numvegetal

Page 1


Éditorial

S’il existe une région où le végétal est à l’honneur,

Cependant, il aurait aimé séjourner dans ces

voilà un champ. La forêt est son ennemi naturel ;

c’est bien la région des Pays de la Loire. En effet, c’est

rares zones libres. La lumière y est plus vive, le soleil

avec le lait de sa mère, il a sucé la haine des vieux

en élevant à Nantes un jardin de port que Pierre

plus direct, l’espace plus visible surtout. Plus tard

arbres ; ils sont pour lui la marque de l’état sauvage.

XVIIIe siècle

enfin, quand l’homme eut acquis les premières

Aussi les poursuit-il à outrance ; il aimerait mieux

une dynamique autour du végétal qui s’étalera

notions d’agriculture et d’élevage, il trouva un

griller au soleil que d’en conserver quelques-uns

tout le long du fleuve jusqu’à Orléans. Peut-être

avantage considérable à habiter les lieux dé-

pour abri ; il craindrait de devenir peau-rouge.”

que les horticulteurs, voyant passer ces gabares

couverts, où il pouvait surveiller ses récoltes

remplies de plantes inconnues, ont senti croître

et garder ses troupeaux. Mais ils étaient rares,

leur convoitise et leur intérêt pour les végétaux.

Chirac, en visionnaire, a insufflé au

éloignés et généralement arides. Ne pouvait-on

– Soit ! disent-ils. Il est vrai que nous avons abu-

Sommes-nous toujours en accord avec le vé-

alors les créer artificiellement ? Il suffisait pour

sé, que nous avons abattu trop d’arbres, rasé trop

gétal ? Les pages de ce numéro voudraient porter

cela d’abattre les arbres, d’en tirer tout le bon et,

de forêts, transformé en Sahara trop d’oasis et qu’il

un éclairage sur la situation actuelle.

sur leur domaine, d’établir de vastes clairières,

est temps que cela cesse ! Mais cette trêve va s’im-

qui auraient tous les avantages de la plaine,

poser d’elle-même.Le règne du bois va vers son déclin.

joints à ceux d’une prodi-gieuse fécondité.

On ne construit plus en bois ; on ne chauffe plus au

En 1957, un certain L. Marcellin nous conte dans la revue Tout Savoir, mensuel de vulgarisation des sciences, toute son abomination pour l’homme

Et l’homme se mit à “ faire de la terre... ” La

bois foyers, machines, usines. Le temps n’est plus où

qui s’attaque à l’arbre... Voilà en quelques para-

profonde sylve africaine, inviolée pendant des

pour équiper leur flotte, les Phéniciens ont dépouillé

graphes choisis son propos sur les forêts.

millions d’années, fond comme neige au soleil.

le Liban de ses fameux cèdres ; ou plus près de nous

« Nous avons parlé plus haut, de l’air qu’elles

Juste le temps de permettre aux marchands de

la duchesse de Rohant se lamentait qu’on eût sacrifié

rendaient respirable et, bien sûr, un sauvage

bois de prendre leur part, et la place est livrée toute

toute une forêt du duc, son époux, pour construire

primitif n’eût jamais songé à l’en remercier. Il

chaude au planteur. Alors s’installent le coton,

la seule Couronne... Qui n’était après tout qu’un

ignorait aussi qu’il lui devait des sources où il

le tabac, l’arachide, le riz, et diz autres enva-

vaisseau guère plus long qu’un thonier moderne.

s’abreuvait. Comment aurait-il pu savoir que le

hisseurs qui rongent tout ce qu’on leur aban-

Et puis, si toutes ces raisons semblent plus que

soleil aspire les vapeurs, qu’elles se condensent,

donne, réussissent ou ne réussissent pas, mais

suffisantes pour donner le droit de parler en faveur

que la forêt provoque les pluies, les prolonge en

vident le sol de sa substance en quelques années.

de l’arbre, il en est une dernière qui, pour beaucoup,

les modérant ? En même temps, elle diminue le

On passe ainsi de la forêt à la brousse, de la

à moins d’importance, mais qui reste heureuse-

ruissellement superficiel, attire par ses racines

brousse au désert. Au nord du Niger, le Sahara

ment primordiale pour quelques-uns : l’arbre est

les eaux dans les couches profondes, en retarde

avance de plusieurs kilomètres par an...

une des plus sûres beautés du monde. N’est-ce pas

l’écoulement, le canalise, régularise le régime

Qu’est-ce que cela peut faire ? Ce n’est pas

des rivières et des fleuves, évite les inondations,

la place qui manque. Il n’y a qu’à recommencer

grâce au filtre de feuilles mortes qu’elle accumule,

plus loin.

et qui finit par constituer l’humus.

Ce propos vieux de plus de cinquante ans est pourtant encore très actuel et combien de temps

Et on a recommencé au Brésil, au Mexique,

l’humanité tiendra-t-elle, si elle ne continue pas

aux Indes, à Madagascar, en Chine, en Indonésie,

à préserver cette ressource sauvage, pas seule-

que cet humus finissait par former une terre

en Australie, jusqu’au cœur de nations qui sont,

ment sous son aspect quantitatif, en nombre

grasse, chaude, en quelque sorte vivante, où les

ou prétendent être à la tête du progrès. Il y a un

d’espèces, mais en entretenant l’équilibre entre

graines qu’y apportaient le vent ou les oiseaux, les

siècle, des voyageurs parcourant les États-Unis

les villes et les campagnes, entre nature et cultu-

fruits qui tombaient des branches, s’empressaient

s’en étonnaient déjà.

re, afin qu’elle y puise tout ce qu’est nécessaire à

de germer et de croître bien plus vigoureuse-

“Le Yankee, écrit l’un d’eux, arrive-t-il dans

ment que lorsqu’il essayait de les enfoncer lui-

un lieu désert, dont un coin de forêt lui dispute la

même dans le sol des endroits dénudés.

possession [...], le lendemain il incendie la forêt :

p. 1 : Mousses et jeunes fougères tropicales,  Épiphytes, serre du Jardin des Plantes, Nantes. Cl. B. Renoux.

303 / NA 103 / 08

assez pour nous imposer son respect ? »

Pourtant, l’homme ne tarda pas à s’apercevoir

couverture : Erigeron canadensis, Nantes. Cl. B. Renoux.

6

Les avocats d’une mauvaise cause gardent toujours en réserve des arguments.

p. 2 à 5 : La petite Amazonie, zone de prairie abandonnée depuis la guerre, en cours de restauration écologique par du pâturage de « Higland cattle ». Cl. B. Renoux.

l’équilibre des sociétés ? La rédaction

p. 6 : Jardin d’eau et d’orties réalisé par Gilles Clément à l’occasion de la  Biennale Internationale d’art contemporain de Melle, œuvre pérenne. Cl. Jean-Luc Denis, ville de Melle.

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Éditorial

S’il existe une région où le végétal est à l’honneur,

Cependant, il aurait aimé séjourner dans ces

voilà un champ. La forêt est son ennemi naturel ;

c’est bien la région des Pays de la Loire. En effet, c’est

rares zones libres. La lumière y est plus vive, le soleil

avec le lait de sa mère, il a sucé la haine des vieux

en élevant à Nantes un jardin de port que Pierre

plus direct, l’espace plus visible surtout. Plus tard

arbres ; ils sont pour lui la marque de l’état sauvage.

XVIIIe siècle

enfin, quand l’homme eut acquis les premières

Aussi les poursuit-il à outrance ; il aimerait mieux

une dynamique autour du végétal qui s’étalera

notions d’agriculture et d’élevage, il trouva un

griller au soleil que d’en conserver quelques-uns

tout le long du fleuve jusqu’à Orléans. Peut-être

avantage considérable à habiter les lieux dé-

pour abri ; il craindrait de devenir peau-rouge.”

que les horticulteurs, voyant passer ces gabares

couverts, où il pouvait surveiller ses récoltes

remplies de plantes inconnues, ont senti croître

et garder ses troupeaux. Mais ils étaient rares,

leur convoitise et leur intérêt pour les végétaux.

Chirac, en visionnaire, a insufflé au

éloignés et généralement arides. Ne pouvait-on

– Soit ! disent-ils. Il est vrai que nous avons abu-

Sommes-nous toujours en accord avec le vé-

alors les créer artificiellement ? Il suffisait pour

sé, que nous avons abattu trop d’arbres, rasé trop

gétal ? Les pages de ce numéro voudraient porter

cela d’abattre les arbres, d’en tirer tout le bon et,

de forêts, transformé en Sahara trop d’oasis et qu’il

un éclairage sur la situation actuelle.

sur leur domaine, d’établir de vastes clairières,

est temps que cela cesse ! Mais cette trêve va s’im-

qui auraient tous les avantages de la plaine,

poser d’elle-même.Le règne du bois va vers son déclin.

joints à ceux d’une prodi-gieuse fécondité.

On ne construit plus en bois ; on ne chauffe plus au

En 1957, un certain L. Marcellin nous conte dans la revue Tout Savoir, mensuel de vulgarisation des sciences, toute son abomination pour l’homme

Et l’homme se mit à “ faire de la terre... ” La

bois foyers, machines, usines. Le temps n’est plus où

qui s’attaque à l’arbre... Voilà en quelques para-

profonde sylve africaine, inviolée pendant des

pour équiper leur flotte, les Phéniciens ont dépouillé

graphes choisis son propos sur les forêts.

millions d’années, fond comme neige au soleil.

le Liban de ses fameux cèdres ; ou plus près de nous

« Nous avons parlé plus haut, de l’air qu’elles

Juste le temps de permettre aux marchands de

la duchesse de Rohant se lamentait qu’on eût sacrifié

rendaient respirable et, bien sûr, un sauvage

bois de prendre leur part, et la place est livrée toute

toute une forêt du duc, son époux, pour construire

primitif n’eût jamais songé à l’en remercier. Il

chaude au planteur. Alors s’installent le coton,

la seule Couronne... Qui n’était après tout qu’un

ignorait aussi qu’il lui devait des sources où il

le tabac, l’arachide, le riz, et diz autres enva-

vaisseau guère plus long qu’un thonier moderne.

s’abreuvait. Comment aurait-il pu savoir que le

hisseurs qui rongent tout ce qu’on leur aban-

Et puis, si toutes ces raisons semblent plus que

soleil aspire les vapeurs, qu’elles se condensent,

donne, réussissent ou ne réussissent pas, mais

suffisantes pour donner le droit de parler en faveur

que la forêt provoque les pluies, les prolonge en

vident le sol de sa substance en quelques années.

de l’arbre, il en est une dernière qui, pour beaucoup,

les modérant ? En même temps, elle diminue le

On passe ainsi de la forêt à la brousse, de la

à moins d’importance, mais qui reste heureuse-

ruissellement superficiel, attire par ses racines

brousse au désert. Au nord du Niger, le Sahara

ment primordiale pour quelques-uns : l’arbre est

les eaux dans les couches profondes, en retarde

avance de plusieurs kilomètres par an...

une des plus sûres beautés du monde. N’est-ce pas

l’écoulement, le canalise, régularise le régime

Qu’est-ce que cela peut faire ? Ce n’est pas

des rivières et des fleuves, évite les inondations,

la place qui manque. Il n’y a qu’à recommencer

grâce au filtre de feuilles mortes qu’elle accumule,

plus loin.

et qui finit par constituer l’humus.

Ce propos vieux de plus de cinquante ans est pourtant encore très actuel et combien de temps

Et on a recommencé au Brésil, au Mexique,

l’humanité tiendra-t-elle, si elle ne continue pas

aux Indes, à Madagascar, en Chine, en Indonésie,

à préserver cette ressource sauvage, pas seule-

que cet humus finissait par former une terre

en Australie, jusqu’au cœur de nations qui sont,

ment sous son aspect quantitatif, en nombre

grasse, chaude, en quelque sorte vivante, où les

ou prétendent être à la tête du progrès. Il y a un

d’espèces, mais en entretenant l’équilibre entre

graines qu’y apportaient le vent ou les oiseaux, les

siècle, des voyageurs parcourant les États-Unis

les villes et les campagnes, entre nature et cultu-

fruits qui tombaient des branches, s’empressaient

s’en étonnaient déjà.

re, afin qu’elle y puise tout ce qu’est nécessaire à

de germer et de croître bien plus vigoureuse-

“Le Yankee, écrit l’un d’eux, arrive-t-il dans

ment que lorsqu’il essayait de les enfoncer lui-

un lieu désert, dont un coin de forêt lui dispute la

même dans le sol des endroits dénudés.

possession [...], le lendemain il incendie la forêt :

p. 1 : Mousses et jeunes fougères tropicales,  Épiphytes, serre du Jardin des Plantes, Nantes. Cl. B. Renoux.

303 / NA 103 / 08

assez pour nous imposer son respect ? »

Pourtant, l’homme ne tarda pas à s’apercevoir

couverture : Erigeron canadensis, Nantes. Cl. B. Renoux.

6

Les avocats d’une mauvaise cause gardent toujours en réserve des arguments.

p. 2 à 5 : La petite Amazonie, zone de prairie abandonnée depuis la guerre, en cours de restauration écologique par du pâturage de « Higland cattle ». Cl. B. Renoux.

l’équilibre des sociétés ? La rédaction

p. 6 : Jardin d’eau et d’orties réalisé par Gilles Clément à l’occasion de la  Biennale Internationale d’art contemporain de Melle, œuvre pérenne. Cl. Jean-Luc Denis, ville de Melle.

7


Sommaire

Historique

12 Sur la piste des « chasseurs » de plantes

Catherine Vadon

maître de conférences, Muséum national d’histoire  naturelle de Nantes 16 Le voyage des plantes aux XXe et XXIe siècles

Claude Figureau

directeur honoraire du Jardin des plantes de Nantes 20 Histoire du végétal cultivé

Cristiana Oghin-Pavie

historienne, Terre des Sciences, Angers 28 L’arboretum Gaston Allard à Angers

Fanny Maujean

directrice des Parcs et Jardins de la Ville d’Angers 32 Parcs et jardins à visiter en Pays de la Loire

Christine Toulier

conservateur du patrimoine 36 Un label pour des jardins remarquables

Jean-Pierre Bady

directeur honoraire du patrimoine 42 Émile Gadeceau, pionnier de l’écologie

Christian Perrein

historien 48 Le Jardin exotique de Monaco

Jean-Marie Solichon

directeur du Jardin exotique de Monaco

Végétal et science

58 Plantes et génomes

Christian Dumas

professeur à l’école supérieure de Lyon 62 Botanique tropicale, botanique tempérée

Francis Hallé

professeur à la faculté des sciences de Montpellier 66 La paléobotanique en 2008 : ses progrès,

ses prolongements

Christine Strullu-Derrien enseignante, doctorante 70 Palinologie

Camille Joly xxxxxxxx

Végétal et espace naturel

80 Les arbres de la famille

Jean-Loup Trassard écrivain

84 L’écologie humaniste et résistante

de Gilles Clément

Emmanuelle Bouffé paysagiste et jardinière 88 Les mousses, végétaux mal aimés

Claude Figureau

Végétal et espace urbain

122 Les grands parcs nantais

Jacques Soignon

directeur du service des Espaces verts et de l’Environnement à Nantes 128 Flore des villes, fleurs des champs

Claude Figureau

directeur honoraire du Jardin des plantes de Nantes 134 La petite Amazonie

directeur honoraire du Jardin des plantes

Josette Garcia Melgares

de Nantes

Nantes Métropole, mission Développement

94 Plantes de bord de mer

Pascal Lacroix

délégué régional des Pays de la Loire au  conservatoire botanique national de Brest 104 Préserver le patrimoine végétal mondial

Stéphane Buord

durable et Espaces naturels 138 La première fois, nous avions dessiné

un plan …

Alexandre Chemetoff architecte 142 Le jardineur

responsable des actions internationales au

Thierry Champigny

conservatoire botanique national de Brest

écriveur, bionaute

108 Zone humides atlantiques

Gilbert Miossec

directeur du forum des marais atlantiques 110 L’angélique des estuaires

Josette Garcia Melgares

Nantes Métropole, mission Développement durable  et Espaces naturels 114 Le label Eve pour des espaces verts

écologiques

Philippe Hirou xxxxxxxxxxx 116 Plante & Cité

Camille Jouglet chargée de mission, Plante et Cité

144 Les jardins partagés

Marie-France Ringeart Chargée de mission aux jardins familiaux au Service des Espaces Verts et de l’Environnement

de Nantes, Renée Le Bout, Jardin des Épinettes, directrice de l’association Mille et Un Jardins et Robert Laly. xxxxxxxxxxxx 150 La Société d’horticulture et le Jardin des

plantes du Mans Guy Motel

président de la Société d’horticulture de la Sarthe

Végétal, art et architecture

158 Verts paradis de l’architecture

Claude Eveno

urbaniste, écrivain, professeur à l’ENSNP 164 La Haie vive

entretien avec Patrick Bouchain architecte

168 Le végétal en cage

Dominique Amouroux

rédacteur 176 L’Arbre aux hérons

Pierre Orefice

co-auteur du projet avec François Delarozière 180 Des mille fleurs à la verdure

Didier Le Fur

historien 192 Les plantes dans les Grandes Heures

d’Anne de Bretagne Michèle Bilimoff historienne

196 Branches, lianes et feuilles, le végétal

en images

Cyrille Sciama conservateur adjoint, musée des Beaux-Arts, Nantes 202 Horizon bucolique

Mai Tran

214 Le végétal dans les peintures murales

Christian Davy

chercheur à l’Inventaire des Pays de la Loire 220 Du bois des îles aux meubles de port :

Cuba et Saint-Domingue

entretien avec Bruno Comps 222 La mort noble : les photographies

de Jean-Paul Texier Benoît Decron

conservateur en chef, musée de l’Abbaye SainteCroix, Les Sables-d’Olonne 226 La musique verte ou les sonorités des plantes

Jean-Yves Bosseur chercheur au CNRS

230 Le Festival des jardins de Chaumont-sur-Loire

Chantal Colleu-Dumont

Végétal et métier 240 Quand l’environnement devient

thérapeutique

Dominique Marbœuf responsable du service Espaces verts,   Centre hospitalier Georges Mazurelle 244 Production actuelle des plantes médicinales

Philippe Gallotte

président de l’Association du jardin médicinal 250 L’élagueur, un amoureux des arbres

Remy Salvadore xxxxxxxx

252 Le bois, matériau d’hier et d’aujourd’hui

Daniel Prud’homme

importateur de bois 256 Le maraîcher nantais, homme de culture

et artiste de variétés

Nicolas de la Casinière journaliste 259 Les maraîchers nantais

entretien avec Philippe Retière

président de la fédération départementale  des maraîchers nantais 266 Les Floralies, le pouvoir des fleurs

Nathalie Perdoncin journaliste

268 Un siècle de recherche sur le végétal en Anjou

Jean-Luc Gaignard

ingénieur de recherche INRA Angers-Nantes, directeur de Terre des Sciences 271 Angers, capitale des formations

d’ingénieurs du végétal Corinne Bouchoux

directrice de l’enseignement de la vie étudiante et François Colson, directeur de l’Institut national d’Horticulture (INH) 273 L’évolution du métier de jardinier

Jean-Michel Marchandeau

xxxxxxxxx 276 Quand notre jardin devient refuge

Étienne de Quatre Barbes xxxxxxx

directrice du Festival des jardins de Chaumont-sur-Loire

8

303 / NA 103 / 08

9


Sommaire

Historique

12 Sur la piste des « chasseurs » de plantes

Catherine Vadon

maître de conférences, Muséum national d’histoire  naturelle de Nantes 16 Le voyage des plantes aux XXe et XXIe siècles

Claude Figureau

directeur honoraire du Jardin des plantes de Nantes 20 Histoire du végétal cultivé

Cristiana Oghin-Pavie

historienne, Terre des Sciences, Angers 28 L’arboretum Gaston Allard à Angers

Fanny Maujean

directrice des Parcs et Jardins de la Ville d’Angers 32 Parcs et jardins à visiter en Pays de la Loire

Christine Toulier

conservateur du patrimoine 36 Un label pour des jardins remarquables

Jean-Pierre Bady

directeur honoraire du patrimoine 42 Émile Gadeceau, pionnier de l’écologie

Christian Perrein

historien 48 Le Jardin exotique de Monaco

Jean-Marie Solichon

directeur du Jardin exotique de Monaco

Végétal et science

58 Plantes et génomes

Christian Dumas

professeur à l’école supérieure de Lyon 62 Botanique tropicale, botanique tempérée

Francis Hallé

professeur à la faculté des sciences de Montpellier 66 La paléobotanique en 2008 : ses progrès,

ses prolongements

Christine Strullu-Derrien enseignante, doctorante 70 Palinologie

Camille Joly xxxxxxxx

Végétal et espace naturel

80 Les arbres de la famille

Jean-Loup Trassard écrivain

84 L’écologie humaniste et résistante

de Gilles Clément

Emmanuelle Bouffé paysagiste et jardinière 88 Les mousses, végétaux mal aimés

Claude Figureau

Végétal et espace urbain

122 Les grands parcs nantais

Jacques Soignon

directeur du service des Espaces verts et de l’Environnement à Nantes 128 Flore des villes, fleurs des champs

Claude Figureau

directeur honoraire du Jardin des plantes de Nantes 134 La petite Amazonie

directeur honoraire du Jardin des plantes

Josette Garcia Melgares

de Nantes

Nantes Métropole, mission Développement

94 Plantes de bord de mer

Pascal Lacroix

délégué régional des Pays de la Loire au  conservatoire botanique national de Brest 104 Préserver le patrimoine végétal mondial

Stéphane Buord

durable et Espaces naturels 138 La première fois, nous avions dessiné

un plan …

Alexandre Chemetoff architecte 142 Le jardineur

responsable des actions internationales au

Thierry Champigny

conservatoire botanique national de Brest

écriveur, bionaute

108 Zone humides atlantiques

Gilbert Miossec

directeur du forum des marais atlantiques 110 L’angélique des estuaires

Josette Garcia Melgares

Nantes Métropole, mission Développement durable  et Espaces naturels 114 Le label Eve pour des espaces verts

écologiques

Philippe Hirou xxxxxxxxxxx 116 Plante & Cité

Camille Jouglet chargée de mission, Plante et Cité

144 Les jardins partagés

Marie-France Ringeart Chargée de mission aux jardins familiaux au Service des Espaces Verts et de l’Environnement

de Nantes, Renée Le Bout, Jardin des Épinettes, directrice de l’association Mille et Un Jardins et Robert Laly. xxxxxxxxxxxx 150 La Société d’horticulture et le Jardin des

plantes du Mans Guy Motel

président de la Société d’horticulture de la Sarthe

Végétal, art et architecture

158 Verts paradis de l’architecture

Claude Eveno

urbaniste, écrivain, professeur à l’ENSNP 164 La Haie vive

entretien avec Patrick Bouchain architecte

168 Le végétal en cage

Dominique Amouroux

rédacteur 176 L’Arbre aux hérons

Pierre Orefice

co-auteur du projet avec François Delarozière 180 Des mille fleurs à la verdure

Didier Le Fur

historien 192 Les plantes dans les Grandes Heures

d’Anne de Bretagne Michèle Bilimoff historienne

196 Branches, lianes et feuilles, le végétal

en images

Cyrille Sciama conservateur adjoint, musée des Beaux-Arts, Nantes 202 Horizon bucolique

Mai Tran

214 Le végétal dans les peintures murales

Christian Davy

chercheur à l’Inventaire des Pays de la Loire 220 Du bois des îles aux meubles de port :

Cuba et Saint-Domingue

entretien avec Bruno Comps 222 La mort noble : les photographies

de Jean-Paul Texier Benoît Decron

conservateur en chef, musée de l’Abbaye SainteCroix, Les Sables-d’Olonne 226 La musique verte ou les sonorités des plantes

Jean-Yves Bosseur chercheur au CNRS

230 Le Festival des jardins de Chaumont-sur-Loire

Chantal Colleu-Dumont

Végétal et métier 240 Quand l’environnement devient

thérapeutique

Dominique Marbœuf responsable du service Espaces verts,   Centre hospitalier Georges Mazurelle 244 Production actuelle des plantes médicinales

Philippe Gallotte

président de l’Association du jardin médicinal 250 L’élagueur, un amoureux des arbres

Remy Salvadore xxxxxxxx

252 Le bois, matériau d’hier et d’aujourd’hui

Daniel Prud’homme

importateur de bois 256 Le maraîcher nantais, homme de culture

et artiste de variétés

Nicolas de la Casinière journaliste 259 Les maraîchers nantais

entretien avec Philippe Retière

président de la fédération départementale  des maraîchers nantais 266 Les Floralies, le pouvoir des fleurs

Nathalie Perdoncin journaliste

268 Un siècle de recherche sur le végétal en Anjou

Jean-Luc Gaignard

ingénieur de recherche INRA Angers-Nantes, directeur de Terre des Sciences 271 Angers, capitale des formations

d’ingénieurs du végétal Corinne Bouchoux

directrice de l’enseignement de la vie étudiante et François Colson, directeur de l’Institut national d’Horticulture (INH) 273 L’évolution du métier de jardinier

Jean-Michel Marchandeau

xxxxxxxxx 276 Quand notre jardin devient refuge

Étienne de Quatre Barbes xxxxxxx

directrice du Festival des jardins de Chaumont-sur-Loire

8

303 / NA 103 / 08

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Sur la piste des « c hasseurs » de plantes Au Moyen Âge, les plantes, soumises à des pra-

ment des voyages de savants dans les pays loin-

Tournefort à l’Académie royale des sciences,

années au Cap, durant lesquelles il effectua de

détaillée de leurs usages et de leur distribution

Il revint avec six mille plantes nouvelles dont

tiques mi-religieuses, mi-magiques, entraient

tains. Il décida ainsi Louis XIV à envoyer le père

Michel Sarrazin (1659-1734) parcourut la Nou-

longues expéditions à l’intérieur des terres (au

géographique.

beaucoup d’orchidées et de rhododendrons

dans la composition de breuvages aux pouvoirs

Charles Plumier (1646-1706) aux Antilles pour

velle-France, consacrant une large part de son

moins cinq mille kilomètres !), se déplaçant la

Avec le développement de l’exploration du

(quarante-trois espèces nouvelles). Une équipe

parfois obscurs... On pensait que le cycle des

y réaliser des collectes. Celui-ci décrira cent six

activité à recueillir et envoyer au Jardin du roi

plupart du temps en charrette à bœufs. Il entretint

monde, les connaissances botaniques connurent

de cinquante-six personnes – porteurs, collec-

astres réglait leur croissance et la fluctuation

genres nouveaux ! Élève de Bernard de Jussieu

– pendant plus de vingt ans ! – des spécimens,

des relations amicales avec les populations hot-

un essor sans précédent. Chaque continent fit

teurs de plantes, cuisiniers, gardes, interprète –,

de leurs pouvoirs au long de l’année. Cette prise

au Jardin du roi, Michel Adanson (1727-1806)

secs ou vivants, accompagnés de mémoires. Un

tentotes et affronta maintes épreuves : naufrage

l’objet de grandes prospections qui donnèrent

accompagnait Hooker lors de son expédition !

en compte de l’astrologie était ainsi essentielle

partit pour le Sénégal avec un poste de commis

catalogue des plantes envoyées par lui au Jardin

dans des oueds en crue, redoutables frayeurs face

lieu à la publication de nombreuses flores, décri-

Pour pallier la perte de son monopole en

à leur cueillette : on préférait le décours de la

de la Compagnie des Indes. Ayant appris le wolof,

du roi recense quelque deux cents espèces

à des taureaux ou des lions auxquels il échappa

vant des formes d’une extraordinaire diversité.

Chine, la Compagnie des Indes orientales en-

lune pour celle du chiendent, et le moment où

il parcourut pendant quatre ans les environs de

canadiennes. « On n’herborise pas au Canada

en grimpant aux arbres… Une quinzaine de fois,

Dans les années 1830, une innovation améliora

treprit d’établir ses propres productions de thé

elle passe dans le signe du Bélier pour celle de

l’établissement français à la recherche d’espèces

comme en France, précisait-il. Je parcourrais

Thunberg escalada la célèbre montagne de la

considérablement le transport des plantes par

aux Indes. En 1848, elle engagea les services de

la camomille. Un lourd mystère entourait ainsi les

nouvelles. Son audace était telle que les indi-

plus aisément toute l’Europe et avec moins de

Table, haut lieu de la diversité botanique. Il en-

mer, jusqu’alors soumises à l’assaut des vagues

Robert Fortune (1812-1880), collecteur officiel

« cueilleurs » de plantes qui, un peu sorciers, un

gènes refusaient parfois de l’accompagner dans

danger que je ne ferais cent lieues au Canada,

voya à Linné de nombreuses proteas, endémiques

et au manque d’eau douce. Le médecin Nathaniel

de la Royal Horticultural Society, afin qu’il se

peu devins, choisissaient une certaine phase de

ses courses périlleuses ! Adanson rapporta une

et avec plus de péril. » Nature sauvage, froid in-

de ces contrées, géraniums, bruyères, etc. Sa

Ward inventa en effet une caisse, vitrée et étanche,

rende en Chine et s’y procure les meilleures va-

la lune ou une heure de la nuit pour aller prélever

collection remarquable : son herbier, conservé au

tense, menace des Iroquois rendaient en effet

Flore du Cap lui valut le titre de « père de la bo-

dans laquelle les végétaux pouvaient vivre,

riétés de thé. Téméraire et expérimenté, Fortune

les simples aux vertus secrètes. « Ils s’enfonçaient

Muséum, compte plus de trente mille plantes !

risquées ces prospections naturalistes…

tanique sud-africaine ».

sans air renouvelé, pendant les mois que durait

apprit le mandarin, adopta les vêtements locaux,

dans les recoins les plus profonds, les forêts les

Sa Description du baobab, qu’il découvrit et que

En 1779, à la demande de l’abbé Nolin, di-

Alexandre de Humboldt, le riche baron

le voyage vers l’Europe. Par ailleurs, l’ère indus-

se rasa la tête pour se fondre discrètement

plus obscures, gravissaient les ravins les plus es-

Linné nomma Adansonia digitata, fut présentée

recteur des pépinières de Rambouillet, André

prussien, et le naturaliste Aimé Bonpland effec-

trielle du XIXe siècle permit la construction de

dans la population. Confronté aux ouragans de

carpés, ramassant partout, à droite et à gauche,

à l’Académie des sciences.

Michaux (1746-1803), « correspondant du Cabinet

tuèrent un long périple en Amérique du Sud

serres vitrées fonctionnelles. Dans les années

la mer Jaune ou aux attaques de pirates sur le

du Jardin du roi », fut chargé d’explorer les forêts

(1799-1804) où ils rassemblèrent une incroyable

1830, le richissime collectionneur William George

Yang-tseu-kiang, Fortune parvint toutefois à

étiquetant d’un signe mystérieux, le produit de

Au cours du XVIIIe siècle, plusieurs ecclé-

leurs recherches noctambules » (Castiglioni, Re-

siastiques menèrent de magnifiques collectes

nord-américaines pour y rechercher les espèces

quantité d’informations sur les sciences natu-

Spencer Cavendish,

duc du Devonshire, fit

dérober des plants de thé. En 1851, il rapporta

vue d’Histoire de la Pharmacie, 1935).

en Chine, jouant ainsi un rôle majeur dans l’in-

susceptibles d’être acclimatées en France. Après

relles, les coutumes locales, la répartition des

construire une magnifique serre, conçue par

plus de vingt mille jeunes plants aux Indes ! Des

Dans les immenses futaies de la Mandchourie,

troduction en Europe de végétaux asiatiques.

une longue série de conflits avec l’Angleterre,

végétaux… Partis du Venezuela, ils descendirent

Joseph Paxton, dans sa propriété de Chatsworth.

plantations furent établies dans l’Assam et le

des trappeurs solitaires récoltaient autrefois les

Correspondant du Jardin du roi, le père jésuite

la France se trouvait alors dépouillée de son

l’impétueux fleuve Orénoque, leur fragile petit

Celui-ci créera quelques années plus tard

Sikkim, et le thé devint le principal produit d’ex-

précieuses racines de la « plante-homme », l’étrange

Pierre Nicolas Le Chéron d’Incarville (1706-

meilleur bois, utilisé pour la construction des

bateau dansant sur des eaux où pullulaient

l’époustouflant Crystal Palace qui allait défini-

portation des Indes durant la seconde moitié

ginseng, si recherché par la pharmacopée chinoise

1757) fit parvenir à Bernard de Jussieu un her-

vaisseaux de guerre. Michaux réalisa d’immenses

caïmans et piranhas. « La petitesse des canots

tivement sceller la passion des amateurs pour

du XIXe siècle. Il est aussi à l’origine de l’intro-

pour ses bienfaits tonifiants. Sa rareté et son prix

bier comprenant quelque trois cents plantes,

explorations dans l’Amérique du Nord, de la

dans lesquels nous avons été renfermés des

les serres.

duction en Angleterre du kumquat (Fortunella),

élevé avaient suscité l’apparition d’un type spéci-

dont beaucoup portaient d’ailleurs la mention

Floride jusqu’au Canada. Remontant la rivière

mois entiers, le climat brûlant de ces régions,

En 1825, Thomas Drummond (1780-1835) em-

fique de « chasseurs ». Chaque mois de juin, ceux-

« arbor incognita sinarum », « arbre chinois

Saguenay en canot d’écorce, il traversa un terri-

la multitude d’insectes venimeux, l’humidité

barqua avec le capitaine John Franklin pour ex-

ci s’en allaient à pied, sans armes ni bagages,

inconnu ». Ces découvertes importantes res-

toire inexploré vers le lac Mistassini et approcha

de l’air, qui est l’effet des pluies continuelles,

plorer la côte arctique du Canada. Abandonnant

Plusieurs missionnaires, partis évangéliser

forts seulement de la ferme croyance que l’esprit

tèrent toutefois longtemps méconnues et ne

même la baie d’Hudson, qu’il ne put atteindre

et le manque de papier que l’on éprouve

rapidement l’expédition, Drummond gagna les

la Chine, parvinrent à mener de front leur apos-

des monts et des bois les aiderait dans leur

furent étudiées que dans les années 1880, par

à cause de l’arrivée imminente de l’hiver. D’une

souvent malgré toutes les précautions, sont

Rocheuses et navigua sur les rivières Columbia

tolat et leur passion pour la botanique. Menant

entreprise. Au cours de sa randonnée, le chas-

le botaniste Franchet. D’Incarville rapporta no-

résistance extraordinaire, Michaux faisait à pied

des obstacles que ne peuvent sentir que ceux

et Saskatchewan. Seul dans les montagnes, il

une existence particulièrement rude, certains

seur traçait sur des arbres de la taïga des signes

tamment le kiwi (Actinidia sinensis), l’Incarvillea

des étapes de plus de cinquante kilomètres, tout

qui se sont trouvés dans des situations sem-

identifia mille cinq cents spécimens de plantes

restèrent isolés pendant plusieurs années sans

conventionnels afin que d’autres chercheurs de

sinensis que lui dédia Jussieu, et le premier pied

en notant en route les plantes qu’il rencontrait,

blables » (Plantes équinoxiales recueillies au

nouvelles. Il affronta des froids intenses, échappa

rencontrer un seul Occidental, et beaucoup y

ginseng ne perdent pas de temps à parcourir les

de sophora du Japon (Sophora japonica), planté

dormait à la belle étoile, crevait ses chevaux

Mexique, 1808). Malgré les difficultés du voyage,

aux dents d’un grizzly furieux et à une tempête

laissèrent la vie. Mais leur curiosité insatiable et

mêmes lieux. Lorsqu’il avait trouvé la plante dé-

en 1747 au Jardin du roi.

6e

du palmier chanvre (Trachycarpus fortuneii), de pivoines, azalées, chrysanthèmes, etc.

avec des marches forcées. Sur le territoire des

Bonpland prépara des milliers d’échantillons de

dans la baie d’Hudson. À son retour, il devint

leurs observations minutieuses firent merveille

sirée, le chasseur se prosternait et récitait une

En 1735, l’expédition dite des « Académiciens

Indiens Cherokee, il put ainsi découvrir diffé-

plantes séchées. La publication de leurs collec-

conservateur du jardin botanique de Belfast.

dans ces contrées à la flore si riche. Correspon-

prière. À l’aspect de la plante, il déterminait sa

au Pérou », destinée à mesurer un arc de méri-

rents rhododendrons nouveaux. En dix ans, il

tions par le professeur Kunth décrivit plus de

Il a collecté de nombreuses plantes dont beaucoup

dant du Muséum puis de l’Académie des sciences,

valeur ; s’il la jugeait trop petite, il la laissait vivre

dien à l’équateur, fut dirigée par Charles Marie

expédia en France plus de soixante mille pieds

quatre mille cinq cents espèces de plantes, la

seront introduites pour la première fois en Europe ;

le père Armand David (1826-1900) mena ainsi

encore un, deux ou trois ans…

de La Condamine. Chargé d’étudier les ressources

d’arbres (chênes, érables, noyers…) et quatre-

plupart nouvelles.

plusieurs d’entre elles, tel le Phlox drummondii,

de 1862 à 1874 plusieurs voyages d’exploration

Au XVIIIe siècle, à l’initiative du Jardin du

végétales du pays, le médecin Joseph de Jussieu

vingt-dix caisses de graines ! Son herbier est

Originaire de Couëron, près de Nantes, le

lui sont dédiées.

en Chine, en Mongolie, au Tibet. D’une force de

roi ou de l’Académie des sciences, des natura-

arpenta le Pérou dans des conditions matérielles

aujourd’hui conservé au Musée national d’histoire

naturaliste Alcide Dessalines d’Orbigny (1802-

Succédant à son père, Sir William Hooker,

travail hors du commun, il découvrit plus de deux

listes furent missionnés dans le monde entier

des plus sommaires, étudia les plantes de la

naturelle à Paris.

1857) fut chargé par le Muséum de Paris d’un

à la direction des Jardins botaniques de Kew,

mille espèces de plantes, sans compter le millier

pour prospecter des régions encore inconnues

Cordillère des Andes, notamment « l’arbre à

Vers la même époque, le grand naturaliste

grand voyage scientifique dans l’Amérique du

Joseph Dalton Hooker fut l’une des grandes

de spécimens perdus lors d’un naufrage. « Deux

des Européens et notamment en rapporter

quinquina » et « la coca ». Il envoya au Jardin du

suédois Linné dépêcha en Afrique australe un de

Sud. Il en rapporta notamment une collection

figures de la botanique britannique du XIXe siècle.

couvertures pour coucher sur une simple planche

des plantes nouvelles. Guy-Crescent Fagon,

roi plusieurs caisses d’échantillons, mais beau-

ses élèves, Carl-Peter Thunberg (1743-1828), pour

de trois mille plantes et une magnifique série

De 1848 à 1851, il organisa une vaste mission

et une seule bouteille d’eau-de-vie comme mé-

premier médecin du roi et intendant du Jardin

coup se perdirent hélas en route. « Médecin du

y étudier une flore encore inconnue qui s’avérera

de dessins d’une cinquantaine d’espèces de

dans le Nord de l’Inde – Sikkim et Himalaya –

dicament, voilà ce qu’il emportait pour une ab-

des plantes, initia une politique d’encourage-

roi en Canada » et correspondant du botaniste

la plus riche du monde ! Thunberg demeura trois

palmiers, accompagnés d’une description très

pour collecter des plantes destinées à Kew.

sence d’un an. Pour ce qui est de la nourriture,

12

303 / NA 103 / 08

13


Sur la piste des « c hasseurs » de plantes Au Moyen Âge, les plantes, soumises à des pra-

ment des voyages de savants dans les pays loin-

Tournefort à l’Académie royale des sciences,

années au Cap, durant lesquelles il effectua de

détaillée de leurs usages et de leur distribution

Il revint avec six mille plantes nouvelles dont

tiques mi-religieuses, mi-magiques, entraient

tains. Il décida ainsi Louis XIV à envoyer le père

Michel Sarrazin (1659-1734) parcourut la Nou-

longues expéditions à l’intérieur des terres (au

géographique.

beaucoup d’orchidées et de rhododendrons

dans la composition de breuvages aux pouvoirs

Charles Plumier (1646-1706) aux Antilles pour

velle-France, consacrant une large part de son

moins cinq mille kilomètres !), se déplaçant la

Avec le développement de l’exploration du

(quarante-trois espèces nouvelles). Une équipe

parfois obscurs... On pensait que le cycle des

y réaliser des collectes. Celui-ci décrira cent six

activité à recueillir et envoyer au Jardin du roi

plupart du temps en charrette à bœufs. Il entretint

monde, les connaissances botaniques connurent

de cinquante-six personnes – porteurs, collec-

astres réglait leur croissance et la fluctuation

genres nouveaux ! Élève de Bernard de Jussieu

– pendant plus de vingt ans ! – des spécimens,

des relations amicales avec les populations hot-

un essor sans précédent. Chaque continent fit

teurs de plantes, cuisiniers, gardes, interprète –,

de leurs pouvoirs au long de l’année. Cette prise

au Jardin du roi, Michel Adanson (1727-1806)

secs ou vivants, accompagnés de mémoires. Un

tentotes et affronta maintes épreuves : naufrage

l’objet de grandes prospections qui donnèrent

accompagnait Hooker lors de son expédition !

en compte de l’astrologie était ainsi essentielle

partit pour le Sénégal avec un poste de commis

catalogue des plantes envoyées par lui au Jardin

dans des oueds en crue, redoutables frayeurs face

lieu à la publication de nombreuses flores, décri-

Pour pallier la perte de son monopole en

à leur cueillette : on préférait le décours de la

de la Compagnie des Indes. Ayant appris le wolof,

du roi recense quelque deux cents espèces

à des taureaux ou des lions auxquels il échappa

vant des formes d’une extraordinaire diversité.

Chine, la Compagnie des Indes orientales en-

lune pour celle du chiendent, et le moment où

il parcourut pendant quatre ans les environs de

canadiennes. « On n’herborise pas au Canada

en grimpant aux arbres… Une quinzaine de fois,

Dans les années 1830, une innovation améliora

treprit d’établir ses propres productions de thé

elle passe dans le signe du Bélier pour celle de

l’établissement français à la recherche d’espèces

comme en France, précisait-il. Je parcourrais

Thunberg escalada la célèbre montagne de la

considérablement le transport des plantes par

aux Indes. En 1848, elle engagea les services de

la camomille. Un lourd mystère entourait ainsi les

nouvelles. Son audace était telle que les indi-

plus aisément toute l’Europe et avec moins de

Table, haut lieu de la diversité botanique. Il en-

mer, jusqu’alors soumises à l’assaut des vagues

Robert Fortune (1812-1880), collecteur officiel

« cueilleurs » de plantes qui, un peu sorciers, un

gènes refusaient parfois de l’accompagner dans

danger que je ne ferais cent lieues au Canada,

voya à Linné de nombreuses proteas, endémiques

et au manque d’eau douce. Le médecin Nathaniel

de la Royal Horticultural Society, afin qu’il se

peu devins, choisissaient une certaine phase de

ses courses périlleuses ! Adanson rapporta une

et avec plus de péril. » Nature sauvage, froid in-

de ces contrées, géraniums, bruyères, etc. Sa

Ward inventa en effet une caisse, vitrée et étanche,

rende en Chine et s’y procure les meilleures va-

la lune ou une heure de la nuit pour aller prélever

collection remarquable : son herbier, conservé au

tense, menace des Iroquois rendaient en effet

Flore du Cap lui valut le titre de « père de la bo-

dans laquelle les végétaux pouvaient vivre,

riétés de thé. Téméraire et expérimenté, Fortune

les simples aux vertus secrètes. « Ils s’enfonçaient

Muséum, compte plus de trente mille plantes !

risquées ces prospections naturalistes…

tanique sud-africaine ».

sans air renouvelé, pendant les mois que durait

apprit le mandarin, adopta les vêtements locaux,

dans les recoins les plus profonds, les forêts les

Sa Description du baobab, qu’il découvrit et que

En 1779, à la demande de l’abbé Nolin, di-

Alexandre de Humboldt, le riche baron

le voyage vers l’Europe. Par ailleurs, l’ère indus-

se rasa la tête pour se fondre discrètement

plus obscures, gravissaient les ravins les plus es-

Linné nomma Adansonia digitata, fut présentée

recteur des pépinières de Rambouillet, André

prussien, et le naturaliste Aimé Bonpland effec-

trielle du XIXe siècle permit la construction de

dans la population. Confronté aux ouragans de

carpés, ramassant partout, à droite et à gauche,

à l’Académie des sciences.

