que ses ainés. Et là où je le respecte c’est pour son mental de fou et parce qu’il a construit sa boxe sur un travail d’horloger. Il a beaucoup de métier et n’a pas lâché face à Bronco, il connaît toutes les ficelles du noble art. J’ai été son sparring et il sait vraiment lire la boxe au point de sentir s’il t’a touché. Peu de boxeurs ont cette faculté. Et je ne dis pas ça parce que c’est Fabrice d’ailleurs sa carrière en témoigne malgré les hauts et les bas il est toujours revenu au sommet mondial et a redoré le nom Tiozzo. Quand à Fabrice Tiozzo, il a témoigné de son amitié envers Kamel de la manière suivante : « C’est toujours un plaisir d’avoir de ses nouvelles, c’est quelqu’un de touchant, quelqu’un que j’aime beaucoup. Un frère quoi ! »

▶GREGORY CHOPLIN « La fierté »

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e l’ai connu depuis son plus jeune âge et c’est une réussite avec tout ce que j’ai subit avec les promoteurs et le business boxing. Greg est devenu champion du monde grâce à son travail et j’ai été très attentif à ses besoins parce que je suis passé par là et je n’ai pas eu ce cadre. Donc de le voir avancer dans sa carrière, c’est un honneur car je savoure sa réussite qui m’épanouis. J’ai des connexions avec les promoteurs et je l’accompagne car la boxe est un monde impitoyable. 5 STYLES N°71

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SPORT

KAMEL AMRANE JEAN MARC MORMECK LE COEUR ET LA RAISON

▶ Propos recueillis | Rachid Santaki - Illustration | Marion Bao –Thibault Larcher ◀

Mercredi 12 février 2014, à 19h00, Kamel Amrane retrouvait Jean-Marc Mormeck dans un lieu branché de la capitale. Les deux enfants de la Seine Saint Denis se sont déjà rencontrés et la première fois était en mai 1998 sur le ring. Un combat serré entre ces deux mi-lourds. A l’issue des huit rounds, Mormeck remportait la finale de l’International Cup à Noisy Le Grand. En gagnant ce combat Jean-Marc prenait le chemin d’une carrière ornée de nombreuses ceintures alors que Kamel rencontrera un plafond de verre instauré par le business de la boxe. Et ce malgré son style à la Ali. Et ce malgré la punition instauré à Petkovic. 5Styles n’a pas refait ce match mais la carrière de ces deux boxeurs exceptionnels. L’un a du cœur. L’autre la raison. Et aujourd’hui ils sont tous les deux épanouis et acteurs de notre société.

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Vous, vous connaissiez avant ce combat ? JMM : Non je ne le connaissais pas. Nous étions à la fin des années quatre vingt dix à un moment où notre catégorie était relevée et nous étions les ambassadeurs de nos quartiers. Kamel à Saint Denis. Moi à Bobigny. Je savais que je rencontrais un mec de Saint Denis mais on ne se connaissait pas. A cette période, je suis un vrai travailleur et c’est la finale de la coupe internationale à Noisy-Le-Grand. Psychologiquement, j’étais prêt à affronter un mec dur parce qu’il venait d’un quartier et je savais combien on galère. Tout le monde me disait « il a une droite, il ne faut pas prendre sa droite ». Et avant le match, j’ai visualisé ses combats et j’ai tellement entendu parler de Kamel que j’ai psychoté contre lui. Le jour du combat, j’ai réussi à l’embrouiller et il n’a pas pu mettre cette droite au moment où il le fallait. J’avançais, j’avançais. Et je cassais la distance et de l’empêcher de trouver son espace. C’est ce qui m’a servi et l’a desservi. Que penses-tu Kamel de cette stratégie et ton état d’esprit à l’époque ? K.A : On était jeune et c’est impressionnant de voir comment Jean Marc se projetait déjà. Il m’a analysé et c’est de la maturité. J’avais soif de réussir mais je voulais être champion et je crois qu’il avait une autre vision. Qu’il construisait déjà sa carrière. Que ce soit Amrane, Thuran, Mandengue, Dovi, Tarek, Niangou... Ils sont nombreux à avoir boxé sans avoir eu leur chance. Comment expliques-tu cette situation ? JMM : C’est du business. Je ne vais pas parler pour eux mais je pense que les mecs boxent pour être champion du monde. Si la boxe c’est quelque chose de mental il y aussi cette dimension de carrière. Et je dessinais quelque chose dans ma tête. Il y a des gens qui boxent pour être champion. Moi, je boxais pour m’élever socialement et pas juste pour devenir champion. La différence c’est que je prends du temps. Je ne parle pas beaucoup et j’observe. Et quand je vois les erreurs des autres, j’évite de les répéter. Je voulais être le malin. Je regarda-

« Moi, je boxais pour m’élever socialement et pas juste pour devenir champion » Jean Marc Mormeck is les carrières de chacun et comment il faisait. Et que ce soit Kamel ou les autres boxeurs, ils voulaient être champions. Tu peux nous expliquer cette nuance ? « Etre champion ». JMM : Quand tu fais du business, il y a des décisions à prendre. Et tu le fais avec le cœur ou la raison. Et quand tu veux faire quelque chose, ça part de la tête (il montre sa tête) et pas du cœur. Quand je pars aux Etats Unis et que je gagne je ne l’ai pas volé. Toujours pareil. J’avais remarqué que ces boxeurs y mettaient le cœur avant la raison. Kamel, penses-tu que tu n’avais pas besoin de la boxe ? Qu’est ce qui t’as poussé à la boxe ? A aller sur le ring ? K.A : J’avais le cadre familial. Et si je suis parti sur le ring c’est parce que j’ai grandi dans le milieu de la boxe avec les photos de mon père et quand je travaillais dans son café, j’entendais parler de boxe. C’est ce qui m’a amené sur le ring et m’a permis de faire de belles rencontres comme celle avec monsieur Mauriac. Mais je n’étais pas dans la nécessité. Et contrairement à Jean Marc j’étais entouré. J’ai grandi avec les affiches de mon père avec ses combats avec les plus grands. Mon père a fait presque trois cent combats et c’est un flambeau que j’ai repris, une sorte d’héritage. D’ailleurs le comédien Dominique Zardi (ndlr proche de Jean Paul Belmondo) a dit de ton père « Ali Amrane, un homme qui se battait avec les murs »... KA :A son époque, mon père a boxé les plus ▶▶ 5 STYLES N°71

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SPORT

▶▶ grands de sa catégorie en Europe et il allait partout. Il a même fait le combat vedette de Ray Sugar Robinson en 1951 lors de son gala. C’est comme ça qu’il a monté ses commerces et qu’il s’est construit à Saint Denis. Il a rencontré Charles Humez qui pour se muscler remplissait avec une petite pelle neuf wagons par jour ! et il avait plus de 300 combats dont 245 victoires par K.O ( Ndlr Jean Marc est surpris). Oui c’est l’après-guerre. Il y avait aussi le matraqueur de Laon qui a été champion de France, champion d’Europe dans les années 50. Et mon père rencontrait ses adversaires au pied levé, il n’a jamais mis un genou à terre. Cette génération était forte, elle s’affrontait avec des petites boules de cuir, à une époque où la vie était dure.

