La Fabrique des plantes, tome 1 (extrait)

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Yoan Coudert • Louise Joor

Tome 1 Un jardin presque ordinaire


© 2022 Pourpenser Editions www.pourpenser.fr Textes : Yoan Coudert Illustrations : Louise Joor Maquette : Yoan Coudert - Athena Lecoussis Correction : Sophie Loubier Toute reproduction, même partielle, de cet ouvrage est interdite sans autorisation de l’éditeur. Loi n°49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse. Dépôt légal : avril 2022 ISBN : 978-2-37176-141-4 Imprimé par Xavier, Freddy et Thierry chez BDM - Pays de la Loire


À ma maman et à toutes les personnes qui, elles aussi, aiment ces êtres fantastiques que sont les plantes. Louise

À mes campanules, pour leur amour et leur soutien inconditionnels. Yoan


Préface Yoan Coudert et Louise Joor méritent notre gratitude pour avoir décidé, dans un livre pédagogique, de libérer la botanique de son image ancienne et sclérosante de demiscience ennuyeuse – pour rester polis. Comment y voir une science à part entière, pleine d’intérêt et propre à faire surgir des passions durables tant que les maîtres se bornaient à nommer des dizaines ou des centaines d’espèces de plantes et attendaient de leurs élèves qu’ils en retiennent les noms ? Peut-être trouvera-t-on que j’exagère ? Hélas, je sais de quoi je parle, car je l’ai vécu en tant qu’étudiant en botanique et biologie végétale à la Sorbonne à la fin des années 1950 ; j’avais le sentiment que tout était fait pour nous dégoûter définitivement des plantes ; apprendre un cours ressemblait à la mémorisation d’un annuaire du téléphone écrit en latin. Heureusement, quelques enseignants avaient l’expérience de l’écologie naissante, des tropiques, des fossiles, de la génétique ou de l’ethnobotanique, et ceux-là passionnaient leurs étudiants. Dans un texte vif, alerte et souvent humoristique, La Fabrique des plantes met en scène Samara, une bestiole volante, irascible, drolatique, gourmande et légèrement coquine, que je peine à identifier, mais qui a le rôle décisif de veiller à ce que l’auteur s’exprime de façon simple et soit compris par tous les lecteurs. Cette bestiole volante ignore tout des plantes, donc elle constitue une bonne référence en la matière : si Samara comprend, tout le monde comprendra. L’ouvrage parle des plantes elles-mêmes sans passer par les noms latins dont elles ont été affublées sans que l’on se soucie de savoir si cette terminologie leur plaisait. Ici, les plantes sont désignées par leur nom usuel et c’est fort bien ainsi.

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À notre époque de dérèglement climatique, personne ne doit plus ignorer le rôle bénéfique des plantes et le respect que nous leur devons. J’aime particulièrement cette phrase : « Dans une société où l’être humain est trop souvent son propre centre d’intérêt, l’idée de porter son regard ailleurs et vouer son temps à ces êtres si différents me plaît énormément… » Cela définit avec exactitude la place de Yoan Coudert – et incidemment la mienne – vis-à-vis du monde des plantes. Des sujets de biologie des plantes sont successivement abordés. Comment naissent les feuilles et pourquoi leurs deux faces sont-elles différentes l’une de l’autre ? À quoi sert l’ADN ? Qu’est-ce que l’on entend par l’expression « horloge moléculaire » ? Quel est le rôle des mutations ? Pourquoi le tournesol oriente-t-il ses fleurs vers le soleil ? Pourquoi un fruit sans graines ne peut-il mûrir ? À quoi sert la cuticule ? Que nous apprennent les mousses sur l’évolution des plantes ? Comment fonctionnent les stomates ? Comment les racines s’orientent-elles dans le sol ? Ce sont des questions importantes et représentatives de la biologie végétale contemporaine ; les réponses sont à ce point originales et intéressantes que les lecteurs souhaiteraient que la liste des questions abordées soit beaucoup plus longue, et Samara est sûrement du même avis. Si j’ai bien compris, il ne s’agit, fort heureusement, que du premier tome de l’ouvrage, donc tous les espoirs sont permis ; je fais partie de ceux qui attendent avec impatience le deuxième tome.

