Violences conjugales: état des lieux et prise de conscience en temps de confinement-2020

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VIOLENCES CONJUGALES : ETAT DES LIEUX ET PRISE DE CONSCIENCE EN TEMPS DE CONFINEMENT

DECEMBRE 2020

Introduction 3 1. Violences conjugales : de la judiciarisation dans les années 4 70s à une prise de conscience collective a) Rétrospective 4 b) L’impact du confinement 5 c) Mesures d’urgence 5 2. Entre facteurs individuels et problème systémique : 6 de la nécessité de comprendre les origines de cette violence a) Aspects individuels, communautaires et relationnels 7 b) Violences systémiques, sociales et genrées 7 3. A plusieurs causes, des réponses plurielles 8 a) Les recommandations du rapport GREVIO 8 Meilleure coordination des acteurs 8 Octroyer plus de moyens financiers 8 Renforcer les structures d’accueil 8 Politiques genrées 9 Prévention 9 b) Justice : améliorer les mesures de judiciarisation 9 c) Prise en compte des aspects psychiques 9
Conclusion 10 SOMMAIRE Mina Pécot-Demiaux est étudiante en dernière année de master en études européennes à finalité Histoire et cultures d'Europe à l’Institut d'études européennes de l’ULB. Elle a effectué un stage du 16 septembre au 18 décembre 2020 au sein de l’IEV
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Introduction

L’épidémie de Covid-19 a non seulement cristallisé les carences en matière de santé publique, mais a également mis en lumière des inégalités sociales. Cette crise sanitaire sans précédent nous pousse à questionner nos modèles et politiques publiques.

Les femmes qui représentent, par exemple, 86,56% du corps infirmier en Belgique ont été une force majeure dans la lutte contre le virus. Une partie d’entre elles ont malheureusement aussi été confrontées à une hausse des violences conjugales durant le confinement. Le nombre d’appels reçus par la ligne d’écoute a doublé selon Jean-Louis Simonen, coordinateurs d’écoute violences conjugales.1

Touchant tous les milieux sociaux, ces violences conjugales peuvent prendre plusieurs formes : physiques, psychologiques, sexuelles, verbales mais aussi économiques.2 Les conséquences peuvent d’être d’ordre psychologique ou physique : anxiété, nervosité, coups et blessures, jusqu’à entraîner la mort. En Belgique, au moins 24 féminicides sont à déplorer pour l’année 2019, 38 en 2018 et 42 en 2017.3

Ces violences conjugales sont un problème sociétal et de santé publique. Elles découlent d’inégalités structurelles. Il est primordial de souligner que ces violences sont le fruit d’un système social patriarcal. Elles reflètent donc les inégalités de genre : 93% des appels reçus proviennent de femmes. De ce fait, elles impliquent une réponse publique et institutionnelle. Cette note se base donc sur une perspective genrée. Elle intègre par ailleurs le dernier rapport GREVIO issu de la convention internationale contre les violences conjugales et sur des analyses des acteurs de terrain.

Comment peuvent être comprises les violences conjugales, et quels sont les mécanismes et dysfonctionnements révélés par cette crise ?

Les conclusions et chiffres évoqués portent sur le premier confinement. Nous ne disposons pas encore d’un recul suffisant sur les impacts du second confinement.

Cette note permettra cependant de dresser un état des lieux de la législation belge, et des dispositifs mis en œuvre lors du confinement. Ce dernier n’a pas seulement créé les violences conjugales, il les a révélées. Le deuxième objectif majeur sera de comprendre ces violences, leurs multiples causes afin d’encourager des solutions reflétant la complexité de celles-ci sur le long terme.

Cette explosion des violences durant le confinement a mis en lumière le sort de femmes confrontées à une violence quotidienne et inacceptable. Des efforts ont été déployés, mais ils ne doivent pas s’arrêter à la seule période de la crise sanitaire et doivent perdurer au-delà du confinement

1 Article du soir (07/04/20) « Confinement: doublement des appels sur les lignes d’écoute pour les victimes de violences conjugales ».

