Reconnaitre le racisme systémique pour mieux le combattre-2021

Page 1

Préambule 4 Introduction 5 1. Opinion raciste et liberté d’expression 6 2. Sémantique du racisme ordinaire 7 2.1. Le corolaire d’un système 7 2.2. Quelques chiffres 7 3. Lutte contre le racisme : quid des solutions politiques ? 9 3.1. Quelles solutions politiques existent ? 9 3.2. Comment les différents partis francophones se positionnent sur cette problématique ? 10 4. Conclusion 12 SOMMAIRE

Préambule

À l’occasion du quarantième anniversaire de la loi du 24 juillet 1981, tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie ou plus simplement « loi Moureaux », du nom du Ministre socialiste qui a porté ce texte, l’Institut Émile Vandervelde a organisé une série de quatre « webinaires » au sujet de la lutte contre le racisme

La deuxième rencontre questionnait les manifestations du racisme aujourd’hui Modéré par Joëlle Kapompole, députée régionale, ce débat a réuni autour de la table deux invités : Aurélie Mulowa, fondatrice de Belgian Entreprenoires, réseau non-mixte ayant pour objectif la promotion de l’entrepreneuriat afro-belge féminin, et Hassan Jarfi, vice-président de la Fondation Ihsane Jarfi, organisme luttant contre les discriminations.

Cette rencontre a été l’occasion d’entamer un travail réflexif plus profond et d’analyser les fondements et manifestations du racisme quotidien à l’heure actuelle

4 Etat de la Question 2021 • IEV

Introduction

D’année en année, le concept de « racisme systémique » s’implante dans notre société. Peu usité, voire complètement nié par le passé, ce vocable est aujourd’hui partout présent et fait débat. Cette expression décrit l’ensemble des mécanismes favorisant et reproduisant des inégalités et des violences sur base de critères « raciaux », dans un contexte où l’égalité des êtres humains est pourtant consacrée au travers de la loi.

Au fil des années, des actes de rejet et d’exclusion demeurent, et ce, avec une visibilité et une violence chaque fois plus accrues1, notamment au sein de l’espace public – n’en témoigne l’exemple du tragique meurtre de George Floyd le 25 mai 2020 –. La persistance de tels crimes suscite des inquiétudes et des questionnements : Comment comprendre le racisme et ses survivances, en 2021, dans des pays occidentaux comme la Belgique ? Comment concevoir la persistance de ces délits dans une société où le racisme est publiquement combattu et puni ? Sous quelles formes ceux-ci apparaissent-ils ? Quelles solutions et réparations apporter ?

Les questions de « racisme » et de « races » ne sont pas neuves. Dès les XVe et XVIe siècles, l’on procédait déjà en Europe à une classification ainsi qu’à une hiérarchisation des cultures, considérant l’autre, l’indigène comme socialement inférieur à l’homme chrétien venu de l’Ancien Monde2. Néanmoins, l’imaginaire raciste se cantonne à cette époque à des dimensions purement sociologiques et ethniques. Ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que la notion de « race » prendra une teinte biologique, devenant alors l’expression d’un racisme scientifique en pleine émergence. Aux origines de la pensée racialiste scientifique se trouve Joseph Arthur de Gobineau – auteur d’Essai sur l’inégalité des races humaines (1853), ouvrage abject, résultat d’une lecture erronée des théories de Darwin3, qui postule l’existence de trois races primitives (blanche, jaune et noire), dont les métissages conduisent à la décadence de l’espèce humaine – dont l’histoire en fit le père des théories racistes4 -. Il faudra attendre la fin des années 1940 et les ravages des politiques eugéniques pour entamer une nouvelle réflexion sur la notion de « race »5. En effet, dès 1946, on retrouve, comme préambule de l’acte constitutif de l’UNESCO, « le racisme s’alimente de notions scientifiquement fausses et de dogmes irrationnels ayant conduit tout droit à la guerre » 6 Ces réflexions menées par l’UNESCO conduiront à la publication d’une série d’écrits, parmi lesquels on peut retrouver Race et Histoire (1952) de Claude Lévi-Strauss – ouvrage lui-même complété, une vingtaine d’années plus tard, par Race et Culture (1971) du même auteur –. Pour le philosophe français, la thèse de Gobineau est erronée ; dans la mesure où la notion de « race » ne dépend pas des lois de la nature mais est, au contraire, un produit de nos cultures. Ainsi, s’il existe des distinctions entre groupes humains, celles-ci ne relèvent nullement de la biologie mais de l’anthropologie. L’on peut toutefois légitimement se questionner sur les raisons expliquant pourquoi le racisme se maintient alors que la croyance en l’existence de races humaines s’est quant à elle largement estompée ?