« Mon père a fait presque trois cent combats et c’est un flambeau que j’ai repris, une sorte d’héritage » Kamel Amrane Quel regard portes-tu sur le milieu de la boxe ? JMM : A la différence de Kamel et je comprends mieux quand j’entends l’environnement dans lequel il a grandit ; j’ai boxé pour devenir ce que je voulais être. Pour une ascension sociale. Kamel a été formé par Mauriac c’est un peu le Cus d’Amato, il a formé les Tiozzo. Kamel porte une certaine gentillesse sur lui et son entraîneur devient un père, devient une famille. Mais chez moi ça n’existe pas. A partir du moment où le mec prend de l’argent. L’entraîneur c’est le promoteur, l’organisateur. Kamel : Mais Monsieur Mauriac n’a jamais pris d’argent... JMM : J’ai choisi mon entraîneur. Quand j’étais à Pouchet et je suis allé voir Joseph 80

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Germain. C’était un grand parce qu’il a fait un passe-passe pour que je ne rencontre pas son boxeur. Je lui ai demandé si je pouvais mettre les gants et j’ai mis les gants avec ses boxeurs mais j’étais un peu fatigué et je n’ai pas brillé. Mais quand j’ai remis les gants et que j’ai ridiculisé son boxeur, l’entraîneur m’a fait signer un contrat et je suis devenu le cador de la salle de boxe. Et je regardais. La première fois je faisais du sac. Il me propose un combat sans me parler du cash. Et quand je lui ai posé la question « combien on touche ? ». Mais comme je suis gentil avec des tocs, et il me dit « ouais... ». Il est venu manger chez moi et je l’ai analysé et comme beaucoup il avait envie de lumières. Et ça s’est toujours vu, et comme souvent : « Celui qui te tient la main c’est celui qui va te trahir ». On est allé sur les Champs-Élysées et il était fasciné par ce qu’il voyait. Comme quand tu mets un gosse dans une boutique de bonbons. J’ai compris c’est comme ça. Je regardais et je souriais. Quelle était ta vision de Jean Marc et du milieu ? Il a fait le mec un peu bête et tout le monde est tombé dans le panneau. En réalité il jouait un rôle et c’est comme ça qu’il s’est construit sa carrière, qu’il est allé aux Etats Unis. On a tous eu la même situation, c’est tous pareil. Mais je me suis montré trop ambitieux à leur goût. Quand on m’a proposé un championnat d’Europe en Italie. Je connaissais Franck Tiozzo, Samy Kehbchi qui connaissait les promoteurs et le fait de négocier les a irrités et cela m’a fermé des portes. L’EBU m’a déclaré perdant lors de ce championnat d’Europe en Italie dans un petit village. Il y avait l’armée et quatre cent personnes. Ils m’ont mis dans un vestiaire ça sentait le chlore et à peine ressorti ma tête tournait. J’ai boxé mais j’ai été déclaré perdant à l’issue du combat car je n’avais pas couché mon adversaire. On parle du milieu mais aviez-vous des exemples de boxeurs ? Des gens qui vous permettaient d’avoir une vision ou


des codes du milieu ? KA : Notre génération a vu tous les parcours dans la boxe. Ceux qui ont été sous les projecteurs. Ceux qui ont connu le pire comme les faits divers, la maladie. On a vu Alphonse Halimi finir tout seul dans un hôpital avec la maladie d’Alzheimer alors qu’il a été champion du monde, un grand monsieur de la boxe. (Ndlr Kamel est monté sur le ring en 1997 pour un hommage-solidarité à Alphonse Halimi, l’un des plus grands boxeurs français de tous les temps qui était dans le besoin). Kamel cite des exemples. Avais-tu des avertisseurs, des signaux ? JMM : Je me suis demandé ce que ce sport pouvait m’apporter. Mes parents habitaient en banlieue et je n’avais pas le choix. Les études ce n’était pas mon truc. J’ai passé mon temps à écouter les gens. Et chacune de mes opportunités je les prenais comme un championnat du monde. Avec le promoteur Gérard Tesson, je ne parlais pas et je ne faisais que travailler. J’ai même joué le trisomique. Et ça me faisait marrer car ils me sous- estimaient alors que j’étais lucide. Quand j’ai réussi mes combats, atteint le niveau national, les Acariès sont venus me chercher et m’ont interrogés. Et j’avais entendu ce qui était arrivé à Boudouani (ndlr Laurent Boudouani a été champion du monde et aujourd’hui comédien) et à d’autres. Qu’untel travaillait en mairie. Les frères disaient « Jo ». Et ils me pensaient tellement débile qu’ils m’imaginaient totalement inoffensif. Quand

JEAN MARC MORMECK

1972 - Naissance à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe). 2002 - Champion du monde WBA des lourds-légers à Marseille. 2005 - Champion du monde WBA et WBC des lourdslégers à Worcester (Etats-Unis). 2007 - Redevient champion du monde WBA WBC des lourds-légers à Levallois-Perret en mars.

« Quand tu fais du business, il y a des décisions à prendre » Jean Marc Mormeck ils m’appelaient pour manger, j’étais toujours présent. J’ai joué le débile mais j’ai été très vigilent. Tu as signé avec Don King qui n’était pas un enfant de cœur ? Non mais comme je dis je préfère signer avec un gros enc*** qu’un petit enc***. J’ai négocié pendant des jours avec lui. Même le manager, l’avocat ne croyait pas alors que je n’ai rien lâché et que j’ai réussi à négocier au mieux les termes de mes contrats. Kamel, quelle est la suite ? Je travaille sur Saint-Denis et certaines villes auprès de la jeunesse, l’emploi. C’est quelque chose qui me tient à cœur car les jeunes ont besoin de travail pour se construire, fonder une famille, participer à la société. Et je prépare un combat, probablement une ceinture mais je n’ai pas encore arrêté de date. Et toi Jean Marc ? J’ai également une ceinture et d’autres projets à venir.

KAMEL AMRANE

1974 – Naissance à Saint- Denis (Seine Saint Denis) 2000 – Champion de France des mi-lourds à Saint Quentin (La Somme) et plusieurs fois champion de France, vice champion d’Europe. 2003 – Sparring pour la préparation de Tiozzo face à Bronco, Laurent Boudouani, Cherifi, Mikalefski, Herdi. 2007 – Victoire par arrêt de l’arbitre sur Petkovic, vice champion du monde des lourds légers.

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SAINT DENIS POSITIVE

SAINT-DENIS POSITIVE ▶ Photos | Yann

S

Mambert - Toni Fara ◀

aint Denis a évolué. La ville a changé en terme d’architecture avec l’implantation du stade de France, ses rénovations urbaines en faveur de l’écologie, l’arrivée de nouvelles lignes de transport (tramway et métro). Certes la ville change mais pas ses habitants. Ces personnalités comme Brahim l’architecte, Hakim l’avocat de Pleyel, José, gardien à carrefour toujours présent pour les autres et aimé de tous, Sylvain le menuisier formé par les compagnons de France, monsieur Camara actif avec son association depuis 1985 ou Ludo qui s’implique pour les dionysiens. Ils sont illustrés à travers ces quelques portraits et font partie des gens qui forment Saint Denis. Qu’ils soient salariés, acteurs sociaux, sportifs, étudiants, ils se battent pour se construire et à travers leur combat, on peut s’identifier. Il y a ceux qui ont des âmes d’héros et qui oeuvrent pour les autres, sans rien attendre. Bien sûre, nombreuses sont les personnes à porter Saint Denis dans leur cœur et à l’exprimer d’une manière ou d’une autre. Ces clichés sont un hommage pour tout ceux qui contribuent à Saint Denis, qu’ils soient présents dans ces pages ou pas.

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▶▶ Yves Jean, L’homme qui humanise les villes.