Michaux (1746-1803), « correspondant du Cabinet

tuèrent un long périple en Amérique du Sud

serres vitrées fonctionnelles. Dans les années

la mer Jaune ou aux attaques de pirates sur le

du Jardin du roi », fut chargé d’explorer les forêts

(1799-1804) où ils rassemblèrent une incroyable

1830, le richissime collectionneur William George

Yang-tseu-kiang, Fortune parvint toutefois à

étiquetant d’un signe mystérieux, le produit de

Au cours du XVIIIe siècle, plusieurs ecclé-

leurs recherches noctambules » (Castiglioni, Re-

siastiques menèrent de magnifiques collectes

nord-américaines pour y rechercher les espèces

quantité d’informations sur les sciences natu-

Spencer Cavendish,

duc du Devonshire, fit

dérober des plants de thé. En 1851, il rapporta

vue d’Histoire de la Pharmacie, 1935).

en Chine, jouant ainsi un rôle majeur dans l’in-

susceptibles d’être acclimatées en France. Après

relles, les coutumes locales, la répartition des

construire une magnifique serre, conçue par

plus de vingt mille jeunes plants aux Indes ! Des

Dans les immenses futaies de la Mandchourie,

troduction en Europe de végétaux asiatiques.

une longue série de conflits avec l’Angleterre,

végétaux… Partis du Venezuela, ils descendirent

Joseph Paxton, dans sa propriété de Chatsworth.

plantations furent établies dans l’Assam et le

des trappeurs solitaires récoltaient autrefois les

Correspondant du Jardin du roi, le père jésuite

la France se trouvait alors dépouillée de son

l’impétueux fleuve Orénoque, leur fragile petit

Celui-ci créera quelques années plus tard

Sikkim, et le thé devint le principal produit d’ex-

précieuses racines de la « plante-homme », l’étrange

Pierre Nicolas Le Chéron d’Incarville (1706-

meilleur bois, utilisé pour la construction des

bateau dansant sur des eaux où pullulaient

l’époustouflant Crystal Palace qui allait défini-

portation des Indes durant la seconde moitié

ginseng, si recherché par la pharmacopée chinoise

1757) fit parvenir à Bernard de Jussieu un her-

vaisseaux de guerre. Michaux réalisa d’immenses

caïmans et piranhas. « La petitesse des canots

tivement sceller la passion des amateurs pour

du XIXe siècle. Il est aussi à l’origine de l’intro-

pour ses bienfaits tonifiants. Sa rareté et son prix

bier comprenant quelque trois cents plantes,

explorations dans l’Amérique du Nord, de la

dans lesquels nous avons été renfermés des

les serres.

duction en Angleterre du kumquat (Fortunella),

élevé avaient suscité l’apparition d’un type spéci-

dont beaucoup portaient d’ailleurs la mention

Floride jusqu’au Canada. Remontant la rivière

mois entiers, le climat brûlant de ces régions,

En 1825, Thomas Drummond (1780-1835) em-

fique de « chasseurs ». Chaque mois de juin, ceux-

« arbor incognita sinarum », « arbre chinois

Saguenay en canot d’écorce, il traversa un terri-

la multitude d’insectes venimeux, l’humidité

barqua avec le capitaine John Franklin pour ex-

ci s’en allaient à pied, sans armes ni bagages,

inconnu ». Ces découvertes importantes res-

toire inexploré vers le lac Mistassini et approcha

de l’air, qui est l’effet des pluies continuelles,

plorer la côte arctique du Canada. Abandonnant

Plusieurs missionnaires, partis évangéliser

forts seulement de la ferme croyance que l’esprit

tèrent toutefois longtemps méconnues et ne

même la baie d’Hudson, qu’il ne put atteindre

et le manque de papier que l’on éprouve

rapidement l’expédition, Drummond gagna les

la Chine, parvinrent à mener de front leur apos-

des monts et des bois les aiderait dans leur

furent étudiées que dans les années 1880, par

à cause de l’arrivée imminente de l’hiver. D’une

souvent malgré toutes les précautions, sont

Rocheuses et navigua sur les rivières Columbia

tolat et leur passion pour la botanique. Menant

entreprise. Au cours de sa randonnée, le chas-

le botaniste Franchet. D’Incarville rapporta no-

résistance extraordinaire, Michaux faisait à pied

des obstacles que ne peuvent sentir que ceux

et Saskatchewan. Seul dans les montagnes, il

une existence particulièrement rude, certains

seur traçait sur des arbres de la taïga des signes

tamment le kiwi (Actinidia sinensis), l’Incarvillea

des étapes de plus de cinquante kilomètres, tout

qui se sont trouvés dans des situations sem-

identifia mille cinq cents spécimens de plantes

restèrent isolés pendant plusieurs années sans

conventionnels afin que d’autres chercheurs de

sinensis que lui dédia Jussieu, et le premier pied

en notant en route les plantes qu’il rencontrait,

blables » (Plantes équinoxiales recueillies au

nouvelles. Il affronta des froids intenses, échappa

rencontrer un seul Occidental, et beaucoup y

ginseng ne perdent pas de temps à parcourir les

de sophora du Japon (Sophora japonica), planté

dormait à la belle étoile, crevait ses chevaux

Mexique, 1808). Malgré les difficultés du voyage,

aux dents d’un grizzly furieux et à une tempête

laissèrent la vie. Mais leur curiosité insatiable et

mêmes lieux. Lorsqu’il avait trouvé la plante dé-

en 1747 au Jardin du roi.

6e

du palmier chanvre (Trachycarpus fortuneii), de pivoines, azalées, chrysanthèmes, etc.

avec des marches forcées. Sur le territoire des

Bonpland prépara des milliers d’échantillons de

dans la baie d’Hudson. À son retour, il devint

leurs observations minutieuses firent merveille

sirée, le chasseur se prosternait et récitait une

En 1735, l’expédition dite des « Académiciens

Indiens Cherokee, il put ainsi découvrir diffé-

plantes séchées. La publication de leurs collec-

conservateur du jardin botanique de Belfast.

dans ces contrées à la flore si riche. Correspon-

prière. À l’aspect de la plante, il déterminait sa

au Pérou », destinée à mesurer un arc de méri-

rents rhododendrons nouveaux. En dix ans, il

tions par le professeur Kunth décrivit plus de

Il a collecté de nombreuses plantes dont beaucoup

dant du Muséum puis de l’Académie des sciences,

valeur ; s’il la jugeait trop petite, il la laissait vivre

dien à l’équateur, fut dirigée par Charles Marie

expédia en France plus de soixante mille pieds

quatre mille cinq cents espèces de plantes, la

seront introduites pour la première fois en Europe ;

le père Armand David (1826-1900) mena ainsi

encore un, deux ou trois ans…

de La Condamine. Chargé d’étudier les ressources

d’arbres (chênes, érables, noyers…) et quatre-

plupart nouvelles.

plusieurs d’entre elles, tel le Phlox drummondii,

de 1862 à 1874 plusieurs voyages d’exploration

Au XVIIIe siècle, à l’initiative du Jardin du

végétales du pays, le médecin Joseph de Jussieu

vingt-dix caisses de graines ! Son herbier est

Originaire de Couëron, près de Nantes, le

lui sont dédiées.

en Chine, en Mongolie, au Tibet. D’une force de

roi ou de l’Académie des sciences, des natura-

arpenta le Pérou dans des conditions matérielles

aujourd’hui conservé au Musée national d’histoire

naturaliste Alcide Dessalines d’Orbigny (1802-

Succédant à son père, Sir William Hooker,

travail hors du commun, il découvrit plus de deux

listes furent missionnés dans le monde entier

des plus sommaires, étudia les plantes de la

naturelle à Paris.

1857) fut chargé par le Muséum de Paris d’un

à la direction des Jardins botaniques de Kew,

mille espèces de plantes, sans compter le millier

pour prospecter des régions encore inconnues

Cordillère des Andes, notamment « l’arbre à

Vers la même époque, le grand naturaliste

grand voyage scientifique dans l’Amérique du

Joseph Dalton Hooker fut l’une des grandes

de spécimens perdus lors d’un naufrage. « Deux

des Européens et notamment en rapporter

quinquina » et « la coca ». Il envoya au Jardin du

suédois Linné dépêcha en Afrique australe un de

Sud. Il en rapporta notamment une collection

figures de la botanique britannique du XIXe siècle.

couvertures pour coucher sur une simple planche

des plantes nouvelles. Guy-Crescent Fagon,

roi plusieurs caisses d’échantillons, mais beau-

ses élèves, Carl-Peter Thunberg (1743-1828), pour

de trois mille plantes et une magnifique série

De 1848 à 1851, il organisa une vaste mission

et une seule bouteille d’eau-de-vie comme mé-

premier médecin du roi et intendant du Jardin

coup se perdirent hélas en route. « Médecin du

y étudier une flore encore inconnue qui s’avérera

de dessins d’une cinquantaine d’espèces de

dans le Nord de l’Inde – Sikkim et Himalaya –

dicament, voilà ce qu’il emportait pour une ab-

des plantes, initia une politique d’encourage-

roi en Canada » et correspondant du botaniste

la plus riche du monde ! Thunberg demeura trois

palmiers, accompagnés d’une description très

pour collecter des plantes destinées à Kew.

sence d’un an. Pour ce qui est de la nourriture,

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303 / NA 103 / 08

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1

2

1

celle qu’il trouvait sous la tente du Mongol ou

mais traversait seul, à pied, les montagnes à

un grand succès. Capturé et torturé par des

dans les huttes chinoises lui était toujours suf-

la recherche d’espèces d’altitude, susceptibles

moines tibétains, Soulié connut une fin tragique.

fisante. Il n’avait donc pas de caravane, pas de

d’être adaptées aux jardins européens. Au cours

Cependant, ce n’est pas toujours dans les lieux

porteurs, il se contentait d’un chameau ou de

d’une dizaine d’années, le Muséum reçut de lui

les plus reculés du globe que les botanistes

deux mules » (Alphonse Milne-Edwards, direc-

quelque deux cent mille spécimens, composés

étaient exposés aux plus grands dangers.

teur du Muséum, 1894).

de plus de quatre mille espèces dont mille cinq

L’abbé Jean-Marie Delalande, professeur d’histoire

Le père Jean Marie Delavay (1834-1895), de la

cents nouvelles ! Le père Delavay continua ses

naturelle au Petit Séminaire de Nantes, passait

Société des Missions étrangères, fut envoyé en

investigations sur la flore du Yunnan jusqu’en

ainsi de longs moments à parcourir marais et

Chine, à Hui-chou, à l’est de Canton, en 1867. Il di-

1888, quand il contracta la peste bubonique.

bois, îles et rivages, à la recherche d’échantillons

rigea plusieurs districts, s’occupant notamment

Invalide d’un bras, il poursuivit pourtant ses

botaniques nouveaux ; lors d’une simple herbo-

du rachat de femmes annamites enlevées par

explorations. Quelques-unes des plantes qu’il

risation dans le Marais poitevin, il contracta, en

des pirates ! Lors d’un court séjour en France, il

découvrit furent introduites, telles des Deutzia et

1851, une fièvre paludéenne qui lui fut fatale.

rencontra le père Armand David, qui le convain-

l’lncarvillea delavayi.

Au milieu du XIXe siècle, des navires nantais

quit de collecter pour Adrien Franchet, botaniste

Le père Jean-André Soulié (1858-1905), en-

assuraient le fret entre les Indes et les îles de l’océan

au Muséum. De retour en Chine, il effectua des

voyé dans la région peu connue située entre la

Indien. Passionné de botanique, le capitaine

explorations dans les montagnes du nord-ouest

Chine et le Tibet, y fit quantité de collectes, aidé

Mathurin-Jean Armange (1801 à Taden, Côtes-

du Yunnan, une des régions du monde les plus

par sa parfaite connaissance des dialectes et un

d’Armor-1877 à Nantes) profita de ces voyages

riches pour la botanique. Il fit soixante fois l’as-

mimétisme qui lui permettait de se déguiser à

pour collecter et alimenter en milliers de graines et

cension du mont Tsemei-shan, dans les collines

la perfection en marchand pour prendre place

de plantes vivantes de l’océan Indien le Muséum

du Tali-Fu ! Il n’employait pas de porteurs pour

dans des caravanes. Parmi les plantes qu’il in-

de Paris, le Jardin des plantes de Nantes et la Société

transporter son équipement et ses collections

troduisit en France, le Buddleia variabilis connut

nantaise d’horticulture. De Bourbon à Calcutta,

14

303 / NA 103 / 08

Cattleya rex. Revue horticole, 1894. © Bibliothèque centrale. Muséum national d’histoire naturelle.

Dans les années 1880, cette magnifique orchidée épiphyte donna lieu à des recherches des plus aventureuses dans les profondeurs du Brésil.

2

Amorphophallus campanulatus. Carl Ludwig Blume, Rumphia, 1835-1848 © Bibliothèque centrale.

Muséum national d’histoire naturelle. Cette aracée géante asiatique émet une énorme inflorescence violacée et son tubercule, comestible, pèse jusqu’à 10 kilos !

de Coromandel à Madagascar, les plantes voya-

orchidées, etc., des régions les plus reculées du

Antique Collectors’ Club, Kew Royal Botanic

geaient par caisses sur le navire de l’intrépide

globe. En 1877, les pépinières anglaises Veitch,

Gardens, 1999, 286 p.

capitaine, avant de reprendre racine dans

basées à Chelsea, confièrent ainsi à Frederick

différents jardins des plantes. En 1844, pour

William Burbidge, jardinier aux jardins de Kew,

satisfaire à des demandes du Muséum, Richard,

la délicate mission de pénétrer les forêts encore

directeur du Jardin botanique de l’île Bourbon,

mystérieuses de Bornéo. Mais l’accès de l’île

et Bernier, chirurgien de marine, entreprirent

et le contact avec les indigènes, dont certains

une longue excursion dans les forêts des hauts de

étaient des chasseurs de têtes, s’avéraient des

l’île. Mais celle-ci tourna au drame. Surpris par un

plus incertains. Burbidge réussit pourtant un

ouragan, ils furent blessés et cinq indigènes qui les

grand périple dans les profondeurs des jungles

accompagnaient perdirent la vie. Armange en ré-

de l’île, et monta une des premières expédi-

digea le récit afin « de faire apprécier les dangers

tions sur le mont Kinabalu, à la biodiversité ex-

qu’encourent ceux qui cherchent aux dépens

ceptionnelle. La collecte de la Nepenthes rajah,

de leur vie, à enrichir la science de nouvelles dé-

plante carnivore à l’urne haute de 40 centimètres,

couvertes ». À la lecture du récit, Mirbel, direc-

fit se pâmer plus d’un collectionneur ! Pour le

teur du Muséum, s’écria : « Le tableau que vous

compte du gouvernement belge, Jean Linden

me tracez de l’affreuse position où se sont trou-

réalisa trois grandes expéditions en Amérique

vés les intrépides et généreux voyageurs qui bra-

centrale et du Sud (1835-1845) dont il importa

vaient tant de périls m’a ému jusqu’aux larmes.

près de deux mille espèces de plantes vivantes !

L’héroïsme poussé jusqu’à ce point est désavoué

Il fut l’un des premiers à fournir des informations

par la raison. La perte de M. Richard serait une ca-

détaillées sur les conditions de vie des orchi-

lamité pour la colonie et un malheur pour le Jardin

dées, découvrant que certaines s’épanouissent

du roi qui a eu souvent recours à lui ! »

jusque sur les hauts plateaux de la Cordillère des

Le monde de l’horticulture s’enflammait

Andes, à plus de 3 000 mètres d’altitude ! Linden

pour ces beautés tropicales et les collectionneurs

créa ensuite une grande pépinière à Bruxelles,

étaient prêts à les payer des fortunes. Pour ré-

L’Horticulture internationale, qui rivalisa de noto-

pondre à l’insatiable appétit des riches amateurs,

riété avec celles des grands importateurs anglais.

de grands établissements horticoles anglais

Dans son catalogue de « plantes d’élite » de

et belges envoyèrent des hommes à la recherche

1855, il proposait ainsi avec fierté la belle bromé-

de ces trésors. Périlleuses et coûteuses, ces

liacée Pitcairnia nubigena : « Enfant des brumes

explorations reposaient sur l’efficacité de ces

des montagnes colombiennes, elle habite à

« chasseurs », jeunes aventuriers prêts à tout

8 000-9 000 pieds d’altitude, dans le “ paramos

pour rapporter à bon port les précieux végétaux.

de los correjos ” (Mérida, Venezuela), dont les

Confrontés aux pires difficultés sur le terrain, il

crêtes, parfois couvertes de neige, surplombent

leur fallait non seulement réussir leur mission,

les immenses forêts vierges qui s’étendent

mais survivre. Des bords de l’Amazone aux jungles

jusqu’au bord du lac Maracaybo… »

Fortune, R., Two visits to the tea countries of China and the British tea plantations in the Himalaya, Londres, J. Murray, 2 vol., 1853. Short, Ph., In pursuit of plants, Timber Press, 2003, 351 p. Vadon, C., Intrépides chasseurs de plantes (titre provisoire), Éditions Jean-Pierre de Monza, à paraître.

indiennes, ils parcouraient des milliers de kilomètres, traversaient forêts humides, savanes brûlantes et marécages infestés de moustiques. Pour parvenir à s’attribuer, seul, ces richesses,

Catherine Vadon

toutes les stratégies étaient de mise. Beaucoup

Bibliographie

connurent des aventures tragiques, certains ne

Burbidge, F. W., The gardens of the sun ; or, A natura-

revinrent jamais de leur mission. Les établissements de Frederick Sander, à Saint-Albans, près de Londres, comptaient dans leur clientèle les plus grosses fortunes de l’aristocratie. Ils employaient plus de vingt de ces « chasseurs » qui leur rapportaient azalées, bégonias, cactus,

list’s journal on the mountains and in the forests and swamps of Borneo and the Sulu archipelago,  Londres, J. Murray, 1880, 364 p. Desmond, R., Sir Joseph Dalton Hooker : traveller and plant collector, Woodbridge, Suffolk,

15


1

2

1

celle qu’il trouvait sous la tente du Mongol ou

mais traversait seul, à pied, les montagnes à

un grand succès. Capturé et torturé par des

dans les huttes chinoises lui était toujours suf-

la recherche d’espèces d’altitude, susceptibles

moines tibétains, Soulié connut une fin tragique.

fisante. Il n’avait donc pas de caravane, pas de

d’être adaptées aux jardins européens. Au cours

Cependant, ce n’est pas toujours dans les lieux

porteurs, il se contentait d’un chameau ou de

d’une dizaine d’années, le Muséum reçut de lui

les plus reculés du globe que les botanistes

deux mules » (Alphonse Milne-Edwards, direc-

quelque deux cent mille spécimens, composés

étaient exposés aux plus grands dangers.

teur du Muséum, 1894).

de plus de quatre mille espèces dont mille cinq

L’abbé Jean-Marie Delalande, professeur d’histoire

Le père Jean Marie Delavay (1834-1895), de la

cents nouvelles ! Le père Delavay continua ses

naturelle au Petit Séminaire de Nantes, passait

Société des Missions étrangères, fut envoyé en

investigations sur la flore du Yunnan jusqu’en

ainsi de longs moments à parcourir marais et

Chine, à Hui-chou, à l’est de Canton, en 1867. Il di-

1888, quand il contracta la peste bubonique.

bois, îles et rivages, à la recherche d’échantillons

rigea plusieurs districts, s’occupant notamment

Invalide d’un bras, il poursuivit pourtant ses

botaniques nouveaux ; lors d’une simple herbo-

du rachat de femmes annamites enlevées par

explorations. Quelques-unes des plantes qu’il

risation dans le Marais poitevin, il contracta, en

des pirates ! Lors d’un court séjour en France, il

découvrit furent introduites, telles des Deutzia et

1851, une fièvre paludéenne qui lui fut fatale.

rencontra le père Armand David, qui le convain-

l’lncarvillea delavayi.

Au milieu du XIXe siècle, des navires nantais

quit de collecter pour Adrien Franchet, botaniste

Le père Jean-André Soulié (1858-1905), en-

assuraient le fret entre les Indes et les îles de l’océan

au Muséum. De retour en Chine, il effectua des

voyé dans la région peu connue située entre la

Indien. Passionné de botanique, le capitaine

explorations dans les montagnes du nord-ouest

Chine et le Tibet, y fit quantité de collectes, aidé

Mathurin-Jean Armange (1801 à Taden, Côtes-

du Yunnan, une des régions du monde les plus

par sa parfaite connaissance des dialectes et un

d’Armor-1877 à Nantes) profita de ces voyages

riches pour la botanique. Il fit soixante fois l’as-

mimétisme qui lui permettait de se déguiser à

pour collecter et alimenter en milliers de graines et

cension du mont Tsemei-shan, dans les collines

la perfection en marchand pour prendre place

de plantes vivantes de l’océan Indien le Muséum

du Tali-Fu ! Il n’employait pas de porteurs pour

dans des caravanes. Parmi les plantes qu’il in-

de Paris, le Jardin des plantes de Nantes et la Société

transporter son équipement et ses collections

troduisit en France, le Buddleia variabilis connut

nantaise d’horticulture. De Bourbon à Calcutta,

14

303 / NA 103 / 08

Cattleya rex. Revue horticole, 1894. © Bibliothèque centrale. Muséum national d’histoire naturelle.

Dans les années 1880, cette magnifique orchidée épiphyte donna lieu à des recherches des plus aventureuses dans les profondeurs du Brésil.

2

Amorphophallus campanulatus. Carl Ludwig Blume, Rumphia, 1835-1848 © Bibliothèque centrale.

Muséum national d’histoire naturelle. Cette aracée géante asiatique émet une énorme inflorescence violacée et son tubercule, comestible, pèse jusqu’à 10 kilos !

de Coromandel à Madagascar, les plantes voya-

orchidées, etc., des régions les plus reculées du

Antique Collectors’ Club, Kew Royal Botanic

geaient par caisses sur le navire de l’intrépide

globe. En 1877, les pépinières anglaises Veitch,

Gardens, 1999, 286 p.

capitaine, avant de reprendre racine dans

basées à Chelsea, confièrent ainsi à Frederick

différents jardins des plantes. En 1844, pour

William Burbidge, jardinier aux jardins de Kew,

satisfaire à des demandes du Muséum, Richard,

la délicate mission de pénétrer les forêts encore

directeur du Jardin botanique de l’île Bourbon,

mystérieuses de Bornéo. Mais l’accès de l’île

et Bernier, chirurgien de marine, entreprirent

et le contact avec les indigènes, dont certains

une longue excursion dans les forêts des hauts de

étaient des chasseurs de têtes, s’avéraient des

l’île. Mais celle-ci tourna au drame. Surpris par un

plus incertains. Burbidge réussit pourtant un

ouragan, ils furent blessés et cinq indigènes qui les

grand périple dans les profondeurs des jungles

accompagnaient perdirent la vie. Armange en ré-

de l’île, et monta une des premières expédi-

digea le récit afin « de faire apprécier les dangers

tions sur le mont Kinabalu, à la biodiversité ex-

qu’encourent ceux qui cherchent aux dépens

ceptionnelle. La collecte de la Nepenthes rajah,

de leur vie, à enrichir la science de nouvelles dé-

plante carnivore à l’urne haute de 40 centimètres,

couvertes ». À la lecture du récit, Mirbel, direc-

fit se pâmer plus d’un collectionneur ! Pour le

teur du Muséum, s’écria : « Le tableau que vous

compte du gouvernement belge, Jean Linden

me tracez de l’affreuse position où se sont trou-

réalisa trois grandes expéditions en Amérique

vés les intrépides et généreux voyageurs qui bra-

centrale et du Sud (1835-1845) dont il importa

vaient tant de périls m’a ému jusqu’aux larmes.

près de deux mille espèces de plantes vivantes !

L’héroïsme poussé jusqu’à ce point est désavoué

Il fut l’un des premiers à fournir des informations

par la raison. La perte de M. Richard serait une ca-

détaillées sur les conditions de vie des orchi-

lamité pour la colonie et un malheur pour le Jardin

dées, découvrant que certaines s’épanouissent

du roi qui a eu souvent recours à lui ! »

jusque sur les hauts plateaux de la Cordillère des

Le monde de l’horticulture s’enflammait

Andes, à plus de 3 000 mètres d’altitude ! Linden

pour ces beautés tropicales et les collectionneurs

créa ensuite une grande pépinière à Bruxelles,

étaient prêts à les payer des fortunes. Pour ré-

L’Horticulture internationale, qui rivalisa de noto-

pondre à l’insatiable appétit des riches amateurs,

riété avec celles des grands importateurs anglais.

de grands établissements horticoles anglais

Dans son catalogue de « plantes d’élite » de

et belges envoyèrent des hommes à la recherche

1855, il proposait ainsi avec fierté la belle bromé-

de ces trésors. Périlleuses et coûteuses, ces

liacée Pitcairnia nubigena : « Enfant des brumes

explorations reposaient sur l’efficacité de ces

des montagnes colombiennes, elle habite à

« chasseurs », jeunes aventuriers prêts à tout

8 000-9 000 pieds d’altitude, dans le “ paramos

pour rapporter à bon port les précieux végétaux.

de los correjos ” (Mérida, Venezuela), dont les

Confrontés aux pires difficultés sur le terrain, il

crêtes, parfois couvertes de neige, surplombent

leur fallait non seulement réussir leur mission,

les immenses forêts vierges qui s’étendent

mais survivre. Des bords de l’Amazone aux jungles

jusqu’au bord du lac Maracaybo… »

Fortune, R., Two visits to the tea countries of China and the British tea plantations in the Himalaya, Londres, J. Murray, 2 vol., 1853. Short, Ph., In pursuit of plants, Timber Press, 2003, 351 p. Vadon, C., Intrépides chasseurs de plantes (titre provisoire), Éditions Jean-Pierre de Monza, à paraître.

indiennes, ils parcouraient des milliers de kilomètres, traversaient forêts humides, savanes brûlantes et marécages infestés de moustiques. Pour parvenir à s’attribuer, seul, ces richesses,

Catherine Vadon

toutes les stratégies étaient de mise. Beaucoup

Bibliographie

connurent des aventures tragiques, certains ne

Burbidge, F. W., The gardens of the sun ; or, A natura-

revinrent jamais de leur mission. Les établissements de Frederick Sander, à Saint-Albans, près de Londres, comptaient dans leur clientèle les plus grosses fortunes de l’aristocratie. Ils employaient plus de vingt de ces « chasseurs » qui leur rapportaient azalées, bégonias, cactus,

list’s journal on the mountains and in the forests and swamps of Borneo and the Sulu archipelago,  Londres, J. Murray, 1880, 364 p. Desmond, R., Sir Joseph Dalton Hooker : traveller and plant collector, Woodbridge, Suffolk,

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Le voyage des plantes aux XXe et XXI e siècles L’introduction de plantes nouvelles dans les

plante d’intérieur légendaire des années 1950

introductions appartiennent au passé, et pour

jardins botaniques débute dès la fin du XVIIe siècle

et 1960. Cet arbre était présent dans les serres

accéder aux nouveautés il faudrait monter des

et commence à s’essouffler dès le début du XXe.

du Jardin des plantes de Paris depuis très long-

missions d’exploration coûteuses, dans des

En effet, les moyens de communication deviennent

temps. Un horticulteur le remarqua et en obtint

contrées tropicales très éloignées. Le fait qu’à

de plus en plus performants et de plus en plus

une bouture, à partir de laquelle il le multiplia

cette époque les jardins botaniques apparte-

accessibles à tous : chacun a à cœur de rapporter

intensivement afin de le mettre sur le marché.

naient aux mairies ne favorise pas leur essor

des trésors inconnus dans son jardin, dans ses

Sa commercialisation fut un succès ; sa forme

scientifique. Le recrutement du personnel se

collections ou son établissement horticole.

épurée en fit l’image même du modernisme,

fait en interne, très peu de scientifiques venant

Le projet politique mis en place par Louis XIV

le caoutchouc accompagna le renouvellement

de l’Université sont recrutés. Progressivement,

est confirmé par Louis XV, qui engage la France

de l’architecture des maisons individuelles.

les jardins botaniques ne sont plus associés au

à découvrir de nouvelles régions et à en tirer

Aujourd’hui, cette espèce a presque totale-

monde horticole et se détournent de plus en

profit pour notre agriculture et notre horticul-

ment disparu des étals des fleuristes, la mode

plus du monde scientifique. On assiste aussi à

ture. Le Jardin royal des plantes de Nantes, qui

est passée à d’autres espèces.

l’émergence des facultés des sciences. Dans cer-

devient après la Révolution le Jardin des plantes

Durant cette période, les grands jardins

taines régions, l’Université s’associe au service

de Nantes, fait partie de ce projet politique. Il

botaniques, comme le Jardin des plantes de

des Espaces verts pour créer des jardins bota-

est l’un des quatre grands jardins de port déci-

Paris, continuent d’organiser des missions

niques mixtes Ville-Université. Dans ce cadre,

dés par Louis XV sous l’impulsion de Pierre

scientifiques pour poursuivre l’inventaire de

c’est un professeur de botanique qui assure

Chirac, intendant du Jardin royal des plantes de

la végétation mondiale. Travail évidemment

la direction du jardin, et bien sûr la botanique

Paris. Ces jardins vont jouer un rôle fondamen-

très ambitieux et encore inachevé, puisque de

revient au premier plan. Le jardin botanique est

tal, parce qu’ils ont indispensables à la dénomi-

nombreuses contrées n’ont encore jamais été

un lieu de démonstration pour l’enseignement

nation, à la classification et aux essais de culture

explorées par des botanistes (la Bolivie ou la

supérieur ; les collections sont orientées vers les

de toutes ces espèces qui arrivent en France

Nouvelle-Guinée, par exemple).

besoins de l’enseignement et de la recherche.

grâce aux marines militaire et de commerce. Les

Les jardins botaniques rassemblent à cette

De nombreux laboratoires procèdent à des

jardins botaniques vont poursuivre ces intro-

époque des réseaux de botanistes amateurs,

recherches dans le domaine du végétal et ont

ductions jusqu’à la fin des années 1960.

d’horticulteurs amateurs et professionnels et

besoin de matériel, voire d’organiser des cultures,

Dans le premier quart du XXe siècle, les

même des personnages des milieux de l’art et

ce qui valorisera scientifiquement quelques

sociétés horticoles, les établissements horticoles

de la médecine ou de la pharmacie. On poursuit

jardins botaniques français. Mais la plupart des

privés et les jardins botaniques forment un

aussi le grand chantier de l’amélioration des

autres, qui sont municipaux, vont continuer

microcosme dédié au végétal. Chacun apporte

plantes. Horticulteurs, pépiniéristes et amateurs

d’une manière très traditionnelle à enrichir

des plantes nouvelles, acquises lors de ses

se retrouvent dans des concours pour présenter

leurs collections par des échanges, à travers un

déplacements dans les jardins botaniques,

des cultures aux rendements exceptionnels et

réseau national, européen voire mondial.

chez d’autres collectionneurs ou mieux encore

leurs dernières hybridations, qui aboutiront

Le jardin botanique de Nantes, qui est un

à l’étranger. Durant cette période, les échanges

à la mise sur le marché de variétés nouvelles.

et les voyages de plantes s’effectuent dans ce

jardin botanique municipal, n’échappe pas à

Cette activité cessera définitivement à la fin des

cette morosité scientifique. À la fin de cette

grand réseau des horticulteurs professionnels

années 1940. Cette période fut riche de créa-

période apparaît aussi un changement fonda-

et amateurs qui voisinent très largement avec

tions et pleine d’enthousiasme ; le végétal est

mental dans les universités qui progressive-

les jardins botaniques.

à l’origine d’une véritable aventure humaine,

ment entraîne la disparition de la botanique et

Les jardins botaniques ont accès à une res-

à laquelle de grandes familles sont attachées,

de la formation de botaniste.

source importante de végétaux puisque depuis

comme celles d’André Leroy à Angers ou des

près de soixante-dix ans déjà ils ont organisé

sœurs Guichard à Nantes.

Dans les années 1970 à 1990, les sociétés fortement développées consomment de plus

un réseau d’échanges botaniques destiné à

La période qui s’étend des années 1940 aux

en plus de matériaux en provenance de pays

augmenter les collections pour alimenter en

années 1970 est sans doute la plus pauvre pour le

peu développés du Sud, ce qui cause la surex-

matériel végétal la recherche (pharmaceutique

développement botanique. L’enthousiasme que

ploitation de grands écosystèmes, et en parti-

et médicale), mais aussi pour la recherche

peut susciter la découverte de nouvelles espèces

culier des forêts. Chacun pense aussi que les

scientifique fondamentale. Ces collections sont

est totalement retombé, tant chez les scienti-

ressources sont inépuisables. Les années 1970

valorisées aussi par leur passage dans le

fiques qu’auprès du grand public. Les jardins

marquent un véritable tournant pour les jar-

monde horticole, pépiniériste et floriculteur.

botaniques (y compris les jardins des plantes)

dins botaniques. Les ONG internationales qui

À titre d’exemple, citons le « caoutchouc », cette

n’ont plus vraiment de projets, les grandes

s’occupent de la nature, dont le WWF, pointent

16

303 / NA 103 / 08

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Le voyage des plantes aux XXe et XXI e siècles L’introduction de plantes nouvelles dans les

plante d’intérieur légendaire des années 1950

introductions appartiennent au passé, et pour

jardins botaniques débute dès la fin du XVIIe siècle

et 1960. Cet arbre était présent dans les serres

accéder aux nouveautés il faudrait monter des

et commence à s’essouffler dès le début du XXe.

du Jardin des plantes de Paris depuis très long-

missions d’exploration coûteuses, dans des

En effet, les moyens de communication deviennent

temps. Un horticulteur le remarqua et en obtint

contrées tropicales très éloignées. Le fait qu’à

de plus en plus performants et de plus en plus

une bouture, à partir de laquelle il le multiplia

cette époque les jardins botaniques apparte-

accessibles à tous : chacun a à cœur de rapporter

intensivement afin de le mettre sur le marché.

naient aux mairies ne favorise pas leur essor

des trésors inconnus dans son jardin, dans ses

Sa commercialisation fut un succès ; sa forme

scientifique. Le recrutement du personnel se

collections ou son établissement horticole.

épurée en fit l’image même du modernisme,

fait en interne, très peu de scientifiques venant

Le projet politique mis en place par Louis XIV

le caoutchouc accompagna le renouvellement

de l’Université sont recrutés. Progressivement,

est confirmé par Louis XV, qui engage la France

de l’architecture des maisons individuelles.

les jardins botaniques ne sont plus associés au

à découvrir de nouvelles régions et à en tirer

Aujourd’hui, cette espèce a presque totale-

monde horticole et se détournent de plus en

profit pour notre agriculture et notre horticul-

ment disparu des étals des fleuristes, la mode

plus du monde scientifique. On assiste aussi à

ture. Le Jardin royal des plantes de Nantes, qui

est passée à d’autres espèces.

l’émergence des facultés des sciences. Dans cer-

devient après la Révolution le Jardin des plantes

Durant cette période, les grands jardins

taines régions, l’Université s’associe au service

de Nantes, fait partie de ce projet politique. Il

botaniques, comme le Jardin des plantes de

des Espaces verts pour créer des jardins bota-

est l’un des quatre grands jardins de port déci-

Paris, continuent d’organiser des missions

niques mixtes Ville-Université. Dans ce cadre,

dés par Louis XV sous l’impulsion de Pierre

scientifiques pour poursuivre l’inventaire de

c’est un professeur de botanique qui assure

Chirac, intendant du Jardin royal des plantes de

la végétation mondiale. Travail évidemment

la direction du jardin, et bien sûr la botanique

Paris. Ces jardins vont jouer un rôle fondamen-

très ambitieux et encore inachevé, puisque de

revient au premier plan. Le jardin botanique est

tal, parce qu’ils ont indispensables à la dénomi-

nombreuses contrées n’ont encore jamais été

un lieu de démonstration pour l’enseignement

nation, à la classification et aux essais de culture

explorées par des botanistes (la Bolivie ou la

supérieur ; les collections sont orientées vers les

de toutes ces espèces qui arrivent en France

Nouvelle-Guinée, par exemple).

besoins de l’enseignement et de la recherche.

grâce aux marines militaire et de commerce. Les

Les jardins botaniques rassemblent à cette

De nombreux laboratoires procèdent à des

jardins botaniques vont poursuivre ces intro-

époque des réseaux de botanistes amateurs,

recherches dans le domaine du végétal et ont

ductions jusqu’à la fin des années 1960.

d’horticulteurs amateurs et professionnels et

besoin de matériel, voire d’organiser des cultures,

Dans le premier quart du XXe siècle, les

même des personnages des milieux de l’art et

ce qui valorisera scientifiquement quelques

sociétés horticoles, les établissements horticoles

de la médecine ou de la pharmacie. On poursuit

jardins botaniques français. Mais la plupart des

privés et les jardins botaniques forment un

aussi le grand chantier de l’amélioration des

autres, qui sont municipaux, vont continuer

microcosme dédié au végétal. Chacun apporte

plantes. Horticulteurs, pépiniéristes et amateurs

d’une manière très traditionnelle à enrichir

des plantes nouvelles, acquises lors de ses

se retrouvent dans des concours pour présenter

leurs collections par des échanges, à travers un

déplacements dans les jardins botaniques,

des cultures aux rendements exceptionnels et

réseau national, européen voire mondial.

chez d’autres collectionneurs ou mieux encore

leurs dernières hybridations, qui aboutiront

Le jardin botanique de Nantes, qui est un

à l’étranger. Durant cette période, les échanges

à la mise sur le marché de variétés nouvelles.

et les voyages de plantes s’effectuent dans ce

jardin botanique municipal, n’échappe pas à

Cette activité cessera définitivement à la fin des

cette morosité scientifique. À la fin de cette

grand réseau des horticulteurs professionnels

années 1940. Cette période fut riche de créa-

période apparaît aussi un changement fonda-

et amateurs qui voisinent très largement avec

tions et pleine d’enthousiasme ; le végétal est

mental dans les universités qui progressive-

les jardins botaniques.

à l’origine d’une véritable aventure humaine,

ment entraîne la disparition de la botanique et

Les jardins botaniques ont accès à une res-

à laquelle de grandes familles sont attachées,

de la formation de botaniste.

source importante de végétaux puisque depuis

comme celles d’André Leroy à Angers ou des

près de soixante-dix ans déjà ils ont organisé

sœurs Guichard à Nantes.

Dans les années 1970 à 1990, les sociétés fortement développées consomment de plus

un réseau d’échanges botaniques destiné à

La période qui s’étend des années 1940 aux

en plus de matériaux en provenance de pays

augmenter les collections pour alimenter en

années 1970 est sans doute la plus pauvre pour le

peu développés du Sud, ce qui cause la surex-

matériel végétal la recherche (pharmaceutique

développement botanique. L’enthousiasme que

ploitation de grands écosystèmes, et en parti-

et médicale), mais aussi pour la recherche

peut susciter la découverte de nouvelles espèces

culier des forêts. Chacun pense aussi que les

scientifique fondamentale. Ces collections sont

est totalement retombé, tant chez les scienti-

ressources sont inépuisables. Les années 1970

valorisées aussi par leur passage dans le

fiques qu’auprès du grand public. Les jardins

marquent un véritable tournant pour les jar-

monde horticole, pépiniériste et floriculteur.

botaniques (y compris les jardins des plantes)

dins botaniques. Les ONG internationales qui

À titre d’exemple, citons le « caoutchouc », cette

n’ont plus vraiment de projets, les grandes

s’occupent de la nature, dont le WWF, pointent

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Histoire du végétal cultivé

L’horticulture en Anjou au XIXe siècle :

spécialisée dans la multiplication, l’élevage et

jardinier-pépinériste en 18317 – expose devant

la commercialisation de jeunes plants fruitiers,

les membres de la Société industrielle l’état

Si l’Anjou est une terre de prédilection pour

forestiers ou d’ornement, une forme de culture

d’une « nouvelle branche de commerce8 », l’hor-

l’horticulture, le sol, le climat, la proximité des

« en grand » fondée sur les gestes techniques, la

ticulture. Cette intervention est considérée

voies de communication et des grands centres

connaissance des plantes et des marchés.

comme le texte fondateur9 de l’horticulture an-

un terreau fertile pour l’innovation

siècle, les

gevine car elle affirme son caractère nouveau.

territorial de cette activité économique. Les mo-

distinctions entre horticulture et agriculture

Elle marque la volonté de la profession de se po-

dèles relationnels, sociaux, intellectuels et com-

sont mises en avant, d’une manière explicite

sitionner en rupture avec les pratiques des pré-

merciaux sur lesquels elle s’est construite au

ou implicite. Au sein d’une préoccupation géné-

décesseurs. Son auteur, André Leroy, qui avait

XIXe siècle en Anjou sont ceux d’une profession

rale pour la description, les efforts statistiques

déjà atteint un seuil de fortune et de prestige

moderne, réactive, dynamique. La sédimenta-

des sociétés savantes locales, à défaut de livrer

lui permettant de siéger dans cette assemblée

tion des pratiques et des réseaux dans le temps

des mesures, proposent des questionnements et

de notables10, est en passe de devenir la figure

a donné à l’horticulture angevine une capacité

des classifications. P. A. Millet, dans son projet de

emblématique de l’horticulture angevine.

d’innovation et de réaction qui est, en partie,

statistique3, aborde, dans la partie « Statistiques

Pour la première fois, dans cette interven-

intrinsèque à la profession et, en partie aussi,

industrielles - Agriculture », deux chapitres

tion, un horticulteur jette un regard sur le passé

manifestement liée à la conjoncture locale.

distincts : « Agronomie » et « Horticulture ». Ce

et s’attache à marquer le point de césure qui

Sans faire l’histoire de la profession, il convient

dernier est divisé à son tour en arbres et ar-

permet le déploiement d’une activité ancienne

ici de mettre en évidence la constitution d’un

brisseaux à fruits, arbres champêtres ou fores-

sous une forme nouvelle. Nouvelle, puisque les

milieu horticole en Anjou, d’un mode de fonc-

tiers cultivés en pépinière, plantes potagères et

pépinières du XVIIIe siècle, bien que présentes

tionnement qui a entraîné succès commercial,

condimentaires, fleurs ou plantes d’agrément.

en Anjou, n’occupaient que peu de terrains.

notoriété internationale et durabilité.