Les mentalités ont donc évolué, atténuant les préjugés et les stigmates du passé. La situation est pourtant loin d’être idéale à l’heure actuelle. La culture du déni persiste ; le racisme systémique perdure. La présente note a donc pour objectif de s’interroger sur les raisons expliquant les survivances racistes en analysant d’abord les nuances à apporter dans le débat associant – ou opposant – l’expression d’opinions racistes au principe de liberté d’expression, puis en proposant une analyse du racisme systémique et de ses

1 Cette visibilité est évidemment rendue possible par l’évolution du numérique et des réseaux sociaux.

2 En témoignent les écrits autour de la controverse de Valladolid, et plus particulièrement les écrits de Fray Bartolomé de las Casas, notamment Historia de las Indias : CASAS, Bartolomé de las. Historia de las Indias. 1561. [Œuvre disponible en ligne : http://www.cervantesvirtual.com/obra-visor/historiade-las-indias 0/html/d31cc52d-acd9-4776-a069-ee37b963f399_12.html (consulté le 02/09/21)].

3 DARWIN, Charles. L’Originedesespèces. Flammarion : Paris. 2008 [1859].

4 C’est cette même pensée racialiste prétendument biologique qui permettra de légitimer les entreprises coloniales, lesquelles s’appuyaient sur des rationalités scientifiques pour justifier leur idéologie.

5 Notons toutefois que les théories racistes avaient déjà été démenties dans les années 1920 par le progrès de la génétique.

6 GASTAUT, Yves. « L’UNESCO, les « races » et le racisme. inActesducolloqueinternational. Paris. 2005.

5 Etat de la Question 2021 • IEV
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

manifestations en Belgique avant de présenter un bref panorama des solutions, tant politiques que juridiques, en matière de lutte contre les discriminations raciales.

1. Opinion raciste et liberté d’expression

La liberté d’expression est un principe fondateur et absolu, consacré par plusieurs textes fondamentaux (cf. Déclaration universelle des droits de l’homme ou encore Déclaration européenne). Cependant, comme l’a écrit Gérard Belorgey, « Lalibertéd'expressionestlaconditionetletestdeladémocratie,maissonemploi abusif peut nuireàlacohésionnécessairedugroupesocial »7. Un tel énoncé questionne donc les limites de cette même liberté. Toute opinion doit-elle être accessible à toutes et tous, même si elle s’avère immorale, insultante ou néfaste ? Non. Cette liberté n’est pas absolue et doit être limitée de diverses façons. En premier lieu, un cadre légal8 doit être posé. Ensuite, le ressenti de l’autre doit être pris en considération, lui donnant ainsi la possibilité de réagir, de contester, d’argumenter, rendant ainsi possible le dialogue démocratique

Il convient toutefois de rester prudent face à la potentielle récupération politique de ce débat autour de la liberté d’expression. En effet, nombreux sont les partis d’extrême-droite à l’échelle européenne, voire mondiale, à faire de la lutte contre la législation antiraciste une priorité, « au nom précisément de la liberté d’expression, et plus largement au nom de la liberté de pensée »9 (en témoigne l’exemple du nom du parti d’extrême-droite néerlandais « Partij voor de Vrijheid » 10 de Geert Wilders). Amalgamant l’islam et l’islamisme, décriant le multiculturalisme, ces nouveaux courants de droite européens ne se prononcent plus au sujet du racisme par le biais de discours néofascistes, mais au nom de valeurs « occidentales » et « humanistes », prônant les vertus d’une liberté d’expression totale mais aussi de l’identité nationale.

