ETAT DE LA QUESTION
LA TENTATION AUTORITAIRE, UNE ALTERNATIVE À NOTRE DÉMOCRATIE ?
Nathan LIPSZYC
DÉCEMBRE 2018
1. Introduction
On peut aisément classer la Belgique parmi les régimes démocratiques. Cependant, comme Anne-Emmanuelle Bourgaux le spécifie dans sa thèse1, il n’est pas aisé de définir ce qui fait de notre système actuel une démocratie.
Le terme de démocratie a revêtu en Belgique de multiples aspects. Ainsi, lors de sa naissance en 1830 et suivant l’émergence ailleurs en Europe de démocraties libérales au sein d’Etats-nations, la Belgique devient une monarchie constitutionnelle fondée sur un socle fort de droits et libertés. Néanmoins, les droits découlant de l’instauration d’un régime démocratique, en particulier le droit de vote, n’étaient accordés qu’aux hommes disposant d’une certaine notabilité et/ou d’une certaine fortune. Après la Première Guerre mondiale et alors que la classe ouvrière, organisée depuis la fin du 19e siècle, réclame des droits sociaux et des droits politiques, le suffrage universel masculin est établi. Il ne sera étendu aux femmes qu’en 1948. L’âge du vote sera ensuite abaissé de 21 à 18 ans, élargissant un peu plus l’électorat. Enfin, le droit de vote aux élections communales sera octroyé, sous certaines conditions, aux étrangers en 2001. La démocratie belge a donc vu un nombre sans cesse croissant de citoyens autorisés à participer au choix des gouvernants.
Aujourd’hui, chacun peut voter librement, jouit de libertés protégées par la Constitution et dispose d’un certain nombre de droits sociaux. Par ailleurs, les citoyens peuvent porter des combats de façon collective au sein de structures intermédiaires plus ou moins organisées. Enfin, la démocratie telle qu’on la connait, avec ses multiples imperfections, protège les citoyens face à l’arbitraire et aux abus du pouvoir, notamment à travers la garantie d’une justice indépendante.
Néanmoins, on constate que notre démocratie actuelle n’est pas exempte d’un désir d’évolution, parfois radical, de la part des citoyens. Ainsi, comme l’indique l’enquête du Thermomètre des Belges2, 66% des jeunes sont convaincus qu’il faut radicalement changer la société. Ce désir de changement radical va de pair avec une certaine remise en question de la démocratie ou du moins une volonté de changer la démocratie. Les imperfections inhérentes à la démocratie, comme un processus de décision lent ou l’impression de ne pas être entendu par les représentants, la rend parfois frustrante. Pour expliquer la crise démocratique, Vincent De Coorebyter met également en avant la frustration inhérente au suffrage universel et à la démocratie moderne3. En effet, alors que la propagande démocratique insiste sur le choix de l’électeur, comme si tous les électeurs n’en faisaient plus qu’un seul qui exprimait une volonté populaire claire, la réalité est tout autre : les aspirations qui s’expriment au travers d’une élection sont multiples, ambigües et contradictoires, presque illisibles. Face à une société toujours plus fragmentée, où les résultats électoraux sont équivoques, où chaque groupe de pression, chaque communauté de valeurs, chaque groupe d’intérêts sociaux, chaque communauté philosophique, chaque institution a son propre espace de liberté et de négociations consacré par le droit, n’importe quel gouvernement est condamné au conservatisme, au compromis et à la frustration ou alors à la prise de risque majeur. Les décisions gouvernementales deviennent souvent incompréhensibles pour les citoyens tant elles résultent de la nécessité d’un équilibre à trouver dans la pluralité des soutiens gouvernementaux, voire dans la pluralité de la société dans son ensemble. A titre individuel, chaque électeur se sent frustré face à des décisions qu’il ne comprend pas et floué par un système démocratique qui ne traduit pas ses aspirations individuelles en mesures politiques.
Face à cette frustration inhérente à la démocratie et au suffrage universel, certains seraient tentés aujourd’hui par le remplacement de cette démocratie imparfaite par un régime autoritaire, jugé plus efficace à résoudre les défis de nos sociétés. Mais est-ce réellement une alternative à la démocratie ?
2. Qu’est-ce que la démocratie ?
Notre démocratie belge est une démocratie dite libérale, qui repose principalement sur deux principes4 :
• Un pluralisme politique, où les citoyens élisent librement des représentants politiques appartenant à des courants politiques et des partis politiques divers et variés. Lors de l’élection, les citoyens délèguent leur
1 Anne-Emmanuelle Bourgaux, La démocratisation du gouvernement représentatif en Belgique : une promesse oubliée ?, thèse ULB, 2013.