Francis Hallé, botaniste Montpellier, Août 2021

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Introduction Vous êtes-vous déjà demandé comment grandissent les plantes ? Où naissent les feuilles ? Pourquoi ont-elles autant de formes différentes ? Pourquoi sont-elles plates ? Et pourquoi les feuilles de la salade de mon jardin repoussent si je les coupe ? Est-ce que les plantes respirent ? Comment survivent-elles en plein soleil tout l’été sans se déshydrater ? D’ailleurs, comment font les tournesols pour suivre le soleil au fil de la journée ? Et les racines, comment s’orientent-elles dans le sol si elles n’ont pas d’yeux ? Et tant d’autres questions encore… Je me prénomme Yoan, je suis chercheur dans un laboratoire de biologie végétale et voici le genre de questions que je me pose et auxquelles j’essaie de répondre...

Et moi, c'est Samara, mais vous pouvez m'appeler Sam !

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Samara... on avait dit que tu n’interviendrais pas avant la fin de l’introduction et tu as à peine tenu quelques lignes ! Laisse-moi au moins leur expliquer de quoi on va parler dans ce livre...

Oups, désolée...

Je suis donc biologiste et j’étudie le développement et l’évolution des plantes. Passe-temps fascinant ou plutôt étrange penserez-vous peut-être... Pour faire simple, je consacre une bonne partie de mes journées à tenter de comprendre comment les plantes qui nous entourent grandissent et se transforment au fil du temps pour adopter l’apparence qu’on leur connaît. Pour repousser les limites de la connaissance et en apprendre toujours plus sur notre monde, j’emploie la bien nommée démarche scientifique. Cela veut dire qu’à partir d’observations documentées j’établis des hypothèses et je construis des expériences rigoureuses pour les tester dans mon laboratoire. Cela dit, je dois vous avouer quelque chose... Outre le fait que c’est mon travail, j’aime les plantes !

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Moi aussi, j'aime les plantes !

En toute honnêteté, je crois que la fascination que je leur voue n’enlève rien à l’objectivité et à la rigueur nécessaires à mon activité de recherche. Elle renforce simplement mon envie de percer leurs secrets. Je trouve les plantes belles, paisibles et fortes. Elles dégagent une forme d’altérité qui me fascine, en cela qu’elles n’ont pas besoin des humains pour exister alors qu’au contraire nous aurons toujours besoin d’elles. Que ce soit pour nous nourrir, nous vêtir, nous chauffer ou bien d’autres choses encore, nous dépendons des plantes pour vivre. Dans une société où l’être humain est trop souvent son propre centre d’intérêt, l’idée de porter son regard ailleurs et vouer son temps à ces êtres si différents me plaît énormément, d'autant plus qu’il y a tellement de choses à en dire… La petite bestiole qui m’accompagne, c’est Samara, mais ça, vous le savez déjà !

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Notre rencontre remonte à quelque temps déjà. Je venais d’emménager dans un petit village de la région méditerranéenne, entre vignes et collines. En apparence, rien d’extraordinaire, et pourtant… Alors que le printemps pointait son nez, je m’apprêtais à débroussailler le jardin laissé en friche depuis un long moment. C’est là qu’elle a surgi ! Elle était cachée au fond d’un vieux pot, perdu au milieu des herbes hautes. Après un premier contact furtif, sa curiosité l’a emporté et elle s’est laissé approcher. Elle m’a raconté qu’elle vivait là, au cœur de ce jardin, parmi les campanules... Au travers de ce livre, nous allons vous faire découvrir cet endroit. Une immersion dans un monde si proche, car cela pourrait être chez vous, et pourtant mystérieux, car il n’est pas évident de voir les choses que l’on ne connaît pas. Une plongée au cœur d’un jardin presque ordinaire pour poser le regard sur les merveilles de la nature, et notamment les plantes, comme vous l’aurez compris. Avec une obsession, celle de comprendre comment elles fonctionnent pour s’émerveiller et mieux les respecter !

