1. Introduction
Le 1er juillet 2014, à la suite de la sixième réforme de l’Etat, les Maisons de Justice, l’aide juridique de première ligne ainsi que le Centre national de surveillance électronique ont été transférés de l’Etat fédéral vers les Communautés. Les Communautés sont également devenues compétentes pour les services d’aide aux justiciables et aux victimes et les espaces-rencontres. En Belgique francophone, toutes ces missions se sont retrouvées sous la coupole de l’Administration générale des Maisons de Justice de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Nous nous trouvons donc à un moment clé dans l’organisation de ces différentes missions. Ce réagencement institutionnel est l’occasion de rendre aux Maisons de Justice leur mission première et historique, à savoir celle d’incarner le volet humain de la Justice. C’est aussi l’occasion d’apporter davantage de cohérence dans l’exercice même des missions entre les Maisons de Justice et les multiples acteurs actifs auprès des justiciables et des victimes.
Dans un premier temps, nous établirons un état des lieux des missions assumées par les Maisons de Justice. Nous passerons également en revue l’ensemble des acteurs parajudiciaires ainsi que les autres services dépendant de la nouvelle Administration générale des Maisons de Justice (AGMJ).
Dans la seconde partie, nous reviendrons sur le contexte dans lequel la création des Maisons de Justice s’est inscrite et mettrons en avant les lacunes qu’elles devaient combler. Ensuite, après avoir épinglé les discordances entre les objectifs initiaux et le travail effectué par les Maisons de Justice vingt ans après leur création, nous présenterons les principaux changements survenus à la suite de la sixième réforme de l’Etat et mettrons en avant les perspectives offertes par ce transfert de compétences. Enfin, au regard des défis à relever, nous analyserons le travail accompli depuis le début de la législature 2014-2019.
2. Présentation des Maisons de Justice et des acteurs parajudiciaires
Avant la sixième réforme de l’Etat, les Maisons de Justice dépendaient du SPF Justice au sein d’une direction générale autonome. Le Centre national de surveillance électronique y était également rattaché.
Jusqu’alors, la Fédération Wallonie-Bruxelles n’était compétente que pour l’accompagnement des détenus au sein des établissements pénitentiaires via les services d’aide aux détenus.
Le 1er juillet 2014, les Maisons de Justice ont été transférées du SPF Justice vers les Communautés. L’Administration générale des Maisons de Justice est alors créée. Le budget ainsi que le personnel (près de 650 agents) ont quant à eux été transférés le 1er janvier 2015. Les données informatiques ont également dû être transférées. L’aide juridique de première ligne et les associations dont l’objectif est l’accompagnement et l’exécution des peines et mesures dans la communauté ont également été transférées du Fédéral vers les Communautés.
En outre, les accords intra-francophones de la Sainte-Emilie ont abouti au transfert à la Fédération WallonieBruxelles des espaces-rencontres, de l’aide sociale apportée aux justiciables et aux victimes, qui tous dépendaient auparavant de la Région wallonne et, à Bruxelles, de la Commission communautaire française (Cocof). Tous ces services à destination principalement des justiciables et dispensés par divers partenaires se retrouvent dorénavant dépendant de l’Administration générale des Maisons de Justice (AGMJ) au sein de la Direction Partenariats.
2.1. Service général des Maisons de Justice
Avant d’entrer dans la description des missions accomplies par les Maisons de Justice, il est intéressant de dresser un aperçu global de la charge de travail accomplie par les assistants de justice. Cela permet de se rendre compte de l’importance qu’a pris ce service au fil des années.
D’après le rapport annuel 2015 publié par l’Administration générale des Maisons de Justice (AGMJ)1, les 13 Maisons de Justice se trouvant en Wallonie et à Bruxelles ont pris en charge 32.901 dossiers individuels dénommés « mandats ». Ceux-ci proviennent de diverses autorités, principalement des prisons, de la magistrature et de différents tribunaux. Plus de deux tiers de ces mandats concernent des missions pénales.
1 Rapport annuel 2015, http://www.maisonsdejustice.be/index.php?eID=tx_nawsecuredl&u=0&g=0&hash=52b35703ef89d7518fb6c861ce1d98203f1e8084&file=fileadmin/sites/portail_mj/uploads/multimedia_files/pdf/2016/RA2015_BON_A_TIRER.pdf
2.1.1. Missions pénales : enquêtes sociales, rapports d’information succincts (RIS), guidance, suivi, médiation
En fonction de la demande des autorités mandantes, les assistants de justice peuvent être amenés à réaliser diverses missions dans différents secteurs d’intervention.
