la question de l'avortement du XXeme siecle a nos jours-2019

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ETAT DE LA QUESTION

LA QUESTION DE L’AVORTEMENT DU XIXEME SIECLE A NOS JOURS

Jean

DÉCEMBRE 2019

ER Gilles Doutrelepont13 Bd de l’Empereur1000 Bruxelles
LEFEVRE
SOMMAIRE 1. INTRODUCTION 3 2. L’AVORTEMENT EN BELGIQUE DU XIXEME SIECLE A LA LIBERATION SEXUELLE 3 3. LES PLANNINGS FAMILIAUX, LA REVOLUTION SEXUELLE ET LA RUPTURE DU TABOU 5 4. LA PROPOSITION CALEWAERT (1971) 6 5. L’ENLISEMENT POLITIQUE SUITE A LA « TREVE » DES POURSUITES JURIDIQUES (1973-1978) 7 6. LA MOBILISATION CITOYENNE CONTINUE 8 7. LA REACTION DES AUTORITES JUDICIAIRES 9 8. VERS UN COMPROMIS 10 9. LA LOI DE 1990 ET L’INTERVENTION DU ROI BAUDOUIN 10 10. DE LA LOI DEPENALISANT PARTIELLEMENT L’AVORTEMENT A AUJOURD’HUI 12 11. LA NOUVELLE PROPOSITION DE LOI 13 12. LES ARGUMENTS DES OPPOSANTS A CETTE LOI 14 13. CONCLUSIONS 14

1. INTRODUCTION

Le 3 avril 1990, le Parlement adopte une loi dépénalisant (partiellement) l’avortement. L’adoption de cette loi constitue un immense soulagement pour de nombreuses femmes et acteurs de la santé, tant l’avortement était une réalité en Belgique, malgré son interdiction. Le refus inattendu du roi d’apposer sa signature sur ce texte, alors qu’un compromis était négocié, marque la dernière péripétie s’inscrivant dans une longue histoire de rebondissements et de blocages politiques face aux revendications dans ce domaine. Cet épisode de l’histoire de la lutte contre l’avortement souligne combien chaque avancée a été le fruit d’importantes mobilisations, provenant de mouvements féministes, d’acteurs de la santé, d’hommes politiques courageux allant parfois à l’encontre de leurs partis, …

Moins de trente ans plus tard, il est apparu nécessaire à certains partis de revoir attentivement les conditions requises pour pouvoir procéder à une interruption volontaire de grossesse (IVG) en Belgique. Des conditions qui, faut-il le rappeler, sont en réalité des concessions faites en 1990 aux opposants à l’IVG. De nombreuses revendications, soulevées depuis les années 1970, restent en effet d’actualité. Si l’interruption volontaire d’une grossesse relève d’un acte médical, que fait celui-ci dans le code pénal ? Pourquoi les ventres des femmes sontils pris dans un processus de type judiciaire ? Pourquoi l’avortement n’est-il pas envisagé sous l’angle de la santé publique, d’une part, et sous celui de l’égalité, de l’autonomie des femmes, sujets de droit, d’autre part ?

Différents partis viennent dans ce but de cosigner une proposition de loi visant à sortir l’IVG du code pénal, sur base d’une proposition du PS. Mais quel a été le rôle des différents partis dans ce combat ayant fortement marqué et divisé l’histoire politique de ces cinquante dernières années ?

2. L’AVORTEMENT EN BELGIQUE DU XIXEME SIECLE A LA LIBERATION SEXUELLE

Le cadre légal belge en matière d’avortement a dépendu jusqu’en 1990 d’une loi écrite en 18671, selon laquelle l’avortement était considéré comme un crime contre « l’ordre des familles et la moralité publique ». Si la loi ne considérait pas l’avortement comme un infanticide, elle n’en demeurait pas moins très sévère envers la femme qui avortait, l’avorteur(se) et « ses complices ». Des peines de prison allant de 2 à 10 ans pouvaient être prononcées selon qu’il s’agissait de la femme avortée ou d’un médecin. A cette illégalité s’adjoint ensuite une condamnation de l’Eglise. En 1869, le pape Pie IX assimile l’avortement à un meurtre et le déclare passible d’excommunication.

Ces punitions ne font pas disparaitre les avortements pour autant. Outre l’élément humain (« les foudres de la justice » et de la répression sont peu efficaces dans les cas de désespoir) se rajoute un « besoin » de limiter les naissances au XIXème siècle. Une grossesse non désirée est considérée comme un sérieux obstacle, étant donné que la mère est considérée, dans les familles ouvrières, comme une (maigre) source de revenus pour la famille, tandis que la dure société industrielle impose une forte mobilité des travailleurs.

Illégal ou non, l’avortement est très largement répandu en Belgique de la fin du XIXème siècle à la première moitié du XXème siècle. Il est clandestin et donc dangereux. La loi, malgré sa sévérité et la prédominance du Parti catholique au gouvernement entre 1884 et 1914, est somme toute peu appliquée à cette époque. Seules 0,15% des condamnations ont trait à des questions d’avortements entre 1900 et 1940. Les condamnés sont le plus souvent dénoncés par des connaissances, preuve que les autorités restent souvent indifférentes à la question. Les procès sont par ailleurs souvent « correctionnalisés », tandis que le corps médical n’est pas inquiété. La loi prévoit en effet un « échappatoire » pour les médecins : il doit y avoir une intention criminelle lors de l’avortement pour pouvoir être condamné.

L’Europe connait une forte dénatalité entre 1880 et la Première Guerre Mondiale. Si celle-ci s’explique notamment en raison du développement des techniques anticonceptionnelles2, l’avortement constitue l’une des autres causes de celle-ci : Les avortements étaient très nombreux et des historiens estiment que la proportion était d’un avortement pour quatre grossesses (menées à terme) entre 1900 et 19403

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1 Articles 348 à 353 du Code pénal. 2 Le coït interrompu se généralise, de même que les préservatifs, les « lavements intimes » et, plus tard, la méthode Ogino. 3 Karen Celis, Abortus in België tussen 1880 en 1940. In : Belgische Tijdschrift voor Nieuwste Geschiedenis, XXVI, 1996, 3-4, p. 203.

Sans parler du bienfait de la stérilisation progressive des instruments, l’avortement se généralise (les historiens parlent d’une révolution de l’avortement au 19ème siècle4) par l’amélioration des techniques médicales et par le fait que celles-ci deviennent facilement utilisables, aussi bien par des avorteurs « professionnels » que par des gens sans formation médicale. De nouveaux médicaments abortifs, à base de quinine, apiol, arsénique ou phosphore, sont également proposés à partir de la Première Guerre Mondiale. L’avortement devient donc une opération comportant moins de dangers qu’auparavant.

Fait frappant, les sages-femmes deviennent aussi progressivement des avorteuses. La baisse du taux d’occupation des accoucheuses indique que certaines d’entre elles voient dans l’avortement une source de revenus supplémentaires. Le Hainaut est par exemple la province belge où le taux natalité est le moins important en Belgique entre 1880 et 1920, mais où l’on trouve, paradoxalement, le plus de sages-femmes5

La grande accessibilité des avortements se trouve renforcée par le développement des moyens de communication. Si de nombreuses femmes trouvent des avorteuses via le bouche à oreille, il est intéressant de constater que les journaux comportent, presque quotidiennement, non seulement des réclames pour toutes sortes de « pilules pour dames pour faire revenir les règles », mais également des publicités pour des sages-femmes « de confiance » et « spécialisées dans les retards ». Ces faiseuses d’anges se trouvent principalement dans les villes et près des gares. Il existe également des pensions, adaptées à toutes les classes sociales, où des femmes pouvaient rester de longues durées en cas de complications (pour des avortements tardifs par exemple). Les annonces se trouvent principalement dans les journaux libéraux (L’Etoile Belge, La Flandre Libérale, Le Soir), socialistes (Le Peuple, Vooruit) et, dans une moindre mesure, catholiques (Het Volk, Le Bien Public). Les journaux libéraux proposent des publicités pour des services (plus onéreux) tandis que les journaux socialistes montrent principalement des annonces pour des pilules abortives, financièrement plus accessibles. Si les journaux libéraux et socialistes font incontestablement preuve de tolérance par rapport aux journaux catholiques, les historiens ne savent pas s’ils acceptent ces annonces par engagement politique.