En Belgique, ce sentiment « national » est utilisé par l’extrême-droite de manière régulière lors de campagnes de pseudo-sauvegarde d’événements et d’éléments folkloriques. L’intervention suivante de Tom Van Grieken, président du Vlaams Belang, illustre pleinement ce propos 11 : « Kerstmarkten mogen niet langer kerstmarkten heten, de Sint moet het doen zonder zijn trouwe Zwarte Piet, Paaseieren moeten een andere naam krijgen en zelfs Aalst Carnaval wordt onder onder vuur genomen. Stop. Genoeg is genoeg ! »12 Le communiqué du parti de droite flamand ajoute : « Onder druk van de multiculturaliteit moeten we onze eigen cultuur blijkbaar aanpassen […]. Het moet net omgekeerd : andere culturen moeten zich aanpassen aan de onze. Hier tegen je zin blijven, is niet verplicht. »13 Bien que la forme des propos racistes ait pu changer au fil du temps, ceux-ci continuent à reposer sur les mêmes clichés et poncifs. De Joseph Arthur de Gobineau à Tom Van Grieken, les dangers du métissage – ou de la multiculturalité, pour reprendre des termes plus contemporains – sont omniprésents et menacent nos sociétés, condamnées à sombrer dans la « décadence ».14

De manière plus générale, d’ailleurs, la loi de 1981 – tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie, dite loi Moureaux – a provoqué des changements de paradigmes dans le langage politique des partis d’extrême droite belge. Ces derniers ont dû apprendre à « modifier leur discours, à prendre connaissance de la nature profonde de la loi de 1981 et à développer un discours, un programme, des tracts, mais aussi des sites internet adaptés à la loi. Mais cette évolution a aussi favorisé la créativité et

7 BELORGEY, Gérard. Legouvernementetl’administrationdelaFrance. Paris : Armand Colin. 1967. p. 142.

8 En Belgique, ce cadre légal se révèle au travers de textes tels que la loi antiracisme (1981), la loi anti-discrimination (2007) ou encore le code pénal (cf. article 443).

9 JAMIN, Jérôme. « Trente ans de lutte contre le racisme en Belgique : bilan et perspectives ». in La Revue nouvelle. vol. LXVIII, n°4. p. 4. [Article disponible en ligne : https://orbi.uliege.be/bitstream/2268/148011/1/Article%20JJamin.pdf (consulté le 31/08/21)].

10 « Parti pour la liberté ».

11 Les extraits suivants sont disponibles sur le site du Vlaams Belang : https://www.vlaamsbelang.org/bescherm-onze-tradities/

12 Notre traduction : « Les marchés de Noël ne peuvent plus être appelés marchés de Noël, Saint Nicolas doit se passer de son fidèle Père Fouettard, les œufs de Pâques doivent être renommés et même le carnaval d’Alost est sous le feu des critiques. Stop. Trop c’est trop ! ».

13 Notre traduction : « Sous la pression du multiculturalisme, nous devons apparemment adapter notre propre culture […]. Il faut que ce soit l’inverse : les autres cultures doivent s’adapter à la nôtre. Rester ici contre votre gré n’est pas obligatoire ».

14 Notons qu’en Wallonie, des tentatives similaires d’émergence de discours racistes existent aussi. Le 27 octobre dernier, le nouveau parti « Chez Nous » devait organiser son grand meeting de lancement en région liégeoise. Toutefois, la mobilisation citoyenne a empêché un tel rassemblement

6 Etat de la Question 2021 • IEV
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

l’imagination de tous ceux qui étaient bien décidés à continuer à dire la même chose, mais avec d’autres mots »15. Un nouveau langage politique s’est établi, à priori anodin, mais pourtant très connoté.

