le processus d'election par spitzenk-2019

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ETAT DE LA QUESTION

LE PROCESSUS D’ÉLECTION PAR SPITZENKANDIDATEN PEUT-IL RÉSOUDRE LE DÉFICIT

DÉMOCRATIQUE EUROPÉEN ?

DÉCEMBRE 2019

ER Gilles Doutrelepont13 Bd de l’Empereur1000 Bruxelles
Lionel CASSART
SOMMAIRE 1. Introduction 3 2. Qu’est-ce que le déficit démocratique européen ? 4 3. Les Spitzenkandidaten contrent-ils le déficit démocratique ? 5 4. Quatre propositions pour une démocratie européenne plus représentative 6 4.1. Des primaires pour choisir son Spitzenkandidat 6 4.2. Des listes transnationales 6 4.3. Des élections obligatoires pour contrer l’abstention 7 4.4. L’élection directe du Président de la Commission 8 5. Conclusion 8

1. Introduction

Depuis que le Parlement européen existe, il n’a fait que gagner en puissance1. Á l’origine composé de députés nationaux sans véritable pouvoir législatif et réuni en de rares occasions, le Parlement européen est en effet devenu, au gré des réformes, une institution directement élue au suffrage universel, dotée de larges pouvoirs de décision et de contrôle, adoptant le budget et jouant le rôle de colégislateur avec le Conseil de l’Union européenne2

Toutefois, depuis deux décennies, la légitimité électorale du Parlement n’a fait que s’amenuiser avec la baisse régulière de la participation citoyenne aux élections européennes3. Pour lutter contre ce phénomène, les Etats ont décidé en 2009 d’apporter un certain nombre de changements institutionnels dans le cadre du Traité de Lisbonne. Parmi ceux-ci, figurait l’obligation pour le Conseil européen de tenir compte des résultats des élections du Parlement européen pour désigner le Président de la Commission européenne4. Par cette réforme électorale, liant le résultat des suffrages à la nomination du chef de l’institution d’initiative législative, il était attendu que les citoyens retrouvent le chemin des urnes5

En effet, avant cela, les citoyens ne disposaient d’aucun outil pour influencer cette désignation. Le Parlement européen n’était que consulté alors que les gouvernements des Etats membres se mettaient d’accord entre eux sur le nom du futur Président de la Commission. Bien que confirmé en même temps que ses Commissaires par le Parlement, c’était au final les gouvernements qui le nommaient6

Le nouveau processus de désignation pour la présidence gagne davantage en transparence en 20137 lorsque le Parlement introduit, suite à une recommandation de la Commission, le processus d’élection du Président de la Commission via un système de têtes de liste, mécanisme communément appelé Spitzenkandaten8. Le principe était « simple ». Le candidat tête de liste du parti ayant remporté les élections était supposé être élu par la majorité des parlementaires européens pour devenir le Président de la Commission. C’est d’ailleurs de cette façon que Jean-Claude Juncker fut désigné président de la Commission européenne suite aux élections de 2014.

En 2019, il apparait que les résultats des élections européennes sont moins nets que par le passé, laissant place à un hémicycle plus fragmenté que jamais. Le Parti populaire européen (PPE), qui dominait jadis le Parlement, a connu une chute importante de sa représentation, passant de 221 à 182 sièges9, forçant désormais à considérer davantage de « nouveaux » partis pour l’attribution des postes clés de l’Union européenne.

Parmi les nombreuses désignations post-électorales à effectuer, s’il y en a une qui devait faire l’objet d’un certain automatisme, c’est bien celle de Président de la Commission. Or, dans les faits, les chefs d’États et de gouvernements ont tout bonnement ignoré le résultat des élections. Ainsi Manfred Weber (PPE), Spitzenkandidat vainqueur de ces élections, s’est vu écarté car il ne convenait pas à certains Etats, notamment la France ; et Frans Timmermans (parti socialiste européen - PSE), tête de liste du deuxième parti au sein du Parlement, a dû retirer sa candidature en raison de l’opposition des Pays du Visegrad (Hongrie, Pologne, République Tchèque et Slovaquie), de l’Italie et de dirigeants du PPE10. Les chefs d’État et de gouvernements ont dès lors décidé de désigner Ursula von der Leyen (PPE), qui ne s’était pas présentée comme tête de liste alors que les citoyens ne l’avaient jamais choisie pour ce poste ; comme si la nomination à la Présidence de la Commission dépendait, comme jadis, uniquement d’un accord entre les États.