Monsieur Jean est quelqu’un de discret, de sensible à « l’autre » et c’est pour ces qualités qu’il travaille sur des projets liés aux habitants. “Mon boulot je le pratique à travers les hommes. Je suis technicien et ce qui m’intéresse c’est d’être confronté à la réalité et l’humain. Je crois qu’on s’en sortira par l’altruisme, le respect des différences, l’amitié” déclare l’architecte surnommé “Le Médecin des quartiers” par la presse d’Aubervilliers. Il œuvre à Saint-Denis mais également sur d’autres villes comme Gennevilliers, La Courneuve, Pantin ou plus récemment Sao Louis De Maranhao (Brésil). Dans la ville des rois il a réhabilité des immeubles, rénové, aménagé des espaces. Connu et reconnu, cet architecte se rend couramment au Brésil où il y est demandé pour travailler. Monsieur Jean, très curieux et ouvert fait partie de ces personnalités qui écoutent et aident quel que soit votre milieu. Il travaille actuellement sur La Courneuve et d’autres sites. Peintre à l’aquarelle durant ses heures libres, c’est l’un des hommes de l’ombre de Saint-Denis qui positivent la vie dans la commune. 5 STYLES N°71

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SAINT DENIS POSITIVE

André et son épouse

Adama

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Brahim

Le docteur Ménard

Dado 5 STYLES N°71

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Babette l’ institutrice et les miniplumes

Kamel Medaoui

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Ludo


Billy

Hamid

Sandy 5 STYLES N째71

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▶▶ Philippe Donin, le mentaliste.

Le kiné, ostéopathe, masseur, exerce dans son cabinet installé au cœur des cités Floréal et La Courtille où il reçoit les habitants mais également les sportifs pour les soigner des grandes et petites blessures. Après des débuts dans les sports de combat, Philippe s’est rapproché du football. Il soigne les athlètes de plusieurs disciplines, Grégory Choplin, Kamel Amrane et même du rugby. Philippe a choisi Saint-Denis car la Seine Saint Denis est dynamique et sportive. Il est impliqué au sein du Red-Star où il soigne et accompagne aussi les joueurs de l’étoile rouge. Philippe est kiné mais un fin psychologue avec une repartie hors du commun. Le mentaliste de TF1 s’est sûrement inspiré de lui. 88

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Monsieur Camara 5 STYLES N째71

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SAINT DENIS POSITIVE

Quincy

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▶▶ Monsieur Lannois, la douceur gastronomique.

Franck Lannois est l’héritier de ses parents et perpétue la maison située au 41 rue Gabriel Péri (à Saint Denis) fondée en 1956 en commençant ses journées très tôt pour fabriquer viennoiseries, pâtisseries et autres gourmandises. Il a réussi en devenant le meilleur artisan d’Ile de France mais également en conquérant les clients qui reviennent toujours. Au-delà de ses qualités de travailleur, il forme également les jeunes de la ville, quelque soit leur quartier, leur milieu avec un seul mot d’ordre, le travail et le sérieux. Quelques jeunes sont devenus d’excellents pâtissiers et Franck incarne cette coutume de travail. Vous pouvez y croisez Bouboute ou Kamel qui se « remplissent le buffet ». Bien sur, madame Lannois assure le service avec sourire. Une douceur comme les pâtisseries de la maison. 5 STYLES N°71

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SAINT DENIS POSITIVE

Lamine, Loubaki et Karim

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SAINT DENIS POSITIVE

Khalid

Mamadou

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le footballeur Fadel Ludon


Larax

Arnema 5 STYLES N째71

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Carlos

Samir

Sylvain et l’un de ses apprentis

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▶▶ DJ Boudj, la pédagogie par l’artistique.

Ce dionysien a fait ses armes dans la musique avec ses platines, une dizaine de compilations de rap français et Sniper. Après des années de travail avec son groupe ainsi qu’avec d’autres artistes (dont Mac Tyer) Boudj s’est éloigné de la scène et s’investit auprès des jeunes. Il anime aujourd’hui des ateliers où il utilise le rap comme un premier pas vers l’autonomie. Les jeunes apprennent à écrire un morceau, l’enregistrer et le mixer. Dj Boudj leur permet ainsi de concrétiser un premier projet et de générer ainsi une dynamique. Il fait partie des figures de la ville de par sa volonté d’agir auprès des dionysiens. 5 STYLES N°71

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Djimé

Abasse

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Swen

Hafid

Mathieu 5 STYLES N째71

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MEC A L’ANCIENNE

JE (NE) DANSE (PAS) LE MIA J’ai lu en quelques heures le livre d’Akhenaton « La Face B ». Le leader du groupe marseillais revient sur sa vie, son parcours et commente Le Mia : ce succès d’Iam que le groupe de rap n’a pas joué sur scène pendant seize ans. Le succès du Mia leur a échappé, et à moi aussi ! Souvenirs. ▶ Texte | Rachid Santaki ◀

A

kh, l’italien du groupe Iam a fait le Mia. Tu l’auras compris chère copine et copain lecteur, ce morceau qui reprend le sample de Give Me the Night de Georges Benson m’a parasité. Le Mia, c’est d’abord mon frère qui en ce mois de mai 1994, s’agite à apprendre par cœur les paroles. Il passe tout l’après midi à noter les textes de la chanson, usant son index droit à rembobiner la cassette. Saoulé par sa phase du Mia, je lui demande d’arrêter. Il me regarde en débitant : “Pas de pacotille, chaîne en or qui brille” Alors qu’il est en plein délire, j’ai dans l’esprit deux questions

existentielles : Comment tu peux habiter la Seine Saint Denis, et kiffer Iam ? Iam c’est bien Marseille et c’est donc l’O.M? Dans mon expérience avec 5Styles (spot pub : Il a 5Styles, il a tout compris), Akh est l’une des plus belles rencontres. Un mec simple, qui a joué le jeu en interview avec de vraies questions : « 2Be3, depuis dix ans, on raconte qu’ils t’ont tapé ? », « C’est vrai que Georges Benson t’a payé le champagne ? » et « Le départ de la fameuse embrouille IAM-NTM ». Il a répondu, avec technicité. Un numéro de 5Styles mémorable, avec de bons retours


du public, et des courriers d’insultes à la rédaction envers Akh de la part de groupuscules d’extrême droite qui avaient lu le magazine. Véridique. Akh, c’est surtout un type qui connaissait mes potes de galère, et qui les a côtoyé pendant la période estivale à Casa, en 1993. Hicham et Mohamed passaient les vacances ensembles au bled. Ce ouf d’Hicham vendait ses jeans 501 pour financer la fin de ses vacances, il rentrait en caleçon en France. La pile de dossiers sur Hicham est énorme, il marchait avec une doudoune sur la plage en été, il a même fait une Garde à vue pour viol d’homme (il n’avait rien à voir, mais imaginez la tête de son daron venu le chercher au commissariat !). Un vrai ouf. Quand à Mohamed, c’était la classe. Allah Ya rhmo.

