de tous nos corps
de tous nos corps est né de rencontres entre l’artiste Céline Huyghebaert et des personnes ayant reçu un diagnostic de cancer. De février à août 2020, accompagnée par le centre Turbine et la Fondation Virage, elle a proposé un espace malléable, où les participant·es étaient invité·es à nommer leur expérience de la maladie à partir de ce qu’elle a d’invisible. Au moyen de l’écriture, mais aussi de gestes, de conversations ou de photographies prises avec des appareils jetables, elles et ils ont raconté leurs histoires.
Cette publication est avant tout la leur. Elle rassemble leurs voix, tissées les unes aux autres pour élaborer un abécédaire collectif. Elle se passe facilement de main en main ou s’envoie comme une lettre. Les paroles qu’elle enveloppe brisent des silences et des récits existants sur le cancer, qu’ils soient médicaux, journalistiques, qu’ils viennent de nous ou des autres.
a
une sensation que j’espérais anodine au départ mais qui s’est avérée tout autre
b
d
la décision
Mon médecin m’a demandé si j’avais des questions, mais elles sont seulement venues à mon esprit après que j’ai refermé la porte de son cabinet.
Sur le moment, je lui en ai voulu, comme si c’était de sa faute si je perdais ma vie d’avant d’un coup.
J’ai eu moins peur de la mort que du traitement.
On ne parlait pas à un humain. On parlait à un cancer stade 3 ou 4.
Le personnel était gentil et bienveillant, mais je n’arrivais pas à obtenir l’information que je désirais sur ma maladie et sur les traitements.
Je me rappelle les émotions intenses qui m’ont traversée alors que j’avais si peu de temps pour choisir.
Le problème, c’est : a-t-on vraiment le choix ?
les examens
Après la scintigraphie, j’imaginais être une étoile filante scintillant dans les couloirs de l’hôpital. La première fois, on m’avait demandé de quitter les lieux par un couloir secondaire, car ma radioactivité pouvait perturber les appareils branchés sur des patients. Je me sentais étrangement proche des stations nucléaires : puissante, incontrôlable, dangereuse malgré moi. Mais je n’ai brûlé personne sur mon chemin et j’ai quitté l’hôpital en espérant que la pieuvre nichée en moi avait révélé toutes ses tentacules à l’impressionnante machine qui avait dansé autour d’elle.
e
f
g
Entendre la phrase : vous êtes complètement guéri·e.
i
l
maintenant, maison, manque, mourir, méditation
m
la nausée
Tu savais que la chimiothérapie comportait des risques.
Tu es vivant, profite de la vie !
Les cheveux, ça repousse.
Ce n’est pas grave, passe par-dessus.
Moi aussi, je vais mourir un jour.
Tu es fort. Bats-toi contre ton cancer. Tu vas te battre, tu vas être forte !
Tu vas gagner ton combat.
n
Ce n’est pas un combat.
o
l’ombre
J’ai peur qu’on oublie celle que j’étais avant.
la rémission
r
le silence, celui des autres quand je leur dis que j’ai le cancer.
s
le silence, celui des passages à vide, quand plus aucun mot ne semble pouvoir décrire ce qu’on vit, ce qu’on ressent.
le soin
les traitements
Mon médecin m’a avoué qu’il aurait pu y aller un peu moins fort avec les traitements.
t
le vocabulaire
Il faut apprendre un nouveau vocabulaire quand on a le cancer. Comprendre la différence entre chimiothérapie et radiothérapie, apprendre à dire doxorubicine et docétaxel, capécitabine, cisplatine, cyclophosphamide, épirubicine, gemcitabine, paclitaxel, pertuzumab, trastuzumab, Zoladex. Parler la langue des médecins.
Parfois, on voudrait aussi qu’ils et elles écoutent nos langues, celle qui s’entend sur la surface de nos peaux, celle qui tremble quand il y a trop de tristesse ou trop de douleur, celle qui nous racle la gorge quand on a peur de mourir, celle des passages à vide quand il n’y a plus de mots faits pour nous. Mais les médecins n’ont pas appris ces langues-là.