URL : https://www.lesoir.be/292976/article/2020-04-07/confinement-doublement-des-appels-sur-les-lignes-decoute-pour-les-victimes-de

2 SFPS (2019) « Qu’est-ce que les violences conjugales ». URL : Dossier "Violences conjugales" - Fédération des Centres de Planning Familial des FPS (planningsfps.be)

3 Comptabilité des féminicides par le site Stopfeminicide. URL : http://stopfeminicide.blogspot.com/2019/01/update-2019-1-feminicide.html

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1. Violences conjugales : de la judiciarisation dans les années septante à la prise de conscience collective

a) Rétrospective

Les violences conjugales sont, bien entendu, punissables pénalement. La loi de 1989 réprime le viol entre époux en élargissant la notion de viol, la peine étant identique qu’il existe ou non un lien conjugal.4 La loi de 19975 vise à combattre les violences au sein du couple, même si ces derniers ne sont pas mariés et s’applique aussi aux ex-partenaires.6 Le législateur est également intervenu en 19987 pour reconnaître le caractère psychologique de ces violences.

Plus tardif, le premier plan d’action national de lutte contre les violences conjugales a été lancé en mai 2001. Depuis cette date, la Belgique « concrétise sa politique de lutte » à travers des plans8. Ils associent les différents niveaux de pouvoir (fédéral, communautaire et régional) et sont coordonnés par l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes. Le dernier plan (2015-2019) s’est concentré sur les violences sexuelles, les violences entre partenaires, les mutilations génitales féminines, les mariages forcés et des violences liées à l’honneur.9 Toutes ces actions ont six objectifs principaux : sensibilisation, protection, prévention, formation, accueil, et politiques pénales genrées.

En 2006, une circulaire commune (COL4) a été créée afin d’améliorer la réponse juridique aux cas de violences dans le couple. Elle définit la politique criminelle fédérale, c’est-à-dire que « les réactions des autorités judiciaires et policières dans les situations de violence dans le couple doivent démontrer l’importance qu’elles accordent au phénomène (…) et leur résolution à lutter contre ses différentes manifestations ».10

En 2009, les gouvernements de la Fédération Wallonie-Bruxelles, de la région wallonne, et de la commission communautaire française (COCOF) se sont réunis pour coordonner un plan intra-francophone, renouvelé en 2015. Un nouveau plan pour 2020, mais il semblerait qu’il ne verra le jour qu’en 2021. A noter qu’un premier plan de lutte contre ces violences a été mis en place en parallèle au niveau bruxellois par la secrétaire d’Etat Nawal Ben Hamou.

Au niveau international, la Belgique a ratifié en 2016 la Convention d’Istanbul. Elle est donc partie au premier traité contraignant d’Europe qui crée un cadre légal pour prévenir les violences conjugales. Outre le caractère coercitif de cette Convention, elle souligne explicitement le lien entre la société patriarcale et les violences conjugales. Elle établit des mesures pour supprimer les violences envers les femmes, en mettant l’accent sur la prévention, la protection des victimes et tente de mettre fin à l’impunité des auteurs de ces violences.

4 Loi du 4 juillet 1989 modifiant certaines dispositions relatives au crime de viol (M.B, 18/07/1989).

5 art. 410 du Code Pénal modifié par la loi du 24 novembre 1997.

6 Idem.

7 Loi du 30 octobre 1998 qui insère un article 442bis dans le Code pénal en vue d’incriminer le harcèlement (M.B., 17/12/1998).