Malgré l’opposition du groupe des Verts et d’une partie des Socio-démocrates, qui entendaient montrer que cette nomination dérogeait au principe des têtes de liste, Ursula von der Leyen fut bel et bien élue par le Parlement

1 DElwit,P., DE waElE, J-M., MagnEttE, P., « Introduction : Vers une nouveau mode de parlementarisme », dans : DElwit,P., DE waElE, J-M., MagnEttE, P., Dir., A quoi sert le Parlement européen ? Stratégie et pouvoirs d’une assemblée transnationale, Bruxelles, Editions complexes, 1999, p.12.

2 toutE l’EuroPE, Le parlement européen, 04/01/2019. https://www.touteleurope.eu/actualite/le-parlement-europeen.html (Consulté le 04/01/19).

3 MuxEl., a., « L’abstention : déficit démocratique ou vitalité politique ? », Pouvoirs, n°120, 2007, pp. 43-44.

4 traité DE l’union EuroPéEnnE (VErsion consoliDéE), « article 17 §7 », Journal Officiel de L’Union Européenne, C326/26, p.14.

5 Eur-lEx, , Déficit démocratique. [En ligne] <https://eur-lex.europa.eu/summary/glossary/democratic_deficit.html?locale=fr>. (Consulté le 30/04/2019).

6 traité sur l’union EuroPéEnnE (Maastricht), «article 158», Journal Officiel des Communautés Européennes, C191/32-33, pp.32-33.

7 coMMission EuroPéEnnE, «Recommandation de la Commission sur le renforcement de la conduite démocratique et efficace des élections au Parlement européen », Journal Officiel de L’Union Européenne, 2013/142/UE,12 mars 2013.

8 Braun, D., PoPa, s-a., «This Time It Was Different? The Salience of the Spitzenkandidaten System among European Parties », West European Politics, n°41:5, September 2018, pp.1125-1126.

9 EuroactiV, 2019 European election results. [En ligne] < https://www.euractiv.fr/sections/elections-europeennes-2019 >, (Consulté le 02/07/2019).

10 la liBrE, Frans Timmermans renonce à son siège au Parlement européen, 02/07/2019. [En ligne] < https://www.lalibre.be/actu/international/frans-timmermans-renonce-a-son-siege-au-parlement-europeen-5d1b4ed59978e215c73f501a >, (Consulté le 02/07/2019).

Etat de la Question 2019 • IEV 3

comme Présidente de la Commission européenne le 16 juillet 201911, avec un vote positif d’à peine 383 voix sur 751.

En 2014 pourtant, les Parlementaires européens semblaient décidés à entériner le processus de spitzenkandidaten Estimant que les élections de 2014 avaient été une réussite, ils avaient déclaré que tout candidat qui ne se serait pas présenté pour les élections 2019 comme spitzenkandidat serait automatiquement rejeté. Toutefois, cette procédure n’apparaît dans aucun traité et relève davantage d’un accord entre les dirigeants de l’Union européenne au Conseil européen, le Parlement et les groupes politiques sur l’interprétation de l’article 17, que de réelles prescriptions du Traité de Lisbonne12

La présente analyse tentera de lever le voile sur le déficit démocratique européen, en mettant à jour les différentes problématiques liées à la place des citoyens. Elle présentera et questionnera ensuite la nécessité de recourir au processus de spitzenkandidaten. Enfin, nous nous attarderons à démontrer, dans la dernière partie, que le processus de tête de listes, bien qu’étant la piste la plus concrète, n’est toutefois pas la seule solution pour résoudre le déficit démocratique européen.

2. Qu’est-ce que le déficit démocratique européen ?

La notion de déficit démocratique de l’Union européenne désigne souvent le manque de légitimité démocratique dans le processus de prise de décision, la faible représentation des citoyens au sein des institutions ainsi que la distance ressentie avec celles-ci13. Ce concept désigne aussi le sentiment de dépossession des citoyens quant à leur capacité à rejeter un « gouvernement » qu’ils désapprouvent et leur incapacité à influencer l’élaboration de nouvelles politiques.

