Le pic de l'architecture

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QUELLE QUAntité D’énErGiE ?

Au cours de ses cinquante années de projets, l’architecte aura eu un pouvoir sur la réduction potentielle de la consommation d’environ 300 000 barils de brut24. Par an, l’architecte manipule un flux de 4 millions de kWh pendant les 1 000 heures consacrées aux projets25. Il est le machiniste d’une centrale virtuelle, consommant 400 litres de carburant à l’heure et dont il détient les clefs pour optimiser le rendement. Au même instant, il a besoin de 100 W d’apports métaboliques et d’un peu d’énergie grise pour projeter. L’architecte est une machine énergétique hallucinante : il contrôle 40 000 fois ses propres besoins ! Comparé aux besoins moyens d’un Terrien26 en ce début de xxIe siècle, l’architecte est grand électeur au suffrage censitaire de l’écologie : un vote27 qui vaut 2 000 voix de citoyens de notre spaceship earth28 !

SUPPôtS DU SyStèME ?

Comment limiter la force de ce levier ? Comment faire pour qu’il actionne les transformations soutenables du monde ? Mais le ver ne serait-il pas dans le fruit ? Architectes, ingénieurs, concepteurs : tous rémunérés par une dîme, ponctionnée sur le flux de construction, par un pourcentage capté sur les norias de toupies à béton, par une quote-part sur les mètres carrés livrés. Comment trouver dès lors la liberté de pouvoir « dire non » pour construire moins – voire ne pas construire du tout –, lorsque notre conscience nous susurre l’inutilité de la programmation ? Par ce principe de rémunération – consistant à capter quelques pour cent du coût de construction –, les concepteurs sont rémunérés symboliquement comme des apporteurs d’affaires : une motivation largement suffisante pour revoir de fond en comble notre modèle économique. Le paysage construit de nos villes et de nos territoires devrait pourtant davantage apparenter l’architecte à un médecin et inciter à préférer « consulter un projet » et à « soigner un quartier » avec des honoraires davantage associés à la prestation intellectuelle qu’à l’horizon du volume de matières transformées.

PAS DE LiMitES À LA croiSSAncE

Mais les forces économiques en présence incitent implicitement à favoriser l’obsolescence programmée du parc bâti. détruire-reconstruire ou artificialiser-bâtir sont à l’œuvre pour garantir le flux suffisant de nos croissances à toutes échelles (celle de mon agence, celle de mon entreprise de construction, la performance de mes actifs immobiliers, la croissance de notre économie nationale, notre participation au développement mondial), quand les volumes économiques captés ne sont pas les miettes de pain des concepteurs. La grande chaîne de valeurs de l’immobilier est alors à l’œuvre pour encourager les travaux, avec, nous l’avons entraperçu, sa cohorte d’externalités écologiques associées.

oBSoLEScEncES ProGrAMMéES

Architectes et ingénieurs sont parties prenantes de cette belle mécanique. Dans un contexte de tassement démographique, il y a évidemment une incitation implicite à l’obsolescence du parc pour assurer la commande de travaux… Pour le maître d’œuvre, être reconnu par ses pairs et être convenablement rémunéré supposent aujourd’hui de livrer beaucoup de surfaces. Signe qui ne trompe pas lorsque les architectes échangent sur leur actualité professionnelle : l’indice de bonne santé économique s’exprime sur la taille en mètres carrés du projet qu’ils viennent de gagner ou de celui sur lequel ils sont en train de travailler.

éconoMiES Et iMAGinAirES À réinvEntEr

Ainsi, l’écosystème des concepteurs s’est rapidement adapté pour catalyser la consommation immobilière. Séduire, imaginer et projeter le mirage de la commande – les rendus photoréalistes du concours –, mais uniquement à l’instant de la livraison… Un stigmate encore de professions dont le rythme est finalement le court terme. Les architectes en sont peu responsables du fait du modèle de leur mode de rémunération. Aucune récurrence d’activité, une fuite en avant perpétuelle pour aller chercher de la commande… Afin de recréer toutes les indépendances intellectuelles et libertés conceptuelles, il y a donc urgence à revisiter le modèle économique.

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concEvoir


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