150 ans de la Maison du Peuple de Jolimont

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Avant de former un puissant parti – le Parti Socialiste – capable d’unifier l’ensemble de la classe ouvrière, les travailleurs se sont organisés au plan local afin d’entreprendre des actions politiques. Les caisses de solidarités sont nées à cette époque, de même que les premières listes de revendica tions et les premiers mouvements de grève. Comment obtenir de meilleurs salaires, des congés payés, des protections contre les accidents du travail ou de la vie, une scolarité pour les enfants, ou encore le droit de vote, sans une organisation performante et une force de frappe collective ? Ayant pris progressivement conscience de leur force et de leur nombre, les ouvriers ont apporté les réponses qui s’indiquaient. Ils se sont structurés, organi sés et rassemblés par-delà leurs métiers. Ils ont posé les fondations d’une ans de la deduMaisonpremièrePeupleBelgique

Voici 150 ans, le tout premier projet de Maison du Peuple de Belgique pre nait forme à La Louvière. Des associations ouvrières locales se cotisaient pour se doter d’un bâtiment bien à elles ; un lieu de solidarité où les travail leurs allaient pouvoir préparer leurs combats futurs. Le socialisme n’en était encore qu’à ses débuts, et cette fantastique aventure allait bouleverser les existences.

Détail de l’acte notarié de la vente de la Maison du Peuple, le 5 août 1872 : « (…) Et ne s’étant trouvé personne pour surenchérir, a été déclaré adjudicataire définitif pour le prix de Huit mille cinquante Francs, le dit sieur Théophile Massart, à ce présent & acceptant, acquérant pour & au nom de la Société de l’union des Métiers du Centre, Hainaut dont le siège est à Jolimont, sous Haine Saint Paul, pour laquelle il se porte fort & dont il promet au besoin la ratification. (…) ». © Archives de l’État à Mons (AEM), minutes du notaire Au gustin Lechien à Fayt-lez-Seneffe.

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Jolimont - Les 150

Ces femmes et ces hommes luttaient d’abord pour leur survie et leur digni té. Ils pensaient aussi à l’avenir de leurs enfants et ils jetaient toutes leurs forces dans la bataille de l’émancipation. Au sein de la Maison du Peuple, ce qu’ils imaginaient, c’est un monde nouveau purgé de ses injustices, de ses misères et de ses inégalités. Et ce qu’ils trouvaient dans les réunions enfiévrées, c’est la force indispensable pour s’opposer aux puissances do minantes qui depuis toujours les maintenaient sous leur joug.

Les Maisons du Peuple ont ainsi commencé à pousser dans tous les bas sins industriels, et notamment dans la Région du Centre, terre minière par excellence. Là comme ailleurs, elles ont constitué un élément essentiel du projet de conquête socialiste et elles ont rallié des travailleurs toujours plus nombreux. Des militants heureux de converger vers elles en rangs serrés, foulard rouge noué autour du cou, pour y chanter l’Internationale, y lever le poing et s’y donner l’accolade avant de se répartir les tâches. Pour com prendre comment un mouvement politique aussi novateur que le socialisme a pu naître et s’imposer à une telle vitesse, il faut mesurer l’intensité charnelle des engagements militants et la dimension existentielle des combats menés.

Aujourd’hui encore, chaque ville ouvrière dispose de sa Maison du Peuple ou en porte le témoignage. Elles sont habitées de tant de souvenirs de luttes, mais aussi de réjouissances et d’occasions de fraternité, que leur conser vation apparaît comme un acte patrimonial. Le militantisme du XXIe siècle a certes beaucoup évolué, investissant de nouveaux espaces, notamment vir tuels, mais la question du lieu reste très importante. Les Maisons du Peuple donnent de la profondeur aux choses, une profondeur que ce 150e anniver saire nous invite à éprouver une fois encore entre camarades fiers de leur socialisme, fidèles à leurs engagements et déterminés à porter toujours plus loin le flambeau de l’émancipation.