En 2009, la participation aux élections européennes atteint son seuil le plus bas depuis l’élection directe des membres du Parlement14. Andrea Folledal et Simon Hix en attribuaient la responsabilité au caractère indirect des élections européennes où les citoyens ne votent ni pour des personnalités européennes ni directement pour des partis européens15. Suite à ces élections, le renforcement de la légitimité démocratique des dirigeants européens est dès lors apparu comme la solution pour remobiliser l’électorat16

Lors des élections de 2014, premier scrutin à s’organiser autour des spitzenkandidaten, le taux de participation ne baissa que très légèrement comparativement aux autres années17. Et en 2019, le taux de participation augmenta même drastiquement, élevant de près de dix pourcents le taux de mobilisation aux urnes. Pour autant, ce regain de participation n’est sans doute pas imputable à la méthode de Spitzenkandidaten18

En effet, comme l’ont encore montré les dernières élections, les « européennes » restent l’apanage des États qui les organisent selon des modalités propres. Ou, pour le dire autrement, les citoyens européens sont amenés à voter pour une Assemblée commune mais selon des règles de participation différentes. La participation varie dès lors considérablement en fonction du jour choisi pour l’élection, du mode de scrutin, de l’âge minimal, des moyens alternatifs de s’exprimer disponibles (procuration, électronique, correspondance…)et du caractère

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une proche de Merkel à la tête de la Commission européenne, 02/07/19. [En ligne] < https://www.liberation.fr/ planete/2019/07/02/ursula-von-der-leyen-une-proche-de-merkel-a-la-tete-de-la-commission-europeenne_1737606 >. (Consulté le 02/07/2019) et: Barigazzi, J., hErszEnhorn, D.M., BayEr, l., EU leaders pick Germany’s von der Leyen to lead Commission, 02/07/2019. [En ligne] < https://www.politico.eu/article/ eu-european-leaders-pick-germany-defense-minister-ursula-von-der-leyen-to-lead-commission-charles-michel-council/?fbclid=IwAR1GCynK2Cla25lpYzty-l0kn_PzpiWDaYgz7v8ft8HG-fNY8d3hU_-0GmY >. (Consulté le 02/07/2019).

12 ParlEMEnt EuroPéEn, « Spitzenkandidaten » : le processus ne peut pas être renversé, estiment les députés, 7 février 2018. [En ligne] <http://www.europarl. europa.eu/news/fr/press-room/20180202IPR97026/spitzenkandidaten-le-processus-ne-peut-pas-etre-renverse>. (Consulté le 28/03/2019).

13 FollEsDal, a., hix, s., « Why there is a democratic deficit in the EU: A response to Majone and Moravcsik», Journal of Common Market Studies, v°44, n°3, 2006, pp.534-537 et : PEñalVEr garcia, n., PriEstlEy, J., « Les partis politiques européens : tirer des enseignements de 2014, se préparer pour 2019 », Policy Paper, Notre Europe –Institut Jacques Delors, n°132, 2015, p.15.

14 Eur-lEx, , Déficit démocratique. [En ligne] <https://eur-lex.europa.eu/summary/glossary/democratic_deficit.html?locale=fr>. (Consulté le 30/04/2019).

15 FollEsDal, a., hix, s., « Why there is a democratic deficit in the EU… », op.cit., pp.534-537.

16 coMMission EuroPéEnnE, Communiqué de presse : Une Union plus unie, plus forte et plus démocratique : déclaration commune sur les priorités législatives de l’UE pour 2018-2019, Bruxelles, le 14 décembre 2017. [En ligne] < https://ec.europa.eu/luxembourg/news/une-union-plus-unie-plus-forte-et-plus-d%C3%A9mocratique-d%C3%A9claration-commune-sur-les-priorit%C3%A9s_fr >, (consulté le 08/04/2017).

17 ParlEMEnt EuroPéEn, Résultat des élections européennes de 2014 : taux de participation. [En ligne] < http://www.europarl.europa.eu/elections2014-results/fr/ turnout.html >. (Consulté le 01/04/2019) et : PEñalVEr garcia, n., PriEstlEy, J., « Les partis politiques européens », op.cit., pp.3-4 et : Braun, D., PoPa, s-a., «This Time It Was Different?...», op.cit.,, pp.1125-1126.

18 Le taux de participation passe en effet de 42,61 en 2014 à 50,97 en 2019. Dans : ParlEMEnt EuroPéEn, « Résultats des élections européennes 2019 ». [En ligne] < https://resultats-elections.eu/participation/ >. (Consulté le 29/05/2019).