Heureusement, des mécanismes ont été élaborés (en tous les cas, du côté francophone du pays) pour éviter la diffusion de telles idées. C’est le cas du cordon sanitaire médiatique, lequel empêche les partis ou les représentants d’extrême-droite de disposer d’un temps de parole libre en direct (en télévision ou en radio).

2. Sémantique du racisme ordinaire

2.1. Le corolaire d’un système

Le racisme, tel qu’appréhendé par l’appareil politique et juridique, est défini essentiellement par la haine d’un autre et non comme le résultat et les conséquences d’une histoire de rapports sociaux. L’assimilation du racisme à un discours ou à des actes de haine est largement reconnue. En revanche, « voir dans les discriminations la matérialisation et la reproduction du racisme entendu comme un système d’inégalités structurelles est nettement plus rare. Une des raisons en est que les pratiques racistes sont d’abord saisies à l’échelle des relations interindividuelles et comprises comme des conduites manifestes, intentionnelles, consécutives à l’existence de préjugés […] »16 Ainsi, si les manifestations individuelles du racisme sont aisément identifiables – et punissables –, il n’en va pas de même pour la discrimination systémique, laquelle est le résultat d’un long processus historique contribuant à la survivance d’inégalités politiques, sociales et économiques et conférant des privilèges à un type de personnes – dans le cas présent, les « Eurodescendants » – préjudiciant les personnes racisées

Attention toutefois : parler de racisme systémique ne consiste pas à dire que la société est raciste dans son ensemble. Une telle acception vise, en vérité, à démontrer que des pratiques racistes persistent – dans certaines décisions administratives, par exemple – dans une société où le racisme est justement fermement condamné dans la sphère publique. La notion de « racisme systémique » vise à sensibiliser la persistance de critères raciaux discriminants invisibilisés au travers des institutions, des cadres de pensée et des valeurs sociétales.

2.2. Quelques chiffres

Le racisme se manifeste de diverses manières en Belgique. « Violences et brutalités policières, profilages ethniques, légitimation de la parole raciste à travers les discours de certains élus et partis politiques exerçant de hautes fonctions gouvernementales sur le devant de la scène, racisme « ordinaire » et quotidien, discriminations […], tous ces constats ne datent pas forcément d’hier […] » 17 Unia signale dans son Rapportchiffres de l’année 2020 que 956 dossiers concernant les critères « raciaux » ont été ouverts pour cette seule année, ce qui représente 37,7% de l’ensemble des dossiers traités par l’institution. C’est d’abord dans le domaine des médias que le plus de plaintes ont été enregistrées pour ce critère, puis dans le domaine des biens et services et enfin de l’emploi.

15 JAMIN, Jérôme. « Trente ans de lutte contre le racisme en Belgique : bilan et perspectives ». in La Revue nouvelle. vol. LXVIII, n°4. p. 4. [Article disponible en ligne : https://orbi.uliege.be/bitstream/2268/148011/1/Article%20JJamin.pdf (consulté le 31/08/21)].

16 PRIMON, Jean-Luc et Patrick SIMON. « Mesurer le racisme ? L’apport des enquêtes quantitatives à la sociologie du racisme ». inSociologieetsociétés. vol. L, n°2. Automne 2018. p. 178.

17 GOSSIAUX, Axel. « L’éducation permanente en lutte contre le racisme et la colonialité en Belgique francophone ? ». in Fucid. Namur. 2020. p. 14. [Article disponible en ligne : https://orbi.uliege.be/bitstream/2268/252334/1/2020.ET-de%cc%81colonisation-EP.pdf (consulté le 02/09/21)].

7 Etat de la Question 2021 • IEV
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Source : Unia. Rapport chiffres. 2020.

