Dessiner - 17 films pour apprendre

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Dessiner

17 films pour apprendre Charles Duboux

Presses polytechniques et universitaires romandes


Oui, dessiner peut s’apprendre… à condition d’en connaître les principes et de pratiquer les exercices indispensables à son apprentissage. C’est ce à quoi s’attache ce petit manuel, sous la forme d’un exposé simple et pédagogique, augmenté de 17 courts métrages d’initiation à la pratique. Les principaux théoriciens ayant marqué l’histoire du dessin, ainsi que la description de leurs apports essentiels accompagnés par de nombreux dessins d’enfants ou d’adultes, jalonnent le fil du texte. Une synthèse claire, originale et appliquée pour révéler l’artiste qui sommeille en chacun de nous !

Dessiner

17 films pour apprendre Charles Duboux

Voix: Catherine Kunz Réalisation: Charles Duboux, Valérie Jaton, Philippe Ramel

© 2014, Presses polytechniques et universitaires romandes Tous droits réservés. Reproduction interdite. Ne peut être vendu séparément de l’ouvrage.

inclus

Presses polytechniques et universitaires romandes


Dessiner



Charles Duboux

Dessiner 17 films pour apprendre Avec la collaboration de ValĂŠrie Jaton et Philippe Ramel

Presses polytechniques et universitaires romandes


L’éditeur et l’auteur remercient la Haute Ecole Pédagogique et l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne d’avoir soutenu et encouragé la présente publication. L’auteur remercie chaleureusement pour leurs conseils, soutiens, relectures ou encore les nombreuses raisons connues des intéressés même : Arduino, Bernard, Catherine, Coraline, Danielle, Denis, John, Katja, Laurent, Léo, Marie-Pierre, Nicole, Olivier, Philippe, Tilo, Ulrich, Valérie.

Du même auteur : Le dessin comme langage

Illustration de couverture: Charles Duboux Réalisation et conception graphique du DVD: Recto Verso, Gletterens Illustration du DVD: Dessin d’un enfant de 6 ans.

La Fondation des Presses polytechniques et universitaires romandes (PPUR) publie principalement les travaux d’enseignement et de recherche de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), des universités et des hautes écoles francophones. Le catalogue général peut être obtenu par courrier aux: Presses polytechniques et universitaires romandes, EPFL-Rolex Learning Center, CP 119, CH-1015 Lausanne, par E-mail à ppur@epfl.ch, par téléphone au (0)21 693 41 40 ou encore par fax au (0)21 693 40 27. www.ppur.org Première édition 2014 © Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne ISBN 978-2-88074-994-1 Tous droits réservés Reproduction, même partielle, sous quelque forme ou sur quelque support que ce soit, interdite sans l’accord écrit de l’éditeur. Imprimé en Italie


Table des matières

Préface de l’éditeur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 A vos crayons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 Le dessin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 Le crayon – Film 1 15 Dessiner pour apprendre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 L’exercice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24 Le mur de briques – Film 2 25 La concentration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 Vase visage – Film 3 33 L’expression. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44 Un espace clos – Film 4 45 La communication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 Une fenêtre – Film 5 53 L’analyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60 L’homme de Vitruve – Film 6 61 L’imagination . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72 La main – Film 7 73 L’imitation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le quadrillage – Film 8 La vitre – Film 9 L’ombre – Film 10

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Dessiner :17 films pour apprendre

La création. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104 Une mosaïque – Film 11 105 Trois conventions de dessin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113 Les faces. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114 Un paquet – Film 12 115 Des profils – Film 13 123 Les volumes simplifiés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130 Une boîte – Film 14 131 Un schéma de montage – Film 15 139 Les volumes conformes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146 Un carton à chaussures – Film 16 147 Une paire de souliers – Film 17 155 Nota bene . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163 Dessiner . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163 Apprendre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165 Crédits des images . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166

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Préface de l’éditeur

Qui n’a jamais rêvé de savoir dessiner ? De prendre son crayon et reproduire un paysage, de croquer la personne que l’on a en face sur un coin de table, de représenter une maison ou une ville imaginaire sur une feuille canson… On sait que le dessin, la première parmi les langues convoquées par l’être humain pour s’exprimer, est un alphabet de conventions, de techniques, de méthodes qui ne demande qu’à être exercé par la pratique. C’est d’abord affaire d’envie ou de plaisir, il n’est pas question de talent ici. Loin de toute contrainte ou d’objectif, on laisse libre cours à l’expression. Revisitant les principaux courants de la pédagogie du dessin, Charles Duboux nous prend la main, il y place un crayon, il nous apprend à regarder, il nous ouvre les yeux et nous transmet un savoir-faire. Avec des mots simples il nous rend compte du dessin. A l’aide de 17 films bien conçus et faciles d’accès, il nous apprend à dessiner. Les pages blanches dont le présent ouvrage dispose invitent le lecteur à faire ses premières gammes. A vos crayons !


Qui n’a jamais rêvé de savoir dessiner ?

Accédez au livre et au DVD sur

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Introduction

Introduction

Machine à dessiner, 30 par 15 cm, infographie. Dessin machinal, 30 par 30 cm, feutres sur papier.

A la caisse du Museum Jean Tinguely à Bâle, on peut acheter un jeton permettant d’activer une drôle de machine qui produit des dessins à chaque fois différents. Cette sculpture de la famille des Méta-Matic s’anime d’un mouvement d’abord lent et légèrement chaotique qui s’active ensuite frénétiquement – son moteur tournant trop vite – puis enfin décélère bruyamment. La disproportion entre activité nécessaire et résultat produit, la répétition plus ou moins égale des mêmes mouvements, portent à sourire. Au-delà du plaisir que l’on éprouve à voir et entendre fonctionner cette machine à dessiner, on peut déceler dans le travail acharné de cette petite sculpture une critique de la société machiniste ; le mythe d’une future autonomie des machines, la préfiguration d’un dessin entièrement 9


Dessiner :17 films pour apprendre

assisté. Cet automate est aussi une incitation à redéfinir et requalifier le dessin dit à « main levée ». Aujourd’hui encore les enfants apprennent à dessiner dès l’entrée en scolarité obligatoire. Ils apprennent à dessiner à la main, même si le dessin assisté par ordinateur existe, comme on apprend toujours à marcher malgré l’invention de la roue. Pour de nombreux métiers comme ceux de styliste, scénographe, graphiste, designer, artiste, architecte, etc., cet apprentissage est nécessaire car le dessin est essentiel dans leur profession. Pour les autres, le dessin reste une pratique qu’ils disent ne pas maîtriser. Cette constatation pourrait faire douter des capacités de l’école obligatoire en la matière. Certains s’en portent très bien, d’autres aimeraient avoir le plaisir de s’adonner à cette activité, sans forcément savoir comment s’y prendre. Plusieurs points font polémique dans le domaine de l’enseignement du dessin: la copie de modèles, le dessin d’imitation, les dessins libres et artistiques, la réduction des heures de dessin dans les programmes scolaires constatée dans certains cantons suisses, la formation des enseignants. Parmi les nombreux partis pris, il ne s’agit pas ici de développer une piste plutôt qu’une autre ou de privilégier une chapelle particulière, mais de circonscrire un ensemble qui les engloberait toutes. Comme si chaque prise de position pouvait constituer une des briques d’un édifice en construction et dont ce livre donnerait une vision actualisée. Au-delà des controverses propres au domaine de l’enseignement du dessin, ce manuel s’adresse à toute personne désireuse de s’initier à la pratique du dessin. Elle y trouvera les précieuses réflexions d’artistes, de théoriciens, d’architectes ou d’enseignants qui se sont penchés sur la question du dessin. Il n’est bien sûr pas possible de citer et de commenter tous les auteurs qu’il serait utile de consulter pour apprendre à dessiner: une telle profusion serait certainement indigeste. Aussi ce livre propose une synthèse de ces riches enseignements, sous une forme particulière alliant films, textes et images. Les techniques de dessin sont présentées par des courts métrages. Le visionnement des gestes en mouvement déploie tout son potentiel didactique. A chaque film sont associées une ou plusieurs références à des auteurs qui ont marqué l’histoire du dessin. C’est le volet théorique des techniques présentées dans les films. Finalement, l’ouvrage est illustré par des dessins d’enfants et d’adultes de tous âges, affirmant ainsi l’accessibilité à toute personne motivée des techniques de dessin proposées. Films, textes et images peuvent être découverts de manière linéaire en suivant la pagination du livre, de gauche à droite et de haut en bas, mais aussi au gré des envies 10


Introduction

et des progrès réalisés, en déambulant d’un film à un texte, puis à une image, et ainsi de suite. Le propos est ouvert et organisé en modules indépendants. On peut ainsi entrer en matière où l’on désire ; on peut aussi prendre des notes, faire des croquis et dessiner sur les nombreuses pages laissées blanches à cet effet. Trois chapitres structurent ce manuel. « A vos crayons » donne une définition contemporaine du dessin et décrit cet outil irremplaçable qu’est le crayon. Le film qui accompagne ce chapitre montre comment manipuler le crayon pour relever les directions et les dimensions du sujet et les reporter sur le papier. « Dessiner pour apprendre » invite le lecteur à pratiquer encore et encore le dessin : l’entraînement est la clé de l’apprentissage du dessin. Mais, au travers du dessin, on s’exerce aussi à observer, à représenter et ainsi à comprendre le monde qui nous entoure. Dessiner sollicite un ensemble de facultés aussi bien intellectuelles que physiques. Ces facultés sont à la fois stimulées par le dessin et enrichissante pour sa pratique : créer et imiter, imaginer et analyser, communiquer et s’exprimer, se concentrer et s’exercer. Chacun des dix films qui accompagnent ce chapitre présente une manière d’aiguiser ces acuités et d’exercer ces facultés. Des éclairages théoriques complètent le propos en abordant des auteurs tels que Robert Hainard, Betty Edwards, Arno Stern, Eugène Viollet-le-Duc, Erwin Panofsky, Martin Heidegger, Aby Warburg, Alexander Cozens, Albrecht Dürer, Filippo Brunelleschi, Pline l’Ancien et Léonard de Vinci. « Trois conventions de dessin » présente trois manières de représenter n’importe quel sujet (homme, architecture, nature…), avec n’importe quel outil (du crayon au pinceau). De la plus simple à la plus complexe : la projection orthogonale (dessiner les faces des objets) ; la perspective parallèle (simplifier les volumes) ; et la perspective conique (se conformer, autant se faire que peut, à la vision naturelle). Si un enfant jusqu’à environ 10 ans ne dessine habituellement qu’en projection orthogonale, pour un adulte, les trois conventions sont une bonne piste pour apprendre à dessiner au travers de la représentation de l’espace. Six films présentent les codes de ces conventions et la manière de les exercer. Les textes sur Rodolphe Töpffer, Lazar Lissitzky et Richard Estes enrichissent la démonstration de recherches artistiques et théoriques.