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DiDElot, n., Ursula von der Leyen,

obligatoire19 de l’élection20. Mais revenons-en au déficit démocratique en tant que tel. Aujourd’hui si la question de la démocratie européenne est envisagée sous le prisme de sa forme, il apparaît clairement que l’UE réunit à travers ses institutions, ses procédures et ses mécanismes les instruments nécessaires d’un régime démocratique. En revanche, si la question est envisagée au travers de la politisation de la prise de décision, le constat est tout autre ; la démocratie représentative et les dispositifs de démocratie participative n’en sont en effet pour l’heure qu’à leurs balbutiements.

Concentrons-nous premièrement sur la question de la représentativité. Actuellement, il semble que l’appareil institutionnel ne permette pas de dégager une majorité politique qui se serait forgée sur un programme qui aurait séduit les électeurs. Dès lors, les électeurs ne peuvent pas « changer de gouvernement » en cas d’insatisfaction envers la Commission précédente. En d’autres mots, cela signifie qu’il n’y a qu’un lien lâche entre le résultat des élections et la performance des groupes politiques. C’est en partie dû à l’absence d’une structuration majorité/ opposition au sein du Parlement et de la Commission. En effet, les prises de décisions restent du ressort du consensus entre les trois grands groupes politiques, rendant les débats davantage techniques que politiques21

Si la démocratie représentative de l’Union européenne est quelque peu carencée, il en va de même pour la démocratie participative européenne. Bien que le Traité de Lisbonne ait introduit la démocratie participative au travers de son article 11 pour lutter contre « le sentiment de dépossession », les prescriptions s’avèrent toutefois obscures. Ainsi, les traités ne mentionnent aucunement comment le « dialogue civil » est supposé se muer en décision et n’impose aucun devoir de réponse aux opinions formulées lors de ces mêmes dialogues. « L’initiative citoyenne » semble, quant à elle, tout aussi incapable de compenser le déficit démocratique, ce dispositif n’ayant jusqu’à présent pas permis de rediriger l’agenda politique. Ajoutons à cela que tout a été fait pour que la démocratie participative ne rivalise pas avec la démocratie représentative, puisque les citoyens ne peuvent qu’inviter la Commission à formuler une proposition d’initiative citoyenne et que celle-ci doit scrupuleusement respecter les conditions de la Commission. Au final, il semble que seul quatre initiatives citoyennes aient abouties mais jamais avec l’esprit initial22

3. Les Spitzenkandidaten contrent-ils le déficit démocratique ?

Comme dit précédemment, c’est suite au Traité de Lisbonne et à la recommandation de la Commission que le processus d’élections par Spitzenkandidaten a vu le jour. Cette procédure ne fait toutefois pas l’unanimité. Alors que Jean-Claude Juncker s’en fait l’avocat23, de nombreux dirigeants et chefs de gouvernements24 expriment des réserves quant à ce processus, alors même qu’ils sont supposés y prendre part.

L’élection du Président de la Commission démocratise pourtant véritablement le processus législatif puisque c’est celui-ci qui dirige l’institution d’initiative législative. Pour les électeurs, « ce nouveau processus » comporte comme avantage de clarifier les élections car « en principe » seuls les spitzenkandidaten sont éligibles à cette fonction. D’un point de vue institutionnel, il s’opère une véritable mutation puisque le parlement européen s’empare du choix du Président de la Commission qui jadis appartenait au Conseil européen25. L’apparition du processus de spitzenkandidaten a, de surcroit, permis d’amorcer une réflexion plus générale sur la démocratisation des institutions européennes. Si elle s’est posée de nombreuse fois par le passé, cette « réforme électorale » marque en effet un tournant majeur dans la démocratisation et la politisation de la Commission et semble par ailleurs devoir se prolonger pour être perfectionnée.

Si les changements apportés à l’élection du président de la Commission ont été faits en vue d’apporter davantage de démocratie, de nombreux aspects restent à améliorer. Premièrement, la visibilité du phénomène. Que ce soit avant ou pendant les élections, les candidats ne se montrent généralement pas assez en-dehors de leur pays, ce qui participe au fait que les citoyens ignorent qu’ils votent aussi pour le Président de la Commission.

19 Résultat des élections européennes de 2014 : taux de participation. http://www.europarl.europa.eu/elections2014-results/fr/turnout.html .Européennes : pourquoi l’abstention est-elle si forte ?, https://www.touteleurope.eu/actualite/europeennes-pourquoi-l-abstention-est-elle-si-forte.html

20 Cf. annexe et ritlEng, D., « L’Union européenne : un système démocratique, un vide politique », Titre VII, V°2, N°1, 2019, pp.3-5.