Vers le milieu du XIXe siècle devient courante

Comme référence, André Leroy invoque la concur-

Introduit en France tardivement (1827), le

l’expression « manufactures d’arbres4 » et, dans

rence avec les pépiniéristes d’Orléans, qui four-

mot « horticulture » désigne l’art ou la science

les enquêtes et statistiques officielles, l’horti-

nissent des ormes pour la plantation du premier

de cultiver le jardin ; l’« horticulteur » (1829) est

culture apparaît soit au titre de l’agriculture,

mail et une grande partie des jeunes arbres d’or-

la personne qui pratique cette activité. La réa-

soit au titre de l’industrie, ou bien en séparant

nement pour les jardins des châteaux angevins.

lité qu’ils recouvrent est déjà, à l’époque de leur

la pépinière (industrie) de la production de

S’adressant à une clientèle locale, les pépiniéristes

introduction, plus complexe que la définition

fruits et de légumes (agriculture). La difficulté

angevins furent contraints de cesser leur activité

donnée par les dictionnaires. En effet, en Anjou

du classement provient de la technicité requise

pendant la Révolution. La demande de plantes de

comme ailleurs, les diverses professions liées à

par les cultures horticoles, de leur implantation

pépinière explose pendant le Consulat et l’Empire,

l’horticulture sont en pleine mutation.

urbains ne peuvent suffire à expliquer l’ancrage

Dès la première moitié du

XIXe

souvent urbaine ou périurbaine et de leur impli-

au retour des émigrés, avec la reconstruction des

Du jardin, l’horticulture tire son nom et

cation dans le commerce à grande distance. Elle a

châteaux et les alignements d’arbres sur les boule-

garde l’objet – pépinière, arboriculture fruitière,

également une raison fiscale puisque, dans une en-

vards qui remplacent les anciennes fortifications11.

maraîchage et porte-graines – tout en modi-

quête de 1869, la chambre de commerce d’Angers

La profession d’horticulteur se définit, face à cette

fiant l’échelle. Les traités d’agronomie des XVIIe

et du Maine-et-Loire inclut, avec des réserves, « les

demande, comme une production tournée réso-

et XVIIIe siècles font du jardin l’endroit de l’in-

225 patrons et 560 ouvriers jardiniers et pépinié-

lument vers le commerce. Plus qu’un historique12,

tandis que

ristes qui n’ont pas de patente attribuée, même s’ils

le témoignage d’André Leroy en 1832 formule la

la pratique témoigne du fait que le jardin est

font des actes de commerce, parce qu’ils cultivent

manière dont les horticulteurs s’identifient et se

un espace techniquement privilégié où s’ex-

des fonds de terre5 ».

distinguent à l’intérieur d’un groupe hétérogène

novation et de

l’expérimentation1,

périmentent la constitution des substrats de

En 1830, la Société industrielle d’Angers et

de jardiniers, pépiniéristes, maraîchers, fleuristes13.

culture par l’apport de terre de bruyère ou de

de Maine-et-Loire, nouvellement créée, nomme

Le lien étroit qu’entretient l’horticulture avec la

fumier, la taille des arbres fruitiers et ses ef-

parmi ses membres correspondants Oscar

connaissance scientifique se manifeste d’abord

fets sur la fructification, la multiplication par

Leclerc Thouin, « professeur au Jardin du Roi,

par les relations entre les pépiniéristes et la bota-

greffe et bouturage, l’introduction ou la sé-

à Paris, Membre de la Société Royale Centrale

nique14. Le mouvement d’approche est réciproque.

variétés2.

Les premiers à

Si le

Les jardins des plantes, lieux de recherche, d’ensei-

opérer le changement d’échelle et de fonction,

rédacteur ou l’imprimeur trébuche sur l’ortho-

gnement et d’introduction de plantes étrangères,

à passer du jardinage à l’horticulture, sont les

graphe du mot, cette hésitation est de courte

sont délibérément orientés vers l’application. Le

pépiniéristes. La pépinière, annexe du jardin

durée. Deux ans plus tard, devant les membres de

rôle de « pépinière nationale » du Jardin des plantes

jusqu’au XVIIIe siècle, devient une entreprise

la même société, Leroy fils – coopté en qualité de

de Paris après la Révolution se traduit par la

lection de nouvelles

20

303 / NA 103 / 08

d’Agriculture et de celle

d’Orthiculture6 ».

1

1

2

2

3

Affiche des Pépinières André Leroy, années 1930. Archives départementales de Maine-et-Loire, Fonds Levavasseur 265 J88. La famille Levavasseur achète en 1907 les Pépinières Leroy du Grand Jardin et en 1931 les Pépinières André Leroy. Catalogue des grainetiers Hennequin-Denis, rue Bressigny à Angers. Archives départementales de Maine-et-Loire. La production de graines prend un essor important en Anjou dans la seconde moitié du XIXe siècle,  surtout dans la vallée de l’Authion où elle remplace la production

du chanvre. Dès 1859 Vilmorin conclut des contrats de culture avec des producteurs de la vallée.

3

Catalogue des Pépinières André Leroy, 1862. Archives départementales de Maine-et-Loire, Fonds Levavasseur 265 J88. À cette date, le catalogue était déjà imprimé en anglais et en allemand.

21


Histoire du végétal cultivé

L’horticulture en Anjou au XIXe siècle :

spécialisée dans la multiplication, l’élevage et

jardinier-pépinériste en 18317 – expose devant

la commercialisation de jeunes plants fruitiers,

les membres de la Société industrielle l’état

Si l’Anjou est une terre de prédilection pour

forestiers ou d’ornement, une forme de culture

d’une « nouvelle branche de commerce8 », l’hor-

l’horticulture, le sol, le climat, la proximité des

« en grand » fondée sur les gestes techniques, la

ticulture. Cette intervention est considérée

voies de communication et des grands centres

connaissance des plantes et des marchés.

comme le texte fondateur9 de l’horticulture an-

un terreau fertile pour l’innovation

siècle, les

gevine car elle affirme son caractère nouveau.

territorial de cette activité économique. Les mo-

distinctions entre horticulture et agriculture

Elle marque la volonté de la profession de se po-

dèles relationnels, sociaux, intellectuels et com-

sont mises en avant, d’une manière explicite

sitionner en rupture avec les pratiques des pré-

merciaux sur lesquels elle s’est construite au

ou implicite. Au sein d’une préoccupation géné-

décesseurs. Son auteur, André Leroy, qui avait

XIXe siècle en Anjou sont ceux d’une profession

rale pour la description, les efforts statistiques

déjà atteint un seuil de fortune et de prestige

moderne, réactive, dynamique. La sédimenta-

des sociétés savantes locales, à défaut de livrer

lui permettant de siéger dans cette assemblée

tion des pratiques et des réseaux dans le temps

des mesures, proposent des questionnements et

de notables10, est en passe de devenir la figure

a donné à l’horticulture angevine une capacité

des classifications. P. A. Millet, dans son projet de

emblématique de l’horticulture angevine.

d’innovation et de réaction qui est, en partie,

statistique3, aborde, dans la partie « Statistiques

Pour la première fois, dans cette interven-

intrinsèque à la profession et, en partie aussi,

industrielles - Agriculture », deux chapitres

tion, un horticulteur jette un regard sur le passé

manifestement liée à la conjoncture locale.

distincts : « Agronomie » et « Horticulture ». Ce

et s’attache à marquer le point de césure qui

Sans faire l’histoire de la profession, il convient

dernier est divisé à son tour en arbres et ar-

permet le déploiement d’une activité ancienne

ici de mettre en évidence la constitution d’un

brisseaux à fruits, arbres champêtres ou fores-

sous une forme nouvelle. Nouvelle, puisque les

milieu horticole en Anjou, d’un mode de fonc-

tiers cultivés en pépinière, plantes potagères et

pépinières du XVIIIe siècle, bien que présentes

tionnement qui a entraîné succès commercial,

condimentaires, fleurs ou plantes d’agrément.

en Anjou, n’occupaient que peu de terrains.

notoriété internationale et durabilité.

Vers le milieu du XIXe siècle devient courante

Comme référence, André Leroy invoque la concur-

Introduit en France tardivement (1827), le

l’expression « manufactures d’arbres4 » et, dans

rence avec les pépiniéristes d’Orléans, qui four-

mot « horticulture » désigne l’art ou la science

les enquêtes et statistiques officielles, l’horti-

nissent des ormes pour la plantation du premier

de cultiver le jardin ; l’« horticulteur » (1829) est

culture apparaît soit au titre de l’agriculture,

mail et une grande partie des jeunes arbres d’or-

la personne qui pratique cette activité. La réa-

soit au titre de l’industrie, ou bien en séparant

nement pour les jardins des châteaux angevins.

lité qu’ils recouvrent est déjà, à l’époque de leur

la pépinière (industrie) de la production de

S’adressant à une clientèle locale, les pépiniéristes

introduction, plus complexe que la définition

fruits et de légumes (agriculture). La difficulté

angevins furent contraints de cesser leur activité

donnée par les dictionnaires. En effet, en Anjou

du classement provient de la technicité requise

pendant la Révolution. La demande de plantes de

comme ailleurs, les diverses professions liées à

par les cultures horticoles, de leur implantation

pépinière explose pendant le Consulat et l’Empire,

l’horticulture sont en pleine mutation.

urbains ne peuvent suffire à expliquer l’ancrage

Dès la première moitié du

XIXe

souvent urbaine ou périurbaine et de leur impli-

au retour des émigrés, avec la reconstruction des

Du jardin, l’horticulture tire son nom et

cation dans le commerce à grande distance. Elle a

châteaux et les alignements d’arbres sur les boule-

garde l’objet – pépinière, arboriculture fruitière,

également une raison fiscale puisque, dans une en-

vards qui remplacent les anciennes fortifications11.

maraîchage et porte-graines – tout en modi-

quête de 1869, la chambre de commerce d’Angers

La profession d’horticulteur se définit, face à cette

fiant l’échelle. Les traités d’agronomie des XVIIe

et du Maine-et-Loire inclut, avec des réserves, « les

demande, comme une production tournée réso-

et XVIIIe siècles font du jardin l’endroit de l’in-

225 patrons et 560 ouvriers jardiniers et pépinié-

lument vers le commerce. Plus qu’un historique12,

tandis que

ristes qui n’ont pas de patente attribuée, même s’ils

le témoignage d’André Leroy en 1832 formule la

la pratique témoigne du fait que le jardin est

font des actes de commerce, parce qu’ils cultivent

manière dont les horticulteurs s’identifient et se

un espace techniquement privilégié où s’ex-

des fonds de terre5 ».

distinguent à l’intérieur d’un groupe hétérogène

novation et de

l’expérimentation1,

périmentent la constitution des substrats de

En 1830, la Société industrielle d’Angers et

de jardiniers, pépiniéristes, maraîchers, fleuristes13.

culture par l’apport de terre de bruyère ou de

de Maine-et-Loire, nouvellement créée, nomme

Le lien étroit qu’entretient l’horticulture avec la

fumier, la taille des arbres fruitiers et ses ef-

parmi ses membres correspondants Oscar

connaissance scientifique se manifeste d’abord

fets sur la fructification, la multiplication par

Leclerc Thouin, « professeur au Jardin du Roi,

par les relations entre les pépiniéristes et la bota-

greffe et bouturage, l’introduction ou la sé-

à Paris, Membre de la Société Royale Centrale

nique14. Le mouvement d’approche est réciproque.

variétés2.

Les premiers à

Si le

Les jardins des plantes, lieux de recherche, d’ensei-

opérer le changement d’échelle et de fonction,

rédacteur ou l’imprimeur trébuche sur l’ortho-

gnement et d’introduction de plantes étrangères,

à passer du jardinage à l’horticulture, sont les

graphe du mot, cette hésitation est de courte

sont délibérément orientés vers l’application. Le

pépiniéristes. La pépinière, annexe du jardin

durée. Deux ans plus tard, devant les membres de

rôle de « pépinière nationale » du Jardin des plantes

jusqu’au XVIIIe siècle, devient une entreprise

la même société, Leroy fils – coopté en qualité de

de Paris après la Révolution se traduit par la

lection de nouvelles

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303 / NA 103 / 08

d’Agriculture et de celle

d’Orthiculture6 ».

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Affiche des Pépinières André Leroy, années 1930. Archives départementales de Maine-et-Loire, Fonds Levavasseur 265 J88. La famille Levavasseur achète en 1907 les Pépinières Leroy du Grand Jardin et en 1931 les Pépinières André Leroy. Catalogue des grainetiers Hennequin-Denis, rue Bressigny à Angers. Archives départementales de Maine-et-Loire. La production de graines prend un essor important en Anjou dans la seconde moitié du XIXe siècle,  surtout dans la vallée de l’Authion où elle remplace la production

du chanvre. Dès 1859 Vilmorin conclut des contrats de culture avec des producteurs de la vallée.

3

Catalogue des Pépinières André Leroy, 1862. Archives départementales de Maine-et-Loire, Fonds Levavasseur 265 J88. À cette date, le catalogue était déjà imprimé en anglais et en allemand.

21


Parcs et jardins à visiter en Pays de la Loire

1

Le jardin potager du château de Villaines, Louplande, Sarthe. Cette grande composition axée fut brisée au XIXe siècle par  la création d’un parc paysager. Cl. B. Renoux.

2

Au pied des terrasses, les jardins à la française au bord du  Loir, château du Lude, Sarthe. Même si les dispositions actuelles tendent à retrouver l’ambiance du tournant des XVIIe

et XVIIIe siècles, le changement le plus important fut apporté par le paysagiste Édouard André, qui déplaça vers la ville le potager jadis au pied de la terrasse. Cl. B. Renoux.

En avril 2008, la France comptait plus de

initiées dès 1957. « Depuis maintenant une

mis en œuvre et les conditions d’accueil sont très

300 parcs et jardins labellisés par le ministère

vingtaine d’années, la France redécouvre ses

variés. Les jardins de ville ( jardins botaniques,

de la Culture et de la Communication, dont 17

jardins, et cet intérêt de plus en plus vif est

jardins des plantes, parcs publics) sont en accès

dans la région des Pays de la Loire, placée ainsi

désormais perçu comme un véritable phénomène

libre. La plupart des parcs et jardins sont gérés

en huitième position, ex-æquo avec la Bretagne.

de société […]. La vogue de l’art des jardins est aussi

par des particuliers.

Ce petit nombre de jardins d’exception, dont

à l’origine de l’accroissement des restaurations

« le dessin, les plantes et l’entretien sont d’un

et des créations dans les jardins publics2. » Ces

niveau remarquable », ne rend pas compte de

jardins publics sont des champs de création et

En 1997, le Comité régional du tourisme initiait

l’ampleur du phénomène des parcs et jardins

d’expérimentations dans un esprit de renouveau

une démarche de promotion culturelle à

dans les Pays de la Loire.

artistique, décliné dans les choix et les partis pris

destination de l’international. En 2007, 26 parcs

du décor des secteurs urbains et cœurs de village.

et jardins ouverts au public ont été distingués.

Les « rendez-vous aux jardins » de juin

Un label régional touristique

En 2008, 122 sites se sont ouverts au public

Bien sûr, les 17 « jardins remarquables » ou

Jusque dans les années 1980, la région des Pays

en Pays de la Loire pour les « Rendez-vous aux

presque, en font partie4 . Ces parcs et jardins

de la Loire n’était connue qu’à travers le Jardin des

jardins3 ». Dans

garantissent aux visiteurs des prestations

plantes de Nantes et les floralies internationales,

publiques et 98 propriétés privées), les moyens

ces parcs et jardins (24 propriétés

d’excellence5. Les 26 sites labellisés représentent toutes les époques et tous les styles de jardins en Pays de la Loire : il y a 17 parcs et jardins liés à une demeure historique, 1 parc public contemporain et 8 jardins modernes sans maison. En 2007, 17 des 26 sites labellisés ont livré leurs chiffres de fréquentation : 295 423 visiteurs (247 373 en individuels et 48 050 en groupe), soit 6 % de plus qu’en 2006. Les pics de fréquentation se situent en août pour les individuels, en juin pour les groupes. Un réseau régional et un maillage du territoire

1

La création de l’opération nationale « Mois des jardins », devenue le « Rendez-vous aux jardins », a entraîné la naissance d’associations Du jardin monument historique

Entre bocage et vignoble, la région des Pays de

royaux de la Renaissance, célèbres notamment

la Loire est un immense espace cultivé et jardiné

pour leurs jardins réguliers composés de

qui n’a plus rien de naturel ni de sauvage.

potagers d’agrément et de vergers, descend

Parmi les 1 925 parcs et jardins protégés en France

jardins dans le département du Maine-et-Loire

Traversée d’est en ouest par la Loire – le « dernier

la Loire pour goûter son climat et sa lumière

métropolitaine au titre de la loi sur les monu-

et de l’ancienne province d’Anjou, et JASPE7

grand fleuve sauvage d’Europe », dit-on –, notre

si particuliers. C’est en raison de cette fameuse

ments historiques, 109 se trouvent dans les Pays

rassemble environ 180 adhérents dans le Maine,

vallée a été inscrite, en partie, sur la liste du

« douceur angevine » que les vallées de la Loire et

de la Loire, soit environ 6 % : ils sont 15 en Loire-

répartis entre les départements de la Sarthe et

patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco,

de ses affluents ont vu s’implanter nombre de

Atlantique et autant en Vendée, 21 en Mayenne,

de la Mayenne. En 2000, la Vendée a créé l’APJV8,

pour son paysage culturel.

départementales.

au « jardin remarquable »

Depuis

1988,

l’ASPEJA6

regroupe près de 300 amateurs de parcs et de

demeures résidentielles et de plaisance, qui ont

22 en Sarthe et 36 dans le Maine-et-Loire. Notre

qui compte aujourd’hui 221 membres ; en 2004

Dès le Moyen Âge, les hommes ont construit

façonné le paysage au cours des siècles. Ces maisons

région arrive en quatrième position,et au neuvième

a vu le jour l’APJP9 de la Loire-Atlantique. Ces

des levées pour endiguer le fleuve. Aujourd’hui

s’annoncent à l’horizon par une végétation exo-

rang si l’on fait une moyenne par département.

quatre associations se sont fédérées dans

supports de routes, de chemins et de ports, elles

tique à la silhouette inhabituelle : tête de cèdres et

Si l’on en croit la charte de Florence (1981), nos

l’association régionale des Parcs et Jardins des

forment autant de points de vue pittoresques

de séquoias qui émergent, taches rousses de hêtres

109 jardins historiques sont « des compositions

Pays de la Loire10.

sur les deux rives du fleuve. Au confluent de la

pourpres… Ces domaines ruraux ont entraîné le per-

architecturales et végétales qui, du point de vue

Tous ces efforts de communication et de

Loire et de la Vienne, à Montsoreau, le voyageur

cement de voies de communication qui en magni-

de l’histoire ou de l’histoire de l’art, présentent

valorisation font aujourd’hui du jardin un vrai

entre dans les Pays de la Loire. Il quitte le

fient l’accès avec la création de perspectives et

un intérêt public » mais tous, tant s’en faut, ne

produit touristique. Chacun réagit avec son

« jardin de la France », terre des grands châteaux

d’avenues rectilignes qui sillonnent la campagne.

sont pas labellisés « jardins remarquables1 ».

vécu, ses connaissances et ses expériences : le 2

32

303 / NA 103 / 08

33


Parcs et jardins à visiter en Pays de la Loire

1

Le jardin potager du château de Villaines, Louplande, Sarthe. Cette grande composition axée fut brisée au XIXe siècle par  la création d’un parc paysager. Cl. B. Renoux.

2

Au pied des terrasses, les jardins à la française au bord du  Loir, château du Lude, Sarthe. Même si les dispositions actuelles tendent à retrouver l’ambiance du tournant des XVIIe

et XVIIIe siècles, le changement le plus important fut apporté par le paysagiste Édouard André, qui déplaça vers la ville le potager jadis au pied de la terrasse. Cl. B. Renoux.

En avril 2008, la France comptait plus de

initiées dès 1957. « Depuis maintenant une

mis en œuvre et les conditions d’accueil sont très

300 parcs et jardins labellisés par le ministère

vingtaine d’années, la France redécouvre ses

variés. Les jardins de ville ( jardins botaniques,

de la Culture et de la Communication, dont 17

jardins, et cet intérêt de plus en plus vif est

jardins des plantes, parcs publics) sont en accès

dans la région des Pays de la Loire, placée ainsi

désormais perçu comme un véritable phénomène

libre. La plupart des parcs et jardins sont gérés

en huitième position, ex-æquo avec la Bretagne.

de société […]. La vogue de l’art des jardins est aussi

par des particuliers.

Ce petit nombre de jardins d’exception, dont

à l’origine de l’accroissement des restaurations

« le dessin, les plantes et l’entretien sont d’un

et des créations dans les jardins publics2. » Ces

niveau remarquable », ne rend pas compte de

jardins publics sont des champs de création et

En 1997, le Comité régional du tourisme initiait

l’ampleur du phénomène des parcs et jardins

d’expérimentations dans un esprit de renouveau

une démarche de promotion culturelle à

dans les Pays de la Loire.

artistique, décliné dans les choix et les partis pris

destination de l’international. En 2007, 26 parcs

du décor des secteurs urbains et cœurs de village.

et jardins ouverts au public ont été distingués.

Les « rendez-vous aux jardins » de juin

Un label régional touristique

En 2008, 122 sites se sont ouverts au public

Bien sûr, les 17 « jardins remarquables » ou

Jusque dans les années 1980, la région des Pays

en Pays de la Loire pour les « Rendez-vous aux

presque, en font partie4 . Ces parcs et jardins

de la Loire n’était connue qu’à travers le Jardin des

jardins3 ». Dans

garantissent aux visiteurs des prestations

plantes de Nantes et les floralies internationales,

publiques et 98 propriétés privées), les moyens

ces parcs et jardins (24 propriétés

d’excellence5. Les 26 sites labellisés représentent toutes les époques et tous les styles de jardins en Pays de la Loire : il y a 17 parcs et jardins liés à une demeure historique, 1 parc public contemporain et 8 jardins modernes sans maison. En 2007, 17 des 26 sites labellisés ont livré leurs chiffres de fréquentation : 295 423 visiteurs (247 373 en individuels et 48 050 en groupe), soit 6 % de plus qu’en 2006. Les pics de fréquentation se situent en août pour les individuels, en juin pour les groupes. Un réseau régional et un maillage du territoire

1

La création de l’opération nationale « Mois des jardins », devenue le « Rendez-vous aux jardins », a entraîné la naissance d’associations Du jardin monument historique

Entre bocage et vignoble, la région des Pays de

royaux de la Renaissance, célèbres notamment

la Loire est un immense espace cultivé et jardiné

pour leurs jardins réguliers composés de

qui n’a plus rien de naturel ni de sauvage.

potagers d’agrément et de vergers, descend

Parmi les 1 925 parcs et jardins protégés en France

jardins dans le département du Maine-et-Loire

Traversée d’est en ouest par la Loire – le « dernier

la Loire pour goûter son climat et sa lumière

métropolitaine au titre de la loi sur les monu-

et de l’ancienne province d’Anjou, et JASPE7

grand fleuve sauvage d’Europe », dit-on –, notre

si particuliers. C’est en raison de cette fameuse

ments historiques, 109 se trouvent dans les Pays

rassemble environ 180 adhérents dans le Maine,

vallée a été inscrite, en partie, sur la liste du

« douceur angevine » que les vallées de la Loire et

de la Loire, soit environ 6 % : ils sont 15 en Loire-

répartis entre les départements de la Sarthe et

patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco,

de ses affluents ont vu s’implanter nombre de

Atlantique et autant en Vendée, 21 en Mayenne,

de la Mayenne. En 2000, la Vendée a créé l’APJV8,

pour son paysage culturel.

départementales.

au « jardin remarquable »

Depuis

1988,

l’ASPEJA6

regroupe près de 300 amateurs de parcs et de

demeures résidentielles et de plaisance, qui ont

22 en Sarthe et 36 dans le Maine-et-Loire. Notre

qui compte aujourd’hui 221 membres ; en 2004

Dès le Moyen Âge, les hommes ont construit

façonné le paysage au cours des siècles. Ces maisons

région arrive en quatrième position,et au neuvième

a vu le jour l’APJP9 de la Loire-Atlantique. Ces

des levées pour endiguer le fleuve. Aujourd’hui

s’annoncent à l’horizon par une végétation exo-

rang si l’on fait une moyenne par département.

quatre associations se sont fédérées dans

supports de routes, de chemins et de ports, elles

tique à la silhouette inhabituelle : tête de cèdres et

Si l’on en croit la charte de Florence (1981), nos

l’association régionale des Parcs et Jardins des

forment autant de points de vue pittoresques

de séquoias qui émergent, taches rousses de hêtres

109 jardins historiques sont « des compositions

Pays de la Loire10.

sur les deux rives du fleuve. Au confluent de la

pourpres… Ces domaines ruraux ont entraîné le per-

architecturales et végétales qui, du point de vue

Tous ces efforts de communication et de

Loire et de la Vienne, à Montsoreau, le voyageur

cement de voies de communication qui en magni-

de l’histoire ou de l’histoire de l’art, présentent

valorisation font aujourd’hui du jardin un vrai

entre dans les Pays de la Loire. Il quitte le

fient l’accès avec la création de perspectives et

un intérêt public » mais tous, tant s’en faut, ne

produit touristique. Chacun réagit avec son

« jardin de la France », terre des grands châteaux

d’avenues rectilignes qui sillonnent la campagne.

sont pas labellisés « jardins remarquables1 ».

vécu, ses connaissances et ses expériences : le 2

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Le Jardin exotique de Monaco

C’est en juin 1899 qu’Augustin Gastaud, alors

la destruction de l’observatoire. Ils se dévelop-

jusqu’à la fin des années 1940) furent attribués,

quelles se joint le musée d’Anthropologie pré-

jardinier en chef des jardins Saint-Martin, si-

pèrent d’est en ouest selon un projet qui n’était

par ordonnance souveraine, au Domaine public

historique. Très tôt, les responsables comprirent

tués sur le Rocher de Monaco, exprima pour la

inscrit sans doute que dans l’esprit de son concep-

de la Commune. La visite est possible dès 1931,

que la renommée du Jardin exotique et celle de

première fois son intérêt pour les plantes que

teur, car aucun plan d’origine n’a été retrouvé.

mais le jardin ne sera achevé et conforme à son

la principauté tout entière étaient intimement

l’on qualifiait improprement de « grasses ». Sa

La tâche la plus délicate consista à déplacer, sans

état actuel que vers 1938-1939.

liées. Le Jardin exotique n’hésite pas à exporter

collection, implantée à proximité immédiate du

les abîmer, les fragiles et menaçantes plantes

Le 13 février 1933, le prince Louis II inaugure of-

son image en participant régulièrement à des

Musée océanographique, ne tarda pas à éveiller

d’Augustin Gastaud, dont certaines avaient déjà

ficiellement les Jardins exotiques. Louis Vatrican

manifestations florales d’envergure internatio-

l’intérêt du prince Albert Ier, qui décida qu’un

atteint une taille imposante. On s’aida de planches

(1904-2007), ingénieur agronome, est nommé à

nale, à l’occasion desquelles la qualité du travail

jardin entièrement dédié à ces végétaux hors

et de boudins en papier pour confectionner des

la tête de l’établissement en juillet 1935. La fré-

de ses jardiniers et la beauté de ses plantes sus-

du commun serait édifié dans la principauté.

« emballages » qui permettaient de manipuler

quentation, naturellement modeste les premières

citent un engouement considérable. On mécon-

Il se trouve qu’au tout début du XXe siècle

les végétaux sans les briser ni se blesser. Ce sys-

années (moins de 30 000 entrées en 1935), va pro-

naît la somme de travail que représente la réa-

un terrain escarpé, surplombant le quartier des

tème d’emballage est toujours employé de nos

gresser régulièrement avant de chuter durant le

lisation d’un massif de plantes succulentes lors

Révoires et au sommet duquel était bâti un

jours pour déplacer les sujets utilisés pour la

second conflit mondial. Après la guerre, le nombre

de floralies. Il faut préparer les emballages et

petit observatoire astronomique, avait été dé-

création de massifs, lors d’expositions florales

des visiteurs augmentera à nouveau jusqu’à at-

emmailloter patiemment chaque sujet, car il est

laissé par ses propriétaires, qui souhaitaient s’en

ou d’autres manifestations.

teindre le niveau record de 600 000 touristes par

impensable que l’un d’eux arrive à destination

défaire. L’inscription « À vendre », peinte grossière-

Les travaux, interrompus par la Première

an au début des années 1980. C’est à cette époque

en mauvais état, malgré l’entassement dans les

ment sur le mur, attirait les regards et des esprits

Guerre mondiale, se poursuivirent non sans mal

que, sous l’impulsion de Marcel Kroenlein (1928-

camions pour le transport. Après l’exposition, il

avisés remarquèrent les agaves et les figuiers de

car les moyens de levage et de manutention

1994), devenu directeur en 1969, le Jardin exotique

faut tout recommencer, et en un temps record.

Barbarie qui s’y étaient naturalisés. On décida

étaient limités. Si aucun accident notable n’est

acquiert une renommée internationale qui ne

Lors des Floralies internationales de Nantes de

très judicieusement que l’endroit devait être par-

signalé, on peut s’amuser à noter que les respon-

s’est jamais démentie.

2004, le Jardin exotique a reçu le prix d’honneur

faitement adapté au jardin de plantes grasses

sables déplorèrent de temps à autre la néces-

Découverte en 1918, ouverte au public le

que l’on souhaitait créer.

sité d’arrêter le chantier faute d’argent pour

2 août 1950 et d’abord gérée de façon indépen-

Louis Vatrican, suivi en cela par Marcel

payer les ouvriers.

dante, la grotte de l’Observatoire fut réunie au

Kroenlein, envisagea la création d’un Centre bota-

Les travaux d’aménagement du jardin, pla-

2

pour les présentations collectives étrangères.

cés sous la responsabilité de Louis Notari, ingé-

Le 15 janvier 1930, les Jardins exotiques

Jardin exotique en 1962. Dès lors, un seul billet

nique dès la fin des années 1950. Cet ensemble

sens. Il a fallu, faute de données publiées, forger

de sensibilisation aux problématiques de la

nieur des Travaux publics, débutèrent en 1913 par

(ce pluriel à la mode britannique sera utilisé

d’entrée donna accès aux deux attractions, aux-

de serres et abris, à la vocation désormais affir-

sa propre expérience pour le contrôle de la fé-

conservation. L’activité des jardiniers est marquée

mée de conservatoire botanique, héberge une

condation et l’obtention de graines fiables, dif-

par une forte saisonnalité, liée d’une part à la

collection de succulentes qui figure parmi les

fusées dans le monde entier.

répartition annuelle de la fréquentation, et

plus remarquables du monde.

Très riche en végétaux, le Jardin exotique

d’autre part à la sensibilité des plantes succu-

La première serre, construite au début des

développe aussi des compétences techniques

lentes à des éléments climatiques incontour-

années 1960, fut partiellement enterrée, com-

et scientifiques spécifiques. Il abrite une unité

nables en plein air, comme la température et la

me on a coutume de le faire sous des climats

de documentation spécialisée, constamment

pluviométrie. Les plantations s’échelonnent du

plus rudes afin d’éviter les pertes de chaleur.

enrichie. Il reçoit régulièrement des stagiaires

printemps au début de l’automne, et l’hiver est

Toujours en place, sa verrière a été agrandie et

et des groupes scolaires, et participe à des

mis à profit pour la réfection des massifs et la

abrite aujourd’hui la collection de succulentes

opérations de sensibilisation visant principale-

préparation de nouvelles poches de terre.

malgaches et africaines, dont un monumental

ment le jeune public. Des actions basées sur le

On ne manquera pas de souligner à quel

sujet de Cyphostemma laza (une plante de la

transfert de compétences ont été entreprises,

point furent judicieux les choix initiaux. Celui de

famille de la vigne originaire de Madagascar) et

sous l’égide du service de la Coopération inter-

l’emplacement tout d’abord, à la fois lumineux,

un pied adulte d’Aloe pillansii, une espèce prati-

nationale du ministère d’État de la principauté,

abrité et pentu : il ne fait aucun doute que les

quement disparue dans la nature et dont c’est le

avec la Croatie et Madagascar.

succulentes du Jardin exotique n’auraient pu se

seul exemplaire connu qui fleurisse en culture. 1

2

1

48

303 / NA 103 / 08

Déplacement des plantes de la collection d'Augustin Gastaud. Coll. Jardin exotique de Monaco. Travaux d'aménagement du Jardin exotique, vers 1915-1920. Coll. Jardin exotique de Monaco.

Pour le grand public, la visite du jardin,

développer aussi bien ailleurs dans la principau-

Les espèces rares cultivées ici ont des exi-

de la grotte et du musée d’Anthropologie est

té. La conception du jardin réussit, pour sa part,

gences très particulières. La lutte phytosani-

complétée par des expositions temporaires et

à concilier charme rétro et tourisme moderne.

taire est une préoccupation majeure, qui fait

la possibilité d’acquérir de petites plantes suc-

C’est un patrimoine discret qui se doit d’évoluer

désormais appel à l’utilisation d’auxiliaires biolo-

culentes. Hors saison, la nouvelle serre desti-

sans tourner le dos à son histoire, avec pour enjeu

giques. La collection est inventoriée et des prio-

née à la vente reçoit des panneaux didactiques

majeur de rendre imperceptible le nécessaire

rités ont été déterminées, notamment au regard

complétant l’information des visiteurs dans les

renouvellement des sujets.

de la conservation. Entretenir des plantes aussi

domaines de la vulgarisation botanique, eth-

précieuses sans les multiplier n’aurait aucun

nobotanique et technique, ainsi qu’en matière

Jean-Marie Solichon

49


3

« Allée des Cereus », vers 1920. Coll. Jardin exotique de Monaco.

4

Massif de « coussins de belle-mère » (Echinocactus grusonii), cactées mexicaines. © J.-M. Solichon / Jardin exotique de Monaco.

3

50

303 / NA 103 / 08

51


végétal et sc i e nc e 56

303 / NA 103 / 08

57


Plantes et génomes

Les mots génome et génomique sont entrés

Quelques notions élémentaires

même manière dans nos cellules : ceci contri-

dans le vocabulaire courant il y a une dizaine

La notion de génome est liée aux concepts fonda-

bue à la formation des tissus et organes variés

d’années, à la suite du séquençage d’un génome

mentaux de la génétique, ou science de l’héré-

qui constituent l’organisme – ici la plante. Cette

humain, en 2000. Quelle différence y a-t-il

dité, et à une découverte majeure en biologie

lecture différentielle de notre information, se-

entre génome et génétique ? Qu’en est-il

(par Griffith, Avery et quelques autres, entre

lon le type cellulaire, est permise par des mo-

de leur rôle chez les plantes et en quoi leur

1928 et 1944), celle de son support physique

difications des protéines qui enrobent notre

connaissance fait-elle progresser notre appré-

et moléculaire, la molécule d’acide désoxyri-

ADN, et par des processus de modification

hension du monde des plantes 1 ?

bonucléique ou ADN. Sa structure fut élucidée

de l’ADN, ou encore des molécules d’ARN. Ces

par Watson et Crick en 1953 : c’est la fameuse

modifications de la chromatine, transmises au

double hélice.

cours de la division des cellules (duplication

Les plantes et la génétique

Les plantes ont servi de modèles d’étude et ont

Le terme de génétique (lié aux sciences de

contribué à plusieurs révolutions majeures dans

l’hérédité) a été utilisé pour la première fois

l’histoire de la génétique. Tout le monde a en

par Bateson, en 1909, durant la III e conférence

Enfin, il existe trois génomes dans chaque

mémoire la découverte des lois de l’hérédité

internationale d’hybridation des plantes pour

cellule végétale (contre deux dans la cellule ani-

par le Tchèque Gregor Mendel, en 1866, à partir

éviter la périphrase « hybridation des plantes ».

male) : le nucléaire (le plus important en taille,

d’expériences réalisées avec le pois. Ses travaux

Depuis, c’est une science à part entière incluant

en nombre de gènes et en quantité d’infor-

restèrent longtemps méconnus et largement in-

les notions de gène, terme créé en 1909 par

mations), le mitochondrial (l’ADN de la mito-

compris. C’est le Néerlandais Hugo de Vries qui,

Johannsen, et de génome. Il existe aujourd’hui

chondrie, siège de la respiration cellulaire) et

grâce à l’observation d’une autre plante, l’œno-

de nombreuses définitions du gène. Une des

le plastidial (l’ADN du plaste, siège de la photo-

thère, a redécouvert ces lois en 1900 et décrit, pour

plus couramment utilisées considère que le

synthèse). L’ADN de la mitochondrie et celui

la première fois, les mutations. Ainsi, l’unique

gène est le support matériel des caractères héré-

du plaste s’apparentent à celui des bactéries ;

tige dressée du maïs, qui facilite sa culture, est

ditaires (Mendel, Morgan). C’est aussi l’infor-

ce sont probablement les vestiges de fusions

différente de celle de son ancêtre botanique, un

mation codée dont le produit final est une pro-

anciennes d’organismes bactériens, il y a quelque

téosinte, en raison d’une mutation affectant un

téine, l’ARN messager issu du gène étant une

deux milliards d’années, à l’origine des lignées

gène contrôlant la ramification de la tige2.

forme intermédiaire et transitoire. Toutes ces

animales ou végétales. Enfin, les quantités

Après la Seconde Guerre mondiale, une Amé-

notions font aujourd’hui partie des programmes

d’ADN sont très variables d’une espèce à l’autre

ricaine, Barbara McClintock, a observé des croise-

de biologie enseignés au lycée. On sait isoler,

et sans relation avec leur niveau évolutif

ments entre des pieds de maïs et décrit la forma-

caractériser (séquencer), multiplier (cloner) et

(tableau 1).

tion de grains colorés variés. Ces modifications de

même introduire un gène dans un organisme

couleur, qui ne suivent pas les lois de Mendel, sont

par différentes techniques connues sous le nom

dues à des gènes mobiles dits « gènes sauteurs »

de transgenèse. Enfin, l’ensemble des gènes

Des

ou transposons. Cette découverte valut à Barbara

d’un organisme vivant forme le génome.

aujourd’hui de séquencer entièrement les

McClintock un prix Nobel, en 19833.

des chromosomes), permettent de les garder en mémoire : c’est l’épigénétique.

1

Combien y a-t-il de gènes chez la plante ? progrès

méthodologiques

permettent

Si les gènes sont portés par l’ADN, filament

génomes. Parmi les organismes séquencés dotés

Enfin, en 1990, des essais d’intensification

moléculaire essentiellement contenu dans le

d’un vrai noyau (ce qui les différencie des bacté-

de la couleur des fleurs par transgenèse4 (chez

noyau des cellules, et pelotonnés sous la forme

ries), il faut mentionner l’homme et une petite

le pétunia) eurent des résultats inattendus, qui

condensée des chromosomes, en particulier au

plante utilisée aujourd’hui comme modèle dans

sont à l’origine d’une nouvelle révolution dans

moment de la division cellulaire, il existe aussi

tous les laboratoires de biologie végétale, l’ara-

l’histoire de la génétique : la découverte des

des régions de l’ADN dépourvues de gènes.

bette des dames, une cousine du chou. D’autres

petits ARN5. Expliqué quelques années plus tard

Pendant longtemps, on a pensé qu’elles ne ser-

espèces ont été entièrement séquencées depuis

chez l’animal (un ver, Coenorhabiditis), ce nou-

vaient à rien sinon à stocker de l’ADN. C’est la

2000 (algue, mousse, vigne, peuplier, luzerne, riz,

veau phénomène valut à ses découvreurs, en

raison pour laquelle on parle encore souvent

maïs, etc., tableau 2). Par référence à l’homme,

2006, un prix Nobel, sans pour autant que les

d’« ADN non codant » ou encore d’« ADN pou-

on voit qu’il n’y a pas de corrélation entre le

biologistes végétaux soient récompensés pour

belle » ! On sait aujourd’hui que ces régions inter-

niveau d’organisation et d’évolution et le nombre

la découverte originelle.

viennent dans le codage de petits ARN, non

de gènes. C’est pourquoi l’éditeur de la presti-

traduits en protéines, qui jouent directement

gieuse revue américaine Science écrivait en 2003 :

dans la régulation des gènes.

« Pourquoi l’Homme a-t-il si peu de gènes ? »

Comme on le voit, l’étude des plantes a largement contribué aux progrès de la génétique et à plusieurs découvertes clés qui ont totalement révolutionné cette science.

58

303 / NA 103 / 08

Le texte génétique, l’ADN, est le même

Ce qui compte en réalité, ce n’est pas le nombre

pour toutes les cellules mais il n’est pas lu de la

des gènes mais bien celui des protéines codées

1

Champ de colza, Sucé-sur-Erdre,   Loire-Atlantique. Cl. B. Renoux.

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Plantes et génomes

Les mots génome et génomique sont entrés

Quelques notions élémentaires

même manière dans nos cellules : ceci contri-

dans le vocabulaire courant il y a une dizaine

La notion de génome est liée aux concepts fonda-

bue à la formation des tissus et organes variés

d’années, à la suite du séquençage d’un génome

mentaux de la génétique, ou science de l’héré-

qui constituent l’organisme – ici la plante. Cette

humain, en 2000. Quelle différence y a-t-il

dité, et à une découverte majeure en biologie

lecture différentielle de notre information, se-

entre génome et génétique ? Qu’en est-il

(par Griffith, Avery et quelques autres, entre

lon le type cellulaire, est permise par des mo-

de leur rôle chez les plantes et en quoi leur

1928 et 1944), celle de son support physique

difications des protéines qui enrobent notre

connaissance fait-elle progresser notre appré-

et moléculaire, la molécule d’acide désoxyri-

ADN, et par des processus de modification

hension du monde des plantes 1 ?

bonucléique ou ADN. Sa structure fut élucidée

de l’ADN, ou encore des molécules d’ARN. Ces

par Watson et Crick en 1953 : c’est la fameuse

modifications de la chromatine, transmises au

double hélice.

cours de la division des cellules (duplication

Les plantes et la génétique

Les plantes ont servi de modèles d’étude et ont

Le terme de génétique (lié aux sciences de

contribué à plusieurs révolutions majeures dans

l’hérédité) a été utilisé pour la première fois

l’histoire de la génétique. Tout le monde a en

par Bateson, en 1909, durant la III e conférence

Enfin, il existe trois génomes dans chaque

mémoire la découverte des lois de l’hérédité

internationale d’hybridation des plantes pour

cellule végétale (contre deux dans la cellule ani-

par le Tchèque Gregor Mendel, en 1866, à partir

éviter la périphrase « hybridation des plantes ».

male) : le nucléaire (le plus important en taille,

d’expériences réalisées avec le pois. Ses travaux

Depuis, c’est une science à part entière incluant

en nombre de gènes et en quantité d’infor-

restèrent longtemps méconnus et largement in-

les notions de gène, terme créé en 1909 par

mations), le mitochondrial (l’ADN de la mito-

compris. C’est le Néerlandais Hugo de Vries qui,

Johannsen, et de génome. Il existe aujourd’hui

chondrie, siège de la respiration cellulaire) et

grâce à l’observation d’une autre plante, l’œno-

de nombreuses définitions du gène. Une des

le plastidial (l’ADN du plaste, siège de la photo-

thère, a redécouvert ces lois en 1900 et décrit, pour

plus couramment utilisées considère que le

synthèse). L’ADN de la mitochondrie et celui

la première fois, les mutations. Ainsi, l’unique

gène est le support matériel des caractères héré-

du plaste s’apparentent à celui des bactéries ;

tige dressée du maïs, qui facilite sa culture, est

ditaires (Mendel, Morgan). C’est aussi l’infor-

ce sont probablement les vestiges de fusions

différente de celle de son ancêtre botanique, un

mation codée dont le produit final est une pro-

anciennes d’organismes bactériens, il y a quelque

téosinte, en raison d’une mutation affectant un

téine, l’ARN messager issu du gène étant une

deux milliards d’années, à l’origine des lignées

gène contrôlant la ramification de la tige2.

forme intermédiaire et transitoire. Toutes ces

animales ou végétales. Enfin, les quantités

Après la Seconde Guerre mondiale, une Amé-

notions font aujourd’hui partie des programmes

d’ADN sont très variables d’une espèce à l’autre

ricaine, Barbara McClintock, a observé des croise-

de biologie enseignés au lycée. On sait isoler,

et sans relation avec leur niveau évolutif

ments entre des pieds de maïs et décrit la forma-

caractériser (séquencer), multiplier (cloner) et

(tableau 1).

tion de grains colorés variés. Ces modifications de

même introduire un gène dans un organisme

couleur, qui ne suivent pas les lois de Mendel, sont

par différentes techniques connues sous le nom

dues à des gènes mobiles dits « gènes sauteurs »

de transgenèse. Enfin, l’ensemble des gènes

Des

ou transposons. Cette découverte valut à Barbara

d’un organisme vivant forme le génome.

aujourd’hui de séquencer entièrement les

McClintock un prix Nobel, en 19833.

des chromosomes), permettent de les garder en mémoire : c’est l’épigénétique.