« La pile de dossiers sur Hicham est énorme ; il marchait avec une doudoune sur la plage en été » Le jour où j’en ai voulu à Akh, c’est à cause de son fameux Mia. Pas pour le fait qu’il a emprunté un sample de funk. Non, c’est pour une histoire de meuf ! 1995. Une nuit d’août. Je suis au Paradise, une boite de nuit à Marrakech, située sur l’avenue de France. Installé au bar avec mes potes Aziz, Mounir, et mon frère. On joue les princes de la nuit avec une conso. En réalité on est bien loin d’être des princes, mais plutôt les clochards de Marrakech. Un type, un rebeu de Marseille sympathise avec nous. Il est venu dans la ville rouge pour quelques jours,

avec un de ses cousins. Le mec grand, fin, avec une tête marrante gratte l’amitié. Il danse avec mes potes, mon refré, et nous raconte sa vie entre deux morceaux. Il est golri. Un mec inoffensif et très gentil. Je scanne les gens dans la boite de nuit, et les meufs sur la piste. Y a Farid, un mec de l’Essone, que j’ai rencontré à Agadir, dans une boite de nuit, quelques jours avant. Il s’approche avec son sourire. Rien qu’il chambre sur les conditions précaires du camping d’Agadir, la douche, les odeurs et le bruit. Je vois à l’autre bout de la piste, une tête que je connais. Une meuf d’Epinay, une certaine Wafaa. Grande, bronzée, elle me met la fièvre, car elle est sexy chocolat (si t’as pas vu un Prince à New York tu ne peux pas comprendre). On se connait de vue, car elle venait souvent chercher une de ses copines à la sortie du lycée. Alors que


Farid chambre les meufs chelou assises au bar, je me dirige vers Wafaa. Parler avec elle, n’est qu’une simple formalité. On s’installe au bar, et se tape des délires sur les autres. Alors que je suis à 30%, je décide de passer la vitesse supérieure. Wafaa est dans l’ambiance, moi aussi. Mais le Deejay du bled fait basculer mon plan quand il passe un son : Le Mia. Je parle à Wafaa, en mode vendeur au rayon disquette, j’entends la voix d’Akh dans les enceintes de la discothèque : Tu es fada… Le jeune marseillais qui parle avec son cousin, se précipite sur la piste. Il ouvre le haut de sa chemise à fleur, et laisse apparaître une petite chaîne brille sur son torse. Il danse le mia, j’éclate de rire et commente : Il est tout raide ce mec ! Wafaa fonce le rejoindre sur la piste et voilà comment tout s’est aggravé en un quart d’heure. Le type commence à tourner sur lui-même, et chauffe la piste à la Aldo Macionne. Wafaa est de plus en plus euphorique et danse avec lui. Mon frère, qui ne s’est pas vu quand il a bu, tape des pompes et récite la chanson. Véridique. Les mecs

du bled tapent des barres. Le marseillais me vole ma meuf. Des gestes lents, c’était vraiment trop moche. Aziz a coté de moi, me graine. « Défonce-le ! Il est train de pécho ta meuf, le gars ?! » J’ai le réflexe d’aller voir le deejay. Je lui demande alors de ne plus passer le mia. Je retourne au bar, le deejay arrête le son… Pour imiter Def Bond “…Merci à tous et à toutes d’être au New Star flash…” Tout le monde le regarde. Il remet encore le morceau ! Je deviens ouf ! Le marseillais continue à faire son chaud face à une Wafaa qui n’en peut plus. Je pense qu’elle a fait un transfert sur le type, et qu’elle l’a pris pour Akh. C’est la seule explication. J’ai essayé de danser le Mia mais avec des crocodiles partout, et un refré qui encourage le marseillais devenu mon pire ennemi, j’ai perdu. J’ai ramassé ma fierté, et j’ai tracé, sans Wafaa bien sur. J’entends encore la voix d’Aziz, se foutre de ma gueule sur le retour de la boite de nuit : “Aïe, Aïe, Aïe il danse le mia…” Merci Akh ! Akhenaton – La Face B – Editions Points – Déjà disponible


MÉTO le vrai mec à l’ancienne. ▶ Texte | Rachid Santaki ◀

J

’ai rencontré Méto à la sortie des anges S’habillent En Caillera. Toujours disponible, j’ai découvert son commerce Le Smoke, un lieu ouvert depuis 2004 où toute la banlieue mais également les parisiens viennent fumer la chicha, boire un thé, un soda et surtout discuter avec le taulier. J’y suis allé à plusieurs reprises et c’est ainsi que j’ai constaté le parcours du bonhomme et le nombre de copains en commun. Passionné de disques, ce trentenaire a arpenté les vendeurs de skeuds : « J’ai toujours été un mélomane. J’avais deux grands frères, l’un écoutait du rock, l’autre du reggae. Et à l’époque j’écoutais de la funk. Puis via mes cousins de Bondy on a fait tourner des cassettes de soul et je me suis plus intéressé à la soul qu’à la funk. J’ai commencé à chiner des disques et les cumuler ». Il a acheté ses premiers disques et en possède aujourd’hui 20 000. C’est pour sa connaissance musicale et son important patrimoine discographique qu’il a animé l’émission « Vynil Stars » sur l’antenne de la radio locale RDC dans les Yvelines. Cet aficionados de musique soul mais aussi des films de la blaxploitation, des longs métrages des années soixante des français

Audiard et Verneuil. (Il en a la gouaille) ouvre donc en 2004 ce café-chicha qu’il dédie à la soul music. « Au début les gens venaient et ça s’appelait Habibi Café. J’ai décidé de l’appeler Le Smoke and Soul car lorsqu’ils pénétraient à l’intérieur ils avaient l’impression d’être sur la 25eme d’Harlem.» lâche en rigolant Méto. En fait, ce gars est l’un des rares mecs à l’ancienne qui vit avec son temps et je tenais à vous faire partager l’endroit et cette rencontre. Méto n’a pas voulu afficher son portrait dans 5Styles et a préféré arborer sa paire d’Adidas Tobacco commercialisée en 1977 en précisant : « Les gens qui me connaissent savent que j’aime ce modèle car c’est vraiment la paire qui représente une belle période. Et un modèle que les vrais connaissent. Les bobos nous ont volés les Stan (Smith) et la Tobacco reste la paire de référence ». Il conclue par la réaction du vendeur de la boutique Adidas quand il l’a demandé cette référence : « Ah ouais tu cherches la paire de reur-ti ». LE SMOKE, 89 rue de la Victoire, 75009 Paris. Ouvert de midi à deux heures du matin. Contact : smoke_soul@hotmail.fr


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MUSIQUE

10 ANS

DE RAP FRANÇAIS Année : 2004 | Artiste : Booba featuring Nessbeal Album : Panthéon | Titre : Baby Pourquoi ? Le clip est un grand classique du genre : dans une villa, habillés comme on s’habillait en 2004, les deux compères accueillent une bonne dizaine de jeunes filles de façon tout à fait courtoise. En quelques secondes, Booba a réussi à faire de tous les collégiens de l’époque des sexologues avisés. Sur tous les téléphones, à l’époque il n’y avait pas des smartphones, tournaient des gifs tirés de ce clip. Voilà pourquoi il est classique. Le son ? On ne s’en rappelle pas mais la fausse blonde, elle, a marqué toute une génération.

Année : 2005 | Artiste : Rohff Album : Au-delà de mes limites | Titre : Regretté Pourquoi ? C’est un Rohff plus sincère que jamais que l’on retrouve sur ce titre. Le sujet impose d’être vrai, le rappeur du 9-4 y parvint et de ce fait parle à toutes les personnes qui souffrent ou ont souffert d’une disparition, au-delà des limites du rap. C’est tristement beau et à travers les personnes décédées qu’évoque Rohff, on a l’impression de voir réapparaître tous ceux qui manquent à notre quotidien. Troublant. Rohff est au sommet de sa carrière. Et de l’Arc de Triomphe. 104 5 STYLES N°71


Année : 2006 | Artiste : Booba Album : Ouest Side | Titre : Couleur ébène Pourquoi ? C’est déjà la deuxième fois que l’on retrouve Booba dans cette playlist. C’est naturel, tant il a marqué, avec Rohff, les années 2000. Si l’on devait choisir un son pour résumer sa carrière, ce serait celui-ci. Sur un beat incroyable de Dj Mehdi, l’Ourson joue avec ses contradictions à l’aide de phrases courtes et d’un flow qui hache l’instru. « Moi je rêve, j’accomplis, même si je crève incompris. » Le spleen version Booba. Magistral.