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A vos crayons

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Dessiner :17 films pour apprendre  //  A vos crayons

Le dessin Pour apprivoiser le dessin, rien de plus simple que de commencer par manipuler un crayon.

Valeurs de gris, 8 par 26 cm, crayon sur papier.

Le dessin est né il y a longtemps; on pense bien sûr aux peintures de Lascaux ou l’on imagine les traces dessinées dans le sable qui les ont sûrement précédées. Le dessin n’a jamais disparu, mais il s’est adapté au cours de l’histoire; notamment au 15e siècle où l’on découvre le dessin perspectif, au 19e siècle où l’on invente la photographie et au 20e siècle où apparaît l’informatique. Une vision élargie de l’histoire du dessin permet de postuler qu’il est l’une des quatre langues constitutives du langage spécifique à l’être humain1. Ces quatre langues sont celles des sons, des mots, des nombres et des formes. Chacune de ces langues possède son propre système de signes et sa propre structure. La langue des formes s’articule en quatre éléments :

• Les signes spécifiques du dessin sont le point, le cercle, le triangle et le carré. Ils constituent la base de toute représentation graphique. • Les perspectives agencent de manière convenue et codée les signes. Ce sont la projection orthogonale, la perspective parallèle, la perspective conique, les perspectives des ombres et atmosphérique. • Les techniques sont comme les véhicules ou les médias des signes agencés de manière convenue : tout d’abord les techniques de dessin (crayon, craie, fusain, stylo, feutre) et de la couleur (peintures à l’eau, à l’huile, à base de polymères),

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Cf. Duboux, Charles, Le dessin comme langage, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2009.

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Dessiner nécessite d’apprendre à manipuler au mieux l’outil de dessin ; il peut être une aide pour observer et reporter sur la feuille de papier des inclinaisons et des mesures proportionnées.

Le crayon Film 1 Durée : 4’33 min.

Observation des inclinaisons


Dessiner :17 films pour apprendre  //  A vos crayons

puis les techniques en relief (gravure sur bois) en creux (eau-forte), en aplat (lithographie), et à travers comme la sérigraphie, la photographie et le numérique. • Les thèmes sont les sujets de communication et d’expression, matérialisés au moyen de signes agencés de manière convenue et véhiculés par des techniques de représentation. Ils sont communs aux quatre langues évoquées. On peut citer de manière non exhaustive les thèmes de l’être humain, l’animal, la nature, l’architecture, l’environnement, le paysage, le spectacle, la narration, l’imaginaire, la création…

Valeurs de gris, 8 par 26 cm, pastel sec sur papier.

Signes, perspectives, techniques et thèmes sont déclinables dans les registres aussi bien artistiques que scientifiques, autant subjectifs qu’objectifs. A eux tous, ils permettent de concrétiser la gamme complète des nuances qu’offre le langage. Si l’on accepte que le dessin est une langue propre à l’être humain, il va de soi qu’il peut s’apprendre. Il n’est en effet pas nécessaire d’en avoir reçu le don : comme toute autre langue, le dessin se travaille au contact des autres et par l’exercice personnel ; comme toute langue le dessin peut commencer à s’apprendre à n’importe quel moment de la vie, mais c’est surtout très tôt dès l’enfance que son apprentissage est le plus efficace. La langue du dessin se compose d’une part de lecture, dans laquelle les œuvres peuvent être décrites et analysées, et d’une part d’écriture qui nécessite une pratique, entre imitation scientifique et invention artistique et un exercice assidu de ces outils que sont le pinceau, le fusain, le stylo, le feutre, la craie, le crayon et la souris de l’ordinateur. Le crayon tel que nous le connaissons aujourd’hui est inventé à la fin du 18e siècle. Il n’a donc pas toujours existé, pas plus qu’il n’est devenu obsolète, rien n’ayant à ce jour 16


Le crayon Film 1 Durée : 4’33 min.

Report sur la feuille à dessin


Dessiner :17 films pour apprendre  //  A vos crayons

remplacé son potentiel graphique. Sa mine est composée de carbone impur, qui a pris le nom de graphite pour ses capacités à laisser une trace, et d’argile, terre de couleur grise, qui assure la dureté de la mine. Dans le volume fixe de la mine de crayon, ces deux matières sont mélangées en proportions différentes selon que le crayon est dit B (black, noir) ou H (hard, dur). Plus il y a de graphite, moins il y a d’argile, plus le tracé est foncé et la mine tendre. Moins il y a de graphite, plus il y a d’argile, plus le tracé est clair et la mine dure. Le crayon tendre est normalement privilégié par l’artiste qui peut bénéficier ainsi d’une trace noire, bien visible et large selon la pression exercée. Il permet des dessins rapides sur de grands formats où la gestuelle du corps entier peut s’exprimer. Le crayon dur est, à l’opposé, privilégié par le scientifique, qui peut bénéficier d’une trace grise, fine et précise. Il est adéquat pour les formats où des gestes lents et contrôlés de la main, voire de l’avant-bras, sont garants de l’objectivité du tracé. Le crayon permet donc à tout un chacun de s’exprimer et de communiquer dans toutes les nuances, des plus sombres aux plus lumineuses.

Valeurs de gris, 8 par 26 cm, craie grasse sur papier.

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Le crayon Film 1 DurÊe : 4’33 min.

Mesures des proportions



Le crayon Film 1 DurÊe : 4’33 min.

Crayon, stylo bille et collage sur papier


Le dessin comme langage Charles Duboux Autrefois « dessin », aujourd’hui « arts visuels », cette discipline scolaire est restée avec le temps et contrairement à d’autres enseignements une vaste nébuleuse ouverte à des interprétations diverses, voire contradictoires. Cet essai postule que le dessin constitue l’une des langues convoquées par l’être humain lorsqu’il exerce cette faculté spécifique qu’est le langage : il apparaît dès lors utile de définir ce qui la constitue, d’en énumérer les codes et conventions et d’en préciser quels en sont les processus d’apprentissage contemporains. Clair et richement illustré, ce livre qui constitue l’ouverture d’une petite série se distingue d’un manuel technique et rend hommage à un grand nombre de sources qui sous-tendent sa conception, en citant parties d’écrits ou réalisations artistiques. Il dit ainsi en filigrane de chaque page que l’on invente rien seul mais que l’on découvre et réinterprète ce que d’autres ont laissé sous nos yeux.

Disponible sur www.ppur.org


Dessiner pour apprendre

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Dessiner :17 films pour apprendre  //  L’exercice

L’exercice Dessiner demande de l’habileté, de la dextérité et de l’endurance, donc de l’exercice.

Dessins d’observation d’élèves posant simultanément devant leurs camarades. Mes camarades de classe, 3 × 30 par 21 cm, papier déchiré, papier découpé, pinceau et encre de Chine, par des élèves de 10 ans.

Robert Hainard Hainard (1906-1999) était un peintre, graveur et sculpteur qui doit sa notoriété à ses sujets animaliers gravés sur bois de manière très élaborée. Dans son ouvrage Entretien sur la gravure, publié en 1988, il se raconte avec humour dans un moment où il apprend à dessiner. Vers 12 ans, en vacances en Valais accompagné de son père occupé chaque jour à peindre le glacier du Trient, il essaye de dessiner des chèvres en traçant leurs contours, mais comme elles bougent sans cesse, il se retrouve avec un carnet rempli de dos et queues de chèvre, bref de dessins inachevés. Il attend désespérément qu’une chèvre veuille bien rester immobile – ce qui n’arrive pas souvent – pour qu’il puisse correctement travailler. Alors il se met à les observer longuement, pour s’imprégner des mouvements de l’animal, et enfin en faire un dessin rapide de mémoire. En lisant Entretien sur la gravure, certains enseignants se rappellent le conseil qu’ils donnent à leurs élèves penchés trop près de leur dessin qu’ils ne quittent pas des yeux : observer, définir ce qui va être dessiné, dessiner, et recommencer ; soit, beaucoup regarder et dessiner juste le nécessaire ! 24


Pour apprendre à dessiner et « se chauffer la main » en début de travail, on peut exercer les coordinations œil, main, cerveau en répétant de nombreuses fois le même motif.

Le mur de briques Film 2 Durée : 4’05 min.

La couleur du mur


Dessiner :17 films pour apprendre  //  L’exercice

A la lecture de cette leçon de dessin, certains étudiants des écoles de Beaux-Arts où se pratiquait le dessin d’académie se seraient rappelés qu’ils ne dessinaient pas tout de suite le modèle qui venait de prendre une pose, mais qu’ils attendaient ce moment particulier où celui-ci oubliait qu’il posait, ce qui lui faisait légèrement modifier et stabiliser sa position. Les élèves pouvaient alors enfin se consacrer au dessin lors de ces cours où à longueur d’année ils étaient conduits à répéter les mêmes gestes sur les mêmes sujets. La leçon que donne Robert Hainard dans cette petite histoire de représentation du mouvement est peut-être bien celle-ci : dessiner est un processus qui convoque aussi bien les facultés physiques qu’intellectuelles de l’être humain. Se déroule tout d’abord un important travail de perception devant amener réponse à la question que voir ? Puis un travail d’analyse répond à la question que montrer de ce qui a été perçu ? Enfin, un effort de mémoire nous amène à choisir que restituer de toutes les observations. Ensuite seulement se construit le travail de représentation où des chèvres ayant plusieurs fois changé de position peuvent être tracées d’un dessin rapide, qui sera moins ici le résultat d’une vue photographique instantanée que la synthèse mémorisée de mouvements observés et compris. En filigrane de ce processus, on apprend que l’on n’obtient rien sans la pratique de l’exercice. On comprend que la solution n’est certainement pas dans le premier dessin, mais qu’il faut répéter ces opérations physiques et mentales de nombreuses fois, en les transformant en réflexes, pour tenter d’atteindre l’idéal recherché. On comprend aussi que répéter un dessin sur un même sujet peut être justement un bon test pour mesurer les progrès réalisés, à la fois dans les procédures d’approches du sujet et dans leurs transcriptions sur le papier.

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Le mur de briques Film 2 DurÊe : 4’05 min.

Le dessin des lignes horizontales



Le mur de briques Film 2 Durée : 4’05 min.

Le dessin des lignes verticales décalées



Le mur de briques Film 2 Durée : 4’05 min.

Craies grasses sur papier, par des élèves de 6 ans


Dessiner :17 films pour apprendre  //  La concentration

La concentration Dessiner demande une concentration susceptible de solliciter pleinement toutes ses facultés.

Dessins assistés par ordinateur sur la base d’un profil photographié. Autoportrait, 2 × 30 par 30 cm, infographies sur papier photographique et toile de lin.