L’avortement touche toutes les classes sociales. Les instruments (sondes et cathéters) sont peu coûteux et s’achètent en pharmacie. Les prix demandés pour un avortement sont également peu élevés. La différence entre classes sociales se situe avant tout au niveau de la qualité du traitement : les femmes issues de la bourgeoisie se rendent chez un médecin ou dans une « pension à la campagne », tandis que les femmes plus démunies peuvent aller, à peu de frais, chez une sage-femme, ou une avorteuse sans formation médicale. L’autre différence sociale se situait au niveau de la justice : 92% des femmes condamnées appartiennent aux classes sociales les plus pauvres6

L’avortement, vu son ampleur, déclenche évidemment de violentes réactions du monde catholique. En 1909, dans une lettre pastorale du cardinal Mercier intitulée Les devoirs de la vie conjugale, l’épiscopat belge dénonce l’avortement. C’est le début d’une véritable campagne, dont Charles Woeste7 prend l’initiative, et qui débouche sur la loi de 1923. L’hécatombe causée par la Première Guerre Mondiale, cumulée à une peur de la dénatalité, incite le Parti Catholique à déposer en 1923 une loi interdisant toute publicité pour des moyens contraceptifs et abortifs8. Cette loi tend à réaliser des objectifs nettement natalistes, et à promouvoir la doctrine catholique refusant de dissocier mariage, procréation et sexualité.

Les annonces dans les journaux disparaissent effectivement, mais les interruptions volontaires de grossesses restent, malgré tout, très nombreuses et peu condamnées en Belgique pendant la période de l’entre-deux-guerres (on retrouve même trace de cliniques spécialisées).

Il est à noter que, sans compter quelques « électrons libres » militants en leur sein (principalement des femmes), tant le Parti Libéral que le Parti Ouvrier Belge restent indifférents à la question de l’avortement jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale. Par exemple, lorsque le Parti Catholique essaye d’imposer en 1923 la loi contre la publicité pour les moyens anticonceptionnels, les socialistes y voient surtout une tentative des catholiques tendant à mêler le droit canon au droit pénal9, tandis que les libéraux restent indifférents.

Les idées défendant l’avortement prennent cependant de plus en plus de place dans les milieux de gauche, de

4 Karen Celis, op. cit., p. 202.

5 Karen Celis, op. cit., p. 214.

6 Karen Celis, op. cit., p. 233.

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Charles Woeste (1837-1922) est à cette époque le « chef » (conservateur) du Parti Catholique. 8 Loi Carton de Wiart du 23/06/1923 (trois derniers alinéas de l’article 383 du code pénal). 9 Voir à ce sujet l’intervention d’Emile Vandervelde à la Chambre (Annales parlementaires du 23/03/1922).

libres penseurs et maçonniques. Ces derniers dénoncent surtout l’hypocrisie du système face à la dangerosité des avortements clandestins. Les mouvements féministes exigent, de leur côté, une maîtrise de leurs corps ainsi que la « maternité par choix »10. Les Femmes Prévoyantes Socialistes mènent, par exemple, à partir de 1933 un combat en faveur de la « parenté responsable ». Les femmes sont parfois écoutées et des voix masculines commencent à demander une légalisation de l’avortement. Les docteurs Geert Grub et Marc Lanval, deux sexologues que l’on pourrait qualifier de féministes, plaident ainsi ouvertement, dans une revue progressiste Lumière et Liberté, en faveur d’une légalisation limitée de l’avortement, et ce dans les conditions spécifiques que l’on retrouve, à peu de choses près, dans la loi belge sur l’avortement en 199011

3. LES PLANNINGS FAMILIAUX, LA REVOLUTION SEXUELLE ET LA RUPTURE DU TABOU

Les premiers plannings familiaux, créés entre 1955 et 196212 se donnent à l’origine pour intention d’informer la population quant aux bienfaits des moyens de contraception. L’urgence est de faire face à la décision des pouvoirs publics de maintenir la législation contre la publicité des moyens de contraception (loi Carton de Wiart de 1923 précitée), soit une mesure touchant essentiellement les populations vivant dans la précarité. Si ces campagnes de prévention sont en théories interdites, les plannings familiaux les considèrent malgré tout comme le meilleur remède à l’avortement clandestin. Les Femmes Prévoyantes Socialistes fondent également leurs propres centres de planning et le contrôle des naissances se développe dans les maternités. Confrontés à des situations familiales et personnelles dramatiques, les plannings familiaux contestent ensuite progressivement l’hypocrisie de la politique belge en matière d’avortement13 et, plus tard encore, rejoignent les associations féministes, les hommes politiques progressistes ainsi que les mouvements de contestation issus de mai 196814

Fait à ne pas sous-estimer, les premières véritables contestations en faveur de l’avortement, à la fin des années soixante, font irruption au moment même où la pilule contraceptive fait son apparition15. Ces mouvements ébranlent l’idéologie qui rejette la sexualité dans la honte et la culpabilité. Les femmes revendiquent l’avortement comme un droit à disposer librement de leur corps16. C’est à cette époque (en 1967) que des pays comme l’Angleterre légalisent l’avortement jusqu’à 28 semaines17. Considéré parfois comme un débat essentiellement éthique, les défenseurs de l’avortement rappellent qu’une interruption volontaire de grossesse signifie, pour beaucoup de femmes, la peur de se faire emprisonner, d’importants frais financiers (les médecins demandant parfois l’équivalent de un à deux mois du salaire moyen), l’obligation d’aller à l’étranger, ou pire, de risquer sa vie dans des avortements clandestins opérés dans de très mauvaises conditions d’hygiène. Cette peur ne touche pas uniquement les femmes, elle s’étend au monde médical qui prend des risques pour les aider. Les femmes sont donc rejointes par des médecins qui estiment que l’avortement est également un débat de santé publique en raison des complications survenues lors d’accouchements clandestins. La justice est, en effet, vigilante à l’époque et on relève, par exemple, de six à treize jugements et de quinze à cinquante-huit condamnations par an dans la jurisprudence du tribunal de Bruxelles entre 1965 et 197018.

En mars 1970 a lieu à Bruxelles un impressionnant procès réunissant une cinquantaine de prévenus (avorteurs, avortées, complices) défendus par une trentaine d’avocats. Ce procès provoque un retentissement très important dans la presse et l’opinion publique. La Société Belge pour la Légalisation de l’Avortement, la première du genre, est créée peu de temps après, à l’initiative de personnalités des milieux médicaux et judicaires (regroupant environ 500 personnes).

La peur de la répression se dissipe et les partis politiques se voient contraints d’envisager la modification des dispositions pénales en raison de la contradiction entre la loi de 1867 et le respect de celle-ci. En effet, devant une situation de fait (l’avortement est pratiqué dans des centres), le ministre socialiste de la Santé publique Gustaaf

10 Emilie Claeys, cheffe du mouvement socialiste et féministe flamande demandait, dès 1894, de laisser le choix de la maternité aux femmes.

11 Karen Celis, op. cit., pp. 201-240.

12 La Belgische Vereninging voor Seksuele Voorlichting et La Famille heureuse à Saint-Josse-ten-Noode en 1962. La Famille heureuse est créée à Bruxelles grâce à l’aide financière du Droit Humain et avec l’aide de médecins de l’ULB.

13 Ils se rassemblent en 1970 au sein de la Fédération Belge pour le Planning Familial et l’Education Sexuelle.

14 Soulignons encore le rôle du Centre d’Action Laïque, créé en 1969, qui prend des positions importantes contre l’avortement et présente une proposition de projet de loi voulant tenir compte de la réalité sociale plutôt que d’une morale religieuse.

15 Dès 1961, les hôpitaux universitaires de Bruxelles, Gand et Liège forment les médecins aux techniques contraceptives.

16 B. Marques-Pereira, L’interruption volontaire de grossesse : un processus de politisation 1970-1981 (I). In : Courrier hebdomadaire du CRISP, n°923, Bruxelles, 1981, p. 3.