4 conquête idéologique qui allait devenir irrésistible. Et ils ont bâti des lieux qui seraient autant de bases pour le combat émancipateur de la classe ouvrière.

Paul PrésidentMagnetteduPS

Théophile Massart. Celles-ci seront réunies pour former la future Maison du Peuple. © AEM, minutes du notaire Augustin Lechien à Fayt-lez-Seneffe.

plan

deux maisons (A et C) vendues

Détail du de à

Dans la foulée de l’Association internationale des travailleurs (1864), le forge ron Théophile Massart, au nom de sociétés ouvrières, achète une maison à Jolimont le 5 août 1872. C’est peu dire que cette acquisition marque un tour nant dans l’histoire du mouvement ouvrier belge, et peut-être même interna tional, puisqu’elle est généralement considérée comme la première Maison du Peuple de Belgique. Ces groupements jolimontois – encore balbutiants et, de ce fait, très fragiles – sont donc de véritables pionniers et, certaine ment, de téméraires visionnaires.

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La Maison du Peuple est maintenant incorporée dans une structure qui va gagner en popularité auprès du milieu ouvrier. Le système, inspiré du mo dèle anglais des Équitables Pionniers de Rochdale (1844), est assez simple. Dans le cas du Progrès, la coopérative rassemble des coopérateurs – c’està-dire des adhérents qui mettent en commun leurs économies – pour pro duire et/ou distribuer des denrées alimentaires ou non. Après l’écoulement des marchandises, les bénéfices engrangés sont alors reversés aux coopé rateurs. Au-delà des avantages économiques, le contrôle de la qualité joue un rôle prépondérant pour ces « consomacteurs » avant la lettre. Après quelques années d’existence, le Progrès de Jolimont part à la conquête de la Région du Centre. Il évite ainsi une faillite certaine. Partout où sont créés des filiales de la coopérative, se développent aussi des Mai sons du Peuple. À partir de 1893-1894, années des grèves pour le suffrage universel et de victoire pour le jeune Parti Ouvrier Belge (POB), l’expansion s’accélère. Les coopératives et leur réseau deviennent les véritables atouts

Historique de la Maison du Peuple et du Progrès de Jolimont

Si la Maison du Peuple est initialement prévue comme un lieu de réunion pour les associations, les fondateurs réfléchissent d’emblée à l’idée d’y ins taller des « magasins et ateliers coopératifs ». Son existence est cependant menacée par la précarité des associations ouvrières qui, à peine créées, sont rapidement dissoutes. Pour éviter sa fin prématurée, Théophile Massart et Abel Wart, un important libre-penseur, partent ainsi à Gand pour visiter les installations de la coopérative du Vooruit. Enthousiastes et convaincus, ils rentrent prêcher à leurs frères les avantages du système. C’est grâce à la fondation de la coopérative « Au Progrès », le 20 juin 1886, que la Maison du Peuple est sauvée.

En 1904, le vénéré maître Théophile Massart, directeur du Progrès, s’éteint. En plus de la Maison du Peuple de Jolimont, il laisse en héritage celles de La Louvière (1889), de Houdeng (1893), de Morlanwelz (1895), de Baume (1902) et de La Hestre (1903). Certains de ces villages possèdent même une pharmacie, un atelier de confection et un magasin de chaussures, placés sous le giron de la coopérative. Ces nouvelles installations prennent sou vent place au centre du village, face à l’église, qu’elles tentent clairement de Ceconcurrencer.seraitune terrible injustice que de faire l’impasse sur le volet éducatif et culturel très largement subsidié par les coopératives. L’éducation est en effet pour beaucoup dans l’émancipation des ouvriers et leur ralliement aux idées socialistes. Sans dresser une liste exhaustive des initiatives qui se déploient autour des Maisons du Peuple, il faut particulièrement citer les bibliothèques, les harmonies, les cercles dramatiques, les groupements de gymnastes ou encore les cercles de libre pensée. Grâce à elles, certains ont ainsi eu la chance de professionnaliser leurs activités récréatives. L’actrice et drama turge féministe Félixa Wart-Blondiau est, par exemple, l’une des enfants du Progrès. Détail d’une photographie présentant les camions du Progrès. Ca. 1930. © IEV

du POB dont les succès galvanisent les hordes de coopérateurs. Le Progrès profite également de cette conjoncture favorable en devenant une des prin cipales coopératives du pays.