2 Le Thermomètre des Belges, enquête Le Soir – RTBF – Solidaris, Le Soir, 22-23/06/2013, p. 10.
3 Vincent De Coorebyter, Des pratiques démocratiques de crise, Les @nalyses du CRISP en ligne, 17 septembre 2015, http://www.crisp.be/2015/09/des-pratiques-democratiques-de-crise (consulté le 11/12/2018)
4 Stéphane Dion, Libéralisme et démocratie : plaidoyer pour l’idéologie dominante, Démocratie et libéralisme, numéro 9, hiver 1986, p.18.
souveraineté populaire aux élus dans le cadre d’un mandat représentatif, c’est-à-dire que les élus vont, pendant la durée de leur mandat, décider pour le compte des citoyens ;
• La protection des droits et libertés des individus, comme le droit de vote, le droit de se présenter aux élections, la liberté d’association, la liberté d’expression, la liberté de réunion, la liberté syndicale, la liberté d’exprimer son ou ses identités, etc. La protection de ces droits est garantie par un pouvoir judiciaire indépendant.
Notre démocratie ne se limite pas à être la volonté d’une majorité imposée à la minorité. Au contraire, elle inclut le respect de cette dernière et la protection de ses droits, y compris ses droits de contester par voie judiciaire des décisions de la majorité.
Il serait aisé de croire que notre démocratie libérale ne se concrétise pour les citoyens que dans les brefs moments que sont les élections et que, le reste du temps, ils sont impuissants à agir politiquement. Or notre démocratie repose aussi sur des contre-pouvoirs qui veillent inlassablement à ce que les élus agissent conformément à la loi et n’outrepassent pas le pouvoir qui leur a été conféré. Ces contre-pouvoirs, les citoyens peuvent les interpeller, s’y engager, les incarner, participer à leurs actions, etc. Ainsi, les médias sont un contre-pouvoir essentiel dans notre paysage politique actuel, ils servent parfois de porte-voix aux citoyens en relayant leurs revendications, ils sont parfois les enquêteurs qui révèlent des affaires d’utilité publique5 et des scandales politiques comme l’affaire du Kazakhgate. Même si les élus ne sont pas soumis à un mandat impératif, en ce sens que le mandat reçu des électeurs ne les contraint pas quant aux décisions qu’ils prennent, les citoyens peuvent agir en incarnant une opposition dans le champ politique et faire pression sur leurs élus.6 Que ce soit par des contacts directs, au travers d’associations ou par des actions militantes (comme des manifestations), les citoyens peuvent interpeller leurs élus et tenter d’orienter leurs choix politiques.
3. La démocratie illibérale ou le régime autoritaire
On oppose généralement à ces démocraties des régimes autoritaires ou totalitaires. Cependant, la frontière entre la démocratie et le régime autoritaire est parfois ténue et certains régimes politiques sont complexes à définir, ni tout à fait démocratiques, ni tout à fait autoritaires. La frontière entre ces deux types de régime peut s’avérer poreuse et un basculement de la démocratie vers un régime autoritaire peut se produire rapidement.
Les régimes autoritaires, bien que divers dans leur degré d’autoritarisme, présentent des caractéristiques communes. Le régime autoritaire s’accompagne d’un imaginaire politique qui aspire à ce que l’Etat soit mené par un pouvoir ou un dirigeant fort, capable de « redresser la barre ». Ce désir d’un pouvoir qui n’est pas entravé par des contraintes comme le respect de droits et libertés inaliénables, un processus législatif lourd, une administration lente ou des contre-pouvoirs trop forts est une caractéristique essentielle des régimes autoritaires. Ces régimes ne sont soumis qu’à la volonté du leader ou du parti au pouvoir. Dès lors, leur volonté politique peut être rapidement mise en œuvre car elle ne s’encombre pas de la prise en compte des voix discordantes ou de contraintes juridiques et administratives pour réaliser leurs objectifs. La chaîne de commandement est simple, courte et sans aucune contestation possible.7
Pour réaliser cette hypertrophie de l’autorité, le dirigeant autoritaire s’attèle peu à peu à réduire le poids de l’opposition politique. Deux stratégies sont possibles. « Une première manière d’opérer consiste à interdire purement et simplement toutes les activités politiques organisées : celle des partis politiques mais également celles d’autres organisations éventuelles (syndicats, associations de droits civiques, comités d’intellectuels). [...] Une seconde manière d’opérer consiste à laisser subsister une vie politique mais à la contrôler étroitement par le biais par exemple d’un pseudo pluripartisme (élections avec de faux concurrents). »8 On voit comment la seconde manière de s’arroger le monopole du pouvoir peut être difficile à déceler tant elle cherche à maintenir les apparences d’une démocratie qui serait juste un peu plus « forte » que les autres.La Turquie dirigée par Recep Tayyip Erdogan a été ces dernières années le théâtre d’une dérive de type autoritaire. Ainsi, on a assisté à une hyper-présidentialisation du régime, poussant même à la suppression du poste de Premier Ministre. Des
5 Joyce Azar, En Flandre, le journalisme d’investigation fait bouger la société, RTBF, 14 mars 2018, https://www.rtbf.be/info/article/detail_en-flandre-le-journalismed-investigation-fait-bouger-la-societe-joyce-azar?id=9866147 (consulté le 11/12/2018).