17 B. Marques-Pereira, L’interruption volontaire de grossesse : un processus de politisation 1970-1981 (I), op. cit., p. 8.

18 Sortir l’avortement du code pénal belge. Actes des colloques, Centre d’Action Laïque, Bruxelles, 2017-2018, p. 20. Voir le document disponible sur internet : https://www.laicite.be/app/uploads/2018/01/sortir-l-avortement-du-code-penal-actes-des-colloques-2018.pdf

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Breyne décide (à l’initiative de Monique Rifflet19) d’agréer et de subventionner à partir de 1970 les « centres de consultation pré-matrimoniales, matrimoniales et familiales », malgré le fait que l’avortement est toujours considéré comme un acte pénalement répréhensible20

4. LA PROPOSITION CALEWAERT (1971)

Les socialistes sont les premiers à déposer une proposition de loi visant à modifier la législation sur l’avortement. La proposition du sénateur socialiste Willy Calewaert21, le 18 février 1971, a le mérite d’être la première tentative vers un assouplissement de la loi. Toutefois, elle n’accorde à la femme que peu d’autonomie dans sa prise décision : l’avortement ne constitue pas une infraction à condition de soumettre le cas préalablement à deux ou trois médecins (selon qu’il s’agit de raisons médicales ou sociales). Cette procédure pesante a pour but implicite d’infléchir la décision de la femme, de la dissuader de pratiquer l’avortement. La proposition de loi est rejetée par les milieux progressistes, à l’image des Femmes Prévoyantes Socialistes qui réclament dès 1971 la pleine responsabilité de la femme dans la prise de cette décision. Face à l’échec de la proposition de loi, le ministre de la Justice Alfons Vranckx (socialiste), se rend compte que ses tentatives de médiations pour faire passer la loi, sont vaines22

Différents organes, à l’exemple de la Commission des Femmes de la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB)23, des universités comme l’Université libre de Bruxelles (ULB) ou des associations professionnelles comme les Juristes démocrates, se regroupent le 11 novembre 1971, avec la dépénalisation de l’avortement comme seule revendication. Ce groupe utilise tous les moyens de pression : manifestation, distribution de tracts précisant aux femmes où elles peuvent se faire avorter, pétitions contre les poursuites judiciaires, … L’envoi d’un manifeste aux différents partis politiques obligera ces derniers à se prononcer publiquement sur la question de la dépénalisation avant les élections anticipées du 10 mars 1974.

L’AFFAIRE PEERS ET LA POLITISATION DE L’AVORTEMENT

Accusé d’avoir pratiqué un avortement sur une jeune handicapée mentale24, le gynécologue-obstétricien Willy Peers25, réalisant des avortements à la Maternité provinciale de Namur, est arrêté le 18 janvier 1973. La mobilisation déclenchée par l’arrestation du docteur Peers constitue un tournant dans la lutte pour la légalisation de l’avortement. L’aspect spectaculaire de la répression commence à faire l’objet de prises de positions passionnées, tant du côté laïque que du côté catholique, entre francophones ou néerlandophones. « C’est dans ce contexte chaotique, marqué par un désordre judiciaire important (…) que va naître la politisation de l’avortement »26

L’affaire Peers donne en effet un coup de fouet aux revendications, et différentes propositions de loi sont déposées à partir du 20 février 1973, visant toutes à suspendre les poursuites judiciaires pendant un certain laps de temps (généralement trois ans) ou jusqu’à ce que le Parlement modifie la loi. Au moment de l’arrestation du docteur Willy Peers, alors que le congrès du Parti Socialiste Belge (PSB) choisit de participer à une nouvelle équipe gouvernementale, le bureau du PSB affirme sa solidarité avec le médecin et réclame une modification de la législation. En juillet 1973, un avant-projet de loi élaboré par le Ministre Herman Vandepoorten (PVV) est approuvé en Conseil des Ministres. Jugé trop restrictif par les socialistes, le projet est immédiatement abandonné. Une proposition de loi, demandant une libéralisation totale de l’avortement, est ensuite déposée le 7 novembre 1973 par le sénateur socialiste Marc-Antoine Pierson27. Cette proposition vise à autoriser l’avortement dans les 12 semaines qui suivent la conception, sur simple décision de la femme. D’autres propositions sont proposées la même année, déposées par la communiste Noëlla Dinant (le 21 décembre 1973) et le libéral Basile Risopoulos (le 20 janvier 1973).

19 Monique Rifflet (1923-2012) : sénatrice socialiste, professeure d’histoire à l’athénée d’Uccle, fondatrice du planning familial La Famille Heureuse à Saint-Josseten-Noode. B. Marques-Pereira, L’interruption volontaire de grossesse : un processus de politisation 1970-1981 (I), op. cit., n°923, p. 3.

20 Marie-Noëlle Coetsier, 20 ans d’une loi mais 40 ans de lutte. In : Chronique féministe, Bruxelles, n°105, 2010, p. 5.

21 Willy Calewaert (1916-1923) : docteur en droit de l’Université de Gand, résistant pendant la guerre, sénateur socialiste, ministre de l’Enseignement, puis de la Fonction publique

22 B. Marques-Pereira, L’interruption volontaire de grossesse : un processus de politisation 1970-1981 (I). In : Courrier hebdomadaire du CRISP, n°923, Bruxelles, 1981, p. 13.

23 Elle se prononce dès 1971 en faveur de la réforme de la loi, permettant une adhésion par après de l’ensemble du syndicat.

24 Bernard Mouffe, Le droit à la mort, Bruylant, Bruxelles, 2019, p.232

25 Willy Peers (1924-1984) : ancien résistant, membre du Parti Communiste, gynécologue et directeur de la Maternité provinciale de Namur depuis 1959, libre-penseur et ardent défenseur d’une médecine sociale et de la « parenté contrôlée ». Sources : Le Soir, 01/04/2010.

26 Marie-Noëlle Coetsier, op. cit., p. 5.

27 Gisèle barbier, Avortement-la situation en Belgique. In : Notes de documentation, Institut Emile Vandervelde, n° 9, Bruxelles, 1976, p. 6.

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5. L’ENLISEMENT POLITIQUE SUITE A LA « TREVE » DES

POURSUITES JURIDIQUES (1973-1978)

Soucieux d’apaiser l’importance des revendications, le Premier ministre Léo Tindemans, social-chrétien flamand, annonce, dans sa déclaration gouvernementale d’avril 1974, la création d’une « Commission Nationale pour les Problèmes Ethiques »28. Il demande parallèlement une trêve parlementaire pendant toute la durée des travaux de la commission, qui dureront deux ans (1974-1976), empêchant donc toute nouvelle initiative législative (sa composition est en outre vivement critiquée par les milieux progressistes29). Malgré cette esquisse de solution et malgré le désir du gouvernement de mettre en veilleuse la question de l’avortement, le sénateur socialiste Pierson dépose le 15 mai 1974 une nouvelle proposition de loi, en tous points similaires à celle qu’il avait déposée sous le gouvernement précédent. Mais cette proposition n’est suivie d’aucun vote : « en effet, un débat à ce propos risquait à tous moments de remettre en cause une majorité qui était déjà des plus précaires »30 .

Le ministre libéral de la Justice, Herman Vanderpoorten, obtient, en juin 1974, des procureurs généraux des cinq arrondissements judiciaires du pays un moratoire d’une durée de quatre ans en matière de poursuites pour faits d’avortement.

Le 26 juin 1976, la Commission d’éthique remet un avis partagé : treize membres se prononcent pour la modification de la loi, douze contre. La commission était censée produire un seul rapport, mais elle va produire un rapport majoritaire et une note de minorité, note qui refuse toute avancée sur l’interruption volontaire de grossesse. L’impasse gouvernementale demeure tandis que de nombreuses femmes et autant d’associations descendent dans la rue. La même année, les comités de dépénalisation de l’avortement, dits « comités Peers », sont créés dans le but d’aider les femmes qui ont subi un avortement, mais aussi de provoquer une réaction des pouvoirs publics et des milieux médicaux.

