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(Re)vivez la 32ème Foire aux croûtes !

Faisant mentir les craintes suscitées par les travaux de la Place Guérin, la 32ème Foire aux croutes s’est tenue comme prévu du 18 au 20 juin. Notre reporter y a planté son stand de caricaturiste ambulant : il témoigne.

Jeudi 18 mai

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10h30 : La fréquentation commence mollement mais c’est normal, le jeudi matin. Après tout, si je ne m’étais pas engagé, j’aurais bien fait la grasse matinée moi aussi J’ai mon premier client, un homme assez âgé qui vient se faire caricaturer à chaque fois qu’il a la chance de me trouver à la foire, donc presque chaque année depuis dix ans : comme c’est un fidèle, je lui fais payer son dessin au tarif réduit. J’aimerais bien voir toutes les caricatures qu’il affirme posséder : ce serait un aperçu saisissant de l’évolution de mon style graphique – et, aussi, de son vieillissement…

11h30 : Je caricature un petit garçon. Rien de très nouveau, beaucoup de parents viennent me retrouver pour que je dessine leurs enfants : ça ne me gêne pas, le client est roi ! Cela dit, je suis impressionné par le sérieux dont font montre ces jeunes modèles : il n’est pas rare que les gens plus âgés soient mal à l’aise, s’esclaffent nerveusement, tremblent dans l’attente du résultat… Mais les enfants, non ! À leur âge, les problèmes d’image ne pèsent pas sur leurs frêles épaules avec la même pression que sur celles des adultes : ils ont bien raison de ne pas prendre au sérieux des questions si futiles ! Les adultes ne sont jamais que de grands enfants qui jouent à se faire du mal Et ils y arrivent plutôt bien !

12h45 : Sur la scène, le duo Guillou-Lamanda interprète quelques chansons populaires brestoises : je ne peux m’empêcher de pleurer en réécoutant à cette occasion «La complainte de Jean Quéméneur »… J’ai parfois entendu des gens déclarer que cette chanson les faisait rire ! Je ne vois pourtant rien de drôle dans l’histoire de ce pauvre homme, orphelin très tôt, abandonné par une drôlesse infidèle et mort noyé après avoir sombré corps et bien dans l’alcool Il faut croire que le cocu ivrogne ne peut pas inspirer la pitié : ça lui fait un point commun avec le premier de la classe…

13h50 : Un homme me fait caricaturer une femme malvoyante : il est un peu déçu du résultat qui, à ses yeux, vieillit le modèle mais, l’intéressée, qui arrive à apprécier mon dessin avec une loupe, est satisfaite. Il est fort peu fréquent que j’aie une réclamation quelconque et, les rares fois où ça se produit, ça ne vient jamais de l’individu caricaturé lui-même mais plutôt de l’éventuelle tierce personne qui lui a payé le dessin : paradoxal, non ? Enfin, celui-ci ne va pas jusqu’à me demander d’être remboursé…

14h45 : Je viens d’amortir mon emplacement. Ça n’a l’air de rien, mais je ne suis pas certain que tous les artistes aient la chance de gagner assez d’argent pour couvrir les frais de réservation de leur stand, surtout au bout de seulement une demi-journée ! La foire commence donc bien pour moi, mais je me garde de crier victoire trop tôt… table ! Je n’ai jamais entendu quelque chose d’aussi con et j’ai presque envie de tuer l’individu qui brame ces inepties ! Que ce soit clair : le côte « C’est très con, mais on s’en fout, qu’estce qu’on rigole », ça va bien cinq minutes et le second degré n’excuse pas tout, surtout pas de faire de la merde !

16h : Le show de Manuel J. Grotesque me paraît interminable : c’est donc dans de mauvaises dispositions que je reçois un jeune couple qui a décidé d’être chiant ! Non seulement ils n’ont pas de monnaie, ce qui oblige mademoiselle à aller retirer du liquide aux halles SaintMartin mais, par-dessus le marché, cette péronnelle, qui s’était déjà fait tirer l’oreille par son compagnon pour s’asseoir sur mon tabouret, y renonce carrément au dernier moment, prétextant une « urgence » ! Heureusement que ce genre de rencontre est plutôt rare…

15h30 : Manuel J. Grotesque passe sur scène : je ne sais pas qui s’occupe de la programmation musicale, mais je ne lui dis pas merci ! Les textes se veulent décalés mais ils ne sont que débiles, et la musique est insuppor-

18h45 : Je remballe, satisfait de cette première journée où j’ai déjà plus que doublé la mise. Après mille difficultés pour tracter mon chargement sur à peine quelques mètres, je range le matos chez mon ami Jean-Yves, en me promettant de revenir demain avec trois autres contenants et de jeter dans la foulée cette vieille valise complètement pourrie ! Histoire de gagner du temps, je m’achète une saucisse-frites pour pouvoir manger sur place : ce n’est pas le nec plus ultra en matière de gastronomie, mais quand on s’est contenté d’une boîte de thon à midi et qu’on a eu une journée fatigante, ça fait un bien fou ! Je garde tout de même mon casque antibruit pour supporter la foule environnante et ce n’est pas le collectif de hip-hop qui joue sur scène qui me donne envie de m’ouvrir au monde…

Vendredi 19 mai

11h : Je n’ai toujours pas eu de clients, mais c’est normal le matin, surtout le vendredi. Je prends donc mon mal en patience, ce sont surtout les gosses qui crient sur le parc de jeux qui m’agacent… Quand je pense qu’on m’enguirlandait chaque fois que je haussais la voix parce que quelque chose me gênait, j’ai un peu de mal à digérer qu’on laisse les gamins hurler sous prétexte de défoulement !