Année : 2007 | Artiste : Mafia K’1 Fry Album : Jusqu’à la mort | Titre : Thug Life Pourquoi ? C’est un Kery James plein de mélancolie que l’on retrouve, seul, sur le single emblématique d’un des derniers projets de la Mafia K’1 Fry. C’est lui qui vient nous conter l’histoire du collectif : « cette histoire c’est la nôtre, si elle ressemble à la vôtre c’est que vous êtes k’1 fry, vous êtes donc des nôtres. » Thug Life, c’est l’hymne de tous les nostalgiques d’une époque où le sigle Mafia K’1 Fry venait signer tous les tee shirts. Lorsqu’on écoute ce titre, on sait que c’est la fin du collectif. Une page se tourne dans l’histoire du rap. Triste.

Année : 2008 | Artiste : Rohff Album : Le Code de l’Horreur | Titre : Testament Pourquoi ? 8 minutes sans refrain pour conclure un album cinq étoiles. Le flow de Rohff vient frapper l’instru entre deux temps pour placer des rimes qui resteront dans l’Histoire. « Testament » est un des nombreux classiques du rappeur et celui qui se rapproche le plus de sa personnalité. Aussi brutal que réfléchi, le titre est d’une douce violence qui donne à ce son un côté très addictif. A travers lui, on peut sentir Vitrysur-Seine. Voire même toucher Rohff. Lui nous bouscule. Et c’est classique.

Année : 2009 | Artiste : La Fouine Album : Mes repères | Titre : Du Ferme Pourquoi ? L’instru, on l’a en tête dès lors qu’on lit le titre. Ici, la Fouine excelle dans un story-telling chanté. C’est l’un des premiers classiques d’un rap qui cesse peu à peu d’être caillera. On ose partir dans les aigus. Le flow chantonnant du rappeur de Trappes se fera entendre aux quatre coins de la France. Près de dix ans après le début de sa carrière, celui qui se fera appeler plus tard Fouiny Babe tient son « single référence. » 5 STYLES N°71 105


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MUSIQUE

Année : 2010 | Artiste : Sexion d’Assaut Album : L’école des points vitaux | Titre : Désolé Pourquoi ? Pendant l’année 2010, on a eu le droit à deux refrains qu’on a entendu sans cesse : « One, two, three, viva l’Algérie » et « Papa, maman, les gars désolé » de Sexion d’Assaut. Dans les deux cas, on en a eu jusqu’à saturation. Mais le titre a sa place dans cette liste tout simplement… Parce que c’est un tube ! « Désolé », on l’entendait dans les clubs, dans la rue et sur Facebook. Tout comme « Du Ferme », ce single marque l’arrivée d’un nouveau genre de rap. Et fait entrer la Sexion d’Assaut en grande pompe dans ce qu’on appelle « le game. »

Année : 2011 | Artiste : Booba Album : Autopsie Volume 4 | Titre : Scarface Pourquoi ? 16 ans après « Le Crime paie » de Lunatic, l’ami Booba a trouvé un autre moyen de se faire plein de thunes : faire du rap love. Vrai tournant dans la carrière du Météore, « Scarface » est un titre qui nous a tous pris à contrepied. Alors qu’en lisant le nom du titre, on s’attendait à un morceau hardcore, lui nous fait une lettre d’amour un peu étrange. Reste-t-il que c’est le son de l’année car certainement celui qui nous a le plus surpris et marqué son monde. Une punchline ? « Mon petit cœur est en panne sèche. » C’est mignon.

Année : 2012 | Artiste : Youssoupha Album : Noir D***r | Titre : J’ai changé Pourquoi ? Alors que Youssoupha était plutôt discret jusque là, le rappeur de Cergy (95) a frappé fort avec son album Noir D***r, certifié disque de platine. Le titre choisi, « J’ai changé », plante le décor : Youssoupha se veut un nouveau poids lourd du rap français. Sur ce son, il se présente et fait comprendre qu’il a appris de ces erreurs du passé. Le « lyriciste bantou » met en avant sa volonté de faire « du rap d’amour » et sa maturité. Pari tenu et « J’ai changé » est un headbanger conscient. En d’autres termes, un morceau que tu peux écouter en voiture sans trop avoir l’air con.

Année : 2005 | Artiste : Kery James Album : Dernier MC | Titre : 94 c’est le Barça Pourquoi ? Kery James est revenu. Une fois de plus. Et grâce à ce son, on peut dire qu’il a bien fait. Certes, ce n’est pas « Le combat continue » ni « Banlieusard ». « 94 c’est le Barça » a pour simple ambition de faire danser ses fans et de prouver que le Val de Marne est toujours in da place. Papy fait de la résistance avec un égotrip qui ne veut que trop rien dire mais qui montre que le flow est encore là et que sur leur propre terrain, Kery James est encore aussi fort que les jeunes. Espérons que ce Barça-là ne perde pas son Messi. 106 5 STYLES N°71



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SOCIETE

L’ECOLE DE LA CITE La cité du cinéma n’est plus à présenter. Ancienne centrale électrique qui alimentait le métro parisien, Luc Besson repère ce lieu lors de son tournage du film « LEON ». Coup de cœur, il s’empare du lieu afin de mettre en place ce qui n’existait pas en France : un lieu de création cinématographique où l’on peut engendrer une œuvre de son écriture jusqu’à sa complète réalisation. La cité du cinéma est inaugurée le 21 septembre 2012. ▶ Texte | Camélia BADRY ◀

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e 5 mars 2014, après une nuit à l’hôpital à cause d’un torticolis, minerve bleue marine au cou, je m’y rends pour la première fois. A quelques trottes de la station Pleyel, je n’ai aucun mal à trouver l’endroit. A l’entrée, l’affiche 108 5 STYLES N°71

sur laquelle se trouve « DarkVador » annonce l’exposition « Star warsidentities » (à découvrir jusqu’au 30 juin 2014) attire de nombreux fans prenant la pose sous les rayons généreux du soleil. M’appliquant à ne pas gêner ceux qui se prennent en photo, et à ne pas me faire renverser


par les nombreuses voitures qui franchissent le portail d’entrée, j’ai l’impression d’être Sandra Bullock dans « All about Steve » (film fortement déconseillé). Cependant, bien qu’ayant les aptitudes physiques d’un playmobil, je réussis à franchir le premier niveau. Il y a, à gauche ceux qui vont à l’exposition, à droite ceux qui comme moi se dirige vers l’école. Car la cité du cinéma est plus qu’un lieu fanfaronnant autour de ses expositions, ou avants premières. C’est aussi « l’école de la cité » qui forment réalisateurs et scénaristes. J’entre dans « La Nef ». Un espace de 4280m². Celui qui accueille les évènements de grandes envergures. Ici la stratosphère a quelque chose de magique. J’entre dans la première porte à droite. Je suis très en avance, d’une heure à peu près. J’aperçois Laurent Jaudon, le directeur de l’école. Très grand, carrure imposante. Je rencontre alors Mathilde Matteis avec qui j’ai convenu du rendez-vous. Très aimable elle s’excuse même de ne pouvoir avancer mon interview avec Monsieur Jaudon et IsabelleAgid, la vice-présidente et m’offre un café. Elle demande alors à un élève de me faire visiter les lieux. Comme ses camarades, il est aussi à l’aise qu’un poisson dans l’eau. Un poisson d’une politesse exemplaire. Je