Ils peuvent être amenés à réaliser une enquête sociale sur un justiciable. Ainsi, sur la base des informations obtenues via des interviews ou une analyse du milieu social du justiciable, ils remettront un avis à l’autorité mandante. Celui-ci aidera l’autorité mandante dans sa prise de décision. D’année en année, les Parquets font de moins en moins appel aux Maisons de Justice pour des enquête, essentiellement en raison de l’allongement de la procédure judiciaire que cela implique.
Le rapport d’information succinct (RIS) répond quant à lui à des questions plus précises posées par l’autorité mandante. Les moyens d’obtenir les informations sont identiques à ceux utilisés pour l’enquête sociale.
Une grande partie du travail des Maisons de Justice consiste à effectuer un travail de guidance pénale des justiciables. Il s’agit pour les assistants de justice de suivre les justiciables condamnés à différentes peines et mesures : alternatives à la détention préventive (ADP), libération conditionnelle, peine de travail autonome (PTA), libération provisoire, probation, détention limitée, libération à l’essai, surveillance électronique. L’assistant de justice doit alors guider le justiciable et veiller à ce qu’il respecte les différentes conditions édictées par l’autorité mandante.
Enfin, la médiation pénale consiste en une demande volontaire (avec accord de la victime et de l’auteur) qui ne peut être utilisée que pour des faits qui ne peuvent donner lieu à une peine de prison de plus de deux ans. La médiation pénale a pour finalité de trouver une solution réparatrice. Celle-ci peut être morale ou matérielle. Elle est alors encadrée par les Maisons de Justice qui effectuent des entretiens avec les différentes parties (victime(s) et auteur) avant d’organiser si possible des entretiens communs.
2.1.2. Missions civiles : accueil des victimes et accueil de première ligne
En 2015, les missions civiles n’ont représenté que 14 % de l’activité totale des Maisons de Justice. On constate donc un important déséquilibre entre les affaires pénales et civiles.
Les missions civiles consistent en la résolution de conflits lors de désaccords familiaux. Ils peuvent concerner l’hébergement des enfants, l’exercice de l’autorité parentale, etc. Dans ces dossiers, les Maisons de Justice sont mandatées par les tribunaux de la famille afin de réaliser des enquêtes sociales.
Les Maisons de Justice sont également en charge de l’accueil des victimes. Elles leur fournissent des informations spécifiques à propos des dossiers, les soutiennent et les assistent tout au long de la procédure judiciaire. Elles orientent aussi les victimes vers des services spécialisées adéquats. Ce travail se fait également sous mandat.
Enfin, à l’instar des Barreaux, des CPAS ou encore des organisations spécifiques, les Maisons de Justice accomplissent également un service d’aide juridique de première ligne. Elles accueillent et fournissent de l’information à tout citoyen confronté à la Justice et qui en fait la demande. Les assistants de justice leur fournissent ainsi un premier avis et les orientent vers les services adéquats.
2.2. Service général Justice et Justiciable
Ce service comprend, en plus de la direction chargée de l’expertise, de la direction de la formation et du service d’appui et de support, la direction des partenariats ainsi que la direction de la surveillance électronique.
2.2.1. Les partenaires
A la suite de la sixième réforme de l’état, toute une série de partenaires travaillant avec des justiciables relèvent désormais de la compétence des Communautés. Ils dépendent dorénavant de l’AGMJ, plus particulièrement de la « Direction Partenariats », qui se charge d’agréer, subventionner et de soutenir ces associations.
L’aide juridique de première ligne
L’aide juridique de première ligne organisée par les avocats, les CPAS ou certaines associations dispense une aide juridique générale de première ligne telle qu’énoncée à l’article 23 de la Constitution. Elle informe et aiguille les
justiciables vers les services adéquats. Elle dépendait avant la sixième réforme de l’Etat du Ministère de la Justice.