Betty Edwards Edwards est née en 1926 en Californie. Professeur d’art, elle doit sa notoriété internationale à un livre publié en 1979, Dessiner grâce au cerveau droit, où elle utilise les recherches sur la différenciation entre les deux hémisphères du cerveau, pour typer les fonctions spécifiques remplies par l’hémisphère droit, moteur privilégié de l’apprentissage du dessin. En page 40 de son livre, elle compare et synthétise dans un tableau les caractéristiques des hémisphères gauche et droit. Pour le mode gauche : verbal, analytique, symbolique, abstrait, temporel, rationnel, digital, logique, linéaire. Et en vis-à-vis, item par item, pour le mode droit : non verbal, synthétique, concret, analogique, intemporel, irrationnel, spatial, intuitif, global. Elle déplore une sous-utilisation du cerveau droit et sa subordination au cerveau gauche ; elle prône une revalorisation du droit sur le gauche. En simplifiant, l’hémisphère gauche permet par l’usage des mots de nommer les choses, alors que le droit permet de percevoir les formes, en termes de dimensions, de proportions et de directions. 32


Pour comprendre l’acte de dessiner, suivons une procédure de dessin décrite par Betty Edwards.

Vase visage Film 3 Durée : 6’53 min.

Le dessin d’un visage de profil


Dessiner :17 films pour apprendre  //  La concentration

Betty Edwards met en pratique sa théorie en proposant quatre types de dessins, susceptibles d’initier et de faciliter un apprentissage du dessin, et pour lesquels elle définit une stricte marche à suivre commentée. Le premier dessin est celui d’une illusion d’optique connue, où deux profils de visages en vis-à-vis représentent simultanément un vase. La marche à suivre de ce dessin consiste, pour les droitiers, à dessiner sur la gauche de la feuille de papier un profil tourné vers la droite, en nommant et dessinant en même temps, du haut en bas, les parties constituant le visage : le front, le nez, les lèvres, le menton, le cou. Puis sur la droite de la feuille, il s’agit de reproduire le même profil symétrique. Cette expérience permet de se rendre compte que la seconde partie du dessin ne peut être faite de la même manière que la première, mais uniquement en comparant pas à pas et en vérifiant précisément les proportions, les dimensions et les directions des formes à tracer.

Dessins d’observation d’une image perçue à l’envers. Copies d’une image, 3 × 30 par 21 cm, crayon par deux élèves de 6 ans et un étudiant.

Le deuxième dessin consiste à copier une image que l’on voit à l’envers. Dans son livre est reproduit un Portrait d’Igor Stravinsky que Pablo Picasso dessine au trait en 1920. La marche à suivre consiste à dessiner exactement ce que l’on perçoit de l’image présentée « tête en bas », en se concentrant sur la tâche, en oubliant le sujet, en évitant scrupuleusement d’en reconnaître et d’en nommer les parties (tête, mains, habit) 34


Vase visage Film 3 Durée : 6’53 min.

La construction de repères


Dessiner :17 films pour apprendre  //  La concentration

– même mentalement – et en reportant sur sa feuille, petit à petit et sans interruptions, les seules formes des traits observés. Le dessin, une fois fini et retourné, surprend par la qualité de ressemblance avec l’original.

Dessins d’observation sans regarder la feuille de papier. Quelques fleurs, 2 × 21 par 30 cm, crayons de couleurs sur papier par des élèves de 15 ans.

Le troisième dessin est celui d’un « contour pur ». Il est réalisé en observant uniquement le sujet sans contrôle visuel de la trace laissée par le crayon. La marche à suivre proposée consiste à scotcher la feuille de papier sur la table, pour éviter qu’elle ne bouge, à dessiner un objet observé, en faisant une rotation d’un quart de cercle par rapport à la table pour ne pas voir la feuille de papier. Il faut se concentrer sur les formes, les directions, les dimensions, les proportions du sujet et les tracer lentement à mesure d’une observation continue. On obtient un dessin très détaillé de parties décalées. Les raccords ne pouvant être précis, cela lui confère un aspect expressif.

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Vase visage Film 3 Durée : 6’53 min.

Le même profil symétrique


Dessiner :17 films pour apprendre //

La concentration

Dessins d’observation des « espaces négatifs ». Chaises, 2 × 30 par 21 cm, gouache et crayon gris sur papier par des élèves de 15 ans.

Le quatrième dessin est celui des « espaces négatifs ». Au lieu de dessiner les objets, on se concentre sur les vides qui les séparent. La marche à suivre consiste à définir un cadre dans lequel les objets vont être disposés, à dessiner la rencontre du cadre avec l’objet, puis de « dessiner les vides ». Les sujets les plus complexes peuvent être appréhendés de cette manière avec succès. Ces quatre types de dessins précèdent, dans le livre, un important chapitre que Betty Edwards consacre à la manière de prendre la mesure des directions, dimensions et proportions d’objets à représenter en perspective « comme on les voit ». En s’aidant du crayon, le report sur le papier des directions et des dimensions observées est facilité. A la condition toutefois que le crayon tenu en bout de doigts et bras presque tendu (une distance qui puisse naturellement être retrouvée) soit superposé aux perspectives fuyantes toujours dans le même plan perpendiculaire à la vision. Le regard se concentre uniquement sur l’angle que fait le crayon avec une référence visuelle, par exemple une horizontale ou une verticale. Cet angle peut être reporté sur la feuille 38


Vase visage Film 3 Durée : 6’53 min.

L’ébauche du volume


Dessiner :17 films pour apprendre  //  La concentration

de papier : le dessin est facilité si les horizontales et verticales observées dans la réalité sont parallèles aux bords de la feuille de papier. Cette manière de procéder simplifie la visualisation et la compréhension des angles à reporter, ainsi que la perception des dimensions relatives ou des proportions des objets à dessiner : la distance entre un des bouts du crayon et un des doigts de la main pouvant se déplacer sur le crayon donne une mesure, qui peut être reportée telle quelle ou alors divisée en fractions, étant entendu que le même choix doit être conservé pour toutes les prises de mesures1. Avec de tels exercices d’initiation au dessin, Betty Edwards construit une méthode destinée à quiconque voudrait dessiner de manière réaliste. Donner à cette méthode le titre accrocheur Dessiner grâce au cerveau droit est une idée simple et à l’époque surprenante, voire provocatrice. Aussi n’est-il pas nécessaire de polémiquer sur une terminologie éloignée des réalités de la complexité du cerveau humain : il est plus utile de comprendre ce que Betty Edwards et sa méthode nous apportent d’intéressant aujourd’hui. Il faut reconnaître à Betty Edwards le talent d’avoir condensé, organisé et fait connaître les exercices que de nombreux maîtres de dessin utilisaient dans leur enseignement. Elle contribue à décomplexer ceux à qui on a fait croire que s’aider du crayon pour prendre des mesures est indigne d’élèves de Beaux-Arts. Betty Edwards, en révélant quelques dessins types, ouvre la voie à la découverte ou à la redécouverte d’autres exercices oubliés. Le dessin du « contour pur », par exemple, évoque le dessin « à l’aveugle », recourant, pour percevoir les objets, non pas au sens de la vue mais à celui du toucher. Elle dégage des pistes intéressantes pour certaines professions qui utilisent le dessin : par exemple pour l’architecte, les « espaces négatifs » que sont les vides entre les murs constituent le contenu même de l’architecture. On a vérifié à de nombreuses reprises auprès d’enfants et d’adultes de tous âges les bons résultats obtenus grâce à ces exercices. On a validé le test réalisé par Betty Edwards avec le dessin « à l’envers » en donnant le même sujet de dessin dans une classe une fois « à l’endroit » et dans une autre « à l’envers » : les élèves de la seconde classe ont su reproduire ce qu’ils ont vu avec un résultat étonnant pour des enfants de 6 ans, alors que les autres ont dessiné un personnage complètement étranger au sujet observé. Expériences faites, apprendre le dessin en s’astreignant à de tels exercices est un excellent moyen de débuter et d’obtenir des résultats rapidement observables. 1

Cf : Film 1/Le crayon.

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Vase visage Film 3 DurÊe : 6’53 min.

Le volume du vase


Dessiner :17 films pour apprendre  //  La concentration

Dans Vision, dessin, créativité, publié en 1988 chez Mardaga, Betty Edwards complète sa méthode pour apprendre à « penser simplement au moyen du dessin », en proposant de « dessiner dans le noir », de « dessiner et penser à l’envers » et de « dessiner au rythme de l’escargot ». En pratiquant la méthode de dessin de Betty Edwards, on comprend que le fait de solliciter l’entier de ses facultés (celles du cerveau droit comme du gauche) est indispensable pour réussir une opération complexe comme le dessin. Il y a intérêt à développer ses capacités sensorielles, bien sûr visuelles (perception et représentation), mais aussi tactiles (tenue du crayon, dessin, toucher d’objets) et d’investiguer ce que l’audition, l’odorat et le goût peuvent apporter à l’apprentissage du dessin. Dessiner ne peut se réduire au travail du seul cerveau, même complet, il faut lui associer celui du corps entier : certaines classes commencent la leçon par des exercices permettant de se chauffer la main (le bras, l’épaule) avant de concrètement passer au dessin. On insiste aussi sur l’intérêt d’être volontaire, de vouloir apprendre, d’être d’accord de s’exercer, de se concentrer longtemps et de répéter inlassablement ces opérations, en considérant la pratique du dessin comme celle d’un sport.

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Vase visage Film 3 DurÊe : 6’53 min.

Stylo-feutre et crayon sur papier


Dessiner :17 films pour apprendre  //  L’expression

L’expression Dessiner permet de s’exprimer, donc de pratiquer une écriture très personnelle.

Dessins d’une enfant avec titres a posteriori. Soleil et moulin à vent, 30 par 42 cm, gouache par une enfant de 3 ans et 2 mois. Une maison et des arbres, 21 par 30 cm, gouache par une enfant de 4 ans et 8 mois.

Arno Stern Stern est né en 1924 en Allemagne qu’il quitte en 1933 accompagné de ses parents, pour s’installer en France. Il se consacre à l’« éducation créatrice par la peinture », en développant ce qu’il appelle l’« incommunicable expression », pour laquelle il est connu internationalement. Il a écrit de nombreux livres, aujourd’hui traduits en plusieurs langues, comme Le monde des autres publié en 1974, L’expression ou l’Homo-Vulcanus en 1976, Antonin et la mémoire organique en 1978 ou encore Les enfants du Closlieu ou l’initiation au Plusêtre en 1989. Dans ses premiers ateliers, ouverts dans une maison pour orphelins de guerre, il observe une plus grande créativité chez les enfants qui puisent en eux-mêmes des thèmes non imposés par d’autres. Au cours de ses nombreux voyages, il réunit une grande quantité de peintures réalisées par des populations d’enfants, qui pour certains n’avaient jamais peint auparavant. Il remarque qu’au cours de l’histoire et quelles que soient les régions du monde, les mêmes traces reviennent : une maison est toujours représentée de manière élémentaire par un carré surmonté d’un triangle. Il en déduit que le dessin d’enfant n’est pas un dessin d’observation et de représentation de la réalité influencé par les codes et les conventions des adultes, mais qu’il est un dessin libre, créatif, puisant ses racines 44


Dessiner dans un espace de travail calme et sans distraction inutile permet une concentration maximale.