8 Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (2015). URL : https://igvm iefh.belgium.be/fr/publications/plan_daction_national_de_lutte_contre_toutes_les_formes_de_violence_basee_sur_le_genre

9 Vzw Amazone asbl (2019) “Institut pour l’égalité des Femmes et des Hommes ». URL : https://www.amazone.be/nouveau-plan-daction-national-delutte-contre-toutes-les-formes-de-violence-basee-sur-le-genre

10 Vanneste Charlotte « La politique criminelle en matière de violences conjugales : une évaluation des pratiques judiciaires et de leurs effets en termes de récidive », Bruxelles, INCC, 2016, page 2

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b) Impact du confinement

Cependant, face à l’ampleur de la pandémie, on a pu constater que les mesures préexistantes n’étaient pas à la hauteur face à la hausse constatée du nombre de violences envers les femmes.11 Le confinement a engendré une aggravation de la situation des femmes déjà vulnérables. Coincées avec un conjoint violent, le confinement a aggravé la violence là où elle s’exerçait déjà, au-delà d’augmenter le risque des violences. Les démarches ont été d’autant plus complexes pour les femmes migrantes ou en situation de handicap, ces dernières ne pouvant pas toujours utiliser les outils numériques mis en place pour alerter ou ne maîtrisant pas forcément le français.12

Les femmes se sont retrouvées coincées 24h/24H avec un compagnon violent, sans contact avec l’extérieur. Ce lien social exerçait auparavant une sorte de coupure face à un quotidien violent. D’après l’enquête Virage réalisée en 2015,13 88 % des femmes ont parlé des violences conjugales en premier lieu à des membres de la famille (82,5 %) ou à des amis (75,8 %), mais aussi à des collègues (29,8 %). Par ailleurs cette même enquête révèle que la moitié des femmes voulant fuir leurs domiciles conjugaux vont chez des parents, des amis, ou un logement indépendant. Ces chiffres ont démontré la nécessité d’ouvrir de nouvelles portes de secours pour que ces femmes puissent communiquer et fuir.

A côté des facteurs endogènes cités ci-dessus, des facteurs extérieurs se sont accumulés. La Grenade, regroupant des ASBL du secteur, s’est exprimée publiquement pour pointer les dysfonctionnements au sein du corps policier et judiciaire engendrés par le confinement. 14Les associations craignaient que les forces de l’ordre, mobilisées dans le contrôle du respect des mesures sanitaire, délaissent la prise ne charge des violences faites aux femmes. Elles pointaient par ailleurs le manque de place dans les hébergements d’urgence.

Mais certains sociologues estiment qu’il y a eu une véritable prise de conscience collective quant aux violences conjugales.15 L’opinion publique tolère de moins en moins ces actes : il semble que l’on puisse constater une intervention accrue des voisins16 lors du confinement, preuve que ces violences ne sont plus totalement vues comme relevant de la seule sphère privée.

c) Mesures d’urgence

Dans ce contexte, il était vital qu’une intention particulière soit portée aux femmes victimes doublement du confinement et des violences conjugales. Deux conférences interministérielles se sont tenues entre avril et juin 2020 afin de prendre des mesures adéquates face à ces constats. Réunissant les ministres Nawal Ben Hamou, Christie Morreale, Bénédicte Linard et Barbara Trachte, l’ambition était de réunir et coordonner plusieurs niveaux de pouvoirs, afin d’améliorer la portée des mesures. Quatre groupes de travail ont été mis en place : prévention, politique intégrée, sensibilisation, ainsi que les mesures à prendre face aux conséquences de la crise sanitaire.

Dans la même veine, la Wallonie a tenté de renforcer la coordination des acteurs. L’accent a été mis sur les lignes d’écoute, qui ont reçu un nombre plus conséquent d’appels. Des subsides sont venus aider ces

11 Wallonie.be (08/2020) « Violences conjugales et intrafamiliales ». URL : https://www.wallonie.be/fr/covid19/violences-conjugales-et-intrafamiliales

12 Rapport du MIPROF (2020) “Les violences conjugales pendant le confinement : évaluation, suivi et propositions ». URL : https://www.egalite-femmeshommes.gouv.fr/wp-content/uploads/2020/07/Rapport-violences-conjugales.pdf