1

Combien y a-t-il de gènes chez la plante ? progrès

méthodologiques

permettent

Si les gènes sont portés par l’ADN, filament

génomes. Parmi les organismes séquencés dotés

Enfin, en 1990, des essais d’intensification

moléculaire essentiellement contenu dans le

d’un vrai noyau (ce qui les différencie des bacté-

de la couleur des fleurs par transgenèse4 (chez

noyau des cellules, et pelotonnés sous la forme

ries), il faut mentionner l’homme et une petite

le pétunia) eurent des résultats inattendus, qui

condensée des chromosomes, en particulier au

plante utilisée aujourd’hui comme modèle dans

sont à l’origine d’une nouvelle révolution dans

moment de la division cellulaire, il existe aussi

tous les laboratoires de biologie végétale, l’ara-

l’histoire de la génétique : la découverte des

des régions de l’ADN dépourvues de gènes.

bette des dames, une cousine du chou. D’autres

petits ARN5. Expliqué quelques années plus tard

Pendant longtemps, on a pensé qu’elles ne ser-

espèces ont été entièrement séquencées depuis

chez l’animal (un ver, Coenorhabiditis), ce nou-

vaient à rien sinon à stocker de l’ADN. C’est la

2000 (algue, mousse, vigne, peuplier, luzerne, riz,

veau phénomène valut à ses découvreurs, en

raison pour laquelle on parle encore souvent

maïs, etc., tableau 2). Par référence à l’homme,

2006, un prix Nobel, sans pour autant que les

d’« ADN non codant » ou encore d’« ADN pou-

on voit qu’il n’y a pas de corrélation entre le

biologistes végétaux soient récompensés pour

belle » ! On sait aujourd’hui que ces régions inter-

niveau d’organisation et d’évolution et le nombre

la découverte originelle.

viennent dans le codage de petits ARN, non

de gènes. C’est pourquoi l’éditeur de la presti-

traduits en protéines, qui jouent directement

gieuse revue américaine Science écrivait en 2003 :

dans la régulation des gènes.

« Pourquoi l’Homme a-t-il si peu de gènes ? »

Comme on le voit, l’étude des plantes a largement contribué aux progrès de la génétique et à plusieurs découvertes clés qui ont totalement révolutionné cette science.

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Le texte génétique, l’ADN, est le même

Ce qui compte en réalité, ce n’est pas le nombre

pour toutes les cellules mais il n’est pas lu de la

des gènes mais bien celui des protéines codées

1

Champ de colza, Sucé-sur-Erdre,   Loire-Atlantique. Cl. B. Renoux.

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1

76

303 / NA 103 / 08

Polytrichum juniperinum sur un  délaissé autoroutier aux environs de Derval en Loire-Atlantique,   associé à Ornithopus perpusillus, petite plante de la famille des fabacées légumineuses. Ces deux espèces font partie  de la prépelouse  à Thérophytes.  Cl. Cl. Figureau.

77


1

76

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Polytrichum juniperinum sur un  délaissé autoroutier aux environs de Derval en Loire-Atlantique,   associé à Ornithopus perpusillus, petite plante de la famille des fabacées légumineuses. Ces deux espèces font partie  de la prépelouse  à Thérophytes.  Cl. Cl. Figureau.

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végé tal et espac e natu r e l 1

78

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Passage aménagé dans la zone  humide herbacée pour la rendre praticable, jardin du lycée Jules Rieffel, Saint-Herblain, Loire-Atlantique.   Cl. B. Renoux.

79


Les arbres de la famille

Avant tout ils sont debout, en cela leur tronc

favorable, une haie, un humus tranquille, elle

finisse pas en cendres, j’ai demandé à un ébéniste

a quelque parenté avec le corps des grandes

peut donner naissance à un petit noyer. C’est

campagnard d’en tirer deux tables. L’homme a

personnes. Certains avaient même l’air un peu

ainsi que nous avons eu successivement deux

précisé, en me les livrant, qu’il restait assez de

sévères mais, temps passant, l’on comprend

fameux noyers, toujours chargés de noix et

bois pour faire d’autres meubles, puis son hangar

qu’en réalité ils sont fragiles, plus que leur enra-

celles-ci d’une variété à coque fine demandant

a brûlé avec toutes les réserves, compris notre

cinement ne le laisse supposer. Ils vieillissent,

peu d’efforts aux doigts pour la faire craquer,

châtaignier ainsi rattrapé par le feu.

eux aussi, et puis il y a les tempêtes. Nous assis-

mais ils sont morts. Le noyer il ne vit pas vieux,

Quand je regrette les absents – un vide dans

tons alors au grandiose combat entre le vent et

il meurt pendant l’hiver sans qu’on s’en aper-

l’air à l’endroit qu’ils occupaient –, je pense au

cette forme dressée à qui ses racines donnent

çoive. Nous n’avons plus de noix !

grand poirier à cidre devant le portail du pré,

une résistance mais interdisent la fuite. L’autre

Chênes et châtaigniers ont moins de chance

son tronc un peu penché, écorce grise craque-

vient de loin, a pris son élan, se rue, frappe, tord

avec leurs fruits lourds, les écureuils mangent les

lée, qui est sur la photo de ma mère souriante

et revient encore, il faut lui résister par souplesse

châtaignes dans l’arbre, les humains ramassent

avec l’enfant aux cheveux ébouriffés que j’étais

sans du tout reculer. Le bruit est effrayant

celles qui tombent et même les bovins savent

à deux ans. L’écorce en a été rongée, l’arbre n’a

autour de la maison, où les tilleuls sont hauts et

piétiner les bogues pour croquer les châtaignes

pas tardé à crever. La commune déjà nous avait

larges, quand l’air se déchire et divise sur leurs

avec leur écorce. Les plus belles sortent d’arbres

condamné un autre grand poirier en bas du pré

branches. L’arbre souffre, ses bras sont tordus,

greffés ou de leurs descendants, on dit « c’est de

pour élargir le chemin. Puisqu’il n’est plus fait

mais il ne dit rien, c’est l’air en les heurtant qui

la dorée » à cause de la couleur des trois petits

de cidre, ni depuis longtemps de poiré, ces hauts

produit cet immense gémissement sans cesse

meubles dans leur chambre veloutée, d’autres

poiriers sont arrachés aux prairies. Ils furent en

modulé. Le lendemain, ciel apaisé, les tilleuls

ont au contraire le cuir sombre. Nous avions un

effet greffés comme producteurs de poires très

sont toujours là car leur écorce est souple,

de ces châtaigniers, pas très grand, qui donnait

âpres. Leur floraison embellit la campagne près

leurs racines solidement accrochées en terre.

vraiment de beaux fruits, mais il a reçu la foudre

de vieux murs de fermes et le moindre souffle

Au pignon ouest de la maison il y a trois autres

et ne s’en est jamais remis, il ne lui reste que

diffuse leur parfum sucré. J’en protège encore

tilleuls et six devant la façade sud, c’est dire le

peu de branches.

une quinzaine alignés de façon rare le long d’un

parfum au mois de juin.

Parmi les arbres dont je me souviens,

chemin creux.

Sur les flancs du jardin qu’à sa création, vers

figures familiales, grands-oncles disparus, il y

Les tornades, ces dernières années, ont abattu,

la fin du XVIIIe siècle, on nommait sans doute le

a un écusson qui régnait sur la haie séparant

un à un, les plus gros chênes. Pour celui qui était

fleuriste, courent des charmilles qui devraient

notre pré du voisin. Ceux que nous nommons

près du ruisseau, le vent s’y est mis à deux fois,

être taillées, l’ombre empêche les narcisses de

écussons sont d’énormes châtaigniers dont le

après une tempête nous l’avons trouvé penché,

fleurir. Dans ces deux suites de branchages entre-

houppier est plus large que haut, d’une forme

quelques racines avaient cédé sous terre, le

lacés je pratiquais un parcours permettant à

générale ressemblant à celle du pommier mais

chêne qui paraît arbre puissant au vrai ne sait

mes jambes d’enfant d’aller d’un bout à l’autre

avec des mensurations, bien sûr, très différentes.

pas s’enraciner. La base de celui-là cachait sous

sans se poser au sol. En tête de chacune d’elles

Ce nom semble signifier qu’ils furent greffés,

l’écorce une faiblesse : par une porte étroite les

fut planté un semencier, charme beaucoup plus

les fruits pourtant n’en étaient jamais gros,

frelons y entraient, une salle intérieure devait

fort qui répand juste avant l’hiver ses samares

seulement précoces. Quand j’avais une dizaine

être tapissée par les alvéoles en papier de leur

en forme de main à trois doigts au milieu des-

d’années, mon père l’a fait abattre et je l’ai vu

quels se tient la graine striée qu’ils doivent em-

nid. À la tempête suivante, accourue de l’ouest

tomber dans un mélange de regret pour l’arbre

comme toujours, le grand chêne est tombé. J’ai

porter, car en cette circonstance, quand il s’agit

et d’intérêt pour l’événement. C’était la guerre,

fait monter et marcher mon petit-fils dans son

Apercevoir une nymphe est rare, dangereux

au sol, et les immortels sis dans la demeure cé-

d’aller poser au loin leurs graines, ormes, tilleuls

l’hiver, il fallait du bois de chauffage, mais sur les

peut-être. Les nymphes des arbres se nomment

leste, elles vivent plutôt longtemps. De curieux

branchage encore imposant quoique couché au

et charmes se fient au vent qui souvent les

pentes un peu plus loin une quantité de triques

ensemble hamadryades, « celles qui sont sous

calculs annoncent neuf mille sept cent vingt

sol : ce n’est pas tous les jours qu’on peut sauter

tourmente mais peut enfin se rendre utile. Le

de châtaignier, ou des chênes de maigre venue,

les chênes ».

ans – mais qui pourra compter ?

dans un chêne comme un écureuil !

noyer, lui, compte sur les corbeaux qui viennent

auraient fourni le nécessaire, je ne comprends

Le plus remarquable des chênes abattus par

Soulevées par l’élan de l’arbre qu’elles pro-

En vérité, leur être dans tout l’arbre irra-

au mois de septembre se servir en noix et les

pas pourquoi c’est l’arbre majestueux, si proche

tègent, elles partagent avec lui tant la jouis-

die, elles mêlent à ses feuilles leur chevelure

la violence de l’air – armée d’autant plus inquié-

emportent pour les manger ailleurs, sur terre de

de nous, qui a été sacrifié. Dans les environs, j’ai

sance des pluies ou du soleil léger que les coups

et se vêtent de son écorce. Il en reste parfois

tante qu’invisible, formée loin où l’on ne connaît

préférence. Mais voler avec une noix dans le bec

connu les derniers écussons, tous ont été coupés.

violeurs du vent ou la peur de la foudre.

la

trace dans les arbres qui furent habités.

pas et venue à cent à l’heure, couchant tout sur

grand ouvert n’est peut-être pas facile, enfin

J’ai même dû en achever un, tant chargé de

Qui donc a fait courir le bruit que dans un

Preuves qui s’effacent sous la scie, la hache. Où

son chemin, on ne rencontre point la horde, seule-

quelque événement au cours du vol, pour-

grosses branches mortes qu’il risquait, un jour

arbre encloses elles meurent à sa mort ? Men-

dansent alors l’hamadryade du chêne et celle

ment ses ravages – oui, le plus remarquable

suite par un jaloux, tempête, envie de crier, il

de bourrasques, d’en laisser tomber une sur le

songe ! Respirant entre nous, pauvres mortels

du châtaignier ?

est tombé à son tour, quelques branches à l’ins-

arrive que la noix tombe et si elle trouve un sol

dos des bestiaux. Souhaitant que ce tronc ne

tant cassées s’enfonçant dans la molle prairie.

80

303 / NA 103 / 08

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Je suis allé le visiter, beau fût, ramure puissante qui depuis tant d’années respirait au-dessus de nous, habitait les saisons de l’air, entre les nuages et la terre où frottent nos pieds, la lune même parfois se prenait à ses branches. Il avait levé sa motte bien sûr, toute la terre étreinte par les racines qui ne s’enfoncent pas assez. Je suis même descendu dans le trou, à peu près trois mètres de large sur un et demi de profondeur, pour voir dessous, l’endroit où personne jamais n’était allé. Puis la bille, choisie pour faire des planches, a été séparée à grands hurlements de tronçonneuse de la souche ici nommée culée. Toutes les racines côté ouest avaient été arrachées ou écourtées dans le sol, elles avaient lâché, il restait seulement quelques racines côté est qui, elles, n’avaient eu qu’à se plier sous le poids de l’arbre tombant, mais trois jours après la séparation du tronc, ces racines encore vivantes, qui ne payaient pas de mine, ont eu la force ahurissante et silencieuse, pour ne plus être pliées, de tirer à elles la souche au point de la faire basculer dans le trou qu’elle avait ouvert. Ainsi cette culée, pesant quoi ? sûrement plus d’une tonne, s’est trouvée remise en place. La chose s’est-elle réalisée lentement ou d’un coup sec ? Mystère, il aurait fallu être là et surtout pas au fond ! Très différent de taille, nous avions auprès de la maison un sorbier malingre, gêné par un charme plus vieux que lui, il se penchait vers l’est pour chercher la lumière et n’apercevait que le soleil levant. Chaque année il portait ses graines rouge orangé, il aurait pu devenir bel arbre s’il avait été mieux logé, toujours à l’ombre il a fini par se laisser mourir. Pourtant ma mère semblait tenir à lui. Comme au cornouiller, dont plusieurs branches sortant de terre forment une touffe, arbuste mais de bois dur, qui fleurit et forme ses petites cerises contre le mur du jardin depuis cent ans. Parmi d’autres que je protège, il y a plusieurs cytises, dont les grappes jaunes parfument les bois de Lozère. Ou encore une bande assez tordue de néfliers près du petit étang, arbustes aussi mais natifs de notre terre, avec fleurs délicates, belles couleurs en automne et abondance de fruits sauvages. Un arbre disparu du jardin et qui comptait beaucoup était simple pommier, chaque année chargé de pommes à peau grise et râpeuse,

82

303 / NA 103 / 08

dans lequel, adolescent, je m’installais pour lire.

houx, fusains et quelques autres, plus de deux

Grâce aux greffes successives ces pommes rares

douzaines d’espèces. Ils sont encore fragiles

sont passées sur d’autres entes et conservées.

mais tandis que j’en prends soin, ces vivants

Très proche était le laurier-sauce, une touffe

pour demain s’emmêlent un peu aux arbres qui

serrée de triques montant droit jusqu’à sept

demeurent debout dans la mémoire.

ou huit mètres. Lors d’un hiver extrême, le voilà mort de froid. Tombées les feuilles persistantes, j’ai attendu, mais printemps, été, aucun signe. Il

Jean-Loup Trassard

a fallu se résoudre à tout couper rez terre. Une part du bois reste encore au bûcher et, après un séchage de plusieurs dizaines d’années, dès que la hache ouvre un rondin l’odeur de laurier est là. Trois ou quatre ans plus tard, surprise, des tiges sont sorties de terre, puis d’autres. Assez vite, cette géante toupie de feuilles sombres que le vent aime brasser a repris sa haute taille et ses fonctions, culinaire, esthétique, au coin du potager. Il faudrait faire sentir aussi l’odeur des deux épicéas, ramasser les dernières feuilles rouges des chênes d’Amérique, les uns et les autres sciés depuis longtemps, témoigner pour les ormes de la cour tous tués par la graphiose – j’aimais toucher leurs feuilles râpeuses, les samares qui tombaient en pluie – ou montrer le sycomore dont le feuillage en automne fait croire qu’un rayon de soleil perce les nuages, ou encore pénétrer dans les châtaigniers creux, ces arbres émondés que nous nommons ragoles… Je dirai seulement la découverte, en lisière du taillis, de deux arbres inconnus, frères assez maigrelets mais hauts, dont les branches se touchent et gênent. Examen de la feuille : alisier torminal. Pas du tout de la région, cet arbre dont les petits fruits ne volent pas dans le vent, alors envoi par intestin d’oiseau ? Et puis un jour, dans la cour fermée entre les hangars du bûcher, un jeune alisier qui lève, arrivé forcément par les airs, semé peut-être par un oiseau ayant visité les deux autres ? Il s’est mis à pousser, trop grandir, pour ne pas le sacrifier je lui coupe des branches. Il serait mieux placé sur le talus bordant un chemin nouveau où je fais pousser une haie en y installant tous les petits arbres ou arbustes que je peux récolter, chênes, châtaigniers, charmes, hêtres, frênes, tilleuls, sycomores, merisiers, peupliers, mais aussi aubépines, prunelliers, saules, bourdaines, noisetiers,

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Je suis allé le visiter, beau fût, ramure puissante qui depuis tant d’années respirait au-dessus de nous, habitait les saisons de l’air, entre les nuages et la terre où frottent nos pieds, la lune même parfois se prenait à ses branches. Il avait levé sa motte bien sûr, toute la terre étreinte par les racines qui ne s’enfoncent pas assez. Je suis même descendu dans le trou, à peu près trois mètres de large sur un et demi de profondeur, pour voir dessous, l’endroit où personne jamais n’était allé. Puis la bille, choisie pour faire des planches, a été séparée à grands hurlements de tronçonneuse de la souche ici nommée culée. Toutes les racines côté ouest avaient été arrachées ou écourtées dans le sol, elles avaient lâché, il restait seulement quelques racines côté est qui, elles, n’avaient eu qu’à se plier sous le poids de l’arbre tombant, mais trois jours après la séparation du tronc, ces racines encore vivantes, qui ne payaient pas de mine, ont eu la force ahurissante et silencieuse, pour ne plus être pliées, de tirer à elles la souche au point de la faire basculer dans le trou qu’elle avait ouvert. Ainsi cette culée, pesant quoi ? sûrement plus d’une tonne, s’est trouvée remise en place. La chose s’est-elle réalisée lentement ou d’un coup sec ? Mystère, il aurait fallu être là et surtout pas au fond ! Très différent de taille, nous avions auprès de la maison un sorbier malingre, gêné par un charme plus vieux que lui, il se penchait vers l’est pour chercher la lumière et n’apercevait que le soleil levant. Chaque année il portait ses graines rouge orangé, il aurait pu devenir bel arbre s’il avait été mieux logé, toujours à l’ombre il a fini par se laisser mourir. Pourtant ma mère semblait tenir à lui. Comme au cornouiller, dont plusieurs branches sortant de terre forment une touffe, arbuste mais de bois dur, qui fleurit et forme ses petites cerises contre le mur du jardin depuis cent ans. Parmi d’autres que je protège, il y a plusieurs cytises, dont les grappes jaunes parfument les bois de Lozère. Ou encore une bande assez tordue de néfliers près du petit étang, arbustes aussi mais natifs de notre terre, avec fleurs délicates, belles couleurs en automne et abondance de fruits sauvages. Un arbre disparu du jardin et qui comptait beaucoup était simple pommier, chaque année chargé de pommes à peau grise et râpeuse,

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dans lequel, adolescent, je m’installais pour lire.

houx, fusains et quelques autres, plus de deux

Grâce aux greffes successives ces pommes rares

douzaines d’espèces. Ils sont encore fragiles

sont passées sur d’autres entes et conservées.

mais tandis que j’en prends soin, ces vivants

Très proche était le laurier-sauce, une touffe

pour demain s’emmêlent un peu aux arbres qui

serrée de triques montant droit jusqu’à sept

demeurent debout dans la mémoire.

ou huit mètres. Lors d’un hiver extrême, le voilà mort de froid. Tombées les feuilles persistantes, j’ai attendu, mais printemps, été, aucun signe. Il

Jean-Loup Trassard

a fallu se résoudre à tout couper rez terre. Une part du bois reste encore au bûcher et, après un séchage de plusieurs dizaines d’années, dès que la hache ouvre un rondin l’odeur de laurier est là. Trois ou quatre ans plus tard, surprise, des tiges sont sorties de terre, puis d’autres. Assez vite, cette géante toupie de feuilles sombres que le vent aime brasser a repris sa haute taille et ses fonctions, culinaire, esthétique, au coin du potager. Il faudrait faire sentir aussi l’odeur des deux épicéas, ramasser les dernières feuilles rouges des chênes d’Amérique, les uns et les autres sciés depuis longtemps, témoigner pour les ormes de la cour tous tués par la graphiose – j’aimais toucher leurs feuilles râpeuses, les samares qui tombaient en pluie – ou montrer le sycomore dont le feuillage en automne fait croire qu’un rayon de soleil perce les nuages, ou encore pénétrer dans les châtaigniers creux, ces arbres émondés que nous nommons ragoles… Je dirai seulement la découverte, en lisière du taillis, de deux arbres inconnus, frères assez maigrelets mais hauts, dont les branches se touchent et gênent. Examen de la feuille : alisier torminal. Pas du tout de la région, cet arbre dont les petits fruits ne volent pas dans le vent, alors envoi par intestin d’oiseau ? Et puis un jour, dans la cour fermée entre les hangars du bûcher, un jeune alisier qui lève, arrivé forcément par les airs, semé peut-être par un oiseau ayant visité les deux autres ? Il s’est mis à pousser, trop grandir, pour ne pas le sacrifier je lui coupe des branches. Il serait mieux placé sur le talus bordant un chemin nouveau où je fais pousser une haie en y installant tous les petits arbres ou arbustes que je peux récolter, chênes, châtaigniers, charmes, hêtres, frênes, tilleuls, sycomores, merisiers, peupliers, mais aussi aubépines, prunelliers, saules, bourdaines, noisetiers,

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Les mousses, végétaux mal aimés

1

2

Les ouvrages d’horticulture et de jardinage sont

gétaux inférieurs » s’entraident largement et

Disons d’abord qu’elles ont des exigences

unanimes : les mousses sont un fléau, et toutes

constituent une chaîne écologique qui finit par

sociales (associations végétales spontanées)

sortes de techniques existent pour se débar-

jouer un rôle important dans la constitution des

que l’on ne respecte jamais. Chaque espèce a

rasser d’elles. Mais les arguments ne sont pas

paysages.

des exigences autoécologiques souvent mé-

convaincants, et surtout font très souvent appel

Tous sont considérés comme un frein au

connues. Le jardinier va s’efforcer de jouer sur

à une notion de propreté, ou d’une manière plus

développement de nos chères plantes à fleurs,

la plasticité écologique des espèces pour les

sous-jacente au manque de contrôle que l’on a

mais est-ce toujours justifié ? C’est à cette ques-

adapter à son jardin et les forcer à cohabiter.

sur elles : sournoises, elles se développent à notre

tion que veut répondre cet article. Il faut ajouter,

Dans cette atmosphère déséquilibrée qu’est le

insu. Dans les joints des pierres d’une terrasse,

pour une bonne compréhension du « phénomène

jardin, les mousses ont beau jeu, au point de

dans un vieux mur ou, pire encore, dans la pe-

mousse », que l’horticulture et le jardinage ne

donner l’aspect d’un envahissement, alors que

louse ou dans les plantes vivaces, sans parler

sont qu’une application des principes de l’écolo-

vraisemblablement elles tentent par leur arri-

bien sûr des mousses qui couvrent le tronc des

gie, auxquels on ajoute des principes de produc-

vée de réparer ce déséquilibre. Mais leur rôle

arbres fruitiers et des arbres d’ornement : elles

tion et de contrôle de la nature. L’art du jardin a

est totalement incompris, et le jardinier s’em-

sont une plaie, et nuisent paraît-il au bon dé-

pour objet principal de faire cohabiter des espèces

ploie à les éliminer. Il n’y est jamais parvenu,

veloppement de ces végétaux ! Il faudrait aussi

végétales venues de tous les horizons, dans

puisqu’elles sont toujours présentes dans nos

parler des micro-algues (des cyanobactéries,

des conditions parfois très éloignées de leurs

jardins en raison des conditions favorables

principalement) et des lichens, car tous ces « vé-

exigences écologiques.

que l’on continue d’y maintenir. Il faudrait

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303 / NA 103 / 08

1

Racines d’orchidée à la recherche de leur nourriture dans les mousses tropicales  sur les écorces  artificielles dans les serres du Jardin des plantes de Nantes.   Cl. B. Renoux.

2

Stelis sp., Batracien tropical arrivé avec un lot de plantes de Guadeloupe dans les serres du Jardin des plantes de Nantes. Cl. B. Renoux.

plutôt se poser la question du milieu qu’elles

écosystèmes de la Terre. Enfin, nous savons que

et l’Atrichum undulatum sur des sols argileux.

recréent, et chercher les végétaux adaptés qui

les mousses ont une capacité de rétention d’eau

Ces deux derniers ont été installés sous les ca-

s’y accommoderaient. Dans ce cas, on créerait

extrêmement importante, qui peut aller jusqu’à

mélias de la collection du Jardin des plantes.

des dynamiques quasi écologiques !

trois cents fois leur poids sec.

Malheureusement, à cause du temps que prend

Pour comprendre ce propos, attachons-nous

Sur le plan de l’environnement, on peut classer

le désherbage manuel, il a fallu renoncer et ces

à découvrir ce que sont vraiment les mousses,

les mousses en deux grandes catégories : les

mousses ont été rapidement envahies par des

et quel rôle elles jouent dans notre environne-

espèces aquatiques et les espèces aérophytes,

herbes, au point de disparaître. Sur des sols hu-

ment naturel et dans nos jardins.

qui vivent à l’air libre. Les mousses aquatiques

mifères un peu argileux-sablonneux (terre de

Les mousses sont considérées comme des vé-

se rencontrent dans les eaux dormantes ou ra-

bruyère), on pourrait cultiver le fameux Leuco-

gétaux inférieurs. Cela ne veut pas dire qu’elles

pides. Certaines, comme Fontinalis antipyretica,

bryum glaucum (cher aux fleuristes) et le beau

aient moins d’importance que les autres, mais

jouent même un rôle d’indicateur pour la qua-

Dicranum scoparium. Jusqu’à ce jour cela n’a

simplement qu’elles sont plus primitives et

lité de l’environnement, tant est grande leur

guère été possible, car les techniques de l’horti-

sont apparues nettement plus tôt que nos

sensibilité aux pollutions. Les sphaignes sont à

culture ne sont pas adaptées, mais avec un peu

plantes à fleurs. Les mousses n’ont pas à pro-

part ; elles vivent dans des eaux très pauvres en

d’implication et de persévérance – et surtout

prement parler de racines : elles sont pourvues

sels minéraux et forment des radeaux qui se dé-

une bonne analyse écologique – cela pourrait se

de rhizoïdes qui assurent leur fixation sur le

veloppent à la surface de l’eau pour composer

faire : on connaît quelques exemples isolés. Un

substrat et jouent un rôle très faible d’assimi-

des tourbières flottantes appelées aussi « trem-

peu partout dans le jardin vient spontanément le

lation. L’appareil végétatif d’une mousse est

blantes ». Une flore très particulière, d’origine

Ceratodon purpureus. Cette jolie petite mousse,

constitué de tiges très serrées, en touffes, ou de

boréale, y croît en permanence. Les plus grandes

qui prend un aspect roussâtre au moment de

tiges rampantes qui forment parfois d’impor-

tourbières occupent une grande partie du Nord

sa fructification, joue un rôle de pionnier et fa-

tantes colonies. Les tiges ne sont pas munies de

du Canada, du Nord de l’Europe et de l’Asie, ainsi

vorise ensuite l’arrivée de nombreuses espèces

vaisseaux assurant le transport de la sève. Les

que des territoires importants dans le Sud de

qui finissent par former de très beaux tapis ;

feuilles, constituées d’une seule épaisseur de

l’Amérique latine et de la Nouvelle-Zélande.

beaucoup sont des hypnacées, des mousses qui

cellules, assurent avec les tiges un rôle assimi-

Quant aux mousses qui vivent à l’air libre,

courent sur le sol, tel le très commun hypnum

lateur : c’est pourquoi les mousses sont d’excel-

on les trouve sur la terre (espèces terricoles), sur

en forme de cyprès (Hypnum cupressiforme). Il

lents indicateurs de pollution, car elles la fixent

les rochers, les murs, etc. ; elles sont alors dites

ne reste au jardinier qu’à les désherber pour les

au même titre que la vapeur d’eau. Ce sont

rupicoles. D’autres, les mousses forestières,

conserver en l’état.

des végétaux sans fleurs, souvent qualifiés de

prospèrent dans les sous-bois. Enfin, une caté-

Au jardin botanique de Nantes, les plantes

cryptogames (les organes sexuels sont cachés) :

gorie bien particulière est dite corticole car elle

leur reproduction est assurée par des spores

épiphytes sont comme chez elles dans leurs

se développe sur les écorces des troncs et des

forêts pluvieuses. Toute cette aventure est

qui sont émises généralement dans une petite

branches d’un grand nombre d’espèces d’arbres

née au début des années 1980 avec la création

capsule dominant la touffe de la mousse visible

des forêts tempérées et tropicales.

d’une écorce artificielle fixée sur des perches

à la fin du printemps.

Il n’y a que les jardins japonais tradition-

de châtaignier dont les propriétés physiques

Elles ont une autre grande qualité, assez

nels qui se soient intéressés aux mousses – et

sont presque identiques à celles des écorces

méconnue mais fort intéressante : elles sont

encore, pas à n’importe lesquelles, puisque ces

des arbres tropicaux porteurs de plantes épi-

reviviscentes, ce qui signifie que la plupart des

fameux jardins historiques n’utilisent qu’une

phytes : orchidées, fougères, broméliacées et

espèces sont capables de passer rapidement

seule espèce, le polytric genévrier (Polytric juni-

autres. C’est l’étude des stades de colonisation

d’un état biologiquement inactif – lorsqu’elles

perinum). Il n’existe pas de technique de culture

en Martinique et en Guadeloupe qui est à l’ori-

sont en état de déshydratation, dans les pé-

et de production pour cette espèce. Après une

gine de ce projet. Sur ces écorces neuves ont été

riodes sans pluie – à un état biologiquement

préparation minutieuse du sol, on attend son ins-

implantées des plantes épiphytes provenant de

actif dès les premières gouttes d’eau. Durant

tallation et l’on gère son expansion et son enva-

Guyane, des Antilles, d’Afrique de l’Ouest et des

cette inactivité apparente, leurs fonctions bio-

hissement par les herbes de toutes sortes qui ne

Philippines. Elles ont apporté autour de leur ra-

logiques – respiration, transpiration, photosyn-

manquent pas d’y trouver des conditions favo-

thèse et reproduction – sont tellement ralenties

cine leur propre biocénose (autres êtres vivants),

rables à leur croissance. Bon nombre d’espèces

micro-algues (cyanobactéries, hépatiques et

qu’elles ne sont pas perceptibles. C’est un grand

de mousses mériteraient de figurer dans nos

mousses) et petits insectes. Le suivi et l’observa-

avantage pour toutes ces espèces, et c’est sans

plates-bandes. Le polytric genévrier, certes, mais

tion du développement de ces espèces ont été la

doute l’une des raisons pour lesquelles elles

aussi le polytric pilifère (Polytrichum piliferum),

base de dix années d’expérimentations. Il a fallu

occupent une grande partie de l’ensemble des

le polytric de Formose (Polytrichum formosum)

ensuite passer à la généralisation du système :

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Les mousses, végétaux mal aimés

1

2

Les ouvrages d’horticulture et de jardinage sont

gétaux inférieurs » s’entraident largement et

Disons d’abord qu’elles ont des exigences

unanimes : les mousses sont un fléau, et toutes

constituent une chaîne écologique qui finit par

sociales (associations végétales spontanées)

sortes de techniques existent pour se débar-

jouer un rôle important dans la constitution des

que l’on ne respecte jamais. Chaque espèce a

rasser d’elles. Mais les arguments ne sont pas

paysages.

des exigences autoécologiques souvent mé-

convaincants, et surtout font très souvent appel

Tous sont considérés comme un frein au

connues. Le jardinier va s’efforcer de jouer sur

à une notion de propreté, ou d’une manière plus

développement de nos chères plantes à fleurs,

la plasticité écologique des espèces pour les

sous-jacente au manque de contrôle que l’on a

mais est-ce toujours justifié ? C’est à cette ques-

adapter à son jardin et les forcer à cohabiter.

sur elles : sournoises, elles se développent à notre

tion que veut répondre cet article. Il faut ajouter,

Dans cette atmosphère déséquilibrée qu’est le

insu. Dans les joints des pierres d’une terrasse,

pour une bonne compréhension du « phénomène

jardin, les mousses ont beau jeu, au point de

dans un vieux mur ou, pire encore, dans la pe-

mousse », que l’horticulture et le jardinage ne

donner l’aspect d’un envahissement, alors que

louse ou dans les plantes vivaces, sans parler

sont qu’une application des principes de l’écolo-

vraisemblablement elles tentent par leur arri-

bien sûr des mousses qui couvrent le tronc des

gie, auxquels on ajoute des principes de produc-

vée de réparer ce déséquilibre. Mais leur rôle

arbres fruitiers et des arbres d’ornement : elles

tion et de contrôle de la nature. L’art du jardin a

est totalement incompris, et le jardinier s’em-

sont une plaie, et nuisent paraît-il au bon dé-

pour objet principal de faire cohabiter des espèces

ploie à les éliminer. Il n’y est jamais parvenu,

veloppement de ces végétaux ! Il faudrait aussi

végétales venues de tous les horizons, dans

puisqu’elles sont toujours présentes dans nos

parler des micro-algues (des cyanobactéries,

des conditions parfois très éloignées de leurs

jardins en raison des conditions favorables

principalement) et des lichens, car tous ces « vé-

exigences écologiques.

que l’on continue d’y maintenir. Il faudrait

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1

Racines d’orchidée à la recherche de leur nourriture dans les mousses tropicales  sur les écorces  artificielles dans les serres du Jardin des plantes de Nantes.   Cl. B. Renoux.

2

Stelis sp., Batracien tropical arrivé avec un lot de plantes de Guadeloupe dans les serres du Jardin des plantes de Nantes. Cl. B. Renoux.

plutôt se poser la question du milieu qu’elles

écosystèmes de la Terre. Enfin, nous savons que

et l’Atrichum undulatum sur des sols argileux.

recréent, et chercher les végétaux adaptés qui

les mousses ont une capacité de rétention d’eau

Ces deux derniers ont été installés sous les ca-

s’y accommoderaient. Dans ce cas, on créerait

extrêmement importante, qui peut aller jusqu’à

mélias de la collection du Jardin des plantes.

des dynamiques quasi écologiques !

trois cents fois leur poids sec.

Malheureusement, à cause du temps que prend

Pour comprendre ce propos, attachons-nous

Sur le plan de l’environnement, on peut classer

le désherbage manuel, il a fallu renoncer et ces

à découvrir ce que sont vraiment les mousses,

les mousses en deux grandes catégories : les

mousses ont été rapidement envahies par des

et quel rôle elles jouent dans notre environne-

espèces aquatiques et les espèces aérophytes,

herbes, au point de disparaître. Sur des sols hu-

ment naturel et dans nos jardins.

qui vivent à l’air libre. Les mousses aquatiques

mifères un peu argileux-sablonneux (terre de

Les mousses sont considérées comme des vé-

se rencontrent dans les eaux dormantes ou ra-

bruyère), on pourrait cultiver le fameux Leuco-

gétaux inférieurs. Cela ne veut pas dire qu’elles

pides. Certaines, comme Fontinalis antipyretica,

bryum glaucum (cher aux fleuristes) et le beau

aient moins d’importance que les autres, mais

jouent même un rôle d’indicateur pour la qua-

Dicranum scoparium. Jusqu’à ce jour cela n’a

simplement qu’elles sont plus primitives et

lité de l’environnement, tant est grande leur

guère été possible, car les techniques de l’horti-

sont apparues nettement plus tôt que nos

sensibilité aux pollutions. Les sphaignes sont à

culture ne sont pas adaptées, mais avec un peu

plantes à fleurs. Les mousses n’ont pas à pro-

part ; elles vivent dans des eaux très pauvres en

d’implication et de persévérance – et surtout

prement parler de racines : elles sont pourvues

sels minéraux et forment des radeaux qui se dé-

une bonne analyse écologique – cela pourrait se

de rhizoïdes qui assurent leur fixation sur le

veloppent à la surface de l’eau pour composer

faire : on connaît quelques exemples isolés. Un

substrat et jouent un rôle très faible d’assimi-

des tourbières flottantes appelées aussi « trem-

peu partout dans le jardin vient spontanément le

lation. L’appareil végétatif d’une mousse est

blantes ». Une flore très particulière, d’origine

Ceratodon purpureus. Cette jolie petite mousse,

constitué de tiges très serrées, en touffes, ou de

boréale, y croît en permanence. Les plus grandes

qui prend un aspect roussâtre au moment de

tiges rampantes qui forment parfois d’impor-

tourbières occupent une grande partie du Nord

sa fructification, joue un rôle de pionnier et fa-

tantes colonies. Les tiges ne sont pas munies de

du Canada, du Nord de l’Europe et de l’Asie, ainsi

vorise ensuite l’arrivée de nombreuses espèces

vaisseaux assurant le transport de la sève. Les

que des territoires importants dans le Sud de

qui finissent par former de très beaux tapis ;

feuilles, constituées d’une seule épaisseur de

l’Amérique latine et de la Nouvelle-Zélande.

beaucoup sont des hypnacées, des mousses qui

cellules, assurent avec les tiges un rôle assimi-

Quant aux mousses qui vivent à l’air libre,

courent sur le sol, tel le très commun hypnum

lateur : c’est pourquoi les mousses sont d’excel-

on les trouve sur la terre (espèces terricoles), sur

en forme de cyprès (Hypnum cupressiforme). Il

lents indicateurs de pollution, car elles la fixent

les rochers, les murs, etc. ; elles sont alors dites

ne reste au jardinier qu’à les désherber pour les

au même titre que la vapeur d’eau. Ce sont

rupicoles. D’autres, les mousses forestières,

conserver en l’état.

des végétaux sans fleurs, souvent qualifiés de

prospèrent dans les sous-bois. Enfin, une caté-

Au jardin botanique de Nantes, les plantes

cryptogames (les organes sexuels sont cachés) :

gorie bien particulière est dite corticole car elle

leur reproduction est assurée par des spores

épiphytes sont comme chez elles dans leurs

se développe sur les écorces des troncs et des

forêts pluvieuses. Toute cette aventure est

qui sont émises généralement dans une petite

branches d’un grand nombre d’espèces d’arbres

née au début des années 1980 avec la création

capsule dominant la touffe de la mousse visible

des forêts tempérées et tropicales.

d’une écorce artificielle fixée sur des perches

à la fin du printemps.

Il n’y a que les jardins japonais tradition-

de châtaignier dont les propriétés physiques

Elles ont une autre grande qualité, assez

nels qui se soient intéressés aux mousses – et

sont presque identiques à celles des écorces

méconnue mais fort intéressante : elles sont

encore, pas à n’importe lesquelles, puisque ces

des arbres tropicaux porteurs de plantes épi-

reviviscentes, ce qui signifie que la plupart des

fameux jardins historiques n’utilisent qu’une

phytes : orchidées, fougères, broméliacées et

espèces sont capables de passer rapidement

seule espèce, le polytric genévrier (Polytric juni-

autres. C’est l’étude des stades de colonisation

d’un état biologiquement inactif – lorsqu’elles

perinum). Il n’existe pas de technique de culture

en Martinique et en Guadeloupe qui est à l’ori-

sont en état de déshydratation, dans les pé-

et de production pour cette espèce. Après une

gine de ce projet. Sur ces écorces neuves ont été

riodes sans pluie – à un état biologiquement

préparation minutieuse du sol, on attend son ins-

implantées des plantes épiphytes provenant de

actif dès les premières gouttes d’eau. Durant

tallation et l’on gère son expansion et son enva-

Guyane, des Antilles, d’Afrique de l’Ouest et des

cette inactivité apparente, leurs fonctions bio-

hissement par les herbes de toutes sortes qui ne

Philippines. Elles ont apporté autour de leur ra-

logiques – respiration, transpiration, photosyn-

manquent pas d’y trouver des conditions favo-

thèse et reproduction – sont tellement ralenties

cine leur propre biocénose (autres êtres vivants),

rables à leur croissance. Bon nombre d’espèces

micro-algues (cyanobactéries, hépatiques et

qu’elles ne sont pas perceptibles. C’est un grand

de mousses mériteraient de figurer dans nos

mousses) et petits insectes. Le suivi et l’observa-

avantage pour toutes ces espèces, et c’est sans

plates-bandes. Le polytric genévrier, certes, mais

tion du développement de ces espèces ont été la

doute l’une des raisons pour lesquelles elles

aussi le polytric pilifère (Polytrichum piliferum),

base de dix années d’expérimentations. Il a fallu

occupent une grande partie de l’ensemble des

le polytric de Formose (Polytrichum formosum)

ensuite passer à la généralisation du système :

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Plantes de bord de mer

Flore et végétation du littoral

Une flore atlantique sous forte

des Pays de la Loire

influence méridionale

Ces conditions clémentes favorisent la re-

thorei), le trèfle rouge (Trifolium rubens), le chêne

montée, le long de la façade atlantique, de plantes

vert (Quercus ilex), le chêne pubescent (Quer-

Des facteurs écologiques contraignants qui façonnent la flore

Les mécanismes physiologiques développés par les végétaux en réponse à la sécheresse de

Zone d’interface entre terre et mer, le littoral

La flore d’un territoire peut être décomposée en

plus généralement présentes sur le pourtour

cus pubescens) ou le garou (Daphne gnidium),

Le littoral est un territoire privilégié pour

ces milieux sont multiples. La conservation de

constitue un milieu naturel riche en plantes

plusieurs éléments floristiques regroupant les

méditerranéen et qui s’étendent sur une partie

qui arrivent en limite septentrionale de répar-

l’observation des stratégies d’adaptation dé-

l’eau au sein de feuilles charnues (succulence)

supérieures terrestres (plantes à fleurs et à

espèces végétales en fonction de leur aire géo-

du littoral atlantique. Parmi ces espèces médi-

tition. Entre Noirmoutier et l’embouchure de

veloppées par les végétaux en réaction aux

est une réponse à la sécheresse qui est déployée

graines, fougères) adaptées à une forte em-

graphique générale de répartition. La flore du

terranéo-atlantiques figurent, par exemple, le

la Loire, d’autres plantes atteignent leur limite

contraintes environnementales imposées par

par des plantes comme la spergulaire des

preinte marine. La singularité des conditions

littoral des Pays de la Loire se caractérise ainsi

lis de mer (Pancratium maritimum), le diotis

nord-occidentale : c’est le cas de l’angélique des

des conditions de vie sévères. La sécheresse de

rochers (Spergularia rupicola), l’inule fausse-

écologiques qui règnent sur le littoral (na-

par un lot d’espèces qualifiées d’atlantiques,

maritime (Otanthus maritimus) ou la luzerne

estuaires (Angelica heterocarpa) ou de l’alysson

certains substrats, la présence de sel, l’action du

criste (Inula crithmoides) ou la criste marine

ture du substrat, submersion par les marées,

qui sont cantonnées à la bordure océanique

marine (Medicago marina). On peut également

des champs (Alyssum minus). Enfin, une der-

vent, les remaniements constants du sable ou

(Crithmum maritimum) qui peuplent les falaises,

influence du sel, climat) explique l’existence

du continent européen, de l’Espagne à la

mentionner l’oseille tête-de-bœuf (Rumex buce-

nière étape dans l’appauvrissement de la flore

encore l’alternance des cycles de marées sélec-

ou par l’orpin âcre (Sedum acre), dans les dunes.

d’une flore spécifique, qui lui est inféodée.