Un espace clos Film 4 DurÊe : 2’52 min.

Un geste de peinture


Dessiner :17 films pour apprendre  //  L’expression

dans ce qu’il appelle la « mémoire organique ». Il organise une synthèse de ces signes élémentaires, telles les lettres d’un alphabet universel commun permettant aux enfants et adultes de s’exprimer. Ce dessin libre doit trouver, aux yeux d’Arno Stern, un lieu pour s’épanouir. Aussi crée-t-il le « Closlieu », qui répond à des critères précis : l’espace doit pouvoir accueillir plusieurs enfants et permettre de réaliser et stocker des peintures (sur papier) ; il doit s’agir d’un lieu clos, comparable à une caverne, sans fenêtres susceptibles de distraire la concentration. Il est constitué de murs sur lesquels on punaise le papier en attente de peinture ; au milieu de l’espace, sur une table étroite et oblongue, chaque couleur préparée est accompagnée d’un pinceau. Il ne peut y avoir à cet endroit de mélange de couleurs, et le pinceau est utilisé, rechargé de la même couleur si nécessaire, puis reposé à sa place et ainsi de suite pour les autres couleurs. Ce dispositif central est la partie commune des habitants du « Closlieu », qui, dès qu’ils se déplacent face aux murs avec leurs pinceaux, sont seuls, concentrés sur l’acte de peindre, fruit de leur expression. Ils sont servis par l’hôte qui se refuse à tout commentaire ou toute analyse sur leur travail et qui simplement les aide, par exemple à mettre au mur puis déposer leurs peintures ou à faire en sorte qu’en tout temps le dispositif central soit opérationnel. Le « cahier des charges » défini en ce lieu a pour objectif d’offrir un espace où l’on puisse réaliser un travail de construction de soi, calme, concentré et créatif, de réflexion et d’expression sans jugements, un travail sur la part intime et non communicable d’une expression propre. Non pas un lieu de distraction mais un lieu de concentration. L’éducateur Arno Stern spécifie de plus que le « Closlieu » doit être susceptible d’amener, selon ses termes, un « plus être » et non pas un « mieux être », distinguant consciemment son action de celle des art-thérapeutes. Arno Stern a défini un seul canal par lequel il offre une matérialisation de l’expression : une technique des arts visuels (la peinture à l’eau), qui en compte de nombreuses, sans parler d’autres modes d’expression comme le verbe par exemple. Enfin les peintures produites dans le « Closlieu » sont le résultat d’une expression par définition personnelle, elles n’ont pas vocation d’œuvres d’art, et, en ce sens, elles ne doivent pas être exposées, communiquées ou montrées, pas même aux parents des enfants. On comprend à la lecture de ses nombreuses publications et de la riche documentation électronique sur son travail, qu’Arno Stern a conçu une œuvre unique, en parfaite adéquation avec les concepts d’expression personnelle qu’il développe 46


Un espace clos Film 4 Durée : 2’52 min.

Une première touche de couleur


Dessiner :17 films pour apprendre  //  L’expression

dans le « Closlieu ». La méthode Arno Stern incluant le « Closlieu » a eu un grand retentissement et a fait école dans le monde entier. Elle est réservée pour des enfants qui voudraient de manière volontaire apprendre d’eux-mêmes, sur eux-mêmes. Dans cette méthode, il n’y a pas de place pour des enseignants qui auraient un savoir ou des pratiques à transmettre. Arno Stern est focalisé sur ce qui est « inné », qui peut être exprimé en recourant à la « mémoire organique », et moins (voire pas du tout) sur l’« acquis », qui est le fait d’une culture conventionnelle mise en place par les adultes. En d’autres termes, Arno Stern est un éducateur qui aide à un développement personnel, non pas un enseignant, profession à laquelle il laisse la responsabilité des apprentissages du dessin. On remarque qu’Arno Stern, qui a beaucoup écrit sur le « Closlieu », est avare de citations ou de sources bibliographiques : ses publications n’en contiennent pratiquement pas. Peut-être qu’il laisse le soin à ceux qui se pencheront sur son œuvre de faire les liens qu’ils jugeront utiles, aussi peut-on citer ici quelques auteurs à même de faire mieux comprendre sa démarche. Georges-Henri Luquet a écrit Les dessins d’un enfant publié en 1913. Il est le premier à classer un nombre considérable de dessins d’enfants et à les trier selon plusieurs stades de développement. Il organise tous ces dessins en les faisant correspondre à un type de réalisme, par exemple le réalisme fortuit, manqué, ou encore visuel. La recherche et les conclusions de Luquet sont suffisament sérieuses pour que le psychologue Jean Piaget les entérine. Celui qui lit aujourd’hui Les dessins d’un enfant peut avoir le plaisir d’y reconnaître, pour autant qu’il s’en rappelle, les mêmes traces graphiques qu’il a laissées dans sa propre enfance. Vassily Kandinsky (1866-1944), peintre et théoricien de l’art russe, est l’auteur de Du spirituel dans l’art et de la peinture en particulier publié en 1954. Kandinsky y développe son concept de « nécessité intérieure », qu’il construit sur les trois piliers que sont l’« essentiel intérieur », la « résonance intérieure » et la « nature et la recherche intérieures ». Le monde des formes et des couleurs doit entrer en résonance avec l’âme de l’artiste qui développe ainsi un besoin impérieux de s’y confronter par le dessin ou la peinture. Cette « nécessité intérieure » serait analogue à celle qui motive les primitifs, les fous (selon la terminologie de l’époque) et les enfants, qui au début du 20e siècle deviennent des exemples à suivre pour des artistes en quête de nouvelles démarches et désirant s’émanciper d’une représentation réaliste de la nature. Si l’on se penche sur le travail de peintre de Kandinsky, on peut y voir les mêmes signes et 48


Un espace clos Film 4 Durée : 2’52 min.

Et des gestes renouvelés


Dessiner :17 films pour apprendre  //  L’expression

les mêmes couleurs qu’utilise un enfant dans ses dessins, composés toutefois avec la conscience d’un adulte. Le pédagogue Célestin Freinet, dans Méthode Naturelle de Dessin publié en 1951, décrit l’évolution du graphisme chez l’enfant comme le résultat d’une pratique répétée, et dans La méthode naturelle : L’apprentissage du dessin publié la même année, il développe une procédure de dessin qu’il appelle « tâtonnement expérimental ». Face à son dessin, l’élève est en situation d’opérer de constantes corrections et modifications, chaque trace posée étant une tentative faisant réagir un tout qui se construit petit à petit de manière itérative. Tout praticien du dessin expérimente une fois ou l’autre le « tâtonnement expérimental » cher à Freinet. L’artiste Rémy Zaugg, lors d’une conférence en 1986 au Musée des Beaux-Arts de Bâle, parle en ces termes du « lieu clos », que devrait être selon lui l’espace (muséal) où l’être humain se confronte aux œuvres d’art : « Le lieu clos est la matrice expressive de l’œuvre et de l’homme ». Enfin citons Varenka et Olivier Marc, psychanalystes, qui sont les auteurs de Premiers dessins d’enfants : les tracés de la mémoire, publié en 1992. Ils ont réuni, analysé et mis en système des milliers de dessins d’enfants du monde entier. Ils affirment que, lorsqu’un enfant a de quoi écrire, il fait et refait les mêmes traces graphiques élémentaires que celles de ses prédécesseurs. Ils argumentent l’hypothèse que ces traces sont le produit de la mémoire la plus profonde, alimentée dès les premiers jours de gestation de l’être humain et qui reflètent l’histoire de l’évolution de l’humanité, rejoignant ainsi le concept de « mémoire organique » développé par Arno Stern. Ils illustrent leur propos à l’aide d’un tableau faisant la synthèse des « formes fondamentales dans les dessins d’enfant ». Ils démontrent que le cercle, ce point répété par l’enfant dès qu’il peut laisser une trace graphique, est d’une part le fait de tous les enfants du monde, et, d’autre part, à l’origine des formes les plus complexes d’objets et d’architectures. A la lecture de l’ouvrage de Varenka et Olivier Marc on mesure le potentiel d’expression intime décryptable qu’un enfant et, par extension, un adulte peuvent laisser sur une feuille de papier. On comprend ainsi que la pensée d’Arno Stern est une approche originale qui, si elle ne peut traduire la complexité de la vie, a le mérite d’apporter des pistes claires et simplifiées, et donc accessibles. Son œuvre, imprégnée de sa propre image de l’« incommunicable expression », se situe à l’une des extrêmes d’un apprentissage du dessin qui vise, en plus de communiquer, à s’exprimer. 50


Un espace clos Film 4 DurÊe : 2’52 min.

Peinture sur papier, par une enfant de 3 ans


Dessiner :17 films pour apprendre  //  La communication

La communication Dessiner permet de communiquer au-delà des frontières linguistiques.

Dessin de mémoire réalisé en classe. Collège de Villars-Mendraz, 21 par 21 cm, crayon sur papier par un élève de 10 ans. Dessin d’observation levé sur place et relevé dans l’atelier. Collège de l’Elysée, Lausanne, 90 par 90 cm, peinture vinylique sur bois par un étudiant.

Eugène Emmanuel Viollet-le-Duc Viollet-le-Duc (1814-1879) était un architecte qui a œuvré à la réhabilitation de nombreuses constructions du Moyen Age. Il a grandement influencé les jeunes architectes de son époque. Il publie en 1879 Histoire d’un dessinateur. Comment on apprend à dessiner dont il signe les dessins, et où il raconte l’histoire de Petit Jean, un enfant des champs rentrant dans sa onzième année et qui apprend à dessiner. Au chapitre 3 intitulé « De plusieurs notables découvertes que fit Petit Jean », ce dernier apprend que lorsqu’on voit une chose, il faut se demander comment elle est faite, et que pour la comprendre, on peut s’aider de la géométrie qui permet de mesurer les proportions et de simplifier les formes les plus élaborées. Dans les chapitres qui suivent, Petit Jean apprend qu’une forme aussi complexe qu’une feuille de vigne s’inscrit dans un pentagone qui, une fois tracé, encadre et simplifie le dessin de la feuille. Il dessine le développement d’une forme, par exemple un cube à construire, et il réalise une composition de plusieurs de ces cubes, les dessinant comme il les voit. 52


Dessiner est une manière de communiquer, par exemple, en représentant un objet reconnaissable par tout le monde.

Une fenêtre Film 5 Durée : 6’58 min.