v
A
l’arrêt l’arrogance l’attente l’alopécie les amitiés l’amputation les annonces l’anxiété l’avenir B la bosse la biopsie C le cancer le carcinome la chimio la chirurgie le choc chronique la condamnation le contrôle la culpabilité D la danse, le dessin, les dents, dieu les décisions la démolition le déni la dépression le deuil le diagnostic la disparition les douleurs
E
l’église l’écriture les enfants l’ennui l’épuisement l’espoir les examens F la faim la famille la fatalité la fatigue les fenêtres les fleurs la folie la fragilité le futur G la gangrène la générosité la génétique le grade ou le stade la guérison H l’hôpital l’honnêteté les hormones l’horreur l’humilité l’humidité l’hyperréactivité
l’incompréhension l’inconnu l’indicible l’indifférence les infections l’infertilité l’infirmité l’injustice l’innommable l’invisible l’inertie les insomnies les interdits J la joie les jugements le jeûne K le karma le kombucha L la lumière les leucocytes le lit les larmes les liens la liberté M maintenant la maison manger la manipulation le manque
la mastectomie la méditation la mort mourir N la naïveté la nausée le néant la nervosité la nourriture la nouveauté O les opiacés l’ombre l’oncologue les ondes l’optimisme les opérations
P le pancréas les pertes les peurs le poids le poumon le pouvoir le présent la prière Q les questionnements la quête le qi gong
I
R
la radiothérapie les rayons le récit la reconstruction la rémission le repos la responsabilité les rêves les rires les risques S le sarcophage la solitude les silences le soutien le soin le sein le soleil la survie la soupe la sécurité T les tabous le temps la tendresse la terreur la toux le tricot les traitements la tristesse le trou le tunnel
U l’ultimatum unisein l’urgence l’utilité
V les veines la vérité la vie la vieillesse la(les) violence(s) la visualisation le vocabulaire le voyage la vulnérabilité
W warning X le xérès le xanax le xénon Y le yoga le yoga du rire Z le zona zen
le voyage
J’ai rangé mes valises, mais je ne les ai pas défaites.
« Si une couleur ne peut pas nous guérir, peut-elle au moins donner de l’espoir ? »
– Maggie Nelson, Bleuets
* La citation en couverture est extraite du même livre.
Direction artistique du livre
Céline Huyghebaert
Conception graphique
Audrey Beaulé / Studio Gabarit
Correction d’épreuves Marie Saur
Éditeur Centre Turbine
Imprimé en risographie sur papier recyclé Rolland Enviro par L’abricot, à Montréal en mai 2022.
— Ne peut être vendu
Dépôt légal
Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2022 Bibliothèque et Archives Canada, 2022 ISBN : 978-2-9812819-6-8
Tous droits réservés
© Michel Bouchard, Claude Côté, Céline Huyghebaert, Marie-Reine Kernec’h-Mauve, Marie-Michèle Mantha, Dorothée Njuidje, Jean-Pierre Paquet, Nathalie Prémont, Anka Alexandrov Todorov et le centre Turbine, 2022
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Cette publication conclut le projet Effets secondaires, proposé par Céline Huyghebaert, composé d’ateliers de création, et d’une résidence de recherche et d’écriture. Il a été encadré par le centre Turbine, un centre de création pédagogique qui développe des espaces d’expérimentation jumelant pratiques actuelles en art et en pédagogie. Il a bénéficié de la collaboration de la Fondation Virage, qui propose aux personnes ayant reçu un diagnostic de cancer un accompagnement, des services de soutien et des ateliers d’écriture.
Céline remercie du fond du cœur les participant·es pour leur engagement dans ce projet, pour leur confiance, pour leurs textes, et pour la joie et les émotions dont ils et elles ont rempli les ateliers. Merci à Lise Pettigrew, à Claude Côté et à l’équipe de la Fondation Virage pour leur accueil d’une grande générosité. Merci à Yves Amyot qui a reçu et accompagné ce projet avec enthousiasme, et lui a laissé le temps de trouver sa forme. Merci à toute l’équipe du centre Turbine.
Merci à Julie Delporte, Sophie Jodoin, Evelyne Leblanc-Roberge, Mélissa Longpré, Claire Moeder et Pierre-Louis Malfatto pour leur écoute et leurs conseils.
À Pierre Sourdif, au nom de tous·tes les participant·es.
Le centre Turbine et Céline Huyghebaert remercient le Conseil des arts et des lettres du Québec de son appui financier.
Un projet de Céline Huyghebaert
Avec les textes et la participation de Michel Bouchard Claude Côté Marie-Reine Kernec’h-Mauve Marie-Michèle Mantha Dorothée Njuidje Jean-Pierre Paquet Nathalie Prémont Anka Alexandrov Todorov
Un projet encadré par Le centre Turbine
En collaboration avec La Fondation Virage Le CHUM (Centre hospitalier de l’université de Montréal)
de tous nos corps
Avec les années, j’ai amassé un nombre incalculable de cailloux bleus, d’éclats de verre bleu, de billes bleues, [...] et même si je ne me souviens pas d’où viennent la plupart d’entre eux, cela ne m’empêche pas de les aimer. * »
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