13 Enquête Virage (O7/2020) Les violences conjugales pendant le confinement, évaluation, suivi et propositions. URL : http://egalite-femmeshommes.gouv.fr/wp-content/uploads/2020/07/Rapport-violences-conjugales.pdf

14 Article de la RTBF (01/04/20) “Une carte blanche collective ». URL : https://www.rtbf.be/info/dossier/les-grenades/detail_confinement-et-violencesfaites-aux-femmes-quelles-mesures-adopter-une-carte-blanche-collective?id=10473104

15 Rapport d’Eurotext (2020) “ Pendant le confinement, violences faites aux femmes et aux enfants ». URL : https://www.jle.com/fr/covid19-confinementviolences-faites-aux-femmes-et-aux-enfants

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opérateurs : une troisième ligne d’écoute a été créée début juin et sera maintenue jusqu’à la fin de l’année 2020. Par ailleurs, il y a eu une volonté de visibiliser les numéros d’appel à l’aide.

Concernant le manque alarmant de places en hébergements d’accueil, les pouvoirs publics ont tout de même tenté de trouver des solutions. 100 places ont été dégagées dans les Centres Publics d’Action Sociale (Centre public d’action social). Un hôtel à capacité de 50 personnes a ouvert ses portes à Bruxelles pour accueillir les femmes victimes de violences conjugales. Le suivi psychologique était assuré par le CPAS et le Centre de Préventions des Violences Conjugales et Familiales de la commune. Cet hôtel est resté ouvert et complet durant le second confinement. On y recense actuellement entre 15 et 20 familles. Les femmes peuvent venir avec leur(s) enfant(s). Être logé dans un hébergement anonyme est d’autant plus important pour les femmes qui souvent ne souhaitent pas que leurs conjoints les retrouvent. L’adresse de cet hôtel et des centres d’hébergement doit demeurer anonyme.

Enfin, un code « masque 19 » a été mis en place afin que les femmes victimes de violences puissent le signaler à leurs pharmaciens ou pharmaciennes, et demander assistance discrètement. Il n’existe cependant pas encore de retours quant aux résultats de cette initiative. Mais l’on sait d’ores et déjà que les pharmaciens ont été en première ligne lors de la première vague. C’est pour cela que dès le 25 novembre 2020, 1800 pharmacies wallonnes sont devenues des points relais pour orienter les victimes lorsqu’elles s’adressent à elles.17

2. Entre facteurs individuels et problème systémique : de la nécessité de comprendre les origines de cette violence

Afin d’identifier et de mettre en place des solutions sur le long terme contre ces violences conjugales, il est important d’en comprendre les causes. Le confinement nous a forcés à agir dans l’urgence et a posteriori. Mais il est primordial d’étudier les différents mécanismes menant à cette violence afin d’agir en amont. En effet, la définition que l’on donnerait aux violences conjugales impacterait les dispositifs légaux.18 Avant les années septante, une différenciation nette entre espace public et espace privé existait dans la société et se retrouvait dans la législation. En conséquent, il était rare que la justice intervienne dans le cadre de violences conjugales. La réconciliation était le plus souvent utilisée.19 En témoignent les articles qui jusqu’à très récemment qualifiaient de crime passionnel les féminicides.20

Plusieurs strates d’analyses existent du niveau individuel au niveau sociétal, impliquant plusieurs niveaux de politiques publiques. Comme le rappelle l’organisation en charge du numéro vert « Ecoute violences conjugales », aucun facteur à lui seul ne peut expliquer l’émergence des violences, « il est donc nécessaire d’adopter un point de vue circulaire et intégratif : plusieurs variables s’imbriquent pour créer la violence conjugale »21

17 Pharmacie.be (25/11/12) « Relais-Pharmacie ». URL : https://www.pharmacie.be/actualites/victime-de-violence-conjugale-votre-pharmacienne-peutvous-aider