Le vitrage


Dessiner :17 films pour apprendre  //  La communication

En se déplaçant, il situe la ligne d’horizon et comprend ainsi les modifications de la forme visible des objets en fonction du point de vue. Il observe les modifications des couleurs et le déplacement des ombres propres et portées, en fonction de la journée. Il dessine des compositions de solides géométriques et leurs ombres. Dans un carnet de croquis, il prend note des leçons qu’il reçoit de Viollet-le-Duc et il recommence les mêmes croquis tant que son maître n’y trouve pas la qualité désirée. Il dessine en perspective, comme s’il intercalait une vitre1 à distance de main entre son œil et les objets à représenter. Il dessine les objets de manière réaliste et construit la perspective d’objets qu’il imagine. Petit Jean développe un goût pour l’observation de la nature, plus particulièrement pour les fleurs du jardin, qu’il essaie de comprendre en les dessinant. Il comprend l’intérêt du dessin pour représenter, par exemple, l’anatomie humaine. Il continue à synthétiser ce qui lui est enseigné en prenant des notes conjuguant texte et croquis à main levée. Il mesure les distances en s’aidant de la trigonométrie et dessine les courbes de niveau d’un terrain. Petit Jean choisit en connaissance de cause de « rudement travailler », pour approfondir des connaissances qu’il a tout juste entrevues en jouant. Il dessine dans toutes les positions, assis, debout, placé latéralement par rapport aux objets de manière à devoir tourner la tête pour les reproduire. Il dessine même « en effet miroir », reproduisant à gauche de la feuille ce qu’il voit à droite du modèle. Il dessine de mémoire. Il explique par des croquis. Il dessine de vastes étendues, la mer, des falaises, il observe la rotondité de la terre. Il saisit l’intérêt de dessiner d’après nature plutôt que de « copier de beaux modèles lithographiés ». Au chapitre 14 intitulé « Des avantages et des inconvénients de ne pas suivre la grande route », Jean apprend qu’il lui faudra travailler sans cesse pour accéder à la connaissance, et que ces efforts seront récompensés s’il choisit la bonne voie : « Il s’ouvre dans la vie, pour chacun de nous, deux voies : l’une, qui est la grande route où passe le plus grand nombre et par laquelle on arrive au but plus ou moins rapidement, mais sans rencontrer d’autres obstacles sur le chemin que ceux causés par l’encombrement. Il y a les chemins de traverse, difficiles à parcourir, hérissés de broussailles et coupés par des fondrières, mais qui mènent au but plus vite, si l’on a la force et le courage de franchir ces obstacles. » 1

Cf : Film 9/La vitre.

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Une fenêtre Film 5 Durée : 6’58 min.

L’encadrement


Dessiner :17 films pour apprendre //

La communication

Dans les chapitres qui suivent, Viollet-le-Duc fustige l’institution publique où a étudié Jean, âgé alors de 17 ans, en écrivant en substance que l’absence de méthode rend l’enseignement du dessin « à peu près nul ». En décryptant l’œuvre de Léonard de Vinci, Jean découvre que l’art et la science ne sont pas incompatibles, qu’un scientifique gagnera à s’aider du dessin et qu’un artiste surpassera ses confrères s’il peut s’aider de la science. L’impression se confirme que Jean s’intéresse plutôt aux choses qui satisfont sa raison et dont il comprend à la fois l’utilité et l’emploi. Jean, devenu grand, bénéficie à maintes occasions d’un apprentissage du dessin qui lui a permis de développer des capacités d’observation, d’analyse et de réflexion. On apprend qu’il pourrait se destiner à un nouvel art naissant, qu’aujourd’hui on appelle design, qui transforme et compose les matériaux en objets utiles, ergonomiques, et si possible esthétiques. Il s’exerce à concevoir le projet, à dessiner et à construire de nombreux ustensiles et objets mobiliers. On destinait Jean à la direction d’importants ateliers d’articles à Paris, mais le poste est attribué à une personne peu compétente, qui dispose d’un réseau de riches acheteurs. Jean prend alors la tête de l’atelier d’un modeste fabricant de meubles où il se révèle grand designer, et où il acquiert avec le temps la renommée qu’il mérite. A la lecture de cet ouvrage militant pour une certaine forme de didactique du dessin, on remarque qu’ici, la relation de maître à élève est idéale. L’élève est en interaction privilégiée avec son professeur qui pose les bonnes questions au juste moment, qui le laisse répondre, réoriente la discussion, encourage, porte un jugement, montre et démontre… Il est clair que ce type d’enseignement mettant en relation deux personnes motivées, l’une à apprendre, l’autre à enseigner, ne peut être que profitable. En comparaison, un enseignement du dessin simultanément donné à plus de 300 élèves dans une école supérieure (ce qui n’est pas une fiction) ne portera pas les mêmes fruits chez chacun. On comprend que l’apprentissage prôné par Viollet-le-Duc se contente de fournir à Jean « les moyens d’être un homme utile » : « Je ne prétends pas faire de Petit Jean un artiste, il le deviendra s’il en a l’étoffe ; je prétends seulement lui enseigner à voir juste, à se rendre compte de ce qu’il voit, à le consigner, de telle sorte que ses observations lui servent, quelle que soit la carrière qu’il embrasse, ouvrier ou militaire, négociant ou avocat, artiste ou ingénieur. C’est un essai qui, de toute façon, ne saurait nuire à son avenir ; mais j’entends développer son esprit, nourrir son intelligence, lui donner le goût d’apprendre, en prenant pour véhicule le dessin, comme je l’entends, 56


Une fenêtre Film 5 Durée : 6’58 min.

Rendu du volume


Dessiner :17 films pour apprendre //

La communication

c’est-à-dire l’habitude d’observer, de comparer et de réfléchir avant d’avancer une opinion. » Viollet-le-Duc prône une éducation par l’« habitude d’observer », associée à une capacité de raisonnement, et il fait du dessin un moyen utile à tous et toutes pour comprendre le monde : « Le dessin enseigné comme il devrait l’être […] est le meilleur moyen de développer l’intelligence et de former le jugement, car on apprend ainsi à voir, et voir c’est savoir. » C’est donc sur le motif et non en copiant des modèles que le dessinateur doit travailler.Tout d’abord en observant longuement pour comprendre, ensuite en utilisant les conventions graphiques qui se sont mises en place au cours de l’histoire et qui restent le moyen objectif de comprendre le monde, de le transcrire et de le communiquer : la projection orthogonale2 en particulier, type de dessin omniprésent dans le livre de Viollet-le-Duc, répond parfaitement à sa fonction d’illustrer le propos tenu, dans le vrai sens du terme, qui est de mettre la lumière sur ou de rendre clair. La projection orthogonale est le médium conventionnel et le moyen de représentation privilégié de ceux qui ont besoin de communiquer à d’autres les mesures et les proportions de formes observables (architectures décrites en plans, coupes et élévations, territoires cartographiques, sujets entomologiques, coupes anatomiques, relevés scientifiques), ou en projet (design d’objets, projets d’architecture). On peut constater que, chez Viollet-le-Duc, ce dessin conventionnel que l’on nomme projection orthogonale est un moyen de comprendre et d’expliquer le monde ; il n’est pas le résultat de l’« incommunicable expression » prônée par Arno Stern mais, bien à l’opposé, le médium d’une communication intelligible.

2

Cf : Film 12/Un paquet. Film 13/Des profils.

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Une fenêtre Film 5 Durée : 6’58 min.

Peinture vinylique sur bois


Dessiner :17 films pour apprendre  //  L’analyse

L’analyse Dessiner est une manière d’analyser. Trois auteurs ont proposé à travers leurs travaux une manière particulière d’analyser les images : il s’agit d’Erwin Panofsky, Martin Heidegger et Aby Warburg.

Dessins d’observation à différentes échelles, du tout au particulier. Fleurs, feuilles et tiges de fusain, 2 × 30 par 21 cm, fusain sur papier par des étudiantes.

Erwin Panofsky Panofsky (1892-1968) était historien de l’art ; professeur à Hambourg. Il émigre aux Etats-Unis en 1933 où il enseigne à l’Université de Princeton jusqu’à sa mort. Auteur d’un important travail de recherche et d’écriture, il rédige à partir de 1932 et publie en 1939 les Essais d’iconologie où il définit une méthode d’analyse des œuvres d’art. Panofsky suppose qu’une de ses connaissances, rencontrée par hasard, le salue en soulevant son chapeau. Il décrypte ce geste en trois niveaux d’analyse, du plus simple au plus complexe. Le premier niveau est de simplement reconnaître et décrire un être humain soulevant au-dessus de sa tête cet accessoire vestimentaire qu’est le chapeau. La description peut être affinée en décrivant dans le détail les habits, la veste, le pantalon, les chaussures ; l’attitude visible sur le visage, le corps ; les éléments encadrant la situation comme la chaussée, le trottoir ou l’environnement urbain. 60


Dessiner demande des capacités d’analyse, exercées ici sur une œuvre de Léonard de Vinci, intitulée Etude de proportions du corps humain selon Vitruve.

L’homme de Vitruve Film 6 Durée : 4’34 min.

Le texte de Vitruve


Dessiner :17 films pour apprendre  //  L’analyse

Le deuxième niveau fait appel à l’expérience pratique, il permet de comprendre le geste de soulever son chapeau comme une manière de saluer. Plus finement, on peut analyser les façons de marcher, de se tenir, de se comporter, de sourire ou non pour en déduire quels types de relation à autrui ces façons expriment. Le troisième niveau, plus complexe, produit des clés de lecture nécessaires à la compréhension du geste de soulever son chapeau et ainsi de saluer. En cherchant le contexte à l’origine de ce geste, on remonte à la chevalerie médiévale : « les hommes d’armes avaient coutume d’ôter leur casque pour témoigner de leurs intentions pacifiques, et de leur confiance dans celles d’autrui ». Autrement dit, soulever son chapeau signifierait ne pas avoir d’intentions belliqueuses envers l’autre, penser la réciproque, et pouvoir ainsi se croiser de manière tout à fait pacifique. La même analyse pourrait être avancée pour le geste qui consiste à se serrer la main, surtout s’il est précédé de celui d’enlever son gant. Avec cet exemple, Panofsky introduit une manière d’analyser à la fois le monde visible et les œuvres d’art par paliers, le premier demandant une simple observation, le deuxième une expérience vécue de situations analogues et le troisième des connaissances culturelles élargies. En page 31 de son livre, il produit un tableau à double entrée résumant son propos en mettant en relation l’interprétation et ce qu’il nomme la description pré-iconographique, puis l’analyse iconographique, et enfin l’interprétation iconologique. On remarque que la proposition de Panofsky concerne le monde observable ainsi que les images et œuvres d’art réalistes, mais plus difficilement des œuvres contemporaines où l’abstraction domine : on peut penser à une peinture de Mark Rothko par exemple. Dans ce cas de figure, l’analyse en trois paliers nettement distincts devient un exercice laborieux. On peut alors contracter les deux premiers paliers en un seul, et recourir aux notions de signification et de sens second, ou à celles équivalentes de dénotation et de connotation développées par le sémiologue et critique Roland Barthes. Dans tous les cas, la dénotation et les deux premiers paliers de Panofsky peuvent être aisément appliqués par quiconque est capable d’observation et bénéficie d’une expérience pratique ; la connotation et l’interprétation iconologique demandent quant à elles une culture, une curiosité et des compétences plus spécialisées.