Norvège,

îles

phalophorus), qui atteint la Gironde mais pos-

méridionale littorale en Pays de la Loire est

tionnent sur le littoral une flore spécialisée qui

La cuticule épaisse qui revêt les feuilles et les

incluant

en

totalité

les

La façade littorale de la région des

britanniques. Parmi ces plantes atlantiques,

sède une micro-aire sur l’île d’Yeu en extension

marquée par l’estuaire de la Vilaine, qui n’est,

présente de nombreuses adaptations, qu’elles

tiges et leur confère un aspect luisant limite

Pays de la Loire tire son intérêt floristique

on compte quelques espèces propres à la façade

récente sur l’île de Noirmoutier.

par exemple, pas dépassé par la croix de Malte

soient physiologiques, morphologiques ou phé-

les déperditions en eau des tissus végétaux par

de la juxtaposition de trois cortèges floris-

atlantique française (endémiques), comme le

La continuité du linéaire côtier le long de la

(Tribulus terrestris), l’althénie filiforme (Althenia

nologiques ( jouant, dans ce dernier cas, sur

transpiration. Le revêtement pileux du diotis

tiques appartenant aux trois types de côtes

gaillet des sables (Galium arenarium) ou le

façade atlantique constitue un corridor écolo-

filiformis) ou le faux cresson de Thore (Thorella

leur période de développement). Ces différents

maritime (Otanthus maritimus), de la giroflée

que sont les milieux sableux, les milieux va-

cynoglosse des dunes (Omphalodes littoralis).

gique qui permet des courants floristiques dont

verticillatinundata), et à partir duquel de nom-

mécanismes adaptatifs font parfois converger

des dunes (Matthiola sinuata), de l’immortelle

seux et les milieux rocheux. Le substrat est,

D’autres espèces, appelées ibéro-atlantiques,

le rôle a été important dans l’histoire du peu-

breuses autres espèces se raréfient : le silène de

morphologiquement des espèces soumises aux

(Helichrysum stoechas) ou de la luzerne marine

en effet, un facteur de diversité important

ont une aire de répartition mondiale à peine

plement de la flore des côtes du Nord-Ouest de

Porto (Silene portensis), la vesce fausse gesse

mêmes facteurs écologiques, alors qu’elles sont

(Medicago marina), qui se rencontrent dans les

pour la flore qui détermine des assemblages

moins restreinte qui se partage entre les côtes

la France et qui font également l’objet de mou-

(Vicia lathyroides), l’inule fausse-criste (Inula

très éloignées dans la classification botanique.

dunes, a une fonction équivalente. Une autre

d’espèces

commu-

du nord-ouest de la péninsule Ibérique et celles

vements actuels. Il existe, selon Robert Corillion

crithmoides), l’armoise de Lloyd (Artemisia cam-

Exposées toutes les deux aux embruns sur les ro-

stratégie consiste à réduire la surface des

nautés propres à chacun de ces faciès

végétales

réunies

en

de l’Ouest de la France. C’est le cas de la linaire

(1971), une véritable « voie littorale » traversée

pestris subsp. maritima), l’arroche des sables

chers maritimes, où elles se côtoient, une Apia-

feuilles, qui deviennent effilées comme chez l’ar-

côtiers. De sorte qu’il conviendrait plutôt,

des sables (Linaria arenaria), présente de

par un courant de pénétration et de migration

(Atriplex laciniata), l’arroche littorale (Atriplex

cée (Ombellifère), la criste marine (Crithmum

mérie maritime (Armeria maritima), s’enroulent

comme le font les géomorphologues, d’em-

la Gironde à la Manche ainsi que dans une

de la flore d’origine méridionale vers le nord, à

littoralis), etc.

maritimum) et une Astéracée (Composée), l’inule

sur elles-mêmes (exemple de l’oyat, Ammophila

ployer le pluriel, en évoquant des flores litto-

micro-aire en Galice.

partir d’un important foyer floristique centré sur

Au nord des limites des Pays de la Loire, le

fausse-criste (Inula crithmoides), présentent,

arenaria), se transforment en épines (ajonc

D’un point de vue phytogéographique, la

le Bassin aquitain, notamment les Charentes. De

phénomène d’appauvrissement se poursuit gra-

par exemple, des feuillages charnus d’allure très

d’Europe, Ulex europaeus) ou en écailles (tama-

Bien que le littoral puisse être comparé à

flore du littoral des Pays de la Loire présente

la Loire jusqu’au Cotentin, ce phytogéographe a

duellement en Bretagne et en basse Normandie

semblable.

ris, Tamarix gallica). En milieu dunaire, d’autres

une frontière entre le milieu marin et le milieu

l’autre particularité de posséder un fort contin-

décrit un échelonnement des espèces à carac-

jusque sur les côtes de la Manche. Un nombre im-

continental, cette ligne de contact est tout

gent

tère méridional qui jalonne l’appauvrissement

portant de ces espèces méridionales qui dispa-

sauf une ligne de démarcation figée. C’est,

viennent

typiquement

progressif du cortège des espèces méridionales

raissent ou se raréfient plus au nord se trouvent

La relative faiblesse des précipitations sur le litto-

atlantique. La proximité de l’océan Atlantique

vers le nord. À cette échelle, le littoral des Pays

sur les rivages des Pays de la Loire et participent

plus humides. Le panicaut des dunes (Eryngium

au contraire, une limite mobile qui fluctue

ral est amplifiée dans certaines conditions par la

crée des conditions climatiques très locales le

de la Loire s’inscrit dans une zone géographique

au fond de la flore littorale de la région :

maritimum) et l’euphorbe des dunes (Euphorbia

deux fois par jour au rythme des marées, mais

présence d’un substrat très drainant, caractérisé

paralias) présentent ainsi des racines pivotantes

aussi suivant des cycles saisonniers (tempêtes

long des côtes de Loire-Atlantique et de Vendée

encore placée sous une forte influence méridio-

l’armérie des sables (Armeria alliacea), la giro-

par de très faibles réserves en eau, dans lequel

qui se caractérisent par un adoucissement des

nale, en comparaison des côtes situées plus au

flée des dunes (Matthiola sinuata), l’immortelle

qui peuvent s’enfoncer jusqu’à 2 ou 3 mètres de

hivernales, marées d’équinoxe) et, enfin, en

les plantes sont sujettes à une période de séche-

températures moyennes annuelles : aux en-

nord, en particulier à partir du Finistère, où de

des dunes (Helichrysum stoechas), la franké-

profondeur. Chez le corynéphore (Corynephorus

fonction de pas de temps plus longs, par le jeu

resse estivale. C’est le cas des sables dunaires,

virons de 12 °C sur l’ensemble du littoral de la

nombreuses espèces disparaissent ou se raré-

nie lisse (Frankenia laevis), la soude ligneuse

canescens), le système racinaire est au contraire

des processus d’érosion ou de sédimentation

dont la capacité de rétention en eau est quasi

superficiel, et constitué d’un réseau de racines

qui redessinent les côtes. Ce caractère instable

région, les valeurs maximales sont atteintes à

fient. Ces observations sont à mettre en relation

(Sueda vera)…

nulle et qui sont susceptibles de s’échauffer for-

l’île d’Yeu (environ 12,5 °C de moyenne annuelle)

avec l’existence d’un climat thermo-atlantique

La « voie littorale » fonctionne également

en faisceau très dense, capables d’exploiter la

dans le temps se conjugue à une variabilité

tement au soleil, tout particulièrement les sables

qui ne connaît, par ailleurs, qu’une douzaine de

du Morbihan jusqu’aux Pyrénées-Atlantiques

en sens inverse, avec une pénétration d’espèces

moindre humidité du sable.

dans l’espace au travers d’une perte d’influence

fixés de la dune « grise » qui, étant assombris par

jours de gelée par an. L’ensoleillement est aussi

et d’une variation climatique marquée par une

nordiques vers le sud, qui est, cependant, loin

Une autre forme d’adaptation à la séche-

plus ou moins rapide des contraintes liées

la matière organique, absorbent plus fortement

au milieu marin, au fur et à mesure que l’on

privilégié sur le littoral grâce à des effets de

période de sécheresse estivale qui se manifeste

de présenter la même intensité que le courant

resse réside dans une stratégie d’évitement

le rayonnement solaire. C’est également le cas

brise de mer qui chassent les nuages. Pour cette

suivant laquelle la plante réalise son cycle bio-

s’éloigne du rivage.

entre Loire et Gironde. La durée d’insolation est

méridional. Cette influence nordique est néan-

des falaises maritimes, dans lesquelles les sols se

raison, les précipitations y sont plus faibles

effectivement très favorable sur les côtes de la

moins perceptible sur le littoral des Pays de la

logique avant que la période sèche défavorable

Il est, par conséquent, très difficile de dé-

limitent à une mince couche de matériaux fins

qu’à l’intérieur des terres. Par exemple, sur une

Vendée et particulièrement aux Sables-d’Olonne,

Loire à travers la présence d’espèces comme

n’intervienne. Les espèces annuelles comme la

limiter strictement un territoire littoral. En

accumulés dans les fissures, à partir de la désa-

tout état de cause, la bande côtière placée

distance de quelque 60 kilomètres entre Les

où elle dépasse les 2 100 heures par an.

l’arroche de Babington (Atriplex glabriuscula),

linaire des sables (Linaria arenaria) profitent

grégation de la roche mère et de la décomposi-

Sables-d’Olonne et le centre de la Vendée, les

L’influence méridionale est la plus forte

en Vendée, ou de la pyrole à feuilles longues

du printemps, au cours duquel le sable

franchement sous l’influence de la mer n’a

tion de matière organique, et qui laissent s’écou-

températures moyennes annuelles s’abaissent

jusqu’à l’île de Noirmoutier, qui constitue un

(Pyrola rotundifolia subsp. maritima), nouvelle-

est encore un peu humide, et achèvent leur

généralement pas plus de quelques centaines

ler l’eau très rapidement après chaque pluie. Les

de plus de 1 °C tandis que la pluviosité s’accroît

premier jalon d’appauvrissement avec entre

ment découverte sur la presqu’île du Croisic, en

court cycle de vie avant la période de séche-

de mètres de profondeur vers l’intérieur des

vents, fréquents sur les côtes, accusent par leur

de près de 300 millimètres.

autres le silène de Thore (Silene vulgaris subsp.

Loire-Atlantique.

resse sévère, durant laquelle elles survivent à

terres.

action desséchante l’aridité de ces milieux.

l’état de graines. Des espèces vivaces comme

rales en relation avec des littoraux.

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d’espèces

d’origine

enrichir

méridionale, qui

l’élément

Adaptations à la sécheresse

végétaux possèdent un appareil souterrain très profond qui leur permet d’atteindre des couches

95


1

Allium sphaerocephalum, dune fixée, « dune grise ». Cl. B. Renoux.

la romulée à petites fleurs (Romulea columnae

hydrique réellement fort ou prolongé. On

à la manière de draperies dont les plis ondulent

subsp. columnae) ont elles aussi une floraison

rencontre la succulence chez les différentes

transversalement au vent. Derrière les premiers

très précoce au premier printemps, et subsistent

espèces de salicornes (genre Salicornia), chez

rangs d’arbustes véritablement nanifiés, les ra-

ensuite sous forme de bulbes.

les soudes (genres Suaeda et Salsola) ou chez

meaux des rangées suivantes s’élèvent progres-

l’aster maritime (Aster tripolium).

sivement. Les anémomorphoses ne résultent

Adaptations à la salinité

Une alternative consiste à rejeter du sel

pas d’une action éolienne de nature mécanique,

Le chlorure de sodium (NaCl) est généralement

à l’extérieur des tissus par l’intermédiaire de

qui infléchirait la pousse des végétaux, mais

toxique pour les tissus des végétaux supérieurs.

glandes qui assurent l’excrétion du chlorure

d’une nécrose des jeunes pousses exposées aux

La betterave maritime (Beta vulgaris subsp. ma-

de sodium. Chez les lavandes de mer (Limo-

embruns que le vent projette sur les plantes.

ritima) fait cependant exception et démontre

nium ssp.), la spartine maritime (Spartina ma-

De la même façon, on observe souvent des

une véritable affinité pour ce sel, en révélant une

ritima) ou la frankénie lisse (Frankenia laevis),

plantes dont les parties exposées à la côte sont

meilleure croissance en sa présence. En fait, la

ces glandes sont épidermiques, tandis que

brûlées, en raison d’une action conjointe des

plupart des autres végétaux supérieurs capables

chez les arroches (genre Atriplex) ou l’absinthe

vents et des embruns. Dans ces conditions, les

de vivre en milieu salé (appelés halophytes ou

de mer (Artemisia maritima), elles se trouvent

végétaux à port couché (prostré) sont favorisés.

plantes halophiles) tolèrent le sel par différents

au niveau racinaire.

Parfois, il s’agit de simples accomodats, c’est-à-

mécanismes de résistance à sa présence

En milieu dunaire ou rocheux, l’influence

dire de formes dues au vent, pour lesquelles les

dans l’environnement. On constate souvent,

du sel est véhiculée par les embruns et décroît

individus qui sont expérimentalement mis en

d’ailleurs, qu’ils germent à la faveur de condi-

rapidement lorsqu’on s’éloigne du front de mer.

culture en situation abritée reprennent un port

tions adoucies et ne développent que par la

Ce sont donc surtout les premières ceintures de

dressé normal. Dans d’autres cas, les modifica-

suite une tolérance à des conditions plus salées.

végétation qui sont marquées par ce facteur. En

tions ne sont pas individuelles, mais fixées de

Beaucoup de ces halophytes appartiennent à la

haut de plage, on retrouve des plantes grasses

manière héréditaire à l’échelle de populations.

famille des Chénopodiacées (genres Beta, Atri-

comme la roquette de mer (Cakile maritima), la

Elles correspondent alors à des écotypes prostrés

plex, Halimione, Salicornia, Suaeda, Salsola).

soude brûlée (Salsola kali) ou le pourpier de mer

dont les caractères sont inscrits génétiquement

Les plantes halophiles sont particulièrement

(Honckenia peploides). Sur les côtes rocheuses,

et se maintiennent même s’ils sont soustraits

bien représentées sur les côtes vaseuses pério-

les premiers végétaux supérieurs situés au

par expérimentation à l’influence du vent. Elles

diquement inondées par les marées, où elles

contact supérieur des ceintures d’algues et des

constituent ce que l’on appelle des microtaxons

sont à la base de la végétation. Sur les côtes sa-

tapis de lichens qui se développent sous les plus

littoraux, parmi lesquels on peut citer sur les côtes

bleuses et rocheuses, en revanche, les végétaux

hautes mers de vives-eaux endurent une asper-

rocheuses la très rare sous-espèce prostrée

supérieurs ont une répartition strictement ter-

sion régulière et massive par les embruns et

du genêt des teinturiers (Genista tinctoria subsp.

restre puisqu’ils ne descendent pas au-dessous

correspondent à un étage de végétation baptisé

prostrata) et en milieu sableux l’asperge pros-

du niveau des hautes mers de vives-eaux, cédant

« aérohalin ». On y rencontre de nouveau des

trée (Asparagus officinalis subsp. prostratus).

la place, notamment sur les bas niveaux rocheux,

espèces succulentes : la spergulaire des rochers

à des peuplements d’algues marines. Sur les

(Spergularia rupicola), le silène maritime (Silene

vases salées, les halophytes baignent plus ou

vulgaris subsp. maritima) ou la criste marine

moins régulièrement dans l’eau salée et doivent

(Crithmum maritimum), mais aussi des lavandes

Dans les milieux dunaires, les vents entraînent

faire face à une plus ou moins grande pénétra-

de mer (genre Limonium) et l’armérie maritime

des grains de sable (on parle de déflation) qui

tion du sel dans leurs cellules.

(Armeria maritima), qui excrètent le sel.

peuvent blesser les organes aériens des végé-

La succulence est un moyen développé très fréquemment par les halophytes pour résister

Adaptations à l’action du vent

Adaptations aux remaniements du substrat sableux

taux. Là encore, le développement d’une cuticule épaisse, comme chez l’oyat (Ammophila

à l’accumulation de sel dans la plante. Elle per-

Les vents, fréquents et souvent forts en raison

arenaria) et le chardon des dunes (Eryngium

met de réguler la concentration saline interne

de l’absence d’obstacle au déplacement de l’air,

maritimum) ou la pilosité, comme chez la diotis

des cellules par augmentation de la quantité

impriment une physionomie très particulière

maritime (Otanthus maritimus) ou la luzerne

d’eau retenue. Orientée vers une économie de

aux premières rangées de plantes ligneuses

l’eau du fait également que le sel gêne l’alimen-

marine (Medicago marina), sont des protections

situées en bord de mer : les anémomorphoses.

naturelles contre ce phénomène.

tation hydrique, la morphologie des plantes

Ces déformations plissées sont orientées selon

Les sables dunaires sont caractérisés par

halophiles rappelle donc celle des plantes

la direction des vents dominants et modèlent

adaptées à la sécheresse. Les halophytes ne

une forte mobilité de leur substrat. Les mouve-

le manteau forestier des chênes verts (Quer-

ments de sable les plus importants se font sous

peuvent pourtant pas résister à un déficit

cus ilex) ou parfois des ormes (Ulmus minor),

l’effet de la mer. Le haut de plage qui se trouve

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L’angélique des estuaires

L’angélique est une grande ombellifère qui doit

sur tout le territoire national de détruire, de col-

En Loire-Atlantique, en 2006, 100 espèces

son nom à de prétendues propriétés surnatu-

porter, de mettre en vente, de vendre ou d’ache-

étaient présumées disparues, 111 étaient en

relles et à la liqueur que l’on fabrique à partir

ter et d’utiliser tout ou partie des spécimens

danger de disparition et 85 vulnérables. Les

de l’espèce cultivée, l’angélique officinale

sauvages de ces espèces sauvages présents

plantes disparaissent parce que leur habitat se

(Angelica archangelica).

sur le territoire national, à l’exception des

dégrade progressivement, soit par abandon du

L’angélique à fruits variés – traduction

parcelles habituellement cultivées ». Son aire de

mode de gestion durable favorisant la biodiver-

littérale du latin Angelica heterocarpa – a la

développement, dans l’estuaire de la Loire, a été

sité, soit par destruction directe ou indirecte par

particularité de s’implanter sur les berges va-

intégrée dans un site Natura 2000, ce réseau

des aménagements ou des pollutions. Face à

seuses soumises à marée des estuaires, c’est

européen d’espaces naturels qui vise à assurer

cette crise globale de la biodiversité, une prise

pourquoi elle est plus communément appelée

la conservation des habitats et espèces rares ou

de conscience a eu lieu au sommet de la Terre de

en français Angélique des estuaires (Angelica

menacées1.

Rio, en 1992, puis au sommet de Johannesburg

heterocarpa Lloyd). Elle peut atteindre deux

Les maîtres d’ouvrage et aménageurs ont

en 2002. Au niveau européen, la France s’est en-

mètres de haut, ses feuilles sont composées

souvent quelques difficultés à comprendre l’im-

gagée, avec les autres pays membres, à enrayer

et ses fleurs blanches en ombelle se déploient

portance de préserver une espèce qui ne pré-

la perte de biodiversité, à travers notamment la

à l’extrémité de ses tiges, au milieu de l’été

sente pas de caractéristiques exceptionnelles et

mise en place du réseau Natura 2000. En février

dans notre région. James Lloyd, le grand bota-

somme toute abondante localement, face à des

2004, elle a adopté une stratégie nationale pour

niste anglais, installé à Nantes, qui a arpenté

enjeux de développement économique et urbain.

la biodiversité, avec pour objectif de stopper le

tout l’Ouest de la France pour nous offrir l’une

C’est toute la question de la préservation de la

déclin de la diversité biologique d’ici 2010. Une

des plus anciennes flores de notre région, l’a

biodiversité qui est posée, celle de la préserva-

charte constitutionnelle de l’environnement a

découverte en 1859 sur les berges de Loire, au

tion de l’ensemble du patrimoine naturel que

été adoptée en février 2005 par le congrès. Plus

débarcadère du bac au Pellerin. L’exemplaire de

nous devons léguer aux générations futures.

récemment, le 26 février 2008, dans le cadre du

référence, dénommé « lectotype », est précieuse-

Les plantes participent à l’équilibre écolo-

Grenelle de l’environnement, un premier outil

ment conservé au Muséum d’histoire naturelle

gique des écosystèmes qui assurent des

opérationnel, la Fondation scientifique pour la

d’Angers, avec l’ensemble des 14 000 planches

fonctions indispensables à notre survie (ini-

biodiversité, a été créé. Ses fonctions seront de

d’herbier que Lloyd lui a léguées par testament,

tiation des chaînes alimentaires, production

coordonner la recherche et de mener une mission

à la suite d’un duel perdu avec le directeur des

d’oxygène, rétention et épuration des eaux…).

d’information auprès du grand public.

Jardins des plantes de Nantes.

Elles constituent également une ressource bio-

Mais l’État ne peut pas tout, et la protection

Au-delà de ses caractéristiques physiques,

logique précieuse et une réserve de gènes im-

purement réglementaire des espèces végétales

qui pour certains n’ont rien d’exceptionnel, la

portante. Certaines ont des usages alimentaires,

ne suffit pas. Au-delà de l’impératif légal, il existe

particularité de cette plante est qu’elle est rare

d’autres produisent des molécules aux propriétés

un véritable enjeu qui nécessite de ne pas se

et vulnérable. Rare, parce qu’elle n’existe au

thérapeutiques ou aromatiques : 65 % des pro-

contenter de constater la rareté ou la disparition

monde que dans les estuaires de l’Atlantique. La

duits de l’industrie pharmaceutique sont élabo-

d’une espèce, mais demande la mise en œuvre

population en Loire représente 25 % de la popu-

rés à partir de substances chimiques extraites

de mesures actives pour assurer son maintien. La

lation mondiale ! Vulnérable, car les estuaires

de plantes dont la plupart sont sauvages.

démarche de plan de conservation répond à cette

sont des lieux de développement économique

Des analyses ont montré que l’angélique des

attente. Elle concerne la préservation d’une

et urbain liés au fleuve, et pas toujours compa-

estuaires est très riche en composés chimiques

espèce rare et menacée et vise à maintenir ou

tibles avec la protection de l’environnement !

et qu’elle possède un fort intérêt scientifique

développer ses populations dans son environ-

Ainsi, notre angélique est menacée de régres-

en raison de la présence, dans ses différents or-

nement naturel. Elle s’appuie sur un document

sion, voire de disparition ! C’est pourquoi elle

ganes, de trente-huit molécules inconnues qui

élaboré par des naturalistes qui font une synthèse

est protégée par des textes réglementaires.

pourraient présenter une utilité pour l’homme.

des connaissances générales disponibles sur

Au niveau national, l’angélique des estuaires

Les espèces ont souvent mis plusieurs centaines

l’espèce, un diagnostic de l’état de conservation

fait partie des quelque 100 espèces végétales

de milliers d’années à se façonner. Or, quelques

des populations à l’intérieur des différentes

protégées sur l’ensemble du territoire français

décennies suffisent pour provoquer une dispa-

stations recensées, et enfin élaborent des pré-

par l’arrêté interministériel du 20 janvier 1982,

rition brutale et irréversible : sur les quelque

conisations concrètes pour la gestion favorable

modifié par les arrêtés du 15 septembre 1982 et

350 000 espèces végétales estimées dans le

de l’espèce, le plan d’action.

du 31 août 1995. Elle est classée dans l’annexe I,

monde, 60 000 sont actuellement menacées,

Le plan d’action énumère des objectifs en

qui regroupe les taxons faisant l’objet d’une

dont 400 en France ! Environ 270 d’entre elles ont

matière d’amélioration des connaissances, de

protection totale, interdisant « en tout temps et

disparu de la planète au cours du siècle dernier.

conservation et de prise en compte de l’espèce,

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Plante & Cité

Le centre national Plante & Cité, plate-forme

pour la conduite d’une analyse paysagère…) ;

d’expérimentations et de conseils techniques

la mise en place des projets 2008 selon les diffé-

spécialisée dans le domaine des espaces verts,

rents axes : PBI en espaces verts, diversification

a été initié en 2006 avec l’appui des centres de

végétale, référentiel d’indicateurs économiques

recherche (INH, INRA), des représentants des col-

et environnementaux, amélioration de la ferti-

lectivités territoriales (AITF, AFDJEVP, ATTF, CNFPT,

lité des sols urbains, outils de planification du

FN CAUE) et des entreprises (ASTREDHOR, UNEP).

territoire, toitures végétalisées…

Ses missions principales sont d’organiser et d’animer des programmes d’études et d’expérimentations sur des problématiques de terrain en espaces verts, de réaliser une veille technique et de mutualiser les connaissances au service des collectivités territoriales et entreprises adhérentes. Recherche et expérimentation s’articulent autour de six thèmes : agronomie et artificialisation des sols urbains ; gestion sanitaire et protection biologique intégrée ; innovation et diversification végétale ; économie et gestion des services d’espaces verts ; écologie urbaine et gestion de la biodiversité ; paysage urbain. Son fonctionnement et son financement reposent à terme sur l’adhésion des collectivités territoriales et des entreprises. En contrepartie, les adhérents intègrent un réseau d’échanges

Camille Jouglet

Pour en savoir plus sur nos activités et les lieux où nous rencontrer : Salon Citexpo, le salon des collectivités Le 16 / 12 / 2008 de 8h30 à 17h30 5 ème rencontres du végétal Angers- Institut National d'Horticulture et de Paysage Du 13/01/2009 au 14/01/2009 Plante & Cité Lille, Grand Palais Tél. : 02 41 72 17 37 contact@plante-et-cite.fr www.plante-et-cite.fr

de connaissances, bénéficient de références techniques validées, peuvent participer à des études et des expérimentations conduites en réseau et animées par Plante & Cité, deviennent

1

utilisateurs des services documentaires accessibles sur un extranet : fiches de synthèse sur des techniques nouvelles en matière de plantation, de gestion de l’eau, des intrants, de la planification et de l’aménagement durable des villes ; comptes rendus d’études et d’expérimentations déjà mises en œuvre par Plante & Cité ; fiches sur des réalisations originales conduites par d’autres collectivités ou entreprises ; prescriptions techniques, pour aider la rédaction de CCTP ; forum d’échanges réservé aux adhérents. Pour 2008, Plante & Cité s’est donné trois buts : la mise en ligne du site définitif et des bases de données documentaires ; la valorisation des 1

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303 / NA 103 / 08

Espace vert en gestion différenciée, Cholet, Maine-et-Loire. Cl. B. Renoux.

essais et études conduits en 2007 (typologie des structures arbustives, recensement du patrimoine arboré et diversification végétale, mélange dans les fosses de plantation,recueil des références

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végé tal ET ES PACE UR BAIN 1

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303 / NA 103 / 08

Erigeron canadensis et jeune Platanus acerifolia profitant d’une anfractuosité, prémice d’une possible forêt urbaine. Cl. B. Renoux.

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Les grands parcs nantais

1

Arrivé au service des Espaces verts de Nantes

lieu de restauration, d’un point d’accueil et de

Le parc devient également plus ludique : le

en 1985, j’ai eu ainsi la chance de participer aux

vente au rez-de-chaussée du manoir. Tous ces

petit jardin d’enfants créé avant 1960 est toujours

grands changements qui nous ont conduits à

nouveaux aménagements visent à conforter le

très fréquenté, et sa pataugeoire a hérité d’un en-

gérer l’un des plus beaux patrimoines en parcs,

jardin comme la locomotive du développement

tourage en granit provenant de l’ancien bassin de

jardins et espaces naturels de France. Les amélio-

touristique des espaces verts nantais.

la place de la Duchesse-Anne. La piste de baby-

rations auront été à la fois quantitatives, la surface des espaces verts passant de 415 hectares

Jardin coréen, parc du Grand Blottereau, Nantes. Cl. B. Renoux.

bob et le manège sont arrivés plus récemment, et Le parc de Procé

ont permis d’animer un espace plus ombragé.

en 1977 à 1 030 hectares aujourd’hui, et qualita-

Ce vaste parc aménagé « à la campagne » à la

tives, avec le désir constant de l’ensemble des

fin du xviiie siècle, cédé à la Ville par la famille

jardiniers d’améliorer au quotidien le cadre de

Caille en 1912, est aujourd’hui le plus fréquenté.

C’est certainement la tempête de 1989 qui a

vie des Nantais.

Chaque week-end ensoleillé, des milliers de vi-

déclenché le vaste programme de réaménage-

siteurs flânent dans les allées ou s’allongent

ment de cette partie du parc. En effet, après la

sur l’herbe. Ce principe de liberté, avec de vertes

chute de nombreux arbres autour du ruisseau

De 1984 à 2001, le directeur du SEVE (service des

pelouses accessibles, le rend particulièrement

de la Patouillerie, Roland Jancel a proposé de re-

Espaces verts et de l’Environnement), Roland

attractif. Les derniers aménagements ont

créer dans ce secteur une vaste rocaille alpine,

Jancel, a toujours voulu améliorer les grands

conforté son esprit de parc « à l’anglaise ». En

avec pour objectif de mieux maîtriser le flux

parcs nantais. Le principe général était de déve-

1976, des mixed borders ont été dessinés le long

impétueux du ruisseau en créant des zones de

lopper leur spécificité en privilégiant une thé-

de la Chézine, en un patchwork chamarré de

cascades et des plans d’eau.

matique sur chacun des sites. Ainsi les Nantais

plantes vivaces où se mêlent les hémérocalles

Mes nombreuses randonnées en montagne

peuvent-ils apprécier aujourd’hui des espaces

et les bouquets. Une rocaille a ensuite été amé-

et ma connaissance de la géologie et de la

très différents à la fois dans leur fonctionne-

nagée dans le bas du parc. Rhododendrons, aza-

flore alpines m’ont été très utiles pour lancer

Le parc a reçu de nouveaux aménagements

coréens en France et tout particulièrement

ment et leur aménagement, ce qui permet de

lées, magnolias, cornouillers et érables du Japon

cette construction de pierre, dont nous vou-

Cette propriété, léguée à la Ville par Thomas

en cette fin de siècle, dans la volonté de confor-

Ju Pavageau, qui nous a accompagnés, avec

varier les promenades dominicales et de s’éva-

viennent enrichir les collections du parc autour du

lions qu’elle paraisse totalement naturelle. Les

Dobrée en 1905, a connu un xxe siècle très per-

ter l’idée initiale du legs de Thomas Dobrée :

Françoise Barret et Jean-François Cesbron, dans

der sans franchir les limites de la ville…

nouveau cheminement qui serpente au-dessus

jardiniers du parc, autour d’André Hode et Loïc

turbé. Elle abrita une École d’agronomie coloniale

faire découvrir les plantes utilitaires du monde

son pays natal. Elle nous a aidés à réaliser ce

d’un petit bassin. Le dallage en barrettes d’ar-

Teffo, ont réussi à mener ce chantier à bien,

au début du siècle, mais cette vocation n’a pas

entier. La partie méditerranéenne lance le prin-

projet partagé. Le pavillon est inspiré d’un

doise de Nozay a été réalisé par les jardiniers

malgré des conditions parfois difficiles, au fond

survécu à la Première Guerre mondiale. Pendant

cipe, et nous constituons une vaste rocaille

jardin du palais royal de Séoul. L’ensemble du

C’est un peu la « cathédrale » du SEVE ; dessiné

du parc, qui ont rapidement excellé dans ce

d’un lieu souvent inondé. Ils ont ainsi progres-

la Seconde Guerre mondiale, le château et ses dé-

comme à la Gaudinière ; seule la couleur de la

jardin ressemble à un paysage coréen typique

par Dominique Noisette, il est ouvert au public

domaine particulier. Ce parc est particulière-

sivement atteint le niveau des anciens maîtres

pendances sont occupés par les Allemands ; après

pierre change et le rose prédomine, avec un

du Sud de la péninsule, où poussent des plantes

depuis 1865. En perpétuelle amélioration, il est la

ment beau au printemps, avec un coteau très

rocailleurs, avec l’aide d’un chauffeur de pelle

la Libération, des baraquements de fortune sont

schiste découvert à Saint-Just, car il s’agit de

d’intérêt agronomique essentiel, comme le riz

référence de l’horticulture dans l’Ouest. Il fut vi-

fleuri, clin d’œil aux parcs de Cornouailles, en

atypique, Jean-Pierre Leray, dont le coup d’œil

installés dans le parc pour reloger les habitants

rappeler la teinte des paysages de l’Esterel, de

et le thé.

sité récemment par nos confrères britanniques,

Angleterre, très appréciés des concepteurs nan-

unique a permis de positionner chaque bloc en

suite aux bombardements. Il faudra attendre

la Corse, de l’Andalousie ou de la côte nord-afri-

En 2010 naîtra le vallon du Drakensberg,

qui n’hésitèrent pas à le consacrer comme l’un

tais de l’époque (Paul Plantiveau, André Vollet,

l’intégrant au mieux. Les végétaux sont ici plan-

1974 pour donner un nouveau dessin aux allées

caine. Ce travail a été réalisé en totale synergie

qui accueillera la flore d’Afrique du Sud avec la

des plus beaux et des mieux entretenus de

Michel Bouyer).

L’évolution des grands parcs nantais

Le Jardin des plantes

Le parc de la Gaudinière

1

Le parc du Grand Blottereau

tés plus librement. Nous anticipions un mou-

du parc et reconstituer un parterre à la française

avec le personnel du parc et les moyens du ser-

participation de nos amis des services d’espaces

France. Claude Figureau, directeur du Jardin

L’enrichissement du parc se poursuit avec

vement nouveau où la notion de « mauvaise

face au château. Les serres d’agronomie, rebapti-

vice. Lavandes, romarins, cistes, chênes-lièges,

verts de Durban, ville jumelée avec Nantes.

jusqu’en avril 2008, aura consacré toute son

l’aménagement, dans la partie nord, d’un sen-

herbe » n’existe plus. Des milliers de bulbes

sées « tropicales », ont été totalement restaurées

amandiers et oliviers prospèrent dans un cadre

L’inauguration aura lieu pendant la XXIe Folie

énergie à le hisser à ce niveau, aidé en cela par

tier dallé permettant l’accès aux collections de

viennent également orner les pelouses, avec

et inaugurées en septembre 2000.

où le relief abrite du froid. Ainsi, au fond d’un

des plantes, un événement annuel incontour-

des jardiniers d’élite, dénommés aujourd’hui

dahlias et de fuchsias, le long du stade de Procé.

des variétés de jonquilles qui justifient le nom

Elles ont été agrandies et le pitchpin

« erg », sont blottis des lauriers-roses qui refleu-

nable pour tous les amateurs de jardins et de na-

« jardiniers botanistes ». La découpe des gazons

Le pavillon « mauresque » a été implanté en

de « Val d’or » (Orvault, étymologiquement) qui

vermoulu qui structurait les chapelles rem-

rissent chaque année.

ture du Grand Ouest ; cette fête des plantes née

est parfaite, les décors floraux somptueux mais

2000. Il provient des anciens salons Piou, route

a été donné au versant nord de la rivière.

placé par une structure métallique, le vitrage

Le parc connaît ensuite de nouveaux amé-

d’une initiative associative en 1987 est aujourd’hui

surtout la diversité végétale est impressionnante

de Paris. Roland Jancel a décidé de le sauver de

En 1992, la municipalité nantaise décide d’ac-

double permettant d’appréciables économies

nagements. La partie américaine vient prendre

une manifestation de référence nationale, un lieu

(près de 11 000 espèces et variétés réunies sur

la démolition et, avec l’aide de l’Atelier muni-

quérir la partie haute du parc avec son château,

d’énergie tout en améliorant la viabilité des

sa place autour des plans d’eau ; 2009 verra

d’échanges, de conseils et de passions.

7 hectares) ; elle est née de multiples échanges

cipal, a fait entreprendre sa restauration. Il est

nous donnant ainsi l’opportunité de retrouver

plantes, qui bénéficient maintenant d’un

les derniers aménagements, avec la plantation

de graines avec les jardins du monde entier.

vrai que le parc de Procé, ces dernières années,

l’emprise initiale de la propriété. La nouvelle

climat mieux régulé. C’est ainsi que, pour la

d’un champ de coton. La canne à sucre, elle, a

Parmi les dernières étapes, rappelons la restau-

a pris l’habitude de recevoir des « rescapés » re-

entrée nord permet un meilleur accès aux

première fois, certaines plantes présentes

déjà trouvé sa place.

ration complète du palmarium, qui accueille

marquables, vieux magnolias penchés, lilas des

Nantais et depuis le château, après quelques

depuis plus d’un siècle ont fleuri : le giroflier

Un des projets les plus passionnants à mettre

présence de l’Erdre, qui reflète les frondai-

une

d’épiphytes,

Indes centenaires ou statues de l’ancienne pois-

tailles d’éclaircie dans les arbres, on a à nouveau

déploie enfin ses jolies corolles orangées

en œuvre aura certainement été l’aménagement

sons magnifiques des vieux arbres de cette

la réouverture des cours municipaux de bota-

sonnerie Neptune, mises en scène au-dessus

vue sur la route de Rennes. Il reste à lui trouver

– c’est d’ailleurs le bouton floral qui donne le

du jardin coréen, la « colline de Suncheon ». Il

propriété. Son entretien et son aménagement

nique en 1998 et l’installation d’un nouveau

d’un miroir d’eau.

une nouvelle vocation.

fameux clou de girofle.

est né d’une amitié liée avec des ressortissants

tendent à restaurer avant tout la conception

122

collection

exceptionnelle

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La Chantrerie

Le plus naturel de nos jardins bénéficie de la

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Flore des villes, fleurs des champs

1

1

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Papaver rhoeas, « coquelicot » et Lepidium virginicum, Nantes. Cl. B. Renoux.

La ville offre une sollicitation visuelle forte au

par ces intrusions campagnardes venues rompre

Inutile de parler de la pierre : chacun sait de quoi

travers des vitrines des magasins, de la publi-

avec ses lignes droites et ses surfaces nettes.

il s’agit. Revenons au béton, dont les constituants

cité, des enseignes de toutes sortes ; les lumières

Mais pour une plante ou un animal venant

principaux sont un broyat de pierre calcaire, du

très vives font que très souvent on déambule

de la campagne, qu’est-ce qu’une ville ? Si l’on

sable et du gravier. Ces constituants minéraux,

sans réellement prendre soin de regarder ce

se réfère au dictionnaire Larousse, le mot vient

une fois réunis et mélangés avec de l’eau, sont

qui est à nos pieds – seules les immondices

du latin villa, qui désignait une maison rurale !

moulés selon la forme désirée. En considérant

nous y incitent. Pour que la ville offre un spec-

Aujourd’hui c’est une agglomération dont la

une agglomération sous un autre angle, on peut

tacle où il n’est plus nécessaire de prendre des

majorité des habitants sont occupés par le

dire qu’il s’agit d’une colline constituée de blocs

précautions pour marcher, en dehors d’être

commerce, l’industrie ou l’administration. On

minéraux (roche ou béton) parcourue par des

attentif à la circulation, aux autres personnes

parle évidemment de mœurs des villes par op-

canyons (les rues) plus ou moins profonds et

qui circulent, elle doit être propre. Nous tirons

position aux mœurs de la campagne. Il y aurait

plus ou moins étroits. Ces canyons ensoleillés,

cette notion de la propreté de l’hygiénisme

donc des végétaux des campagnes aux mœurs

surchauffés, froids, humides, etc. forment un

initié par Pasteur, celui-ci ayant attiré notre

bien particulières, qui en formant des commu-

réseau qui offre des caractéristiques écolo-

attention sur le monde des microbes et leurs

nautés sont à l’origine de grandes formations

giques favorables à de nombreuses espèces vé-

conséquences sur notre santé. Notre société

végétales, forêts, landes, prairies, bocages, ma-

gétales. Parfois ces canyons s’élargissent pour

est donc microbophobe. Et par extension, tout

rais, etc. Ces ensembles constituent des pay-

former des espaces nettement plus ensoleillés

ce qui apparaît sur l’espace dédié à la circula-

sages structurés en « habitats » qui à leur tour

que l’on pourrait qualifier de vallées : ce sont

tion des automobiles et des piétons doit être

constituent les écosystèmes. Et puis, à l’opposé,

les grands boulevards. En général, ces canyons

nettoyé.

il y aurait les végétaux des villes qui auraient

et ces allées se réunissent en des point nodaux

Mais dans les fentes du macadam, dans les

des mœurs de citadins, ne constitueraient pas

pour former des places, ajoutant des conditions

joints des pavés, au pied et sur les vieux murs,

de formation végétale, ne se retrouveraient pas

écologiques supplémentaires liées à l’aridité, à

sur les monuments en pierre de taille, sur les toi-

non plus pour constituer des habitats et encore

la vitesse du vent et à bien d’autres facteurs.

tures, et en bien des endroits inconcevables se

moins des écosystèmes. Ces végétaux seraient

Presque toutes les agglomérations offrent

développent timidement, parcimonieusement,

là tout simplement pour embêter le citadin, in-

encore une autre catégorie de vallée, les vallées

un grand nombre d’espèces tenaces, adaptées,

soumis, bravant les produits, les machines, les

fluviales parcourues de ruisseaux, de rivières et

qui bravent en permanence cet interdit. Pour

roues des voitures, les pas des piétons, dans

même de fleuves.

bon nombre d’habitants des villes, elles sont

une espèce de résistance malsaine qui donne-

En un mot, nous avons en ville toutes les

le reflet du malpropre ! Des armées de canton-

rait à la ville un caractère d’abandon. Ces sau-

caractéristiques d’un grand écosystème consti-

niers s’y sont attaquées pendant des siècles,

vageonnes entraînent avec elles un cortège

tué d’un grand nombre de biotopes rocheux,

à coups de racloirs, de binettes, de râteaux,

d’espèces animales parfois tout aussi indési-

rocailleux, sablonneux, caillouteux et terreux.

de balais, mais tranquillement ces plantes

rables : des fourmis, des insectes butineurs (qui

Finalement, la ville peut être considérée d’un

s’adaptaient à la situation.

piquent), des moucherons, des papillons, des

point de vue écologique comme indispensable

Après la Seconde Guerre mondiale vient

limaces, des escargots… Et les choses en reste-

au maintien de certaines formes de vie liées au

la grande époque de la chimie. On disait alors

raient là si ces petites bêtes ne servaient pas

substrat rocheux.

que ce serait la fin des mauvaises herbes, à tel

de nourriture à d’autres animaux plus gros, des

La troisième composante, le goudron, est issue

point que l’on a créé dans les écoles d’agrono-

oiseaux et de petits mammifères. Alors pré-

de la dégradation de la matière végétale. Il est le

mie et d’horticulture des chaires de malherbo-

férons dans les villes la nature domestiquée,

résultat d’un raffinage, ses composants ont perdu

logie. Sans doute cela était-il justifié, lorsqu’on

contrôlée, faisons des jardins rectilignes avec des

les fractions polluantes du pétrole brut. D’ailleurs

a dû séparer dans les blés les graines de la

gazons bien taillés, des arbustes exotiques qu’il

des espèces végétales s’y trouvent parfaitement

nielle ou de la nigelle, toxiques. L’avènement de

faudra malgré tout entretenir, et si par hasard

bien : citons une plante connue dans le Sud de la

désherbants chimiques a révolutionné le net-

une mauvaise herbe des trottoirs favorisait

France, Psolarea bituminosa, une espèce des ro-

toyage des villes. Avec moins de cantonniers,

la reproduction des coccinelles, il serait bien

cailles qui se développe souvent dans le bitume

on pouvait obtenir des résultats très nette-

qu’elles viennent manger les pucerons des rosiers

ment supérieurs en épandant chaque année

du bord de la chaussée.

du jardin d’à côté, cela nous éviterait peut-être

une potion chimique au pied des arbres, sur les

d’avoir à les traiter !