18 Delage Michel, Sanchez Alexandrine, Bruno Jean-Luc et al., « Les violences conjugales, phénomène social, problème systémique », Thérapie Familiale, 2012/2 (Vol. 33), p. 105-121. DOI : 10.3917/tf.122.0105. URL : https://www.cairn-int.info/revue-therapie-familiale-2012-2-page-105.htm

19 Idem

20 Article du Temps par Michel Guillaume, Sylvia Revello et Céline Zünd « Violence conjuagles : histoire d’une lutte sans fin ». URL : https://labs.letemps.ch/interactive/2020/longread-violence-conjugale/

21 Delage Michel, Sanchez Alexandrine, Bruno Jean-Luc et al., « Les violences conjugales, phénomène social, problème systémique », Thérapie Familiale, 2012/2 (Vol. 33), p. 105-121. DOI : 10.3917/tf.122.0105. URL : https://www.cairn-int.info/revue-therapie-familiale-2012-2-page-105.htm

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a) Aspects individuels, relationnels et communautaires

Lorsque l’on parle du niveau individuel, on décide de s’intéresser aux facteurs qui augmentent le risque qu’une personne devienne « agresseur ». Les études mentionnent principalement les constructions fragiles de l’identité, les troubles psychologiques, les antécédents de violence (en tant que victime ou témoin), et la consommation d’alcool ou de drogue.22 D’autres facteurs plus sujets à débat tels que le chômage, le statut socio-économique et le jeune âge sont parfois mis en avant.23 Il ne faut pas oublier que les violences conjugales touchent tous les milieux et tous les âges. Par ailleurs, « les substances facilitent l’expression de la violence, mais elles ne les créent pas ! ».24

Un passé familial violent, une répartition inégale de pouvoir dans le couple, la dépendance affective et une incapacité à communiquer ou négocier sont autant de facteurs relationnels et familiaux pouvant éclairer une partie des violences conjugales. Enfin, le cercle communautaire peut avoir un rôle dans l’expression de celles-ci.

b) Violences systémiques, sociales et genrées

Outre les facteurs cités-ci dessus, il est essentiel de prendre en compte les notions de genre et de structures sociétales patriarcales pour comprendre pleinement l’origine des violences conjugales. Il convient tout d’abord de se poser la question « qu’est-ce que le genre » ? Il s’agit d’un système social imposé et construit. Il n’existerait pas par nature une féminité ou une masculinité, mais elles seraient le fruit d’un apprentissage de codes et de valeurs tout au long de la vie. De ce postulat, découle des inégalités de genre et des rôles spécifiques attribués à chacun25. Les hommes seraient forts, les femmes seraient discrètes et faibles, et tous deux seraient complémentaires.

Or cette construction sociale légitimise les violences faites aux femmes car le genre est un rapport relationnel, mais surtout de pouvoir. C’est ce que Pierre Bourdieu appelle « la domination masculine ». Cette vision du monde s’immisce dans le privé : la violence serait corolaire de la volonté de l’homme de contrôler sa femme ou sa conjointe, car vue comme sa propriété. Même si les mentalités évoluent aujourd’hui, la possession est encore imbriquée à la notion de couple. En témoignent les chiffres : « la séparation est le premier motif du passage à l’acte dans les homicides conjugaux ».26

Prendre des lunettes « genrées » et appliquer ce cadre d’analyse nous aide à expliquer une partie des violences conjugales, et à apporter une réponse. « Cela signifie aussi, au-delà des comportements normatifs attendus au sein du couple, prêter attention au contexte plus large de domination masculine dans lequel se vivent les relations conjugales. »27

22 Violence que faire « Les origins de la violence ». URL : https://www.violencequefaire.ch/fr/informations/informations_origines

23 Institut national de santé publique (2020) « Trousse média sur la violence conjugale ». URL : https://www.inspq.qc.ca/violenceconjugale/comprendre/facteurs-de-risque

24 Site Ecoute violences conjugales. URL : https://www.ecouteviolencesconjugales.be/pourquoi-appeler/professionnel/origines/