21 ritlEng, D « L’Union européenne…», op.cit., pp.3-5.

22 ritlEng, D., « L’Union européenne: un système démocratique, un vide politique », Titre VII, V°2, N°1, 2019, pp.6-8.

23 hErszEnhorn, D-M., DE la BauME, M., «Commission’s Spitzenkandidat process at risk…», op.cit.

24 On peut citer les dirigeants de la République Tchèque, de la France, de la Hongrie, de la Lituanie, des Pays-Bas, de la Pologne, du Portugal et de la Slovaquie.

25 christiansEn, t., « After the Spitzenkandidaten : fundamental change in the EU’s political system ? », West European Politics, v°39,n°35, p.1006.

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Deuxièmement, la culture politique des citoyens. En effet, peu de citoyens sont capables de relier les candidats aux bons partis. Cette capacité à reconnaître les candidats est pourtant importante puisqu’elle impacte directement la participation électorale. Troisièmement, la publicité. Les débats entre les Spitzenkandidaten peinent en effet toujours à mobiliser l’intérêt des électeurs à travers l’Europe26

Outre cela, l’élection souffre aussi du défaut d’être indirecte ; la tête de liste du parti ayant récolté le plus de voix ne se voit pas nécessairement désigné comme Président de la Commission. En effet, selon les traités, rien n’oblige le Conseil à choisir un spitzenkandidat ; il doit seulement « tenir compte du résultat des élections »27. Ainsi, la tête de liste désignée du parti qui aura reçu le plus de suffrages ne serait pas assurée de devenir le Président de la Commission même si c’est le souhait des citoyens.

Si le processus d’élection du Président de la Commission reste pour l’heure l’opportunité la plus concrète de démocratiser l’Union européenne, il n’endigue pas le déficit démocratique européen pour autant. Comme l’a montré la proposition d’Ursula von der Leyen par le Conseil européen, les spitzenkandidaten restent avant tout un principe qui peut tout aussi bien être contourné par le Parlement. Le « nouveau processus de désignation » ne serait dès lors ni plus ni moins qu’un « miroir aux alouettes » voué à attirer les électeurs mais qui ne respecterait pas leur volonté.

Comme le principe de spitzenkandidaten n’est actuellement pas pris aux sérieux par les chefs d’États et par une partie des parlementaires, peut-être est-il nécessaire d’explorer de nouvelles pistes, que ce soit pour améliorer le processus ou plus largement la démocratie européenne.

4. Quatre propositions pour une démocratie européenne plus représentative

4.1. Des primaires pour choisir son Spitzenkandidat

Lorsque l’on se pose la question du déficit démocratique européen, il paraît naturel d’y répondre par plus d’implication citoyenne. Ainsi, il pourrait être imaginé d’inclure les citoyens lors de primaires pour la désignation des candidats têtes de liste. En effet, dans le cas contraire, pourrait-on parler de démocratie alors que les candidats à la présidence de la Commission sont désignés par leur parti sans consultation préalable des Européens?

Schématiquement, deux types de primaires sont envisageables : les primaires ouvertes et les primaires fermées28 Si les primaires ouvertes semblent être l’alternative pouvant garantir au mieux l’appropriation du processus par les citoyens, elles comportent aussi certains défauts. En effet, en s’ouvrant à tous les citoyens, elles risquent d’être détournées par des votes favorisant à dessein le pire candidat adverse pour le second tour. En ce sens, ce mode de scrutin peut être questionné. Les élections primaires fermées seraient-elles meilleures pour autant ? Même si elles permettraient aux électeurs inscrits ou affiliés de participer à la désignation de la tête de liste, elles excluraient en revanche tout autre citoyen.

Quoi qu’il en soit, organiser des primaires à échelle européenne n’est pas chose aisée, car elles impliqueraient le respect de normes rigoureuses de transparence démocratique ainsi qu’une large participation citoyenne pour garantir sa légitimité. « Les partis qui décideront de suivre ce processus pour désigner leurs candidats à la présidence devront recevoir de l’aide administrative et financière à partir du budget d’UE, dans le cadre des efforts de l’Union pour renforcer l’implication des citoyens dans l’intégration européenne » 29 .