6 Stéphanie Don, Libéralisme et démocratie : plaidoyer pour l’idéologie dominante, Démocratie et libéralisme, numéro 9, hiver 1986, p.21-22.
7 Gene Sharp, De la dictature à la démocratie - Un cadre conceptuel pour la libération, l’Harmattan, Paris, 2009, p.49-50.
8 Site communautaire Cours de droit.net, Les régimes politiques autoritaires, http://www.cours-de-droit.net/les-regimes-autoritaires-a131873384 (consulté le 11/12/2018).
purges ont eu lieu dans le monde judiciaire, dans les médias et de l’enseignement. Des milliers de fonctionnaires ont été licenciés, voire emprisonnés. La traque des opposants a été sans limite, s’exportant même à l’étranger. Internet a été censuré, des sites comme Twitter, Facebook et Youtube ont été interdits au nom de la lutte contre la propagande terroriste ou après des révélations sur la toile de corruption présumée du Premier Ministre turc Erdogan.910
En Hongrie, pays membre de l’Union européenne, Viktor Orban s’attèle depuis sa prise de pouvoir à museler les contre-pouvoirs et s’attaque notamment au monde judiciaire, aux médias, au secteur culturel ou encore au monde académique. Après avoir muselé les médias11, il a fait adopter récemment par le Parlement une loi empêchant aux universités non européennes de délivrer des diplômes hongrois. Par cette manœuvre, Orban entend lutter contre le soi-disant cosmopolitisme libéral qu’il dit être incarné par Georges Soros et son université d’Europe centrale (CEU).12 Ainsi, selon Viktor Orban, tout ce qui sort de sa conception nationaliste de la Hongrie doit être combattu.
Ces méthodes autoritaires permettent ainsi au gouvernant de mettre en œuvre sa politique sans aucune entrave. Pour maintenir un niveau faible de contestation politique, le gouvernement autoritaire va jouer à la fois sur la peur des citoyens qui, face à l’affaiblissement de leurs protections démocratiques, peuvent craindre pour leurs libertés13, leur famille, leur situation sociale, leurs biens voire leur vie, et à la fois sur une apathie politique des citoyens, en combattant une culture du débat, en amoindrissant l’esprit critique, en faisant appel aux émotions plutôt qu’à la raison et en attisant des sentiments nationalistes. Les citoyens ne sont alors appelés à « exercer » leurs droits politiques qu’au moment des élections, devenues un processus plébiscitaire qui n’a pour objectif que de légitimer le pouvoir en place. Garder l’apparence d’une démocratie ne sert alors pas uniquement à embellir l’image extérieure du pays mais également à maintenir le peuple dans une léthargie politique afin qu’il ne revendique pas une autre gouvernance.
Les régimes autoritaires sont clairement des régimes d’affaiblissement des libertés individuelles, dans lesquels les individus doivent s’effacer devant un grand dessein collectif, une nation ou une idéologie fantasmées. Ce destin collectif mis en avant par le dirigeant autoritaire et martelé par ses organes politiques est une composante importante du régime et de sa stabilité. Comme l’explique Isabelle Mandraud, correspondante du Monde à Moscou, les Russes acceptent plus facilement la dégradation de leurs conditions de vie, lorsque le pouvoir et les médias renvoient l’image d’un Poutine fort, luttant pour la défense de la nation contre les envahisseurs étrangers.14 Ce type de discours politique se base sur l’idée que les individus doivent accepter d’abandonner une partie de leurs libertés individuelles au profit d’un grand projet commun.
