The Red Bulletin CF 12/22

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HORS DU COMMUN SUISSE DÉCEMBRE 2022 3,80 CHF Comment Noah Okafor a conquis les terrains et les âmes FORCE INTÉRIEURE
MILEY CYRUS
CYRIL
DESPRES ANNE HATHAWAY
CHE GUEVARA INES ALPHA + GETREDBULLETIN.CH Abonnez-vous dès maintenant

50 YEARS OF PASSION.

À L’AISE

L’apnéiste monégasque Pierre Frolla est triple détenteur du record mondial d’immersion libre. Pas étonnant que l’école de plongée qu’il dirige soit l’une des meilleures… Page 48

LE FLOT DES ÉMOTIONS BIENVENUE

La Coupe du monde de football, dont le coup d’envoi aura lieu le 20 novembre, pourrait devenir mémorable pour Noah Okafor. La saison dernière, le milieu offensif a remporté le doublé avec le FC Red Bull Salzbourg, a fait ses débuts en Ligue des champions et a largement contribué à la qualifcation de l’équipe nationale suisse pour la Coupe du monde. Qu’est-ce qui l’a rendu si fort ?

Le talent est important. « Mais c’est sur tout en trouvant sans cesse un plaisir renouvelé à faire ce que l’on fait que les opportunités apparaissent », déclare le jeune homme de 22 ans, en page 38. Ce fow intérieur fait aussi partie des ingrédients ma jeurs de la réussite de Mams. Le street dancer se laisse porter par ses émotions pour n’exprimer que ce qu’il ressent, et compte bien s’imposer en fnale du Red Bull Dance Your Style à Johannesburg, en page 54.

La comédienne oscarisée Anne Hathaway, quant à elle, nous raconte en page 36, qu’elle accueille chacune de ses émotions comme si elles étaient d’aimables invitées.

Bonne lecture !

La Rédaction

L’Autrichien ne prend en photo que les très grands, comme Quen tin Tarantino. Il était donc logique de faire appel à lui pour notre sujet de Une dédié à Noah Okafor ! Page 38

À cette date, Che Guevara fait l’acquisi tion d’un briquet peu ordinaire… La flamme de la révolution ? Page 16

L’ÂGE DE RAISON ?

Miley Cyrus fête ses 30 ans. Sa vie mouvementée en chiffres à découvrir page 14.

ÉDITORIAL
PETER RIGAUD
4 THE RED BULLETIN
1965PETER RIGAUD (COUVERTURE), HAMILTON, HERIBERT CORN, PICTUREDESK.COM
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CONTENUS

SUJET DE COUVERTURE

38 LE JEU DE LA VIE

La star du foot Noah Okafor est l’espoir suisse de la CM. Mais son match le plus important, c’était il y a quatorze ans.

DANSE

54 L’HEURE EST VENUE

En Suisse, Mams est déjà une légende. En décembre, il s’ap prête à conquérir le monde.

AVENTURE

62 PAIRE D’AS

PORTFOLIO

20 BALANCE DES BLANCS

Le photographe d’action Adam Clark présente ses photos de freeski les plus spectaculaires.

RÉALITÉ AUGMENTÉE

32 INES ALPHA

L’artiste parisienne propose des fltres irisés pour parer nos visages en ligne.

CINÉMA

34 ROLAND EMMERICH

Le réalisateur allemand rend hommage à deux Wolfgang célèbres : Mozart et Petersen.

CINÉMA

36 ANNE HATHAWAY

Avec la sortie d’Armaggedon Time, la star nous parle d’édu cation et d’émotions.

PLONGÉE

48 SOUS L’OCÉAN

Pierre Frolla plonge sans oxy gène, danse avec les baleines et firte avec les requins.

Les jumeaux Turner partent à l’assaut des Pôles d’Inaccessibi lité pour le bien de l’humanité.

PERSPECTIVES

Expériences pour une vie amélorée

73 VOYAGE. Dans le désert avec le roi du rallye Cyril Despres.

78 BIOHACKING. Prendre des photos stimule la mémoire. Vraiment !

80 MONTRES. Il y en a pour tous les goûts, et toutes les bourses.

86

LE COIN LECTURE. L’auteur US Kevin Hearne fait rire les dieux.

88 AGENDA. Les événements à ne pas manquer.

89 PLAYLIST. Les titres favoris de Timothy Schmit du groupe Eagles.

90 TENDANCE. Chaudement recom mandé pour la saison hivernale.

92 BOULEVARD DES HÉROS. Michael Köhlmeier nous raconte l’histoire de la physicienne Lise Meitner.

EN ÉVOLUTION Ines Alpha, première « e-makeup artiste », crée du maquillage virtuel…
32
54
EN ACTION Mamadou Kalombo alias Mams va danser avec l’élite mondiale en Afrique du Sud. EN SUSPENSION Le Français Pierre Frolla a repoussé loin les limites de la plongée en apnée.
48
The Red Bulletin décembre 2022
16 OBJET TROUVÉ 18 LE MOMENT PHILO 96 OURS 98 LE TRAIT DE LA FIN 6 GALERIE 14 L’ADDITION, S’IL VOUS PLAÎT ! 6 THE RED BULLETIN
GIAN-PAUL LOZZA, DIANE SAGNIER, GREG LECOEUR, ADAM CLARK LE SNOW-SHOW Pour le photographe de ski américain Adam Clark, la pla nète est une énorme boule de neige.
20 THE RED BULLETIN 7

Le monde à l’envers

Il a plu tout l’après-midi. Peu avant le coucher du soleil, le ciel s’est éclairci et la capitale colombienne s’est retrou vée enveloppée d’une lumière magique. Et ses rues parsemées de flaques gigan tesques ! Il faut être un excellent photo graphe pour saisir ce moment hors des codes spatio-temporels : le skateboar deur Luis Molano nous plonge dans un univers parallèle et sens dessus des sous. Il existe une explication très simple à ce phénomène paranormal : il suffit de retourner le magazine. kevinmolanoph.com ; redbullillume.com

BOGOTÁ, COLOMBIE
KEVIN MOLANO/RED BULL ILLUME
KENTARO MATSUDA/RED BULL CONTENT POOL

Figure de style

Sur le lac Shikotsu, dans la petite ville japonaise de Chitose au sud de Sapporo, se déroule chaque année un festival de la glace. Il y est question de toutes les belles choses que l’on peut faire avec de l’eau sous forme solide, notamment la réalisa tion de sculptures de glace ou des performances de patins à glace ; ou à vélo, comme ici ce salto qui ressemble à une peinture. Mais pour cela, il faudrait être un rideur de haut niveau comme Tomomi Nishikubo. Instagam : @kentarawmatsuda ; redbullillume.com

CHITOSE, JAPON

Alerte infrarouge

Les chutes Sutherland, dans la partie canadienne des Rocheuses, sont une destination de rêve pour les kayakistes expérimentés comme le Canadien Benny Clark : celui ou celle qui vient à bout de la chevauchée sauvage et de la chute d’eau de 14 mètres de haut peut à juste titre se compter parmi les pros de la discipline. Et qui veut prendre une photo magistrale de cette action doit faire preuve d’originalité : Daniel Stewart, lui, a utilisé un filtre infrarouge. danielstewartphoto.com ; redbullillume.com

REVELSTOKE, CANADA
DANIEL STEWART/RED BULL ILLUME

Hannah Moneytana

Enfant-star de Disney, cover-girl libertine, reine de la pop richissime : Miley Cyrus célèbre ses 30 ans le 23 novembre. 182 millions de fans et une ménagerie se joignent à la fête.

Date à laquelle elle change son prénom de Destiny Hope en Miley, Miley étant le diminutif de son surnom « Smiley ».

Le nombre d’épisodes de la série télé Hannah Montana qui a posé les bases de sa carrière mondiale, entre 2006 et 2011.

mois, la durée de son mariage avec l’acteur Liam Hemsworth, avec lequel elle a joué dans The Last Song, en 2010.

chiens, trois chats, deux chevaux, et un cochon nommé Puddles : voilà la ménagerie de Miley.

L’âge auquel elle fait ses débuts au cinéma dans Big Fish de Tim Burton ; avant cela, elle était apparue dans la série télé Doc

semaines : la durée durant laquelle Some Gave All (dont Achy Breaky Heart), en collab avec son père, est resté en tête des charts US en 1992. Un record pour un premier album.

millions de dollars : la somme qu’elle a gagnée jusqu’à ses 18 ans.

Le nombre de Grammys remportés par sa marraine Dolly Parton.

de ses six albums studio ont atteint la première place des hit-parades américains.

750

millions de fans la suivent sur Instagram, ce qui la place à la 20 e position mondiale.

hectares, la taille de la ferme où elle a grandi avec ses cinq frères et sœurs, à Nashville (Tennessee).

accessoires : sa gamme de produits 100 % végétaliens lancée en 2018 en collabora tion avec la marque de mode Converse.

181
L’ADDITION S’IL VOUS PLAÎT !
2008
17
10
8
14
98
11
134
3
25
200
14 THE RED BULLETIN GETTY IMAGES (2), PICTUREDESK.COM (2) CLAUDIA MEITERT HANNES KROPIK

Les plus belles perspectives Commander aujourd’hui –pour en profiter l’été prochain

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La famme de la révolte

Le briquet en argent du révolutionnaire, acheté en Irlande et offert à la maîtresse de Fidel Castro. Les racines familiales d’Ernesto « Che » Guevara, la pop star parmi les révolutionnaires latino-américains, se trouvent en Irlande. C’est de là que son arrière-arrière-arrière-grand-père, Patrick Lynch, a émigré en 1749 vers l’Argentine. En 1965, lors d’un vol de Prague à La Havane, le Che a fait escale à l’aéroport irlandais de Shannon et y a acheté ce briquet en argent. Il l’a ensuite offert à une maîtresse de son ami et chef d’État cubain Fidel Castro. L’été dernier, l’objet a été vendu aux enchères pour environ 3 500 CHF.

OBJET TROUVÉ
L’Argentin Ernesto « Che » Guevara (1928-1967) fut la figure de proue de la révolution cubaine.
16 THE RED BULLETIN PICTUREDESK.COM
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EMMANUEL KANT A DIT :

« La dignité… c’est de répondre à ses mails »

Nous avons beau vivre à l’ère de la communication, celle-ci laisse à désirer : nos questions restent souvent sans réponses ou pire, nous recevons des réponses à des questions que nous n’avions même pas posées. Un phéno mène proprement amoral pour Emmanuel Kant. Il nous explique comment le fait de ne pas répondre à nos mails nous prive de notre dignité dans cet entretien fictif avec le philosophe Christoph Quarch.

the red bulletin : Vous n’avez jamais quitté votre ville natale de Königsberg et pourtant (ou peut-être pour cette raison) vous correspondiez avec le monde entier. Vous est-il arrivé de ne pas répondre à votre courrier ? emmanuel kant : Jamais, Mon sieur. Cela ne me serait même pas venu à l’esprit. Je considérais qu’il était de mon devoir de répondre à tous celles et ceux qui me sollicitaient.

C’était donc une question de devoir pour vous. Mais pourquoi, au juste ? Personne ne vous obligeait à répondre à toutes ces lettres (ou à ces mails, si vous étiez encore en vie aujourd’hui).

Monumentale erreur, Monsieur. En discourant de la sorte, vous reniez votre propre loi morale. Ce qui ne m’étonne pas outre mesure : les per sonnes de votre époque ont oublié la loi morale. Oh, certes la fameuse règle d’or « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fît » ne vous est sûrement pas inconnue, mais vous ne la respectez plus. Pire encore : vous ne la comprenez plus. Car sinon, vous recevriez toujours une réponse rapide et appropriée à vos appels, vos lettres ou encore vos mails.

Cela ressemble plus à un âge d’or qu’à une règle d’or. Mais éclairez ma lanterne et celle de nos lec teurs et lectrices : pourquoi s’y tenir ? On ne risque pas une amende pour refus d’obtempérer… Ah mais décidément, vous les accumulez, Monsieur ! Vous parlez comme un épicier ou un criminel qui ne respecte les règles que par crainte de s’attirer les foudres des autorités. Cette règle n’émane pas des autorités publiques, mais de la loi morale, celle qui bat dans votre cœur. Ou, si cela échappe également à votre entendement, elle émane de la raison pure pratique et se résume en ces termes : si l’on veut se montrer digne

de son intelligence (et par là même de son humanité), il faut agir de telle manière que les propres préceptes auxquels nous aspirons soient en même temps une loi naturelle universelle.

Désolé, cher Maître, mais je ne vois pas le rapport avec les mails et autres correspondances. Mais bien sûr que si : quand vous posez des questions, vous attendez une réponse en retour. Celle de la per sonne qui doit réparer votre chauffage, par exemple. Vous aimeriez bien qu’il existe une loi naturelle contraignante qui l’oblige à répondre aux demandes. Tout comme la loi naturelle inéluctable qu’une pierre tombe vers le bas quand on la lâche. Votre raison vous impose donc de respecter vous aussi cette loi morale et de répondre aux demandes. Sinon, vous trahissez votre raison et perdez votre dignité.

Qu’est-ce que ma dignité vient faire là-dedans ?

Contredire cette fameuse règle d’or est indigne d’un être humain et pire encore, cela porte préjudice à la dignité de nos semblables. Pourquoi ne répond-on plus, de nos jours ? Par paresse? Pas du tout. On ne répond plus parce que cela ne nous rapporte rien. On considère les autres comme des moyens que l’on peut utiliser pour nos propres besoins et en agissant ainsi, on leur ôte leur dignité. Chaque homme et chaque femme est une fn en soi, non un moyen pour servir les autres. C’est pour cela qu’il est parfaitement normal de se sentir blessé dans sa dignité quand on ne répond pas à nos lettres, ou de trouver qu’il est proprement scandaleux que votre plombier ne se manifeste pas.

Il est de notoriété publique qu’EMMANUEL KANT (1724-1804), n’a jamais quitté sa ville natale de Königsberg, ce qui ne l’a pas empêché de correspondre avec les plus grands esprits de son temps. Il a développé une éthique faisant de la raison le fondement même de l’action humaine, devenant ainsi le principal re présentant d’une philosophie morale éclairée dont l’influence est encore très présente aujourd’hui.

CHRISTOPH QUARCH, 58 ans, est un philosophe allemand, fon dateur de la Nouvelle Académie Platonicienne (akademie-3.org) et auteur de nombreux livres de philosophie. Son dernier ouvrage de réponses philosophiques à des questions quotidiennes est paru en allemand chez legenda Q, 2021.

LE MOMENT PHILO
« Faites de vos préceptes une loi naturelle. Même dans la communication au quotidien. »
18 THE RED BULLETIN DR. CHRISTOPH QUARCH YANNICK
à base d’ingrédients d’origine 100% naturelle

Énergie solaire

Valle Nevado, Chili, 2013

Depuis quinze ans, Clark est à la recherche de l’hiver éternel et explore aussi l’hémisphère sud à cette fin. Il met ici en scène son ami et skieur professionnel Carston Oliver à Valle Nevado, une région située au cœur des Andes.

L’hiver sans fin

Pour Adam Clark, 43 ans, la Terre est une boule de neige. Le photographe d’aventure est en quête des meilleures photos de freeski. Partout et à tout moment. En voici la preuve.

PORTFOLIO
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Éclair de poudre

« Ce qui est bien dans mon travail, c’est que je me suis fait des amis et amies dans le monde entier », dit Clark. Il a ici saisi le skieur professionnel norvégien Stian Hagen lors d’un périple hors-piste dans les Selkirk Mountains.

Croustillant Haines, Alaska, 2009

Pour filmer les skieurs de big mountain Dana Flahr et Seth Morrison, Clark a tourné depuis un hélicoptère. « La texture de la neige me rappelait l’aspect des chips à rayures », explique Clark.

PORTFOLIO THE RED BULLETIN 23

Météo aéronautique

Colombie-Britannique, Canada, 2017

Le freeskieur italien Markus Eder, athlète Red Bull, emprunte une piste bordée d’arbres près du Retallack Lodge. « Voir Markus à l’œuvre a été un énorme kick », dit Clark. Un kick suivi d’un clic !

Point lumineux Cooke City, Montana, 2021

« J’ai toujours été à la poursuite de photos d’action. Maintenant je veux donner une idée de ce que c’est que d’être là, dehors », explique Clark, qui a saisi ici le champion du Freeride World Tour de 2020, Isaac Freeland. En soulignant la lumière !

« En regardant la photo, il faut pouvoir ressentir l’effet que cela fait d’être là. »
Adam Clark
PORTFOLIO THE RED BULLETIN 25

Voyage fantôme

Nevados de Chillán, Chili, 2014

« En Amérique du Sud, le vent est inconstant, il va et vient sans avertisse ment. Nous avons attendu ce moment tout l’aprèsmidi », explique Clark à propos de la photo du skieur canadien Austin Ross.

