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Lagos la nuit
Lagos, 2e ville la plus peuplée d’Afrique, compte près de 15 millions d’habitants. Parmi eux, les plus grands noms du genre musical connu sous le nom d’AFROBEATS, et sa scène festive sans pareille. Mais pour les fêtards de la capitale du Nigeria, l’écart de richesse est considérable. Des complexes de soirées sécurisés aux bidonvilles, le photographe ANDREW ESIEBO a tout capturé...
Texte et photos ANDREW ESIEBO
«Dans le quartier de Lagos Island, à chaque fin
d’année, on trouve des fêtes où la musique est très forte, et lourde; pleines d’énergie mais aussi de tension, tout le monde veut s’imposer dans la foule. Chacun est en groupe à sa table, avec son équipe. Dans ce type de soirée, j’essaie d’être invisible pour mes sujets, mais cette femme posait de telle manière qu’elle voulait être vue. Son langage corporel lui donne de l’assurance, même si elle n’offre pas de contact visuel.»

«À Lagos, on sait faire la fête»
Andrew Esiebo est mondialement reconnu pour ses photographies traitant de politique du genre, de sport, de culture et de luttes sociales en Afrique. «Lagos a été, et l’est peutêtre encore, célèbre pour sa criminalité, explique Esiebo, 43 ans. Lorsque je vois des reportages sur la ville, ils se concentrent sur cela, ou sur la congestion urbaines et l’état des infrastructures. Je vois rarement les médias mondiaux mettre en avant sa culture dynamique, ses traditions et sa vie nocturne.» Esiebo a eu l’idée de documenter les fêtes de Lagos après avoir assisté, une nuit, à un DJ set dans la ville. «Cela m’a fait prendre conscience du pouvoir des DJs et de l’afrobeats, aussi appelé afro-pop, dit-il. Avec l’arrivée de la démocratie (en 1999, après des décennies de régime militaire, ndlr), et alors que l’économie ne cesse d’exploser, il y a plus d’argent dans les mains des gens. Une façon d’exprimer cette richesse est de faire la fête – et les Lagosiens savent faire la fête.» Plus qu’une simple célébration de la vie nocturne intense de Lagos, les photos d’Esiebo illustrent l’effet du développement urbain rapide sur ses habitants. «Certains quartiers de Lagos ressemblent à des villes totalement différentes. Mais qu’ils soient riches ou pauvres, les gens veulent les mêmes choses. Même un type qui n’a pas d’argent veut acheter du champagne.»
«L’entrée du club/restaurant Spice Route, dans le quartier chic de Victoria Island.
La porte qu’ils gardent est ornée de bas-reliefs ethniques, elle met en valeur une partie de l’esthétique de la ville. Je voulais aussi capturer ces portiers. Autrefois, seuls les clubs haut de gamme avaient des videurs, mais aujourd’hui, je vais dans des endroits où il y a toujours quelqu’un à la porte. Ils sont devenus un élément plus typique des fêtes de la ville, et je voulais le montrer. »
Droite : «On boit beaucoup
de champagne au Nigéria.
En 2016, Lagos était le deuxième plus gros consommateur de champagne au monde après Paris. Je vois des gens dans des soirées qui tiennent leur bouteille de champagne jusqu’à la toute fin de la fête, même si elle est vide. Ce type avec une grande bouteille se trouve à Ikeja – pas vraiment un quartier pauvre, mais pas non plus l’un des plus riches. Dans ce carré VIP, plus la bouteille que vous achetez est chère, plus l’espace qu’on vous donne est privilégié. Je trouve que les gens font cela plus souvent dans les fêtes de la classe ouvrière et de la classe moyenne, parce que c’est un acte d’aspiration : ils veulent être comme ceux de la haute. Mais dans les fêtes haut de gamme, ça ne consomme pas autant. »


«Jimmy’s Jump Off est une fête annuelle
qui soutient le hip-hop local. Avant l’explosion de l’afrobeats, le hip-hop et le reggae étaient les styles les plus populaires ici, et c’est à cette époque que le DJ Jimmy Jatt s’est fait connaître. Aujourd’hui, il perpétue l’esprit du genre à travers cette fête. Voici une photo de DJane Nana. C’est important pour moi car le milieu des DJs au Nigeria est très macho; il n’y a pas beaucoup de femmes – et parmi les meilleurs DJs, pas plus de quatre ou cinq. Je voulais montrer comment les femmes se font une place dans cet espace.»