lui pose des questions. Il est en deuxième année du cursus « réalisation », il me dit être épanouie dans cette école. Les salles de cours sont équipées de matériels de pointe et leur superficie est proportionnelle à la taille du site. Je m’assois en attendant mon rendez-vous. Si vous avez déjà enseigné et que vous avez une certaine image des élèves…je vous invite à faire un tour dans cette école. Il n’y a pas un seul élève qui soit passé devant sans s’arrêter pour me dire « bonjour ». J’en étais presque étonnée. Mais je comprendrai lors de mon rendez-vous, que cet épanouissement n’est que la conséquence logique d’une équipe pédagogique présente et à l’écoute de chacun de ses élèves. 15h30, Monsieur Jaudon et Madame Agid viennent vers moi. Je suis embarrassée dans ma minerve. Laurent Jaudon insiste pour porter mon sac dont la taille ne passe pas inaperçue. Ses collègues et les élèves le complimentent. L’atmosphère est détendue et je me sens plus relâchée. Dans le bureau, Isabelle Agid me propose à boire. Très élégante, blonde, souriante les yeux bleus…elle me fait penser à Amber Valletta en plus jeune. J’ai mon cahier de note mais demande si je peux enregistrer la conversation. L’affaire « Buisson/ Sarkozy » ayant éclatée le matin même, je ne me risque à rien. L’interview prend la tournure d’une conversation engagée et sincère dès lors que je fais cette remarque « ce numéro de 5Styles sera distribué dans de nombreux lycées et antennes jeunesse. Elle s’excuse alors auprès de son collègue Monsieur Jaudon afin de prendre la parole : « Le projet est vieux de 12 ans. C’est une idée de Luc Besson : former en deux ans des réalisateurs et des scénaristes, dans une école gratuite ( première singularité de l’école, la seule en France qui offre cette opportunité) , qui recrute sans condition de diplôme (seconde particularité de l’école). Il faut être âgé entre 18 et 25 ans. La sélection se fait par un concours, présidé par Luc Besson, de trois épreuves. Tout d’abord l’épreuve artistique qui permet de connaître l’élève. La seconde épreuve est écrite et évalue les connaissances générales et cinématographiques de l’élève. La dernière épreuve orale, se fait devant un jury professionnel. La 5 STYLES N°71 109


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INTERVIEW

seule exigence est que l’élève se doit de pratiquer l’anglais couramment. Cependant, il arrive que pour l’épreuve orale certains ne soient pas prêt, si leur profil nous intéresse et qu’on les sent motivés, on peut accorder un délai pour réviser la langue. » Je suis très surprise de ce système. Très heureuse de voir qu’on pense aux jeunes qui ont des ambitions artistiques mais pas les moyens de se payer une école pour devenir réalisateur ou scénariste. Bien sure, la sélection est minutieuse et sévère. Seuls quelques-uns sont admis. Isabelle Agid m’explique qu’il y a un désir de mis en réalité. Le but est de les familiariser avec ce secteur professionnel, de préserver leur créativité mais de leurs faire prendre conscience de la réalité du marché. Dès qu’ils arrivent, ils sont en contact avec ce secteur de manière réelle. Laurent Jaudon, diplomé de l’ENS Louis Lumière, ancien réalisateur et producteur, ayant dirigé auparavant plusieurs écoles, m’explique que si l’école peut être une chance pour ces élèves, on exige une grande rigueur de leur part, du respect et de l’humilité. L’absence d’assiduité n’est pas pardonnée « mais depuis la rentrée je n’ai eu que deux absences injustifiées ». « Tout est mis en place afin que les élèves soient à l’aise dans tous les domaines. Pour un intitulé de cours il y a trois intervenants. La facilité est mère de leur quotidien : il y a ici 9 plateaux de tournage, les élèves peuvent y trouver leur stage, ou utiliser les décors pour leurs réalisations. La

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proximité professionnelle est une prérogative à ne pas négliger. On organise aussi un mini marché du film où les « œuvres » sont écrites par les scénaristes et réaliser par les élèves de réalisation. En face il y a l’école Louis Lumière, qui complète la nôtre puisqu’elle spécialise ses cours dans la partie technique et non créative. » Isabelle Agid : « Bien que nous mettons à leurs disposition tout le matériel nécessaire, nous leurs apprenons à faire beaucoup avec le moins possible. Et ceci stimule et préserve leur créativité. » Je demande si Luc Besson donne des cours. Isabelle Agid m’explique alors qu’en plus de s’occuper de la lourde tâche (dans laquelle elle l’accompagne) pour trouver des fonds, des mécénats (auprès de sociétés de productions, de la télévision, du cinéma…) qui permettent de faire vivre l’école, Luc Besson, malgré un emploi du temps très chargé, dispense de nombreux cours et assure une présence auprès des élèves et de l’équipe pédagogique. Cette école de 120 élèves : 60 en première année, 60 en seconde, 30 dans chaque spécialité, a donc la spécificité d’être gratuite, d’avoir des professeurs pratiquant dans le milieu de ce marché, de faciliter l’apprentissage de deux filières encore très difficile d’accès pour les jeunes n’ayant pas les moyens, ceci dans le « Hollywood sur Seine ». Car la cité du Cinéma dans son ensemble est encore très jeune et tend à devenir une unité de production de renom.


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GUEULES CRAMÉES

▶ Slimane Chemoune ◀ 5 STYLES N°71 111


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GUEULES CRAMÉES

▶ Youssef Sahraoui ◀ 112 5 STYLES N°71


JALIL NACIRI, « A l’ancienne ».

Jalil Naciri, comédien, a mené une carrière de front entre le théâtre, le cinéma et la télévision. Il a incarné plusieurs rôles dont celui du commandant Bakiri dans la série PJ. Il a également joué dans Munich, Taken et même écrit, co-produit et joué dans La Planque. Jalil est originaire du territoire et travaille également avec les jeunes, c’est dans cet esprit de transmission qu’il a fondé Alakiss pour développer un mouvement populaire autour du cinéma. Il travaille d’ailleurs dans ce sens sur son prochain long métrage et a récemment tourné dans « Brooklyn » réalisé par Pascal Tessaud.

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INTERVIEW

WAHID

BOUZIDI Bobigny, terre de talents a vu émerger le champion Jean-Marc Mormeck ou l’acteur défunt Mouss Diouf. Wahid fait partie de ces balbyniens doués et il s’est fait remarquer avec le Jamel Comedy Club. Aujourd’hui il vole de ses propres ailes. C’est dans une chicha que 5styles l’a rencontré.

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« JE VOULAIS ETRE FOOTBALLEUR »

Présentations : Je m’appelle Wahid Bouzidi, je faisais partie du Jamel Comedy Club, j’ai commencé en 2004 juste après Ze Film, un long métrage qui se passait dans le quartier. On m’a dit tu passes bien à l’écran tu devrais faire du théâtre et j’ai intégré les Guez Guez. Et on m’a conseillé de monter seul sur scène car j’avais un message, quelque chose à dire. Je l’ai fait et j’ai parlé de moi, de mon corps, de la mort. Et il y a la rencontre avec le Jamel Comedy Club... Oui, un jour j’ai entendu que Kader Aoun et Jamel Debouze cherchaient des comiques pour le Jamel Comedy Club. J’ai pris contact avec Kader qui était au théâtre Jacques Prévert à Aulnay sous Bois et m’a proposé d’y venir pour voir du stand up. Je suis parti le voir et après avoir observé, je lui ai dit « c’est bon je sais ce que c’est du stand up », il m’a répondu « envoie moi un DVD je le regarderais plus tard » mais je savais ce que ça voulait dire beaucoup plus tard (rires). « Ecoute je ne l’ai pas écrit je l’ai dans la tête », il m’a dit « va sur scène on va voir ce que ça donne ». Il était mort de rire, il rigolait tellement qu’il s’est cassé la gueule en relevant le siège strapontin. Et j’ai joué cinq minutes quelques heures plus tard sur la scène d’Aulnay devant une salle blindée qui m’a fait une ovation. Jamel est venu et m’a demandé : « tu fais du stand up depuis combien de temps ? », j’ai répondu « depuis 5 minutes ».