A partir de 1977 (Gouvernement Tindemans II), les gouvernements successifs décident de retirer la question de l’avortement au moment des formations des coalitions gouvernementales31, tandis que les gouvernements constitués renoncent à tout projet en la matière et laissent l’initiative au Parlement. L’avortement devient ainsi un sujet « hors compromis », de manière à préserver l’existence des coalitions gouvernementales32

Cette « stratégie » va de pair avec celle des sociaux-chrétiens, qui adoptent dès 1974 une politique de nondécision en s’opposant au dépôt de tout projet de loi en matière d’avortement, et en « globalisant » ce dossier avec d’autres questions connexes, telles l’adoption ou l’anonymat de la mère33. Le seul « gage de bonne volonté » des sociaux-chrétiens est constitué par l’acceptation de l’abrogation en 1973 de la loi Carton de Wiart concernant la publicité des moyens contraceptifs.

La question de l’avortement fait l’objet de nombreux débats aux Parlement et l’immobilisme des sociaux-chrétiens incite différents partis à déposer des projets de loi. Les libéraux, plutôt divisés entre leur aile francophone et néerlandophone, déposent tout d’abord des projets de loi34 assez restrictifs (laissant l’avortement punissable), puis, prévoient la suspension des articles punissant le corps médical (à condition que l’avortement ait lieu en milieu hospitalier). Les petits partis (FDF35 et PCB36) vont plus loin et déposent des projets de lois demandant la dépénalisation partielle de l’avortement endéans les 12 semaines37. Les socialistes déposent en cinq ans, de juillet 1977 à mars 1982, six propositions de loi visant, soit à modifier la législation relative à l’avortement, soit à

28 Cette commission est créée par arrêté royal le 13/12/1974 et installée le 23/01/1973.

29 Les milieux progressistes estimaient que la commission était trop « technocratique » et que la majorité des personnalités présentes étaient loin de présenter un courant novateur (manque de représentants des organisations sociales, composition unique d’universitaires éloignés de la vie quotidienne). Sources : Gisèle Barbier, op. cit., p. 7.

30 Gisèle barbier, op. cit., p. 8.

31 Sortir l’avortement du code pénal belge. Actes des colloques, Centre d’Action Laïque, Bruxelles, 2017-2018, p. 25. Voir le document disponible sur internet : https://www.laicite.be/app/uploads/2018/01/sortir-l-avortement-du-code-penal-actes-des-colloques-2018.pdf

32 Berengère Marquès-Pereira, L’interruption volontaire de grossesse: un processus de politisation 1970-1981 (II), op. cit., pp. 2-6.

33 Eliane Gubin, Avortement. In : Encyclopédie d’histoire des femmes (Belgique XIX-XXèmes siècles), Racine, Bruxelles, 2018, pp. 55-59.

34 Proposition de loi J. Pede du 20/01/1977, proposition de loi Herman-Michielsens du 11/01/1978, proposition de loi Risopoulos du 29/06/1978, proposition de loi Herman-Michielsens du 20/03/1981

35 Le FDF dépose des projets de loi, fruits d’initiatives personnelles, proposant la dépénalisation partielle de l’avortement : proposition Payfa déposée au Sénat le 11/05/1979, proposition Risopoulos rejetée par la Commission justice de la Chambre le 24/06/1981.

36 Les communistes déposent trois projets de lois entre 1977 et 1981 : proposition de loi Levaux et Van Geyt en 1978, proposition de loi Dinant du 05/03/1981, proposition de loi Renard-Dussart du 23/04/1981.

37 B. Marques-Pereira, L’interruption volontaire de grossesse : un processus de politisation 1970-1981 (II), op. cit., pp. 36-38.

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suspendre les poursuites et/ou les articles du code en attendant une réforme de la législation. Pris en considération, les textes sont toutefois considérés comme trop radicaux aux yeux de la majorité, et systématiquement rejetés38 :

La proposition de loi Pierson (PSB) du 7 juillet 1977 (identique à celles des 7 novembre 1973 et 15 mai 1974)39

La proposition Detiège (BSP)-Brenez (PSB)-Adriaensens (BSP), déposée le 8 décembre 1977, propose la dépénalisation totale de l’avortement. Cette proposition provient en réalité du Centre d’Action Laïque40

La proposition de loi Lallemand (PS) et Payfa (FDF), déposée le 10 avril 1979, demande de suspendre les articles incriminés du code pénal pour trois ans afin de reconnaître et permettre la liberté de décision de la femme.

La proposition Detiège (SP)-Adriaensens (SP)-Brenez (SP) déposée le 16 mai 197941, « prise en considération » par la Chambre le 19 février 198142

La proposition Lallemand (PS)-Delmotte (PS)-Wijninckx (SP), déposée le 17 mars 1981, demandant la dépénalisation des actes médicaux.

La proposition Detiège (SP), rejetée par la Chambre le 4 mars 1982, vise à suspendre pendant deux ans les articles du Code pénal relatifs à l’avortement43.

Un changement s’opère lors des élections législatives du 17 décembre 1978. Le programme présenté par le Parti Socialiste mentionne clairement et pour la première fois, une volonté de dépénalisation. Le texte s’inspire en fait directement du manifeste du Groupe d’Action des Centres Extrahospitaliers Pratiquant l’Avortement (GACEHPA)44

« Il [le PS] considère (…) qu’il appartient à la femme et à elle seule, de prendre une décision (…), le recours à l’avortement doit résulter d’un choix qui relève de la conscience de chaque intéressée. C’est pourquoi il réclame la dépénalisation de l’avortement. L’interruption volontaire de grossesse doit être considérée comme un acte d’exercice de l’art médical et remboursé par la sécurité sociale »45. Les propositions de loi du PS se radicalisent et sont plutôt le fruit d’initiatives personnelles. Le remplacement au Sénat de Marc-Antoine Pierson par Roger Lallemand, un avocat soutenant depuis longtemps l’action des centres extrahospitaliers, marque l’influence croissante des femmes et des associations pour l’avortement au sein du Parti Socialiste46

Notons que le PS et le Parti Communiste sont les premiers partis politiques à prendre part à des manifestations pour le droit à l’avortement lors de la Journée d’Action Internationale pour la Contraception et l’Avortement le 31 mars 197947.

6. LA MOBILISATION CITOYENNE CONTINUE

En 1975, des centres extrahospitaliers commencent à pratiquer ouvertement des avortements « dans le but de provoquer une réaction des pouvoirs publics, du corps médical et de l’opinion publique, et de faire avancer ainsi les choses au niveau juridique »48. La création de ces centres provient d’un mouvement de désobéissance civile se basant sur deux postulats : l’émancipation de la femme et la santé publique. La première initiative provient du centre de planning « Aimer à l’ULB »49 en 1975. L’objectif est de combattre l’avortement clandestin et de permettre une prise en charge plus intime que dans un hôpital. Les plannings familiaux, réunis au sein de la FBPFES50, commencent alors à distribuer des brochures donnant des conseils aux femmes souhaitant se faire avorter, puis

38 Marie De Patoul, L’avortement en Belgique, Ecole Ouvrière Supérieure, Bruxelles, 1981, p. 15.

39 B. Marques-Pereira, L’interruption volontaire de grossesse : un processus de politisation 1970-1981 (II), op. cit., p. 33.

40 Morale Laïque, Fédération des Amis de la Morale Laïque, n°167, Bruxelles, 2010, p. 7.

41 Gouvernement Martens I.

42 B. Marques-Pereira, L’interruption volontaire de grossesse : un processus de politisation 1970-1981 (I), op. cit., p. 29. Ce projet est l’un des plus radicaux à l’époque. Il considère « qu’à notre époque, il n’est plus admissible d’instaurer un nouveau régime qui considère la femme comme légalement incapable et de lui imposer une décision, après que son problème, quand même très personnel, aura été discuté, examiné, et apprécié par d’autres, selon des critères qui ne sont pas les siens ? ».