4.2. Des listes transnationales

Comme les élections de 2014 avaient démontré la nécessité de démocratiser davantage le processus électoral, il a été suggéré de recourir à des listes transnationales.

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26 Braun, D., PoPa, s-a., «This Time It Was Different?...», op.cit.,, pp.1126-1128. 27 lE Bussy, o., L’Union europénne, une utopie en peril ?, op.cit.,, p.83. 28 PEñalVEr garcia, n., PriEstlEy, J., « Les partis politiques européens…», op.cit.,, p.20. 29 Ibid , p.20.

Mais le Parlement, dominé par le PPE, a estimé qu’il s’agissait d’une « fausse bonne idée » pouvant profiter aux extrêmes et a rejeté la proposition30

Pourtant, des listes transnationales pourraient mobiliser davantage les citoyens autour d’enjeux transnationaux comme la crise économique et sociale, l’évasion fiscale, le changement climatique ou le recul démocratique, même s’il faut concéder que la pertinence de ces élections dépend de la participation31. Le Parti socialiste européen estime pour sa part que l’introduction de listes paneuropéennes serait une opportunité d’obtenir une Europe plus démocratique et représentative32

L’idée de listes transnationales n’est pas nouvelle. D’abord énoncée après l’adoption de l’Acte unique en 1986, elle ressurgit après le Traité de Maastricht de 1992, principalement du côté des courants fédéralistes. Bien que faisant son chemin dans certains cercles, l’idée n’attira que peu l’attention jusqu’en 2017 lorsque JeanClaude Juncker proposa, lors de son discours sur l’état de l’Europe en 2017, la création de listes transnationales européennes. « Selon lui, ces listes auraient permis de rendre ‘‘les élections au Parlement plus européennes et plus démocratiques’’ » 33. En mai de la même année, Emmanuel Macron s’en fit également le défenseur lors d’un discours à la Sorbonne

Son plan était le suivant : conserver les 27 sièges britanniques laissés vacants suite au Brexit et offrir aux électeurs la possibilité de voter pour une liste paneuropéenne composée d’autant de nationalités différentes. Les citoyens européens auraient dès lors disposé de deux bulletins, un pour leurs élections nationales et un autre pour les transnationales34

Toutefois, de tels changements des règles électorales pourraient s’avérer lourds, impliquer une réforme des Traités et des ratifications au sein des États, soit autant de contraintes apparemment suffisantes pour dissuader certains chefs de gouvernements d’avancer en ce sens.

Bien que l’idée ait été rejetée par le Parlement, le projet n’est pas pour autant définitivement abandonné. Il pourrait en effet refaire surface pour les élections 2024, le Conseil européen s’étant donné pour tâche de poursuivre l’étude de la question35 .

4.3. Des élections obligatoires pour contrer l’abstention

Lorsque l’on s’interroge sur le déficit démocratique européen, on s’intéresse nécessairement au mode de scrutin. En effet, une démocratie n’est pas seulement définie par la représentation des électeurs au Parlement, elle l’est également par les règles qui régissent les élections.

Lors des élections européennes, tous les citoyens des 28 Etats membres sont appelés à voter pour leurs parlementaires. Toutefois, les Européens ne sont pas soumis aux mêmes règles électorales, celles-ci dépendant de chacun des Etats. Ainsi, comme déjà évoqué, de nombreuses règles varient en fonction des Etats : le jour de l’élection, le mode de scrutin (proportionnel, majoritaire ou mixte), le seuil électoral, l’âge minimal des candidats, le caractère obligatoire du vote ainsi que les façons de voter (procuration, électronique, correspondance…)36

Si cette méthode à l’avantage de respecter les modalités de vote nationales, elle explique aussi pourquoi la participation varie autant d’un pays à l’autre. Dans les pays où le vote est obligatoire et techniquement sanctionné comme en Belgique ou au Luxembourg, on peut voir les seuils de participation avoisiner les 90% de participation et ce, depuis 1979. En revanche, dans les autres pays où la défection n’est pas sanctionnée, le taux de participation

30 lE Bussy, o., L’Union européenne, une utopie en péril ?, op.cit.,, p.81 et rEurtErs, Le Parlement européen refuse les listes transnationales de Macron , 07/02/2018. [En ligne] < https://fr.reuters.com/article/topNews/idFRKBN1FR248-OFRTP>, (Consulté le 11/04/2019).