Avant de faire de la scène, tu étais quelqu’un de réservé ? J’ai eu une vie assez compliquée, j’ai perdu mes parents à l’âge de quinze ans à deux mois d’intervalles et je me suis renfermé. Je repense à la phrase de ma prof de philo qui me voyait rigoler avec les autres, à leur montrer que je n’étais pas triste. Et elle m’a dit « c’est quoi la douleur pour que tu veuilles être marrant avec tout le monde » et a conclu que les grands clowns, les grands humoristes cachent quelque chose et décident de monter pour s’exprimer aux yeux de tout le monde. Et c’est

vrai qu’après la mort de mes parents j’ai commencé à me renfermer, à ne pas en parler. Un jour on m’a dit « il faut que tu penses à des histoires pour lâcher tout ça ». Mes frères et sœurs s’inquiétaient pour moi et la suite logique c’était de passer par les cours de théâtre et de me libérer. Quel était ton rêve adolescent ? Je voulais être footballeur. Je pesais 160 kilos et quand les profs me demandaient ce que je voulais faire, je répondais : footballeur professionnel. Mais ma part de rêve a disparu quand mes parents sont partis, et j’ai pris dix piges. Tu préfères la scène ou le cinéma ? Sur scène j’ai un retour avec le public, qu’il soit positif ou négatif et je kiffe cette relation. Beaucoup de personnes viennent te voir pour te parler de leurs émotions et cette relation directe ça te booste. Tandis qu’un tournage, tu joues, le réalisateur te dirige et tu peux aller en salle voir les retours mais ce n’est pas la même chose. Sur scène, je commence par de l’autodérision et ensuite je charrie le public. Et parfois tu as des gens qui le prennent mal et il faut retomber sur tes pattes, c’est tout ça qui est intéressant. Tu es très attaché à ta ville ? Oui, je suis né dans cette ville et je kiffe Bobigny. C’est quelque chose que je défends partout où je vais et je suis né ici. J’ai passé ma vie à Bobigny et je porte la ville dans mon cœur. Qui est le meilleur chambreur que tu connais ? C’est Django ! (ndlr le frère de DJ Abdel) Ah, Hicham le frère de DJ Abdel ? Oui. C’est le plus grand chambreur de toute la terre, ce mec là il l’écoute et il écrit son spectacle. Toutes les pastilles sur les comiques du Jamel Comedy club c’est Django qui les sortait. 5 STYLES N°71 115


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INTERVIEW

AHCEN

TITI

« La planque », « la troupe de Stains », « Madame Le Proviseur »... Ahcen Titi a incarné de nombreux personnages et transmet sa passion aux jeunes du département. C’est après un cours avec des adolescents que je l’ai retrouvé. Rencontre avec un comédien incontournable du département. 116 5 STYLES N°71


Présentations Je m’appelle Ahcen Titi. Je suis un enfant de Saint Ouen, j’ai commencé le métier de comédien par des cours de théâtre en 1993. Tout a commencé avec une enseignante au lycée qui t’a amené au théâtre. Peuxtu nous raconter ? A la base, Madame Succard, enseignante au lycée Blanqui m’avait aidé car j’avais eu des problèmes personnels et elle m’a imposé de faire du théâtre. Et je me disais ce n’est pas pour nous, mais pour ne pas la vexer je pensais lui rendre service en participant et finalement c’est elle qui m’a rendu service. Et j’ai participé à la pièce « Baroufe à Chioggia » de Goldini. Quand tu dis ce n’était pas pour nous ? Tu étais le seul de la cité à faire du théâtre ? Non, je n’avais personne. Autour de moi il n’y avait que des sportifs et juste un musicien que je connaissais, Remi Church du Nautilus Lab. Je ne connaissais pas d’artistes. Que t’ont apporté les premiers cours de théâtre ? Ça m’a appris à vaincre ma timidité. Je suis à l’aise avec les gens que je connais mais je n’ai pas la facilité à aller vers les gens. On dit que le théâtre permet de découvrir son espace, son corps ? Cela a été une de tes premières sensations ? Non. A l’époque, ce qui m’a surpris c’est l’adrénaline avant de jouer sur scène que je ne ressens pas ailleurs. C’est quelque chose que tu ne retrouves pas même quand tu tournes au cinéma. Cette peur mélangée à du plaisir et puis ça m’a fait découvrir d’autres auteurs, le théâtre m’a ouvert l’esprit. L’enseignante qui t’a amené au théâtre t’a fait changer la vision de profs ? Elle est aujourd’hui à la retraite, mais c’était une vraie

prof, même si elle était autoritaire, elle prenait soin des gens et le prof ,il a un rôle éducatif et c’est bien d’installer et de transmettre le plaisir d’apprendre, tu as des gens qui vont à l’école à reculons et avec des profs comme elle tu prends du plaisir et c’est important. Madame Succard était à l’aise avec nous car elle venait d’Afrique et que c’était plus dur. C’est devenu une amie. Quand tu dis « transmettre le plaisir d’apprendre » c’est ce que tu fais en parallèle ? J’ai eu la chance d’apprendre sur le tas et en observant les comédiens avec lesquels j’ai travaillé, avec les metteurs en scène. Et je rends ce qu’on m’a donné, artistiquement parlant j’ai été gâté avec des gens qui m’ont donné une autre vision du monde et avec les enfants il faut être exigeant, et il faut les accompagner dans l’épanouissement, les faire travailler. Et je leurs dit que l’école c’est un jeu, avec des exercices et que tu recommences si tu perds. Quel est le déroulé avec les jeunes ? On a une partie jeu, avec la découverte des autres, ensuite on s’exerce sur des scènes et ensuite on travaille ça pour jouer le spectacle sur la scène de l’espace 1789. Et je veux ramener les quartiers à la culture et ramener la culture dans les quartiers. Quels sont les rôles qui t’ont marqué ? J’ai un penchant pour « France Parle » de Xavier Marcheschi, tiré de La Misère Du Monde de Bourdieu et j’ai appris le mot d’ordre de Spinoza : de ne pas juger l’autre, le comprendre. J’ai aussi aimé mon rôle avec « Les Vilains » d’après Ruzzante, c’était un parallèle avec l’argot des vilains du moyen-âge et de nos jours, un jeu avec la langue. Puis même mon rôle dans « Madame La Proviseur » de 1997 à 2003 où j’incarnais un peu la morale auprès des lycéens à travers un barman. Et ça me parlait car dans la vie je fais beaucoup la morale (rires). Et l’un des rôles les plus exposés c’est celui de « La Planque ».