Si de telles manifestations racistes (insultes, agressions, etc.) sont identifiables, il n’en va pas de même pour l’émanation d’un racisme davantage structurel, phénomène plus profond, plus subtil et plus difficile à combattre. Pour le dire autrement, les plaintes reçues et collectées par Unia ne représentent que la partie émergée de l’iceberg. Des réalités autres sont présentes, plus insidieuses. Pensons, à titre d’exemple, à l’invisibilisation de certains sur le marché de l’emploi. « C’est le paradoxe des Afrodescendants de Belgique : plus diplômés que la moyenne nationale, mais écartés du marché du travail, avec un taux de chômage jusqu’à quatre fois plus élevé que la moyenne pour la première génération. »18

Des inégalités surgissent également dans les domaines de la culture et des médias19 . Plus surprenant encore, une récente étude de l’Agence de protection de l’environnement a démontré que l’identité « raciale » jouait un rôle encore plus déterminant que la pauvreté dans la question de l’exposition aux particules20 : « Disparities for Blacks are more pronounced than are disparities on the basis of poverty status »21

Pour lutter durablement contre les inégalités raciales, il convient donc de mettre au point une politique qui ne s’attaque plus seulement aux actes individuels, mais examine les structures mêmes de ce dérèglement. Une réflexion doit être menée pour lutter face à ces préjugés inconscients et collectifs qui mènent, involontairement, à des inégalités À l’heure actuelle, il ne suffit donc plus de ne pas être « raciste » pour combattre le racisme.

18 KIHL, Lorraine. « Belgique : un niveau de discrimination à l’embauche similaire aux États-Unis pour les Afrodescendants ». in Le Soir. Bruxelles. 2020. [Article disponible en ligne : https://plus.lesoir.be/307408/article/2020-06-15/belgique-un-niveau-de-discrimination-lembauche-similaire-aux-etatsunis-pour-les (consulté le 02/09/21)].

19 Ainsi, à titre d’exemple, le baromètre de la diversité et de l’égalité du CSA mentionnait la présence d’à peine 3,78% d’animateurs et journalistes perçus comme issus de la diversité.

20 Le racisme environnemental au sein d’un même pays a été particulièrement documenté aux États-Unis. Bien que le phénomène soit sans doute moins manifestement présent dans d’autres pays, on ne peut nier son existence sur le continent européen.

21 MIKATI, Ihab et al. « Disparities in Distribution of Particulate Matter Emission Sources by Race and Poverty Status ». in American Journal of Public Health. pp. 480-485. 2018. [Article disponible en ligne : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5844406/ (consulté le 01/09/21)].

8 Etat de la Question 2021 • IEV
Graphique : Nouveaux dossiers par critères dits « raciaux » par domaine en 2020
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

3. Lutte contre le racisme : quid des solutions politiques ?

3.1. Quelles solutions politiques existent ?

Il aura fallu attendre les années 1950 pour qu’à la condamnation morale – déjà existante – du racisme s’ajoute une dimension juridique. Depuis, les moyens légaux pour lutter contre le racisme sont nombreux et apparaissent les uns après les autres, par le biais de différents supports (traités, conventions internationales, lois, droit pénal). En Belgique, différents mécanismes de lutte contre les discriminations existent : la loi du pacte culturel (1972), la loi antiracisme (1981), la loi anti-discrimination (2007), la loi gender mainstreaming (2007). « Les critères protégés par ces lois sont respectivement la nationalité, la prétendue race22, la couleur de peau, l’ascendance, l’origine nationale ou ethnique, l’âge, l’orientation sexuelle, l’état civil, la naissance, la fortune, la conviction religieuse, philosophique ou politique, l’état de santé actuel ou futur, le handicap, les caractéristiques physiques ou génétiques, l’origine sociale et la conviction syndicale, le sexe, la langue »23 À cela s’est ajouté la création de diverses institutions publiques (telles qu’Unia, pour ne citer que cet exemple).