4. La tentation autoritaire
La tentation autoritaire va souvent de pair avec un désenchantement vis-à-vis des institutions démocratiques. Pour Jean-Claude Gillebaud, elle se nourrit du « recul continu du politique (de l’Etat) devant la prétendue toute-puissance des lois du marché et de la finance. […] Chez nous, depuis quelques années, le discours dominant consiste en une célébration dévote autant qu’irréfléchie des contraintes économiques ou de l’efficience du marché ; il faut y voir le signe d’un affaiblissement alarmant des convictions politiques (au sens noble du terme) et la prévalence d’une indifférence redoutable. »15 La montée des inégalités et surtout la légitimation de celles-ci conduisent un nombre croissant des citoyens à réclamer une rupture radicale du modèle démocratique et l’avènement d’un homme providentiel qui apporterait les réponses aux difficultés économiques et sociales.
Le désenchantement démocratique ne doit pas être confondu avec la remise en question de tel dirigeant ou de telle
9 Christophe Gracieux, Le blocage de Twitter en Turquie, Fresques Ina, 21 mars 2014, https://fresques.ina.fr/jalons/fiche-media/InaEdu06005/le-blocage-de-twitter-en-turquie.html (consulté le 11/12/2018).
10 Alain Guillemoles, En Turquie, les réseaux sociaux soumis à la volonté du pouvoir, La Croix, 7 juin 2015, https://www.la-croix.com/actualite/monde/en-turquie-lepresident-erdogan-est-en-passe-de-perdre-son-pari-2015-06-07-1320781 (consulté le 11/12/2018).
11 Hongrie : comment Viktor Orban a progressivement mis les médias au pas, RTBF et AFP, 10 avril 2017, https://www.rtbf.be/info/medias/detail_hongrie-comment-viktor-orban-a-progressivement-mis-les-medias-au-pas?id=9577098 (consulté le 11/12/2018).
12 François d’Alançon, En Hongrie, Viktor Orban s’attaque à l’université Soros et aux ONG, La Croix, 10 avril 2017, https://www.la-croix.com/Monde/Europe/ En-Hongrie-Viktor-Orban-sattaque-luniversite-Soros-ONG-2017-04-10-1200838501 (consulté le 11/12/2018).
13 Ainsi, en 2017, 43 journalistes étaient emprisonnés en Turquie, mentionné dans l’article : Il y a eu moins de journalistes tués en 2017, selon Reporters sans Frontières, Libération, 19 décembre 2017, https://www.liberation.fr/planete/2017/12/19/il-y-a-eu-moins-de-journalistes-tues-en-2017-selon-reporters-sans-frontieres_1617614 (consulté le 11/12/2018).
14 Isabelle Mandraud, Russie : « Dans un régime autoritaire, chacun redoute un changement non préparé », Le Monde, 20 mars 2018, https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/03/19/dans-un-regime-autoritaire-comme-en-russie-chacun-redoute-un-changement-non-prepare_5273175_3214.html (consulté le 11/12/2018).
15 Jean-Claude Gillebaud, La tentation autoritaire, L’Obs, 29 février 2016, https://teleobs.nouvelobs.com/polemique/20160223.OBS5190/la-tentation-autoritaire. html (consulté le 11/12/2018).
politique. C’est une défiance plus globale de la part de certains citoyens à l’égard des institutions démocratiques et de la classe politique dans son ensemble, dont le discours « tous pourris » en est un des éléments les plus révélateurs. Ainsi, un sondage de 2015 montrait que 67% des sondés étaient convaincus que les activités professionnelles des femmes et hommes politiques en marge de leur mandat étaient source de corruption et de conflits d’intérêt.16 On retrouve également ce désenchantement démocratique dans le taux d’abstention (11,65 % en Wallonie lors des élections communales de 2018) et dans la volonté de 38% des Belges de s’abstenir d’aller voter si le vote n’était plus obligatoire.17
Le discours de défiance vis-à-vis du monde politique trouve aussi à s’exprimer par d’autres voies. Ainsi, le discours porté par certains « gilets jaunes » en France. Il est d’autant plus fort que les conditions économiques et sociales sont dégradées. Les manifestants du mouvement français des « gilets jaunes » portent en premier lieu des revendications socioéconomiques. Ils veulent une amélioration de leur pouvoir d’achat, à travers des salaires plus élevés et des prix plus bas. Mais ils réclament également des conditions de vie moins précaires, un meilleur accès au logement, des services publics de proximité, des solutions de mobilité. Ils ont l’impression de vivre dans des territoires délaissés par l’Etat. Face à la dégradation continue de leurs conditions de vie au cours des dernières décennies, là où certains en appellent à une mobilisation des partis d’opposition, des syndicats et d’autres corps intermédiaires, d’autres peuvent être tentés par la solution autoritaire et l’avènement d’un homme providentiel. Ainsi, dans les manifestations récentes qui ont eu lieu dans l’Hexagone, on a vu certains « gilets jaunes » demander le remplacement du Premier Ministre français, Edouard Philippe, par un général à la retraite, d’autres demander la destitution du Président de la République, Emmanuel Marcron, d’autres encore la suspension des institutions le temps de rétablir la situation.