« ce qui m’a surpris c’est l’adrénaline avant de jouer sur scène »

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INTERVIEW

MADIBA ▶ Encadrant Cinévie ◀

Avec Cinévie (association installée à Montreuil), Madiba a trouvé sa voie. Agé de 25 ans, sérieux dans le travail, il nous parle de son expérience avec cette structure active qui accompagne les jeunes et les forme aux métiers de la vidéo. Propos recueillis : Rachid Santaki

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Peux-tu te présenter en quelques mots et comment tu t’es retrouvé à Cinévie ? Par l’intermédiaire d’un ami qui m’a fait participer à des tournages de clips et des courts métrages à Montreuil avec l’association Auto-production. Ce qui m’a plu c’était de faire quelque chose de nouveau et qui ne me paraissait pas accessible. Je ne pensais pas qu’on pouvait faire du cinéma dans le quartier. Quel est le film qui t’a marqué ? Pas un mais tous ceux sur les quartiers comme La Squale, Rai, Ma Cité Va Craquer, La Haine. J’ai grave aimé parce que dans tous ces films il y avait des choses qu’ont vécu mes aînés ou que j’ai vécu avec mes potes. Et celui qui m’a le plus marqué, c’est Raï parce qu’il y avait Tabatha Cash. Niro a dit la même chose que toi pour Raï... (rires)

Je suis le plus jeune des encadrant, et je suis le lien avec les autres jeunes. Comme je suis passé par le chantier, je suis apte à donner un avis constructif et je suis le lien entre les encadrants et les jeunes. Qu’est ce que Cinévie t’apporte d’un point de vue personnel ? Ça m’a mis dans une dynamique de travail, Cinévie m’a apporté un cadre et ça m’a éloigné des bêtises. J’ai tout pour construire quelque chose. Qu’est ce qui te surprend de la part des jeunes qui sont bénéficiaires du chantier ? Qu’ils sont très cultivés grâce à Internet et ils ont grandi avec Internet. Dans le groupe, certains croisent les sources, et ils son lucides. Ils évoluent vite, ils s’adaptent et assimilent le monde du travail. Ils sont surprenants parce qu’ils apprennent vite et en très peu de temps.

« je veux travailler en collectif pour aider les autres »

Que s’est-t il passé depuis ton arrivée chez Cinévie? J’ai suivi une formation de technicien audiovisuel pendant douze mois qui a aboutit et m’a permis d’avoir toutes les bases d’un technicien audiovisuel ; son, image et lumière. Et j’ai participé à une dizaine de projets, trois courts métrages, deux clips et trois réalisations sur le chantier individuel et en groupe. Tu me parles de chantier et forcément je vais te demander ce qu’est Cinévie ? C’est une association audiovisuelle qui fait participer des jeunes à des ateliers vidéo. Ils sont âgés de 4 à 25 ans. Et pendant ces ateliers, les plus grands (de 12 à 25 ans) doivent écrire un synopsis qu’on développe ensemble et qu’on finalise avec eux. Et pour les plus jeunes, on fonctionne selon les programmes de leurs activités. Parfois on fait des ateliers vidéo, du light panting, de la photo, des scènes. Aujourd’hui, t’as un rôle bien précis au sein de Cinévie?

Des structures comme ça manquent-elles ? Je pense que les jeunes ne sont pas au courant qu’il y a des structures. Et le problème va dans les deux sens, les jeunes ne cherchent pas vraiment et ils ne sont pas forcement bien orientés vers des structures comme la nôtre. Connaissant ton histoire personnelle ? Tu reprends un flambeau et ton travail actuel va dans ce sens ? Il me rapproche de ce que je veux faire, je veux travailler en collectif pour aider les autres. Le mot de la fin ? Bonne continuation aux jeunes que je connais, les potes. Tout Montreuil, le quartier de l’Espoir. Et mon pote Fleury. Contact : Cinévie, association de production audiovisuelle, Montreuil. Contact : cinevie@ gmail.com/0683448919 5 STYLES N°71 119


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INTERVIEW

JHON RACHID Cet humoriste de Lyon qui a commencé dans sa chambre en délirant sur la « tektonik », a rencontré la célébrité grâce à ses vidéos sur Youtube dont les vues s’élèvent à plusieurs millions. Il ne s’arrête pas là et a récemment lancé « J’ai mal au rap » qui rencontre un immense succès sur le net. Rencontre avec ce trublion du virtuel... Propos recueillis : Rachid Santaki

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Pourquoi Jhon Rachid ? En réalité, je m’appelle Mohamed Ketfi. J’avais fait une parodie et une caricature de JR et je l’ai transformé en « Jhon Rachid » parce que c’était une parodie du bled. J’ai gardé la faute d’orthographe en mettant la vidéo en ligne j’ai vu l’erreur et je me suis dit : « bon ben tant pis, ça fera une différence ». Ce qui est bizarre c’est que tu fais beaucoup de choses avec le personnage comme Victor de Rachid, des parodies en tout genre et pourtant on t’a limité aux vidéos sur le bled ? Je faisais des parodies sans calculer. Et je me suis rendu compte que cela ne me rendait pas service. Ni à ma communauté, même si je préfère la mixité. Ça m’enfermait dans une image d’arabe de service qui fait des accents. Cela nous enferme dans un rôle d’arabe de service qui marche malheureusement. Et qui ne nous élèvent pas intellectuellement. J’avais besoin d’être autre chose que le mec du bled. Je voulais incarner plus. Des mecs comme Smaïn, comme Jamel ont réussi çà se décoller de cette étiquette. C’est comme moi mais ils ont mis moins de temps à réagir. Au départ c’était des sketches très clichés où ils prenaient l’accent arabe, ils parlaient de leur mère. Je l’ai fait mais je me suis rendu compte que cela ne servait à rien. Pourtant tu as continué à faire quelques vidéos? J’ai effectivement continué un petit peu mais avec des messages où je dénonçais certaines choses. Je l’ai donc fait mais avec plus de réflexion. T’as trouvé une excellente avec j’ai mal au rap ? C’est par hasard. J’étais avec Kaza, mon co-auteur, mon double. On écoutait un son

de la Fouine et j’ai bloqué sur un de ses passages trop facile. Et j’ai regardé Kaza et j’ai dit spontanément, ils ne se font pas chier, ils me font mal au rap. Et on a tourné pendant une heure et je l’ai mise en ligne à minuit. Je me suis couché et à mon réveil j’avais 200 000 vues. Ça a débloqué beaucoup de choses. On a enchaîné les épisodes. Ce n’est pas méchant, je n’ai aucune animosité envers les rappeurs. Et ce qui me fait rire c’est qu’ils ne se prennent pas la tête sur leur texte. Ce n’est que du second degré, des gamineries et le constat quand les textes sont pourris. Je n’appelle pas ça des clashs, c’est vraiment des constatations. En six ans, quel est la chose dont tu es le plus satisfait ? Les mots de Victor, et Cyrano. Ce que j’ai fait c’est une école de théâtre, j’ai appris à jouer, à monter, j’ai pu développer mon jeu et mieux que n’importe quelle école. Le jeu c’est très important et chaque chose que je voulais je l’ai écrite et je l’ai essayée. On voit que t’es passionné ? Je n’aurais jamais fait ça pendant six ans. Et si la passion s’arrête, j’arrête. Certains veulent faire des vidéos pour le buzz et moi cela n’a jamais été mon but. Ton film référence. Les princes de la ville, on dirait que le film dure 24h et t’as l’impression de les passer avec eux. Une leçon de cinéma. Quand je regarde ce film je me prends pour un latino.

« Je faisais des parodies sans calculer »

Un message ? J’aimerais que tous les lecteurs aillent lire les livres de Rachid Santaki. (rires) Merci, mais j’ai mis des pages de publicités partout.

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LIFESTYLE



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LIFESTYLE



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URBAN TALENT

EL SEED calligraffiti

Minaret de Jara (Tunisie)

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Temoula (Tunisie)

Five pointz (NYC)

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Illustration : Marion Bao

En librairie le 17 avril 2014 RACHID SANTAKI, Business dans la citĂŠ

5,90 e

raconter la vie

SEUIL


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