« La poudreuse est comme le sable : quand le vent souffle, elle s’envole. »
Adam Clark
PORTFOLIO
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Vague de froid

Cooke City, Montana, 2021

« Certains jours, on n’a pas de plan, dit Clark à propos de cette photo du skieur américain Sawyer Thomas. Nous nous sommes simplement promenés jusqu’à ce que nous trouvions des décors captivants. » Essayer, c’est l’adopter !

PORTFOLIO
« Parfois, il s’agit seulement de s’amuser par une journée triste et nuageuse. »
Adam Clark
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Ronde finale Wasatch Mountains, Utah, 2019

« J’aime ma région », confie Clark à propos de l’Utah. C’est ici qu’il a saisi l’image de son compatriote, Marcus Caston, lors de la dernière descente de la journée. Son cliché pris, il a ensuite enfilé ses skis et dévalé 1,2 kilomètre.

Nuage cotonneux Chaîne de Wasatch, Utah, 2019 « Parfois, la neige est au premier plan dans mon travail », dit Clark. Ici, le skieur pro Pep Fujas, enveloppé dans un nuage de poudreuse duveteuse.

LE PHOTOGRAPHE ADAM CLARK

Ayant grandi à Salt Lake City, dans l’Utah, Adam Clark est tombé amoureux du ski dès son plus jeune âge. Un voyage en Alaska organisé par son lycée a transformé cet amour en relation pour la vie.

Des photographes ama teurs lui ont offert son pre mier appareil et il a aussitôt commencé à prendre des photos de ses amis et amies dans la neige. Ses travaux ont rapidement été publiés et il a compris qu’il pouvait gagner sa vie en tant que photographe. C’est donc en « vagabond skieur »

qu’il a parcouru le monde, toujours en quête de neige.

Aujourd’hui, le photo graphe âgé de 43 ans est certes un peu plus séden taire mais, où qu’il se trouve, son travail se concentre sur la capture constante de cet amour de la nature, un amour d’enfance. « J’essaie de transmettre un sentiment authentique de l’effet que ça fait d’être dans un endroit en particulier, en tant que skieur, ou juste transmettre la sensation d’être dehors », explique Adam Clark.

PORTFOLIO
Instagram
: @acpictures L’incandescence des sommets Lofoten, Norvège, 2015 « C’est l’un des cinq plus beaux couchers de soleil que j’ai vus de ma vie », se souvient Clark. Ici, les skieurs Stian Hagen et Christina Lustenberger contemplent les fjords. Le panorama offre une vue à couper le souffle.
THE RED BULLETIN 31

Visionnaire virtuelle

L’artiste numérique parisienne Ines Alpha porte l’épanouis sement personnel à un nouveau niveau : son maquillage 3D vous aide à vous réinventer dans le métavers.

Des éclaboussures irisées qui enca drent le visage, des fleurs qui s’épa nouissent d’une joue à l’autre, des masques inspirés des tentacules de pieuvre… Ce ne sont pas des images de science-fiction, mais des looks de maquillage créés par l’artiste numé rique basée à Paris Inès Marzat, alias Ines Alpha, et ils pourraient être l’avenir de l’industrie de la beauté.

Marzat utilise un logiciel de conception 3D pour créer des maquil lages qui ne peuvent être vus que dans le métavers et en réalité aug mentée (AR). Transformant les filtres des médias sociaux en œuvres d’art, ses créations donnent naissance à des versions fantastiques de la beauté et fournissent de nouveaux outils numériques permettant à d’autres d’explorer l’expression de soi en ligne. Parmi ses fans figurent Charli XCX et Lizzo, et Marzat travaille avec des modèles, des artistes et des direc teurs artistiques pour donner vie à son « maquillage du futur » : « Je veux créer un espace pour une créativité totale dans son apparence, explique l’artiste de 37 ans. Il est difficile d’être différent dans notre société, de se démarquer, de porter des vête ments colorés et un maquillage fou dans la rue, sans recevoir de com mentaires ou de regards bizarres. Dans l’espace numérique, vous pou vez être tout ce que vous voulez. Vous avez une liberté d’expression totale. »

the red bulletin : Quand avezvous commencé à créer du maquil lage numérique en 3D ? ines alpha : J’ai travaillé dans la publicité en tant que directrice artis tique, spécialisée dans la beauté, les cosmétiques et la mode, mais il était difficile d’être créative à cause des normes de beauté que l’on doit suivre. J’ai commencé par expéri menter des logiciels 3D pour le plai sir, en créant des taches irisées et des créatures étranges. Un jour, j’ai eu l’idée de combiner mes intérêts pour la beauté et l’art 3D et de commencer à appliquer mes créations au visage.

Quel est l’attrait pour vous ?

J’aime le visage humain et la façon dont les gens s’expriment à travers la texture et le maquillage. En appre nant à ajouter de la 3D à des environ nements réels, j’ai compris le poten tiel de la beauté virtuelle, qui pourrait être le maquillage du futur.

Qu’est-ce qui inspire vos créations ?

Essentiellement les créatures marines : leur façon de bouger, leurs couleurs et leurs textures. Lorsque vous les sortez de l’eau, elles se des sèchent et meurent. Les reproduire en 3D permet de faire des choses qui ne sont pas possibles dans le monde réel. Vous pouvez recréer ces créatures diaphanes, fluides, multicolores et irisées de manière très élégantes sur le visage.

Tout le monde a désormais une identité en ligne. En tenez-vous compte lorsque vous créez des looks en 3D ?

Oui. Dans le métavers, vous choisis sez votre identité et vous pouvez créer plusieurs « moi ». Il est si facile de choisir un filtre et d’être un per sonnage sur une plateforme, puis d’en être un autre ailleurs. Les gens me taguent dans leurs vidéos et, ins tinctivement, ils bougent et agissent différemment selon les filtres. Cela influence vraiment ma pratique et la façon dont je peux raconter diffé rentes histoires à travers le design.

À l’avenir, les gens se promène ront-ils en portant un maquillage en 3D visible uniquement avec des lunettes AR ?

C’est mon rêve ! Certaines entre prises essaient déjà de fabriquer des lunettes et des lentilles de contact AR, mais pour l’instant, elles ne sont pas assez avancées pour vous donner l’impression d’être dans un autre environnement. Nous n’en sommes qu’au début, mais cela va certainement arriver. Je pense que la technologie évoluera rapidement, et j’espère que je serai encore sur cette planète pour le voir.

Pensez-vous que l’intérêt croissant pour la beauté et la mode numé riques s’explique par le désir des gens de moins dépendre des ressources physiques ?

Je ne suis pas sûre que la mode numérique puisse remplacer la mode réelle. Mais ce qui me dérange, c’est que nous créons quelque chose qui met l’accent sur la consommation, alors que nous devrions la diminuer. De plus, le travail numérique et son matériel restent problématiques d’un point de vue écologique. Nous devons penser à trouver le bon maté riel et à le recycler correctement.

Essayez le maquillage 3D d’Inès et rendez lui visite sur Instagram : @ines.alpha

Réalité augmentée 32 THE RED BULLETIN

Ines Alpha, 37 ans, exhibe l’une de ses créations virtuelles.

« Dans le métavers, je ressemble à ce que je veux. »
THE RED BULLETIN 33

Pouvoir magique

Le réalisateur Roland Emmerich a habitué le public à des blockbusters dystopiques. Avec sa version flmé de la Flûte enchantée, il apporte une touche de douceur au monde.

Roland Emmerich est l’un des plus grands succès d’exportation de l’Allemagne. Avec des flms comme Independence Day, Le jour d’après ou encore 2012, ce natif de Stuttgart s’est surtout fait un nom à Hol lywood en tant que réalisateur de flms catastrophe. En tant que pro ducteur, cet homme de 67 ans adopte un ton plus calme avec son flm La fûte enchantée, un hommage à l’opéra empreint de magie et de merveilleux de Wolfgang Amadeus Mozart et Emanuel Schikaneder.

the red bulletin : Pourquoi pro duisez-vous, en 2022, l’adaptation cinématographique d’un opéra vieux de 230 ans ?

roland e mmerich : Parce que les gens vont de moins en moins à l’opé ra et que je veux faire connaître le chef-d’œuvre de Mozart à un large public. C’est incroyable ce qu’un esprit humain y a produit !

La Flûte enchantée de Mozart est un feu d’artifce de l’esprit. Avezvous un conseil sur la manière d’enfammer l’imagination ? Ma force motrice, ce sont les livres. J’ai beaucoup lu par le passé.

Lequel recommandez-vous pré sentement ?

Le roman La guerre éternelle, de Joe Haldeman. Il parle d’une guerre qui naît de rien et qui dure des milliers d’années ; et à la fn, il s’avère que ce n’était qu’un malentendu.

Comment choisissez-vous vos lectures ?

Je vais sur Internet et je fais des recherches. Je constitue assez rapi dement une liste de livres qui m’in téressent puis je les télécharge sur mon Kindle.

Sur les réseaux, on est bombardé de contenus médiatiques courts. Craignez-vous que les jeunes n’aient plus la capacité d’attention nécessaire pour lire des livres ? Oui, je le pense. Beaucoup n’ont plus la patience de s’y plonger et de lire toute une série de livres. Lire, c’est démodé pour la nouvelle généra tion. Je le vois avec mon mari (Omar de Soto a 33 ans de moins, ndlr). Il est constamment en train de swiper.

Et comment cela se passe-t-il pour vous ?

Je me tiens à l’écart de tout cela. Je n’ai ni Facebook, ni TikTok, ni Instagram, et ça me rassure. Certes, je passe beaucoup de temps sur le net, mais c’est surtout pour faire des recherches sur des sujets qui me pas sionnent. Quand j’ai besoin de me divertir, je joue avec mes chiens.

Comment stimuler l’imagination de la génération du numérique ?

Un flm comme La fûte enchantée est une tentative. Il est important de faire connaître aux gens des œuvres d’art majeures de l’histoire de la musique.

Si vous aviez des enfants, com ment vous y prendriez-vous pour leur transmettre cette culture ?

Au sein de la famille, ils pourraient faire ce qu’ils veulent. Il est impor tant de leur donner la liberté de prendre leurs propres décisions. Nous sommes une société où tout le monde se mêle de tout. Un couple de mes amis les plus proches a deux enfants, et ils se mêlent sans cesse de leurs affaires.… Je leur dis souvent : « Mais laissez-les tranquilles, cessez de les appeler à tout bout de champ ? Prenez du recul et laissez-les faire leurs trucs ! » Je suis de la génération où les parents ne se mêlaient guère de ce qui ne les regardaient pas. Je me suis construit tout seul.

Dans votre dernier flm, les men tors jouent un rôle important. Quelle importance revêtent-ils dans la vie réelle ?

Mon mentor, c’était le réalisateur Wolfgang Petersen, récemment décédé. Il faut juste éviter d’être dic tatorial. Si quelqu’un vous donne un conseil, vous pouvez toujours choisir de le suivre ou non. Dans mon flm, il y a un directeur d’école qui s’ex clame : « Cela n’existe pas chez moi », jusqu’à ce qu’il soit détrompé. Ce n’est pas la bonne approche.

Quelle a été votre propre expé rience avec l’école ?

J’étais insupportable. Au lycée, j’étais le type qui séchait le plus sou vent les cours. J’imitais la signature de mes parents pour mes mots ex cuses, j’avais un nombre incalculable d’idées pour les motifs d’absence. Je n’avais ni mes classeurs, ni mes livres, ni même une besace pour les transporter. Encore aujourd’hui, je me demande comment j’ai fait pour décrocher le bac… C’est un miracle que je l’ai réussi.

Le film La flûte enchantée sortira l’année prochaine en Suisse romande.

Cinéma
34 THE RED BULLETIN LAGOS CID MANUEL/PARIS MATCH/CONTOUR
Roland Emmerich, 67 ans, sur le conflit culturel des générations.
« Lire, c’est démodé pour la nouvelle génération. Mon mari ne fait que swiper. »
THE RED BULLETIN 35

Atout cœur

Anne Hathaway est connue pour jouer des émotions plus vraies que nature. L’actrice de 39 ans a rem porté un Oscar pour son rôle sans détour d’une femme en proie à la souffrance dans Les Misérables ; dans Brokeback Mountain, elle a joué l’épouse d’un cow-boy gay ; et dans Le diable s’habille en Prada, elle a tenté de gérer une patronne tyrannique. Son personnage dans Armageddon Time, qui dresse le portrait d’une famille new-yorkaise dans les années 1980, va aussi dans ce sens. C’est justement pour cette raison qu’elle a une idée claire de la manière dont nous devons gérer nos émotions.

the red bulletin : Dans votre nouveau flm Armageddon Time, vous jouez une femme qui tente de faire ses preuves en tant que mère. Qu’avez-vous appris de vos enfants ?

anne hathaway : En fn de compte, ce processus d’apprentis sage consiste à regarder le cerveau et la conscience de mes enfants se développer. Cela se fait en douceur, avec amour et respect. En revanche, je me suis toujours mis la pression et j’étais extrêmement sévère avec moi-même. Grâce à mes enfants, j’ai compris que ce n’était pas la bonne solution. Il faut se donner amour et acceptation. Depuis que j’ai réussi cela, je suis beaucoup plus heureuse. Mon cœur s’est littéralement ouvert.

Cela signife qu’il faut simplement laisser les choses se faire ? Exactement. Avant, je me disais que je devais toujours accomplir certaines tâches : je dois méditer correctement, je dois réussir une recette de smoothie optimale et ainsi de suite. Autrement dit, tout dépendait de mes activités.

Mais dans le travail et dans la vie quotidienne, rien ne tombe du ciel, il faut s’activer pour que les choses arrivent...

Le seul élément décisif, c’est l’amour. Il n’y a que ça qui compte. C’est la solution à tout.

Cela semble très idéaliste. Je sais que j’ai l’air d’une adepte de la pensée positive. Mais l’amour a toujours été ma réponse a tout. Car c’est la meilleure façon d’inte ragir les uns avec les autres. Il nous aide à trouver une harmonie avec les personnes qui s’opposent à nous. Et si nous élevons nos enfants de manière à être bienveillants les uns envers les autres, alors nous vivrons dans un monde fantastique. J’essaie de montrer l’exemple et je m’inter roge sans cesse : « Suis-je effective ment le genre de personne que j’ai envie d’être ? »

Quand saurez-vous que vous avez réussi en tant que mère ? James Gray, le réalisateur d’Ar mageddon Time, m’a dit quelque chose de merveilleux lors d’un entretien en tête-à-tête : « En tant que parent, il n’y a pas de plus grande leçon que lorsque les enfants

nous disent que nous avons commis une erreur. » Je ne veux pas en dire plus, car l’éducation de mes fls se poursuit. Ils sont encore petits, ils sont seulement âgés de 3 et 6 ans.

Comment gérez-vous les sentiments négatifs ? Ou êtes-vous épargnée par ceux-ci ?

J’ai bien sûr mes défauts, comme tout le monde. Mais j’ai la chance d’avoir gardé les pieds sur terre grâce à ma famille. Cela me permet de maîtriser plus facilement mes peurs et mes angoisses. J’aurais tort de nier ces sentiments. Le poète persan Rumi a très bien décrit cela. Selon lui, chacune de nos émotions est une hôte que nous devons héber ger et traiter avec respect, qu’elle soit source de joie ou de souffrance. Car c’est justement parce qu’elles ne sont que des invitées qu’elles ne res teront avec nous qu’un temps limité.

Ne préférez-vous pas plutôt ne retenir que les expériences posi tives ? Qu’avez-vous ressenti par exemple après avoir remporté l’Oscar ?

J’ai apprécié ce moment, et puis je l’ai oublié. C’est pourquoi j’ai placé la statuette tout en bas de mon étagère. Mais petit à petit, je l’ai remontée vers le haut. Avec le temps, j’ai appris que je devais reconnaître et valoriser cette expé rience, car elle m’a donné la chance de me réinventer. Et ce processus se poursuit encore aujourd’hui.

Armageddon Time, le 9 novembre au cinéma.

Cinéma
Entretien RÜDIGER STURM Photo DAN MARTENSEN/TRUNK ARCHIVE
Devant la caméra, Anne Hathaway joue et convoque un large panel d’émotions. Comment les accueille-t-elle intérieurement ? « Comme de sympathiques hôtes. »
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La star hollywoodienne Anne Hathaway, 39 ans, sur le côté éphémère du succès. « Mon Oscar, je l’ai d’abord savouré, puis oublié. » THE RED BULLETIN 37

Attaquant au grand cœur

Sympathique, modeste et persévérant : du haut de ses 22 ans, Noah Okafor fait un peu penser au gendre suisse idéal. Mais attention : sur le terrain, c’est l’explosion ! Nouvelle étoile montante de notre équipe nationale, c’est à l’âge de huit ans que l’attaquant du FC Red Bull a disputé le match de sa vie.