En juillet 1949, les grandes institutions socialistes – le Parti Socialiste Belge, la Fédération générale du travail de Bel gique, la mutualité et les sociétes coopératives – se coa lisent pour former le Comité National d’Action Commune et, ainsi, donner un nouvel élan au mouvement. Grâce à cette association, les années 1950 et le début des années 1960 sont assez prospères pour les institutions qui s’y trouvent intégrées. Les 75 ans du Progrès, fêtés en 1961, s’ins crivent dans ce contexte. C’est pour cette raison que Louis Desmet, directeur de l’époque, se montre particulièrement confiant dans l’avenir. Pourtant, le mouvement coopératif entame une lente agonie dans le courant des années 1960. Face à une concurrence agressive et rapide (notamment l’arrivée des supermarchés et du système du libre-service), le système de redistribution des bénéfices empêche les innovations nécessaires pour leur survie. Le Progrès n’échappe pas à cette évolution. En 1970, la coopérative est contrainte de fermer plus de 90 %

Cette nouvelle période s’ouvre donc sur de lourds investis sements qui mettent à mal les finances de la coopérative. Néanmoins, au début de la décennie suivante, les comptes semblent rééquilibrés, sans doute, au prix de certains sa crifices. Alors qu’elles étaient au nombre de dix en avantguerre, les Maisons du Peuple du Progrès ne sont mainte nant plus que six.

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Après la Première Guerre mondiale, le Progrès, suivant le reste du mouve ment coopératif belge, est à son apogée. Si certaines Maisons du Peuple sont installées dans de prestigieuses bâtisses, celle de Jolimont fait pâle figure, malgré son succès galopant. En 1929, l’ancienne Maison du Peuple est donc rasée et remplacée par un bâtiment imposant, voire démesuré par rapport aux autres maisons voisines. À La Louvière aussi, un étage est ra jouté et la façade modifiée dans le style Art Déco. En plus de ces éclatantes transformations architecturales, l’inauguration de deux nouveaux cinémas à la pointe de la technologie Philips – le Cinéap (1929) et le Cinépro (1931), respectivement à La Louvière et à Jolimont – achève de consacrer le succès de la coopérative socialiste. La Deuxième Guerre mondiale met un frein brutal aux activités florissantes du Progrès qui entre alors dans « une des plus noires et des plus troublées » périodes de son histoire. Ayant subi d’importants pillages, la coopérative est obligée de renouveler son matériel au sortir de la guerre. Elle en profite pour moderniser ses camions – encore largement tirés par des chevaux – et remettre à neuf les locaux et magasins.

Un camion du Progrès lors de la grève des mineurs français. 1963. des magasins de la coopérative, répartis dans toute la Région du Centre, ainsi qu’un des deux cinémas. Sans surprise, après ce tableau désastreux, le Progrès dépose le bilan en 1976 La plupart des Maisons du Peuple sont reprises par de nouveaux proprié taires étrangers au socialisme. Ce patrimoine est alors souvent malmené. Quand elles ne sont pas laissées à l’abandon, certains promoteurs immobi liers décident de les détruire pour des projets déconnectés du mouvement ouvrier (immeubles à appartements à Morlanwelz, par exemple). Celle de Jolimont est reconvertie en maison de repos. Les modifications qui y sont apportées détruisent d’importantes parties du complexe. Le café, pour un temps racheté par la FGTB, subsiste jusqu’à présent et demeure le dernier témoin d’une époque révolue.