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L’homme de Vitruve Film 6 Durée : 4’34 min.

Différentes illustrations comparées à la solution de Léonard


Dessiner :17 films pour apprendre  //  L’analyse

Dessins d’observation réunissant différents moments du processus de fabrication du fusain. Fusains écorcés, taillés, carbonisés dans la braise, 2 × 30 par 21 cm, fusain sur papier par des étudiantes.

Martin Heidegger Heidegger (1889-1976) était un philosophe allemand. Sa pensée a grandement influencé le 20e siècle. Parmi de nombreux écrits, il publie en 1949 un recueil de textes auquel il donne le titre Holzwege : « …Dans la forêt, il y a des chemins qui, le plus souvent encombrés de broussailles, s’arrêtent soudain dans le non-frayé. On les appelle Holzweg. Chacun suit son propre chemin, mais dans la même forêt. Souvent, il semble que l’un ressemble à l’autre. Mais ce n’est qu’une apparence… » On peut interpréter cette définition comme une leçon de vie, et certainement comme une invitation à emprunter ces chemins de traverse qu’évoquait Viollet-le-Duc. Dans Holzwege, Heidegger insère L’origine de l’œuvre d’art, texte d’une conférence donnée la première fois en 1935. Sur l’exemple d’un tableau où Van Gogh a représenté des souliers1, il propose une analyse selon trois axes d’interrogation : l’allégorie, le symbole et la vérité.

1

Cf : Film 13/Des profils. Film 15/Un schéma de montage. Film 17/Une paire de souliers.

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L’homme de Vitruve Film 6 Durée : 4’34 min.

Mise en évidence du cercle et du carré


Dessiner :17 films pour apprendre  //  L’analyse

L’œuvre doit être une allégorie, elle doit communiquer et révéler autre chose que ce qu’elle montre : le tableau de Van Gogh représente des souliers qui au-delà d’euxmêmes évoquent la vie des paysans. Par extension, on peut déduire qu’en chaque œuvre est contenu un avertissement du type de celui que l’on rencontre aux abords des passages à niveaux et qui concerne les trains : « Attention, une image peut en cacher une autre ! » De même que les messages des panneaux de signalisation routière n’ont pas forcément qu’une seule signification (le panneau « chute de pierres » peut avertir d’au moins deux dangers, celui de recevoir des pierres sur le véhicule et/ou celui de rencontrer une roche tombée sur la chaussée), l’image cache la plupart du temps plusieurs sens à découvrir : elle est (presque toujours) polysémique. L’œuvre doit être symbole, selon l’étymologie grecque à laquelle se réfère Heidegger, l’œuvre doit être accessible à tout le monde : le réalisme des souliers de Van Gogh et la touche de peinture expressionniste sont à même de séduire un très large public. Robert Hainard, dans Défense de l’image, nous fait entrevoir en quoi ce critère est exigeant lorsqu’il est appliqué à l’art dit contemporain : « Il y a une dictature des intellectuels, des critiques, des marchands, et même une certaine terreur. Pour être admis par l’art officiel, il faut saluer le chapeau de Gessler des théories. Et il n’y a pas beaucoup de Guillaume Tell. » L’œuvre doit dire la vérité : les souliers peints par Van Gogh sont usés, fatigués, les lacets défaits, foncés, sales, la touche de peinture les mêle au fond de couleur terre dont ils se détachent à peine ; le tableau de Van Gogh cherche à dire la vérité sur la vie difficile, pénible et fatigante des paysans. Allégorie, symbole et vérité sont des critères d’analyse susceptibles de définir une œuvre d’art. Face à toute œuvre, on peut se poser les questionssuivantes : dit-elle plus qu’elle ne montre ? Est-elle accessible à tous et toutes ? Essaie-t-elle de dire la vérité ?

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L’homme de Vitruve Film 6 Durée : 4’34 min.

Mise en évidence des différentes positions superposées


Dessiner :17 films pour apprendre  //  L’analyse

Dessins d’observation illustrant le résultat du processus de fabrication du fusain. Fusains, 2 × 30 par 21 cm, fusain sur papier, par deux étudiantes.

Aby Warburg Warburg (1866-1929) était historien de l’art. Vers la fin de sa vie, il développe une œuvre qui restera inachevée et qui porte le nom issu de la mythologie grecque de la déesse de la mémoire et de la mère des neuf muses : Mnémosyne. Dans sa bibliothèque à Hambourg, Warburg punaise sur des panneaux en bois peints en noir plusieurs séries d’images qui peuvent paraître a priori hétéroclites : reproductions de tableaux, de sculptures, images publicitaires, arbres généalogiques, cartes de géographie… Aucun texte n’illustre les images. Ce qu’invente Warburg, c’est une nouvelle manière d’analyser les œuvres d’art et les images : en les faisant interagir à d’autres et en provoquant la comparaison. C’est une façon de donner du sens, bien connue notamment des réalisateurs cinématographiques sous le nom d’effet Kuleshov. Le théoricien russe Lev Kuleshov a mis en évidence le fait que dans un montage, une image modifie le sens des images qui la jouxtent : on peut ainsi analyser et mieux comprendre les souliers de Van Gogh en les confrontant, par exemple, avec une publicité pour un magasin de chaussures ; avec un dessin de découpe du cuir pour réaliser un soulier ; avec Le modèle rouge que peint Magritte en 1935, où il représente deux pieds se transformant en paire de chaussures ; avec une œuvre de Meret Hoppenheim qui ficelle ensemble une paire 68


L’homme de Vitruve Film 6 Durée : 4’34 min.


Dessiner :17 films pour apprendre  //  L’analyse

de talons aiguilles blancs et la dispose de façon à ce que la composition évoque les cuisses d’un poulet…2 Warburg nous propose une méthode d’analyse qui nous invite à jouer le jeu de la confrontation des images.

2

Cf : Film 17/Une paire de souliers.

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L’homme de Vitruve Film 6 Durée : 4’34 min.

Feutre noir sur feuille transparente


Dessiner :17 films pour apprendre  //  L’imagination

L’imagination Dessiner invite à développer des capacités d’imagination.

Dessins d’observation d’élèves posant simultanément devant leurs camarades. Portrait de classe, 21 par 30 cm, brou de noix sur papier brun par un élève de 10 ans.

Alexander Cozens Cozens (vers 1717-1786) était l’un des principaux peintres aquarellistes du 18e siècle. En Angleterre, il devient un maître de dessin connu pour avoir publié en 1785, après plusieurs traités sur l’art, une Nouvelle méthode pour assister l’invention dans le dessin de compositions originales de paysages. Il explique d’abord d’où l’idée lui est venue : « Réfléchissant un jour, en compagnie d’un élève doué d’un grand talent naturel, à la composition originale de paysage, par opposition à sa copie, je déplorais l’absence d’une méthode mécanique suffisamment prompte et souple pour accoucher les idées d’un esprit fertile ayant des dispositions pour l’art du dessin. A cet instant, il se trouva qu’un vieux bout de papier me tomba sous la main, et qu’ayant jeté un léger coup d’œil, j’y traçai rapidement à l’aide d’un crayon quelque chose comme un paysage, afin de noter quelque idée susceptible d’être transformée en loi. A la réflexion, il m’apparut que les taches sur le papier, bien que des plus indistinctes, m’avaient inconsciemment incité à exprimer l’aspect général d’un paysage. »

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Pour exercer son imagination, on peut se demander tout ce qu’une main peut évoquer.

La main Film 7 Durée : 2’18 min.

Une autre manière de parler


Dessiner :17 films pour apprendre  //  L’imagination

Cozens propose une méthode qui invite à commencer par quelques rapides touches de peinture ; se dessinent alors les prémices d’une composition ; quelques touches supplémentaires la renforcent et encore quelques autres judicieusement posées la finalisent. Cozens propose un moyen d’inventer un paysage, par extension une image, en décrivant une méthode suggestive que Lebensztejn appelle l’« art de la tache », une méthode itérative entre le geste du peintre et cette faculté de penser en images qu’est l’imagination. Cozens connaît déjà les possibilités d’associations d’idées qu’offrent les taches et les légères infractuosités des murs : il cite d’ailleurs Léonard de Vinci dans son Traité de la peinture « …si tu regardes des murs souillés de taches, ou faits de pierres de toute espèce, pour imaginer quelque scène, tu peux y voir l’analogie de paysages au décor de montagnes, de rivières, de rochers, d’arbres, de plaines, de larges vallées et de collines disposées de façon variée. Tu pourras y voir aussi des batailles et des figures aux mouvements rapides, d’étranges visages et costumes et une infinité de choses que tu pourras ramener à une forme nette et complète. » Dans le même ordre d’idées, Léonard recommande à l’artiste une esquisse rapide, voire négligée, plutôt qu’un dessin méticuleux, qui pourra suggérer à l’esprit de nouvelles possibilités. Et Cennino Cennini, dans son Livre de l’art, invite l’artiste à toujours disposer d’un morceau de roche dans son atelier pour le dessin des montagnes. Dans le même ordre d’idée, on peut relever que se détache dans un nuage, en haut à gauche du Martyre de San Sébastien peint par Andréa Mantegna vers 1470, la forme nette d’un cavalier. L’apport novateur de Cozens est d’inciter à voir d’autres choses dans des formes existantes, et aussi à modifier les formes que l’on a soit même dessinées. La méthode de Cozens a fait des émules. Il n’est pas rare aujourd’hui d’entendre des artistes expliquer qu’ils pratiquent de la sorte : quelques taches de peintures ouvrant des pistes successives à expérimenter. D’autres domaines professionnels ont tiré parti de cette faculté d’imagination : on pense à la médecine et aux taches créées par le psychiatre Hermann Rorschach (1884-1922), fils d’un professeur de dessin. A des fins de test psychologique, le matériel se compose de dix planches sur lesquelles sont reproduites des formes symétriques noires ou polychromes : leur symétrie a été obtenue en pliant en deux sur la verticale une feuille de papier au centre de laquelle a été versé de l’encre ; les patients sont invités à dire à quoi ces taches leur font penser ; à partir des réponses, Rorschach élaborait le diagnostic psychologique de ses patients. On pense aussi aux architectes 74


La main Film 7 Durée : 2’13 min.

Et de faire preuve d’imagination


Dessiner :17 films pour apprendre  //  L’imagination

et urbanistes : on peut citer les travaux publiés à la fin du 20e siècle par Christian Norberg-Schulz Genius loci : paysage, ambiance, architecture et André Corboz, Le territoire comme palimpseste, où territoire et paysage sont compris comme des formes pouvant révéler leur histoire à un regard exercé. Ce que propose Cozens, au-delà d’une méthode qui connut un certain succès auprès d’une frange limitée et aisée de la société londonienne, c’est d’exercer et de développer l’imagination. Il préfigure et annonce ainsi le concept récent de créativité.

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La main Film 7 DurÊe : 2’13 min.