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PINK BULL Noah Okafor en pleine séance photo sur son « lieu de travail », le Red Bull Arena de Wals Siezenheim, près de Salzbourg.
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Au cours de sa carrière sportive, Noah Arinze Okafor n’a jamais eu vraiment besoin d’invitations. En novembre 2021, il accepte pourtant bien volontiers celle de Francesco Acerbi : débordant le défen seur italien qui lui laisse trop d’espace sur le côté gauche, Okafor saisit l’occa sion et lance son sprint le long du couloir extérieur. Délire dans le Stadio Olimpico de Rome. Laissant son adversaire cloué sur place, il sert parfaitement Silvan Widmer qui envoie un boulet de canon en pleine lucarne. Buuuuut ! Ouverture du score pour la Suisse dans ce match de qualifcation pour la Coupe du monde face à l’Italie ; la Nati vient de faire un grand pas en avant sur la route du mon dial 2022. Pour ses fans, cette action vient confrmer l’incroyable talent d’Oka for. Pour lui, c’est la preuve que toutes ces séances acharnées d’entraînement au sprint en valaient la peine.

À 22 ans, Noah Okafor est l’étoile montante du foot suisse. La saison dernière, l’attaquant du FC Red Bull Salzbourg, champion en titre de la Coupe d’Autriche, est devenu une pièce maîtresse de l’équipe avec onze buts et des débuts impressionnants en Ligue des champions. Et ses premières participa tions en tant que titulaire dans l’équipe nationale ont été déterminantes pour la qualifcation de la Nati en Coupe du monde.

Noah Okafor a commencé à déve lopper cet énorme potentiel qui som meillait en lui, franchissant ainsi une étape importante et diffcile. Quoiqu’en y regardant de plus près, ce travail est

Al’œuvre de toute une vie. Car il y a deux leçons que Noah a apprises très tôt : primo, qu’il avait plus de talent que la plupart des autres et deuxio, que le talent seul ne sufft pas. Dès l’enfance, il a commencé à apprendre ce qu’il fallait faire en plus pour réussir.

La volonté et une paire de chaussures

Une anecdote illustre parfaitement ce propos : âgé de huit ans, Noah Okafor se présente pour la première fois à la séance d’entraînement du FC Arisdorf, près de Bâle, sans chaussures adaptées ni pro tège-tibias. Le coach lui explique qu’il ne peut pas participer à l’entraînement dans ces conditions. Noah rentre alors chez lui, persuade son père de l’emmener au magasin de sport et revient vers le coach une heure plus tard, équipé de pied en cap. Celui-ci le laisse participer à un petit match de fn d’année et comprend alors que ce garçon est vraiment exceptionnel. Un grand sourire éclaire le visage d’Oka for à l’évocation de cette histoire via la caméra de son portable, tranquillement assis chez lui à Salzbourg. Il porte une

casquette noire et un tee-shirt blanc, son corps est parfaitement détendu.

« C’est typique de mon caractère : quand je veux quelque chose, je le veux de toutes mes forces. »

Après seulement six mois à Arisdorf, il reçoit une invitation du FC Bâle pour une séance d’essai. Très convaincant sur le terrain, il intègre l’équipe junior du club, passe tous ses week-ends à jouer au foot et participe à ses premiers tournois inter nationaux. Au début, il prend ça un peu à la rigolade, mais vers l’âge de treize ans, les choses commencent à changer:

« Tu atteins un âge où tu réalises que tu vas dans la bonne direction. Les gens te disent que tu as le potentiel pour devenir professionnel. Et là, tu dois te décider : tu veux vraiment te lancer dans cette voie ? Dans ce cas, tu vas devoir travailler dur. »

Au fl de l’interview, une nouvelle facette de sa personnalité émerge, aux antipodes de ce Noah laissant éclater sa joie dans le stade après un but en Ligue des champions, déclenchant chez les supporteurs et les supportrices dans les tribunes une vague d’euphorie relayée dès le lendemain par toute la presse européenne. Il marque un temps d’arrêt avant chaque réponse, choisissant soi gneusement ses mots avec un mélange de pudeur respectueuse et de réjouissante franchise.

« C’est toujours comme ça : quand je veux quelque chose, je le veux de toutes mes forces. »
Noah Okafor sur l’élément clé de son succès, outre le talent.
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BALLON ET BÉTON Image symbolique : Noah en train de jongler dans le garage du stade, lui qui fait sauter le béton des défenses sur le terrain.
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LA CONCLUSION Le FC Red Bull Salzbourg contre l’AC Milan, à la 28e minute : Noah Okafor ouvre le score dans le coin inférieur droit. LE ROI DU SPRINT Ici, sous les couleurs du FC Red Bull Salzbourg lors du match de Ligue des cham pions contre l’AC Milan début septembre.
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« Le travail est aussi important que le talent. Et le plaisir, sinon tu n’iras pas loin. »
Gestion mentale de l’entraînement selon Noah Okafor.
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À quatorze ans, il s’entraîne une à deux fois par jour et rajoute encore quelques séances individuelles à un rythme très soutenu. Même pendant les vacances ? « Je partais rarement en vacances. Je préférais rester à la maison pour m’entraîner. » Un an plus tard, Noah Okafor emménage dans la résidence de jeunes du FC Bâle. Alors que ses cama rades enchaînent les fêtes et boivent leurs premières bières, Noah se contente d’un régime pizza-eau plate. « C’est clair que ce n’était pas simple tous les jours. Et honnêtement, j’ai craqué plus d’une fois. Mais mes parents ont toujours su me rappeler au bon moment ce qu’il fallait faire pour réussir : savoir renoncer, tout donner et avoir envie de progresser. »

La mère de Noah Okafor est originaire de Suisse. Son père, lui, grandit dans la misère au Nigeria, débarque tout jeune en Europe, passe par Vienne puis Munich avant de s’installer à Bâle, où il rencontre la mère du futur prodige. Pour nourrir ses cinq enfants, il travaille dans un garage automobile. L’histoire personnelle de son père, les sacrifces de ses parents pour qu’il puisse devenir footballeur professionnel… une motivation sup plémentaire ? « Oui, j’en suis persuadé. J’ai bien compris que mon père en avait bavé. À partir d’un certain âge, on fnit par s’en rendre compte. Je suis content que ça aille mieux pour lui aujourd’hui et je n’ai pas assez de mots pour remercier ma mère et mon père de m’avoir toujours poussé à atteindre mes objectifs. »

Quand il était encore tout jeune joueur, les commentaires discrimina toires sur sa couleur de peau allaient bon train, mais Noah ne s’est pas trop attardé dessus. « Oui, j’ai subi certaines remarques de la part d’autres joueurs, de certaines personnes dans les tribunes ou de parfait·e·s inconnu·e·s. On fnit par y penser et par se demander pourquoi, mais fnalement, on comprend que ce sont des réfexions des gens jaloux et envieux. J’en ai conclu que cela ne méritait pas mon attention. »

« Les commentaires racistes des joueurs et du public sont motivés par la jalousie… »

À propos des commentaires désobligeants sur sa couleur de peau.

NOAH OKAFOR

Né le 24 mai 2000 à Binningen d’une mère suisse et d’un père nigérian, sa jeune carrière le conduit du FC Arisdorf au FC Bâle, où il fait ses débuts en Super Ligue à l’âge de 18 ans. Il rejoint le Red Bull Salzbourg début 2020 et rem porte à trois reprises le championnat et la coupe d’Autriche avec son nouveau club. Il est sélectionné pour la première fois en équipe nationale en 2019.

La peur dans le collimateur

C’est un autre problème bien plus grave qui lui tombe soudain dessus l’année de ses quinze ans : il prend dix centimètres d’un coup, ce qui provoque une sur charge corporelle et une infammation du pubis. Son médecin lui prescrit six mois d’arrêt. Première grande crise de sa jeune carrière : six mois sans pouvoir jouer au foot plus trois mois supplé mentaires pour être à nouveau en forme sur le terrain. À cette époque, il peut au moins compter sur le soutien de sa famille et d’un coach mental. « Il m’a rassuré, m’a donné des conseils pour mieux gérer ma colère et mes angoisses et m’a fait comprendre que les hauts et les bas sont le lot quotidien de ce genre de carrière. Ça m’a permis d’avancer. »

Et fnalement, cette crise s’est révélée être une expérience utile : « Une fois cette épreuve passée, j’ai fni par réaliser que j’étais prêt à devenir professionnel. Il me fallait simplement un peu de chance et éviter des blessures trop graves. »

Et deux ans plus tard, le 28 juillet 2018, c’est un Noah portant le maillot du FC Bâle qui affronte le Neuchâtel Xamax sur la pelouse du stade de la Maladière.

C’est sa première titularisation et son deuxième match en Super ligue.

À la 64e minute, libre de tout marquage dans la surface de réparation, il place un magnifque tir à ras de terre. Une titu larisation, un but : pas vraiment besoin d’invitation. Pourtant, il refuse encore celle des clubs étrangers.

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On lui fait bien les yeux doux en Allemagne et en Angleterre, mais il choisit de rester à Bâle. « Je m’y sentais bien, c’est essentiel pour un jeune joueur. Et je préférais construire ma carrière patiemment, petit à petit. » Ce n’est qu’en janvier 2020 qu’il se décide à quit ter son club d’origine pour rejoindre le FC Red Bull de Salzbourg, décision pleine de sens quand on sait que c’est là que Sadio Mané ou Erling Haaland ont développé tout leur potentiel. Mais pour Noah, les choses ne démarrent pas sous les meilleurs auspices.

« Ce qui m’a motivé, c’est que mes parents m’ont aidé même quand c’était dur. »
Noah Okafor a grandi avec quatre frères et sœurs dans des conditions modestes. LES PREMIERS MÈTRES Noah dans les coulisses du Red Bull Arena. Ici, il court, mais sur le terrain, il vole. JEU-CONCOURS Scannez le QR code ci-dessus pour tenter de gagner un ballon ou un maillot dédicacés.
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Un groupe individuel pour progresser

Il met du temps à s’habituer à ce nouvel environnement. C’est la première fois qu’il vit à l’étranger, si loin de sa famille. Pan démie, confnement et petites blessures n’arrangent rien. Il doit en plus s’adapter au style très particulier de son nouveau club, rythmé, intensif et tactiquement exigeant. Il travaille sur l’explosivité et la vitesse dans des groupes d’entraînements individuels, modife son alimentation, fait encore plus attention à son corps, aux temps de régénération et au sommeil.

« Plus tu évolues, plus il faut travailler dur », admet-il, ajoutant que le jeu en vaut la chandelle, comme le prouve son exceptionnelle saison 2021/22, avec sa passe décisive en équipe nationale contre l’Italie, son but contre la Bulgarie et ses trois buts en phase de groupe de la Ligue des champions qui ont permis à Salzbourg d’atteindre, pour la première fois, les hui tièmes de fnale.

« Noah Okafor a beaucoup mûri, c’est devenu un vrai pro, explique Christoph Freund, directeur sportif de Salzbourg. Il a su se rendre indispensable au club. » Ce qu’il prouve une nouvelle fois cette saison, accumulant les points dans le classement des buteurs et inscrivant un but à chacun de ses trois premiers matches en Ligue des champions : d’abord en concrétisant une brillante action individuelle contre l’AC Milan, puis en marquant un but époustou fant contre Chelsea, et enfn un penalty contre le Dinamo Zagreb. Et ce n’est qu’un début. Jouera-t-il également un rôle clé pour la Suisse lors de la prochaine Coupe du monde au Qatar ? Il fait en tout cas énormément confance à l’équipe. « Notre équipe est vraiment bien rodée. Si l’on se bat tous ensemble, je suis persuadé qu’on pourra aller très loin. » Et c’est avec la même assurance qu’il fxe ses objectifs de carrière personnels : « Ce que je veux ? Devenir champion dans une ligue de haut niveau, gagner la Ligue des cham pions et devenir le meilleur joueur de Suisse. » Le gamin qui s’est un jour pré senté à l’entraînement sans équipement est devenu un vrai pro prêt à atteindre les sommets. Quand on lui demande

quels enseignements il a tirés de son parcours et quels sont les conseils qu’il peut donner, il réféchit un court instant avant de répondre : « Le talent est essen tiel, mais le travail l’est tout autant. Et surtout, il faut toujours prendre du plai sir dans ce que l’on fait, c’est là que les portes s’ouvrent. » Les portes et les buts.

: @noah.arinze

Noah Okafor est habillé par ALPHATAURI, collection automne-hiver 2022.

OBJECTIFS

Le plan de carrière de Noah Okafor: gagner la Ligue des champions et devenir le meilleur joueur de Suisse.

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«
Il a mûri très vite et est devenu un joueur indispensable.
»
Christoph Freund, directeur du Red Bull Salzbourg, à propos des progrès d’Okafor.
Instagram
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Plongée Rendez-vous marin : en 2007, Pierre Frolla s’est laissé photogra phier avec un requintigre au large des côtes sud-africaines pour attirer l’atten tion sur cette espèce menacée d’extinction.
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FRED BUYLE

LE GRAND BLEU

Il danse avec les baleines, tournoie avec les requins et virevolte même avec les crocodiles. Le tout sans bouteille d’oxygène, bien sûr. À 47 ans, PIERRE FROLLA vit dans un monde à couper le souffle !

Texte TOM GUISE, SASKIA JUNGNIKL GOSSY

En 2004, Pierre Frolla repousse les limites de la plongée en apnée : le Monégasque parvient à retenir son souffe suffsam ment longtemps pour descendre à 123 mètres de profondeur, détruisant ainsi le record mondial de l’époque.

Pour combler le manque d’oxygène, les apnéistes utilisent différentes techniques respira toires très spéciales pour consom mer le moins d’oxygène possible au cours de leur plongée. Cela exige concentration et maîtrise corporelle maximales. Pionnier de ce sport extrême, Frolla a établi de nouveaux standards pour la sécurité en eaux pro fondes : âgé de 47 ans, il partage volontiers ses expériences avec le public, comme dans son dernier documentaire On a Long Breath ou dans son livre Oceans – Face to Face, pour lesquels il a plongé à la rencontre des baleines, des requins et des crocodiles afin de sensibiliser le public à la protection de la faune et de la flore. Aujourd’hui, Frolla dirige l’une des plus grandes écoles de plongée du monde dans son pays natal, Monaco, et transmet sa philosophie aux autres. « Des cendre dans les océans les plus profonds du monde m’a aidé à comprendre qui j’étais, qui je pouvais devenir, et à me prou ver que mes capacités étaient immenses », dit-il. Voici le récit de sa descente dans les abysses.

ORIGINES Pourquoi j’ai reprogrammé mon corps

« J’ai passé une enfance merveil leuse à Monaco, un paradis où la mer tutoie la montagne. On peut faire une plongée à cent mètres de profondeur le matin et dévaler des pistes de ski à deux mille mètres d’altitude l’aprèsmidi. Je me souviens encore de ma première vraie nage en pleine mer : c’était sur la plage sauvage de Cabbé, dans la partie Est de Monaco. Je venais d’avoir cinq ans. Mais ce n’est que quinze ans plus tard que l’apnée est devenue ma discipline de prédi lection, après une grave blessure à l’épaule lors des championnats du monde de judo à Chicoutimi, au Canada, en 1995. La décep

tion était d’autant plus grande que je m’étais entraîné très dur pour cette épreuve. Plutôt que de subir une opération, j’ai décidé de m’entraîner un peu à l’apnée et surtout, de faire de grosses séances de natation pour travail ler ma rééducation. À l’époque, mon corps était programmé pour le combat. Tout le contraire de l’apnée, où il n’est pas question de se battre mais au contraire de ne faire qu’un avec l’eau. Lutter contre cet élément ne sert à rien. En natation, on peut faire une pause quand on a nagé trop vite. En cyclisme, on peut descendre de son vélo quand les cuisses font trop mal. En apnée, on n’a pas ce genre de luxe : rester au fond de la mer nous condamne à une mort certaine. Aucune échappa toire possible : pour respirer, la seule solution est de remonter. J’ai toujours voulu aller au-delà de mes limites pour me prouver

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Plonger pour se trouver soi-même : Pierre Frolla au large de Monaco, sa mer natale.
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GIL ZETBASE, GREG LECOEUR, FRED BUYLE Ci-dessus : le jour où il a demandé la main de sa femme, Frolla s’est promené avec un crocodile au large des côtes de Cuba. Hasard ou coïncidence ? Agent spécial en eaux troubles : en 2006, Frolla plonge au large des Bahamas vers l’épave d’un avion DC3 utilisée dans une scène de James Bond.
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que j’étais capable de beaucoup plus que ce que je m’étais imaginé au réveil. Quand je vais me cou cher, je veux me sentir plus fort qu’au saut du lit. »

LES PROFONDEURS Une ivresse entre humilité et acceptation

« Quand j’étais petit, j’avais une peur bleue des requins mais parallèlement, j’étais convaincu que j’allais devenir champion de plongée un jour. Du coup, j’ai passé pas mal de temps à vivre avec cette contradiction, plon geant voluptueusement dans les profondeurs des océans avec cette boule au ventre perma nente de tomber sur un requin. À seize ans, je me suis envolé pour l’autre bout du monde à la rencontre de mes ennemis. Quand j’ai croisé mon premier squale, un énorme requin-citron, je n’en ai pas cru mes yeux : en m’apercevant, le géant a aussitôt fait demi-tour pour s’enfuir daredare. C’est lui qui avait peur de moi ! À ce moment-là, j’ai réalisé que ce qui nous fait vraiment peur, c’est l’inconnu. Et quand celui-ci devient familier, la peur disparaît. J’ai compris aussi que le requin n’est pas une espèce menaçante, mais une espèce menacée. » En 2012, dans le cadre d’une exposition intitulée Vivent les requins !, Frolla a nagé pendant trois quarts d’heure dans un bassin au milieu de 25 requins. Il voulait attirer l’at tention sur le caractère pacifique de ces animaux et sur la menace d’extinction qui pèse sur eux.