Il est donc normal que des espèces végétales trouvent dans une ville des conditions favorables

trottoirs, dans les caniveaux, sur les terrains de

Mais envisageons les choses d’un autre point

à leur développement : il existe une flore des

sport, dans les allées et massifs… La ville avait

de vue : il y a trois constituants principaux pour

rues, des pieds des arbres, des vieux murs, des

enfin retrouvé un visage qui n’était pas perturbé

faire une ville : la pierre, le béton et le goudron.

terrains vagues. Les plantes de la campagne

129


Son fauve est fauvette.

Le jardineur

Il est fou, À vouloir, Mains perdues dans cette chose, Fou à se soucier de tous les bouts qui se tendent ; Sachant que cela doit être. Il est fou, Imagine : il ne lui reste plus qu’à faire. Punaisées là-haut dans les nuits, des étoiles Jalousent le doux balancement de ses multicolores cosmos. Œillet : l’œil y est, dit l’escargot, Genêt : je renais, dit le jaune. Il est complètement fou, Une lune observe qu’après son départ Il a déjà déplacé une montagne ainsi qu’une herbeuse présence. Son chapeau c’est papillons vers… Et rondes d’ailes, Alors : lotus ! Il y a un tas au fond, dit l’hibou, Où ? S’ébroue la brouette, Là, dit le grillon des neiges. Il est vraiment fou, À enfouir. Toyo, son serpent de dix-huit mètres, pleure dans l’arrosoir. Il sait que les framboises, les enfants et des lois existent. « Oenothera missoutiersis creusae », crie-t-il à ce petit bout de jaune, Puis il s’offre un bouquet de bleus et d’orange, Et regardez-le maintenant : il mange du noir et du violet. Il est décidément fou, À continuer. Et comme l’herbe se laisse faire et que beaucoup de fleurs l’aiment, Vouloir l’arrêter, c’est pelle perdue. À la fin, il se relève, il n’y a plus personne, Mais comme il croit à l’autre, Le vert croît avec lui. Et le vent au passage comme il en prend de la graine. Il dit le mot terre, Que l’on ne peut pas nier, Car c’est vrai, Ce soir, La terre est bleue Comme cette petite pomme qui flotte dans l’arrosoir. Et rose le soleil par le sépale de la trémière. Ah oui, j’allais oublier, Son œuvre aussi donne des vers, Et il sait fermer la boue. Qui n’aimerait ce fou ? Thierry Champigny

1

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Power Flower, Cl. Thierry Champigny.

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Les jardins partagés

Jardins familiaux, jardins partagés, parcs po-

qui a créé le premier jardin communautaire en

alimenter la réflexion sur l’agencement de ces

tagers, jardins collectifs : ces différentes ter-

1973, au cœur de Manhattan. Depuis, ce mou-

nouveaux potagers. D’une surface moyenne de

minologies recouvrent une pratique citadine

vement, la « green guerilla », basé sur l’écono-

150 mètres carrés, les parcelles sont plus petites

du jardinage en plein essor. On assiste en effet

mie informelle du jardinage et la reconquête

que par le passé ; si la dimension vivrière du

depuis une quinzaine d’années au renouveau

de l’espace public, a essaimé au Canada et en

jardin est moins présente, elle reste un élément

des jardins ouvriers : l’importance que prennent

particulier au Québec, puis en Amérique du Sud

attractif pour le jardinier. Le jardin ne fonc-

des valeurs s’appuyant sur la participation, la

et en Europe. On trouve des jardins réalisés par

tionne pas en vase clos : au cœur d’un quartier

citoyenneté active en matière d’environnement

les habitants au cœur de grandes métropoles

populaire, à la croisée des cités de Bellevue et

va de pair avec celles du monde ouvrier, solida-

comme Londres, Berlin, Bruxelles, Amsterdam,

Dervallières, les jardins de la Contrie déve-

rité, entraide et convivialité.

Paris, Lyon… Les municipalités ont accompagné

loppent des valeurs portées par les habitants

Les premières traces de jardins collectifs re-

cette demande avec des programmes visant à

qui y jardinent. On y parle semis, taille, plan-

montent au Moyen Âge. À proximité des villages,

cadrer les conditions de mise à disposition des

tation et récolte, autant que vie quotidienne,

ils contribuaient à l’autonomie alimentaire des

terrains et à encadrer, voire soutenir, les actions

actualité sociale ou convivialité.

habitants. Mais le véritable développement des

d’animation sociale ou d’éducation à l’environ-

Aujourd’hui, le jardinage est à la mode, un

jardins ouvriers a lieu au xixe siècle dans les

nement portées par les habitants au sein de ces

Français sur trois manie la bêche, et l’autopro-

régions industrielles de l’Europe. Il s’appuie sur

jardins ou plus largement sur l’espace public.

duction atteindrait 22 % de la consommation de

un mouvement catholique et social qui s’émeut

En France, c’est le Mouvement des jardins dans

fruits et légumes des ménages. Il est difficile de

de la condition ouvrière. Très vite repris par les

tous ses états, fondé par Éric Prédine, co-inven-

dénombrer avec précision l’ensemble des jardins

grandes entreprises qui mettent des terrains à

teur1 du concept du jardin au carré, qui reprend

collectifs de France. Ils peuvent être fédérés à

disposition des ouvriers, il est fortement teinté

la philosophie de la « green guerilla », fondée

l’association des Jardins du cheminot, ou à la

de paternalisme. L’abbé Lemire, député-maire de

sur une approche citoyenne du jardinage. Ce

Fédération nationale des Jardins familiaux et

Hazebrouck dans le département du Nord, très

mouvement est particulièrement bien implanté

collectifs, issue de la Ligue française du Coin de

industrialisé, crée en 1896 la Ligue française du

en Rhône-Alpes, en région parisienne ou lilloise

terre. Ils semblent le plus souvent autogérés au

Coin de terre et du Foyer. Basée sur des valeurs

ainsi que dans le Finistère. Aujourd’hui, les fédé-

sein d’associations locales en partenariat ou non

morales – famille, travail, vie saine –, elle sera

rations historiques ont également évolué dans

avec les Villes. Au vu de la multiplication des opé-

déclarée d’utilité publique en 1909. Dès lors, le

ce sens, introduisant dans leur programme des

rations ces dix dernières années, on peut estimer

développement des jardins ouvriers est fulgu-

jardins collectifs, d’insertion ou éducatifs.

à 150 000 le nombre des parcelles cultivées. À

rant : on a estimé à près de 700 000 le nombre

Le déclin des jardins ouvriers a cessé avec le

Vannes, dans le cadre des politiques de dévelop-

des jardins ouvriers en France à la veille de la

choc de la crise pétrolière qui signe le retour de

pement social urbain, la municipalité a équipé

Première Guerre mondiale.

la pauvreté en France dans les années 1970. On

les quartiers de Minimur et Kercado d’une

Après la Seconde Guerre mondiale, la de-

assiste alors à l’installation de la précarité, à la

centaine de parcelles mises à disposition des

mande est moins forte : le plein emploi et l’ac-

dégradation des conditions de vie dans les zones

habitants de ces deux quartiers populaires. On

cession à la propriété détournent les ouvriers

d’habitat social ; on découvre les « nouveaux

retrouve le même processus à Brest, qui compte

du jardinage, les familles vont au supermarché.

pauvres ». Dans l’Ouest, à Nantes, Rennes, Brest

aujourd’hui 160 parcelles, à Lorient avec 220 jar-

Parallèlement, la reconstruction grignote bon

ou Angers, les politiques publiques mises en

dins et à Rennes, où le service des Parcs et Jardins

nombre de sites : à Nantes, la cité des Hauts Pa-

place dans les quartiers populaires pour re-

gère 950 parcelles. Le développement des jardins

vés est ainsi construite dans les années de l’im-

qualifier les logements et l’espace public, et

est également enclenché en Pays de la Loire

médiat après-guerre à l’emplacement de pépi-

construire de nouvelles solidarités, vont porter

avec la rénovation ou la création de nouvelles

nières et de jardins ouvriers. Dans les années

des projets de jardins familiaux et de potagers

parcelles. On en compte 250 à La Roche-sur-Yon,

1970, c’est la cité du Bout des Pavés, au nord de la

collectifs. À Nantes, la première réalisation date

380 à Laval, 1 000 à Angers.

ville, qui supprimera de nombreuses parcelles.

précisément de 1980. Adossées au réservoir

Avec un programme volontaire qui pré-

Ainsi, l’offre baisse considérablement ; les

d’eau de la Contrie, à l’ouest de la ville, soixante-

voit pour les prochaines années une aug-

derniers recensements ne sont pas précis mais il

trois parcelles sont créées par le service des

mentation de 60 % de l’offre, le service des

semble que dans les années 1980 on ne comptait

Espaces verts, à la demande de quelques jardi-

Espaces verts de la Ville de Nantes, créateur

plus que 100 000 jardins sur tout le territoire

niers amateurs. Représentants de l’association

du concept de parc potager – Nantes a été

national. Le renouveau arrive d’Amérique.

des Jardiniers de France, ils diffusent son cata-

lauréate du prix Eurocité 2003 pour celui de la

C’est à New York que l’idée d’utiliser les espaces

logue de graines vendues par correspondance

Crapaudine –, gère aujourd’hui 900 parcelles

délaissés a été mise en pratique par Lyz Christy,

et animent un réseau de jardiniers qui vont

réparties sur 18 sites au cœur des quartiers.

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Les jardins de la Contrie, au pied  des réservoirs d’eau, Saint-Herblain,   Loire-Atlantique. Cl. B. Renoux.

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Les jardins de Malakoff, Nantes. Cl. B. Renoux.

3

Marieke et Norbert, la Simbrandière, La Roche-sur-Yon,   Vendée. Cl. B. Renoux.

4

Joseph dans le jardin familial Georges Maillard à Sorges, Maine-et-Loire. Cl. B. Renoux.

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La Société d’horticulture et le Jardin des plantes du Mans

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1

Autrefois l’activité ludique de la pêche attirait de nombreux curieux au bord du lac du jardin des plantes. Coll. Louis Féaux,  ancien chef jardinier.

ne s’ennuient pas pendant que ces messieurs

propre terrain de culture prend naissance dans

est renouvelé le 16 septembre 1857 pour neuf

devisent autour des plantes, un comité de dames

l’esprit des membres du Comité.

ans. En 1864, le bordage de 5 hectares est mis

patronnesses est créé pour, selon le secrétaire

En 1854, sous la présidence du juge Surmont,

en vente. La Société en fait l’acquisition pour

Le Bêle, « apporter à nos fêtes un nouvel éclat

le directeur de l’asile d’aliénés, M. de Saint-Rémy,

60 000 francs, en partie grâce à un emprunt de

et un gracieux et bienveillant concours pour ré-

prête une partie de son clos. La main-d’œuvre

30 000 francs hypothéqué sur le bien.

compenser le plus beau bouquet ou la plus belle

ne coûte pas cher : elle est fournie par les pen-

Le terrain n’est disponible qu’en 1867, au

plante d’appartement ». Il y a bien longtemps

sionnaires sous la surveillance de leurs gardiens.

terme du bail. Les trois années d’attente de

que ce comité a disparu !

Une pépinière est aménagée ainsi que des carrés

disponibilité sont mises à profit pour établir le

La croissance de la Société est importante :

de culture. La solution n’est pas satisfaisante car

projet d’aménagement. Dès 1865, le président

en 1864, elle réunit 15 membres honoraires,

l’accès au jardin est réservé aux membres de la

Surmont prie l’ingénieur en chef des Ponts et

289 sociétaires, 152 dames patronnesses et

commission chargés de son suivi.

Chaussées, M. Martin, de consulter son collègue

42 correspondants. Elle est connue jusqu’à Paris :

En 1855, le ministre de l’Instruction publique

et ami Alphand, ingénieur en chef et adminis-

le 9 août 1864, Napoléon III signe le décret de

prie la Société d’organiser des leçons d’arboricul-

trateur des promenades de la Ville de Paris et

déclaration d’utilité publique de la Société. Pour

ture pour les élèves de l’École normale. C’est dans

créateur du bois de Boulogne. Alphand et ses

son exposition de 1869, trois médailles d’or sont

le jardin des Petites Sœurs des pauvres, proche

services dressent gracieusement le plan du futur

offertes par l’impératrice, une par le ministre de

de l’École normale, qu’un sociétaire, M. Gombert,

jardin anglais avec ses fausses rivières, ses cas-

l’Agriculture ; une médaille d’or et une d’argent

par ailleurs professeur de belles-lettres, initie les

catelles et son lac. En remerciement, la Société

sont offertes par le prince impérial pour récom-

futurs instituteurs à la culture des racines.

le nomme membre honoraire.

penser les exposants.

Mais rien de tel que de vivre sur ses terres !

Avec ce grand projet, les premiers soucis

Il faut donc chercher un terrain, si possible en

d’argent arrivent, et la Société appelle à l’aide

limite de la ville. La zone urbanisée s’arrête

la municipalité. Après un débat de deux ans,

Les premières années, la Société rencontre des

alors au boulevard Négrier et à son prolonge-

la municipalité se porte garante de la Société

difficultés d’hébergement : elle fut logée tout

ment, la rue de Flore. Au-delà, l’habitat est très

en lui octroyant une subvention annuelle de

1

La naissance du jardin

1851, naissance de la Société

musée du Mans) un jardin botanique à l’usage

élus, de faire partie d’une société élitiste. Pour

d’abord dans deux pièces à la préfecture, mais

clairsemé le long des chemins de l’Éventail et

3 000 francs sur vingt ans pour amortir le coût

Le 30 avril 1851, des amateurs de jardins se réunis-

de l’École centrale du département, mais il ne

ceux qui, royalistes, ont quitté leur hôtel pari-

un changement de préfet entraîna son expul-

de Prémartine, avec quelques maisons rurales

d’acquisition du terrain de Sinault, mais l’opé-

sent sous la présidence du préfet de la Sarthe et

vit jamais le jour. Le préfet ratifie l’existence de

sien pour fuir les troubles et ont retrouvé leur

sion. Le maire Surmont prête de 1852 à 1857 une

et des guinguettes fort prisées par les prome-

ration n’est pas gratuite ! Par un acte des 17 et

de M. Surmont, maire du Mans, pour constituer

la Société le 18 août 1851 dans un contexte po-

château sarthois, il est nécessaire de trouver

pièce de l’hôtel de ville.

neurs du dimanche. Or, en 1855, un champ en

25 février 1868 devant Me Douzilé, notaire au

un comité provisoire. Avec le soutien du préfet,

litique particulier : les orléanistes ont quitté le

des conseils pour restaurer, tracer des parterres,

Après les soucis de logement arrivent dès

pente de 116 ares, bordant la côte de Prémartine,

Mans, la Ville devient nu-propriétaire du fonds,

2 retrouvent à la préfecture le 11 août 1851 ils se

gouvernement, Louis Napoléon Bonaparte est

créer des pépinières, reconstituer des vergers.

1854 les soucis d’argent, avec un premier défi-

est mis en vente. Grâce à un emprunt, la Société

la Société en garde l’usufruit et paie les intérêts

sous la présidence de M. Ruillé, conseiller de pré-

devenu prince-président. Ceci va expliquer la

Ainsi, dès l’exposition de 1860, le marquis de

cit de 220,14 francs ! Il est vrai que l’essentiel de

s’en porte acquéreur. Dès 1856, elle en dispose

de sa dette. Curiosité de la situation : la Ville

fecture, dans la salle des Abeilles, pour rédiger

rapide montée en puissance de la Société.

Talhouët, propriétaire du château du Lude, et

l’activité tourne autour de la réalisation d’une

et met en place un potager et un jardin d’essais.

se réserve le droit de reprendre possession du

exposition annuelle.

L’année suivante, elle lance une souscription

jardin en cas de dissolution de la Société, ce qui

les statuts. Autour de la table se trouvent M. Becqx,

Le premier comité est constitué de nota-

le duc des Cars exhiberont les plus beaux fruits

ancien financier venu du Midi, MM. Vétillard,

bles manceaux : son président est M. Gaude,

de leurs vergers reconstitués. Ainsi trouve-t-on

Les expositions agricoles étaient jusqu’alors

auprès de ses sociétaires afin de bâtir au bas

paraît normal, mais encore à sa convenance, ce

Foulard et Tireau.

fonctionnaire de l’Empire, neveu du maréchal

encore les noms de propriétaires de châteaux

réalisées par la Société d’agriculture, sciences et

de la pente la maison du jardinier, se réservant

qui semble contradictoire avec la notion d’usu-

Dans son article 1, la nouvelle Société se

Masséna en retraite au Mans. Le juge Amédée

qui font actuellement partie du patrimoine touris-

arts de la Sarthe qui, malgré sa rivalité avec la

l’étage pour y installer la bibliothèque et son

fruit ! C’est donc ainsi que depuis 160 ans, la

propose « d’encourager la culture des plantes

Hardouin est nommé vice-président, le docteur

tique du département : Bonnétable, Courtanvaux à

Société d’horticulture, s’en dessaisit. Bien que les

bureau. Cette maison a disparu lors de l’élargis-

Société d’horticulture de la Sarthe et la Ville du

indigènes les plus remarquables par leur utilité

Jules Le Bêle, grand collectionneur de plantes,

Bessé-sur-Braye, par exemple.

relations avec le nouveau préfet soient difficiles,

sement de la rue Prémartine en 1982.

Mans vivent un « mariage » peu commun, avec

ou leur agrément ; de favoriser l’introduction

est secrétaire et M. Becqx vice-secrétaire. Des

L’époque est aussi à la découverte des plantes

la première exposition se tient dans l’orangerie et

En 1861 est acquis un petit terrain situé der-

et la naturalisation des plantes exotiques ; de

membres comme M. de Richebourg, Narcisse

rapportées d’expéditions lointaines : le docteur Le

le vestibule de la préfecture. Le colonel du 7e régi-

rière la maison et à l’angle des rues de Flore et

répandre l’usage des bonnes méthodes et d’or-

Desportes, conservateur du musée et grand

Bêle entretient ainsi dans ses serres une collec-

ment de dragons prête ses hommes pour assurer le

Prémartine, ce qui porte la surface à 133 ares.

ganiser des expositions annuelles de fleurs, de

naturaliste, M. Foulard, horticulteur réputé,

tion de nymphéas, de broméliacées et de cléma-

service d’ordre ! D’autres expositions ont lieu à la

Cet ensemble constitue à l’heure actuelle la

Dès la fin du bail avec le cultivateur, en 1867,

fruits, d’arbres, arbustes et légumes ».

des hauts et des bas… La réalisation du jardin

complètent la partie active de ce comité. S’y

tites. Vétaillart soigne ses camélias et le pharma-

Halle aux toiles (aujourd’hui disparue et rempla-

terrasse et le jardin français. L’ambition de la

les travaux d’aménagement de ce qui va deve-

L’idée n’était pas nouvelle puisqu’un supé-

ajoutent des membres honoraires : le préfet,

cien Guéranger collectionne les conifères.

cée par un parking), sous toile place des Jacobins

Société ne pouvait pas en rester là. Au sud du

nir le jardin anglais commencent. Ils doivent

rieur des Lazaristes de la mission, Pierre Davelu,

l’évêque, le général commandant la subdivi-

Mais il n’y a pas que des notables parmi

ou en 1877 sous les voûtes du tunnel lors des fêtes

terrain se trouve le bordage de Sinault, instal-

durer trois ans.

avait réuni après 1765 une collection de plantes

sion, le maire… Dès 1851, la Société compte

les membres de la Société : des professionnels

marquant son inauguration. Un cercle horticole

lé entre le chemin de Sinault et le chemin de

C’est tout d’abord le déménagement du

rares dans les jardins de l’Hôtel-Dieu de Coëffort.

113 membres titulaires, et 149 en 1855. Un tel

y adhèrent, grainetiers, horticulteurs, fleuristes,

permet de donner des conférences et des cours

l’Éventail. Propriété de M. de Saint-Cher, conser-

potager primitif à l’emplacement actuel de

Plus tard, un autre projet prévoyait de créer

engouement a certainement plusieurs causes.

maraîchers et jardiniers de château comme Vidy,

du soir, de distribuer des graines sélectionnées.

vateur des Eaux et Forêts à la retraite, il est loué

la résidence du Parc. La construction de cette

dans les jardins de l’hôtel de Tessé (actuel

Tout d’abord, il y a le souci, pour les nouveaux

jardinier du château du Lude. Afin que les dames

Mais cela ne suffit plus, le besoin d’avoir leur

à M. Serbelle, cultivateur, depuis 1848 ; le bail

dernière, en 1959, l’a fait disparaître mais une

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La haie vive, centre commercial, Nantes. Patrick Bouchain architecte. Cl. Cyrille Weiner & Audrey Cerdan / Construire.

végétal, ART e t arc h itectu r e

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La haie vive, centre commercial, Nantes. Patrick Bouchain architecte. Cl. Cyrille Weiner & Audrey Cerdan / Construire.

végétal, ART e t arc h itectu r e

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se veulent singulières, mais des parcs encore, des

et les zèbres sur fond d’architectures, avec le

territoires de ville inscrits dans l’histoire de la ville,

même don de l’univers par les créatures que celui

sans modèles mais non sans les anciennes règles

des tortues et des grues posées sur l’îlot d’un lac

de composition de la ville dense et d’inclusion

auprès du Ryoan-ji.

de la « troisième nature » dans la masse bâtie.

Mais ces actes exemplaires de l’urbanité sont

Et chaque fois le retour offert d’un débouché de

si rares, si dérisoires face à la pensée bâclée par

la ville, en son sein, sur l’imaginaire de notre vie

l’idéologie « verte » qui nous fait courir vers l’illu-

avec la Terre et non sur la réalité de sa fragile

sion d’une architecture « verte », soi-disant capable

matière qui n’appartient pas à l’urbain – sortes

de sauver la planète et qui ne sert en fait qu’à

d’emprunts à la nature pour qu’elle continue à

nous déculpabiliser à moindres frais, avec le

se présenter en se représentant, avec du vivant

risque pris d’une fin de l’urbanité en dispersant

mais dans l’artifice, pouvant même convoquer

la vie dans la « verdure », en diluant la forme

les animaux auprès des hommes et des plantes,

d’une ville dans l’informe.

Le Bois des Moutiers, Edwin Lutyens  architecte, Gertrud Jekyll. paysagiste, Varengeville-sur-Mer, 1898.

5

Edgar J. Kaufmann House, Fallingwater, Frank Lloyd Wright, architecte,  Pennsylvanie, 1936. Crayon et pastel sur papier de F. L. Wright.

6

Highrise of Homes, James Wines architecte, 1981.

comme dans la « plaine africaine » de Jacqueline Osty au parc de la Tête d’Or, où passent les girafes

Claude Eveno

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Em exercillam, sulit in exeriure te tisi eugait lore conse dui et autpatetue tat nim do consequat wisi.

il devait aussi se poursuivre le long du

me dire : « Vous faites la même chose, mais vous

puisse communiquer sans dessin. Je lui raconte

nouveau parking extérieur, dit le parking silo.

supprimez cela et puis cela aussi. » Alors j’ai voulu

une histoire et il comprend instantanément. Si je

À l’origine, l’épaisseur de la haie devait être

rencontrer le cabinet choisi pour la faire. J’étais

lui dis par exemple : « une courbe orientée à 30° par

bien plus importante, mais pour des raisons

plein d’a priori sur ce genre d’entreprises et sur

rapport à un point 0 et inclinée à 45° et la courbe

budgétaires le nombre des feuilles a été un

les gens qui y travaillaient, et finalement j’ai

reliée par une corde », eh bien pendant que je lui

peu diminué. Quant au parking extérieur, nous

rencontré quelqu’un d’intelligent. Je lui ai raconté

parle, lui dessine. C’est comme si je lui donnais

l’avions imaginé sur quatre niveaux et placé le

mon histoire et il m’a répondu : « Ne vous inquiétez

une indication scénographique. Il comprend tout.

long de la rue Gaétan-Rondeau. Desservi par

pas, on va faire l’enquête avec un objectif que l’on

Il est atteint d’une sclérose en plaques, et ce

deux rampes hélicoïdales placées à chaque

peut orienter. » C’était l’époque de l’ouverture du

travail intellectuel est comme un exercice à la

extrémité, il devait être construit sur une trame

Guggenheim à Bilbao. Dans toutes les revues, il y

recherche des terminaisons nerveuses abîmées.

de portiques en béton et comporter six cents

avait un reportage sur le Guggenheim. Quant à son

Du fait de ces déficiences, il a une capacité de

places. Le niveau I devait relier de plain-pied la

architecte, Frank Gehry, il s’exprimait dans tous les

dessin phénoménale. On a cherché, cherché. Bien

galerie marchande par des passerelles habitées.

journaux, sur toutes les radios. Finalement, mon

sûr, on a pensé au panier de la ménagère, mais

Les plafonds de chaque niveau devaient être

enquêteur monta son enquête avec des questions

c’est tellement bête, le panier de la ménagère…

peints de couleurs différentes. Le dernier

simples que le promoteur lui avait imposées, puis

On avait aussi imaginé travailler sur des images de

niveau sera couvert fin 2008 par une centrale

en proposa d’autres sur la qualité architecturale

Cupidon, sur l’argent. On tournait un peu en rond.

photovoltaïque placée en pergola qui produira

et l’architecture en général. Bien entendu, il

Puis,d’un seul coup,il me lance :« Mais si on travaillait

l’équivalent de la consommation électrique de

montra des photos de centres commerciaux

sur l’arc et la flèche ? » L’idée était trouvée. Restait

cinquante logements. Quant aux extensions

classiques, une boîte à chaussures toute blanche,

à régler un autre problème. Le tube fluorescent ne

commerciales, elles devaient enserrer, sur deux

et il proposa des photos du Guggenheim. « Et ça,

peut pas être courbé, et il fallait donner l’impres-

niveaux aussi, le volume de la galerie existante.

qu’est-ce que vous en pensez ? » et juste après, la

sion d’une courbe ; c’est là que l’on a décidé que

Au nord, les restaurants et les services seraient

photo de notre maquette. « Entre ça et une boîte

ce serait le tube de métal. Celui-ci serait courbe

disposés de part et d’autre d’une large place

à chaussures toute blanche, que préférez-vous ? »

et représenterait l’arc ; quant au tube fluorescent,

raccordée d’un côté au mail existant et de l’autre

À 90 %, les personnes sondées ont choisi mon

il serait la corde. Le résultat est un truc indes-

au nouveau parvis urbain, situé au rez-de-chaussée

projet. Les commanditaires ont été surpris. La

criptible, impensable à faire. Quand on a présenté

sur l’angle de l’avenue du Général-de Gaulle et de

lecture de l’enquête les a rassurés. Ils ont dit :

le premier lustre aux décisionnaires, ce fut un

la rue Gaétan-Rondeau, en contact avec le réseau

« Bon, on y va. » Si le projet était validé, il fallait

grand moment tout à fait étonnant. Ils avaient le

de transports publics. Le souci que nous avions

aussi parler budget. Et celui qui nous était imparti sembla à certains bien trop faible. « Ils

regard des enfants que l’on mène au spectacle. Ils

eu à l’extérieur fut le même pour l’intérieur de la galerie : respect des aménagements existants

n’arriveront jamais à faire ce truc-là. » Nous, on

et augmentation des espaces publics. Lors des

avait bien entendu commencé à estimer le

travaux, tous les faux plafonds ont été déposés.

coût des travaux. J’ai défendu mes estimations,

On y a vu l’occasion d’augmenter le volume, et la

qui avaient été chiffrées très sérieusement.

couverture ainsi découverte fut percée partout où

En travaillant avec des entreprises locales, en

cela était possible, pour créer une constellation

discutant bien du projet, en négociant les prix,

de points lumineux, ces cônes en plexiglas de

sans nous mettre en difficulté, le projet était

différents diamètres qui émergent sur le toit et

parfaitement finançable avec le budget de

trouvent leur prolongement dans la galerie par

départ. Et nous avons été entendus. Les feuilles,

des lustres.

par exemple, ont été faites pour un tiers en Bulgarie, un tiers en Alsace et un tiers à Nantes.

Comment les commanditaires ont-ils reçu le projet ?

2

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Et ces lustres si étonnants ?

Eux, bien. Mais ils m’ont aussitôt dit : « OK, mais

Je travaille sur tous les chantiers avec mon

nous nous posons quand même la question de la

meilleur ami, Jean Lautrey, qui est une personne

réaction du public. Nous allons donc lancer une

d’exception. Il sait tout faire. Il devait être

enquête. » Pour moi, cette enquête d’opinion était

vétérinaire et il a tout arrêté en 1968. Il vit à la

la mort du projet, elle ramènerait obligatoirement

campagne, près de Manosque, au milieu des

un point de vue médiocre. Et je les entendais déjà

chèvres. C’est la seule personne avec laquelle je

sont entrés dans le hangar ; à la vue des feuilles, leur qualité, comme celles des lustres, ils ont dit : « Non, ce n’est pas possible, on n’a jamais vu ça. » Et les réactions de la municipalité ?

Jean-Marc

Ayrault

était

très

inquiet

de

l’extension du centre commercial. Il aurait préféré, à cet endroit, de la mixité, du logement étudiant, des bureaux. Mais je crois qu’il est finalement satisfait du résultat. Cela a été une aventure humaine formidable. J’ai rencontré certains de mes collaborateurs actuels à cette occasion. Quant au centre commercial, pendant la durée du chantier – un an et demi –, il est toujours resté ouvert au public et, finalement, a trouvé sa nouvelle image. Il est devenu l’un des grands pôles urbains de l’Île de Nantes en renforçant son rattachement à la ville. propos recueillis par Jacques Cailleteau

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L’Arbre aux hérons

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Cette branche implantée sur le parvis des Machines de l’île est une des  22 branches de l’Arbre. © Jean Dominique Billaud.

3

La maquette au 1 / 10 de L’Arbre aux Hérons dans la Galerie des Machines.   © Jean Dominique Billaud.

la faiblesse du volume de substrat expose le

leur résistance et leur croissance ? Comment

ont toutes les caractéristiques des plantes

sur lequel un couple de hérons tournoyait : une

système racinaire à des écarts de température

implanter ces végétaux dans la structure métal-

chasmophytes !

sculpture urbaine de 35 mètres de haut, à laquelle

importants et ne lui confère aucune inertie

lique des branches ? Comment allier résistance

Mais, pour que l’image du végétal qui s’en-

le public accéderait en embarquant dans des

thermique.

aux conditions extrêmes et volume de végétal

racine dans l’acier existe le jour de l’ouverture

en rapport à la masse et à l’esthétique générale

de L’Arbre aux hérons, il faut faire germer puis

de l’Arbre ?

mettre en culture nos graines cinq ans avant

nacelles placées sous les ailes des hérons. Cette

Enfin les contraintes liées à l’entretien

image revenait sans cesse dans nos discussions,

des jardins : le linéaire des branches de l’Arbre

sans pour autant s’enraciner dans un projet. Un

atteint plus d’un kilomètre. Conscients, dès le

En juin 2004, Nantes Métropole vote la pre-

jour, je me suis dit que ce qu’il manquait à cet

départ, du fait que l’exploitation de l’Arbre doit

mière tranche des Machines de l’Île de Nantes,

L’arbre est porteur de quantité de symboles,

arbre, c’était tout simplement le végétal. À partir

trouver son équilibre, nous avons dû imagi-

dont l’ouverture au public est prévue en juillet

tous positifs : on lui associe les idées d’enraci-

de cette évidence, il n’y avait qu’un pas pour

ner un système végétal tendant à l’autonomie

2007. Cette première tranche inclut les études

nement, de temps qui passe, de transmission

imaginer que le public puisse passer de branche

(durée de vie des plantes, durabilité du substrat,

de faisabilité de L’Arbre aux hérons et la construc-

– comme un arbre généalogique –, de sagesse

en branche au milieu de jardins suspendus. Nous

entretien, arrosage, etc.).

leur transplantation dans les branches.

tion d’une des vingt-deux branches de l’Arbre.

– on y rend la justice –, de rencontre si l’on pense

étions alors en Bourgogne, en pleine nature,

Lors de la deuxième réunion de travail,

Cette branche prototype, que le public emprunte

à l’arbre à palabres. C’est à la fois un ancrage

chez notre ami l’ingénieur Claude Rigo. Nous

Claude nous a emmenés faire le tour des murs

aujourd’hui en fin de visite de la galerie des

dans le sol et une montée vers le ciel.

avons observé et photographié les arbres, nous

de pierre qui bordent le Jardin des plantes. Pre-

Machines, permet de valider nos choix concer-

Pour garder l’énergie de porter un tel projet

avons construit une petite maquette au 1 / 100

mière constatation : ces murs sont végétalisés,

nant la solidité et la sécurité de la branche,

sur une période aussi longue, il faut revenir à ce

du projet et François a dessiné L’Arbre aux hérons.

des mousses, des fougères mais aussi des arbres

mais aussi toutes nos recherches sur l’implanta-

qui est essentiel dans toute démarche créatrice,

Voilà l’origine de cette idée qui n’a plus quitté nos

y poussent. Nous étions fascinés par la manière

tion des végétaux. Pendant cinq années (2002-

le plaisir d’imaginer et de faire. La rencontre

esprits, et qui est très vite devenue le point fort de

dont les racines trouvent leur voie dans les fis-

2007), nous avons avancé en complicité avec

avec Claude Figureau et sa présence constante

ce projet des Machines de l’Île de Nantes.

sures et entre les pierres. Certains arbres de ce

Claude Figureau, posant, puis résolvant par l’ex-

à nos côtés, alliant l’intuition, la connaissance

Dès que nous avons imaginé cette dimen-

mur ont plus de 2 mètres de haut. Nous avons

périmentation les différents aspects du système

et la rigueur dans l’expérimentation, nous ont

sion végétale de L’Arbre aux hérons, nous avons

alors fait un travail de recherche d’images

de culture : la forme des sacs, qui se rapproche

permis de dépasser les doutes et les fausses

présenté cette idée à Jacques Soignon, direc-

sur les arbres remarquables poussant sur des

de la coupe d’une fissure profonde ; la nature

pistes et de réussir à faire travailler ensemble

teur du service des Espaces verts de la Ville de

falaises, et nous avons observé les plantes

du substrat, qui est à 90 % composé de roche

notre bureau d’étude, nos constructeurs de la

Nantes. Nous avions développé avec lui et les

des murs, falaises et rocailles…

concassée ; la nature des mèches et du système

branche prototype et les équipes de jardiniers du jardin botanique et de la Ville de Nantes.

jardiniers quelques complicités à l’occasion de

Très vite, Claude Figureau nous a parlé de

d’arrosage qui assurent une arrivée d’eau per-

précédents spectacles, et pour nous leur collabo-

plantes chasmophytes. Ce terme un peu barbare

manente à la base des sacs. Parallèlement, nous

ration était incontournable. Jacques nous a tout

nous a fascinés. Il ne définit ni une catégorie ni

avons mis en action le réseau des jardins bota-

de suite mis en relation avec Claude Figureau,

une espèce de plantes : une plante est dite à ca-

niques, liés depuis des siècles pour l’échange de

directeur du Jardin des plantes, en nous souf-

ractère chasmophyte quand elle a prouvé qu’elle

graines et de connaissances. Nous avons reçu

flant qu’il pourrait être notre homme ressource

est capable de s’adapter et de se développer

des milliers de graines provenant de soixante-

sur ce projet. Claude nous a fait comprendre,

alors qu’elle est soumise à des contraintes par-

deux jardins botaniques des zones tempérées et

dès la première rencontre, pourquoi il fallait

ticulières. La connaissance ne vient donc que de

tempérées froides. Leur mise en culture, d’abord

tourner le dos à l’horticulture et inventer un

l’observation de la nature. Le savoir encyclopé-

dans les pépinières de Nantes (dix-huit mois),

véritable écosystème propre aux contraintes de

dique de Claude et le travail de documentation

puis depuis un an dans la branche prototype,

l’Arbre. En schématisant, nous avons identifié

de Thomas Ferrari, jeune ingénieur de l’Institut

sont les dernières phases de la validation de no-

ensemble trois types de contraintes.

national d’horticulture d’Angers, qui a rejoint

tre écosystème. Nous surveillons attentivement

notre équipe, vont nous permettre de lancer la

le développement de ces plantes à croissance

recherche de la palette végétale de l’Arbre.

lente, et nous faisons évoluer la palette végé-

de charge et aux dimensions des branches : le

176

2

François parlait d’un arbre en acier, très grand,

D’abord les contraintes liées aux limites

2

L’Arbre aux Hérons, Dessin de François Delarozière

poids de la branche est une contrainte majeure

Cette intuition concernant ces plantes

tale. Nous avons aujourd’hui la conviction que

qui conditionne évidemment l’existence même

orientait nos recherches dans une direction

cet écosystème est viable. Le fait de tourner le

de l’arbre ; le volume de substrat indispensable

donnée et posait une série de questions dont

dos à l’horticulture en remplaçant le terreau par

à la croissance des plantes doit donc être aussi

les réponses allaient nous aider à définir un

un substrat presque essentiellement minéral est

réduit que possible.

écosystème propre à l’Arbre.

un véritable défi. Claude Figureau a la certitude

Ensuite, les contraintes liées aux conditions

Quel type de plantes peut se développer dans

que ces plantes, dans ces conditions de culture,

climatiques des cultures : l’Arbre est situé en

les conditions extrêmes d’un mur ou d’une fa-

se développeront comme elles le font sur les

bord de Loire, donc exposé au vent ; le dessè-

laise ? Existe-t-il des caractéristiques communes

falaises et dans les anciennes carrières. Pour

chement des jardins suspendus est plus rapide,

à ces plantes ? Quel substrat permet d’assurer

lui, les pins parasols des estampes japonaises

François Delarozière et Pierre Orefice

177


Branches, lianes et feuilles, le végétal en images

Bouquet de fleurs, Jean-Adrien Mercier, aquarelle, 1982. Cl. B. Renoux.

Le jardinage est à la mode et les Français en

renvoie à celle de l’Homme. L’aspect drolatique

de Piles (1635-1709), dans son Cours de peinture

de feuilles qu’un paysage au sens propre. Repre-

sont férus. Cet engouement pour l’art de cultiver

de la composition ne dédaigne pas une vision

par principes, fait référence à la construction de

nant la leçon classique du croquis préparatoire

plantes et arbres n’est pas nouveau, et l’histoire

réfléchie du monde et du rythme des saisons,

ce genre qui prend progressivement sa place

à l’œuvre achevée en atelier, le peintre angevin

de l’art a souvent donné des images heureuses

prenant en compte la recherche scientifique la

– l’une des meilleures – auprès du sujet d’histoire

pouvait mettre son talent au service d’une na-

ou inquiétantes d’une nature domptée ou sau-

plus récente par le biais des traités zoologiques

et du portrait. Le paysage est même un chapitre

ture codifiée qui respirait également la liberté

vage. L’intérêt des puissants pour les sciences a

largement étudiés par l’artiste.

à part, ce qui prouve son importance pour le

de sa touche (Le Chasseur de l’Apennin, 1822,

permis un développement inattendu de la repré-

L’architecture maniériste de la Renaissance

théoricien. Marianne Roland-Michel a montré la

Angers, musée des Beaux-Arts). Cette démarche

sentation des éléments végétaux – en dehors de

fut un espace d’expérimentations très fécond

pertinence des notions proposées par Roger de

ouvrira la voie à l’école de paysage de plein air,

la nature morte, genre apparu dès l’Antiquité si

de ce type de recherches. Des jardins de Boboli à

Piles pour l’élaboration d’une poétique cham-

presque à la même époque. Les académies d’art

l’on en croit les analyses encore pertinentes de

ceux de Bomarzo, l’art des grotesques exploita à

pêtre, où les ruines, les fabriques et les roches

entraînaient alors leurs élèves à copier tout et

Charles Sterling1. Le sujet n’est pas neuf, mais ses

fond les possibilités d’expansion végétale dans

venaient ennoblir le site représenté. Passant du

partout. Luc-Olivier Merson sut retenir la leçon

implications économiques, sociales et culturelles

un paysage créé. Philippe Morel a bien rendu

ciel à la terre, le peintre doit s’attacher aux acci-

et ses Études de feuilles sont de bons témoins

ont beaucoup évolué au cours du temps. S’il ne

compte de l’évolution du genre4 . Passant d’un

dents de la nature. Dans cette optique, de Piles

d’un enseignement pratique rehaussé par une

s’agit nullement de refaire cette histoire large-

détail ornemental (les Loges du Vatican peintes

intègre les « plantes » et les « arbres », qui doivent

curiosité personnelle pour un sujet a priori ano-

ment connue, on s’est peu interrogé sur la per-

par Raphaël), il devint au fil du temps un élément

être peints « avec quelque exactitude » sur le

din. Mais certaines œuvres peuvent étonner car

manence d’un modèle pourtant éphémère d’une

décoratif majeur qui envahit tout l’espace. La dif-

site afin de leur communiquer un « caractère

elles dépassent la simple leçon académique.

représentation du végétal qui passe de la feuille

fusion de l’œuvre de Raphaël par Giovanni Volpato

de vérité ». C’est bien ce qui a permis aux ar-

Ainsi Auguste Renoir est-il bien connu pour ses

à la branche, du pétale à la liane. Les interpréta-

(1735-1803) fut d’une portée considérable5. Au

tistes de se consacrer pleinement à des études

femmes en chair, ses paysages ensoleillés et ses

tions follement variées de ce sujet laissent devi-

musée des Beaux-Arts de Nantes sont conser-

de paysages plus poussées : les détails d’une

scènes urbaines vivantes ; il s’adonna aussi à la

ner une implication personnelle des artistes qui

vées de manière un peu incongrue deux chemi-

plante, d’une feuille, d’un arbre sont alors né-

nature morte et à la représentation bien parti-

ont traité le thème. L’irruption de l’inconscient et

nées. Elles proviennent de la collection Cacault et

cessaires pour concevoir une œuvre cohérente,

culière des bouquets de fleurs. Ses Anémones

du rêve à la fin du xixe siècle à travers ce thème a

sont, semble-t-il, dues au ciseau de Massimiliano

proche de la nature scrutée. Alexandre-François

(vers 1900, Nantes, musée des Beaux-Arts) sont

permis d’en faire un sujet d’intérêt renouvelé.