Pour raconter une histoire dans un petit film



La main Film 7 Durée : 2’13 min.

Vidéo et peinture sur doigts, par des élèves de 11 ans


Dessiner :17 films pour apprendre  //  L’imitation

L’imitation Dessiner permet d’imiter la réalité.Trois auteurs nous proposent chacun un moyen d’y parvenir : Albrecht Dürer, Filippo Brunelleschi et Pline l’Ancien.

Dessins d’observation d’une image quadrillée, reproduite en s’aidant d’un quadrillage analogue ou déformé. Anamorphoses, 2 × 30 par 42 cm, crayon de couleurs, par deux étudiantes.

Albrecht Dürer Dürer (1471-1528) était un artiste peintre et graveur qui a produit une œuvre magistrale. Instruction sur la manière de mesurer est publié en 1538, après sa mort. La dernière illustration de ce livre est une gravure sur bois particulièrement célèbre, mainte fois reproduite, notamment dans Dessiner grâce au cerveau droit de Betty Edwards. Elle montre de gauche à droite de l’image : une femme à demi nue couchée sur une table, les jambes repliées ; un dispositif constitué d’un cadre en bois contenant un quadrillage fait de fils ; un dessin de quadrillage analogue posé sur une table ; un dessinateur s’aidant du sommet d’une petite pyramide pour fixer son regard ; en fond de scène deux fenêtres ouvertes sur un paysage simplifié. L’image est construite selon les conventions de la perspective, le point de fuite se situe sur la droite de l’image. Sur la ligne d’horizon sont positionnés le sommet de la pyramide et l’œil du personnage. C’est bien une vision réaliste que nous propose Dürer : « …sache que plus exactement tu approches de la nature par la voie de l’imitation, plus belle et plus artistique deviendra l’œuvre. » 80


Dessiner en s’aidant d’un quadrillage permet d’imiter la réalité.

Le quadrillage Film 8 Durée : 8’15 min.

Un objet mis en scène


Dessiner :17 films pour apprendre  //  L’imitation

Dürer illustre une méthode de dessin que l’on peut résumer en quelques actions à réaliser : cadrer le sujet ; regarder, observer, mesurer en gardant l’œil immobile, repérer des points particuliers, en s’aidant du quadrillage inscrit dans le cadre ; et reporter les données observées sur une feuille quadrillée dans les mêmes proportions. Avec le temps, le fait de répéter l’exercice avec ces aides au dessin que sont le cadre et le quadrillage permet de s’en passer. Dürer nous indique un moyen d’imiter la nature de manière objective, comme le permet aujourd’hui l’objectif photographique, et scientifique puisque toute personne face au même sujet devrait obtenir le même dessin (pour autant que le regard soit fixé au même endroit). Mais encore, Dürer semble nous questionner sur les éventuelles limites du type de dessin qu’il illustre. Suivant une lecture approfondie de sa gravure, on peut remarquer que l’œil droit et l’œil gauche du dessinateur sont à la même hauteur ; l’œil droit caché par le nez devrait être ouvert et le gauche fermé pour que le dispositif fonctionne ; or le gauche semble plutôt ouvert, répondant peut-être à la logique de la gravure même, où il ne serait pas heureux de nous montrer l’œil de celui qui doit dessiner fermé. Si l’on regarde précisément le point que montre la plume du dessinateur sur le papier et que l’on reporte ce point sur le cadre quadrillé, que l’on tire une droite entre l’œil du dessinateur et ce point, on atteint en face l’œil droit fermé du modèle : de l’œil ouvert du dessinateur à l’œil fermé du modèle. Enfin, le mur de la pièce est percé de deux ouvertures, renforçant certes la dualité dessinateur et modèle, mais peut-être aussi renvoyant à la vision binoculaire du spectateur de l’image. Au fond Dürer nous prévient peut-être que le dessin d’imitation perspectif est une simplification mathématique de la réalité de la vision : un point de vue fixe et immobile pour une image dessinée sur une surface plane à l’aide d’une grille métrique, au lieu de deux yeux en mouvements permanents et en interrelations complexes où se projettent deux images sur des surfaces concaves.

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Le quadrillage Film 8 Durée : 8’15 min.

Vu à travers un quadrillage



Le quadrillage Film 8 Durée : 8’15 min.

Et dessiné de manière objective



Le quadrillage Film 8 DurÊe : 8’15 min.

Crayon sur papier


Dessiner :17 films pour apprendre  //  L’imitation

Dessins d’observation en s’aidant du vitrage existant et en recomposant des éléments observés. Vues de ma fenêtre, 2 ×15 par 20 cm, crayon de couleur sur papier.

Filippo Brunelleschi Brunelleschi (1377-1446) était architecte et sculpteur. Il invente une nouvelle manière de représenter objective et scientifique, qui n’existait pas encore sous une forme assez simple pour être appliquée par tous : la perspective. Dès lors, on distingue la perspective dite naturelle (qui concerne la perception) et la perspective dite artificielle ou du peintre (liée à la représentation graphique). Vers 1415, devant le temple de Saint-Jean à Florence, Brunelleschi réalise une expérience qui vaut la peine d’être décrite, dans la mesure où les conditions de sa réalisation offrent un moyen pouvant faciliter l’apprentissage du dessin. La description de l’expérience a été écrite par Antonio Manetti (1423-1497) dans sa Vie de Filippo Brunelleschi, texte dont se sont inspirés des auteurs comme Alessandro Parronchi ou Luigi Vagnetti pour tenter de redessiner le motif d’un tableau qui n’existe malheureusement plus. Brunelleschi représente le temple de Saint-Jean sur un panneau de bois assez petit pour être tenu d’une main (environ 25 à 30 cm de côté). Il peint « à la ressemblance » le temple, de telle manière que l’image produite puisse, en se plaçant au juste endroit, se superposer précisément au temple existant. Il perce un trou dans le panneau à l’endroit précis du point de fuite de la perspective centrale (au centre de la porte du temple). Le trou est conique, il s’évase de la face peinte au dos du panneau. Brunelleschi se place dans l’entrée principale de Sainte-Marie-de-la-Fleur face, au temple de Saint-Jean. 88


Dessiner en s’aidant d’une vitre permet d’imiter la réalité.

La vitre Film 9 Durée : 5’13 min.

Un objet observé à travers une vitre


Dessiner :17 films pour apprendre  //  L’imitation

De sa main gauche, il positionne contre son œil le dos du panneau et voit ainsi le temple par le trou percé. De sa main droite, il dispose face à lui un miroir, fait (à l’époque) d’argent bruni. L’image peinte du temple de Saint-Jean se reflète dans le miroir. Il la perçoit d’un seul œil par le trou percé dans le panneau. En déplaçant le miroir, est démontré le fait que l’image du temple se superpose au temple réel. Grâce à cette expérience, Brunelleschi affirme la capacité de la perspective à restituer des conditions de perception identiques à celles de la vision directe : le temple est représenté « comme on le voit »1. Les autres conventions connues que sont la projection orthogonale (plan, coupe et élévation des architectes) et les perspectives parallèles (plans de montage de mobilier par exemple) ne peuvent prétendre à une telle particularité. En positionnant son œil au verso du panneau percé à l’endroit exact du point de fuite, Brunelleschi fait la démonstration que dans la perspective frontale il y a coïncidence du point de fuite (de la représentation) et du point de vue (du spectateur). Dans la mesure où cette expérience est reconductible aujourd’hui (à Florence face au même bâtiment) par quiconque se met dans la même position et refait les mêmes gestes que Brunelleschi, sa démonstration peut être qualifiée de scientifique : l’art est ici au rang de la science. Brunelleschi va au bout de sa volonté de représenter « à la ressemblance » la réalité grâce au miroir : il ne sait en effet comment peindre les nuages qui se déplacent audessus du temple de Saint-Jean ; aussi, il transforme en miroir la partie de ciel de son tableau et renvoie ainsi l’image des vrais nuages. Dans une seconde expérience sur la place du Palais de la Seigneurie à Florence, il renonce au miroir : le panneau peint est trop grand et lourd pour être porté d’une main ; il le dispose sur un chevalet après avoir découpé et enlevé le ciel au-dessus des bâtiments représentés ; le spectateur situé au juste endroit voit donc le ciel et les nuages au-dessus d’un panneau peint ne se superposant visuellement qu’au bâti. Pour apprendre à dessiner, on peut profiter des deux expériences décrites cidessus et substituer au panneau peint opaque une surface transparente (de la vitre, du plexiglas ou de l’acétate). Une vitre à travers laquelle on voit d’un seul œil immobile le 1

Cf : Film 16/Un carton à chaussures. Film 17/Une paire de souliers.

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La vitre Film 9 Durée : 5’13 min.

Un dessin impliquant un point de vue fixe


Dessiner :17 films pour apprendre  //  L’analyse

sujet observé (en perspective naturelle) et sur laquelle on le dessine (en perspective artificielle). Reconduire les expériences de Brunelleschi sur de nombreux objets permet de comprendre comment réussir un dessin d’imitation ; avec l’exercice la vitre n’est plus nécessaire.

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La vitre Film 9 Durée : 5’13 min.

Un dessin qui se superpose à la réalité



La vitre Film 9 Durée : 5’13 min.

Stylo-feutre indélébile sur feuille de plastique


Dessiner :17 films pour apprendre  //  La création

Dessins d’observation en s’aidant des ombres portées d’un squelette et d’un insecte. Squelette et insecte, 2 × 50 par 70 cm, peinture vinylique sur bois par deux étudiants.

Pline l’Ancien Pline (23 ap. J.-C. –79) est l’auteur d’Histoire naturelle, une encyclopédie de 37 volumes voulant regrouper de manière exhaustive toutes les connaissances de l’époque. Pline consacre plusieurs chapitres au monde du dessin, de la peinture et de l’art, et révèle que de son temps, étaient déjà connues la peinture la plus réaliste (même les oiseaux se trompent en essayant de picorer des raisins peints), comme la plus abstraite (faite d’une composition d’infimes traits de couleur). Dans le volume 35, Pline raconte : « En utilisant lui aussi la terre, le potier Butadès de Sicyone découvrit le premier l’art de modeler des portraits en argile ; cela se passait à Corinthe et il dut son invention à sa fille, qui était amoureuse d’un jeune homme ; celui-ci partant pour l’étranger, elle entoura d’une ligne l’ombre de son visage projetée sur le mur par la lumière d’une lanterne ; son père appliqua de l’argile sur l’esquisse, en fit un relief qu’il mit à durcir au feu avec le reste de ses poteries, après l’avoir fait sécher. » Certains auteurs ont vu dans ce texte de Pline l’origine du dessin ; autant dire qu’il a été abondamment illustré en le respectant à la lettre, mais aussi en l’interprétant, notamment en représentant le profil d’un jeune homme s’étant assoupi avant de devoir partir à la guerre, transformant ce dessin en baiser volé ; ou comme Winckelmann dans son Histoire de l’art chez les Anciens : « une amante contemple du bord du rivage le vaisseau de son amant qui fuit devant elle ; elle le suit des yeux, et croit encore en voir l’image sur la voile éloignée » ; et encore comme Léonard de Vinci dans son Traité de la peinture : « la première peinture fut seulement une ligne qui entourait l’ombre d’un homme faite par le soleil sur le mur. » 96


Dessiner en s’aidant de l’ombre portée permet d’imiter la réalité.

