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soleil bzzz bzz
Jim Fibber
— Ils sont là ! Le premier camion est là.
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Tous les ans c’est le même cirque aux alentours du mois de Mai. Lili devient intenable et tout le monde rigole de sa passion pour la fête foraine. Tout le reste de l’année, l’immense place de la ville est désertique, sauf pour les manifestations, fournaise blanche en été, parking troué de flaques d’eau en hiver. Personne n’ose traverser la place en son milieu, les passants préfèrent l’argent faire le détour par les bords. Mais un beau jour, un camion débarque, puis tous les autres, et les forains investissent la place pour un mois. Le meilleur mois de l’année selon Lili. — Le reste du temps c’est un désert sans âme.
Ils sont organisés, chacun sait ce qu’il doit faire, comme dans une légion romaine. En 24 heures, les immenses attractions sont debout, solides et vertigineuses, elles font de l’ombre à Lili, qui essaie dès le premier jour de retrouver les visages familiers derrière les stands. C’est un monde qui lui est totalement étranger. Ses parents ont une auto-école et rêvent qu’elle prenne le relai. Pas de forains dans la famille. On ne devient pas forain comme ça. Il faut au minimum un mariage. Mais on épouse pas comme ça un forain. C’est sa mère qui lui dit ça.
Lili traîne dans les sillons de la fête foraine, comme une petite bête dans le fond d’un paquet de bonbons. Toute la ville est là. Elle aimerait prendre plus de temps pour saluer tout le monde, mais les gens du reste de l’année compte bien peu au mois de Mai. Le reste de l’année, Lili est ceinture noire de tristesse. En mai elle s’éclaire. Sa mère dit à la boulangère qu’elle aimerait bien que ça dure tout le temps. La boulangère n’a pas trop le temps. Aux autres, Lili dit qu’elle aime le printemps. Ça passe inaperçu, tout le monde aime le printemps.
La foire ramène sa poésie itinérante, ses histoires de grands chemins, que les forains racontent à haute voix aux citadins médusés. Dans la petite ville, rien ne se passe vraiment. L’usine de brownie a fermé, un prof est venu ivre au lycée, un Ter a été braqué en gare. La jeune lycéenne croit aux grands départs depuis ceux de ses chats les uns après les autres.
— Philémon est parti, il habite ailleurs maintenant.
— Mais ?? Pourquoi on ne peut pas aller avec lui ?
— Parce qu’on a pas fini de payer la maison.
Avec son argent de poche, Lili teste tous les stands, tous les manèges. Comme ça elle échange avec toutes les familles. Avec les années, elle est devenue très forte au tir à la carabine et au lancer de ballon de basket. Elle comprend les mécaniques de la ruse. Lili prend le temps de comprendre les gestes, d’écouter les voix des forains. Parfois, elle ose poser des questions.
— Comment on devient forain ?
— Faut être avec nous. T’as pas un manège comme ça.
— Il n’y jamais de nouveaux forains ?
— Hm. Tu vois lui là-bas ? C’est pas un forain mais il est avec nous tous les week-ends. La semaine il est policier municipal. Le reste du temps il fait croire qu’il est forain.
Lili grimace en s’imaginant monitrice d’auto-école la semaine et sur les fêtes foraines le weekend, à essayer de se faire passer pour une foraine. Est-ce qu’un jour on lui dirait de venir pour de bon, direction le sud, fini les heures de conduite et à l’aventure, plus loin que les routes qu’elle connaît ? Peut-être qu’il y a une cérémonie pour être intronisé. Ou alors tout le monde a un tatouage secret ? Lili hallucine à force de se nourrir des bonbons du stands fluorescents où les soleils automatiques excitent les yeux et les besoins imaginaires.
Au lycée, tout le monde rigole de sa passion printanière. — Lili ma cousine tu peux m’avoir un tour de manège gratuit ? — Lili tu seras plus là pour le bac de français du coup ? Les autres ne font que passer à la fête, petit date ou viré entre amis, un tour de manège en hurlant, des churros grand format sans supplément. Le reste de l’année, elle est pétrifiée du regard des autres, mais pendant la fête c’est pas pareil, elle ose répondre. — Eh, la meuf de ton frère a couché avec le forain du super soleil.
Au cas où elle deviendrait foraine par miracle, Lili s’applique en maths. C’est une maman sur un stand qui lui a dit que le calcul c’est la base. — Si t’es nul en calcul, tu vas tourner le cochon grillé à la broche.
Tous les ans, c’est le même cirque au mois de mai. Lili zinzin déserte la maison pour la fête foraine. Mais on est en janvier. Lili au milieu de la place déambule sous la pluie battante. Les deux mains dans le vide comme si elle tenait une grosse peluche et un paquet de bonbons. La place grand désert abrite une fête foraine imaginaire, Lili en plein mirage tire à la carabine dans un oasis qu’elle voit seule au milieu de la ville. Dans son délire, le mois de Mai dure toute l’année.
C’est l’été, les grandes vacances, les jobs saisonniers, les beignets à la plage. Mais pour des milliers de jeunes de 15 à 17 ans, cet été sera celui de leur SNU. Le Service National Universel, instauré en 2019, a déjà accueilli plus de 50 000 volontaires lors de ses séjours de cohésion1. Le gouvernement en a fait son grand projet pour la jeunesse. L’opposition le qualifie de nouveau service militaire. Qu’en est-il vraiment ?
Le SNU s’est construit sur le postulat suivant. La nation n’est plus unie et fait face à une montée de l’individualisme et des communautarismes. La jeunesse, elle, ne s’engage plus et ne trouve pas de projets d’avenir. C’est un constat conservateur classique, rempli de démagogie. En réalité, c’est les 1624 ans qui s’investissent le plus dans la vie associative2 Et il est légitime qu’ils aient du mal à s’imaginer un futur cohérent : la société capitaliste a engendré des crises sociales, climatiques et économiques. Au lieu de plaider coupable pour les torts causés et d’agir structurellement pour offrir un avenir viable aux jeunes, le gouvernement leur propose 12 jours de “vivre ensemble”.
Il n’est pas encore un service militaire mais le SNU garde des teintes de son prédécesseur. Un tiers des encadrants viennent des métiers en uniforme. Ils sont là pour transmettre la discipline et le respect de la hiérarchie. Chaque matin à 7h45, tous les membres du séjour se rejoignent dehors pour se mettre en rang, puis au garde à vous. On lève le drapeau français et on chante la Marseillaise. Comme lors d’une cérémonie militaire officielle. Les volontaires sont soumis au port de l’uniforme et la pédagogie appliquée est celle de l’obligation, de la sanction et de l’ordre.
Les activités proposées lors du séjour sont variées mais inutiles. Le SNU n’apporte rien de plus que ce que pourrait faire l’Éducation Nationale si on lui donnait plus de moyens. Il ne sert en fait que de centre de recrutement pour les corps en uniforme. 33% des volontaires ayant déjà leurs parents dans le métier3
Face à une jeunesse de plus en plus informée sur ses dérives, le gouvernement utilise le SNU comme contre-propagande. Mais ce n’est qu’une étape. Le rendre obligatoire est toujours en projet. Des départements tests4 ont été dévoilés pour janvier 2024. Pour pallier au manque d’encadrants formés et à la majorité de non-volontaires, le SNU obligatoire deviendra forcément de plus en plus militaire, autoritaire et standardisé.
Le projet de société défendu par le SNU est plus que naïf, il est dangereux. Contre l’individu, il fait primer le collectif. C’est la stratégie de la masse nier les individualités pour invisibiliser les inégalités. On souhaite une jeunesse standardisée, docile, patriote, et non libre, consciente et militante. C’est une lente mise au pas, un combat contre l’émancipation des jeunes et des individus.