43 Xavier Mabille, Le débat politique d’avril 1990 sur la sanction et la promulgation de la loi. In : Courrier hebdomadaire du CRISP, n°1275, Bruxelles, 1990, p. 22.

44 B. Marques-Pereira, L’interruption volontaire de grossesse : un processus de politisation

45 Programme du Parti Socialiste, 17/12/1978, pp. 68-70.

1970-1981 (II), op. cit., p. 35.

46 B. Marques-Pereira, L’interruption volontaire de grossesse : un processus de politisation 1970-1981 (II), op. cit., p. 35.

47 Fanny Filosof, L’avortement aujourd’hui en Belgique. In : Chronique féministe, n°46, Bruxelles, 12/1992-01/1993. Article cité dans Chronique féministe, n°105, 2010, p. 23.

48 Sylvie Lausberg, L’avortement et le code pénal en Belgique, 1867-2017, Centre d’Action Laïque, Bruxelles, 2017, p. 14. Ce dernier ouvrage cite une brochure du GACEHPA (La pratique de l’avortement en Belgique, 1981).

49 Le centre s’appelait à l’époque Information et Orientation du Couple

50 Fédération Belge pour le Planning Familial et l’Education Sexuelle.

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progressivement, prennent le risque de pratiquer des avortements en milieu non hospitalier. Les centres flamands, favorables à une dépénalisation de l’avortement, orientent quant à eux les demandes d’avortement vers les PaysBas51, l’Angleterre, ou vers les centres francophones52. Le CEVO, premier centre flamand opérant en milieu extrahospitalier, n’est créé qu’en 1980.

Une des conséquences directes de la création de ces centres est non seulement de pouvoir donner des chiffres précis sur les motivations des femmes à avorter (et démontrer que les avortements sont essentiellement liés à des raisons socio-économiques), et aussi de pouvoir quantifier avec plus de précision le nombre d’avortements en Belgique et à l’étranger53. Toujours est-il que le nombre d’hospitalisations, liées à des avortements clandestins, diminue drastiquement54

7. LA REACTION DES AUTORITES JUDICIAIRES

Le conflit se radicalise avec les autorités judiciaires à partir de 1978, lorsque des centres hospitaliers et des hôpitaux universitaires laïques revendiquent publiquement pratiquer des avortements. Ces « actions » contribuent à établir une situation de fait que ne peuvent plus ignorer ni le pouvoir politique, ni le pouvoir judiciaire. Une telle situation amène certains parquets à rompre la trêve et à reprendre les poursuites judiciaires en 1976, 1978 et 1981.

Révoltés par ce retour en arrière, les mouvements contre l’avortement s’organisent et demandent publiquement le développement d’une pratique, certes illégale, mais non plus clandestine :

En 1978, le Comité pour la Suspension des Poursuites judiciaires est créé, par Monique Rifflet et Monique Van Tiechelen.

Les Comités pour la Dépénalisation de l’Avortement élaborent un manifeste. Par leur souscription, les signataires s’engagent à soutenir toute proposition de loi visant à dépénaliser l’avortement.

Crée en 1979, le Groupe d’Action des Centres d’extrahospitaliers pratiquant l’Avortement (GACEHPA55), se donne pour but d’offrir la protection des médecins poursuivis par la justice.

Lorsque, le 23 janvier 1981, Victor van Hosté, procureur général près de la Cour d’Appel de Bruxelles, annonce à Philippe Moureaux, ministre de la Justice, sa volonté de reprendre les poursuites, le Bureau du PS s’insurge et se déclare solidaire des femmes et médecins traduits devant les hôpitaux.

L’immobilisme des organes législatifs et exécutifs en matière d’avortement oblige les cours et tribunaux à prendre des mesures impopulaires. Les juges, tenus au respect de la loi, continuent à organiser la répression en se basant sur l’argument inhérent au principe de la séparation des pouvoirs d’un Etat de droit selon lequel le débat éthique ne concerne en rien la sphère judiciaire. Les condamnations sont nombreuses, médiatisées, et se terminent souvent par des acquittements.56

51 De nombreux centres pour avortements se situaient près des frontières étant donné que 70 % des femmes avortées aux Pays-Bas étaient étrangères. De manière assez paradoxale, si les Pays-Bas interdisaient totalement l’avortement, les juridictions ne poursuivaient plus les avortements depuis 1953, lorsque ceux-ci étaient pratiqués par le corps médical. L’avortement est légalisé aux Pays-Bas en 1981.

52 Gisèle Barbier, op. cit., p. 26.

53 On dénombre en 1979 : 3.000 avortements en hôpitaux, 3.800 en centres extrahospitaliers, 7.950 à l’étranger.

54 Le nombre d’hospitalisation à l’hôpital Saint-Pierre à Bruxelles passe, à titre d’exemple, de 120 unités par an en 1969, à 5 en 1979. Source : Note de la Commission (francophone) des Femmes-interpartis. Fonds des Archives Viviane Jacobs, IEV, boîte n°2.

55 Voir le site internet du GACEHPA : http://www.gacehpa.be/index.php/histoire

56 En 1982, par exemple, 28 inculpés dont 13 médecins et une psychologue sont poursuivis au cours du procès du docteur Hubinont. La plupart des femmes et des personnes qui ont aidé à un avortement obtiennent la suspension du prononcé pendant un an. Quant au docteur P.O. Hubinont, il est condamné, le 10 janvier 1983, à 18 mois de prison avec sursis de trois ans. Au même moment, Jean-Jacques Amy, chef du service de gynécologie de l’Academische Ziekenhuis de la Vrije Universiteit Brussel, est condamné à 4 mois de prison avec sursis. Finalement, six mois plus tard, le 30 juin 1983, la cour d’appel de Bruxelles acquitte les professeurs P.O. Hubinont et J. J. Amy, ainsi que dix-sept autres médecins, collaborateurs paramédicaux et parents. Si les peines sont relativement légères et toujours prononcées avec sursis, les femmes n’ont toujours pas leur mot à dire, elles dépendant toujours d’une société que l’on peut qualifier de patriarcale. C’est le règne de l’arbitraire. Voir : Sylvie Lausberg, L’avortement et le code pénal en Belgique, 1867-2017, Centre d’Action laïque, Bruxelles, 2017, p. 14.

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C’est pourtant grâce aux actions menées au sein des tribunaux que les premiers changements apparaîtront. La résistance des associations féministes et, entre autre le GACEHPA, vont se structurer pour organiser la défense des prévenus et accusés et ainsi amener le débat politique dans la sphère judiciaire.

8. VERS UN COMPROMIS

Malgré les premières initiatives politiques pour dépénaliser l’avortement, il continue de faire l’objet d’un blackout politique tout au long des années 1980. Les « familles chrétiennes » bloquent la légalisation de l’avortement pendant toute la durée des gouvernements Martens-Gol, alors que 90 % de la population belge y est favorable57 Acceptant tacitement cette position, la « famille » libérale fait preuve d’une certaine ambigüité. Si certaines factions du PRL militent pour la légalisation de l’avortement, la majorité du parti préfère « donner un gage en matière éthique » à la famille chrétienne… en échange d’une alliance sur la stratégie socio-économique de droite58

Si la « stratégie de non décision » de la majorité sociale-chrétienne (néerlandophone principalement) est souvent pointée du doigt, le blocage s’explique également en fonction des alliances politiques du moment (linguistiques et communautaires notamment), sans considérations philosophiques et éthiques par rapport à la question de l’avortement. Chaque nouvelle proposition pour régler la question de l’avortement se heurte à des frictions entre coalitions libérales et sociale-chrétiennes d’un côté, socialistes de l’autre.