« En apnée, il ne faut pas avoir peur. La peur nourrit le doute, le doute nourrit l’erreur, et l’erreur nourrit l’échec. Une erreur à plus de 100 mètres de profondeur n’est pas un échec, mais une fin imminente. »

« Être au fond de l’océan est une expérience très particulière. Quand je plonge, chaque mètre parcouru me fait ressentir les choses d’une manière toujours plus intense. Je ne sais pas com ment l’expliquer, c’est comme si une véritable prescience de nos sensations se développait : le nombre de secondes passées sous l’eau, l’autonomie de notre batterie interne… Une apnée en grande profondeur signife s’exposer à une pression énorme. Un synonyme d’humilité, de sacrifce de soi et d’acceptation.

Il y a une grande différence entre l’apnée, où l’on retient sa respira tion le plus longtemps possible,

et le manque d’oxygène qui est un processus chimique. Quand notre corps manque d’oxygène, on meurt. Mais avant cela, on peut retenir très long temps sa respiration et consom mer l’oxygène emmagasiné dans les poumons, ce qui permet de survivre bien plus longuement qu’on ne le pense. En 2003, j’ai voulu plonger à 114 mètres pour habituer mon corps à la pression. Le sondeur indiquait un fond plat à 120 mètres, donc appa remment il n’y avait aucun dan ger. Mais à 104 mètres, je me suis englué dans un monticule boueux. L’eau était noire, je n’y voyais rien, j’étais coincé jusqu’aux genoux et il m’a fallu près de 20 secondes pour me dégager. J’ai vraiment cru que j’allais rester bloqué au fond. Par la suite, nous avons mis en place de nouvelles mesures de sécurité et insisté davantage sur les contrôles. »

Frolla tire les bras le long d’une corde qui l’entraîne vers les profondeurs. Lors de la remontée, l’important est de ne pas se précipiter. Cela peut provoquer une décom pression, une chute de pression qui génère des bulles de gaz dans le corps.

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LA PEUR Et soudain, le prédateur marin s’est mis à claquer des dents
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ALEXIS ROSENFELD, ROBERT MARGAILLAN

PIERRE FROLLA

Né le 14 février 1975 à Monaco, il grandit les pieds dans l’eau. Son père, spécialiste en chasse sous-marine, lui inculque très tôt les préceptes de vie aquatique et de protection de la nature. Frolla a quatre records du monde de plongée en apnée à son actif, et s’occupe désormais d’écoles de plongée pour enfants dans lesquelles il enseigne principalement le respect de la faune et de la flore.

Cela me permet de défnir de nouvelles frontières et de nou veaux objectifs tout en sachant que la sécurité est primordiale. Un proverbe dit : “Descend qui veut, remonte qui peut.” Descendre est plus simple que monter, fnalement. Tout le monde peut aller jusqu’au fond, mais si on est mal préparé, on risque de ne jamais remonter vivant. »

L’AMOUR Sa pression enfn envolée, nous nous sommes mariés sous l’eau

« Offcieusement, ma plongée la plus profonde est de 132 mètres. Mon record offciel, lui, est de 123 mètres de profondeur. Battre un record pour la première fois procure un sentiment très parti culier. On s’y prépare intensé ment, on y pense chaque seconde, chaque minute et chaque mètre à l’entraînement. La préparation

d’un tel record dure entre six et neuf mois, à raison de deux à trois séances par jour, six fois par semaine. Mon coach m’a dit à l’époque : “Si tu deviens un jour champion du monde, tu seras au sommet d’une montagne et tu pourras observer le monde entier. Mais tu seras seul. C’est à ce moment-là que tu devras décider de ce que tu veux faire et com ment tu veux le faire.” Les som mets et les points culminants que je vise sont situés au fond des océans, aussi ma plus grande motivation pendant une compéti tion est-elle d’atteindre mes propres limites sans les dépasser.

« Ma femme et moi nous sommes mariés sous l’eau en 2015. Un moment magnifque et un peu dingue avec septante personnes à nos côtés. Ma compagne était très fère d’elle parce qu’un an plus tôt, elle n’arrivait pas encore à faire ce que l’on appelle une “compensation”, un rééqui librage de la pression de l’eau en envoyant de l’air vers l’oreille moyenne pour réduire les sensa tions douloureuses. Elle a tout donné, et quand elle y est enfn arrivée, je lui ai demandé de m’épouser sous l’eau. Le prince Albert II de Monaco était l’un de nos témoins de mariage. C’est un très bon plongeur et un élève remarquable. J’ai parcouru prati quement tous les océans de la planète et me suis rendu dans les coins les plus reculés du globe. Chaque expédition est une par faite harmonie entre rencontres inoubliables et opportunités exceptionnelles. Pour moi, les voyages les plus importants sont ceux associant les rencontres avec la mer et les personnes. Nager avec des crocodiles est unique, caresser des requins blancs presque irréel et danser avec un groupe de cachalots indescriptible… Mais ce qui donne vraiment du sel à tout cela, c’est l’aspect humain. » Instagram : @pierrefrolla

LES RECORDS Au moment du triomphe, tu es complètement seul
THE RED BULLETIN 53 ZACH PINA, HAMILTON

Danse

JOUE-LA COMME GOKU

Goku est le héros préféré de Mams, qui a adopté ce pseudo en battle avant de fonder le crew DBZ Fam avec Stylez’C, renommé Gohan.

Mams, à lui de jouer

À 34 ans, Mamadou Kalombo alias MAMS est devenu une icône de la danse urbaine romande. En décembre, le maître danseur de Vevey représentera la Suisse en Afrique du Sud lors de la finale mondiale du Red Bull Dance Your Style. Après une vie passée au service des autres, il est enfin prêt à penser à lui et à rattraper les occasions manquées.

BOUAICI Photos GIAN-PAUL LOZZA
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Il a gagné toutes les battles qui comptent en Suisse. Et les danseurs et danseuses qu’il a formé·e·s ont remporté les sui vantes. Mams est un géant de la danse hip-hop mais, à travers l’écran, installé dans sa cuisine lumineuse chez lui à Vevey, c’est son calme et son humilité qui transparaissent. Exactement comme Goku, son héros d’enfance (du dessin animé Dragon Ball), quand il dissimule sa force avant de se transformer en super guerrier pendant le combat. « Dès qu’il entre sur le ring, c’est une autre per sonne, assure Voldo, un de ses élèves, qui a perdu en fnale contre lui lors du Red Bull Dance Your Style en 2021. Il est imprévisible, et l’énergie qu’il dégage est explosive. C’est la bête noire dans chaque concours de danse, personne ne veut l’affronter. »

Ça fait plus de quinze ans que Mams domine le game de la danse urbaine hel vétique. Il a gagné le concours Red Bull Beat It 2014 et 2015, le Dance Your Style 2021, le Juste Debout en Grèce en 2013 (en duo avec Stylez’C alias Stalamuerte), plus une demi-douzaine de victoires au festival de danses urbaines de Lausanne Au-delà des préjugés… La danse, il est tombé dedans quand il était tout petit. Son père lui a inculqué les rudiments des danses congolaises en même temps qu’il apprenait à marcher, avant que le flm Breakin’ (qu’il a vu sur les conseils de son père et du grand frère de Stalamuerte) ne classe le dossier : sa vie sera consacrée à la danse hip-hop.

À 12 ans, il intègre le centre de jeunes Equinox de Vevey où il suit des cours de danse, entouré d’animateurs et anima trices qui faisaient offce de « deuxièmes parents », dit-il. « À chaque fois qu’on avait des projets ou des ambitions, ils et elles étaient là derrière nous pour nous

Mams à propos du plaisir de danser qu’il ne l’a jamais quitté depuis ses douze ans.

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« Ce que j’aime quand je suis en battle, c’est vraiment laisser la place au freestyle total. »
Danse 56 THE RED BULLETIN

OBJECTIF JOHANNESBURG

Mams est prêt à briller en décembre pour la finale mondiale du Red Bull Dance Your Style.

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LE VIVIER DE VEVEY

Mams est très attaché à sa ville devenue la capitale suisse de la danse hip-hop grâce à lui et à ses élèves stars, Stalamuerte et Voldo.

Danse

booster. » Une bienveillance qui laissera une marque profonde, poussant Mams à mettre en avant son côté humain dans le coaching. Mais c’est à Lausanne qu’il devient un professionnel de la danse.

À 17 ans, alors qu’il est en apprentis sage dans une boulangerie, il découvre dans le journal une formation profes sionnelle avec certains des pionniers de la danse internationale. Motivé par son amie d’enfance, Joséphine Rémy (deve nue chorégraphe pour Snoop Dogg ou Bad Bunny), il y apprend les danses les plus diverses, locking, popping, house et même danse indienne, un cursus qui lui permet de déployer aujourd’hui une panoplie de mouvements inégalée, ce qui, couplé à son acharnement au travail et son perfectionnisme, le rend diffcile à battre. Le week-end, quand il a fni les petits boulots qui lui permettent de vivre, il se confronte aux cercles de danse dans les boîtes de nuit de la ville, l’Atelier volant ou le Loft.

Une progression entravée

En 2006, il quitte Lausanne pour aller fonder, dans son fef de Vevey, avec Joséphine Rémy, sa première école de danse, K-Unik, qui évoluera plus tard en Studio LesZarts. Une gageure dans une ville où le hip-hop est banni depuis cinq ans, suite à une bagarre après un concert. « J’avais peur pour le hip-hop et je voulais montrer son côté positif par la danse, explique-t-il. Et ça a marché. » Rapidement, la salle déborde d’élèves. Entre-temps, les cercles du samedi soir se sont transformés en battles de danse, dans lesquelles Mams et son crew excellent rapidement. À partir de 2008, il multiplie les succès sur la scène natio nale et participe à plusieurs éditions de Juste Debout, la compétition de danse hip-hop la plus relevée de la planète. Mais très vite, il voit sa progression entravée à cause de son passeport, blo qué dans les méandres de l’administra tion congolaise.

Une situation qui l’empêche de profter du fruit de ses victoires et de partir aux États-Unis ou en Autriche affronter les meilleurs danseurs internationaux. « En 2010, il devait venir avec nous à Las Vegas et c’était un déchirement », se souvient Voldo. « C’est moi qui suis parti à sa place, raconte Stalamuerte. Mams, c’est un peu

le daron de tout le monde. Il faut qu’il pense à lui un peu. » « C’est vrai qu’avant, ma motivation, c’était de représenter ma ville ou mon pays. C’était pour les autres, concède Mams. Et puis j’ai un peu oublié ce que ça me faisait personnellement. »

Showman de nature

Avec son passeport suisse en poche (depuis 2013), et une victoire dans l’édi tion suisse du Dance Your Style en 2021, il se prépare pour la fnale mondiale du concours Red Bull à Johannesburg le 4 décembre prochain, où il sera accom pagné de Voldo (vainqueur suisse 2022 et membre de son crew Mal au crâne), avec l’ambition de marquer les esprits. Pour Voldo, Mams a toutes ses chances pour la victoire fnale : « Mams, même

« J’ai toujours kiffé le théâtre, les jeux de rôle… Donc quand je danse, je fais le showman. »
Gamin, Mams était un grand fan du personnage de Steve Urkel.
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son visage danse ! Il est super communi catif, on comprend vite ce qu’il a envie de transmettre comme énergie et il se met facilement le public dans la poche. Il est très stratégique dans sa danse. Quand il m’avait formé pour Dance Your Style 2022, j’étais impressionné de découvrir toutes ses stratégies, notamment pour réveiller le public… Il est super effcace. »

Un sens du spectacle dont l’origine remonte à l’enfance, quand, grand fan de Steve Urkel (le héros de la série La Vie de famille), le petit Mamadou rêvait de devenir acteur. « J’adorais me déguiser pour aller à l’école. Et j’ai toujours kiffé le théâtre, les jeux de rôle… Donc oui, quand je danse, je fais le showman. J’aime danser pour que les gens comprennent ce que je fais. Je pense que cette danse instinctive, c’est ce qui plaît. Les gens voient que ce n’est pas préparé. Je suis très joueur, avant même la danse, j’aime me faire des flms en fait », rigole-t-il.

Pour Johannesburg, il se prépare men talement depuis un an – l’édition 2021 a été annulée à cause du Covid – en se reconnectant à lui-même à travers le yoga et la méditation, pour laisser son corps agir instinctivement durant les battles. « Comme Goku avec l’ultra instinct !, s’amuse-t-il. Au début d’une battle, il y

BIO EXPRESS

1999-2000 : Premiers entraînements au centre de jeunes de Vevey 2004-2005 : Formation DMASTER à Lausanne 2005-2006 : 1er contrat de danseur pro à la revue de Barnabé à Servion 2007 : Ouverture de l’école K-UNIK

2008 : 1er titre de cham pion suisse solo garçon (renouvelé 4 fois) 2014 et 2015 : Victoires au Red Bull Beat It 2019 : Victoire au World of Dance 2021 : Victoire au Dance Your Style Suisse 2022 : Red Bull Dance Your Style World Final South Africa

a dix secondes durant lesquelles les “colocs” dans ma tête s’engueulent pour savoir par quoi démarrer, et après, ça part tout à l’instinct. Ce que j’aime, c’est vrai ment laisser la place au freestyle total. »

L’impression de voler

Et ça donne des moments magiques, comme lors de la fnale Juste Debout en Grèce en 2013. « Je l’ai dit à Stylez’C, sur le moment, j’ai l’impression d’avoir volé, mon corps était tellement libre de s’exprimer. Je ne me rappelle plus ce que j’ai fait en termes de gestuelle mais en termes de ressenti, je me voyais avec des cheveux jaunes et l’aura autour. » Dans cet état-là, tout est possible. « Je suis beaucoup moins souple qu’auparavant mais l’an passé, en fnale, je balance salto arrière, grand écart… Je ne savais même pas que je pouvais encore faire ça ! »

Cette victoire au Dance Your Style lui a aussi redonné la motivation pour repartir à l’international, évacuer les frus trations du passé et « achever les rêves que j’avais un peu abandonnés ». Il s’est donc concocté un petit programme d’évé nements danse « ciblés » pour 2023. Mais « sans pression », explique-t-il, car l’essen tiel est déjà assuré : il a la reconnaissance de ses pairs, celle du pays, témoignée à travers la diversité des élèves venus de tous les coins de Suisse, et surtout celle de sa mère, qui a assisté à la victoire de son fls au Dance Your Style : « Mon plus grand rêve, c’était que ma mère me voie en battle ; et l’année où j’ai gagné, toute la famille était là : neveux, nièces, enfants, grands frères… Et quand j’ai vu les larmes de ma mère, là, pour moi, j’avais réussi ce que je voulais faire. Elle a fnalement adhéré à mon choix d’être danseur. Je ne sais pas si ça lui faisait trop penser à mon père qui était danseur mais elle n’adhérait pas auparavant. »

La suite, Mams veut la mettre au ser vice du hip-hop, qu’il veut mieux intégrer au reste du monde des arts, et surtout au service de Vevey, où il a sa famille, ses amis, son studio de danse – dans le même bâtiment que l’onglerie de sa femme. « C’est là que tout a commencé. Et puis j’ai fait des promesses, confe-t-il. La danse m’a mis en quelque sorte sur le droit chemin et c’est grâce aux animateurs et animatrices du centre Equinox de Vevey comme Joe et Rachel, qui ont cru en nous et nous ont soutenus. Et pour moi, rendre ce qu’on m’a donné, c’est très important. » Instagram : @swissallstyler

Danse
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« Dès qu’il entre sur le ring, c’est une autre personne, imprévisible. L’énergie qu’il dégage est explosive. » Voldo, élève de Mams et vainqueur du Red Bull Dance Your Style 2022 .