11h30 : Je reçois ma première cliente de la journée. Je suis assez content du résultat mais je n’ai pas le réflexe de prendre une photo d’elle avec sa caricature : je ne sais pas exactement selon quels critères je décide de le faire ou non, ça dépend en grande partie du rapport que j’entretiens avec le client pendant ce court laps de temps où nous établissons un lien très particulier. Ce qui m’étonne, c’est d’avoir fort peu de refus, alors même que je précise à chaque fois que c’est pour mon blog que je prends ce cliché ! Il est vrai que de nos jours, se retrouver en photo sur Internet est totalement banalisé…

12h45 : « Les petites chansons folk » sauvent l’honneur de la scène, bafoué hier par l’imbécile qui m’a tant cassé les oreilles : voilà un spectacle sympa, familial et bon enfant, on a même droit à des reprises des Beatles ! Vous voyez bien qu’on n’a pas besoin de chercher à tout prix quelque chose de totalement inédit pour plaire au public ! L’originalité, c’est comme toutes les bonnes choses, point trop n’en faut : si certaines choses sont faites et refaites depuis des années, c’est parfois pour de bonnes raisons…

14h45 : Je réalise une caricature d’après une photo sur smartphone : je suis étonné qu’on ne me l’ait pas déjà demandé au moins deux fois depuis hier ! Y aurait-il donc un espoir que la civilisation du tout-numérique n’écrase pas tout ?

Samedi 20 mai

15h25 : Je ne voulais pas y croire en consultant le programme, mais c’est la vérité : c’est bien une sélection d’artistes familiers des scènes ouvertes Mic Mac qui nous est proposée ! Ainsi, j’ai l’immense plaisir de réécouter successivement Carlos et Morgane sur une scène à la hauteur de leur talent ! Non, on m’a pas sollicité et c’est tant mieux : j’aurais probablement refusé, on ne peut pas être à la fois au four et au moulin…

9h55 : Alors que j’ai déjà installé mon stand et que l’ouverture est pour dans cinq minutes, j’éprouve le besoin impérieux et urgent de passer un coup de balai : les mégots, les capsules et autres déchets ont cochonné l’espace situé devant moi, je ne peux supporter d’attendre que les bénévoles le nettoient à ma place, un mélange d’impatience et de culpabilité m’amène à faire ce sale boulot. Un gamin ratisse la place sous mes yeux, probablement poussé par ses aînés, il me fait penser à Zorrino dans Tintin, cet « enfant des rues voué à la débrouillardise et aux petits boulots pour survivre » (comme dit Albert Algoud), alors même que sa situation n’est certainement pas comparable : ça achève de me motiver à exécuter cette tâche désagréable pour laquelle je ne suis même pas compétent, j’emporte beaucoup de cailloux avec moi, j’en remplis les sacs poubelle, je suis obligé de ramasser certains déchets à la main… Je m’arrête quand j’estime que la place est suffisamment nette devant moi pour ne pas dégoûter les clients : une bénévole me remercie, m’assurant que je n’étais pas tenu de faire ça, qu’ils s’en seront occupés Est-ce que je dois être fier de moi ? En tout cas, j’espère que les fêtards qui ont à ce point salopé l’espace public ne le sont pas, eux !

La première grande scène de Morgane Meillour : espérons que ce ne soit pas la dernière !

11h30 : Comme chaque année, la dernière journée de foire s’est ouverte en « fanfares », au sens propre comme au sens figuré : il faut être honnête, les fanfares, c’est toujours plus ou moins la même chose, j’ai un peu de mal à comprendre qu’on puisse encore s’y intéresser à l’âge adulte ! Je ne devrais pourtant pas cracher dans la soupe car ces ensembles cuivrés attirent du monde et mon petit commerce en bénéficie. Il n’empêche que ça me casse vite les oreilles et que j’ai hâte que ça prenne fin…

16h30 : Une jeune et charmante cliente me demande l’autorisation de m’interviewer en vue d’un projet théâtral dans le cadre de ses études. Je n’ose pas refuser mais je le regrette assez vite, d’une part parce que ses questions sont beaucoup trop générales (c’est une erreur répandue chez les débutants) et auraient nécessité un temps de réflexion ou, au moins, un contexte un peu moins animé, d’autre part parce que les passants hésitent à me solliciter, pensant que je suis trop occupé : j’y remédie en improvisant un panneau précisant que ce n’est pas parce que je suis en train de répondre à la demoiselle que je ne peux pas faire de dessins. Bien m’en prend, les clients reviennent aussitôt. Il n’empêche que j’ai l’impression que l’entretien a duré longtemps et je serais curieux de voir ce que cette jeune fille va tirer de nos échanges : je risque d’être surpris par mes propres réponses !

18h45 : Je suis en train de remballer, nageant jusqu’au cou dans la satisfaction : le bilan est on ne peut plus positif, j’ai plus que décuplé ma mise ! Un groupe de jeunes vient me retrouver pour me demander de les caricaturer : constatant leur dépit, je me déclare prêt à les prendre en troisième vitesse Mais ils me disent qu’ils sont six à vouloir se faire défigurer ! Je suis obligé de décliner : je n’ai pas le temps matériel de tous les faire passer, je risquerais de dépasser l’heure de la fermeture et de rater l’heure du rendez-vous qu’une amie m’a fixé. De toute façon, j’ai déjà bien gagné ma journée et je suis épuisé ! Je leur donne ma carte de visite en les exhortant à me recontacter pour prendre rendez-vous : mais je ne me fais pas d’illusion, sur toutes celles et tous ceux qui prennent ma carte, il n’y en pas un dixième qui me rappelle…

Notre reporter peut être fier de son expérience à la Foire aux croûtes ! Mais la vie n’est pas faite que d’éclatants triomphes… Tournez la page et découvrez, en dessins, comment il a failli être victime d’une escroquerie !