25 Succès Egalité Mixité « Le genre, qu’est-ce que c’est ? ». URL : https://sem-association.ch/fr/le-genre-quest-ce-que-cest/

26 Article du Monde, le 02 juin 2020 « La Rupture », Nicolas Chapuis et Faustine Vincent. URL : https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/06/02/feminicides-la-rupture-premier-declencheur-du-passage-a-l-acte_6041468_3224.html

27 CVFE (2018) « Violences conjugales et genre : quels liens ? » par Roger Herla. URL : https://www.cvfe.be/publications/analyses/70-violencesconjugales-et-genre-quels-lien

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3. A plusieurs causes, des réponses plurielles

a) Les recommandations du rapport GREVIO

Il est primordial d’assurer l’intégration concrète de la Convention d’Istanbul, en mettant en place les recommandations des experts chargés d’évaluer sa bonne mise en œuvre. Ce rapport spécifique sur la Belgique a été publié en 202028. Les experts ont pu constater certains écarts entre les objectifs de la convention et les politiques belges.

Meilleure coordination des acteurs

Il souligne le manque de coordination et une trop grande fragmentation des entités et institutions. L’Etat belge a fait le choix de séparer la coordination administrative, politique et celle de la société civile. La politique belge de lutte contre les violences faites aux femmes est trop fragmentée, en raison de l’intervention de nombreux niveau de pouvoir. Or il en découle des lacunes dans la cohérence des politiques et des approches. Ils préconisent la nécessité de créer un organe transversal et central.

Octroyer plus de moyens financiers

Les experts recommandent un meilleur financement de la société civile, ainsi qu’une meilleure visibilité des subventions octroyées. Le Centre de Préventions des Violences Familiales et Conjugales est en première ligne dans la prise en charge des victimes. Elles leurs apportent une écoute téléphonique ou un entretien physique quand cela est possible. Yamina Zaazaa (co-directrice du centre) témoigne que les premières questions posées par leurs interlocutrices sont d’ordres juridiques : « quelles sont maintenant mes droits ? Ai-je le droit de porter plainte ? Puis-je être poursuivie pour fuite du domicile conjugale ? ». Il est alors primordial de soutenir financièrement ces centres pour qu’une aide continue, juridique, psychologiques soient données dans les meilleurs conditions.

Dans cette perspective, la ministre Christie Morreale a souligné la nécessité d’encourager l’autonomie financière des femmes.29 La peur de la précarité pousse certaines d’entre-elles à rester dans un foyer où la violence est présente. Cette situation est d’autant plus accentuée lorsqu’il y a des enfants.

Renforcer les structures d’accueil

Des lacunes dans la disponibilité et l’accès à des hébergements d’accueil sont par ailleurs pointées du doigt. Les structures ne seraient pas en nombre suffisant et ne couvriraient pas la totalité du territoire wallon. Le caractère payant de ces dernières est enfin un problème de taille. Le rapport rappelle que ces hébergements devraient se faire de manière gratuite, et qu’il est primordial de répondre aux pénuries de place dans les centres d’accueil.

Là aussi, il peut être souligné que des places d’hôtel ont été ouvertes aux femmes dans le besoin durant le confinement. Toutes ces femmes avaient pu être réhébergées après le confinement.

28 Rapport d’évaluation de référence du GREVIO, Belgique (2020). URL : https://rm.coe.int/rapport-du-grevio-sur-la-belgique-/16809f9a2b

29 Site de Christie Morréale (2016). URL : https://www.christiemorreale.be/reinsertion-professionnelle-des-femmes-victimes-de-violences-conjugalesune-etape-importante-de-leur-reconstruction/

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Politiques genrées

Comme demandé par plusieurs associations de secteur, le rapport recommande d’intégrer une perspective genrée dans les politiques publiques. Les procédures d’évaluation et de gestion des risques seraient plus efficaces si l’on prenait en compte le genre, et donc les inégalités qui en résultent.30 Les professionnels en contact avec les victimes, comme les professionnels de santé31 ou les policiers, devraient par ailleurs recevoir une formation prenant en compte ces questions. Comme décrit précédemment, les violences conjugales s’expliquent de différentes manières, et admettre que ce problème constitue une violence de genre émanant d’une société inégalitaire, est primordial pour prendre des mesures préventives.