JAMAIS SANS MON FRÈRE

Des jumeaux pas comme les autres : les frères HUGO et ROSS TURNER sont aventuriers de l’extrême et sillonnent, main dans la main, les routes les plus reculées du monde – sur terre, en mer ou dans les airs. Portrait d’un duo unique et attachant.

Aventure
Quart de nuit : dans la pénombre de l’océan Atlantique, Ross et Hugo Turner guettent à l’horizon les bateaux croisant la route de leur voilier.
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PKC MEDIA/TURNER TWINS

uelque part au large du golfe de Gascogne, un petit voilier de 12 mètres vogue prudemment dans la pénombre et le silence de l’océan Atlantique. À son bord, Hugo et Ross Turner – deux frères jumeaux qui partagent bien davantage qu’un même patri moine génétique : un appétit insatiable pour les défis en tous genres, et pour la vie en général. Accroupis dans le cockpit, à peine éclairés par les feux d’avertissement de leur bateau, nos deux fran gins scrutent l’horizon pour y déceler les éventuels cargos qui pourraient croiser leur route. Soudain, le radar s’emballe : il vient de détecter un navire qui approche. C’est un véritable monstre des mers : 48 mètres de large, 330 mètres de long, 218 000 tonnes, navigant à 18 nœuds, soit 33 km/h.

À ce stade, le petit voilier des Turner n’a plus le temps d’éviter le cargo géant : la seule solution est d’essayer de contacter le bateau par radio pour leur demander de dévier leur route de cinq petits degrés… Suspense. Ça marche. La catastrophe est évitée – de justesse. Mais la nuit risque d’être longue. Qu’à cela ne tienne : avec leurs 33 printemps, Hugo et Ross Turner ont déjà une solide expérience de l’aventure extrême et un mental d’acier. Cela fait plus de dix ans que les Turner écument ensemble les océans, les montagnes et les régions reculées du globe. Depuis quelques années, leur dernier projet consiste à relier

ce qu’on appelle les « Pôles d’Inaccessibilité » (PI) sur la planète : il s’agit des endroits sur terre et en mer les plus éloignés des côtes. Depuis 2016, ils ont atteint huit de ces Pôles, notamment sur les continents aus tralien, américain et européen, en utilisant le vélo, la moto électrique et l’ULM. À présent, c’est à bord d’un petit voilier équipé d’un moteur à hydrogène qu’ils cherchent à rejoindre le Pôle Bleu dans l’océan Atlan tique, à 2 033 km des côtes.

Si impressionnantes qu’elles soient, ces expédi tions ont toutes un but scientifique ou un message environnemental : c’est notamment pour cette rai son qu’après avoir acheté leur petit voilier d’occa sion à une association caritative, nos deux compères ont remplacé le moteur diesel par un moteur élec trique et ajouté un générateur d’hydrogène pour un meilleur rendement. Une technologie en plein déve loppement qu’ils sont parmi les premiers à tester grandeur nature sur un voilier désormais zéro car bone. Seul bémol : la puissance du moteur ne leur permet pas encore de fuir rapidement les « gratteciels flottants » qui vous foncent dessus.

Retour en arrière, au mois de juin dernier : lorsque nous les rencontrons sur le port de Saxon Wharf, à Southampton (sud de l’Angle terre), Hugo et Ross Turner sont en train de prépa rer leur périple et ne pensent pas le moins du monde aux risques qu’ils vont rencontrer en mer. Pour une bonne raison : ce duo de choc en a vu d’autres,

Aventure
« On a cherché sur Google des endroits extrêmes sur Terre, et c’est là qu’on a découvert les Pôles d’Inaccessibilité.
On s’est alors demandé : “Et si nous les faisions tous ?” »
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Deux garçons dans le vent : les Turner en route vers le Pôle Bleu, en plein milieu de l’Atlantique.
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MISSION POSSIBLE

Les Pôles d’Inaccessibilité sont situés à différents endroits de la planète : il s’agit des points sur terre ou en mer les plus éloignés des côtes. Les frères Turner cherchent à rallier au moins neuf de ces points dans le cadre de projets durables (transports et recherche scientifique).

Le « Bad » Pôle (2018)

Comme son nom l’indique, il se situe au milieu du Badlands National Park, dans le Dakota du sud : pour l’atteindre, les Turner ont pédalé pendant 2 500 km depuis Santa Monica, à travers le désert du Mojave et ses 53 °C.

Le Pôle Maritime d’Inaccessibilité (à venir)

C’est le fameux point Némo, qui se situe dans le Pacifique sud, à 2 688 km de la côte la plus proche : le point le plus isolé du globe.

Le Pôle de Glace (à venir)

Une traversée du Groenland du nord au sud, soit 2 500 km en kitesurf, pour l’Agence spatiale européenne, afin de mesurer la fonte des glaces.

Le Pôle Vert (2017)

2 700 km parcourus en vélo, à travers la jungle, les lacs salés et la cordillère des Andes pour rejoindre le PI d’Amérique latine, situé au Brésil. Bilan : 16 kilos perdus en 34 jours.

Le Pôle Bleu (2022)

Une traversée « zéro carbone » vers le centre de l’Atlantique, sur un voilier entièrement durable, moteur compris. L’absence de vent les oblige à rebrousser chemin : partie remise !

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et chacun des frères Turner sait qu’il peut compter sur l’autre pour le sortir du pire des pétrins. « On est un vrai couple, nous explique Hugo. Si l’un de nous tombe dans une crevasse, l’autre fera tout pour le sauver. Et puis on s’éclate ensemble, on ne se dis pute jamais parce que ça reviendrait à se disputer avec nous-mêmes, puisqu’on est complètement identiques – jusqu’à avoir les mêmes mèches de cheveux gris-blonds au-dessus des oreilles et les mêmes petits détails bizarres sur notre corps. »

Hugo parle de « leur » corps au singulier – comme s’ils ne faisaient qu’un. Les deux frérots, qui s’ap pellent affectueusement « Hugs » et « Rossy », se res semblent tellement que leurs parents étaient obligés de coudre leurs initiales sur leurs uniformes scolaires pour aider leurs camarades à les différencier.

À 33 ans, Hugs et Rossy (1,88 mètre tous les deux) habitent dans le sud-ouest de Londres – à une distance raisonnable. « On aime le même genre de films, ceux qui racontent des histoires vraies ou des aventures incroyables, poursuit Ross. Mais je suis davantage attiré par la compétition (il aime bien être le premier durant les expéditions, ndlr) alors que mon frère a toujours une bière d’avance sur moi. »

En plus de s’entendre comme larrons en foire et d’avoir la même forme physique et mentale, les jumeaux Turner ont la chance de se compléter idéa lement, comme l’explique Hugo : « Ross supporte mal l’altitude et moi, la chaleur extrême. Mais quand on est ensemble, on est plus forts. La seule grande différence, c’est notre façon d’aborder les problèmes : Ross fait preuve de beaucoup de créati vité alors que j’ai une approche plus… raisonnée. »

On a tendance à croire que les vrais aventuriers sont des êtres taciturnes et solitaires : à regarder nos deux lascars commentant avec entrain une vidéo sur « l’orage incroyable de la nuit dernière » avant de se lancer dans un débat sur « le meilleur endroit où placer le seau pour les besoins urgents », on se dit qu’ils ne correspondent vraiment pas à ce cliché. D’ailleurs, la question du pot de chambre est cruciale puisqu’ils vont partager (à certains moments) le bateau avec trois personnes : la navi gatrice Lisa Kingston, le vidéaste Patrick Condy et le photographe George Karbus.

« Si on est toujours en train de déconner, c’est parce qu’on n’a aucune idée de ce qu’on est vérita blement en train de faire, ironise Hugo. Mais on apprend. Le fil conducteur de tous nos voyages, c’est qu’au départ, il y a eu une idée qui nous a plu, pour laquelle on a pu obtenir des fonds et que l’on cherche ensuite à concrétiser. Ce n’est pas vraiment orthodoxe, mais l’aventure, ça n’a pas de mode d’emploi. »

Aventure
« On anticipe, on pense à tout et on s’adapte. C’est cette flexibilité qui nous sauve. »
Le Pôle Terrestre d’Inaccessibilité (à venir) C’est le point sur Terre le plus éloigné de la mer : pour le rejoindre au Xinjiang, il faut parcourir 3 500 km à travers la Chine, si possible en voiture à hydrogène. L’un de leurs projets les plus difficiles.
Le Pôle Ibérique (2019)
Un périple de 2 534 km entre le musée des Transports à Londres et le PI de la péninsule ibérique, situé à Tolède (Espagne). Sept jours sur la route pour 59 heures de charge au total.
Le Pôle Rouge (2016)
1 600 km survolés en ULM paramoteur pendant 18 jours : cette traversée magique de l’Outback australien aura nécessité une formation de soixante heures.
Le Pôle de l’Île de Madagascar (à venir)
Il s’agit de parcourir 600 km à pied et en vélo sur l’île de Madagascar pour y étudier les effets de la déforestation et de la destruction des habitats.
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GETTY IMAGES (3), ALAMY (1), PKC MEDIA/TURNER TWINS, TURNER TWINS

Pas orthodoxes, certes, mais certainement pas des dilettantes : Hugo et Ross Turner sont des marins expérimentés et des membres reconnus de la très honorable Royal Geographical Society à Londres, avec des sponsors comme Breitling et Land Rover – sans oublier le fait qu’ils sont tous les deux ingénieurs diplômés en design industriel. Et s’ils aiment se marrer, ils restent toujours conscients des dangers potentiels, comme Ross tient à le rappe ler : « Il y a une légère différence entre “badass” (cool et dur à cuire, en français, ndlr) et “dumbass” (couillon ou crétin, ndlr) »

Sérieux dans leur démarche, les jumeaux le sont tout autant dans la portée de leurs différents projets : cette traversée « zéro carbone » de l’Atlantique – spon sorisée par Quintet Earth, un fonds d’investissement

D’une paire deux coups : les expéditions des Turner sont toujours couplées à des projets environnementaux – comme des études sur la pollution plastique (ci-dessus) : en ULM paramoteur dans le désert australien, 2016 (ci-dessous).
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spécialisé dans les projets durables – vise également à mesurer la pollution plastique, pour le compte de l’université de Plymouth et de son département de recherche sur la pollution marine. « Les Pôles d’Inac cessibilité sont évidemment fascinants en soi, mais la première raison d’être de ces expéditions, c’est la recherche et la connaissance : scientifique, environne mentale, technologique et humaine. »

En plus d’être sympas, sérieux et motivés par des objectifs nobles, les frères Turner sont de véritables touche-à-tout, autant à l’aise sur une selle de vélo qu’à bord d’un deux-mâts ou d’un ULM paramoteur. Une flexibilité qui impressionne, évidemment. Hugo Turner : « Sans être des navigateurs ou des alpinistes professionnels, disons qu’on est un petit peu tout à la fois, et c’est ça qui est intéressant, puisque ça nous permet d’aborder n’importe quel environne ment avec un scénario différent. L’idée est de se remettre en question, de rester curieux et à l’affût de la découverte. »

Nos deux aventuriers sont dans les derniers prépa ratifs d’une expédition de six semaines : la tension est palpable, mais la bonne humeur aussi. C’est peut-être ça, le secret de leur force mentale : cette capacité à savoir rire des revers de la vie. L’humour est, semblet-il, une arme terriblement efficace qui rend non seu lement créatif mais aussi résilient face à l’adversité.

« Bien sûr qu’on s’énerve parfois, mais quand on se retrouve par exemple à descendre une rivière après avoir perdu nos pagaies, on ne peut que rire de la situation. Et compter sur notre expérience. Tant que nos vies ne sont pas en danger, on peut rire de tout, et puis c’est notre métier : on a besoin de cet exutoire. Si tu essaies un truc et que te plantes, tu vas avoir l’air un peu con, d’accord, mais à quoi ça sert si tu n’y trouves aucun plaisir ? »

Ce goût pour l’aventure, les deux frangins l’ont découvert ensemble, dans les paysages ver doyants du Devon et du Dartmoor National Park. Encouragés par leurs parents, les enfants passent des heures dehors, à construire des radeaux et à grimper aux arbres. Aujourd’hui, ils poursuivent leurs aventures dans des contrées plus exotiques, mais avec la même joie qu’ils ressentaient quand ils étaient gamins : « Toutes ces expériences nous ont donné l’envie de devenir des explorateurs, et ça nous rend fiers. C’est parce qu’on suit notre passion qu’on est capables d’endurer les pires moments. »

Ross renchérit sur les propos de son frère : « J’ai regardé une vidéo sur les regrets qu’avaient des per sonnes centenaires à la fin de leur vie. La plupart disaient : “Faites ce que vous voulez ! Personne ne va le faire pour vous, puisque personne ne sait ce que vous voulez vraiment !” »

À l’origine de cette carrière atypique, il y a la passion, mais aussi un drame, qui fut pour les deux frères une véritable prise de conscience : à 17 ans, en plongeant dans la mer, Hugo se brise la nuque et manque de devenir tétraplégique. Plusieurs opéra tions, des mois d’hospitalisation et 18 mois de réédu cation plus tard, le jeune homme s’en sort, mais quelque chose a changé en lui, et en son frère. « Si nous menons cette vie aujourd’hui, c’est parce qu’elle a failli nous être brutalement retirée un jour. » Une raison qui explique aussi pourquoi les deux athlètes soutiennent la recherche sur les blessures de la moelle épinière, comme le projet Wings For Life.

Quatre ans après le drame, les frères se lancent dans leur première aventure dès la fin de leurs études : le Talisker Whiskey Atlantic Rowing Challenge – avec deux amis, Adam Wolley et Greg Symondson. Le défi : traverser l’Atlantique à la rame, soit 4 300 km. 42 jours de galère (au sens propre) qui leur valent deux records du monde : en plus de faire partie de la plus jeune équipe ayant traversé l’Atlantique à la rame, les Turner sont aussi les premiers jumeaux à le faire.

Forts de cette expérience, ils enchaînent les aventures avec l’énergie – et parfois l’insou ciance – de la jeunesse, jusqu’à ce qu’un acci dent, survenu en 2014 pendant un trek de 555 kilo mètres au Groenland, les rappelle à la dure réalité du métier d’aventurier : Hugo se blesse gravement au genou et doit être évacué par hélicoptère. Il s’en souvient encore : « C’était tellement déprimant ! Mais cet échec nous a permis de réussir l’ascension du mont Elbrouz (dans le nord du Caucase, la plus haute montagne d’Europe avec ses 5 642 mètres, ndlr), justement parce que nous avons appris à utili ser la peur – de l’échec ou du danger – comme moti vation. C’est l’échec qui te donne envie de repartir pour réussir. »

L’épisode du Groenland leur a appris une autre chose importante : s’ils voulaient continuer à risquer leur vie comme ils le faisaient, mieux valait le faire dans un but honorable. Ross Turner : « Avant cela, on jouait les machos dans notre coin. Désormais, on avait envie de revenir aux sources de ce qu’est vraiment l’exploration : une quête de connaissances. » Cette idée fut à l’origine du projet autour des Pôles d’Inaccessibilité. Un projet sur dix ans qui est né d’une première recherche… sur Google : « On a tapé “endroits extrêmes sur Terre” et c’est comme ça qu’on a découvert ces fameux Pôles, des endroits particuliè rement difficiles à atteindre. Du coup, on s’est dit : “Et si nous les faisions tous ?” »

Retour à la marina de Southampton : Hugo et Ross sont encore sur Google, à la recherche d’informations sur la mécanique des moteurs, cette fois-ci. Nos deux garçons ont l’air fatigués : « J’ai tendance à m’angoisser assez facilement, admet Hugo. Dans les moments difficiles, on se demande parfois pourquoi on fait tout ça. » Pourtant, les Turner ont l’habitude d’être confrontés à toutes sortes de dangers : comme

Aventure
« C’est l’échec qui te donne envie de repartir pour réussir. »
THE RED BULLETIN 69 TURNER TWINS

DES COBAYES VOLONTAIRES

Hugo et Ross sont de vrais jumeaux (monozygotes) et partagent le même ADN, mais avec de nombreuses différences – comme le taux de glucose ou la flore intestinale –dues notamment à des modes de vie différents. Les experts du King’s College London’s Department of Twin Research ont soumis ces deux métabolismes semblables à toute une série d’expériences.

Poids du corps ou accessoires ?