L’accompagnement des peines et mesures dans la communauté
Avant la sixième réforme de l’Etat, les services d’accompagnement des peines et mesures dans la communauté dépendaient de l’Autorité fédérale. Ces services subsidiés (services publics, ASBL, fondations) exécutent des peines de travail, des travaux d’intérêt général, des formations ou encore des accompagnements thérapeutiques.
Le projet de médiation réparatrice
Egalement du ressort de l’Autorité fédérale avant la dernière réforme de l’Etat, la médiation réparatrice permet aux parties, à tout stade de la procédure pénale et en toute confidentialité, de faire appel à un tiers afin de communiquer et de rechercher une solution aux difficultés résultant de l’infraction.
Ce service est effectué par une ASBL agréée, dénommée « Mediante », dont le siège social se trouve à Namur. Elle est présente dans les différents arrondissements judiciaires.
Les services d’aide sociale aux détenus
Ces services offrent une aide sociale et psychologique aux détenus en faisant la demande ainsi qu’à leurs proches. Ces services ont la particularité d’agir directement dans l’enceinte de la prison. Ils dépendent depuis 2001 de la Fédération Wallonie-Bruxelles2
Les services d’aide sociale aux justiciables et aux victimes
Ces services dépendaient auparavant de la Région wallonne et de la COCOF. Ils sont accessibles à toutes les personnes en contact avec la Justice ainsi qu’à leurs proches.
Les espaces-rencontres
Ces services dépendaient également auparavant de la Région Wallonne et de la Cocof. Ils s’adressent aux familles en situation de rupture, séparation ou divorce et favorisent le lien entre enfants, parents et/ou grands-parents. Certains services œuvrent par exemple à l’application du droit de visite des parents détenus.
2.2.2. Le Centre de surveillance électronique
A la suite de la sixième réforme de l’État, la Fédération Wallonie-Bruxelles est compétente en matière de surveillance électronique (SE). Le CSE (ex-Centre national de surveillance électronique) dépend donc de l’AGMJ. Il est géré de manière autonome par la Fédération Wallonie-Bruxelles grâce à un service propre, ce qui n’empêche pas qu’il y ait une cogestion avec la communauté flamande. En effet, des services ont été mis en place afin de favoriser la coopération entre les Communautés et afin d’assurer la coordination des politiques concernant la surveillance électronique3
Le CSE travaille en coopération avec différentes autorités mandantes (les prisons, les tribunaux d’application des peines, la police,...) et les Maisons de Justice pour les guidances.
3. Défis et perspectives de la communautarisation
3.1. Création des Maisons de Justice et état des lieux avant la
sixième réforme de l’Etat
Dès 1996, à la suite de l’affaire Dutroux, le Gouvernement fédéral a souhaité créer une structure unique englobant l’ensemble des acteurs parajudiciaires. Plusieurs modèles ont alors été examinés. C’est celui des Maisons de Justice qui a eu la préférence du Ministre de la Justice de l’époque, Stefaan De Clerck. Ces nouvelles entités avaient donc pour objectif initial de faciliter l’accès à la Justice pour le justiciable, d’apporter une meilleure réponse aux problèmes de délinquance ainsi qu’aux délits d’ordre civil et, enfin, d’amener une meilleure coordination entre les différents intervenants du monde judiciaire.
2 Décret du 23 août 2001 relatif à l’aide sociale aux détenus en vue de leur réinsertion sociale 3 Accord de coopération du 10 décembre 2014 entre la Communauté française, la Communauté Flamande et la Communauté germanophone relatif à la gestion de la surveillance électronique
Près de vingt ans après la création des Maisons de Justice, nous pouvons établir plusieurs constats. Premièrement, malgré le souhait de donner une meilleure coordination entre le judiciaire et le parajudiciaire, les différents acteurs (à savoir les Maisons de Justice et les différents services d’aide aux justiciables et aux victimes) dépendent désormais de niveaux de pouvoir distincts. Cette répartition complexe des compétences entre niveaux de pouvoir n’a pas favorisé une collaboration entre ces acteurs.