À lire les acteurs du Progrès de Jolimont, les archives revêtent un caractère sacré. En 1911, Eugène Rousseau, secrétaire général, écrit dans son histoire de la coopérative, intitulée L’Œuvre d’une classe :

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Ce fut aussi l’une des prédilections de mon vénéré et inoublié maître et ami feu Théophile Massart, de conserver jalousement les pièces et les archives qui marquèrent les étapes franchies, telles les bornes kilométriques jalonnent la grand’route.

Il prit surtout, un soin particulier, presque pieux, à garder tous les do cuments qui de près ou de loin, touchèrent au début du « Progrès » et à ses mémorables instances judiciaires d’antan.

Les objectifs de ces premiers historiens autodidactes, généralement des ou vriers, est surtout de légitimer leur entreprise en l’ancrant dans l’Histoire et de faire taire la concurrence facilement calomnieuse par un ouvrage de pro pagande classique. Par la même occasion, ces hommes ont aussi permis de conserver la mémoire d’une région et, plus particulièrement, de la classe ou vrière. Or cette mémoire est le plus souvent malmenée par le temps puisque les archives sont souvent le dernier des soucis de leur producteur. Déjà, en 1961, le directeur Louis Desmet s’étonne – sans s’en émouvoir – des pertes des documents plus anciens : « Que sont donc devenus les précédents ? Nul ne le sait. »

Le destin des archives

C’est derrière ce même constat – qui traduit une forme d’impuissance, de frustration et d’abandon – que la plupart des archivistes se sont cachés pendant des décennies pour des documents qui étaient pourtant encore à portée de main. Heureusement, certains ont eu la passion de leur métier, comme à l’Institut Émile Vandervelde, où Robert Flagothier a œuvré à la sau vegarde de ce patrimoine exceptionnel. Il a en effet sauvé ce qui restaient des archives administratives du Progrès, alors en possession de l’Union des Coopératives de Liège. Pour préserver et valoriser le travail de nos prédé cesseurs, ces documents ont d’ailleurs fait récemment l’objet d’une numéri sation intégrale en collaboration avec les Archives de la Ville et du CPAS de La Louvière.

Dernièrement, certains souvenirs familiaux de Félixa Wart-Blondiau, l’épouse d’un des directeurs de la coopérative, ont refait surface. Les documents per mettent de mieux saisir l’importance de l’activité du cercle dramatique joli montois. Nul doute qu’il reste encore des trésors dans les greniers.

Par ailleurs, l’Institut Émile Vandervelde est le gardien d’une très riche collec tion iconographique où le Progrès de Jolimont a la chance d’être bien repré senté. Plusieurs dizaines de photographies, des affiches et des calendriers, dont les plus beaux spécimens sont présentés ici, permettent d’embrasser d’un coup d’œil ce qui a fait la fierté de plusieurs générations d’ouvriers socialistes. Photographie des précieuses archives entourées par les fondateurs. 1911.

Mais où est donc passé le reste ? On le sait ! Quand la coopérative a fermé ses portes, Jacques Liébin (1939-2020) est contacté par le personnel qui se prépare à détruire les archives. L’historien a à peine le temps de prendre sa voiture et d’arriver dans la cour du Pro grès que les flammes consumaient déjà les documents. Certaines archives avaient cependant échappé au feu. Oubliés dans un tiroir, Charles Dineur (1942-2011), passionné par l’histoire du Progrès, récupère ainsi les pro cès-verbaux des Jeunes Gardes Socialistes et ceux de l’Harmonie du Pro grès et aussi le rapport de la visite de Théophile Massart à Gand en 1885 ! Restent encore à citer les archives des personnalités de premier plan du Progrès, souvent vendues au compte-gouttes par d’autres collectionneurs.