Lors d’une expérience sur dix semaines en 2021, Hugo a suivi un programme de musculation à base de poids, d’haltères et autres accessoires alors que son frère n’a utilisé que son propre corps. Résultat : un gain de muscle de 8 % pour Hugo et 2 % pour Ross, mais ce dernier a net tement senti un gain

de force supplémen taire : « Je suis passé d’un deadlift (trad. soulevé de terre en français) de 90 à 120 kg sans avoir fait cet exercice une seule fois pendant l’expé rience. » Il a également enregistré le meilleur cardio des deux.

À l’ancienne ou en mode moderne ?

Pendant l’expédition au Groenland en 2014,

Ross portait le même type de vêtements utilisés par Sir Ernest Shackleton lors de sa traversée de l’Antarc tique entre 1914 et 1917 – caleçons en laine, une veste en gabardine de laine (au maillage très serré), un pantalon en tweed, des bottes en cuir – tandis qu’Hugo portait des vêtements synthétiques dernier cri : « Ils étaient plus lé gers et couvraient une amplitude plus grande de températures, mais les fibres naturelles offraient davantage de chaleur, de souplesse et de respirabilité. »

Régime végétalien ou omnivore ?

En 2020, les frères ont participé à une ex périence de douze semaines, pendant laquelle Ross a suivi un régime omnivore (avec de la viande et des pro duits laitiers) tandis que son frère suivait un régime végétalien. Bilan : Ross a gagné en muscles (4,5 kg) et en graisse (2,8 kg) avec un taux de cholestérol plus élevé que celui de son frère. Ce dernier a lui aussi gagné en muscles (1,2 kg) et per du 1,8 kg de graisse. Ef fets secondaires pour Hugo : une meilleure forme générale mais une légère baisse de libido et un microbiote altéré par un déclin de la flore intestinale.

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ces vagues de douze mètres qui venaient s’abattre sur eux en pleine nuit, pendant leur traversée de l’Atlantique à la rame. Ou ces rafales de vent qui les rabattaient brutalement à terre durant la traversée du désert australien en 2016 qu’ils ont réalisée en ULM paramoteur. Ross : « On relativise l’inconfort en se disant que ce n’est qu’un mauvais moment à pas ser. Mais il faut tout planifier, bien réfléchir et rester maître de soi. »

Quand ils ne sont pas occupés à essayer de rester en vie, les deux frères mènent une vie presque normale, une routine faite de séances de sport, de balades à vélo, de sorties avec leurs compagnes ou en famille. Des sorties beaucoup plus tranquilles puisque chez les Turner, on est plutôt casanier : leur sœur aînée Toddy est architecte d’intérieur et leur grand frère Crispin travaille dans le marketing. « Crispin est super sage et ordonné. Avec nous, ça part dans tous les sens. Mais parfois, on se dit qu’on n’aurait rien contre un petit job pépère », ironise Ross.

Une pensée qui leur a sûrement effleuré l’esprit lorsque le monstre d’acier et ses 218 000 tonnes a foncé sur eux dans la nuit noire, au beau milieu de l’océan. « C’était effrayant », nous souffle Ross lorsque nous les retrouvons en août dernier à leur retour de traversée, sept semaines après l’incident.

Mais les Turner ont appris à maîtriser la peur, comme l’explique Hugo avec humour : « Le secret, c’est de paniquer le plus lentement possible. Parce qu’une fois que tu paniques complètement, tu ne gères plus rien. C’est pour ça qu’on anticipe, on pense à tout et on s’adapte. C’est cette flexibilité qui nous sauve. »

Des galères, les « Turner Twins » en ont eu leur compte : Hugo se souvient ainsi de ces jours où il a fallu naviguer avec une quille cassée, ou dans une purée de pois telle qu’ils ne voyaient pas 50 mètres devant eux. « Le bateau dérivait faute de vent, on a finalement dû être remorqués par un pavillon français. » Au bout du compte, cette absence de vents favorables a fini par avoir raison de l’expédi tion : « On n’a pas pu atteindre le Pôle Bleu, mais on a pu mener à terme toutes les études comman dées sur la pollution plastique – due en partie aux tonnes de matériel de pêche laissé en mer –et larguer une bouée de dérive pour mesurer la température, la salinité et les changements biogéochimiques de l’eau. Au total, on a parcouru 1 500 miles (2 400 km, ndlr) sans émettre un gramme de carbone et c’est ce qui compte : atteindre le Pôle Bleu n’était qu’une partie du projet. »

Son frère Hugo est lui aussi très fier de l’exploit réalisé : « Les gens ne se rendent pas compte à quel point les voiliers sont encore dépendants des éner gies fossiles, puisqu’on a régulièrement besoin du

moteur. Le nôtre ne nous donnait qu’une autonomie de 10 15 miles (16-24 km, ndlr) à chaque fois, soit vingt fois moins qu’un moteur diesel. On a voulu vivre les débuts de cette technologie prometteuse, pour montrer au monde à quoi ça peut ressembler. Je crois que l’hydrogène va connaître un boom très prochainement. »

Si le duo britannique espère bien retenter une expédition vers le Pôle Bleu dans quelques années, ils sont pour le moment occupés à préparer celle de 2023, qui les emmènera à Mada gascar : un périple couplé à une étude in situ sur la déforestation et la destruction des habitats. Ce pro jet s’aligne sur les précédents, puisque l’expédition de 2017 a servi à étudier la déforestation et la pollu tion en Amérique latine, et celle de 2019 a permis de tester un mode de transport durable – les motos électriques – sur de très longues distances, à travers la péninsule ibérique et la France.

« Nous constatons à quel point la situation envi ronnementale est catastrophique, et ça fait peur. Lors de notre expédition vers le PI d’Amérique latine, on imaginait des paysages dignes du Livre de la Jungle, mais au lieu de ça, on a traversé des friches entières sans un seul arbre. Partout, des sacs plastiques, des bouteilles et toutes sortes de déchets, même dans le désert de l’Atacama. D’où l’impor tance que nous accordons à la dimension environne mentale de nos projets. »

En plus de cela, Hugo et Ross servent occasion nellement de « cobayes volontaires » pour des expé riences scientifiques menées sur les jumeaux par le très sérieux King’s College London’s Department of Twin Research (voir encadré). À travers ces études et celles qu’ils conduisent pendant leurs expéditions, mais aussi et surtout à travers leurs aventures, les Turner veulent inspirer les gens à penser autrement. Ross : « En nous regardant traverser ces régions en vélo ou en moto électrique, ça peut donner envie à d’autres de faire de même chez eux. »

Si tous leurs projets visent des objectifs nobles et ambitieux, les Turner restent, au fond d’eux mêmes, de grands gamins en quête d’émerveillement : « À chaque expédition, on ramasse un peu de terre ou d’eau du PI et de la côte la plus proche. » Un rituel pour soulager des mois de galère, mais aussi pour couronner tous les moments magiques qu’ils ont vécus : les descentes à vélo, le nez dans le guidon, sur les pentes d’Amérique latine, les vagues phosphores centes de l’Atlantique la nuit, les rencontres avec les dauphins ou, comme se souvient Hugo, « ce jour où j’ai survolé le désert d’Uluru en Australie, au coucher du soleil. Je me suis mis à pleurer en pensant à la magie de cet instant ». Son frère ajoute, comme pour résumer leur philosophie : « On a des vies stressantes, mais on mène aussi notre propre barque, et il y a quelque chose de vraiment gratifiant là dedans. »

Scannez le code QR pour regarder les jumeaux Turner dans le film Double or Nothing, qui les suit dans leur mission de visite des Pôles d’Inaccessibilité.

Aventure
« Il n’y a pas de mode d’emploi pour partir à l’aventure. »
THE RED BULLETIN 71 TURNER TWINS
RED BULL DONNE DES AIIILES. LE SAUT VERS L‘INDÉPENDANCE ? F R EE ASSESSM E NT Comment surmonter tous les obstacles : www.wingfinder.com

PERSPECTIVES

Expériences et équipements pour une vie améliorée

BIENVENUE DANS MON BAC À SABLE

Traversée du désert de Rub al-Chali avec Cyril Despres, le roi des rallyes : un voyage off-road.

73 MARTHA GATTRINGER

Légende de rallye-raids, Cyril Despres, 48 ans, nous présente Destination Red Bull : un voyage dans le désert avec pauses panoramiques sur la crête des dunes.

Même si je connais le désert comme ma poche, je ne m’habituerai jamais tout à fait à cette impression de pouvoir capturer toute l’immensité de notre planète. Cela n’existe nulle part ail leurs sinon peut-être au beau milieu de l’océan. Cette émotion durera toute la vie car dans le cas présent, ressentir signifie aussi expérimenter, dans le plus pur sens du terme.

Grâce à Destination Red Bull, nous traverserons le Rub al-Khali, plus grand désert du monde avec 650 000 kilo mètres carrés de sable. Il couvre l’Arabie saoudite mais aussi le Yémen, Oman, le Qatar et enfin les Émirats arabes unis, où je ferai découvrir à mes hôtes toute la fascination du désert à bord de plusieurs véhicules différents.

Le ciel et cinq étoiles

En mode copilote, les participants et participantes seront à mes côtés dans un Rallye Raid Car adapté à la course. Nous filerons à travers la région de l’oa sis de Liwa qui s’étend sur une centaine de kilomètres. Aventure fébrile dans les dunes, ce voyage revêt également des allures de Contes des 1001 nuits avec cette soirée magique que nous passe rons dans une tente de Bédouins des plus luxueuses proposée par l’hôtel cinq étoiles Qasr Al Sarab.

Qui plus est, mon groupe aura luimême l’occasion de tester ses limites au volant d’un puissant buggy Polaris

1000cc Turbo. Je fournirai évidemment toutes les explications nécessaires, que ce soit pour choisir le meilleur point de freinage, maintenir le véhicule sur sa tra jectoire sans perdre de vitesse ou encore garder le contrôle sur les pentes genti ment périlleuses.

La Polaris est ce que l’on appelle dans le monde du rallye un « side-by-side ». Plus petite catégorie du Rallye Dakar, c’est probablement celle qui procure le plus de sensations fortes. On l’appelle ainsi parce que conducteur et passager sont assis tout près l’un de l’autre, épaule contre épaule. Mais ses roues

larges, sa généreuse suspension, sa parfaite adhérence et surtout son poids très léger permettent à ce véhicule de s’envoler littéralement sur les pointes des dunes là où beaucoup d’autres véhicules arrivent péniblement à se frayer un chemin. Et comme il n’y pas de vitres, on a droit à une expérience encore plus directe… et sans filtre !

Un side-by-side, c’est presque comme une moto quatre roues.

Mon taxi du Dakar

Cerise sur le gâteau : un petit tour de taxi en ma compagnie dans une voiture

PERSPECTIVES voyage
« Une fois que tu l’as vécue, cette sensation d’immensité ne te quitte plus. »
Le soleil, le sable et l’infini : à l’assaut des dunes en buggy Polaris 1000cc Turbo.
74 THE RED BULLETIN MARTHA GATTRINGER

Arrivée

En route pour le désert ! Entre deux tours de piste à grande vitesse dans une Rally Raid Car de course et un buggy maniable, repos bien mérité dans un somptueux hôtel cinq étoiles, le Qasr Al Sarab.

En avion : arrivée individuelle à l’hôtel de luxe cinq étoiles Qasr Al Sarab, dans l’oasis de Liwa. Prise de contact et dîner commun avec vue à couper le souffle sur le désert et son magni fique coucher de soleil.

Le guide

Né en 1974, Cyril Despres est une véritable légende dans le sport automobile. Ce Français a remporté cinq fois le Rallye Dakar et compte également plusieurs victoires sur d’autres rallyes-marathons, ainsi que deux éditions du Red Bull Erzbergrodeo en 2002 et 2003.

Cyril Despres vous expliquera plusieurs choses : comment tirer le maximum du buggy Polaris, choisir le bon point de freinage, maintenir le véhicule sur sa trajectoire même à grande vitesse, et comment garder le contrôle même en position inclinée.

Infos : destination.redbull.com

Sur le sable : Cyril Despres (milieu) et ses invités (à gauche, Andrea Schlager, présenta trice TV) discutent leur itinéraire à travers le Rub al-Khali. Petit-déjeuner sous les palmiers avec Cyril Despres (en haut) et soirée de rêve à l’hôtel Qasr Al Sarab : la fatigue de la journée s’efface bien vite dans ce décor dédié au bien-être. Dubaï Jereirah Abu Dhabi
Émirats arabes unis
THE RED BULLETIN 75

customisée pour le Rallye Dakar. C’est une expérience qu’il faut avoir vécue au moins une fois dans sa vie. Entre le passage de vitesses en terrain acci denté, les techniques en côte et en descente, le boucan dans l’habitacle malgré le casque et le micro, sans oublier la dextérité avec laquelle on peut manœuvrer cet énorme engin dans le désert : c’est vraiment quelque chose de très impressionnant. Et mes passagers et passagères auront encore quelques occasions de se réjouir : atten dez que je fasse un bon gros freinage bien sec pour la première fois !

La suspension est telle que l’espace d’un instant, vous aurez les yeux en face du toit au lieu du pare-brise. Pour pouvoir profiter de tout ça, il faut juste ment disposer d’un terrain de jeu où l’on peut pousser le véhicule à ses limites. Ah, désert, quand tu nous tiens…

La magie de la mer

Et puis vient ce moment vraiment unique, quand je m’arrête sur la crête de la plus haute dune : j’enlève mes lunettes, coupe le moteur et me

voyage

contente de regarder, tout simplement. Je m’imprègne du désert. Une mer de sable, à peine quelques traces à part les nôtres. La magie du désert ! J’ai vécu cela pour la première fois en pleine compétition lors de mon premier rallye dans les dunes. Et j’en suis tombé amoureux instantanément.

Mon amour pour le sable a com mencé en plein Paris : j’avais tout juste vingt ans et je travaillais comme méca nicien de motos. J’avais peu d’argent, un minuscule appartement et passais donc presque tout mon temps dans l’atelier. On était les seuls dans toute la région parisienne à construire des motos de rallyes, ce qui attirait toute une foule de motards baroudeurs qui racontaient leurs histoires de désert et de pays étrangers. À force d’écouter leurs légendes, j’ai décidé d’écrire la mienne, et j’ai remporté le Rallye Dakar à cinq reprises. Plutôt pas mal comme préparation pour notre voyage à travers le Rub al-Chali, non ?

Ce voyage du 4 au 8 mars 2023 est proposé par Destination Red Bull. Réservez dès maintenant sur destination.redbull.com

PERSPECTIVES
Cyril Despres en pleine action. Sensations de conduite uniques garanties dans les dunes.
« Une mer de sable, aucune trace ou presque. On vit la magie du désert ».
Cyril Despres, expert du désert, à propos de ses expériences inoubliables.
76 THE RED BULLETIN MARTHA GATTRINGER,
NAIM
CHIDIAC/RED
BULL
CONTENT
POOL

biohacking

Smart coaching

Andreas Breitfeld, biohackeur professionnel, vous révèle chaque mois une astuce pour améliorer votre vie. Cette fois-ci : comment la photographie peut être employée à renforcer la mémoire.

Merci qui ?

Mémoriser des moments sans avoir recours à un appareil photo, c’est pos sible. Il suffit d’un clignement des yeux au lieu du clic d’un appareil photo afin de sti muler notre mémoire. Une super astuce pour celles et ceux qui prennent le Black

Jack ou le Memory très au sérieux.

La mémoire fonctionne aussi de manière visuelle. Pour la stimu ler efficacement, prendre une photo de la scène à mémoriser est un bon exercice.

Attablés et attablées dans un res taurant étoilé, où le plaisir des yeux n’a d’égal que celui des pa pilles. Ils et elles sont nombreux et nom breuses à délaisser couteaux et four chettes dès l’assiette servie pour s’em parer de leur smartphone dans un élan d’inspiration (quel filtre choisir ?) afin de conserver cette œuvre culinaire intacte dans leur galerie virtuelle.

Clic-clac, merci Kodak, comme disait la pub… Mais de pellicule, il n’est plus question aujourd’hui. En effet, l’exemple de ses archives digitales est un excellent tremplin pour intensifier nos souvenirs et muscler notre mémoire. Plusieurs études montrent que cette dernière s’améliore de manière significative lorsque nous photographions (même pour de faux) ce dont nous voulons acti vement nous remémorer.

Une poignée de secondes pour l’éternité

Malheureusement, cette technique ne marche pas pour retenir les alinéas du Code civil, les poésies classiques ni votre liste des courses. Elle est efficace pour tout moment de vie succin qui se laissera capturer dans une image fixe, comme la tenue portée par votre partenaire en ce soir d’anniversaire ou la bouille de votre animal de compagnie le premier jour où vous l’avez accueilli à la maison.