Malgré ces différents dispositifs mis en place, il convient d’être attentif aux limites de ceux-ci. En effet, comme le rappelle Édouard Delruelle24, le racisme, au regard de la législation, s’illustre sous trois types de formes, trois types « d’actes » : des discriminations proprement dites, des crimes de haine et des discours de haine. Effectivement, une parole peut constituer un acte dans la mesure où elle peut nuire à l’autre. C’est la dimension performative – et non pas la dimension représentative – du langage qui importe dans ce cas, l’acte que cette parole provoque, ou du moins, constitue.

Il convient de noter, toutefois, par cette catégorisation, que les dispositifs mis en place pour lutter contre les discriminations ne prennent en considération que les manifestations extérieures et individuelles du racisme et n’agissent donc que sur le volet répressif, occultant ainsi toute la dimension « pédagogique » et réflexive de cette problématique. On constate donc qu’en Belgique, à l’heure actuelle, comme l’illustrait le rapport d’Unia, ne sont condamnés que les actes isolés et individuels, alors que les pratiques ancrées de manière plus insidieuse et institutionnelle, ne sont, quant à elles, nullement menacées. Il convient donc d’aller audelà de la résolution aléatoire et individuelle de ces discriminations et d’accorder davantage d’importance au caractère résolument systémique de ces actes.

On ne peut toutefois nier l’existence d’initiatives de sensibilisation. Nombreuses sont les institutions et instances à proposer des campagnes et des formations pour lutter durablement contre le racisme. Mais à nouveau, ces mécanismes s’adressent aux citoyens de manière isolée, aux individus. Il convient de lutter en profondeur contre ces inégalités. Pour ce faire, une réflexion autour de notre système économique, politique, culturel et social est nécessaire.

Longtemps ignorée, cette question a finalement trouvé un écho favorable en juin dernier, au travers d’un rapport du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme. « Les objectifs de ce programme […] sont de remédier à la culture du déni, d’abattre le racisme systémique et d’accélérer le rythme de l’action menée ; de mettre fin à l’impunité des représentants de la loi qui commettent des violations des droits de l’homme et de remédier au déficit de confiance à cet égard ; de faire en sorte que la voix des personnes d’ascendance africaine et de ceux qui s’élèvent contre le racisme soit entendue et à ce qu’il soit répondu à leurs préoccupations ; de regarder le passé en face, par la voie notamment de la responsabilité et des réparations »25

22 Il est intéressant de constater qu’en Belgique, l’emploi du mot « race » subsiste, alors qu’en France, en 2018, la suppression de ce terme dans la Constitution a été votée, à l’unanimité.

23 ORBAN, Anne-Claire. Peut-onencoreparlerderacisme ? Bruxelles : Couleurs livres. 2015. pp. 109-110.

24 DELRUELLE, Édouard. « Le racisme nouveau ». inPolitique(Hors-séries). n°HS22. Octobre 2013.

25 Conseil des droits de l’homme. « Promotion et protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales des Africains et des personnes d’ascendance africaine face au recours excessif à la force et aux autres violations des droits de l’homme dont se rendent coupables des membres des

9 Etat de la Question 2021 • IEV
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Pour le cas plus spécifique de la Belgique, des initiatives sont attendues depuis 2001 (cf. suivi et application de la Déclaration et du Programme d’action de Durban). Notre pays, tout comme l’ensemble des signataires du texte, est tenu, depuis plus de vingt ans maintenant, d’élaborer un plan d’action. Des pays tels que la France, les Pays-Bas, l’Irlande ou encore l’Allemagne ont déjà rempli cet objectif. La Belgique, qui n’a pas encore présenté de plan, est sommée par la Commission européenne d’en adopter un d’ici 2022. Une réflexion (interfédérale), pilotée par le cabinet de la Secrétaire d’État à l’Égalité des chances est actuellement en cours

Avec ce plan, la Belgique s’engage à respecter ses engagements nationaux et internationaux, notamment l’article 1er de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, l’article 2 de la Convention relative aux droits de l’enfant, l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’Homme, l’article E de la Charte sociale européenne révisée, l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’article 2 du traité sur l’Union européenne, les articles 10, 18 et 19 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et l’article 10 de la Constitution belge.