Les socialistes, demandant des mesures radicales (comme la dépénalisation complète), bloquent de leurs côtés, les propositions « restrictives » des autres partis, afin de protéger la situation de fait développée par l’action des centres extrahospitaliers. Si cette mesure est positive pour les centres hospitaliers, elle empêche toutefois toute nouvelle proposition de loi59

Progressivement, un rapprochement des positions des libéraux (le PVV principalement60) vers les socialistes va s’opérer. Les socialistes atténuent leurs revendications pour parvenir à un compromis, en abandonnant la revendication du retrait total de l’avortement du Code pénal et en acceptant l’idée de délais différenciés. « Quant aux libéraux, ils s’accordent pour accepter la pratique médicale dont font preuve les centres extrahospitaliers et reconnaitre l’autonomie de décision des femmes »61

Ce rapprochement socialiste-libéral prend forme le 19 avril 1986 lorsque la proposition de loi, élaborée conjointement par Lucienne Hermann-Michielsens (PVV) et Roger Lallemand (PS) est acceptée en discussion au Sénat62

« Face à cette proposition, la résistance socio-chrétienne s’organise autour de deux propositions donnant à l’enfant à naître la personnalité juridique dès sa conception. Cependant, ces propositions n’aboutiront pas et l’on commence à observer l’apparition de fissures au sein du clan catholique, entre francophones et néerlandophones, entre PSC et CVP »63. En effet, le CVP, de même que le Vlaams Blok voteront unanimement contre la loi, tandis que les votes du PSC à la Chambre et au Sénat, seront caractérisés par cinq abstentions64

9. LA LOI DE 1990 ET L’INTERVENTION DU ROI BAUDOUIN

Le projet de loi Lallemand-Hermann-Michielsens est finalement voté au Sénat et à la Chambre avec une majorité confortable. La loi passe ensuite le cap du vote du gouvernement le 3 avril 1990, même s’il ne recouvre pas la

57 Carine Jansen., Dépénalisation de l’avortement - vingt an après In : Socialisme, 1988, n°207, p. 177.

58 B. Marques-Pereira, L’interruption volontaire de grossesse. In : Courrier hebdomadaire du CRISP, n°1127, Bruxelles, 1986, p. 14.

59 B. Marques-Pereira, L’interruption volontaire de grossesse : un processus de politisation 1970-1981 (II). In : Courrier hebdomadaire du CRISP, n°930-931, Bruxelles, 1981, p. 39.

60 Xavier Mabille, Le débat politique d’avril 1990 sur la sanction et la promulgation de la loi. In : Courrier hebdomadaire du CRISP, n°1275, Bruxelles, 1990, p. 22.

61 Sylvie Lausberg, op. cit., p. 14.

62 La loi est contresignée par Robert Henrion (PRL), Monique Rifflet (PS), Jos Wijninckx et Paul Pater (SP), J.-F. Vaes (Ecolo), Magda Alvoet (Agalev) et Jacques Lepaffe (FDF). Elle est examinée entre le 26/11/1986 et le 07/07/1987 au cours de 17 réunions réunies des commissions Justice et Santé publique et de l’environnement. Par suite de la dissolution des chambres le 08/11/1987, l’examen de la proposition est interrompu. Sources : Xavier Mabille, Le débat politique d’avril 1990 sur la sanction et la promulgation de la loi. In : Courrier hebdomadaire du CRISP, n°1275, Bruxelles, 1990, p. 5.

63 Marie-Noëlle Coetsier, op. cit., p. 6.

64 Xavier Mabille, Le débat politique d’avril 1990 sur la sanction et la promulgation de la loi, op. cit., p. 14.

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même majorité.

La loi a fait l’objet de nombreuses concessions de la part des socialistes, des libéraux et des associations défendant l’avortement. Des amendements, aujourd’hui remis en cause, sont toutefois adoptés afin de contenter l’opposition :

Le délai pour pratiquer un avortement est revu à la baisse, passant de 15 semaines de grossesse, comme le prévoyait la proposition de loi, à 12 semaines65 (soit 14 semaines d’aménorrhées)66

Un amendement impose également la notion de « détresse » comme condition pour pouvoir avorter, comme si la détermination d’une femme à avorter était illogique67. L’amendement maintient dès lors le déni d’autonomie de décision des femmes. Autre fait marquant, le personnel médical pratiquant les avortements est obligé, selon la loi, de porter à la connaissance de la femme enceinte qu’elle peut bénéficier d’aides sociales si elle « garde son enfant », ou même le confier à l’adoption. L’avortement est par conséquent considéré comme la pire des solutions.

Un délai de six jours est exigé entre la prise de contact avec le médecin et l’avortement proprement dit, comme si la femme demandait un acte irréfléchi. Le recours à l’IVG reste par conséquent marqué par la culpabilisation des femmes.

L’article 2 de la loi stipule encore l’obligation faite au médecin « d’informer la femme des risques médicaux actuels ou futurs qu’elle encourt suite à une IVG »… Alors qu’il n’y a pas de réelle base scientifique à cette affirmation68

La loi reste dans une logique de répression pénale envers les équipes médicales et les femmes. Si l’ensemble des conditions de la dépénalisation partielle ne sont pas respectées, les sanctions prévues peuvent aller d’une amende et d’un emprisonnement de trois mois à un an pour le médecin, et d’une amende et d’un emprisonnement d’un mois à un an pour la femme.

L’avortement est toujours, sous le regard du droit, inscrit dans le Code pénal comme « délit contre l’ordre des familles et la moralité publique »69. Cette notion indique qu’il s’agit toujours, dans l’esprit du législateur, d’une question morale et non d’une question de santé publique.

Enfin, une Commission Nationale d’Evaluation, devant rendre rapport tous les deux ans au Sénat, est imposée et installée le 2 septembre 199170. Issue de la volonté des sociaux-chrétiens francophones, l’intention est de pouvoir, le cas échéant, dénoncer une hausse spectaculaire des avortements en Belgique (ce qui n’a jamais été le cas). L’utilité de la commission sera remise en cause par le CRISP, notamment, en 200271.

La loi est le fruit d’un compromis rassemblant de nombreux acteurs philosophiques (laïques et catholiques), sociétaux (mouvements féministes et acteurs de la santé), et politiques (sociaux-chrétiens72, libéraux et socialistes). La loi entraîne pourtant une crise politique institutionnelle puisque le roi Baudouin, en « âme et conscience » , refuse de signer ce texte et demande à son premier ministre Wilfried Martens (CVP) de trouver une solution. Le roi Baudouin exprime en effet dans sa lettre au gouvernement du 4 avril 1990 que « ce projet de loi soulève en moi un grave problème de conscience. Je crains en effet qu’il ne soit compris, par une grande partie de la population, comme une autorisation d’avorter durant les 12 premières semaines après la conception »73. Le gouvernement va donc constater son impossibilité de régner pendant 24 heures, signer et promulguer la loi. Wilfried Martens, profondément opposé à la loi, dira plus tard, dans ses mémoires, qu’il a signé la loi à la place du roi pour sauver le gouvernement, mais aussi la monarchie (non sans ajouter que « mener une vie libertine, ne pas mettre de préservatif et recourir ensuite à l’avortement est une attitude indigne d’un être humain »)74

65 Au-delà des 12 semaines de grossesse, il ne s’agit plus d’une interruption de grossesse (IVG), mais bien d’une intervention médicale de grossesse (IMG), soumise à l’accord préalable de deux médecins et exclusivement pratiquée si la santé de la mère et/ou de l’enfant présente(nt) un danger en cas de poursuite de la grossesse.

66 Marie-Noëlle Coetsier, op. cit., pp. 5 et 14.

67 Sylvie Lausberg, op. cit. p. 16.

68 Sylvie Lausberg, op. cit., p. 25.

69 Sylvie Lausberg, op. cit., p. 12.

70 Steve Jacob, Frédéric Varone, La loi du 3 avril 1990 dépénalisant l’interruption volontaire de grossesse. In : L’évaluation des politiques publiques. Six cas au niveau fédéral. In : Courrier hebdomadaire du CRISP, Bruxelles, 2002, n°1764-1765, p. 42.

71 Steve Jacob, Frédéric Varone, La loi du 3 avril 1990 dépénalisant l’interruption volontaire de grossesse. In : L’évaluation des politiques publiques. Six cas au niveau fédéral. In : Courrier hebdomadaire du CRISP, n°1764-1765, Bruxelles, 2002, p. 47.