Passer à l’étape supérieure

Je vais vous confier comment réaliser un tour de passe-passe sans appareil photo : imaginez-vous en train de photo graphier la scène, en vous concentrant sur quelques détails, et cligner exagéré ment des yeux pour l’effet déclencheur. Clic-clac !

ANDREAS BREITFELD, 49 ans, est le bio hackeur le plus réputé d’Allemagne. Il fait de la recherche dans son labo à Munich.

En bref, le BIOHACKING englobe tout ce que les gens peuvent faire de manière autonome pour améliorer leur santé, leur qualité de vie et leur longévité.

TOUT, VOUS SAUREZ TOUT SUR LE BIOHACKING !

En scannant le QR code ci-contre, accédez à des contenus digitaux pour entraîner votre mémoire et booster vos performances mentales, entre autres…

PERSPECTIVES
ENTRAÎNER SA MÉMOIRE
78 THE RED BULLETIN PERSONNELLE ANDREAS BREITFELD SASCHA BIERL

Inspirées

Oui, c’est bien une montre. Avec son tourbillon volant (quintessence de l’horlogerie pour une précision maxi male) et quatre mini-chaînes en acier, l’intérieur est tout aussi étourdissant. Imaginée en Autriche, produite en Suisse et inspirée de l’espace, sur commande uniquement. 156 000 CHF ; doppelgaenger.com

DÉCOLLAGE IMMÉDIAT !
DOUBLE NGC-42
LE BOÎTIER … en acier, mais également dispo nible en or jaune ou titane noir.
Un phare, la Forêt-Noire, le globe terrestre… Découvrez les inspirations des horlogers pour leurs classiques modernes.
Texte JULIAN VATER, WOLFGANG WIESER

AMOUR DE LA TRADITION

OMEGA SPEEDMASTER

Une référence pour les amoureuses et amoureux de la tradition. La Speed master a été conçue en 1957 pour les poignets des adeptes de moto, avant de faire le bonheur des astro nautes. Plus fine et plus élancée, elle fête cette année son grand retour en bordeaux. 8 700 CHF; omega.com

CONTOUR

… en acier brossé plus étroit, boîtier épais de 12,99 millimètres seulement.

SUR LA PLAGE ABANDONNÉE

CITIZEN PROMASTER

En 1983, des plongeurs découvrent sur la plage australienne de Long Reef une montre incrustée de coquillages, preuve d’un long séjour dans l’eau. Pourtant, le mouvement faisait tou jours tic-tac. Quarante ans plus tard, elle inspire une nouvelle montre de plongée. 649 CHF ; citizenwatch.eu

montres

RETOUR VERS LE FUTUR

FROGMAN AUTOMATIC

Taillée pour l’aventure, une montre moderne au passé glorieux. Le nom de ce petit bijou technique conçu par Hamilton rend hommage aux hommes-grenouilles de l’U.S. Navy équipés des modèles originaux pendant la Seconde Guerre mondiale. 1 150 CHF ; hamiltonwatch.com

PARTOUT SUR LA PLANÈTE

Des vagues en or, des mers dans des tons bleus subtils, des continents en saphir : cette montre est si belle qu’elle méritait bien le monde comme écrin. Trois ans de développement et quatre brevets en ont fait un chef-d’œuvre d’une merveilleuse légèreté. 74 200 CHF ; breguet.com

PERSPECTIVES
THE RED BULLETIN 81

LA MER LUI VA SI BIEN

Bracelet composé de plastique repêché en mer.

RÉTRO DE DEMAIN

CERTINA DS CHRONOGRAPH AUTOMATIC 1968

Entre les deux, mon cœur balance, semble nous dire le tout dernier modèle Chrono graph de l’horloger suisse Certina. Design inspiré d’un modèle des années 60 pour un cœur qui bat au rythme d’un mouvement automa tique ultramoderne.

1 970 CHF ; certina.com

MIRACLE EN BLEU

SWATCH BIG BOLD BIOCERAMIC

Une Swatch avec méca nisme apparent. Ce modèle propose un cadran large avec découpage et effet 3D. Le verre est réalisé en maté riaux biosourcés. Variations en bleu et noir pour cet irré sistible accroche-regard. 140 CHF ; swatch.com

UN BOLIDE AU POIGNET

TAG HEUER CARRERA X

PORSCHE RS 2.7

Un partenariat riche en histoire et un hommage à l’un des modèles les plus emblématiques de la marque, la Porsche 911 Carrera RS 2.7, qui fête cette année son cinquantième anniversaire. Une beauté bleue et blanche limitée à 500 exemplaires.

7 550 CHF ; tagheuer.com

BOÎTIER … étanche à une pression de 20 bars max. (200 m).

TOUJOURS PLUS GARMIN FE NIX

Une smartwatch remplie de fonctions réglables par bou tons ou écran tactile. La volonté et l’objectif de la Fenix restent les mêmes : rendre sa ou son propriétaire plus performant·e. Inclus : soixante applis sportives pour de nouveaux défis. 099 CHF ; garmin.com

82 THE RED BULLETIN
BRACELET … disponible en titane ou en caoutchouc noir.
PORTE-LA
COMME BECKHAM TUDOR PELAGOS 39 LA montre du gentleman moderne ? David Beckham ne jure plus que par la Pelagos 39. Une sportive urbaine et classique qui allie polyvalence racée et fonc tionnalités dignes d’un modèle de plongée de pointe.
La
Tudor est parfaite en toutes occasions.
4 200 CHF ; tudorwatch.com
BALANCIER … équipé du calibre manufac ture MT5400.
PERSPECTIVES montres THE RED BULLETIN 83

MOUVEMENT HAUTE FRÉQUENCE … pour une précision maximale.

montres

OREILLER DE POIGNET

LONGINES ULTRA-CHRON

Une montre d’une extrême précision grâce à son mouve ment haute fréquence. Mais le nec plus ultra, c’est ce boî tier d’acier en forme de cous sin inspiré de son prédéces seur de 1968. Elle offre en outre une excellente lisibilité et est étanche à 30 bars pour les amateurs et amatrices de plongée (300 mètres).

3 500 CHF ; longines.com

PERSPECTIVES
84 THE RED BULLETIN

FORMULE 1

REBELLION RE-VOLT VALTTERI BOTTAS C42 / RE-VOLT ZHOU GUANYU C42

Deux éditions limitées de cinquante pièces.

Les heureux·ses acqué reurs·euses de l’un de ces deux modèles se verront convier à vivre une incroyable expérience dans les coulisses de l’équipe Alfa Romeo F1 Team Orlen.

Pour plus d’infos, écrire à pr@rebellion-timepieces. com ; 59 000 CHF rebellion-timepieces.com

VALTTERI BOTTAS

… a lui-même contribué au design de cette édition limitée.

PLONGÉE IMMÉDIATE

DOXA ARMY

50 ans après la naissance de la DOXA Army, DOXA fête son partenariat avec l’unité de plongeurs et plon geuses d’élite de l’armée suisse en sortant ce modèle en acier inoxydable, dispo nible dans deux types de verre différents dont un inédit.

À partir de 1 950 CHF ; doxawatches.com

PLONGÉE DANS LE GRAND VERT JUNGHANS MEISTER CHRONOSCOPE

Le vert du cadran bombé change en fonction de la lumière, d’un vert sapin chaud à un subtil vert profond qui n’est pas sans rappeler la Forêt-Noire, région natale de Junghans.

PS : le bracelet beige crème est en cuir d’autruche.

2 250 CHF ; junghans.de

DANS VOTRE COCKPIT

BELL & ROSS BR 03-94

Ce rond dans un rectangle ne partage aucune analogie avec le football. Bell & Ross s’est inspiré d’une horloge de cockpit. Une montre qui permet également de mesurer le pouls, la fréquence respiratoire et diverses activités sportives. 5 300 CHF ; bellross.com

THE RED BULLETIN 85

Un divin choc des cultures

Bon, l’idée n’est pas vraiment nouvelle. Comme chacun le sait, un certain Homère – pas Simpson, mais celui du cheval de Troie – avait déjà reconnu, il y a près de 3 000 ans, la force épique qui sommeillait dans un échange ouvert entre les hommes et les dieux. Et qui se réveille ensuite toujours plus menaçante ! Et il, c’està-dire Homère, n’a pas été le seul à le raconter. Les mythologies polythéistes ont été exploitées sans retenue tout au long de l’histoire de

la littérature, et la bande dessinée, notamment avec Thor, ne s’en est pas privée non plus. Et pourquoi pas ? Lorsqu’il s’agit d’archétypes classiques, les mondes des dieux de l’Olympe, d’Asgard et d’ailleurs s’avèrent être de véritables mines d’or.

La manne de littérature « divine » est particulièrement abondante depuis le boum du genre fantasy au début du millénaire. Des bestsellers internationaux comme la série de romans pour jeunes Percy Jackson de Rick Riordan, ou American Gods

de Neil Gaiman, devenu entretemps un roman culte, ont ouvert la voie à un sousgenre que l’on appelle fantasy urbaine, dans lequel règne un aller-retour endiablé entre réalité et mythologie.

L’auteur américain Kevin Hearne, 51 ans, est lui aussi dans son élément avec ce monde imprégné d’ar chaïsme. En même temps, ses romans constituent un bon exemple de la manière dont on peut distiller quelque chose de complètement origi nal à partir d’une tendance généralisée. À condition de

PERSPECTIVES le coin lecture
URBAN FANTASY
L’auteur américain Kevin Hearne insuffle une nouvelle vie aux mythologies archaïques avec une bonne dose d’humour. Il a appris auprès d’Homère. Le poète grec. Pas Homer Simpson.
86 THE RED BULLETIN VINZ SCHWARZBAUER

Paper and Blood, 1 er chapitre, 1 er paragraphe

« Lorsque l’on annonce à quelqu’un qu’il va peut-être bientôt mourir, le mieux est de l’inviter à boire un whisky avant. Il pourra alors le boire ou vous le jeter au visage et se sentira au moins un peu mieux. C’est tout simplement une question de politesse. »

SUGGESTIONS Made in China

Les auteurs chinois ne font l’objet d’exception sur les listes de best-sellers.

bien savoir le faire. Hearne s’est fait connaître avec son cycle des Iron Druid Chro nicles (ou Chroniques du druide de fer, pas encore tra duit en français) qui compte neuf tomes, de Hounded (2011) à Scourged (2018). Le héros en titre est le druide irlandais Atticus O’Sullivan qui, sous l’apparence d’un surfeur hippie de vingt-et-un ans, est en réalité âgé de quelque deux mille cent ans et porte une épée légendaire sur son dos en plus de posséder quelques dons étonnants.

Avec Oberon, son compa gnon futé (et qui n’est pas le roi des elfes comme dans Le songe d’une nuit d’été, mais plutôt un chien), Atticus se livre à des combats plus ou moins sanglants avec une multitude d’entités obscures au beau milieu des États-Unis du XXIe siècle. Hearne fait défiler non seulement le pan théon celte, grec et nordique au grand complet, mais aussi, tant qu’à y être, des vampires, des loups-garous et des créa tures encore plus étranges du royaume des fables.

Le résultat est un choc des cultures d’une ampleur vérita blement divine. Et grâce à l’humour cynique – quelque peu aliéniste – des « person nages » impliqués, c’est un vrai plaisir.

Mais il y a encore mieux. Dans le spin-off qui se déroule dans l’univers du cycle précé dent mais qui n’en fait pas partie et dont deux romans sont parus jusqu’à présent –Ink and Sigil (2020) et Paper

and Blood (2022), Kevin Hearne ajoute encore une bonne dose de folie élaborée. Cette fois-ci, il se concentre sur l’imposant Écossais Al MacBharrais, l’un des cinq mages-miroirs du monde dont le travail consiste à faire régner l’ordre entre les sphères et à protéger l’huma nité des attaques scélérates du monde de la mythologie.

Pour ce faire, Al utilise de l’encre et du papier, avec les quels il peut créer des sceaux magiques qui agissent comme des sortilèges.

Il est aidé par sa jeune manager, Nadia, qui excelle dans le combat rapproché au rasoir, par le lutin Buck Foi, buveur de whisky, par une réceptionniste répondant au doux nom de Gladys et qui a déjà connu bien des emmerdes, et par un éton nant jeune homme accompa gné d’un chien et qui res semble à un surfeur hippie...

Le début de la trilogie

Le problème à trois corps de Cixin Liu (59 ans) a été le pre mier roman chinois à rece voir, en 2015, le Hugo Award, le prix international le plus prestigieux de la littérature de science-fiction. La traduc tion française Le problème à trois corps est parue en 2016.

La forêt sombre (2017) et La mort immortelle (2018) complètent ce fascinant chef-d’œuvre.

Le problème à trois corps (Actes Sud)

Wuxia est synonyme d’épo pées héroïques où les arts martiaux se mêlent à des élé ments de la littérature fantas tique et à des influences spiri tuelles. Jin Yong (1924-2018) est considéré comme l’un des maîtres du genre. Son opu lente Légende du héros chas seur d’aigles est qualifiée de pendant chinois du Seigneur des anneaux. Un vrai cinéma à grand déploiement.

La légende du héros chasseur d’aigles (Éditions You-Feng)

CAI JUN

Avec plus de 13 millions d’exemplaires vendus, Cai Jun (43 ans) compte parmi les au teurs de thrillers les plus proli fiques et prospères de Chine.

Jusqu’à présent, seuls deux de ses ouvrages ont été tra duit en français. La rivière de l’oubli offre un mélange sombre de suspense, de mys tère et d’horreur pour lequel Cai Jun a été immédiatement adoubé par la critique en tant que « Stephen King chinois ».

La rivière de l’oubli (Pocket)

Avec le jeu mortel du chat et de la souris entre les autorités policières et un tueur en série psychopathe, Zhou Haohui (44 ans) utilise, dans Avis de décès, le premier tome de sa trilogie best-seller, un setting de thriller certes déjà bien éprouvé, mais les structures sociales inhabituelles – d’un point de vue occidental (y compris la corruption) –donnent au genre une nou velle touche passionnante.

Avis de décès (Sonatine)

KEVIN HEARNE Paper and Blood Iron Duid Chronicles Universe (Del Ray Books) En anglais JIN YONG CIXIN LIU ZHOU HAOHUI
THE RED BULLETIN 87

agenda

décembre

FINALE MONDIALE DU RED BULL DANCE YOUR STYLE

L’entrée dans l’hiver se fait en dansant, avec plusieurs temps forts. Dans la métropole sud-africaine de Johannesburg, les meilleur·e·s danseurs et danseuses au monde se réunissent pour découvrir la finale mondiale de Red Bull Dance Your Style 2022. Soixante participant·e·s originaires de trente pays s’affrontent dans des battles pacifiques, et dans les styles de danse les plus divers. Regardez, et apprenez pour la prochaine soirée en club : redbull.com/danceyourstyle

novembre FINALE MONDIALE DU RED BULL BC ONE

Et encore un événement de danse : cette fois, il s’agit de breaking. Les seize meilleurs B-Boys et les seize meil leures B-Girls s’affronte ront lors de la finale mondiale Red Bull BC One 2022 à New York. Cette année, la Suisse sera représentée par Jazzy Jes et Deijva. À suivre sur Red Bull TV et redbullbcone.com

novembre au 4 janvier UN NOËL ENCHANTEUR

La forêt des écureuils à Lenzerheide se transforme en forêt magique (du 16.12 au 4.1) : un joyeux mélange de marché de Noël et de festival de musique avec des installations lumineuses fabuleuses. L’aéroport de Zurich se drapera lui aussi d’une aura magique (du 24.11 au 11.12.). zauberwald-lenzerheide.ch

au 16 décembre RED BULL CAMPUS CLUTCH

Dans le jeu de tir tactique Valorant, deux équipes s’affrontent : l’une tente de placer une bombe, l’autre doit la désamor cer. Le jeu se déroule à cinq contre cinq. Au cours des derniers mois, des étudiants de cin quante pays se sont af frontés dans le cadre du championnat national.

L’épreuve de force aura lieu à São Paulo, lors de la finale mondiale du Red Bull Campus Clutch. Infos : redbull.com/ campusclutch

novembre BRÉSIL VS. SUISSE

La Coupe du monde de football débute le 20 nov. au Qatar. Le deuxième match de poule sera l’occasion de retrouver le détenteur de tous les records. Adversaires il y a quatre ans, les Suisses et les Brésiliens avaient fait match nul (1-1). Mais Noah Okafor (photo) ne jouait pas encore pour la Nati…

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88 THE RED BULLETIN JEAN-CHRISTOPHE DUPASQUIER/RED BULL CONTENT
POOL, CEMIL
ERKOC/AROSALENZERHEIDE.SWISS, GETTY IMAGES

« Hormones à fond »

Timothy B. Schmit, bassiste du groupe légendaire Eagles, nous explique pourquoi une playlist d’où les Beatles sont absents serait parfaitement absurde.