Celui qui a porté le projet de la Maison du Peuple et, plus tard, celui de la coopérative « Au Progrès », fait partie des illustres inconnus, élevés au rang de saint par leurs compagnons ouvriers. Forgeron de son état, Théophile Massart (1840-1904) est un des premiers apôtres de l’Internationale dans Région du Centre avec le groupement de La Solidarité de Fayt. Impressionné par le travail de Jean-Baptiste Godin avec le Familistère de Guise – une ex périence industrielle et communautaire basée sur le bien-être des ouvriers –Théophile Massart rêve également : Portrait de Théophile Massart. Fin 19e siècle. © IEV Théophile Massart le fondateur “

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D’un régime social où chacun, ayant conscience de ses aptitudes et partant de sa tâche, accomplirait spontanément et délibérément sa mission, et où les uns et les autres n’apparaîtraient plus que dans une fraternelle égalité, comme les colla borateurs d’une œuvre diverse mais commune.

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Théophile Massart devant une remorque de la brasserie du Progrès. 1900.

Décrit comme un self made man par ses pairs, il est un des premiers lea ders du mouvement socialiste du Centre. Persuasif, il a réussi à motiver ses compagnons en les exhortant à prendre « [leur] pelle et [leur] brouette » pour construire la boulangerie coopérative du Progrès. Doté d’un esprit plus pratique que théorique, Théophile Massart a voué sa vie aux œuvres qu’il a initiées comme le service médical et pharmaceutique pour les ouvriers, la caisse mutuelle de secours pour parer aux incapacités de travail et la caisse de prévoyance pour les retraités. Il a, par ailleurs, été élu conseiller provincial en 1890. À son décès, en 1904, il est associé à de grands noms du socialisme : César de Paepe, Jean Volders et Alfred Defuisseaux. La célèbre Isabelle Gatti de Gamond rappelle également que c’est un des premiers à avoir œuvré pour l’interdiction du travail des femmes au fond de la mine.

15 Lettre signée par Théophile Massart. 20 août 1897. © IEV

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Les concurrents du “Progrès

Personnification du Progrès tendant une couronne de laurier, symbole de victoire, après avoir défait la « Mauvaise Graine », c’est-à-dire « Le Bon Grain ». 1911. © IEV

Pendant la Première Guerre mondiale – et même au-delà – les camions du Progrès et du Bon Grain ont joué des coudes pour ravitailler la région. Le pain et la bière deviennent le symbole de l’action politique concrète. Ce lui-ci a eu un véritable impact sur les résultats électoraux d’après-guerre qui laissent sur le carreau les libéraux.

Devant le succès de la coopérative socialiste, patrons et autres bourgeois s’inquiètent. En 1900, les charbonnages de Mariemont – dirigés par la famille Warocqué – peinent à masquer le désintérêt pour leur coopérative, créée 1869 : Ce chiffre [du nombre d’adhérents] ne s’est guère accru depuis [la création], il a même diminué, dans ces dernières années, par suite de la création de coopératives socialistes et catholiques qui ont en levé aux nôtres une partie de leur clientèle. Même avec d’autres initiatives libérales, notamment La Semeuse en 1914, les libéraux restent clairement hors course. La vraie rivale du Progrès est bien la coopérative Le Bon Grain, créée en 1891 à Morlanwelz. Son expan sion « phénoménale » permet d’attirer 38,993 sociétaires-coopérateurs en 1910 contre 31,380 pour le Progrès. En 20 ans d’existence, les catholiques ont clairement réussi le pari de concurrencer leurs rivaux socialistes. Les deux camps vont se livrer une guerre acharnée. Outre les attaques à travers la presse, les affrontements se font aussi devant les tribunaux. Socia listes et catholiques en sortent judiciairement indemnes mais leur image est quelque peu écornée. En effet, cette bataille entre les deux institutions a fait couler beaucoup d’encre en Belgique et également à l’étranger. C’est aussi pour évoquer tous ces démêlés judiciaires et se blanchir que le Progrès édite L’Œuvre d’une classe en 1911 à l’occasion des 25 ans de la coopérative.