31 EurosorBonnE, Les élections européennes, espoir d’une démocratie transnationale ?, 28/04/2019. [En ligne] < http://www.eurosorbonne.eu/2019/01/28/ les-elections-europeennes-espoir-dune-democratie-transnationale/ >, (Consulté le 12/04/2019).

32 socialists anD DEMocrats, S&Ds back a more representative Parliament and pave way for transnational lists of MEPS, 7 février 2018. [En ligne] <https://www. socialistsanddemocrats.eu/newsroom/sds-back-more-representative-parliament-and-pave-way-transnational-lists-meps>, (Consulté le 15/04/2019) et : VErgEr, c., « Listes transnationales : une opportunité politique pour l’Europe, des obstacles à surmonter », Policy Paper, Notre Europe –Institut Jacques Delors, n°216, 2018, p.7.

33 t out E l ’E uro PE , Elections européennes : la constitution de listes transnationales est-elle possible ?, 28/02/2018. [En ligne] <https://www.touteleurope.eu/actualite/elections-europeennes-la-constitution-de-listes-transnationales-est-elle-possible.html >, (Consulté le 11/04/2019).

34 P arl EME nt E uro P é E n , Elections 2019 : les députés ouvrent la voie à une circonscription paneuropéenne après le brexit , 23/01/2018. [En ligne] <http://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20180123IPR92301/elections-2019-vers-une-circonscription-paneuropeenne-apres-le-brexit>, (Consulté le 11/04/2019).

35 t out E l ’E uro PE , Elections européennes : la constitution de listes transnationales est-elle possible ?..., op.cit.

36 Cf. annexe.

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tend à baisser inexorablement37. Ce constat n’est toutefois pas applicable à des États membres comme Malte, qui fait figure d’exception puisque l’archipel présente un taux de participation de 75% alors que ses élections ne sont pas obligatoires38

D’autres facteurs expliquent le faible taux de participation aux élections européennes. Premièrement, la « crise de la représentation » évoquée plus tôt, qui se traduit par une baisse du niveau de confiance accordé aux acteurs politiques, aux partis, aux institutions depuis plusieurs années. Mais le rejet de l’Union européenne dans son ensemble n’explique pas à lui seul un tel niveau d’abstention. Deuxièmement, il faut considérer des « institutions complexes et distantes ». En effet, les citoyens ignorent souvent quelles sont les compétences des institutions ainsi que le jeu d’équilibre qu’il y a entre elles. Sans compter que le mode de fonctionnement et leurs processus de décision varient substantiellement avec celui des États. Or, lorsque les citoyens comprennent l’enjeu des élections, ils se rendent plus facilement aux urnes.

Troisièmement, la participation dépend d’un « sentiment d’être concerné » ou non par les enjeux des élections. C’est pour cette raison que des élections à échelon local et national rencontrent systématiquement un meilleur taux de participation que les élections européennes39

Comme expliqué précédemment, chaque pays gère ses élections selon ses modalités. Mais dans un souci de démocratie, n’importerait-il pas de les uniformiser ? Autrement dit, est-il plus ou moins démocratique que chaque État impose ses règles électorales pour des députés qui représenteront l’ensemble des citoyens européens ?

Quoi qu’il en soit, les élections européennes ainsi que son modèle électoral actuel ne semblent pas séduire les électeurs. Ainsi nous pourrions suggérer des élections obligatoires qui feraient indéniablement augmenter la participation, l’uniformisation des règles électorales qui rationaliserait le processus ainsi qu’une élection directe du président de la Commission qui rendrait véritablement démocratique les élections européennes.

4.4. L’élection directe du Président de la Commission

L’élection du Président et la politisation de la Commission par le processus de Spitzenkandidaten devaient résorber le déficit démocratique. Toutefois, comme nous l’avons déjà évoqué, de nombreux problèmes subsistent. Pourrait-on imaginer à la place des « européennes » actuelles, des élections où le Président serait directement élu par les citoyens ? Ou encore un système selon lequel le Président serait désigné en fonction d’une majorité ou d’une coalition parlementaire claire ?

Quoi qu’il en soit, il devient urgent d’impliquer davantage les citoyens dans le processus démocratique européen au risque de créer une irréparable fracture. L’élection directe du Président de la Commission pourrait remplir les objectifs que le processus de Spitzenkandidaten devait initialement atteindre. Les enjeux seraient enfin clairement incarnés par des candidats, les élections deviendraient à la fois plus démocratiques, plus transparentes et plus accessibles aux personnes qui ne maîtrisent pas toutes les questions européennes. Bien entendu, de tels changements doivent impérativement s’accompagner de vastes campagnes d’information visant encore une fois à rendre les citoyens plus alertes quant aux enjeux européens.