Deuxièmement, alors qu’initialement les Maisons de Justice avaient été créées, entre autres, pour se rapprocher de la population, on a pu remarquer une érosion de ses missions civiles et d’informations au profit des missions pénales. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette évolution. Tout d’abord, la priorité a été donnée par le SPF Justice et par les Ministres de tutelle successifs à la dimension pénale des Maisons de Justice. La priorité a également été donnée au suivi des justiciables « auteurs » au détriment des autres justiciables dont notamment les victimes. De plus, depuis leur création, les mesures alternatives à la détention se sont multipliées, tout comme le nombre de personnes pouvant en bénéficier. Récemment encore, la probation et la surveillance électronique comme peine autonome ont été introduites. Dès lors, les équipes des Maisons de Justice avaient moins de moyens pour investir pleinement leurs missions civiles, notamment celle d’aide juridique de première ligne.
Dernièrement, les Maisons de Justice ont mis en place une méthodologie pour assurer le suivi des justiciables et leur réinsertion. C’est cette méthodologie qui leur a permis de s’adapter aux évolutions du code pénal. Son corollaire a été une plus grande standardisation des pratiques des assistants de justice et, donc, la limitation de leur marge de manœuvre dans le volet social. Le travail des assistants de justice a été d’autant plus limité que les conditions établies par les autorités mandantes sont contraignantes et souvent très, voire trop, précises.
3.2. Perspectives de la communautarisation
A la suite des transferts de compétences opérés par la sixième réforme de l’Etat, les Maisons de Justice et tous les services qui travaillent avec les justiciables se trouvent désormais au sein d’une même administration. Toutes ces compétences passent sous le giron des Communautés qui sont compétentes pour les matières dites « personnalisables ».
La communautarisation de ces compétences ouvre diverses perspectives. Elle pourrait notamment rééquilibrer le travail des Maisons de Justice entre leurs missions pénales et civiles et permettre de créer des ponts entre les différents services et de renforcer ainsi la cohérence entre acteurs du monde judiciaire.
De manière générale, les compétences communautaires sont orientées vers le citoyen : si, fondamentalement, le travail des Maisons de Justice reste identique, ce nouvel environnement met davantage l’accent sur le travail social des Maisons de Justice, et pas seulement sur la dimension de contrôle.
Le rassemblement des Maisons de Justice, des services d’aide aux détenus et des services d’aide aux justiciables et aux victimes au sein d’une même administration permettra une meilleure collaboration entre ces services. De manière générale, le rassemblement de tous ces acteurs sous une même coupole va rendre possible davantage de dialogue et une plus grande cohérence entre eux.
Une seconde perspective concerne le travail avec le citoyen. Les Maisons de Justice ont été contraintes de délaisser cette mission lorsqu’elles étaient sous la houlette du SPF Justice. Elles peuvent à présent mettre davantage l’accent sur leur compétence d’aide de première ligne.
Enfin, il sera possible de construire plus aisément des ponts vers d’autres secteurs indispensables à l’inclusion sociale des justiciables. En effet, au sein même de la Fédération Wallonie-Bruxelles, des accords avec le secteur de l’enseignement de promotion sociale, de la culture ou encore du sport peuvent être envisagés. Avec les Régions, une plus grande collaboration pourrait se nouer avec différents acteurs notamment en ce qui concerne l’accès au logement, le secteur de la santé ou encore l’accès à des formations. Par exemple, en ce qui concerne les justiciables libérés sous conditions, l’augmentation de ces collaborations permettrait de mieux outiller les justiciables et de répondre plus facilement aux conditions fixées à leur libération4. Ces différentes collaborations (entre les services et entre secteurs) renforceront le plan de réinsertion de chaque justiciable.
Bien entendu, le travail des Maisons de Justice demeure dans un cadre fédéral.
Tout d’abord, le travail principal des Maisons de Justice reste et restera le suivi des guidances. Leur marge de manœuvre est assez étroite. En effet, les conditions édictées par les autorités mandantes, les personnes qui
4 Concertation des Associations Actives en Prison, « Sortir de prison… vers une transition réussie ? Des dispositifs existants en matière de (ré)insertion à l’hypothèse des « maisons de transition »,zmars 2017, p29-35, http://www.caap.be/images/documents/CAAP_Sortir_de_prison_vers_une_transition_reussie_Rapport_final_mars_17.pdf
peuvent en bénéficier ou la mise en place de nouvelles mesures, etc. dépendent du pouvoir fédéral. La Fédération Wallonie-Bruxelles doit assurer les missions qui lui sont adressées. Elle ne peut agir que sur l’organisation des différents acteurs au sein de l’AGMJ. Afin de gérer au mieux cette dépendance, la conférence interministérielle des Maisons de Justice5 (CIM MJ) a été mise en place afin de faciliter le dialogue entre les niveaux de pouvoir.