«Felebration est un festival d’une semaine qui rend hommage à feu Fela
Kuti, fondateur de l’afrobeat (le genre musical ouest-africain né dans les années 1960, à ne pas confondre avec l’afrobeats, ndlr). Il a lieu chaque année au New Afrika Shrine, un espace musical créé par son fils. C’est intense, avec des milliers de personnes. Parfois, on ne peut même pas entrer, alors on installe des écrans géants à l’extérieur pour les gens dans la rue. Les foules sont un élément important de la vie de Lagos; tout se déroule toujours au cœur d’une masse de personnes. Pour comprendre la véritable échelle et l’énergie de la ville, chaque fois que vous regardez une photo d’un fêtard à Lagos, rappelez-vous qu’il fait partie d’une foule beaucoup plus grande.»


«Un symbole d’aspiration. Le T-shirt de ce type ressemble à un Versace, mais on voit bien que c’est une contrefaçon. Pourtant, il est sûr de lui. D’un côté, cette photo parle de la mode: les gens veulent porter du Versace, mais ce n’est pas abordable, donc la seule façon de se sentir comme si on portait la marque est d’avoir un faux. D’autre part, le regard du type et la façon dont il tient son corps ont un sens de connexion, et il y a une forme de puissance qui émane de lui.»

«Les cigares sont rares dans les
rues de Lagos, mais les gens en fument parce qu’ils aspirent à être ce qu’ils voient à la télévision et dans le hip-hop. On voit Jay-Z et d’autres s’envoyer de gros cigares, et les gars d’ici aiment en faire autant. Pour moi, ce type qui fume le cigare parle non seulement de consommer dans les fêtes, mais aussi de la façon dont les gens de ce pays tendent à se ré-imaginer socialement.»

«Cette photo a été prise lors d’une fête sur l’île
d’Ilashe, un quartier connu pour ses villas au bord de la plage. De nombreuses maisons de boissons de luxe parrainent des fêtes haut de gamme, et celle-ci était organisée par Hennessy (un fabricant de cognac, ndlr). Elle s’appelait la All White Privilege Party – on prenait un bateau depuis l’île, le thème était le privilège, et il fallait s’habiller tout en blanc. Ce n’était pas une fête pour les pauvres. Je voulais montrer les invités qui étaient là, ainsi que la danse et l’intensité entre eux. »



«C’était la première étape de mon travail
sur ce projet, lorsque je me faisais la main sur ce thème. Ces femmes à la soirée Jimmy’s Jump Off étaient des jumelles, et c’était comme si elles portaient un uniforme de fête. Les vêtements assortis, les chaussures à plateformes – leur style est unique. Les gens en ville s’habillent comme ça, avec des couleurs vives, des motifs et des accessoires, mais je n’avais jamais vu de looks aussi bien assortis auparavant. »


«Je ne fais habituellement pas de photographie de mariage, mais je voulais explorer ces espaces pour le projet. Les mariages nigérians sont énormes et très spectaculaires; la photo du haut en est un exemple haut de gamme: un état d’extase à travers la musique et la danse. Les gens portent des vêtements traditionnels aux mariages ainsi qu’à l’église. Certaines sociétés vous autorisent à les porter au travail le vendredi. Le Nigeria est une société multiculturelle, et le vendredi est le jour où l’on peut exprimer toutes nos différentes identités culturelles.» «Les mariages au Nigeria sont également connus pour les personnes qui jettent de l’argent sur la piste de danse (photo du bas). Une façon de montrer sa richesse qui n’est pas forcément du goût du gouvernement, lequel tente d’appliquer une nouvelle loi pour mettre fin à cette pratique. Parfois, toute la piste de danse est couverte de cash. »