En outre, des actions parallèles ont vu le jour dernièrement. C’est le cas des Assises contre le racisme lancées par le Parlement bruxellois, lequel, au cours de huit séances, a pu aborder une série de problématiques liées au champ de compétences régionales : le logement, l’emploi et la fonction publique, la santé et l’accès aux services, pour ne citer que ces exemples.

3 2 Comment les différents partis francophones se positionnent sur cette problématique ?

Le tableau suivant illustre les prises de position autour du racisme par les différents partis politiques francophones belges en vue des élections dernières (mai 2019).

Partis politiques Programme politique en matière de lutte contre le racisme PS Évaluer, modifier et assurer l’effectivité des trois lois anti-discrimination et les actualiser sur base de leur récente évaluation. Un travail similaire sera réalisé pour tous les dispositifs pris par les entités fédérées ;

Créer un programme spécifique dans le champ de l’éducation permanente ;

Réaliser un module comparable aux animations EVRAS dans les écoles, mais décliné sous l’angle de l’usage éthique, critique et citoyen d’internet et des réseaux sociaux ;

Lancer une vaste campagne de sensibilisation afin de démontrer les dangers des propos haineux sur internet ;

Soutenir davantage, notamment financièrement, les associations qui travaillent de ce secteur ;

Réaliser un plan interfédéral de lutte contre le racisme, rassemblant les acteurs publics et associatifs de la lutte antiracisme et ayant pour ambition de concrétiser une série d’actions de terrain visant à réduire durablement et efficacement le racisme.

MR Élaborer un plan d’action interfédéral contre le racisme ; Évaluer les décrets, lois et ordonnances anti-discrimination ;

10 Etat de la Question 2021 • IEV
- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -
forces de l’ordre ». inRapportannuelduHaut-CommissairedesNationsUniesauxdroitsdel’hommeetrapportsduHaut-Commissariat et du Secrétaire général. New-York. 2021. p. 1.

Collaborer avec les opérateurs belges de télécoms pour lutter contre les diffusions à caractère raciste, antisémite ou négationniste ;

Désigner un « coordinateur de la lutte contre l’antisémitisme » et de lui mettre à disposition tous les instruments et le soutien nécessaires pour lui permettre de faire son travail le plus efficacement possible ;

Remettre en place la cellule de veille chargée de la lutte contre l’antisémitisme et de la réunir au minimum deux fois par an, et de faire publiquement rapport de ses réunions.

Écolo Garantir l'effectivité des lois anti-discrimination par l'organisation de tests de situation, par la formation des services de prévention et de police amenés à accueillir les plaignants.

cdH

Sensibiliser les jeunes aux dangers de racisme, homophobie, antisémitisme et la xénophobie, aux théories du complot ;

Élaborer un plan d’action interfédéral contre le racisme ;

Élaborer un plan transversal de lutte contre les discriminations ; Intégrer davantage l’éducation au dialogue interculturel, la promotion de la diversité et la lutte contre les discriminations et le racisme dans les programmes scolaires.

DéFI Élaborer un plan d’action interfédéral contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance ; Assurer l’enregistrement et le suivi des plaintes pour faits de racisme ou de discriminations ;

Agir dans les écoles pour soutenir et accompagner les victimes de racisme et de discriminations ; Assurer l’enregistrement et le suivi des plaintes pour faits de racisme ou de discriminations ;

Suspendre les droits politiques en cas de condamnation pour des faits de racisme ; Développer des peines alternatives en cas d’infractions aux lois sur le racisme et la xénophobie.

PTB

Appuyer tous les efforts visant à établir un plan d’action national contre le racisme ; Évaluer et modifier la loi contre le racisme et la xénophobie, celle contre les discriminations en général et celle contre les discriminations entre les hommes et les femmes, de manière à ce qu’elles permettent de réduire de manière effective le racisme et la discrimination ;

Introduire les tests de situation anti-discrimination sur le marché locatif.