Ensuite, en ce qui concerne le milieu carcéral, les compétences touchant de près ou de loin aux détenus sont éclatées entre différents niveaux de pouvoir (c’est le cas notamment de la promotion de la santé, de la formation ou encore du sport et de la culture). Dans ce contexte, outre qu’il est difficile pour les Régions et les Communautés de mettre en place une offre équivalente pour chaque infrastructure carcérale, la collaboration entre les acteurs n’est pas aisée à mettre en place.
4. Principales mesures depuis la communautarisation
Le premier chantier du Ministre de la Fédération Wallonie-Bruxelles en charge des matières gérées par la nouvelle Administration générale des Maisons de Justice, Rachid Madrane, a été d’assurer le passage des différents acteurs d’un niveau de pouvoir à autre. Il a donc fallu superviser le transfert des 650 agents des Maisons de Justice vers la Communauté.
Le transfert du Centre national de surveillance électronique (ancien CNSE) a également dû être mené. Depuis la sixième réforme, la Fédération Wallonie-Bruxelles est responsable de ce centre. Un accord de coopération a été établi avec les autres Communautés afin de favoriser la coopération ainsi que la coordination entre elles. Ce texte a été voté au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles en janvier 20156
Une fois ce premier chantier abouti, le Ministre Rachid Madrane s’est attaché à créer des synergies entre les différents services d’aide aux justiciables. On dénombrait lors du transfert de compétences 68 ASBL, 41 villes et communes ainsi que 13 commissions d’aide juridique. Avant d’être transférés vers les Communautés, ces services fonctionnaient suivant des règles différentes. Les procédures et les durées des agréments divergeaient. Ainsi, on dénombrait 6 types de financement différents. De plus, ces diverses associations ne dialoguaient pratiquement pas entre elles. Dès lors, dans un premier temps, il était indispensable d’harmoniser les procédures de subventionnement et de créer des synergies.
C’est afin de répondre à ces défis que le décret relatif à l’agrément et au subventionnement des partenaires apportant de l’aide aux justiciables a été rédigé. Il a été voté par le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles en octobre 2016 et est entré en vigueur le 22 décembre 20167
Ce décret harmonise les différentes législations en uniformisant la manière dont l’aide est apportée à tous les justiciables. Ainsi, le texte détermine les différentes missions qui peuvent être prestées par un « partenaire »8 Trois types de « clients » sont aussi identifiés : auteur, victime et autres justiciables. En fonction des missions, des règles d’agrément et de subventionnement sont déterminées. Cette approche met le « justiciable » au centre de l’action. En effet, les associations seront dorénavant subventionnées par rapport au nombre de missions qu’elles remplissent et non plus par rapport au fonctionnement de ces associations comme c’était le cas auparavant.
Le décret met également en place des organes de concertation entre les partenaires. Ces lieux de discussion viseront à combler les manques de dialogue observés lorsque les associations dépendaient de niveaux de pouvoir différents. Des commissions sont ainsi organisées à divers échelons et discutent de thèmes spécifiques9
Ce premier texte d’envergure adopté sous la législature 2014-2019 répond donc à la volonté de créer des ponts entre les différents acteurs. De plus, ce décret apporte davantage de cohérence dans l’aide apportée aux justiciables.
Afin de renforcer certaines collaborations, la conférence interministérielle ad hoc a été relancée en 2016. Elle a réuni tous les Ministres francophones compétents pour des matières s’exerçant en prison10. Une telle conférence
5 Accord de coopération du 17 décembre 2013 entre l’Etat fédéral, la Communauté flamande, la Communauté française et la Communauté germanophone relatif à l’exercice des missions des Maisons de Justice
6 Décret portant assentiment à l’accord de coopération entre la Communauté française, la Communauté flamande et la Communauté germanophone relatif à la gestion de la surveillance électronique, http://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/41102_000.pdf
7 Projet de décret relatif à l’agrément et au subventionnement des partenaires apportant de l’aide aux justiciables, http://www.gallilex.cfwb.be/document/ pdf/43115_001.pdf
8 L’aide juridique de première ligne, l’aide sociale, l’aide psychosociale, l’aide au lien, l’aide à la communication, l’accompagnement à la mise en œuvre et au suivi des décisions judiciaire.