Prévention

Le rapport GREVIO dédie un chapitre à cette notion et préconise « la promotion des changements dans les modes de comportement socioculturels des femmes et des hommes, l’éradication des stéréotypes de genre (…) dans le but de garantir l’égalité entre les hommes et les femmes. »32 Les experts reconnaissent l’efficacité de la Belgique sur ce point. Ils recommandent tout de même d’adopter plus de lignes directrices au niveau fédéral, coordonnées avec les associations spécialisées, et de les adapter aux publics les plus vulnérables (femmes en situation de handicap). Former la jeunesse à ces questions semble être une priorité sur le long terme. La généralisation de l’EVRAS va dans ce sens.33

b) Justice : Améliorer les mesures de judiciarisation

Ce n’est que depuis les années septante et le processus de judiciarisation des violences conjugales que celles-ci sont devenues pénalement répréhensibles. Or, une étude de 2018 souligne le problème de la nonjudiciarisation et du classement sans suites de certaines plaintes.34 Dans ce cadre, le rapport GREVIO propose aussi de doter les institutions judiciaires de ressources financières, humaines et de connaissances nécessaires afin de recevoir au mieux les plaintes, et y répondre rapidement.35

c) Prise en compte des aspects psychiques

Il est cependant primordial de reconnaitre le lien parfois complexe qui lie la victime à l’agresseur, et qui explique le non-recours à la justice de la part de la femme. La peur des représailles, l’espoir que les violences s’atténuent, la crainte de dénoncer le père de leurs enfants, et la dépendance affective sont autant de raisons qui peuvent dissuader la victime d’ouvrir des démarches judiciaires.36 C’est dans cette perspective qu’une attention particulière doit être portée à l’accueil des femmes lorsqu’elles décident de demander de l’aide.

30 Rapport d’évaluation de référence du GREVIO, Belgique (2020). URL : https://rm.coe.int/rapport-du-grevio-sur-la-belgique-/16809f9a2b

31 Communiqué de presse du HAS (2019) « Violences conjugales : quel rôle pour les professionnels de santé ? ». URL : https://www.hassante.fr/jcms/p_3109457/fr/violences-conjugales-quel-role-pour-les-professionnels-de-sante

32 Idem p.30

33 Communiqué de l’asbl Ligue de l’enseignement et de l’éducation (2020) « Généralisation de l’EVRAS ». URL : https://ligueenseignement.be/generalisation-de-levras/

34 https://dial.uclouvain.be/memoire/ucl/en/object/thesis%3A14390/datastream/PDF_01/view

35 Rapport d’évaluation de référence du GREVIO, Belgique (2020). URL : https://rm.coe.int/rapport-du-grevio-sur-la-belgique-/16809f9a2b p.9

36 Lise Poupart (2010) « La violence conjugale : une problématique complexe, une judiciarisation controversée ». Les Cahiers de PV. URL : https://aqpv.ca/wp-content/uploads/poupart_fevrier2010.pdf

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Enfin, dans cette même veine, les conséquences psychiques sur les femmes ayant vécu des violences conjugales doivent faire l’objet de prises en charge. Des symptômes tels que la fibromyalgie, les douleurs, la dépression, le stress post-traumatique sont rarement identifiés.37 Une prise en charge par les services de santé doit être encouragée et améliorée. Les psychologues encouragent la déconstruction de l’emprise et de restaurer la personnalité de la victime. Cette emprise est en effet vectrice de soumission et de désorganisation dans la psyché de la victime.38 Dans ce contexte de pandémie, les conséquences psychologiques sont encore mal connues et accentuées par le stress lié au virus, et par la précarité économique qui en découle.