Laboureur (1767-1831). Leur intérêt majeur réside

Desportes (1661-1743) fut un observateur atten-

ainsi un précieux témoignage de la sensibilité

dans leur décor. On a longtemps cru qu’elles té-

tif de la nature. Tout comme Oudry, il multiplia

de l’artiste âgé envers les choses immobiles.

moignaient de la mode des grotesques de la

les sujets de chasse. Ce fut le prétexte à de belles

Bien plus qu’à une représentation savante d’ob-

Albrecht Dürer fut l’un des premiers, à la Renais-

Renaissance, mais la manière très libre d’interpré-

feuilles où la nature est magnifiée dans ses

jets à sens allégorique, Renoir choisit de s’inté-

sance, à traiter pour soi un sujet aussi banal qu’une

ter le motif floral laisse davantage penser à une

moindres détails, comme dans ce petit croquis

resser aux pétales posés sur la table. Le format

touffe d’herbes (1503). Et pourtant ! Il a su rendre

technique néoclassique. Laboureur, sculpteur de

(Étude de deux plantes à larges feuilles, Paris,

réduit de l’œuvre est parfaitement adapté au

au plus près le frémissement du vent sur les brins

Napoléon, fut un proche de François Cacault. Son

musée du Louvre, fig. 2) qui annonce les subtilités

sujet. La touche libre et vibrante, les couleurs

d’herbe et les feuilles ; on reconnaît parfaitement

Hyacinthe blessé par Apollon comprend un socle

de l’art français du paysage au xixe siècle.

claires et la concentration de la vue font de ce

pissenlits, plantain, achillées, pâquerettes et gra-

qui s’apparente aux motifs relevés sur les deux

La modernité vient des peintres de plein air,

petit tableau une pièce magistrale. L’artiste la

minées. Ce fut « en fait le premier à oser traiter

cheminées. L’entrelacement des feuilles dans une

qui composent des œuvres où le végétal s’in-

considérait comme une œuvre achevée et la

un biotope totalement dépourvu d’attraits en une

ligne très construite illustre le style d’un même

vestit de connotations très personnelles. Retour

signa fièrement. Le décalage entre notre vision

forme qui revendique tranquillement son autono-

artiste épris de simplicité et de grandeur. Tout

aux sources ? Dürer avait ouvert la voie. Mais

« moderne » de Renoir et la technique d’un ar-

mie2 ». Il hésite ainsi entre paysage et nature morte,

le contraire de ce que peut donner ce genre ap-

comment ne pas lier les peintures de certains

tiste libre de créer ce qu’il veut est saisissant.

mais l’intérêt de l’artiste pour un sujet aussi mi-

pliqué au mur : le décor peint de Despouy (1898),

peintres de l’école de Barbizon puis des impres-

L’émotion qui pousse un peintre à illustrer un

nuscule démontre aussi une vision religieuse qui

fresque circulaire du salon 1900, atteste ainsi la

sionnistes à un regain d’intérêt pour le végétal,

motif aussi futile qu’un pétale de fleur est ca-

rend grâces au Créateur. Le xvie siècle fut fécond

résurgence au xixe siècle de l’ornement végétal.

la nature sauvage et libre telle que l’avait en-

ractéristique d’une passion marquante pour

en réalisations humoristiques et sensibles à la

Mais l’esprit est tout autre. Cette fois-ci, le décor

visagée la Renaissance ? La Vanne de Constant

la nature, à une époque où le marché de l’art

beauté de la nature, où celle-ci vient renforcer un

vient célébrer l’Antiquité et la feuille, appliquée

Troyon (Nantes, musée des Beaux-Arts, fig. 3) est

commence à s’emballer pour les œuvres des im-

discours sur la place de l’homme dans l’univers

aux voûtes, s’enroule comme une liane sur un

un magnifique témoignage d’un sujet dévoyé : le

pressionnistes…

sans pour autant en être le sujet principal.

fond rouge pompéien, très « fin de siècle ».

sujet n’est plus le simple cours d’eau, mais bien

Dans la même veine,les estampes d’Emmanuel

le tracé du vent dans les feuilles… de choux !

Phelippes-Beaulieux (1819-1874) sont aussi des illus-

De feuilles en feuilles

1

1

Arcimboldo et ses visages drolatiques manifestent un autre aspect de la curiosité des artistes

196

303 / NA 103 / 08

La naissance d’un genre

Turpin de Crissé, bien représenté à Angers, sut

trations très intimes de la vision que le graveur

pour les éléments naturels3. Il ne s’agit pas de

On sait que le genre du paysage est fort ancien,

manifester une prédilection délicate pour le

a de la vie. De 1853 à 1868, il multiplie les sujets

créer une nature morte en tant que telle, mais à

mais c’est bien au xviie siècle qu’il fut théorisé

paysage bellifontain. Sa Vue prise dans la forêt

et les paysages, ajustant une technique par-

travers les légumes, les fruits ou les animaux, de

en Europe et au xviiie qu’il prit son essor en

de Fontainebleau de 1848 (plume et lavis, Nantes,

faite aux thèmes abordés. De la simple vignette

composer une image éphémère de la nature qui

tant que « genre » à part entière. En 1708, Roger

musée des Beaux-Arts) est davantage une étude

d’illustration à la planche de grand format,

197


Le végétal dans les peintures murales L’époque romane et le début de l’époque

la course du rinceau, mais il en a varié les effets.

facilitée par la disposition des branches basses

Il a placé au sommet de l’intrados et au flanc de

de l’arbre, qui rappelle le chandelier hébraïque

Les clercs de l’époque romane utilisaient la

l’arc voisin le mufle d’un lion et un visage, d’où

à sept branches. L’association de Marie et de ce

peinture murale pour exprimer le caractère in-

partent quatre variétés de rinceaux ornés de

symbolisme végétal place la mère du Christ dans

dicible de Dieu et de la divinité du monde dans

feuillages divers ou de demi-palmettes stylisées.

son rôle de médiatrice dans l’économie du Salut.

lequel ils vivaient. Les artistes exprimaient leur

Dans une autre visée plus signifiante qu’orne-

Toutes les images d’arbres ne présentent

message dans un langage pictural particulier,

mentale, l’artiste a employé d’autres motifs-

pas une telle richesse de sens. L’arbre peint

hautement symbolique et allégorique, exécuté

dans sa vaste décoration de la chapelle haute.

dans la Seconde Annonciation à Notre-Dame

en deux dimensions mais appliqué à l’espace

Dans ce lieu dédié à saint Michel, où se dérou-

de Vieux-Pouzauges, en Vendée, se détache sur

tridimensionnel de l’architecture. La peinture

laient les rites de funérailles des chanoines, le

un fond uniformément clair, tandis qu’un ange

murale était perçue comme la peau de l’édifice,

programme pictural présente non seulement

portant une palme sort d’une nuée qui court au

qui le parachevait et le magnifiait. De même, les

le Christ de la fin des temps accompagné des

sommet de la scène. Le peintre utilise ici le motif

images étaient organisées en fonction d’objectifs

symboles des évangélistes et entouré du chœur

de l’arbre au même titre qu’une frise architec-

déterminés à l’avance au sein de programmes,

des anges, des chérubins et des séraphins, mais

turée dans d’autres scènes, pour définir l’espace

suffisamment complexes parfois pour dérouter

aussi le combat des Vices et des Vertus, la chute

dans lequel se déroule l’action : l’arbre, simple

le spectateur, voire l’historien. En effet, chaque

des mauvais anges et les travaux des hommes.

signal, indique l’extérieur et l’architecture l’inté-

objet ou chaque figure présenté portait en lui

L’organisation en trois registres inégaux repro-

rieur. Le même artiste a par ailleurs employé

une multiplicité de sens au sein de l’ordonnan-

duit les trois niveaux terrestre, céleste et divin.

l’objet végétal comme un ornement fonctionnel.

cement divin, ce qui impliquait une variété de

Dans la partie supérieure, Dieu et les siens sont

Il a matérialisé le cadre circulaire des scènes du

significations en fonction du contexte dans

placés dans un espace limité par une nuée maté-

calendrier des mois par une série de feuillages

lequel la figure ou l’objet était peint : selon les

rialisée par l’ondulation de la ligne blanche qui

stylisés noués les uns aux autres. Cet encadrement

cas, l’image du lion peut être symbole du Christ

sert de cadre. Dans la partie inférieure, notam-

constitue sans aucun doute l’un des plus beaux

ou au contraire du mal.

ment sur les piliers orientaux de la chapelle, des

gothique (xi e-xive siècle)

Em exercillam, sulit in exeriure te tisi eugait lore conse dui et autpatetue tat nim do consequat wisi.

2

Bore mod modit at. Duis et, conse feumlor feu facin hendre con sequisim illam, sustie exerosto ea feugait la faccum zzrit alit alit

1

1

La vogue de représenter un appareil de

ce n’est qu’à l’approche de la Renaissance que la

maçonnerie de pierre de taille avait pris une

description de la nature pour elle-même devient

sitions constituées d’arbres servant de support

effets décoratifs de la peinture murale romane.

telle ampleur que peu d’églises ou de manoirs

plus fidèle. Comme toujours, le mouvement ne

à des armoiries. Le premier groupe, avec des

Peu de temps auparavant, à la fin du xiie siècle,

décor végétal couvrant, et la seconde des compo-

Il est d’usage de répartir les images entre

hommes sont debout, équipés de leurs outils :

échappèrent à ce type de décoration. Cependant,

fut pas linéaire, et les images de végétaux peints

motifs couvrants utilisés en semis, demeura

décor iconographique ou historié, qui inclut

équerre, pic ou pioche. Entre ces deux niveaux,

est apparue une nouvelle esthétique ornementale

la sécheresse de ce géométrisme simplifié fut

de manière réaliste en côtoyèrent d’autres aux

longtemps marqué par le poids de la tradition

la majorité des messages – religieux, moraux,

dans cet espace intermédiaire qui sépare l’homme

qui privilégiait un espace architectural intérieur

rapidement adoucie par la présence de fleurettes

formes plus fantaisistes.

et des conventions. L’effet décoratif l’emporta

politiques – que le commanditaire désirait faire

du ciel, le peintre a placé des représentations

de tonalité particulièrement claire. Cette réaction

stylisées, et la couleur eut de nouveau la faveur

La fin du Moyen Âge est marquée par un dé-

dans bien des cas sur le souci naturaliste. Les

passer à ses contemporains, et décor ornemental

de bouquets de fleurs dans des vases ou sur des

décorative s’opposait aux tons saturés proposés

des peintres. L’église du prieuré de La Haye-aux-

veloppement considérable des représentations

formes simplifiées reproduites à l’infini grâce

qui a pour double fonction de structurer l’ensemble

monticules, pouvant évoquer à la fois l’aspect

par la peinture murale des deux siècles précédents.

Bonshommes d’Avrillé (Maine-et-Loire) conserve

végétales non seulement dans l’ornementation,

à la technique du pochoir correspondaient à un

de la décoration picturale et de l’intégrer dans

naturel du végétal et le côté artificiel d’une nature

Le décor de la salle des malades de la Maison-Dieu

un décor peint à partir du milieu du xiiie siècle qui

mais aussi dans le décor historié. La dimension

nombre limité de variétés de plantes parfaite-

le cadre architectural en soulignant les lignes de

organisée par l’homme. Ces images de fleurs,

de Coëffort au Mans (Sarthe) en constitue l’un des

est à la fois caractéristique de ce mouvement déco-

naturaliste se développa surtout dans la peinture

ment définies. Même effectué à main levée, le

force de l’édifice. Des motifs géométriques ou

toutes semblables, n’ont pas été peintes pour

premiers exemples connus. Dans cette vaste salle

ratif, avec des imitations de pierres de taille emplies

profane et tout particulièrement dans l’univers

traitement de la végétation demeura souvent

inspirés du répertoire végétal – le plus souvent

illustrer une espèce précise – on aimerait pourtant

à trois nefs égales, la totalité de la surface des

à profusion de fleurettes munies de tiges,et novateur

courtois et chevaleresque. Alors que durant les

conventionnel et éloigné de la réalité, comme

stylisé – constituent l’essentiel du vocabulaire

y voir la tige du lis et la corolle de la campanule –

murs, des colonnes et des voûtes était peinte en

dans la présentation indépendante du végétal. À la

siècles précédents les commanditaires avaient

au logis prieural de Saint-Georges-sur-Layon, où

ornemental.

mais pour matérialiser la séparation entre ciel et

blanc rehaussé de lignes rouges reproduisant

voûte du chœur, constitué d’un cul-de-four artifi-

principalement orienté leurs choix vers des motifs

des rameaux pourvus de très grandes feuilles

terre ; elles symbolisent donc l’espace terrestre

les joints d’une maçonnerie de pierres de taille,

ciellement divisé en plusieurs voûtains par des

géométriques, des imitations de pierre de taille ou

polylobées stylisées évoquant celles du chêne se

dans lequel évolue l’homme.

rejetant le programme iconographique au sommet

ogives simulées, le peintre a alterné des motifs

d’étoffe pour décorer les murs de leurs demeures,

développent sur les parois de la cage d’escalier.

Les sondages pratiqués dans les enduits de la chapelle du Géneteil de Château-GontierBazouges, en Mayenne, illustrent bien cette

L’objet végétal peint dans la scène de la

des voûtes et des arcs. La progression des images,

animaliers et géométriques avec des rinceaux

au xve siècle leur préférence va vers des décors de

Du plus bel effet décoratif, les feuilles bicolores,

répartition binaire. Un quadrillage rehaussé de

Vierge à l’Enfant de Sorpe, en Catalogne, possède

constituées de végétaux, d’animaux fantastiques,

fleuris libérés de leur cadre étroit. Plus tard, l’ajout

verdure. Dans l’Ouest, et plus particulièrement

impressionnantes par leurs dimensions – elles

demi-cercles, de façon à créer une suite d’hémi-

une haute valeur symbolique. La Vierge, assise sur

d’hommes et de femmes, enfin de rois et de reines,

de feuilles de chêne repéré dans ce type de rinceau

en Anjou, ces décors se singularisent par l’abon-

sont entre cinquante et soixante centimètres

cycles adossés, agrémente de manière statique

un trône, son enfant sur les genoux, est accom-

aboutit à la représentation de l’Agneau divin

peint au xive siècle à Saint-Genest-de-Lavardin,dans

dance des motifs héraldiques caractéristiques

de haut –, sont pourvues de longues aiguilles

le flanc de la grande arcade de la croisée du tran-

pagnée, en fond d’image, d’un arbre doté d’une

célébré par des anges. Une végétation imagi-

le Loir-et-Cher, constitue un témoignage nouveau

de la vie chevaleresque. En effet, la présence

rouges, placées en faisceau le long de la tige et

sept, tandis qu’un rinceau, fait d’une épaisse

belle frondaison à sa droite et d’un arbre sec à

naire occupe la majeure partie des nefs latérales,

d’une évolution vers un certain naturalisme.

de la seconde maison d’Anjou et plus particu-

autour des lobes. Dans la salle située au premier

tige accompagnée de feuilles et de boutons

sa gauche. Hélène Toubert a montré toute la

mais cette situation en marge ne permet pas

lièrement du roi René favorisa l’existence d’une

étage du logis, des bouquets de ces feuilles sont

disposés de part et d’autre des ondulations,

puissance du symbole qui se dégageait de ces

de lui attribuer une haute valeur signifiante.

cour et le développement d’un foyer artistique

répartis dans un décor d’arbres et de rinceaux

court le long de l’arc doubleau voisin.

détails. L’arbre vert ou vif équivaut à l’Église,

Particulièrement décoratifs, ces motifs végétaux

Le passage d’une représentation symbolique de la

dynamique et créatif.

fleuris si exubérant et si dense qu’il n’est pas

L’artiste qui opéra à Saint-Julien-de-Brioude

tandis que l’arbre sec renvoie à la Synagogue.

pourraient figurer le monde dans lequel se meut

nature à une évocation plus réaliste s’est effectué

Les verdures angevines présentaient deux

immédiatement lisible : c’est encore là une ca-

(Haute-Loire) a lui aussi joué sur le dynamisme de

L’identification de ce dernier symbole est

l’homme en quête du divin.

très progressivement au cours du xve siècle, et

grandes tendances : la première privilégie un

ractéristique de l’esprit médiéval. L’aspect le

214

303 / NA 103 / 08

La fin du Moyen Âge (xve siècle)

215


La mort noble : les photographies de Jean-Paul Texier N’a-t-on jamais été étonné par la présence en-

L’effet aveuglant de ce dernier pousse la compo-

d’un fragment de végétation, dépouillé, frontal,

l’Art nouveau, un type de fleur deviendra une

cadavres fit des écorchés. Au musée de l’École

têtante des plantes, par leur port altier ou leur

sition vers le regardeur. Comme dans les herbiers

majuscule, entre en résonance avec les œuvres

rampe de fer forgé…). Il sème le désordre dans

vétérinaire de Maisons-Alfort, ils trônent dans la

rétractation, leur flamboiement chromatique

de cimetière, ces fleurs ont une troublante

de ces deux photographes. Il y ajoute cepen-

l’inventaire, dans l’ordre des espèces, même si

dignité de leur reconstruction, des chairs acidu-

ou leur terne réserve ? Une humeur végétale,

charge mortifère malgré leur vive parure. Elles

dant une certaine brutalité de l’image, stimulée

le souci décoratif affleure encore. Les corolles

lées, des oripeaux musculaires, des réseaux de

mille cas de figure, du chiendent envahissant

témoignent de la fugacité d’une existence, celle

par la polychromie. Sans doute la biographie de

et les pétales de Texier passent dans un autre

veines, éclatés comme des câbles électriques…

aux pousses majestueuses. La plante – sa va-

des plantes, et renvoient naturellement à notre

Texier pourrait-elle se résumer à une inavouable

monde, sexuels, effondrés, tumescents ou rape-

L’Homme à la mandibule et Le Cavalier sont des

nité – avait une telle importance au xviie siècle

propre vie. Outre le caractère monomaniaque

violence et à l’instantané d’une hémorragie

tissés. Le dessin existe encore, mais la matière

défis à la mort d’une beauté trompeuse, effroi

que le « peintre de fleurs » Nicolas Robert fut

des fragments photographiés – il faut les discer-

dans la vie : en 2003, il photographiait ses gants de

colorée la recouvre comme dans une aquarelle.

et jouissance mêlés. Dans le même esprit, « l’odeur

chargé par Gaston, duc d’Orléans, d’exécuter le

ner pour les comprendre –, les séries de fleurs de

travail, qui gardaient la mémoire des efforts, de la

La corolle froissée, désordonnée, devient une

de sainteté », lors de la découverte de corps mar-

dessin des spécimens les plus remarquables du

Texier, Hibiscus, Tulipes, Iris, Lavatères, expriment

douleur, du temps passé (la série Tanto Lavoro).

taie : nous retournons donc au regard et à ses

tyrs, cèle de semblables et fatales dégradations…

Jardin des plantes. Plus tard, il peignit quelques

une essence, une saturation des couleurs que

En sillonnant encore le champ photographique,

fleurs de la célèbre Guirlande de Julie, recueil

la putréfaction ne saurait éteindre. Moisissure

nous passons obligatoirement par l’Allemand Karl

À mon sens, ce qui densifie la signification

de Texier balancent entre élégance et obscure

de madrigaux en l’honneur de la belle Julie

noble, lenteur de la transformation : comme on

Blossfeldt (1865-1932). Ce dernier mena une carrière

des clichés de Jean-Paul Texier tient à une union

sexualité. Dans Les Larmes d’Éros, Georges Bataille

d’Angennes. Parmi elles, la « Tulipe flamboyante ».

vieillit le vin, la fleur se raréfie et se singularise

de professeur à l’École des arts décoratifs de

étroite entre la vie et son contraire, une mise en

a écrit : « Il y a une indécence dans la mort diffé-

Le xixe siècle multipliera de semblables méta-

par ses tiges saisies dans leur élan vital, par les

Charlottenburg, près de Berlin, et aimait davan-

scène des fins dernières (l’eschatologie) sous

rente sans doute de ce que l’activité sexuelle a

phores, celles du passage du végétal à l’humain.

feuilles grimaçantes, par la séduction des fleurs

tage les plantes que les appareils photographiques.

le fard de la beauté. Fortes comme la mort, ces

d’incongru. » C’est parce que nous vivons dans la

Avec le dessinateur, caricaturiste et lithographe

fanées, comme fardées.

Ses prises de vues, didactiques et documentaires,

fleurs. Elles ont le raffinement, la cambrure ultime

perspective de la mort que nous accédons à la vio-

obstacles, de l’illusion au réel.

Au-delà du plaisir esthétique, les fleurs

Grandville, cela prend la tournure d’un récit, d’un

La photographie primitive connue de Texier

étaient avant tout des diapositives projetées

des momies incas, desséchées, recroquevillées

lence, à la dislocation, par l’érotisme. Il s’accommode

vaste théâtre de plantes et de fleurs prenant

s’attache à la fois aux morts sur leur lit, portraits

pour les étudiants. Blossfeldt s’intéressait à la

dans les grottes des montagnes.

de l’abandon impudique des fleurs étales sous

apparence humaine, avec Fleurs animées, un livre

flétris mais angéliques, et aux fleurs, notam-

valeur encyclopédique de la fleur ou de la tige, à

La lavatère (« lavatère vivace », son nom savant)

l’objectif. Il n’est sans doute pas nécessaire de

de planches publié en 1847. Fleurs, avez-vous

ment celles du Strasbourgeois Adolphe Braun,

l’enseignement exemplaire de la nature pour les

est pliée comme un vieux cuir, gardant la trace

revenir sur le pouvoir évocateur des corolles

donc une âme ?

qui s’en fit le spécialiste, ou de Joseph Philibert

arts décoratifs, pour la mécanique… Il a mis en

de sa corolle épanouie. Exsangue, la tulipe laisse

et des pistils (Mapplethorpe traitait tout à la fois

L’idée de l’anthropomorphisme, de la « tête-

Girault de Prangey, qui immortalisa les arbres

avant le dessin, la frontalité, l’équilibre des lignes

échapper pistil et étamines. L’iris se dresse, fragile

des lys et des nus masculins). Comme souvent

corolle », est reprise un siècle et demi plus tard,

de son jardin et les plants exotiques de sa

et des masses : « En plus de sa forme ornemen-

comme un os. Les fleurs de Texier ont la beauté

Tanathos s’invite chez Éros. Dans cette ambiguïté

par un créateur publicitaire, pour la Twingo,

maison-atelier de Haute-Marne. Voici un rap-

tale, porteuse de rythmes, primitive et puissante,

des planches anatomiques de Gautier d’Agoty :

fondamentale, un entre-deux séduisant et fatal,

une voiture… Ajoutons enfin qu’au xixe siècle

prochement que les seuls mots de nature morte

que l’on retrouve partout dans la nature, la plante

le corps ouvert, un épanouissement rose et

les fleurs de Texier ont toute leur pertinence,

chacun herborise : les volumes et cahiers d’her-

rendent sensible…

contient des formes qui sont structurées selon

carmin de muscles et de nerfs, de la chair. Elles

une flamboyance ultime.

boristes sont légion dans nos musées et nos

Jean-Paul Texier est né en Vendée en 1954

le besoin et la fonction. » Les photographies de

nous saisissent comme les préparations savantes

bibliothèques, tentatives de classification plus

et travaille (un certain temps) dans le Maine-et-

Texier se sont affranchies de ce modèle (dans

d’Honoré Fragonard, le cousin du peintre, qui de

romantiques que scientifiques. On herborise

Loire. Après une riche expérience d’enseignant

alors sur la tombe des illustres défunts, comme

en arts plastiques, notamment en direction des

au cimetière du Père-Lachaise. Les pages du

publics exclus, celle de l’« art-thérapie » – la

recueil assemblent le dessin aquarellé de ladite

création comme processus de transformation –,

tombe et le reliquat séché, la fleur ou le rameau

il se consacre essentiellement à la photographie.

végétal poussant sur celle-ci : la correspondance

Du monde du spectacle et du théâtre, il est passé

entre le caractère moral et les qualités du mort

à celui des objets inanimés. Avec Claude Dityvon

apparaît d’évidence avec le souvenir infime,

(1937-2008), dont il soutient activement l’œuvre

le rejeton d’une existence naturelle, avec ses

(invitation à Angers et scénographies dont celle

quelques couleurs et ses innervations.

de la rétrospective de La Rochelle), il avoue son

C’est dans ce contexte général, après ces re-

admiration pour Denis Brihat et Jean-Pierre

tours sur les rapports familiers entre le végétal et

Sudre (1921-1997). Tous deux incarnent une pho-

l’humain, qu’il faut regarder l’œuvre photogra-

tographie en noir et blanc précise et construite,

phique de Jean-Paul Texier. Depuis plus de vingt

à la française : Brihat s’inspire de la nature et

ans, il consacre ses prises de vues aux plantes

use de procédés subtils, comme des tirages au

et aux fleurs séchées, qu’il cultive, prélève, récu-

sélénium ; Sudre, avec son épouse Claudine,

père. Il les choisit pour leurs formes déconcer-

a joué de matières et de lumières pour pho-

tantes et leurs couleurs, tout en les installant,

tographier des natures mortes, des fruits, des

agrandies, sur un fond blanc, très lumineux.

fleurs, de la vaisselle… Chez Texier, le silence

222

303 / NA 103 / 08

Benoît Decron

223


Le festival des jardins de Chaumont-sur-Loire Né de la débordante imagination de Jean-Paul

vivants de Villaines-les-Rochers ont été remis à

originale, une invention qu’il a tenté de repro-

Pigeat, un passionné de jardins, le Festival interna-

l’honneur ; c’est à Chaumont que des expériences

duire dans son propre jardin.

tional des jardins s’est installé, en 1992, à l’ombre

nouvelles de lagunage et d’irrigation ont été pré-

Chaumont, c’est aujourd’hui un festival in-

du château de Chaumont-sur-Loire. Mettre en évi-

sentées, unissant efficacement science et poésie

ternationalement connu, attirant des concep-

dence la richesse et la diversité de l’art des jardins

et inspirant un public avide de découvertes…

teurs venus d’Asie ou d’outre-Atlantique, es-

d’aujourd’hui, montrer le foisonnement des ten-

Le maître mot du festival a toujours été : « Venez

saimant en Europe et en Amérique latine ; c’est

dances dans ce domaine, tel était le pari d’une

piquer nos idées. »

aussi un centre de formation aux métiers du

manifestation conçue dès l’origine avec beaucoup

À côté de jeunes talents encore peu connus,

paysage et des jardins, dont le rôle n’a pas été

d’audace et d’ambition, dans un lieu plutôt difficile

des paysagistes célèbres comme Shodo Suzuki,

mineur dans l’évolution des techniques de fleu-

bien que situé au cœur du « jardin de la France ».

Emilio Ambasz, Andy Cao, Peter Walker, Fernando

rissement des villes, nombre de responsables

Fort d’une phénoménale énergie, Jean-Paul Pigeat

Caruncho, Fumiyaki Takano, Charles Jencks, Lucien

venant s’y ressourcer et enrichir leurs connais-

confia au grand paysagiste belge Jacques Wirtz le

Kroll, Adriaan Gueuze, Herbert Dreiseitl, Kunya

sances. C’est aussi un lieu de sensibilisation à

soin de concevoir le dessin général et la forme des

Maruyama, Gunther Vogt, Fiona Meadows, Peter

la nature et au jardin pour un nombre consi-

parcelles du Festival, destinées à accueillir des jar-

Latz, Susan Child, Marc Rudkin, etc., ont créé des

dérable d’enfants et d’adolescents : près de

dins éphémères, renouvelés chaque année autour

jardins à Chaumont pendant toutes ces années.

20 000 d’entre eux participent chaque année

d’un thème et donnant lieu à un concours inter-

Furent également accueillis des architectes

à nos ateliers pédagogiques, s’ajoutant aux

national. Le choix des paysagistes, la créativité et

comme James Wines, Shigeru Ban ou Jean-Michel

150 000 visiteurs du Festival.

la diversité des techniques et des propositions

Wilmotte, sans oublier les metteurs en scène Bob

présentées, autant que l’engouement exponentiel

Wilson, Macha Makaïeff et Peter Greenaway.

Longtemps géré par une association, le Conservatoire international des parcs, des jardins

Qu’ils nous entraînent dans les replis de la

et du paysage s’est fondu le 1er janvier 2008

vite de Chaumont un lieu de rencontre incontour-

« mémoire »,les risques du « chaos » ou les audaces

dans le Domaine de Chaumont-sur-Loire, au

nable, pépinière de talents et d’idées nouvelles.

de « l’érotisme », les jardins de Chaumont ont

moment où la Région Centre, après avoir acquis

C’est à Chaumont que Patrick Blanc a présenté

souvent inventé, parfois provoqué et toujours

le château et le parc, a créé un nouvel établisse-

pour la première fois au public ses célèbres murs

fait rêver le visiteur, et chacun a en tête une

ment public de coopération culturelle, destiné à

végétaux ; c’est à Chaumont que les saules tressés

image infiniment poétique, une idée tout à fait

mettre en œuvre un ambitieux projet artistique.

du public pour la nature et les jardins ont fait très

1

Vue aérienne du Domaine régional  de Chaumont-  sur-Loire.   ©

2

Jardinière en carton recyclé vue dans  « Le jardin poubelle » de Michel PENA (France - 2008). Dans cet espace, tous les « déchets » des autres jardins sont réutilisés.  Cl. B. Renoux.

1

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Le festival des jardins de Chaumont-sur-Loire Né de la débordante imagination de Jean-Paul

vivants de Villaines-les-Rochers ont été remis à

originale, une invention qu’il a tenté de repro-

Pigeat, un passionné de jardins, le Festival interna-

l’honneur ; c’est à Chaumont que des expériences

duire dans son propre jardin.

tional des jardins s’est installé, en 1992, à l’ombre

nouvelles de lagunage et d’irrigation ont été pré-

Chaumont, c’est aujourd’hui un festival in-

du château de Chaumont-sur-Loire. Mettre en évi-

sentées, unissant efficacement science et poésie

ternationalement connu, attirant des concep-

dence la richesse et la diversité de l’art des jardins

et inspirant un public avide de découvertes…

teurs venus d’Asie ou d’outre-Atlantique, es-

d’aujourd’hui, montrer le foisonnement des ten-

Le maître mot du festival a toujours été : « Venez

saimant en Europe et en Amérique latine ; c’est

dances dans ce domaine, tel était le pari d’une

piquer nos idées. »

aussi un centre de formation aux métiers du

manifestation conçue dès l’origine avec beaucoup

À côté de jeunes talents encore peu connus,

paysage et des jardins, dont le rôle n’a pas été

d’audace et d’ambition, dans un lieu plutôt difficile

des paysagistes célèbres comme Shodo Suzuki,

mineur dans l’évolution des techniques de fleu-

bien que situé au cœur du « jardin de la France ».

Emilio Ambasz, Andy Cao, Peter Walker, Fernando

rissement des villes, nombre de responsables

Fort d’une phénoménale énergie, Jean-Paul Pigeat

Caruncho, Fumiyaki Takano, Charles Jencks, Lucien

venant s’y ressourcer et enrichir leurs connais-

confia au grand paysagiste belge Jacques Wirtz le

Kroll, Adriaan Gueuze, Herbert Dreiseitl, Kunya

sances. C’est aussi un lieu de sensibilisation à

soin de concevoir le dessin général et la forme des

Maruyama, Gunther Vogt, Fiona Meadows, Peter

la nature et au jardin pour un nombre consi-

parcelles du Festival, destinées à accueillir des jar-

Latz, Susan Child, Marc Rudkin, etc., ont créé des

dérable d’enfants et d’adolescents : près de

dins éphémères, renouvelés chaque année autour

jardins à Chaumont pendant toutes ces années.

20 000 d’entre eux participent chaque année

d’un thème et donnant lieu à un concours inter-

Furent également accueillis des architectes

à nos ateliers pédagogiques, s’ajoutant aux

national. Le choix des paysagistes, la créativité et

comme James Wines, Shigeru Ban ou Jean-Michel

150 000 visiteurs du Festival.

la diversité des techniques et des propositions

Wilmotte, sans oublier les metteurs en scène Bob

présentées, autant que l’engouement exponentiel

Wilson, Macha Makaïeff et Peter Greenaway.

Longtemps géré par une association, le Conservatoire international des parcs, des jardins

Qu’ils nous entraînent dans les replis de la

et du paysage s’est fondu le 1er janvier 2008

vite de Chaumont un lieu de rencontre incontour-

« mémoire »,les risques du « chaos » ou les audaces

dans le Domaine de Chaumont-sur-Loire, au

nable, pépinière de talents et d’idées nouvelles.

de « l’érotisme », les jardins de Chaumont ont

moment où la Région Centre, après avoir acquis

C’est à Chaumont que Patrick Blanc a présenté

souvent inventé, parfois provoqué et toujours

le château et le parc, a créé un nouvel établisse-

pour la première fois au public ses célèbres murs

fait rêver le visiteur, et chacun a en tête une

ment public de coopération culturelle, destiné à

végétaux ; c’est à Chaumont que les saules tressés

image infiniment poétique, une idée tout à fait

mettre en œuvre un ambitieux projet artistique.

du public pour la nature et les jardins ont fait très

1

Vue aérienne du Domaine régional  de Chaumont-  sur-Loire.   ©

2

Jardinière en carton recyclé vue dans  « Le jardin poubelle » de Michel PENA (France - 2008). Dans cet espace, tous les « déchets » des autres jardins sont réutilisés.  Cl. B. Renoux.

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Through this, Jim Hodges, installation, 189 éléments (fleurs artificielles) épinglés au mur selon un schéma, soie et matière plastique, épingles métalliques, 1996. Coll. du Frac des Pays de la Loire. DR.

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végé tal et méti e r 1

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Plots de bois exotique, zone portuaire de Cheviré, port autonome de Nantes-SantNazaire.

239


Production actuelle des plantes médicinales Oui, Chemillé est bien la capitale du pays

du château des plants de camomille romaine

d’hommes réduits à l’inactivité par la destruc-

de son climat, produit à l’état spontané la plupart

les plantes à parfum, 17 000 hectares de lavandin,

Notre pays a également une longue tradition de

(Chamaemelum nobile) à titre ornemental ; M. de

tion des vignes, en attendant l’installation

des espèces utilisées en herboristerie et en phar-

Chemillé, « porte des Mauges », sur les bords de

4 000 hectares de lavande, 1 000 hectares de

cueillette sauvage pour des besoins très divers.

Quatre Barbes, revenant d’une campagne d’Italie

progressive de plants de vigne américains.

macopée ; et il serait aisé d’en intensifier la produc-

l’Hyrôme, au cœur du bocage, résume à elle seule

sauge sclarée ; pour les plantes aromatiques,

C’est ainsi que beaucoup de ramasseurs pro-

et probablement aussi des Balkans (1859),

L’arrivée du chemin de fer à Rablay et Chemillé

tion par sa culture. Non seulement elle pourrait

toutes les particularités de ce pays des Mauges.

1 500 hectares de thym, estragon, persil, basilic,

fessionnels récoltent dans la nature la partie

conseilla aux agriculteurs du village la culture de

ouvre un marché destiné aux herboristes

arriver à se passer presque complètement du

C’est Julien Gracq, enfant du pays, originaire

etc. ; pour les plantes médicinales, 7 700 hectares

aérienne de la reine des prés (Spirea ulmaria),

cette plante en vantant ses usages bénéfiques

des grandes villes de France ; des courtiers

concours de l’étranger, mais elle pourrait encore

de Saint-Florent-le-Vieil, qui nous en parle le

de pavot en production intégrée, 500 hectares

les jeunes rameaux feuillus du bouleau (Betula

sous forme de tisane.

et négociants s’installent, près de mille cinq

devenir exportatrice et conquérir des marchés,

mieux : « Ce qu’on découvre maintenant pro-

de ginkgo biloba en production intégrée,

alba), les feuilles du frêne (Fraxinus excelsior),

À Saint-Lambert-du-Lattay, l’histoire des

cents producteurs travaillent jusque vers 1965

qui avant la guerre, avaient été accaparés par

gressivement des deux côtés de la rivière, c’est

1 300 hectares de quantités d’autres espèces.

les racines du petit houx (Ilex aquifolium) ou

plantes est intimement liée à la famille Godillon.

et plusieurs milliers de femmes et d’enfants

les Allemands et les Austro-Hongrois. Il y a donc

des plantes médicinales !

ONIPPAM) détaillait les espèces cultivées : pour

La cueillette sauvage

un paysage que l’Ouest multiplie jusqu’à l’ob-

L’agriculture biologique est plus développée

encore les bractées et fleurs du tilleul (Tilia sp.)

Pierre Aimé Godillon, décédé en 1844, exerça le

récoltent la camomille, la rose de Provins puis le

là une source de richesse nationale qu’il importe

session… Non plus une gorge, mais simplement

dans cette filière que dans les autres filières

pour le secteur médicinal et notamment celui

commerce de la pharmacie à Paris, rue du Faubourg-

souci officinal (Calendula officinalis), le bleuet

de ne pas négliger. » Il existait deux comités im-

une vallée étroite et encaissée aux versants

agricoles en France, puisqu’elle concerne envi-

de l’homéopathie.

Saint-Martin, puis celui de l’herboristerie, dans

(Centaurea cyanus) et bien d’autres espèces.

ron 6 % et même près de 15 % des surfaces si

La racine de gentiane (Gentiana lutea), récol-

portants : le Comité régional de Provence et le

raides, où le roc affleure… » Ce pays de creux

le quartier des Halles. C’est à cette époque

Cette activité de production et de récolte

l’on ne considère que les plantes aromatiques

tée en Auvergne, ou les feuilles de thym (Thymus

Comité d’Angers, qui devait organiser dans cette

et de bosses, marqué par l’histoire tragique

qu’entre en lice la rose de Provins (Rosa gallica),

traditionnelles durera près de cent cinquante

et médicinales.

vulgaris) et de romarin (Rosmarinus officinalis)

ville, le 23 juillet 1919, sous la présidence d’honneur

de la période révolutionnaire, a su rebondir grâce

fournie par Nicolas Chiloret, marchand de fleurs

ans, puis la camomille romaine sera récoltée par

ramassées en Provence sont à destination du

de M. Émile Perrot, le premier congrès national

et beau-frère de Pierre Aimé Godillon.

des moyens mécaniques, et la rose de Provins

de la culture des plantes médicinales, ancêtre du

à son dynamisme légendaire et a inventé le concept des usines à la campagne.

Dans les régions

secteur alimentaire. Le mimosa (Acacia decur-

Selon l’histoire officielle, c’est Thibault IV de

disparaîtra de la flore locale. L’implantation des

colloque national « Les rendez-vous d’herbalia » qui s’est tenu à Chemillé en janvier 2008.

La production de plantes médicinales est la

Plus de cent vingt espèces différentes sont culti-

rens var.), le narcisse (Narcissus poeticus) et les

Champagne qui a rapporté cette espèce de Terre

cépages américains conduira au déplacement de

digne héritière de ce dynamisme et aujourd’hui

vées en France dans plusieurs régions anciennes

mousses d’arbres sont des espèces récoltées

sainte, vers 1240, et entrepris d’importantes

la production dans le Chemillois, qui deviendra

encore, même si la configuration initiale a bien

ou émergentes, pour un chiffre d’affaires à la pro-

pour la parfumerie.

plantations dans les environs de Provins. Le ro-

la principale région française de production, de

changé, après une période de calme relatif, au

duction de 85 millions d’euros.

siériste Charles Cochet mit à mal cette anecdote

commercialisation et de recherche sur les plantes

Le Maine-et-Loire compte près de 700 hectares

Les secteurs d’activité

Aujourd’hui

gré des modes, de la concurrence étrangère et

Le Maine-et-Loire – principalement la région

en 1933 en arguant du fait que le comte de

médicinales. Le 13 avril 1918 fut créé par décret le

de Chemillé –, différents massifs (Morvan, Alpes,

Les plantes à parfum sont utilisées dans les in-

de cultures de plantes médicinales, dont les

des contraintes réglementaires, elle fait toujours

Champagne n’a pu importer cette plante en

Comité interministériel des Plantes médicinales

etc.), la Vendée, la Champagne et l’Eure-et-Loir

dustries des détergents, de la cosmétique, de la

deux tiers dans la région de Chemillé.

preuve de dynamisme en s’adaptant sans cesse

France pour la simple raison que cette espèce

et à essences, sur proposition des ministres

(pavot), la Gironde (ginkgo), sont des régions

parfumerie bas de gamme et de la parfumerie

Plus de quatre-vingts espèces différentes

aux mutations imposées par le marché.

n’est autre que Rosa gallica, qui pousse spon-

du Commerce, de l’Instruction publique et de

alcoolique.

sont cultivées, comme le mélilot (Melilotus offici-

La France bénéficie d’une flore très variée,

historiques de production de plantes médici-

tanément dans notre région : la rose de Provins

l’Agriculture. Des comités régionaux y furent ad-

nales. D’autres, comme la Normandie (menthe

Les plantes aromatiques et alimentaires

nalis), la valériane officinale (Valeriana officinalis),

de climats particuliers suivant les régions et de

serait la rose de Damas, issue du croisement,

joints. Ils avaient pour mission de « rechercher

sols propices à la culture de bien des espèces.

pour l’huile essentielle) sont plus récentes. La

sont présentes dans quantité de secteurs comme

le cynara (Cynara scolymus), la camomille romaine

il y a nombre de siècles, de Rosa gallica et de

les moyens pratiques propres à organiser, dé-

Jusqu’au milieu du xixe siècle, il n’y avait que

ceux des boissons, des épices et aromates secs,

Rosa canina. Cette plante est, avec la camomille

(Chamaemelum nobile), la mélisse officinale

culture des plantes aromatiques est concentrée

velopper et intensifier la culture et la récolte

peu de cultures et les plantes médicinales

des plantes à infusion, de la charcuterie ou encore

romaine, la menthe poivrée (Mentha x pipe-

(Melissa officinalis), la menthe poivrée (Mentha

historiquement dans le Sud-Est de la France,

des plantes médicinales et à essences et leur

étaient ramassées à l’état sauvage ou culti-

des dentifrices.

rita), la mélisse (Melissa officinalis) et l’hysope

x piperita), le pavot de Californie (Eescholtzia

et notamment le département de la Drôme

commerce, en France et à l’étranger, déterminer,

vées par des religieux dans des monastères ou

Les plantes médicinales sont utilisées

californica), la partenelle (Chrysanthemum parthe-

(labiées méditerranéennes), pionnier en la

(Hyssopus officinalis) une des premières qui aient

centraliser et coordonner les besoins des acheteurs

abbayes, perpétuant une tradition remontant

dans l’industrie pharmaceutique allopathique,

été introduites dans notre région et dont il ne

nium), le radis noir (Raphanus niger), la matricaire

matière. La région de Milly-la-Forêt, région

et des vendeurs au mieux de l’intérêt général ».

au Moyen Âge, elle-même conforme au capi-

la phytothérapie humaine et vétérinaire, l’ho-

subsiste actuellement que quelques reliquats

(Matricaria recutita), le sisymbre officinal (Sisym-

historique de production de plantes médi-

tulaire de Villis, édité par Charlemagne vers la

cinales, comme celle de Chemillé, a dans les

méopathie, l’aromathérapie et l’industrie des

de culture.

cosmétiques.

qui ordonna la culture des

années 1990 réorienté sa production vers les

simples dans les monastères et les jardins

plantes aromatiques et plus particulièrement

royaux. Avant la Première Guerre mondiale,

culinaires (estragon, persil, ciboulette, etc.).

la France achetait également pour plus de

La région bordelaise accueille également des

20 millions de francs de plantes médicinales

cultures de plantes aromatiques.

fin du

viii e siècle,

Dans le rapport qu’il adressait en 1918 au pré-

brium officinale), le psyllium de Provence (Plantago

sident de la République, pour le prier de signer

arenaria) ou encore le chardon Marie (Silybum

Mais revenons à la famille Godillon, avec les

le décret proposé, M. Clémentel, ministre du

marianum). Le mode de production fait de plus en

deux fils de Pierre Aimé. Émile, pharmacien her-

Commerce, rappelait que « la récolte des plantes

plus appel aux techniques issues de l’agriculture

boriste à Paris, assure le commerce des plantes

médicinales, autrefois très active en France, a,

La fabuleuse aventure des plantes de notre région

biologique, Chemillé comptant parmi ses produc-

médicinales depuis Paris, et Jean Aimé, son aîné,

depuis un demi-siècle, subi une décroissance

commence au milieu du xixe siècle dans deux

teurs un des pionniers dans ce domaine.

revenu s’installer en Anjou, développe la culture

rapide. Notre pays, jadis maître du marché, était

lieux, les villages de Saint-Lambert-du-Lattay et

Les plantes sont exploitées pour leurs dif-

Les plantes à parfum (lavande, lavandin,

locale, en particulier celle de la camomille romaine

devenu au cours de cette dernière décade, tribu-

sauge sclarée) ont toujours été cultivées dans

de Chanzeaux, et grâce à quatre personnages : à

lorsque survient la crise du phylloxéra, dans

férents organes : feuilles, fleurs, fruits, graines,

taire de l’étranger pour presque tous ces produits.