9 Commission communautaire des Partenariats, les Commissions d’arrondissement des Partenariats, les Commissions thématiques des Partenariats.
10 Accord de coopération 23 janvier 2009 entre la Communauté française, la Région wallonne et la Commission communautaire française visant la coordination des politiques d’intervention en lien avec le milieu carcéral ?
interministérielle n’avait plus été tenue depuis 2010. Cette réunion a pour objectif d’améliorer la prise en charge des détenus en leur offrant une aide et des services appropriés et a permis de renforcer les liens entre les différents secteurs (culture, santé, formation, sport, etc.).
Par ailleurs, Rachid Madrane a fait publier en 2015 l’accord de coopération avec l’Etat fédéral pour une politique carcérale cohérente11. Cet accord a notamment pour but d’améliorer, de normaliser et d’organiser l’accès au sein des prisons des services extérieurs et de faciliter aussi la mise en place du plan de détention en l’absence des arrêtés royaux d’application.
Un autre chantier important a trait spécifiquement à l’amélioration de la prise en charge des victimes. Trois initiatives ont été prises par le Ministre Madrane. La première a consisté en un accompagnement plus encadré des victimes par les services d’accueil des victimes. La deuxième a porté sur la création d’un site internet12 à destination des victimes afin qu’elles puissent avoir un accès direct à toutes les informations sur les différents services, les procédures à suivre, etc. Le dernier chantier consiste à mettre sur pied de véritables accords de coopération entre les entités fédérées francophones et le niveau fédéral. La coordination et la coopération entre les différents niveaux de pouvoir sont primordiales dans un contexte de morcellement des compétences dans la prise en charge des victimes.
Au sein de l’administration de la Fédération Wallonie-Bruxelles, diverses réflexions sont aussi menées afin de tirer profit de la sixième réforme de l’Etat.
Un premier groupe de travail a été mis en place afin de poser une réflexion sur le concept de désistement (ou désistance) inscrit dans le contrat d’administration de l’AGMJ. Ce concept est défini par le Conseil de l’Europe comme étant « le processus par lequel avec ou sans l’intervention des services de justice pénale, l’auteur d’infraction met un terme à ses activités délinquantes et mène une vie respectant la loi par le développement de son capital humain (par exemple, ses capacités individuelles et ses connaissances) et de son capital social (par exemple l’emploi, la création d’une famille, les relations et les liens sociaux, et l’engagement dans la société civile)
»13. Ce groupe de travail mène des réflexions afin de circonscrire ce concept et de l’appliquer de manière optimale au nouveau cadre institutionnel en réfléchissant, notamment, à la faisabilité du travail des assistants de justice en intra-muros et à l’accentuation des échanges avec les partenaires. Pour ce faire, les modèles actuels de prise en charge, tout comme les décrets, doivent évoluer. Ainsi, afin d’implémenter ce concept au sein de la méthodologie de l’administration, une recherche a été lancée en collaboration avec l’université de Montréal en vue de mettre en place des indicateurs du désistement. Toujours dans le cadre de la mise en place d’un processus de désistement, une autre collaboration a été lancée avec la même université afin de réfléchir à la mise en place d’un projet pilote de maison de transition ou de désistance.
Toujours en termes de recherche, une étude de cinq ans est menée par l’administration afin de posséder des données objectives sur la surveillance électronique et de mesurer son efficacité sur le taux de récidive et de réincarcération.
A la suite des attentats terroristes du 22 mars 2016, un Centre d’aide et de prise en charge de toutes personnes concernées par le radicalisme et les extrémismes violents (CAPREV) a été mis en place en janvier 2017. Il s’inscrit dans le réseau de prise en charge des extrémismes et radicalismes menant à la violence mis en place par la Fédération Wallonie-Bruxelles (Réseau anti-radicalisme ou RAR).
A côté du Centre d’appui aux services et opérateurs (dépendant du Service général de la Fédération WallonieBruxelles), le CAPREV a pour mission de prendre en charge individuellement les personnes touchées par ces phénomènes. Il s’agit d’un service destiné autant au grand public qu’aux administrations des niveaux de pouvoirs divers. Le CAPREV est un lieu d’écoute fournissant une aide et une prise en charge individualisée. Outre les nombreux chantiers déjà lancés, de nombreux défis restent à relever. D’autres réflexions sont encore à mener au sein même de l’AGMJ, d’autre sont à mener en concertation avec le pouvoir fédéral.