4. Conclusion

La crise sanitaire a révélé et exacerbé des violences souvent déjà présentes. Le manque de perspective, l’augmentation de la consommation d’alcool ou de stupéfiants, la promiscuité à l’intérieur des foyers sont autant de raisons qui ont mené à l’augmentation des violences conjugales. Il a été plus difficile pour ces femmes de trouver de l’aide étant donnée la mobilisation accrue des services publics (policiers, infirmiers) dans l’endiguement de la pandémie. Des mesures ont tout de même été prises comme l’ouverture d’un hôtel faisant office d’hébergement d’accueil, des subsides pour maintenir des lignes téléphoniques d’urgence ou encore la réunion de la conférence interministérielle Droit des femmes pour lutter contre les violences conjugales.

Mais ces dernières ne sont pas juste le fruit de facteurs individuels : elles relèvent aussi d’un problème sociétal et structurel. Le rapport GREVIO nous le rappelle, il est primordial d’adopter une approche genrée dans la mise en place de politiques publiques. Eduquer dès le plus jeune âge, déconstruire les stéréotypes de genre, améliorer la prévention sont autant de mesures qui ne peuvent réussir qu’à l’aide d’un travail sur le long terme. En parallèle, la judiciarisation des violences conjugales ne doit pas être mise de côté. Les droits que possèdent les victimes ne sont pas connus de toutes, et une prise en charge adéquate et genrée par les personnes en première ligne est indispensable. L’aspect psychologique pendant et a posteriori ne doit pas non plus être négligé. Les femmes victimes de ces violences créent un mécanisme d’adaptation, ce qui les empêche parfois de partir d’elles-mêmes. Comme le rappelle là encore le rapport GREVIO, il est primordial de financer suffisamment les associations comme les centres d’hébergement ou les lignes d’écoute pour assurer une réelle prise en charge de tous ces aspects complexes.

Le confinement aura donc exacerbé les risques de violences pour les femmes, mais Anne Bouillon, avocate de Nantes explique « Il y a eu une véritable prise de conscience collective. Si le confinement avait eu lieu il y a 10 ans, ça n’aurait pas existé ».39 Preuve que la prévention, la sensibilisation de la population demeurent essentielles.

38 Muriel Salmona (2015) « Le changement dans les psychothérapies de femmes victimes de violences conjugales ». URL : https://www.memoiretraumatique.org/assets/files/v1/Documents-pdf/2015Le-changement-en-psychotherapie-des-victimes-de-violences-inPsychotherapie-eteducation.pdf?PHPSESSID=c80d5n51ubo1b64sn1jfaeulr4

39 Podcast de France Culture (15/05/20) « Violences faites aux femmes : les réponses aux signalements pendant le confinement » par Laetitia Cherel et Cellule Investigation de Radio France. URL : https://www.franceculture.fr/societe/violences-faites-aux-femmes-quelles-reponses-aux-faits-signalespendant-le-confinement

10 Etat de la Question 2020 • IEV
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Résumé

Les violences conjugales, malgré plusieurs mouvements sociaux, sont encore présentes dans notre société. En Belgique depuis 2017, au moins 116 femmes sont mortes sous les coups de leurs partenaires. La crise sanitaire du Covid-19 a exacerbé ces violences. Non plus cantonnées à la sphère privée, elles sont dorénavant un problème de santé publique. L'objectif de cette note est de dresser les dysfonctionnements mis en lumière par la crise sanitaire et les solutions qui peuvent y être apportées. Causées non seulement par des facteurs individuels mais aussi sociétaux, les violences conjugales requièrent des réponses plurielles.

Téléphone : +32 (0)2 548 32 11

Fax : + 32 (02) 513 20 19

iev@iev.be

www.iev.be

Institut Emile Vandervelde Bd de l’Empereur, 13 B-1000 Bruxelles

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Violences conjugales: état des lieux et prise de conscience en temps de confinement-2020 by ps-be - Issuu