La tentation autoritaire existe donc en démocratie, malgré les droits et libertés qu’elle procure à ses citoyens, malgré les caractéristiques inhérentes aux régimes autoritaires, en premier lieu la restriction de la liberté d’exprimer son opinion.
5. Conclusion
Notre démocratie est faillible et imparfaite. Par définition, elle permet l’expression de revendications politiques diverses, dont potentiellement la demande d’un gouvernement autoritaire. L’existence d’une tentation autoritaire, nourrie par des conditions socioéconomiques et la montée des inégalités, ne doit pas être ignorée et considérée avec mépris. Au contraire, la démocratie doit y apporter des réponses fortes en questionnant son fonctionnement, en interrogeant ses fondements, en veillant à ne laisser personne au bord du chemin.
La démocratie a aujourd’hui besoin d’un renouveau, d’un nouveau souffle. Elle a besoin d’être réenchantée. Les institutions démocratiques doivent répondre aux préoccupations des citoyens. Cela passe tout d’abord par une réappropriation de la puissance publique à l’encontre des puissances financières et économiques. Les dérégulations, notamment du secteur bancaire, l’affaiblissement des services publics, la baisse des investissements dans les infrastructures, le moindre financement des protections sociales ou encore les mesures de « responsabilisation » des plus précaires par rapport à leur situation n’ont fait qu’accentuer ce rejet des institutions démocratiques et de la politique. En filigranes, c’est un appel aux institutions et aux représentants politiques afin qu’ils fassent prévaloir l’intérêt général sur les intérêts particuliers des plus nantis.
Les institutions démocratiques doivent également se montrer plus ouvertes à la participation citoyenne. La démocratie ne peut se limiter au moment de l’élection. Elle doit au contraire vivre tous les jours à travers des outils de démocratie participative, comme les budgets participatifs, le droit de pétition, l’intégration de citoyens dans des commissions parlementaires spécifiques. Les institutions démocratiques doivent faire preuve de transparence et être mieux contrôlées par les citoyens. Il s’agit aussi de lutter davantage contre les conflits d’intérêt, notamment les conflits d’intérêt dus à un cumul de fonctions ou mandats publics et privés. Les citoyens doivent pouvoir accéder plus aisément à l’information et aux décisions prises par les organismes publics. Enfin, ceux-ci doivent intégrer en leur sein des comités d’usagers, notamment d’usagers précarisés, afin de veiller à ce que leurs décisions soient les plus justes et les plus efficaces possible.
16 F.C., Pour les Belges, « les politiques sont tous pourris » reprend de la vigueur, La libre.be, 13 mars 2015, http://www.lalibre.be/actu/politique-belge/pour-lesbelges-les-politiques-sont-tous-pourris-reprend-de-la-vigueur-550169cb3570c8b9528ff043 (consulté le 11/12/2018).
17 Sondage RTL-Le Soir du 9 octobre 2018 mentionné dans l’article : François Witvrouw, Que risquez-vous si vous n’allez pas voter dimanche ?, L’Echo, 10 octobre 2018, https://www.lecho.be/dossier/electionscommunales2018/que-risquez-vous-si-vous-n-allez-pas-voter-dimanche/10057201.html (consulté le 11/12/2018).
Winston Churchill disait : « la démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres ». Elle est aujourd’hui à la croisée des chemins. Soit elle se réinvente, elle s’ouvre davantage à de nouveaux modes de participation, elle défend l’intérêt général contre les intérêts financiers, elle met en place des services publics forts et elle lutte contre les inégalités, soit la tentation autoritaire continuera à grandir au risque d’en arriver un jour, après un basculement lent et insidieux, à l’avènement d’une démocratie illibérale ou d’un régime autoritaire. La menace existe. Alors que le Brésil s’apprête à suivre la voie de la Hongrie ou de la Turquie, nos institutions démocratiques, les citoyens et les politiques doivent plus que jamais œuvrer ensemble au renforcement de la démocratie, à la protection des droits et libertés et à l’amélioration des conditions de vie de chacun.