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Il suffit de compulser les bilans du Progrès publiés chaque année pour constater que les chiffres sont excellents. La coopérative est entrée dans sa meilleure période. Le 19 août 1928, c’est l’effervescence dans les rangs socialistes à La Louvière. On inaugure la nouvelle Maison du Peuple dans un style Art Déco audacieux. Le journaliste socialiste Gaston Hoyaux exulte et dresse, pour l’occasion, une liste flatteuse des résultats de la coopérative. Il cite parmi d’autres les 10.000.000 de kg de pain produits annuellement, les 30.000 hectolitres de bière ou les 74.000 francs alloués aux groupements Lasocialistes.Maison du Peuple de Jolimont, achetée en 1872, est le seul point noir au tableau. Comme les bâtiments coopératifs sont les signes extérieurs de richesse du mouvement ouvrier, tous s’accordent pour dire que l’antique for teresse de Jolimont manque de panache et qu’elle nécessite une rénovation. Mais attention, Émile Vandervelde les a prévenus : Si vous abattez la maison, je vous blâmerai au nom du P.O.B.

Le malaise s’installe parmi les cadres du Progrès qui ne savent quel com promis adopter « pour maintenir un lieu de pèlerinage rouge », à l’instar du magasin coopératif de Rochdale. La décision radicale de raser la Maison du Peuple ne doit pas être étrangère à la prise de fonction du tout nouveau directeur, François Wart, réputé impulsif. Aura-t-il eu moins d’état d’âme pour ordonner la démolition le 25 janvier 1929 ? Quoiqu’il en soit, il faudra attendre le 14 septembre 1930 pour l’inauguration des nouveaux locaux. La nouvelle façade est éclairée par six projecteurs. L’étage sert maintenant de bureau pour les organisations ouvrières et le bâ timent jouxtant le corps principal du complexe sert exclusivement pour les bureaux de la coopérative.

1928-1929

dul’apogéeProgrès

19 Destruction de l’ancienne Maison du Peuple. Janvier 1929. © IEV La nouvelle Maison du Peuple. Années 1930. © IEV

Le calendrier montre en arrière-plan la Maison du Peuple de La Louvière, récemment rénovée, et le projet de la nouvelle Maison du Peuple de Jolimont. La bâtisse primitive va bientôt « disparaître sous la pioche des démolisseurs », comme l’annonce l’encart au centre. 1929 © IEV

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Plusieurs canaux de propagande sont utilisés pour gagner des coopéra teurs. L’architecture des Maisons du Peuple est d’ailleurs conçue dans ce but. Il y a aussi des moyens plus populaires, comme l’affiche, la carte postale ou encore la médaille. Ces dernières sont utilisées pour charmer l’œil et s’im poser dans un environnement où l’image est omniprésente. Sa puissance fédératrice oblige les coopératives à avoir recours aux talents d’artistes pour diffuser, à travers leurs compositions, un message simple et efficace. Parmi celles-ci, on trouve des calendriers qui assurent intelligemment une publicité tout au long l’année.

1930 © IEV La batailles

L’évolution du Progrès de Jolimont est comparée à un frêle arbuste planté récemment (à gauche) devenu un arbre robuste aux puissantes racines (à droite). Dans le fond, un bâtiment moderne et rationnel aux nombreuses fenêtres fait la synthèse de tout le patrimoine immobilier de la coopérative et de ses produits phares. des images

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Une mère de famille tranche un généreux pain, aux initiales A. P. pour « Au Progrès », à la demande de ses deux enfants aux joues bien roses. Se dégage de la composition l’image d’Épinal de la famille unie. La représentation centrale de la femme fait aussi référence au public cible de la coopérative qui cherche à séduire celle qui gère l’économie du ménage.

1931 © IEV

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© IEV

La coopérative ou le socialisme est personnifié par une déesse grecque qui porte un bouclier et étend son bras gauche au-dessus d’une entreprise prospère avec une dizaine de cheminées fumantes.

Sans doute, tente-t-elle de la protéger des ravages de la crise économique qui sévit gravement dans le monde après le krach boursier de 1929. On remarquera que la qualité dans la composition du ca lendrier le rapproche d’une œuvre d’art. 1932

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De toutes les activités de loisirs, le théâtre est l’une des plus belles réussites du Progrès de Jolimont. Son cercle d’art dramatique pour les ouvriers, créé le 21 décembre 1890, est peut-être le premier du genre en Belgique. À l’ori gine, les acteurs accompagnent les orateurs socialistes dans les meetings.