On y va , vous me suivez ?

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sommaire 1. Le point végétatif, un

secret bien gardé (p. 12)

2. Recontre au sommet (p. 16)

3. Des feuilles qui n’arrêtent plus de pousser (p. 22)

4. Des feuilles

sens dessus dessous (p. 32)

5. L’horloge de la tomate (p. 39)

6. Le secret du mouvement des tournesols (p. 44)

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7. Des graines qui font rougir les fraises (p. 52)

8. La carapace invisible des plantes (p. 61)

9. Des petits trous pour contrôler sa transpiration (p. 71)

10. Plongée souterraine… (p. 81) 11. Une coiffe

protège et oriente les racines (p. 85)

12. Il y a du gaz dans le sol (p. 92)

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1 Le point végétatif, un secret bien gardé Tailler un arbre, tondre la pelouse, récolter quelques brins de menthe ou de persil… Des gestes anodins qui ne mettent pas en péril la vie des plantes. Pourtant, il ne nous viendrait pas à l’idée d’aller « cueillir » la patte d’un poulet ou le jambon d’un cochon pour se nourrir et d’attendre que ceux-ci repoussent. Le geste serait évidemment fatal ! Alors pourquoi peut-on le faire chez les plantes ? Pourquoi est-il possible d’enlever un bout d’une plante sans la tuer ? Détiendraient-elles le secret de la vie éternelle ? Pourraientelles se régénérer à l’infini ? Eh bien, en quelque sorte, oui ! Et c’est pour mon plus grand plaisir que je vais vous révéler l’existence d’une zone essentielle, mais assurément méconnue : le point végétatif (ou point V pour les intimes…).

Ah oui, tu n'es pas quʼ’un scientifique, tu fais dans l'humour aussi !

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1 Ce point végétatif représente un élément central dans le fonctionnement des plantes. En langage scientifique, il s’appelle aussi « méristème ».

On avait dit pas de gros mots !

Désolé, déformation professionnelle, mais je te promets que je vais essayer… Pour expliquer cela, prenons deux exemples. Celui de la laitue et, pour commencer, celui d’un arbre. À vrai dire, le type d’arbre n’est pas très important puisque ce principe est applicable à toutes les plantes de la planète. Notre arbre est de façon très générale constitué de branches et de feuilles pour sa partie aérienne, et de racines pour sa partie souterraine. Concentrons-nous sur les branches et observons attentivement leurs extrémités. Là se trouvent des feuilles plus petites que les autres, empaquetées de façon très organisée. Eh bien, c’est au milieu de ces feuilles, caché en leur cœur, que se trouve le point végétatif !

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1 C’est ici, dans cette minuscule zone à l’abri des regards, que tout se passe... C’est là que la plante va se former, que la tige va pousser et que de nouvelles feuilles vont apparaître. Ingéniosité végétale, la plupart des plantes n’ont pas un seul mais des dizaines ou des centaines de points végétatifs.

point végétatif

Autre point végétatif

Arbre

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point végétatif tige très compacte

Laitue (dévoilant son anatomie)

Revenons-en à nos salades, enfin notre second exemple… Vous avez probablement déjà remarqué qu’on pouvait couper les feuilles d’une laitue et que cela n’allait pas l’empêcher de repousser. Cette capacité tient au fait que son unique point végétatif (certains sont moins chanceux que d’autres...) est situé à la base des feuilles, dans le fameux « cœur » de la laitue. Si celui-ci reste intact pendant la phase critique de récolte de la salade, vous pourrez garder votre laitue en vie et, à condition de l’arroser délicatement, lui permettre de continuer à produire des feuilles pour vous nourrir.