72 Avec comme chef de file Herman Van Rompuy (CVP, aujourd’hui CD&V).

73 Xavier Mabille, Le débat politique d’avril 1990 sur la sanction et la promulgation de la loi, op. cit., p. 15. Wilfried Martens, Mémoires pour mon pays, Racine, Bruxelles, 2006, p. 187.

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10. DE LA LOI DEPENALISANT PARTIELLEMENT L’AVORTEMENT A AUJOURD’HUI

Si la loi de 1990 eut inévitablement de nombreuses conséquences pour les femmes, elle eut surtout pour effet de démentir ses détracteurs qui estimaient, à tort, que la loi allait avoir de nombreux effets néfastes. Voici quelques constats proposés par le Centre d’Action Laïque pour la période comprise entre 1993 en 201375 :

Le nombre de femmes belges qui ont avorté à l’étranger (chiffres néerlandais, non repris dans les statistiques belges) a fortement diminué, passant de 2.794 à 681 cas entre 1993 et 2010.

Le nombre d’IVG pour 100 naissances est resté stable : 14 à 15 %.

La loi n’a pas incitée les mineurs à recourir à l’avortement. Le pourcentage d’avortements pratiqués sur des femmes de moins de 20 ans est resté stable en Belgique : 13 à 14 %.

Preuve a été faite que les avortements clandestins augmentent les risques d’infertilité postérieure, contrairement aux avortements sous contrôle médical.

Toujours est-il que, moins de trente ans plus tard, « les opposants n’ont pas disparu, et qu’au contraire, ils sont de plus en plus présents, de plus en plus actifs, de mieux en mieux organisés, et roués à une communication pernicieuse. Sites internet mensongers, évangélistes en charge d’éducation sexuelle dans les écoles, lignes téléphoniques d’urgence noyautées par des anti-IVG, la liste est longue »76

Le danger se fait également sentir au sein du parlement. Par exemple, lors de la formation du gouvernement de 2014, les négociateurs se mettent d’accord pour revoir la législation sur l’enregistrement des enfants mort-nés. Mais en réalité, ce sont des propositions d’octroi d’un statut juridique au fœtus qui sont déposées sur la table de la Commission justice du Parlement. Le Centre d’Action Laïque rappelle qu’« il a fallu alerter sur l’imminence du danger contenu dans cette volonté d’inscrire les embryons et fœtus dans les registres d’État civil, car il s’agit de l’argument fondateur des mouvements anti-IVG. Selon cette logique, si tout embryon est reconnu comme un enfant à naître, l’IVG sera assimilée à un meurtre77 ».

En mars 2016, un collectif de citoyens (Manifeste des 350) publie son propre manifeste pour exiger la dépénalisation totale de l’avortement78. Des personnalités de tous horizons et de toutes professions, dont des mandataires de différents partis politiques, ont été rejointes en quelques jours par des milliers de signataires. L’appel est entendu et différents partis politiques déposent des propositions de loi entre le 10 mai 2016 et le 12 juin 2017 (SP.A, DéFI, PS, Ecolo/Groen, PTB, Open VLD)79. La NV-A et le CD&V, ne voulant pas entendre parler ni d’allongement du délai, ni de dépénalisation complète, closent les débats en Commission de la justice pendant l’été 2017.

La majorité suédoise (MR, Open VLD, N-VA, CD&V), avec le soutien du CDH, signe toutefois peu après la loi d’octobre 2018 « sortant » l’avortement du Code pénal, sans pour autant le dépénaliser80. La loi, présentée par le gouvernement comme une avancée ou un gage de bonne volonté, n’est en fait pas une réelle dépénalisation. Les associations féministes ou de médecins, tout comme plusieurs partis politiques, la décrivent comme un leurre ou une fausse dépénalisation :

Les sanctions pénales sont maintenues (des peines de prison sont toujours possibles), tant pour les femmes que pour les médecins, si l’IVG est pratiquée en dehors des conditions prévues par la loi.

Le délai de 12 semaines de grossesse au-delà duquel l’avortement est interdit, est également maintenu81

75 Voir le site web du Centre d’Action Laïque : https://www.laicite.be/app/uploads/2013/02/droit-a-l-avortement-en-belgique-etat-des-lieux-2013.pdf

76 Sylvie Lausberg, op. cit., p. 25.

77 Sylvie Lausberg, op. cit., p. 24.

78 Voir le site web du Manifeste des 350 : http://www.manifestedes350.be/

79 Voir le tableau comparatif proposé par le Centre d’action laïque (Sylvie Lausberg, op. cit., pp.26 et 27 : https://www.laicite.be/app/uploads/2017/09/l-avortementet-le-code-penal-en-belgique-1867-2017.pdf

80 Les articles 348 et suivants sont abrogés et remplacés par la loi du 15/10/2018.

81 La notion d’état de détresse pour la femme n’est par contre plus exigée pour recourir à un avortement. Pour des raisons médicales urgentes, le délai de 12 semaines pourrait être prolongé de quelques jours.

Etat de la Question 2019 • IEV 12

Le délai de réflexion de six jours, préalable à toute intervention, est également maintenu.

Estimant qu’il est possible d’aller plus loin, différents partis (PS, Spa, Ecolo-Groen, Défi, PTB, Open VLD) déposent ensuite cinq propositions, qui diffèrent en plusieurs points :

Seuls le PS, le PTB et Défi proposent une dépénalisation totale. A savoir la suppression des sanctions pénales tant pour les femmes que pour les médecins si l’avortement se réalise hors du cadre prévu par la loi. Pour ces partis, l’avortement doit être considéré exclusivement comme un acte médical, qui répond au prescrit de la loi relative aux droits du patient.

La proposition d’Ecolo-Groen ne prévoit, elle, que la suppression des sanctions pour les femmes mais pas pour les médecins.

La proposition de l’Open VLD n’envisage, de son côté, aucune suppression de sanctions pénales.

Ces propositions permettent de rapprocher la Belgique des délais pratiqués dans quelques pays européens. Une des intentions est en effet d’uniformiser le droit belge par rapport aux pays étrangers, quand on sait qu’entre 500 et 1.000 femmes belges se rendent encore chaque année dans un pays voisin pour se faire avorter. Par exemple, la proposition du PS de prolonger le délai pour pouvoir avorter n’est pas un cas unique en Europe. En effet, même si le délai de rigueur reste dans la toute grande majorité des cas maintenu à 12 semaines dans les pays européens, il est de 22 semaines aux Pays-Bas, 24 semaines en Grande-Bretagne, 18 semaines en Suède et 14 semaines en Autriche et en Finlande.

11. LA NOUVELLE PROPOSITION DE LOI

Suite aux élections de mai 2019, les députées de huit partis (PS, SP.A, Ecolo, Groen, MR, Open VLD, DéFI et PTB82) se sont accordées sur des amendements à faire sur la proposition de loi du PS83. Le moment est opportun, le gouvernement est en affaires courantes et le parlement dispose d’une « fenêtre de tir favorable », avant que des négociations gouvernementales ne commencent. Les amendements sont adoptés le 27 novembre 2019 en première lecture en commission justice de la Chambre.

La proposition amendée va plus loin qu’une « simple » dépénalisation de l’avortement. Elle vise en plus à éliminer les éléments culpabilisants encore énumérés dans la loi de 1990 :

le délai dans lequel un avortement peut être pratiqué est prolongé à 18 semaines après la conception, au lieu de 12 semaines actuellement.

Le délai de réflexion imposé à la femme après la première consultation est réduit à 48 heures, au lieu de 6 jours actuellement.

Les dispositions du Code pénal qui incriminent la publicité, la vente ou la fabrication de moyens quelconques pour pratiquer l’avortement sont supprimées.

La sanction du délit d’entrave est étendue. « Mettre les femmes dans l’impossibilité d’accéder à un établissement de soins qui pratique des interruptions de grossesse en diffusant des fausses informations ou en dissimulant des informations, par exemple, est érigé en infraction au même titre que d’empêcher physiquement quelqu’un d’accéder à ce genre d’établissements84 » .

Des précisions sont également apportées, notamment pour imposer au médecin qui ne souhaite pas pratiquer une IVG de diriger la patiente vers un confrère, un centre ou un hôpital qui la pratique.