Ainsi, en collaboration avec la magistrature et le SPF Justice, une réflexion pourrait être lancée à propos des conditions de libération des justiciables. Afin d’atteindre l’objectif de réinsertion sociale des justiciables, il serait intéressant de laisser davantage de marge de manœuvre aux assistants de justice dans leur travail en considérant plutôt ces conditions comme des moyens que comme des fins en soi.
11 Accord de coopération du 23 mai 2014 entre l’Etat fédéral, la Communauté française et la Région wallonne en vue de créer une politique carcérale cohérente dans le respect des compétences des entités fédérées et de l’autorité fédérale.
12 donnercette opportunité afin ice.utte contre la récidive!et encore, de manière raisonnablermination du quantum de l’ www.victimes.be
13 https://wcd.coe.int/ViewDoc.jsp?p=&Ref=CM/Rec(2010)1&Language=lanFrench&Ver=original&Site=CM&BackColorInternet=C3C3C3&BackColorIntranet=EDB021&BackColorLogged=F5D383&direct=true. de donnercette opportunité afin ice.utte contre la récidive!et encore, de manière raisonnablermination du quantum de l’
Une autre réflexion pourrait être menée afin de réinvestir la mission d’accueil de première ligne des Maisons de Justice. Outre les moyens humains et financiers qu’il s’impose d’augmenter, des discussions pourraient être menées afin de mieux préciser ce qu’est l’aide de première ligne et d’améliorer son articulation avec l’aide de seconde ligne.
5. Conclusion
Au fil des années, les Maisons de Justice se sont, dans une certaine mesure, éloignées des objectifs qui leur avaient été initialement attribués.
La sixième réforme de l’Etat offre l’opportunité d’apporter certains rectificatifs.
En termes de cohérence tout d’abord, les transferts de compétences intervenus en 2014 ont réuni tous les partenaires directement concernés dans le giron de la Fédération Wallonie-Bruxelles. L’optimalisation de la coordination et de la collaboration était d’ailleurs l’un des premiers chantiers entrepris par le Ministre Madrane à travers l’adoption du décret dit « Partenariat ». La communautarisation devrait faciliter la conclusion de collaborations entre différents acteurs concernés.
Par ailleurs, a pu constater que la dernière réforme institutionnelle a ouvert de nombreuses perspectives, que ce soit en termes de méthode de travail ou de cadre de travail. Dans cette optique, on a exposé les différents groupes de travail qui ont été mis en place afin de repenser la manière d’apporter de l’aide aux justiciables. Il sera donc impératif de garder à l’œil les conclusions qui découleront de ces réflexions.
S’il est illusoire de penser que, dans l’immédiat, la communautarisation de ces compétences apportera un changement drastique dans la matière, la sixième réforme de l’Etat ouvre toutefois de nombreuses perspectives positives. Il est impératif de saisir de cette opportunité afin de donner, à l’échelle de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de ses compétences, un nouvel élan aux Maisons de Justice.
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RÉSUMÉ
Le 1er juillet 2014, les Maisons de Justice, l’aide juridique de première ligne et le Centre national de surveillance électronique ont été transférés par l’Etat fédéral aux Communautés. Simultanément, la Fédération Wallonie-Bruxelles s’est vu investie, aux termes des accords de la Sainte-Emilie, de la compétence relative aux services d’aide aux justiciables et aux victimes, ainsi qu› aux espacesrencontres. Autant de compétences essentielles qui relèvent désormais d’une unique autorité, l’Administration général des Maisons de Justice.
Ce réagencement institutionnel fondamental constitue à la fois un important défi et une réelle opportunité de permettre aux Maisons de Justice d’assumer la mission, qui leur avait été assignée à la suite de l’affaire Dutroux, d’incarner une Justice à visage humain et d’en rapprocher le justiciable.
Le présent Etat de la question de l’IEV établit un état des lieux des missions assumées par les Maisons de Justice pour ensuite mettre en avant les principaux changements survenus suite à la sixième réforme de l’Etat et, enfin, esquisser les perspectives ouvertes par la communautarisation de la matière.
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