Si une vraie démocratisation du processus électoral est une condition nécessaire à la participation des citoyens, elle ne peut s’abstenir de mesures visant à instruire les citoyens, que ce soit par les médias ou l’enseignement. Des élections, aussi représentatives puissent-elles être, ne peuvent être démocratiques si les citoyens ignorent les règles du jeu.

5. Conclusion

A la question « est-ce que le processus d’élection par spitzenkandidaten peut résoudre le déficit démocratique européen ? », le constat est sans appel : non. Ou du moins pas tel qu’il existe aujourd’hui.

37 ParlEMEnt EuroPéEn, Résultat des élections européennes de 2014 : taux de participation. [En ligne] < http://www.europarl.europa.eu/elections2014-results/fr/ turnout.html >. (Consulté le 01/04/2019).

38 t out E l ’E uro PE , DaniEl, J., Européennes : pourquoi l’abstention est-elle si forte ? , 18/04/2019. [En ligne] <https://www.touteleurope.eu/actualite/europeennespourquoi-l-abstention-est-elle-si-forte.html>. (Consulté le 23/04/2019).

39 Ibid.

Etat de la Question 2019 • IEV 8

Nonobstant la récente négation du processus qu’incarne la nomination d’Ursula von der Leyen, il apparaît que la nomination indirecte par les citoyens pourrait être améliorée à bien des égards. En effet, si les responsables européens se soucient réellement d’impliquer davantage les citoyens, ne devraient-ils pas rendre les spitzenkandidaten incontournables en entérinant le principe dans les traités ? De la sorte, les citoyens seraient assurés de ne plus être abusés par des élections aux modalités factices.

Il importerait aussi d’impliquer d’avantage les citoyens dans le processus de nomination des candidats afin qu’ils ne soient pas seulement d’accord avec les idées d’un parti national affilié à un parti européen mais aussi avec celles de celui qui dirigera peut-être la Commission. Mais cette question pourrait être réglée plus simplement si l’élection du Président de la Commission devenait directe, obligatoire et uniformisée.

Pour en revenir à des faits contemporains, la démocratie européenne n’a sans doute jamais été autant détournée. Comment est-il envisageable de remobiliser les citoyens après avoir nommé comme Présidente une personne qui ne s’était jamais présentée comme candidate ? Comment pourrait-être surmonté le sentiment de détachement avec l’Union alors que les élections n’ont tout simplement pas suivi les modalités annoncées ? Comment pourraiton faire passer l’idée d’une démocratisation de l’Europe à l’heure où la Présidence de la Commission reste du ressort des chefs d’États ?

Aux vues des récents évènements, le processus de spitzenkandidate peut être perçu comme une énième tentative de retarder la véritable démocratisation de l’Union européenne. Il importe désormais plus que jamais de réformer ce processus voire d’envisager une refonte des traités pour que les citoyens acquièrent enfin la place qui leur revient.

Etat de la Question 2019 • IEV 9

SABBATI., G., SGUEO, G., DOBREVA, A., Elections européennes 2019 : les règles par pays, Service de recherche du Parlement, octobre 2018.

Etat de la Question 2019 • IEV 10 Annexe

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RÉSUMÉ

Aux yeux de nombreux citoyens, l’Union européenne souffre d’un manque de légitimité démocratique : les processus de prise de décision n’apparaissent pas clairs, la représentation des citoyens est faible au sein des institutions et une certaine distance est ressentie par rapport à celles-ci.

Dans un premier temps, l’analyse rédigée par Lionel CASSART tente de lever le voile sur ce déficit démocratique européen.

Une fois les différentes problématiques liées à la place des citoyens au sein de l’UE identifiées, l’auteur présente le processus de spitzenkandidaten et questionne sa pertinence pour remédier à ce déficit démocratique. Ce processus de « têtes de listes » pour identifier les candidats à la Présidence de la Commission européenne, bien qu’étant la piste la plus concrète n’est toutefois pas la seule solution pour redonner toute sa légitimité démocratique à l’UE.

Lionel CASSART s’attache à le démontrer dans la troisième partie de son travail, pour dégager d’autres pistes de solutions en vue de rapprocher les citoyens européens de leurs institutions.

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