83 Voir la proposition de loi d’Eliane

du 16/07/2019 : https://www.lachambre.be/FLWB/PDF/55/0158/55K0158001.pdf

84 Voir la proposition de loi d’Eliane Tillieux du 16/07/2019: https://www.lachambre.be/FLWB/PDF/55/0158/55K0158001.pdf

Etat de la Question 2019 • IEV 13
82 Eliane Tillieux (PS), Karin Jiroflée (SP.A), Sarah Schlitz (Ecolo), Jessica Soors (Groen), Kattrin Jadin (MR), Sofie Merckx (PTB), et Sophie Rohonyi (DéFI). Tillieux

Les clauses de conscience collective sont par ailleurs interdites. Dès lors qu’une telle clause s’applique à toute une institution, elle aurait alors pour effet de priver l’ensemble des soignants de leur droit subjectif de conscience, estiment les auteures.

Les auteures veulent également que l’interruption volontaire de grossesse soit désormais considérée comme un acte médical à part entière. Il sera donc inscrit dans la loi sur les droits des patients et les sanctions pénales en cas de non-respect de la loi, à moins d’un avortement contraint, sont supprimées, aussi bien pour les femmes que pour les médecins. Les députées estiment en effet qu’il n’y a aucune raison de maintenir des sanctions pénales spécifiques à l’encontre des médecins qui agissent pour ces actes médicaux avec la même conscience professionnelle que lorsqu’ils accomplissent tout autre acte médical.

Les partis opposés au projet de loi (CDH, CD&V, Vlaams Belang et NVA) font tout pour retarder le vote de la loi. Le CD&V a déjà annoncé qu’il demandait une deuxième lecture du texte. Cette procédure prendra deux semaines. C’est seulement à ce moment-là que l’ensemble du texte pourra être voté en Commission justice, avant d’être transféré en plénière. A ce moment-là, CD&V, N-VA et Vlaams Belang ont déjà annoncé qu’ils demanderaient un avis au Conseil d’Etat. Cet avis devrait prendre un à deux mois. Pour être adoptée en plénière, la proposition de loi devra recueillir l’adhésion de plus de la moitié des députés présents (76 si l’hémicycle est complet)85

12. LES ARGUMENTS DES OPPOSANTS A CETTE LOI

Les arguments des opposants à cette loi sont nombreux et variables en fonction des partis qui les défendent.

Les opposants à la loi estiment qu’elle ne permettra plus de sanctionner les avortements non réglementaires. Selon Catherine Fonck (cdH): « une loi sans sanction est une loi sans balises ou avec des balises que l’on ne veut guère faire respecter86 ». Cette théorie est rejetée par les partisans de la loi qui estiment que le droit commun continuera de s’appliquer et que le médecin qui pratique un avortement illégal sera toujours passible de sanctions disciplinaires : la déontologie des médecins et les recours qui existent déjà en dehors d’une loi spécifique, au civil et au pénal suffisent (poursuites pour coups et blessures par exemple).

Le CD&V a annoncé qu’il épuiserait tous les moyens parlementaires pour s’opposer au projet de loi. Joachim Coens, alors candidat président du parti, a annoncé malgré tout que sa formation mettrait ce point sur la table des négociations d’un gouvernement s’il était élu87. Le parti évoque aussi les risque d’avortements fondés sur le sexe de l’enfant à naître, à partir du moment où cette donnée est connue.

La NVA s’oppose principalement au délai de 18 semaines. La députée Valérie Van Peel déclare à la presse qu’elle estime que « l’avortement sera beaucoup plus difficile physiquement et psychologiquement, et que le fœtus sera bien plus formé et se rapprochera du seuil de viabilité »88

Si le projet de loi parvient à franchir tous les obstacles posés par les partis qui y sont opposés, la loi ne pourra être définitivement votée que dans le courant des mois de janvier ou février 2020.

13. CONCLUSIONS

L’avortement est resté un sujet politique tabou dans la société belge jusqu’à l’arrestation du docteur Peers en 1973. L’affaire Peers a pour effet immédiat de provoquer une forte mobilisation provenant de tous les secteurs progressistes, forçant les partis politiques à sortir de leur réserve. Les analyses de l’histoire de ce dossier montrent que le Parti Socialiste est le premier parti à déposer un projet de loi en la matière, à manifester, puis à demander une dépénalisation complète de l’avortement.

85 Les huit partis favorables au projet de loi comptent 90 députés au total.

86 Dépêche Belga, 27/11/2019.

87 La députée Els Van Hoof a quant à elle rappelé dans une tribune libre publiée par De Standaard pourquoi son parti s’opposait au texte qui n’aura pas de majorité du côté néerlandophone. « Une modification rapide et irréfléchie de la récente loi se fera sans le CD&V et nous épuiserons tous les moyens parlementaires pour l’argumenter », avertit la députée.

88 Dépêche Belga, 27/11/2019.

Etat de la Question 2019 • IEV 14

L’avortement devient toutefois un sujet « hors compromis » et ne peut faire l’objet de discussions qu’au sein du Parlement, de manière à préserver l’existence des coalitions gouvernementales. Chaque nouvelle proposition pour régler la question de l’avortement se heurte à des frictions entre coalitions libérales et sociale-chrétiennes d’un côté, socialistes de l’autre. Les socialistes, demandant des mesures radicales (comme la dépénalisation complète), bloquent de leurs côtés, les propositions « restrictives » des autres partis, afin de protéger la situation de fait développée par l’action des centres extrahospitaliers pratiquant l’avortement de manière illégale.

L’impossibilité de trouver un nouveau cadre juridique oblige en même temps les juges à dépendre d’une loi de 1867, appliquée de manière inégale d’une province à l’autre en Belgique.

Il faut attendre la clairvoyance de sénateurs comme Roger Lallemand (PS) et Lucienne Hermann-Michielsens (PVV) pour atténuer les revendications de chacun afin d’obtenir le 19 avril 1986 un premier accord avec les autres partis. Si la loi de 1990 constitue un accord acceptable aux yeux des associations féminines et citoyennes, militant depuis des décennies pour obtenir un cadre juridique protégeant la santé et la liberté de décision des femmes, il ne faut pas oublier qu’elle n’est à l’époque qu’un compromis temporaire aux yeux des militants pour l’avortement. Le nouveau projet de loi devra, espérons-le, pouvoir enfin sortir l’avortement du code pénal.

Etat de la Question 2019 • IEV 15

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RÉSUMÉ

Le 3 avril 1990, le Parlement adopte enfin une loi dépénalisant (partiellement) l’avortement. L’adoption de la loi constitue alors un immense soulagement pour de nombreuses femmes et acteurs de la santé, tant l’avortement restait une réalité quotidienne en Belgique, malgré son interdiction.

Moins de trente ans plus tard, il est apparu nécessaire à différents partis de revoir attentivement les conditions requises pour pouvoir procéder à une interruption volontaire de grossesse en Belgique. Des conditions qui, faut-il le rappeler, sont en réalité des concessions qui ont été octroyées aux opposants à l’IVG.

De nombreuses revendications, soulevées depuis les années 1970, restent en effet d’actualité. Si l’interruption volontaire d’une grossesse relève d’un acte médical, que fait celui-ci dans un code pénal ? Pourquoi l’avortement n’est-il pas envisagé sous l’angle de la santé publique, d’une part, et sous celui de l’égalité, de l’autonomie des femmes, sujets de droit, d’autre part ? La présente analyse, rédigée par Jean Lefevre, tente de donner un éclairage sur la lutte passée et future pour le droit à l’avortement et s’inscrit ainsi dans l’actualité la plus immédiate, puisqu’un texte visant, entre autres, la dépénalisation de l’avortement et augmentant le délai pour y recourir, devrait être voté ce vendredi en commission à la Chambre.

Téléphone : +32 (0)2 548 32 11

Fax : + 32 (02) 513 20 19

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Institut Emile Vandervelde Bd de l’Empereur, 13 B-1000 Bruxelles

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la question de l'avortement du XXeme siecle a nos jours-2019 by ps-be - Issuu