Eagles est l’un des plus grands groupes de rock de tous les temps. Des preuves ? Les voici : sur leur carte de visite, on y voit cinq singles numéro un, six Grammy Awards et six albums numéro un, dont celui le plus vendu de l’histoire aux États-Unis : Their Greatest Hits (1971-1975). En 1977, Timothy B. Schmit a rejoint le groupe californien en tant que bassiste alors que celui-ci était en tournée pour son album légendaire Hotel California, et il fait toujours partie de l’aventure. Un Eagle depuis 45 ans. En 1998, le musi cien, aujourd’hui âgé de 75 ans, a été admis au Rock and Roll Hall of Fame. Il a également enregistré sept albums sous son propre nom, dont le dernier en date est Day by Day. La pierre angulaire de cette carrière exception nelle est faite de quatre morceaux.

PERSPECTIVES playlist

ROSIE & THE ORIGINALS

ANGEL BABY (1961)

« Quand j’étais enfant, dans l’audito rium de notre école, il y avait des soi rées dansantes où les garçons se tenaient d’un côté de la salle et les filles de l’autre. Quand cette chanson a commencé, j’ai pris mon courage à deux mains et je suis allé inviter l’une d’elles. Cette danse lente et mes hor mones à fond m’ont mis du baume au cœur et m’ont motivé. Aujourd’hui encore, j’aime Angel Baby »

LENNY WELCH

SINCE I FELL FOR YOU (1963)

« Quand je fais mes étirements mati naux, je me branche sur une station appelée Seven Inch Soul qui diffuse de vieux disques de soul comme Since I Fell For You, que j’ai entendu pour la première fois en 1963. Même si je pense que la chanson a été écrite dans les années 40, la version de Lenny est tout simplement géniale. C’est une belle chanson d’amour qui me touche profondément. »

THE BEATLES

THE WORD (1965)

« Pour moi, il n’y a pas de playlist pos sible sans une chanson des Beatles. Mais comment choisir une seule et unique chanson parmi leurs chefsd’œuvres ? Celle qui me vient immé diatement à l’esprit est tirée de l’al bum Rubber Soul. Elle a quelque chose que je n’avais jamais entendu auparavant. C’est une combinaison très spéciale entre la mélodie, le rythme syncopé et l’arrangement. »

THE STAPLES SINGERS RESPECT YOURSELF (1971)

« Cette chanson vient de l’univers gospel des Staples Singers. Au début des années 70, on l’entendait partout à la radio, et il y a une raison à cela. Elle a quelque chose de tellement nouveau : des rythmes au solo de basse, en passant par la guitare de Pops Staples et la magnifique voix de Mavis Staples. La chanson s’appelle Respect Yourself Un impératif intemporel ! »

Le code QR mène à la playlist de T. B. Schmit sur Spotify. timothybschmidt.com
THE RED BULLETIN 89 DOVE SHORE MARCEL ANDERS

GOOD VIBRATIONS

LUNETTES CONNECTÉES THERABODY

Elles y ressemblent, pourtant ce ne sont pas des lunettes de réalité virtuelle. Ce masque de Therabody aide à se concentrer, à se déconnecter et à s’endormir. Comment ? En vous massant doucement, à force de vibrations qui vous guident dans un sommeil profond. therabody.com

SPA TO GO Thérapies sonores multisensorielles disponibles via l’appli Therabody

L’HEURE D’HIVER RED BULL WINTER EDITION

Escalade sur glace, snowkite, vol à skis, ou luge ? Quelle que soit l’activité qui vous procure de l’adrénaline, l’édition limitée de Red Bull ne vous fera pas défaut. Cet hiver, le goût pomme-figue relevé d’une pointe de caramel et de notes épicées vous donne des ailes. redbull.com

ULTRAVIOLET

Emi existe en six couleurs. Notre favorite : la version parme.

SANS MODÉRATION

ARTWORK METAMORPHOSIS

Camillo Stepanek est connu pour son Pop Art Nouveau, comme l’œuvre ci-dessous, Metamorphosis (feuilles d’or sur bois). Aujourd’hui, l’artiste de 35 ans travaille avec du bois de bouleau qu’il intègre à la cuvée du vigneron autrichien Josef Stadler. popartnouveau.com

DOUILLET

BONNET EMI

Quand la neige virevolte à l’extérieur, vous garderez la tête au chaud et n’aurez pas froid aux oreilles grâce à ce bonnet tout doux. Fabriqué dans une manufacture plus que centenaire, le modèle Emi est en laine de sherpa, une fourrure tissée en laine douce à petites boucles. muehlbauer.at

90 THE RED BULLETIN

PERSPECTIVES tendance

VALEURS INTERNES

BLACK HOLE MINI MLC 26L

Petit format, grand espace : ce bagage à main maintient vos vêtements bien empilés grâce à un filet de protection, le compartiment électronique peut être entièrement ouvert lors du contrôle de sécurité, et le reste s’ordonne en deux temps trois mouvements. patagonia.com

Particulièrement résistant à l’humidité, à l’abrasion et en matériaux recyclés.

Que du bon !

L’hiver se décline en plusieurs modes, allant d’un à une discrète boîte noire.

LA PETITE BOÎTE NOIRE

VITRA MULTIPRISE AMPI

Fermé, Ampi est un objet bien proportionné qui ne lésine pas sur ses charmes. Si l’on y pose un smart phone, il alimente le travailleur nomade en électricité, et le recharge. Ouvert, il révèle cinq connexions : deux électriques, deux USB-A et une USB-C. vitra.com

UN PEU D’ORDRE

Le noir ne sied pas à votre intérieur ? Ampi existe aussi en gris clair.

PAPA ROLLER

LITTLE SKATE RATS – DAS GEHEIMNIS

Julius Dittmann, le papa de deux enfants, transmet son savoir à la nouvelle génération : quel est son secret pour faire ses premiers pas en skateboard ? C’est à vous de le découvrir avec vos charmantes têtes blondes, brunes ou rousses. En allemand. littleskaterats.com

THE RED BULLETIN 91

LISE MEITNER ÉLOGE DE LA RAISON PURE

MICHAEL KÖHLMEIER raconte les destins hors du commun de personnages inspirants, dans le respect des faits et de sa liberté d’écrivain. Ce mois-ci, la physicienne viennoise qui a été la première à calculer la fssion nucléaire.

LHistoire est une grande farceuse qui se plaît à nous jouer de vilains tours. Des coups du sort, comme on les appelle, qui se révèlent par fois, des années plus tard, être de sacrés coups de chance. Le destin de Lise Meitner en est un parfait exemple : cette physicienne d’origine autrichienne fut l’une des grandes oubliées de l’Histoire –un oubli qui s’avéra, après coup, pas si embarrassant que ça. Parce qu’elle était une femme, et parce qu’elle était juive, Lise Meitner fut, à partir de la fn des années 30, mise au ban de la commu nauté scientifque dont elle avait fait par tie pendant plus de quatre décennies. Elle fut l’un des grands noms de la recherche sur la fssion nucléaire et fut à l’origine des premiers succès en laboratoire, aux côtés d’Otto Hahn, son associé et ami de longue date. Lorsque celui-ci reçut le prix Nobel de physique en 1944 pour les recherches qu’ils avaient menées ensemble, il ne mentionna pas Lise Meitner : celle-ci avait dû fuir l’Allemagne nazie et s’était réfugiée en Suède, sans pour autant abandonner ses activités scientifques, puisqu’elle entretenait une correspondance active avec Otto Hahn. Mais de ce « couple » si fructueux, l’Histoire ne retiendra que l’homme et le non-juif. Pourtant, cette injustice criante joua, des années plus tard, en faveur de la grande oubliée : lorsque le nom d’Otto Hahn fut cité parmi tous les hommes qui avaient servi à engendrer l’horreur ultime, la bombe atomique qui fut larguée en août 1945 sur les villes d’Hiroshima et de Nagasaki. Or, contraire ment à Albert Einstein, qui ft publiquement son mea culpa – alors même qu’il n’eut qu’un rôle indirect

L’écrivain autrichien est considéré comme l’un des meilleurs conteurs du monde germano phone. Dernière paru tion : La petite fille au dé à coudre, Éd. Jacqueline Chambon, 2017.

dans les avancées sur la bombe atomique – le scientifque allemand refusa toute discussion en affrmant avoir simplement servi la science. Ironie de l’Histoire, c’est parce que son nom ne fut jamais cité que Lise Meitner fut épargnée par cette lourde polémique qui entacha, après la guerre, la réputation et l’honneur de nombreux scientifques.

Autrichienne de naissance, Lisa Meitner fut une jeune femme au caractère exemplaire : concentrée, pragmatique, d’un calme et d’une ratio nalité légendaires. Elle était convaincue que tous les problèmes pouvaient être résolus de manière rationnelle, pour peu qu’on le veuille et qu’on ait les informations nécessaires. Qu’il était toujours possible de convaincre les gens par une argumentation raisonnée. Évidemment, elle ne pouvait accepter le fait que les universités et – pire encore ! – les lycées restent interdits aux femmes, mais elle savait que la Raison fnirait par l’emporter : ce fut effectivement le cas en 1899, lorsque les femmes furent enfn admises à fréquen ter les universités de l’empire austro-hongrois. Elle avait alors 21 ans et dut passer son baccalauréat en candidate libre pour pouvoir s’inscrire. Lise Meitner démarrait des études de physique et de mathéma tiques avec trois ans de retard par rapport à ses pairs masculins.

À l’époque, le grand physicien et philosophe Ludwig Boltzmann, père de la physique statistique, était revenu enseigner à l’université de Vienne après avoir refusé une chaire de professeur à Berlin pour des raisons de santé. Dès le début, il reconnut le

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talent de Lise Meitner et se prit d’affection pour cette étudiante surdouée. La jeune flle, quant à elle, gardait avec son mentor, comme avec tous ses collègues masculins, une distance respectueuse : elle était persuadée que les relations humaines pouvaient, elles aussi, se construire sur des facteurs rationnels et sur une échelle allant, dans le meilleur des cas, du respect à l’amour. Quant aux sentiments négatifs, elle ne s’en souciait guère car elle avait le pouvoir, disait-elle, de les éviter tout simplement. Les affres de l’amour ne la préoccupaient pas le moins du monde : l’estime qu’elle portait aux gens se mesurait à leur travail et leur professionnalisme – des facteurs qui, concernant Boltzmann, étaient indubitablement irréprochables.

Lise Meitner avait grandi dans une famille d’in tellectuels libéraux : son père, Philipp Meitner, était un avocat reconnu mais ce fut en tant que joueur d’échecs que cet homme brillant entra dans l’Histoire – grâce à la célèbre partie jouée en 1872 contre Carl Hamppe, baptisée « La Nulle Immor telle », qui fait encore aujourd’hui l’objet de nom breuses analyses et commentaires dans le milieu des échecs.

Juifs non pratiquants, les Meitner ne s’intéres saient pas à la religion et Lise s’était très tôt conver tie au protestantisme pour éviter les discriminations que la communauté juive subissait. Malgré l’antisé mitisme ambiant, cette période d’avant-guerre méritait son nom de « Belle Époque » – du moins pour les classes aisées : une époque où l’on pouvait, comme l’écrira plus tard l’écrivain autrichien Stefan Zweig, voyager depuis la Suède jusqu’à la mer Noire sans montrer une seule fois son passeport. La famille Meitner regardait l’avenir avec un opti misme souverain, fère de voir leur flle parmi les premières femmes à entrer à l’université et la seule admise à l’Institut de Physique auprès du professeur Boltzmann. Ce dernier était du même avis que sa protégée : la discrimination des femmes était certes une injustice, mais cette injustice fnirait forcément par disparaître un jour – il suffsait d’attendre un peu et de faire confance à la raison humaine.

En 1906 survint pourtant ce que personne n’avait osé imaginer : Ludwig Boltzmann se suicida alors qu’il passait ses vacances d’été sur la côte adriatique en compagnie de sa femme et de ses

enfants. Sans laisser la moindre lettre, la moindre explication. Lise Meitner fut sous le choc. Cet homme lui avait fait découvrir toute la « beauté de la physique théorique » – qui n’est autre que la beauté de la Création – cet homme avait été pour elle bien plus qu’un professeur : il avait été le pre mier à déceler son incroyable talent. Elle lui avait fait confance, elle lui avait confé sa vie, sa passion pour l’infniment petit – une passion qui était née dans l’Institut du professeur Boltzmann lui-même. Elle avait aimé cet homme et connaissait la maladie dont il souffrait : une bipolarité exacerbée au fl des années par les drames qu’il avait traversés. Et pourtant : elle le croyait infaillible, comme un roc indestructible qui avait guidé ses premiers pas dans le monde fascinant de la physique.

Lise Meitner venait d’apprendre, à l’âge de 28 ans, que le monde et les Hommes étaient bien plus complexes et fragiles qu’elle ne l’avait cru… Une déception qui allait se confrmer, quelques années plus tard, avec les horreurs de la Première Guerre mondiale. Mais pour l’heure, la jeune femme préféra s’exiler à Berlin pour aller suivre les cours d’un autre grand physicien : Max Planck –en toute illégalité d’ailleurs, puisque les universités prussiennes restaient encore interdites aux femmes, et ce jusqu’en 1909. Lise se procura un completveston, une cravate et un chapeau pour assister aux cours. Le professeur Planck et ses étudiants n’étaient évidemment pas dupes : ils connaissaient la réputation de cette jeune scientifque mais son « déguisement » fut perçu comme une preuve de bonne volonté – au grand dam de Lise Meitner, qui se serait bien passée de ce genre de concessions !

Àl’université de Berlin, elle ft la connaissance d’un homme qui allait devenir son ami et associé pendant plus de trente ans : le chimiste Otto Hahn. La Grande Guerre qui éclata en août 1914 suscita, du moins dans les premiers mois, un tel enthousiasme qu’il est encore diffcile de le comprendre aujourd’hui. Du côté allemand, des intellectuels comme Thomas Mann et Kurt Tucholsky furent, dans un premier temps, séduits par l’idée de la guerre – avant de devenir, une fois rentrés des tranchées, des pacifstes convaincus.

Comme beaucoup de ses contemporains, Lise Meitner s’engagea dès le début de la guerre et tra vailla comme infrmière en radiologie pour l’armée autrichienne. Elle revint à Berlin deux ans plus tard, dégoûtée par les horreurs du confit. Déçue de com prendre enfn que la raison humaine ne suffrait jamais à mener les Hommes vers le droit chemin.

Face au chaos ambiant et à la perte de repères qui ébranlait la société de l’époque, la science lui apparut comme un refuge idéal, un monde régi par les mêmes lois immuables et par cette

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Lise Meitner fut nommée pas moins de 48 fois pour le prix Nobel – sans jamais le recevoir.
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sacro-sainte rationalité qu’elle aimait tant. Loin des considérations politiques et des luttes d’intérêt, la science devenait synonyme de pureté et d’inno cence : c’est en tout cas ce que Lise Meitner voulait croire. L’ironie de l’Histoire voulut qu’elle contribua indirectement, aux côtés d’autres scientifques –Otto Hahn, Fritz Straßmann, Otto Frisch – à invali der cette théorie aussi optimiste que naïve.

Lorsqu’on lui proposa un poste de professeure en physique expérimentale à Berlin, Lisa Meitner devint, en 1926, la première femme à enseigner dans une université allemande. Elle s’accrocha à cet optimisme naïf même après 1933 : en parlant du premier discours qu’avait tenu Adolf Hitler en tant

que chancelier, elle affrma que « ses propos lui avaient semblé modérés et prudents ». Quelques mois plus tard, elle fut obligée de quitter l’univer sité : qu’elle fut une scientifque renommée, conver tie depuis longtemps au protestantisme n’y faisait rien, elle était née juive – c’était ce qui comptait. Lise Meitner dut fnalement se résoudre à émigrer en Suède, puis en Angleterre quelques années avant sa mort.

Après 1945, elle dirigea le département de physique nucléaire à l’université technique de Stockholm et reçut, pour ses articles et ses décou vertes, de nombreuses récompenses internatio nales. Nommée 48 fois pour le prix Nobel sans jamais le recevoir, Lise Meitner resta longtemps en contact avec Otto Hahn et poursuivit ses recherches sur l’utilisation pacifque de l’énergie nucléaire.

Lorsqu’elle mourut en 1968, son neveu Otto Frisch ft inscrire sur sa tombe, que l’on peut voir dans le cimetière de Bramley, en Angleterre : « Lise Meitner, une physicienne qui n’a jamais perdu son humanité. »

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À Berlin, elle assistait aux cours de Max Planck déguisée en homme.

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