Un combat qui coûte 140 millions par an5 dans sa forme actuelle. 3 milliards s’il est rendu obligatoire un texte de loi, il peut donc changer de forme au gré des gouvernements. Passée l’obligation, on ne peut savoir ce qu’il en adviendra. Le retour en arrière, c’est maintenant qu’il est possible.


Lorsque l’amour de la nation devient le cache-misère des inégalités et que l’on appelle des militaires pour former la jeunesse, on a le droit d’avoir peur. La montée des fascismes en Europe n’est pas un mythe. Elle s’accentue. Le SNU est un présage de plus.
1 : Le SNU comporte 3 phases : séjour de 12 jours, mission d’intérêt général de 84h, et engagement de 3 mois facultatif.
2 50% des 16-24 ans sont membres d’associations, enquête ENEAD, 2021.
3 Enquête INJEP : Évaluation des séjours de cohésion 2022.
4 Information du syndicat scolaire SNES FSU, 26 février 2023.
5 Projet de loi de finances pour 2023 : Jeunesse et vie associative, Avis n° 120 (2022-2023), tome VI, fascicule 2, déposé le 17 novembre 2022.
6 Le service national universel la généralisation introuvable, Rapport d’information n°406 (2022-2023),déposé le 8 mars 2023.
Pour la grande saison, on se devait de vous faire un grand article de tourisme. Mais on n'avait pas envie de partir loin. Alors on a imaginé des vacances locales. Ça coûte moins cher, ça pollue moins. Et notre région, malgré les apparences, regorge de coins à explorer. On est partis à la conquête de l’Est. En 3 étapes, triathlon touristique : nage dans la Meuse, vélo dans la Meurthe-et-Moselle et course dans les Vosges. Il y en a pour tous les goûts. On vous raconte dans notre carnet grand format.


Quand on arrive près d’un lac, toujours en faire le tour. Si ça dure + d’une heure, c’est la mer.