Cette forme de propagande s’adresse particulièrement aux femmes qui seraient acquises aux « idées fausses et er ronées que le clergé a fait entrer dans leur cerveau ».

Quoi de plus logique alors que de choisir une ambassadrice pour faire rayonner ses œuvres théâtrales ? Félixa Blondiau (1875-1959), cou turière encore adolescente, intègre la troupe de Jolimont dès ses débuts. Bien qu’autodi dacte, elle y excelle grâce à une excellente mémoire et « un prodigieux instinct, une ma gistrale inspiration des choses du théâtre ».

Le but de la société dramatique socialiste du Centre est de représen ter des pièces socialistes, rationalistes, ou ayant traits à ces idées et de concourir ainsi à l’éducation (…) du peuple, afin d’en faire triom pher ses principes.

Les pièces qui y sont jouées répondent à des objectifs bien précis :

Félixa

Détail d’une photographie du cercle dramatique de Jolimont. 1911. Wart-Blondiau “dul’enfantProgrès

À la base de plusieurs cercles, Félixa WartBlondiau, mariée au directeur François Wart, fonde un autre cercle dramatique, les Plébéiennes, pour les jeunes ouvrières (1904). À partir des années 1910, elle commence à écrire des poèmes en français et en wallon. La décennie suivante voit sa consécration. L’actrice devient dramaturge en écrivant des pièces à succès, parmi lesquelles il faut citer « Madelon » (1920), « Lison et Lisette » (1921) ou « Florisa » (1921), « Les Sacrifiés » et « Pardon ».

25 Portrait de Félixa Wart-Blondiau en tenue de scène lors de la représentation de la Tosca. 1918. © Collection privée

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DESTREE, Coopération et socialisme, Gand, Société coopérative « Volksdrukkerij », Charles1904.

DINEUR et al., Le Progrès de Joli mont, naissance et développement d’une coopérative dans le CENTRE, 1886-1936, à partir de l’exposition présentée dans le hall d’accueil du Centre hospitalier et univer sitaire de Tivoli à La Louvière du 4 octobre au 2 novembre 1986, La Louvière, Écomusée régional du Centre, 1988. Françoise FONCK, Les maisons du peuple en Wallonie, Namur, Institut du Patrimoine wallon, 2010. Michel HOST et Jacques LIEBIN, A ceux qui ont tracé notre chemin... Itinéraire de dé couverte des lieux de mémoire ouvrière. 50 km à travers l’entité louviéroise, La Louvière, Union socialiste communale, 2005. Gaston HOYAUX, Deux Œuvres Ouvrières. Le « Progrès» de Jolimont. L’ « Union des Coopérative » du Centre, du Borinage, du Brabant Wallon et des régions de Soignies et d’Ecaussinnes, La Louvière, Union des Coopératives, 1928. Gaston HOYAUX, La littérature patoisante dans le Centre, La Louvière, Labor, 1931. Freddy JORIS, 1885-1985. Histoire des Fédé rations. Soignies-Thuin, Mémoire ouvrière, Tome 10, Bruxelles, P.A.C.-Bruxelles, 1985.

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Affiche pour les 50 ans du Progrès en 1936 : Un grand-père aux mains puissantes – sans doute un ouvrier – tient une représentation de la Maison du Peuple de 1872, symbole du combat des pionniers socialistes de la Région du Centre, qu’il offre au garçon assis sur son genou, comme une transmission de flambeau. Dans le fond, se dessine l’imposante et récente Maison du Peuple, devenue la nouvelle forteresse de Jolimont. © IEV

Jules LEKEU, A travers le Centre. Croquis et Mœurs. Enquête ouvrière et industrielle, Bruxelles, Rousche & Michotte, 1907.

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