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2 Rencontre au sommet Excuse-moi, mais il y a un truc pas clair… Je vois bien le point végétatif, mais je ne comprends pas d'où sortent les feuilles. Ah oui, mais c’est normal. Quand les feuilles poussent, au tout début, elles sont minuscules et on ne peut pas les voir à l’œil nu. C’est pour ça qu’au laboratoire on utilise des microscopes ! Mais… qu’est-ce que tu fais Samara ?

Bah ! Le microscope ! Quoi ? Alors là, c’est moi qui ne comprends plus…

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2 J'ai plein de talents cachés tu sais... Quand je bats des ailettes très vite, je rétrécis.

Mais où es-tu ?

Je crois que j'ai atterri sur le point végétatif ! point végétatif

Pour le savoir, c’est simple, le sommet du point végétatif a la forme d’un dôme, comme la surface d’un ballon de baudruche. Un minuscule ballon qui mesure en moyenne un dixième de millimètre.

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2 Ah bah oui, je suis en plein dessus alors ! Mais que se passe-t-il ? Ça bouge !

jeunes feuilles

feuille en train de naître

centre du point végétatif

bébé feuille Nous y voilà, tu assistes en direct à la naissance d’une feuille ! Va vite te mettre au centre du point végétatif, ça devrait être beaucoup plus calme.

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2 Dans la zone centrale, il ne se passe pas grand-chose. Du moins en apparence car, sous l’épiderme, qui est en quelque sorte la peau de la plante, les cellules grandissent et se divisent continuellement. Elles vont progressivement être poussées vers le pourtour et serviront à former les feuilles. On peut se représenter les cellules comme les pièces d’un puzzle, elles ont des formes et des tailles différentes. En s’associant, elles définissent les tissus, comme l’épiderme, et un ensemble de tissus va constituer un organe, comme la feuille.

Mais pourquoi une feuille va-t-elle se former à cet endroit et pas à un autre ? Dans les cellules, il y a une myriade de petits messagers qui leur donnent les instructions à suivre et guident leur destin. Un de ces messagers s’appelle l’« auxine ».

auxine

Du grec ancien «auxè» qui veut dire « croissance »… Tu parles grec, toi ?

J'ai quelques notions, oui… Tu es pleine de ressources, en effet ! Donc, l’auxine va affluer dans certaines cellules du pourtour et leur donner l’ordre de se transformer. En réponse à ce signal, les cellules vont continuer à se diviser et s’organiser pour prendre la forme d’une feuille. Une fois la feuillée initiée, un mécanisme empêche les autres feuilles de pousser à proximité. La feuille suivante se formera donc un peu plus loin, et ainsi de suite.

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2 On a même calculé que l’angle formé entre les feuilles successives est généralement de 137 degrés (qu’on écrit aussi 137°), soit un peu plus du tiers d’un cercle, ce qui donne la belle disposition des feuilles en spirale que l’on peut voir sur la plupart des plantes.

Disposition des feuilles en spirale autour de la tige

137°

l’auxine donne le signal pour faire naître une feuille.

À ce jour, on ne comprend pas bien comment un angle si précis est contrôlé, mais on sait que les pompes à auxine, de petits canaux qui transportent l’auxine de cellule en cellule, jouent un rôle essentiel dans ce processus.

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2 Il existe des plantes malades chez qui ces pompes sont « en panne » et ne peuvent plus transporter l’auxine. On parle de « plantes mutantes », car la maladie est causée par une mutation génétique (nous y reviendrons dans une chronique suivante). Des collègues de l’université de Berne, en Suisse, ont montré que ces plantes mutantes étaient incapables de produire des feuilles à la bonne place. Dans certains cas, elles ne font plus de feuilles, ni de fleurs et les tiges sont complètement nues !

Plante en pleine santé les feuilles et les fleurs ne peuvent pas se former normalement.

Plante malade incapable de transporter l’auxine

Dans une dernière expérience, ils ont déposé une goutte d’auxine sur la tige nue de ces plantes, ce qui a provoqué l’initiation d’une feuille à cet endroit. Ce résultat est important, car il démontre que le message porté par l’auxine est suffisant à lui seul pour déclencher la formation des feuilles au sommet de la tige !

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