Les alpes et leurs imagiers

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LES ALPES ET LEURS IMAGIERS

conduit à réviser une idée solidement ancrée, et toujours répétée, selon laquelle il n’y aurait eu que désintérêt et crainte devant la montagne jusqu’au 18e siècle (jusqu’à Albrecht de Haller) et depuis là, dans une évolution subite, un goût immodéré pour les cimes. Certains vont jusqu’à parler d’une « invention » de la montagne. Il faut relativiser le prétendu rejet qu’auraient marqué les siècles anciens, et de même la rupture qu’aurait introduite le 18e. Ainsi, au 16e siècle déjà, des savants et des lettrés, le plus souvent liés au mouvement réformateur, apprécient la montagne, y font des excursions et en décrivent les singularités. Les plus anciennes images qu’on peut associer aux voyages dans les Alpes appartiennent à la Cosmographia universalis de Sebastian Münster, dont la première édition allemande parut à Bâle en 1544, et qui fut ensuite rééditée, traduite ou adaptée en latin et en français, réécrite et augmentée jusqu’au début du siècle suivant, où elle servait encore de référence. La partie suisse de la Cosmographie (Helvetia : Schweitzerland), était présente dès les premières éditions. Elle comportait de nombreuses illustrations, et notamment plusieurs de ces cartespaysages que la science de l’époque affectionnait (ill. 2.1). On y voit des montagnes stylisées, des rivières et des lacs dessinés sans échelle, des villes miniatures, une toponymie approximative, tout un monde de pictogrammes destinés à faire apparaître des formes géographiques et architecturales, des localisations, des rapports spatiaux. L’illustration comporte aussi des sites, villes ou lieux connus, telle la belle image des bains de Loèche, où les hautes montagnes sont montrées comme des flammes emportées dans un mouvement ascendant ; elles entourent le village avec, en son cœur, un bâtiment des bains où l’on distingue les baigneurs nus (ill. 2.2). La Cosmographia universalis, pierre milliaire dans l’histoire de la géographie, peut être associée aux voyages parce que Sebastian Münster avait parcouru lui-même les parties de l’Europe dont il a assuré la rédaction, à savoir la Suisse et l’Allemagne, mais aussi parce que les voyageurs s’en servaient comme d’un guide. Nous avons à cet égard le témoignage de Montaigne, 28


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