Chanzeaux M. Gourreau, maire d’Angers qui a ha-

les années 1880, qui entraîne la destruction

racines. Elles sont le plus souvent séchées dans

le Sud-Est de la France, souvent dans des zones

Avant la guerre, c’est par dizaines de millions

difficiles des départements de la Drôme,

bité le château de Chanzeaux, et M. de Quatre Bar-

d’une grande partie du vignoble. Émile Godillon

des séchoirs artificiels, à basse température

de francs que se chiffraient nos importations

Actuellement, environ quatre mille exploitations

du Gard, du Vaucluse, des Alpes-de-Haute-

bes, officier, maître d’œuvre du château actuel ;

revient en Anjou et crée son officine de phar-

de plantes médicinales en provenance notam-

destinées au secteur homéopathique sont,

cultivent en France près de 33 000 hectares de

Provence ou encore des Hautes-Alpes. On cultive

à Saint-Lambert MM. Émile et Pierre Aimé

macie-herboristerie à Saint-Lambert-du-Lattay.

ment de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie.

elles, vendues fraîches. Les plantes peuvent

plantes médicinales, aromatiques et à parfum.

encore la violette, le jasmin et la rose dans la

Godillon. À Chanzeaux, selon des témoignages

La culture des plantes prend de l’essor et permet

Et cependant la France,grâce à la fertilité de son sol,

être coupées avant ou après séchage, tami-

Le recensement général agricole de 2002 (source

région de Grasse.

oraux, M. Gourreau a installé dans les jardins

d’employer un grand nombre de femmes et

à la richesse de sa flore, à la douceur et à la variété

sées pour répondre aux besoins des acheteurs.

et à essences à l’étranger. La culture des plantes médicinales,

aromatiques et à parfum en France

244

303 / NA 103 / 08

Dans le Maine-et-Loire

(30 à 400C) et à l’abri de la lumière. Les plantes

245


Le bois, matériau d’hier et d’aujourd’hui Avec une mère commerçante et un père maçon,

Malgré ces contraintes, le bon sens des gestion-

en partie aux besoins en bois du futur, d’autant

rien ne me prédisposait à privilégier le bois, pas

naires de la forêt française en a fait la plus grande

que le bois massif est de plus en plus remplacé

plus priori que mon premier emploi, dans la

forêt d’Europe et surtout la plus diversifiée. Tous

par des collages, assemblages, placages, par de

comptabilité – même s’il nous fallait surveiller

les utilisateurs des forêts – récoltants de grumes,

l’aggloméré, etc. Tout le volume du bois récolté

des ratios plancher et avoir des bilans charpentés

dérouleurs, papetiers, fabricants de panneaux

est utilisé, les chutes et la sciure sont récupé-

et équilibrés !

agglomérés, tonneliers et plus récemment les

rées pour confectionner du contreplaqué ou des

Le hasard a voulu qu’une jeune entreprise

agents de la filière « bois énergie », à cause de la

granulés compactés de chauffage. Depuis peu,

nantaise recherche un comptable. Ce fut ma

hausse du prix des autres énergies – se montrent

des essences à croissance rapide permettent de

chance et ma rencontre avec ce produit étonnant

attentifs au maintien de son équilibre.

couvrir certains besoins. Certains arbres de l’hé-

qu’est le bois : entre 1960 et 1980, l’entreprise

La particularité de la forêt française est son

misphère Sud peuvent ainsi être abattus quand

est devenue l’un des acteurs dominants de l’im-

augmentation régulière, et pourtant le volume

ils sont âgés de 15 à 25 ans ; il en va de même

portation du bois en France.

de bois qui en sort ne s’est pas accru. Il y a à cela

pour certains pins à cycle court du Chili et de

deux raisons : la première est le fait que beau-

Nouvelle-Zélande.

Le bois hier

coup de propriétés ont une superficie de moins

La forêt a parfois dû laisser place au soja ou

Le bois a toujours été utilisé par l’homme pour se

de 4 hectares, donc aucune obligation de récolte ;

au maïs, et les politiques vont devoir statuer sur

chauffer, faire cuire ses aliments, se loger, se dé-

la seconde est la non-accessibilité de très nom-

ces nouvelles orientations dans un avenir proche.

fendre, fabriquer des charpentes et des bateaux,

breuses forêts, seules les zones de plus de 15 hec-

Soyons pourtant rassurés : le matériau bois saura,

installer des toitures, écrire, réaliser des outils,

tares ayant un plan de gestion.

comme il l’a toujours fait, s’adapter.

des meubles, des totems, des instruments de musique… Le Moyen Âge a vu l’essor des maisons

La gestion du bois au niveau mondial

en bois, la plupart du temps en chêne. L’impor-

Le volume de bois d’origine française a dû être

tance du bois pour l’architecture et les besoins

complété par du bois d’origine scandinave ou

de la construction navale ont entraîné sous

exotique, pour satisfaire notamment les besoins

Colbert (1670) la première « certification fores-

du bâtiment. Les espaces forestiers de l’hémi-

tière », qui a permis de préserver l’une des plus

sphère Nord sont correctement contrôlés et

grandes forêts d’Europe. La nécessité de mettre

« renouvelés », mais des prélèvements excessifs

en culture de nouveaux terrains a entraîné une

sont pratiqués depuis cinquante ans dans les

déforestation

encore

zones tropicales. Par exemple, entre 1950 et

par les besoins en bois de chauffage, en bois de

importante, accentuée

1970, du bois venu des Philippines a permis de

mine et en charbon de bois, très utilisés au début

compléter le chêne français pour la fabrication

de l’industrialisation, sans oublier les aciéries, le

de fenêtres ; plus tard, l’Indonésie, l’Afrique puis

chemin de fer, etc.

le Brésil ont souffert des coupes intensives des

Le bois aujourd’hui

Occidentaux. Les pays émergents d’Asie poursuivent un abattage intensif sans aucun scrupule.

Avant d’utiliser du bois, il faut le « récolter »

Cette gestion chaotique n’est pas irrémé-

dans les forêts, et donc défigurer ce que certains

diable. Il faut augmenter la surface des forêts

appellent des « cathédrales vivantes »… C’est en

et réfléchir aux essences les plus adaptées aux

partie ce qui fait la difficulté de la sylviculture : le

besoins futurs, replanter là où une exploitation

cycle long des arbres oblige le propriétaire à at-

anarchique a sévi – dans la mesure où les sols

tendre entre 20 et 150 ans selon les essences, et

ne sont pas « lessivés ». Les essences tropicales

le gérant ne s’inscrit pas dans la logique actuelle

poussent heureusement très rapidement. Des

de rentabilité à court terme ; les promeneurs

plans de gestion doivent être envisagés et sur-

qui ont vu la forêt grandir et embellir s’appro-

veillés par les États, si cela fait partie de leurs

prient aisément ce « parc d’attractions » ; l’en-

priorités… Mais les choses avancent car les forêts

vironnementaliste la considère indispensable à

font l’objet d’une médiatisation dont elles pro-

la gestion de l’eau, à l’équilibre de la biodiver-

fiteront un jour !

sité végétale et animale ; pour les chasseurs,

Une gestion raisonnée des immenses res-

c’est l’habitat naturel d’un gibier abondant.

sources de la Sibérie pourra permettre de subvenir

252

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Daniel Prud'homme

1

2

Arrivée de bois exotique, zone portuaire de Cheviré, port autonome de Nantes-Saint-Nazaire, Loire-Atlantique. Cl. B. Renoux. Grumes au port à bois de Cheviré, port autonome de Nantes-Saint-Nazaire, Loire-Atlantique.

253


254

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255


Le maraîcher nantais, homme de culture et artiste de variétés Héritiers des jardiniers des faubourgs nantais

Légumes de concours

variétés, les Nantais ont longtemps été orientés

et des savants horticulteurs du XIXe siècle, les

En 1831, La Revue des deux mondes signale que

vers la culture du précoce », confie Philippe Retière,

maraîchers cultivent dynamisme collectif et

« le syndicat professionnel de Nantes, société

producteur de tomates et de concombres sous

concurrence interne. Innovants, inventeurs de

fondée au capital de 15 000 francs, fait d’impor-

serres à Pont-Saint-Martin et actuel président

variétés et de procédés, domptant les saisons,

tantes expéditions en Angleterre ». L’annuaire de

de la fédération, née en 1928. Des maraîchers

fournisseurs officiels des conserveries, ils ont

l’horticulture nantaise de 1851 dénombre cin-

nantais qui ont toujours été voisins, concurrents,

creusé leur sillon entre plein champ et serres.

quante-quatre de ces jardiniers-maraîchers « dont

motivés par le sens collectif et l’intérêt commun.

Tout le monde ne peut pas prétendre à la

les établissements produisent des légumes des-

Dès 1884, quatre ans après un conflit sur les prix

gloire, même locale. Surtout quand on a une

tinés à l’alimentation de la région et à l’approvi-

avec les conserveurs, une société coopérative se

tête de feuille d’épinard, et le nom peu enviable

sionnement des navires ». Selon les Annales de

crée « pour la défense des intérêts matériels et

de « Monstrueux de Viroflay ». Passe encore pour

la société académique de Loire-Inférieure de 1859,

moraux de ses membres » ; elle est vite transfor-

une carrière de catcheur, mais le maraîcher n’est

« lorsque la société nantaise d’horticulture consent

mée en société à participation qui assure la pre-

pas lutteur de foire. Il a des racines, il a de la

à concourir à Paris, dans les expositions générales,

mière expédition de carottes et de radis à Londres

tenue, tout de même ! Depuis des générations, il

elle a l’habitude de remporter la médaille d’or -

et à Paris en 1889. Londres et son marché de

accroche le nom nantais à quelques fleurons de

pour ses légumes », ajoutant que « l’horticulteur

Covent Garden, les Nantais connaissent bien :

la sphère légumière. La « Gloire Nantaise », par

est pour nos régions, une création toute nouvelle.

ils y vendent déjà leurs poires Williams made

exemple. Une laitue dûment répertoriée. Tout

Son individualité, difficile à définir, résulte d’un

in Nantes, enveloppées dans du papier frisé

comme le « Joannet Nantais », un chou pommé

heureux mélange de caractères : de l’agriculteur,

pour éviter les mâchures. Le marché anglais a

qui a su prospérer en bordure des planches des

qui demande à la terre une rémunération de son

ses aléas quand les Britanniques voient du do-

tenues maraîchères.

travail ; de l’amateur de jardins, qui demande aux

ryphore partout et restreignent les entrées de

végétaux de lui procurer de nobles jouissances, de

carottes primeurs de Loire-Inférieure.

Tout un théâtre de variétés

flatter la passion la plus élevée, la passion du beau ;

En 1903, les maraîchers sont en grève : ils

L’influence des Nantais sur la dénomination de

du botaniste de profession qui ne se contente pas

protestent contre le parcours qui les mène au

variétés est un signe de créativité. On a ainsi

d’aimer et d’admirer les plantes mais veut aussi

marché de la Duchesse Anne et les oblige à tra-

retenu la « Nantaise à cœur plein », une carotte

et leur nom et leur organisation et leurs mœurs »,

verser le quatrième canton, trop rouge à leur

attendrissante, à ne pas confondre avec ses

notant au passage que « l’industriel, l’artiste et le

goût. Jusqu’en 1914, l’essentiel de la production

cousines à la mode de Bretagne, la « Carotte de

savant se sont fondus dans cette personnification

est absorbé par le marché nantais. Le 25 janvier

Chantenay » et la carotte « à forcer de Vertou ».

nouvelle », usant de « procédés basés non plus sur

1936 est lancée la marque MN, apposée en vert

Le panier compte aussi un céleri-rave variété

la routine mais sur une expérience raisonnée et

sur les « cageots nantais, légers et sans retour ».

« Saint-Sébastien » ; un artichaut, le « Gros Roux

sur les indications de la physiologie végétale ».

Mais des petits malins réutilisent quand même

de Nantes » ; une poire Williams nantaise ; un

Pour arriver à ce mélange industrieux d’art

ces cageots. La fédération engage de nombreux

melon cantaloup nantais ; un melon doulonnais…

et de science, la région a ses atouts : le climat

procès contre ces « aigrefins présentant à Covent

Les professionnels ont aussi laissé à la posté-

aux douceurs océaniques permet la précocité

Garden des produits très inférieurs venant de

rité une pelle à bêcher et un cageot, modèles

des légumes en leur évitant de se geler les pieds ;

toute autre région que Nantes ». La vigilance

nantais. On leur doit la découverte des cultures

la conserverie ouvre des débouchés à partir de

s’organise. Tous les jours, à tour de rôle, deux

forcées au fumier de cheval et les premières ap-

1820 ; le sable de Loire est à disposition, et l’eau du

maraîchers de la fédération contrôlent depuis

plications des châssis de verre, aussitôt baptisés

fleuve en abondance… La Revue horticole note en

la gare d’expédition les cageots estampillés.

« châssis nantais ».

1862 que « le climat de l’Ouest est très favorable

Au XIXe siècle, un distinguo apparaît entre

à la culture et la conservation pendant l’hiver

le simple amateur cultivant pour son propre

des pieds d’artichauts : aussi les jardiniers ma-

Tout vient des faubourgs nantais, Saint-Donatien,

pot-au-feu et le professionnel alimentant un

raîchers de Nantes et d’Angers font-ils de cette

Doulon puis Chantenay, qui fournissent marchés

marché, que l’on l’appelle légumiste, villager

plante un commerce étendu et lucratif. »

et conserveries. Les tenues maraîchères sont

des environs, primeuriste ou jardinier, voire jardinier de maison quand il est attaché à une

La culture précoce du jardinier

Tenues de faubourgs

d’abord de petites parcelles aux confins de la ville. Elles portent le nom du lieu-dit, ou celui du

propriété noble ou bourgeoise locale, mais peut

« On a la culture du jardinier, qui tire le meilleur

premier propriétaire. Chantenay a encore une

vendre au marché ses surplus. Le terme de ma-

parti de son potager, en exprime le meilleur.

« tenue Gouleau » devenue une simple impasse,

raîcher ne s’imposera véritablement qu’à partir

Avec la vocation du primeur d’être le premier

dont le nom se perd sur les plans et les plaques

du milieu du XXe siècle.

sur les marchés. Précurseurs dans la création de

de rue. Saint-Rogatien a bien une « tenue de la

256

303 / NA 103 / 08

1

1

Culture de tomates et concombres sous serre, Port-Saint-Martin, Loire-Atlantique. Cl. B. Renoux.

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Les maraîchers nantais

fontaine stercoraire », mais Louis Biteau, ingé-

1995 a sonné le glas de la carotte nantaise.

nieur agronome qui a beaucoup écrit sur les

Des producteurs normands de carotte d’hiver

maraîchers, révèle que ce curieux adjectif n’est

investissent dans les Landes : grands terrains

qu’une « traduction polie du mot gallo-romain

disponibles et mécanisation leur ouvrent le

foutem merdam ». Comme quoi, tout vient bien du

marché de la carotte primeur, que les Nantais

fumier qui fait prospérer les plantes. On tentera

doivent vite abandonner pour la mâche, qui

aussi le guano, le crottin de cheval militaire ou de

n’est alors qu’une niche, comme disent les éco-

compagnie de fiacres, le phosphate de chaux, les

nomistes. Il faut mettre au point des machines

résidus d’usines de conserves, et des lots de cendre,

pour laver cette doucette ensablée, soigner les

boues, eaux d’égouts et autres vidanges.

conditionnements et installer des ateliers dédiés

Élargir les saisons

à la mise en barquettes, lancer des promotions en conviant de grandes toques. C’est un succès.

Délaissant les parcelles cachées derrière les murs

Mais « le danger, c’est le monoproduit. Si ça

de pierre, les producteurs passent la Loire, s’im-

coince, on n’a rien pour se rattraper », dit Olivier

plantent derrière La Divatte, dans la « Vallée », à La

Terrien, producteur de mâche et de poireau à

Chapelle-Basse-Mer, à Saint-Julien-de-Concelles.

La Chapelle-Basse-Mer. L’hiver dernier, le froid

En 1961, dans Voyage en France d’un agronome,

de novembre a retardé la pousse de la mâche,

René Dumont note comment les primeurs ont

absente des fêtes en décembre, et disponible le

trouvé un créneau dans le calendrier : « En carottes

10 janvier, après le meilleur des ventes. L’hiver

et concombres, la production de Nantes se situe

d’avant, humidité et bactéries ont obligé à jeter

juste dans un “trou“ européen et se défend

une bonne partie des récoltes. Et l’Allemagne

bien. » Dans ces années 1960, le plastique rem-

– 40 % du marché à l’export – commence à pro-

place le verre, alors que certains essayent – sans

duire sa propre mâche...

succès – de faire pousser des oignons américains

Alors, comment prévoir les évolutions ? « La de-

pour les déshydrater, d’autres pour la parfumerie.

mande actuelle de bio, il faut l’entendre, mais elle

La culture sous serre se développe. Une produc-

est inapplicable pour nous. Les très gros moyens

tion sur un lit de laine de roche, avec des armadas

de la recherche nous ont garanti une producti-

de mini-insectes comme auxiliaires, prédateurs

vité grandissante et le marché s’est découvert

des parasites et bactéries qui risquent de ratatiner

les exigences d’uniformisation de calibrage »,

les tomates et concombres hors sol. « Une lutte

dit Philippe Retière. « Ça remettrait en cause dix

biologique intégrée, réussie à 95 %. Notre métier,

ans de stratégie de mécanisation, d’intensifi-

c’est le confort de la plante, qui nous assure la

cation », reconnaît Olivier Terrien. Difficile de savoir

qualité », dit Philippe Retière. Sous verre, ces éco-

ce que l’on mangera dans une génération. Même

systèmes artificiels bénéficient des recherches de

les grosses légumes n’en savent rien.

l’INRA, se jouent des saisons et des aléas du climat et répondent à la « sécurité de l’approvisionnement » exigée par la grande distribution. Ces serristes trouvent leur place autour de Machecoul. La carotte est cuite

Aujourd’hui, à côté du muguet et d’un peu de radis, le plus gros du volume produit en plein champ est constitué par la mâche et le poireau primeur. Dernière évolution, les grands abris de plastique offrent une meilleure gestion de l’arrosage et du contrôle des intrants. Cela permet aussi d’optimiser les outils, en passant au radis après la mâche, et en gardant une partie de la main-d’œuvre toute l’année.

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Nicolas de la Casinière

Jacques Cailleteau. Comment voyez-vous l’évolution de votre profession ?

niveau de notre profession, nous avons un animateur de santé publique que nous avons em-

Philippe Retière. Ce qui m’intéresse, c’est l’avenir,

bauché spécialement pour traiter des thémati-

le rapport aux autres, la dynamique que l’on

ques du développement durable, ce qui est assez

peut développer. Il y a des régions mortes, faute

rare en agriculture ! C’est la preuve que nous

d’avoir pu se projeter sur de nouveaux marchés,

sommes officiellement tous intéressés, et dans

sur de nouvelles productions, de n’avoir pas

tous les secteurs de notre activité. Mais, il faut

imaginé ce que sera la production dans quinze

bien le dire aussi, la notion de développement

ou vingt ans. Chez nous, chaque professionnel a

durable reste souvent un élément de pure com-

une responsabilité dans son domaine de compé-

munication. Dans les faits, en France, combien

tence. C’est de la prospective. Nous vivons dans

de personnes sont réellement concernées par

un monde qui va vite, où les gens disent tout

sa gestion ? Pas beaucoup, cela demande des

et n’importe quoi, souvent par peur. Ils veulent

moyens, il faut payer et pour payer, il faut se réu-

être au courant, participer à tous les débats

nir avec les professionnels et se dire : « On avance

sans avoir forcément les compétences pour cor-

dans cette direction-là et ça coûtera tant. » C’est

rectement juger et nous, nous pensons qu’il y a

ce que nous sommes parvenus à faire entre nous.

des choses inéluctables, dans nos compétences

Tout le monde a été d’accord et a payé. Ce sont

techniques et historiques. Nous ne pouvons

des cotisations volontaires. Il n’y a pas de système

faire comme si rien n’avait été fait avant nous,

de cotisation obligatoire chez nous.

jeter à la poubelle toute une tradition, une expérience, parce que deux individus ont décidé

Dans l’ensemble des maraîchers ?

que ce n’était pas comme cela qu’il fallait faire

Oui, ceux du département, même si l’on déborde

maintenant. Partout, on s’arroge le droit de

un peu sur l’extérieur et notamment sur la Vendée,

critiquer l’autre sans se remettre en question.

qui a une tradition maraîchère importante. Beau-

Donc, par peur, on devient accusateur de tout.

coup de maraîchers vendéens sont rattachés

On rentre dans un système où l’autre sert de

au système de cotisations nantais, ce qui n’est

bouc émissaire. À nous, donc, de tenir bon.

pas vraiment le cas dans le Maine-et-Loire par

Récemment, on s’est raccroché à un grand

exemple, qui a son propre système de marché.

mot, le développement durable qui est, en soit,

Mais il est vrai que nous tentons de nous ouvrir

une conception logique de nos métiers : il y a

le plus possible. Cela se passe plutôt bien car la

de l’économie, du social et de l’environnement.

transversalité est importante.

Mais ce principe était appliqué bien avant son

Et le consommateur, vous le voyez à l’occasion ?

Il est le plus difficile à toucher car nous avons un intermédiaire de poids, la grande distribution qui devrait, dans l’idéal, faire la courroie de transmission. Certes, il y a des initiatives ponctuelles comme les campagnes de publicité, pour la mâche par exemple, organisées directement par les producteurs en direction des consommateurs. Forcément, nous essayons de valoriser ces produits à travers la grande distribution mais ce ne sont jamais des campagnes de communication conjointes. L’effort vient de nous. Après, tant mieux si ça marche ! Nous faisons aussi des opérations plus directes avec un groupe de jeunes maraîchers qui a la charge de ces opérations. Nous allons dans les galeries marchandes des grandes surfaces, les centres-villes, au contact des consommateurs pour montrer et valoriser toute notre production, comme les tomates hors sol. Un dialogue s’installe souvent. Nous participons également à des manifestations plus officielles, ouvertes au public, comme au congrès de l’APL, l’Association nationale des Producteurs de Légumes. La cité des Congrès avait été remplie de machines, de plantes… Il y a eu aussi une exposition. L’objectif était d’expliquer toutes les étapes d’une production. Nous faisons chaque année plusieurs opérations de ce genre. On a souvent tendance à nous prendre pour des gens qui n’auraient à offrir que des services, qui seraient au service d’une économie qui ne vivrait,

Mais le maraîchage, c’est plutôt Nantes

comme on nous l’a expliqué il y a quelques années,

est une réalité très juste, mais très rude aussi.

Plutôt Nantes, effectivement, sur la forme lourde.

la frontière est un peu ténue. Et puis, après tout,

Elle permet de gérer les équilibres mais on ne

Mais nous la connaissons en termes de poids éco-

peut prendre une décision dans le développe-

nomique. C’est à partir de nos propres expériences

ment durable dans une thématique sans ex-

que nous devons régler plusieurs problématiques

pertiser les autres. Le problème, c’est que dans

pour l’avenir, sur les plans social, économique et

développement durable, les gens n’entendent

environnemental. Le marché social a été précur-

généralement que le mot environnement. Ça,

seur pour mettre en place des gestions de res-

c’est pour éviter que ça marche. L’idée a été

sources humaines dans les entreprises, et surtout

lancée il y a à peu près deux ans et aujourd’hui,

pour associer dans une même formation salariés

où en sommes-nous ? Pour nous, maraîchers, il

et chefs d’entreprises. Et je peux vous dire que

s’agit d’abord de faire l’analyse de nos pratiques.

les échanges sont fort intéressants. On a réussi

On est assez transparents sur ce point, ce qui

aussi à réunir deux financiers sur le même pro-

nous donne la possibilité de nous défendre, de

gramme. Ce sont des challenges qui ne sont pas

renvoyer les autres à leurs responsabilités. Au

simples. Mais on y arrive.

invention. On ne mettait pas de mots dessus, voilà tout. La réalité du développement durable

que la Vendée ?

que de services. Mais entre service et production, pourquoi pas ? De mon point de vue, il ne faut être ni dans l’un ni dans l’autre. Il faut conserver le milieu technique car l’énergie des deux fait la médiation. On sait très bien qu’un certain nombre de professionnels de l’économie ont disparu dans l’acte de production, soit par manque de recherche d’innovation, soit par réorientation des recherches d’innovation et notamment par la délocalisation. Ça, pour moi, c’est le pire en économie. Mais à l’époque, j’étais trop novice pour que l’on puisse me croire alors que j’étais parfaitement au courant des idées des économistes, ces mêmes gens dont les idées ont échoué dix ans plus tard !

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Les Floralies, le pouvoir des fleurs

2

Bore mod modit at. Duis et, conse feumlor feu facin hendre con sequisim illam, sustie exerosto ea feugait la faccum zzrit alit alit

Une 10e édition en 2009, une association qui

l’image de Nantes et de sa région, aux niveaux

et le Crédit mutuel nous octroient des subventions.

groupements des maraîchers nantais ; Société

existe depuis soixante-cinq ans, une renommée

européen et mondial. Ainsi, nous avons exposé

La Communauté urbaine met à notre disposi-

des horticulteurs amateurs de Nantes et région ;

internationale, plus de 4 millions de visiteurs en

ces dernières années au Japon (en y présentant

tion du personnel pour nettoyer le site après la

Société nantaise des amateurs de cactées et plantes

neuf éditions… On ne compte plus les espèces et

le muguet nantais), à Gand, Gênes, Montréal,

manifestation. Nous avons également d’autres

grasses ; Société nantaise du dahlia et des amis

variétés florales qui sont présentées, ni les pays

Québec, Genève, Shanghai (nous y avons exporté

partenariats… La liste est longue !

des plantes ; Société nantaise d’horticulture ;

exposants… Mais qu’est-ce qui fait courir le public

en 2006 la tour LU en mosaïculture), Valence...

E.B. On établit le budget en fonction des

Syndicat professionnel des artisans fleuristes de

aux portes de la Beaujoire pendant ces quelque

Nous sommes également membre cofondateur

entrées, des subventions des partenaires et des

Loire-Atlantique ; Syndicat des producteurs de

dix jours de manifestation en mai ? « Le pouvoir

de l’AIF (Association of international Floralies),

emplacements payants. Nous sommes avant

fruits de Loire-Atlantique - GDAF ; Syndicat des

des fleurs ! », précisent Eugène Boussaud, prési-

au même titre que les quatre autres manifes-

tout une grosse équipe de bénévoles, ce qui

producteurs horticulteurs et pépiniéristes de Loire-

dent du Comité des Floralies, et son secrétaire

tations florales les plus importantes : Gênes en

entraîne une économie importante sur les frais

Atlantique ; Union nationale des entrepreneurs du

général, Frédéric Fourrier.

Italie, Budapest en Hongrie, Valence en Espagne

de fonctionnement. Nous ne souhaitons pas ac-

paysage (UNEP 44) ; Syndicat des producteurs de

et Gand en Belgique. Cette association a été

cueillir plus de public. Paradoxalement, ça nous

fruits de Loire-Atlantique.

fondée en 2005, à Gênes, avec pour objectifs

pénaliserait. Trop de monde dans les allées de la

de créer de nouvelles synergies entre les pays

Beaujoire n’est pas souhaitable, ni pour le public,

Eugène Boussaud. À 1942 ; à l’époque, Nantes, par

de l’Union européenne et d’offrir de nouvelles

ni pour les exposants. C’est pour cela que nous

sa situation géographique et son climat, est un

opportunités de collaboration, d’échanges com-

avons choisi, cette année, d’ouvrir jusqu’à 23 heures :

bassin horticole avec ses maraîchers, son muguet,

merciaux, de sponsorisations et de mises en

ainsi, le public pourra profiter pleinement du

et compte de nombreux producteurs de plantes.

commun de moyens d’action.

site. On avance prudemment, pour pérenniser

création du Comité ?

Afin de revaloriser l’image de l’horticulture, les

F.F. La semaine dernière encore, nous étions

cette manifestation historique sur Nantes et

représentants du monde horticole1, les asso-

au salon international de l’Horticulture de

au-delà ! D’ailleurs, la liste des pays participants

ciations et les organismes professionnels se

Chelsea, et hier matin nous recevions les délé-

est convaincante. Déjà cent exposants ornemen-

réunissent et créent alors le Comité. Ce n’est

gations coréenne et chinoise, qui souhaitent

taux sont inscrits à ce jour : Guinée, États-Unis,

que plus tard, en 1956, que la première édition

participer à la prochaine édition des Floralies.

Canada, Chine, Corée, Russie, Pologne, Croatie,

des Floralies verra le jour : c’était au palais des

Nous sommes d’ailleurs invités aux premières

Afrique du Sud, Espagne, Italie, Belgique et la

sports du Champ de Mars.

Floralies, qui auront lieu à Qingdao en 2010.

principauté de Monaco… Le pouvoir des fleurs

Frédéric Fourrier. Cette manifestation s’est toujours tenue sous le haut patronage du président de la République. On a pu voir, d’édition

1

n’a d’égal que la passion des plantes au service Quels sont vos moyens financiers… et humains ?

en édition, au Champ de Mars tout d’abord, puis

E.B. Aux bureaux de l’hôtel de l’Horticulture,

au parc de la Beaujoire, les grandes figures de

nous avons maintenant trois personnes à temps

l’État, ainsi que des personnalités du monde

plein, ce qui facilite le suivi des dossiers. Durant

artistique ou scientifique : Jean Cocteau, Grace

l’année qui précède les Floralies, sept personnes

de Monaco, et plus récemment Jean-Marie Pelt,

gèrent au quotidien toute la mise en place de la

Laurent Voulzy et Isabelle Autissier2.

manifestation. Quinze jours avant le jour J, huit

E.B. Pour 2009, ce sera très certainement le ministre de l’Agriculture.

cents à mille personnes s’activent sur le site pour l’installation des stands, restaurants et espaces ornementaux, et veiller au respect de

Cette manifestation a lieu tous les cinq ans ?

la sécurité, de la mise en place du gardiennage.

E.B. Depuis la 6e édition et conformément au ca-

Avec cinq cent mille entrées, on ne peut pas

lendrier international de l’AIPH (Association inter-

improviser… Le thème est choisi et voté en

nationale des Producteurs de l’Horticulture),

assemblée générale, puis étudié par un architecte

les Floralies internationales ont lieu tous les cinq

paysagiste sélectionné pour chaque édition.

ans. C’est la troisième manifestation nationale

Cette année, le choix s’est porté sur Arnauld

après les salons de l’Agriculture et de l’Automo-

Delacroix, qui met en scène les espaces de la

bile, et la deuxième manifestation européenne.

Beaujoire.

Mais nous ne nous contentons pas de faire parler

F.F. Nous travaillons en partenariat avec la Ville,

de nous tous les cinq ans ! Le Comité s’investit

qui nous fournit une quarantaine de jardiniers

pour promouvoir l’horticulture, de même que

du SEVE. Le Conseil général, le Conseil régional

des hommes ! propos recueillis par Nathalie Perdoncin

2. Personnalités reçues durant ces neuf éditions : en 1956, M. Dulin, secrétaire d’État à l’Agriculture ; en 1963, M. Pisani, ministre de l’Agriculture - Jean Cocteau  rend un bel hommage de sa main : « Les Floralies, c'est un titre qui se passe de commentaires, un bouquet d'images, de poèmes et d'anecdotes pour apprendre à aimer Nantes et ses environs. Une promenade à la recherche de “simples” qui guérissent  du mal de vivre. » ; en 1971, M. Guichard, ministre de l’Éducation ; en 1977, Mme Giscard d’Estaing, Première  Dame de France ; en 1984, M. Poher, président  du Sénat ; en 1989, M. Jung, président du Parlement européen ; en 1994, 1999, 2004, MM. Puech, Glavany et Gaymard, ministres de l’Agriculture. Pour la petite histoire et rétrospectives : http:// www.comite-des-floralies.com/retrospective.php

Du 8 au 19 mai 2009, Le Pouvoir des fleurs, Floralies internationales de Nantes. Notes 1. En 2008, l’association Comité des Floralies, loi

Affiche Floralies hauteur

6/09/07

10:11

Page 1

de 1901, www.comite-des-floralies.com, réunit  toujours diverses organisations adhérentes, toutes  professionnelles ou amateurs, du domaine de l’horticulture, dont le but est de promouvoir le dé-

floralies internationales Dixièmes

veloppement et la vulgarisation de l’horticulture dans sa diversité, de contribuer à l’amélioration de

le Pouvoir des fleurs

l’environnement, du cadre de vie, ainsi qu’à la protection de la nature : Amicale des anciens élèves du

:-)(-: www.studiocomplices.com / Visuel fotolia Emilia Kun

Nathalie Perdoncin. À quand remonte la

lycée horticole Le Grand Blottereau ; Association  française des directeurs de jardins et espaces verts

NANTES•FRANCE 8 >19 MAI 2009

SEVE 44 ; Association gestionnaire des formations horticoles du Grand Blottereau ; Fédération des 2

266

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267


L’évolution du métier de jardinier

Une formation pour des passionnés du végétal

Les étudiants de l’INH viennent de toute la

a reçu près de 8 000 visiteurs venus de toute la région pour voir comment le végétal a fait « son cirque ».

France et ont entendu parler de l’école dans les

Passionnés par le végétal, les étudiants

médias, lors d’un salon ou, de plus en plus, via

cultivent des jardins sur le terrain de l’école et

le site Internet… Deux chemins principaux exis-

s’investissent sans modération dans des actions

tent, mais il y a aussi des voies originales pour

professionnelles, comme leur participation cette

entrer dans cette formation du domaine des

année au très célèbre Festival international des

sciences de la vie. Une petite moitié de nos étu-

jardins de Chaumont-sur-Loire : leur projet raconte

diants passe le concours l’année du baccalauréat

comment la fragmentation de la Terre a créé

(48 places), une autre (50 places) vient en troi-

de la biodiversité. Quatre niveaux d’évolution

sième année à l’issue d’une classe préparatoire

végétale y sont présentés.

scientifique, après le concours Agro ; la majorité des candidats font de l’INH le « premier choix »,

Au cœur du pôle végétal

leur venue ne résultant pas d’abord d’un clas-

Le vert est un élément de vie et tous les pro-

sement sur une liste, mais de leur volonté de

fessionnels doivent innover, situer le végétal au

poursuivre un projet d’étude ou d’avoir un mé-

centre de nos villes. Il ne s’agit pas seulement de

tier en horticulture ou en paysage.

questions techniques mais aussi d’une question

Ces deux grands chemins avec des bacs S

de société et d’un choix de vie : quelle société

ne doivent pas faire oublier les autres accès, qui

voulons-nous léguer à nos enfants ? Quel futur ?

nous sont aussi très chers : par divers concours,

Quel projet de vie et de partage ?

1

des BTS-DUT peuvent entrer en deuxième et en

Et ce n’est pas un hasard si la plate-forme

troisième année (34 places par an), sans oublier

nationale pour des villes plus vertes, Plante &

les étudiants venus de l’Université, de licence

Cité, est née à l’INH : cette organisation est ca-

ou de master. On découvre ainsi, à la faveur

pable de mutualiser, de fonder un réseau d’ex-

Jardinier : un joli mot de la langue française,

de tel ou tel entretien ou de la réponse à telle

périmentations à destination des services verts

que l’on rencontre à la croisée de la sphère

« Aujourd’hui, les jeunes qui sortent de l’école

arborescence a éclaté au fil de la spécialisation

ou telle enquête, que quelques bacheliers non

et collectivités. Travaillant avec l’INRA dans

privée et du domaine public. Les jardiniers du

[d’horticulture] ne savent plus bêcher.

et au profit de l’arboriculture d’ornement pour

scientifiques, après un BTS, se hissent au rang

le cadre du pôle de compétitivité Végépolys,

dimanche, experts en potager, poètes des

– Et vous, vous bêchez les parterres ?

les jardiniers gestionnaires d’espaces publics.

d’ingénieur ! Il ne faut pas se voiler la face :

Plante & Cité est une application concrète des

jardins de curé ou passionnés des sociétés

– Bien sûr que non, on passe le motoculteur. »

c’est difficile dans les matières scientifiques,

savoir-faire mis en œuvre en écologie urbaine

d’horticulture, n’ont rien à envier à leurs

Ce court dialogue, recueilli dans le cadre d’un

taniques transocéaniques, l’acclimatation des

mais avec de la motivation et au prix d’un gros

et maintenant accessibles sur une plate-forme

confrères professionnels, gestionnaires et ani-

stage de formation continue destiné aux jardiniers

plantes, la sélection, les obtentions variétales

travail, ces étudiants-là (après un baccalauréat

informatique.

mateurs des espaces verts publics : l’intérêt

municipaux, illustre à la fois l’importance des sa-

ont, par leur extrême diversité, introduit l’exo-

L’INH n’est qu’un élément du dispositif de

qu’ils portent au monde végétal et leur désir

voir-faire traditionnels, le lien entre mécanisation

tisme dans les jardins et la nécessaire identifica-

formation et de recherche du pôle végétal. Forte

de partager leurs compétences les rassemblent

et modernité et l’ancrage des pratiques dans le

tion des espèces et des variétés. La recherche et

de deux universités, de deux écoles d’ingénieurs

sous l’expression d’« homme heureux », adres-

travail de la terre. Le rapport au travail du sol est

la production végétales, fleurons de l’économie

sée par Louis XIV à André Le

technologique ou économique) peuvent aussi devenir ingénieurs ! Ce parcours d’ascension sociale se retrouve

Nôtre 1.

Ils ne savent plus bêcher

potagère, fruitière, florale et ornementale. Cette

Depuis le XVIIe siècle, les expéditions bo-

dans un recrutement national qui comprend

et de lycées techniques, la métropole angevine

permanent dans les pratiques de jardinage : les

ligérienne, conduisent leurs expérimentations

un tiers de boursiers. Cette fonction de promo-

est aujourd’hui le premier site européen de for-

Aux portes du « jardin de la France », la

dictons comme « un bon binage vaut deux arro-

et façonnent leurs catalogues autour d’une

tion sociale est très estimée de nos étudiants,

mation supérieure dans ce domaine. Valcam-

région des Pays de la Loire accueille de

sages », les expertises techniques de l’entretien

nomenclature, les jardiniers partagent avec les

qui n’hésitent pas à donner de leur temps pour

pus, le campus angevin du végétal, avec plus de

nombreux établissements qui assurent la

des gazons qui préconisent scarification et aération,

scientifiques et les pépiniéristes un vocabulaire

aller porter la bonne parole dans un lycée et

vingt-cinq cursus de formation du BTS au docto-

formation des jardiniers, techniciens et in-

et plus récemment les recherches appliquées

à plusieurs entrées pour désigner les plantes.

trois collèges d’Angers afin d’y faire naître des

rat, accueille 2 500 étudiants qui contribueront

génieurs de l’horticulture et du paysage.

aux mélanges de terre et de pierre en milieu

Le latin, depuis Carl von Linné, botaniste et

vocations scientifiques.

au dynamisme des entreprises du secteur et à

Quelles

fondamentales

urbain illustrent l’importance des liens entre

auteur en 1753 de la classification universelle, est

l’amélioration de notre cadre de vie.

qui y sont dispensées ? Quelles sont les pra-

la terre et les jardiniers ainsi que leur filiation

réservé à un public érudit et exigeant sur la no-

tiques et transmissions de savoirs qui ont fa-

avec le laboureur de… Jean de La Fontaine.

menclature. Le nom français relève du langage

Le clou des activités des associations étudiantes, c’est la traditionnelle « expo flo » qui, tous les deux ans depuis 1978, mobilise l’ensemble des étudiants et permet de méta-

Corinne Bouchoux et François Colson

sont

les

notions

çonné cette culture commune des jardiniers ? Et comment évolue-t-elle en ce début de

courant, mais le nom familier lié à un terroir ou à Le végétal, pilier de la connaissance

une tradition orale se rapproche du vocabulaire

morphoser l’école, durant trois jours, en une

XXIe siècle ? Tel est l’objet des réflexions propo-

L’enseignement horticole avait naguère l’ambi-

des jardiniers amateurs : du sévère et rébarba-

multitude de jardins. La dernière exposition

sées dans les lignes qui suivent.

tion de former des jardiniers « quatre branches » :

tif Antirrhinum majus, le muflier passera ainsi

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Revue 303

Président d’honneur

Diffusion-Distribution

Hors série novembre 2008

Jean-Jacques Viguié

Pollen-Littéral

Hôtel de la Région

Président et directeur de la publication

1, rue de la Loire

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Coordination éditoriale

Papier couché Arctic the Matt

Carine Sellin

ISSN Nº 0762-3291

Assistante de diffusion,

Dépôt légal : 4e trimestre 2008

suivi des abonnements

Commission paritaire : Nº 1107 G 82813

Catherine Gary

Les opinions exprimées dans les articles

Chargée de facturation

n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs.

Marie-Anne Riot

Toute reproduction même partielle est interdite.

Comptable

L’association 303 reçoit un financement

Marylène Michaud

de la Région des Pays de la Loire

Conception graphique Philippe Apeloig assisté de Alexandra Bauch

p. 279 : Production de semences de chicorée maraîchère, Melay, Maine-et-Loire.  Cl. B. Renoux.

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p. 280-281 : Le jardin  en mouvement du  lycée Jules Rieffel à  Saint-Herblain,  Loire-Atlantique. Cl. B. Renoux

p. 282-283 : Gunnera manicata, Jardin des plantes du Mans,  Sarthe. Cl. B. Renoux.

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