Les préoccupations principales des différents programmes – à savoir la constitution d’un plan interfédéral contre le racisme et l’évaluation de la législation antiracisme et anti-discriminations – ont été entendues par les partis de la majorité fédérale, puisqu’elles apparaissent dans l’accord de gouvernement qui prévoit une mise en application de ces intentions.

11 Etat de la Question 2021 • IEV

4. Conclusion

La prise de conscience d’un phénomène représente toujours un progrès. L’application de mécanismes visant à limiter un problème, l’est également. La lutte contre le racisme s’inscrit dans cet élan. Que ce soit au travers de textes de loi, d’initiatives publiques, de changements de mœurs ou de conscientisations individuelles et collectives, l’on ne peut nier les nombreuses initiatives prises à l’égard de ce combat.

Le politique doit désormais appliquer la même démarche face au racisme systémique. Dans un premier temps, il conviendra de prendre conscience – et de faire prendre conscience ! – des raisons qui expliquent la pérennité de phénomènes racistes malgré les discours et les moyens dégagés pour lutter contre. S’en suivra la mise en place de solutions touchant tant aux sphères des médias, que de la culture, du sport ou de l’éducation. L’élaboration d’un plan d’action de lutte contre le racisme constitue, de cette manière, une première concrétisation intéressante.

12 Etat de la Question 2021 • IEV

DANS LA MÊME COLLECTION / ETAT DE LA QUESTION IEV

Violences conjugales : état des lieux et prise de conscience en temps de confinement

Analyse de l’application de la règle d’or budgétaire dans la zone Euro

Florent LEGRAND et Sébastien GIELIS

La chute de Dexia : impact sur les finances publiques belges

La convention européenne des droits de l’homme, un instrument essentiel au cœur de l’évolution des droits fondamentaux. Question choisie : le droit à la vie privée, un droit aux multiples facettes

Letizia DE LAURI

Cour d’assises : l’impossible appel ?

Martin JOACHIM

Housing first : de la rue au logement

Anne LAMBELIN

Les pouvoirs des communes en matière de maintien de l’ordre public : une inflation sans fin ?

Martin JOACHIM

Asile et migration en Europe : une solidarité défaillante

Maxime CAYROU

L’évolution du processus de régulation de la SNCB

Clémence BOVY et Florent LEGRAND

Participation citoyenne à l’échelle locale : qu’est-ce qu’un budget participatif ?

Letizia DE LAURI

Au-delà de la décolonisation des territoires : l’amorce d’un processus

Sophie PISSART

Green (New) Deal et plans de relance : comparaison entre l’Union Européenne et les États-Unis

Damien VIROUX

Le centième anniversaire de la loi « Destrée » instituant les bibliothèques publiques

Jean LEFEVRE

Soutenabilité des pensions : analyse critique des projections du Comité d'Étude du Vieillissement et ébauche d'une approche alternative

Damien VIROUX

La circonstance aggravante pour mobile discriminatoire : une généralisation qui s’impose

Martin JOACHIM

Vers une véritable imposition mondiale des sociétés multinationales

Letizia DE LAURI

Résumé

La présente note a pour objectif de s’interroger sur les raisons expliquant les survivances racistes en Belgique par le biais de diverses questions : Pourquoi le racisme et les discours autour de prétendues « races humaines » se maintiennent-t-il alors que la science est catégorique à ce sujet, considérant l’espèce humaine comme une et indivisible ? Sous quelles formes le racisme continue-t-il à se manifester de nos jours ? Quelles solutions et réparations apporter ?

B-1000
Téléphone : +32 (0)2 548 32 11 Fax : + 32 (0)2 513 20 19 iev@iev.be www.iev.be
Institut
Emile Vandervelde Bd de l’Empereur, 13
Bruxelles

Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.