L’ombre Film 10 Durée : 4’32 min.

Le sujet préparé pour le rétroprojecteur


Dessiner :17 films pour apprendre  //  L’imitation

Cette manière d’imiter la réalité devient un moyen utilisé aussi dans la recherche scientifique ; notamment par Johann Kaspar Lavater (1741-1801) qui entreprend une analyse de l’être humain, avec le procédé de dessin du profil par ombre projetée, dans L’art de connaître les hommes d’après les traits de leur physionomie. La description de Pline précise que le tracé est une esquisse qui sert à réaliser un relief en terre cuite. En analogie, aujourd’hui, le procédé de projection d’ombres n’est pas une fin en soi, mais partie d’un processus pour un dessin plus élaboré, une peinture ou un relief. Pour la mise en œuvre d’un dispositif de projection lumineuse, on peut relever que la flamme d’une bougie vacille et rend difficile le dessin ; la lumière du soleil est à privilégier dans la mesure où ses rayons sont parallèles évitant ainsi les déformations de l’ombre projetée ; sinon il faut privilégier une lumière artificielle assez éloignée de l’objet à dessiner pour que l’ombre ait la même grandeur que l’objet à imiter ou encore un rétroprojecteur qui permet de l’agrandir. Le positionnement de l’objet à représenter est à régler de telle manière que l’ombre soit la plus nette possible, de la grandeur voulue et la plus parlante : on reconnaît quelqu’un à son profil et plus particulièrement à celui de son nez. Ce n’est qu’en essayant que se révéleront les questions qu’il faudra prendre le temps de résoudre, les solutions étant à portée de mains ; pour s’encourager, on peut se remémorer ce que Pline nous suggère en filigrane de son Histoire naturelle : pour réaliser un portrait ressemblant, rien de mieux que d’aimer le faire.

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L’ombre Film 10 Durée : 4’32 min.

Le dessin du contour de l’ombre portée



L’ombre Film 10 Durée : 4’32 min.

Le rendu du volume



L’ombre Film 10 Durée : 4’32 min.

Peinture vinylique sur carton, par un étudiant


Dessiner :17 films pour apprendre  //  Les faces

La création Toute représentation est une traduction personnelle d’une partie de réalité, d’une idée ou d’un projet : dessiner, c’est créer.

Créations personnelles s’appuyant sur plusieurs sources. Banane, 21 par 25 cm, découpage et collage par un élève de 9 ans. Sans titre, 30 par 30 cm, collage et encre de Chine par un élève de 14 ans.

Léonard de Vinci Léonard de Vinci1 (1452-1519) était l’un des plus grands créateurs de son temps. L’auteur bien connu de la Joconde est en effet un esprit universel, humaniste et omniscient, capable d’embrasser la totalité des connaissances de son époque à la manière d’un Pline, mais aussi d’en produire de nouvelles dans les nombreux métiers du peintre, de l’ingénieur, de l’architecte, de l’anatomiste, du botaniste et de l’écrivain. On peut dire que Léonard ne se contentait pas d’analyser et d’imiter la réalité, mais devait lui trouver de nouvelles formes. Ses œuvres, produites à un moment de l’histoire où le terme « créativité » n’existait pas, et qui sont parvenues jusqu’à nous, démontrent une immense force de création. Si la Bible décrit une création du monde à partir de rien, les Métamorphoses d’Ovide l’expliquent par une transformation d’un magma en des formes définies. Bien plus tard, 1

Cf : Film 06/L’homme de Vitruve

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Dessiner est chaque fois une création : une mosaïque romaine prétexte à inventer et représenter la chambre dont elle ornait le sol.

Une mosaïque Film 11 Durée : 4’10 min.

Photographie de la mosaïque dans son contexte actuel


Dessiner :17 films pour apprendre  //  L’exercice

à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, autour du domaine de la linguistique, naît le mot créativité (terme qui vient de l’anglais). Il définit la capacité à inventer de nouvelles solutions sur une combinatoire de lettres et de mots la plus large possible ; autrement dit, plus on connaît de mots, plus on aura de chance de construire une phrase qui n’a jamais été dite ou écrite. On peut en déduire qu’il n’y a pas (conformément à la pensée de Piaget) de créativité sans savoirs, culture et créativité étant intimement liés. Si produire des œuvres de la qualité de celles de Léonard peut sembler inatteignable, tout le monde peut se consoler par le faitd’être par nature créatif : en effet, en analogie à la perspective, on peut dire qu’il existe une créativité naturelle et une créativité artificielle. La créativité naturelle est anthropologique, c’est celle qui est pratiquée chaque jour, qui permet de grandir, de croître, de se créer, de s’exprimer par soi-même ou sur le conseil des art-thérapeutes, et à l’extrême de se sauver en cas de danger (de mort). Cette faculté naturelle qui est pratiquée tous les jours et comme Monsieur Jourdain sans le savoir, se complète de ce que l’on appelait autrefois création et aujourd’hui créativité. La créativité artificielle est un fait culturel pratiqué dans les brainstormings, par les artistes, les designers, les ingénieurs, par toutes personnes créant de nouveaux objets, concepts, ou visions du monde. Ce que nous suggère Léonard de Vinci est que la créativité, naturelle ou artificielle, n’est pas réservée à quelques secteurs de l’activité humaine, mais bien ouverte à tous. Ainsi la créativité est fondamentalement pratiquée par quiconque utilise cette faculté propre à l’être humain qu’est le langage, enrichit son vocabulaire qu’il soit fait de mots, de formes, de sons ou de nombres, et ses connaissances, créant ainsi une combinatoire élargie à même de produire des solutions novatrices. La créativité est pratiquée en communiquant et en s’exprimant (pas seulement mais aussi) par le dessin, parce que celui qui l’exerce fait appel à son propre imaginaire, par nature différent des autres, ou imite la nature, la représente et ainsi la transforme. L’acte de dessiner convoque nécessairement les connaissances culturelles déjà acquises dans les différents registres du langage, invite à les compléter, de manière autonome ou par le biais de spécialistes. Ce faisant le dessin est augmenté de références susceptibles, par une combinatoire, de produire une image encore inconnue. L’acte de dessiner est ainsi naturellement un acte de création.

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Une mosaïque Film 11 Durée : 4’10 min.

Projet de la chambre à la mosaïque



Une mosaïque Film 11 Durée : 4’10 min.

Rendu par collages successifs



Une mosaïque Film 11 Durée : 4’10 min.

Techniques mixtes sur papier


Dessiner invite Ă developper son immagination

AccĂŠdez au livre et au DVD sur

www.ppur.org


Trois conventions de dessin

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Dessiner :17 films pour apprendre  //  Les faces

Les faces Dessiner peut s’apprendre en débutant avec des vues de faces.

Dessins d’observation de 2 élèves posant côte à côte devant leurs camarades. Portraits de mes camarades de classe, 21 par 30 cm, crayon de couleur sur papier par une élève de 6 ans.

Rodolphe Töpffer Töpffer (1799-1846) est considéré comme l’un des précurseurs et même l’inventeur de la bande dessinée, véritable lieu privilégié de la « ligne claire » dont Hergé sera l’un des maîtres. Dans son Essai de Physiognomonie publié en 1845, Töpffer se livre à un véritable plaidoyer pour le dessin : « Bien qu’il soit un moyen d’imitation entièrement conventionnel […], le trait graphique n’en est pas moins un procédé qui suffit […] à toutes les exigences de l’expression, comme à toutes celles de la clarté. […] Ceci vient qu’il ne donne de l’objet que ses caractères essentiels… » Il illustre son propos par de nombreux dessins au trait qui comparent différentes expressions humaines. Il aligne plusieurs séries de nez (dessinés de profil) ; il dessine des têtes vues de profil et de face, et recourt à cette convention de dessin qui porte le nom de projection orthogonale. Ce type de convention, pratiquée « sans le savoir » par les petits enfants, est le moyen de représentation privilégié d’un grand nombre de professionnels : les architectes, les designers ; les cartographes ; les entomologistes; et toutes les personnes qui découpent des tôles avant pliage pour l’industrie.

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Pour apprendre à dessiner, on peut commencer par représenter les différentes faces d’un objet simple.

Un paquet Film 12 Durée : 4’32 min.

Le dessin d’un objet


Dessiner :17 films pour apprendre  //  Les faces

La projection orthogonale est le lieu graphique idéal de la mesure et de la comparaison des formes. Elle est indiquée pour débuter à tout âge un apprentissage du dessin.

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Un paquet Film 12 Durée : 4’32 min.

Sous toutes ses faces



Un paquet Film 12 Durée : 4’32 min.

Et son « développement »



Un paquet Film 12 Durée : 4’32 min.

Crayon gris et traits modulés sur papier



Pour apprendre à dessiner l’objet le plus complexe, on peut commencer par en représenter les différentes faces.

Des profils Film 13 Durée : 4’58 min.

Un objet à regarder sous toutes ses faces



Des profils Film 13 Durée : 4’58 min.

Les vues de dessus et de côté



Des profils Film 13 Durée : 4’58 min.

Et les semelles d’une paire de soulier



Des profils Film 13 DurÊe : 4’58 min.

Crayons de couleur sur papier


Dessiner :17 films pour apprendre  //  Les volumes simplifiés

Les volumes simplifiés Dessiner en donnant une impression de profondeur peut se faire simplement.

Dessins d’imagination et d’observation en utilisant des fuyantes parallèles. Robot, 30 par 30 cm, gouache sur papier par un élève de 13 ans. Lettre typographique, 10 par 10 cm, gouache sur papier.

Lazar Lissitzky El Lissitzky (1890-1941) était typographe, sculpteur et peintre constructiviste. Il propose en 1921 un nouveau regard sur l’espace de la représentation, dans ses tableaux intitulés Proun (acronyme en russe de Projet pour l’affirmation du Nouveau). Il utilise la convention graphique de la perspective parallèle dans toutes ses possibilités, y compris celle de donner à voir les objets ou volumes d’en dessous, ce qui fait dire au peintre Kasimir Malévitch que l’œuvre de Lissitzky « rompt avec la terre ». Lissitzky a renouvelé le sens de ce type de perspectives : les Proun ont de notables répercussions, notamment sur l’architecture moderne et le mouvement « De Stijl ». Il existe plusieurs de ces perspectives, qui ont toutes pour caractéristique que leurs fuyantes sont parallèles entre elles. Elles sont appelées cavalière (une élévation non déformée, fuyantes à 45o), isométrique (trois faces de l’objet également déformées, fuyantes à 30o), militaire ou aérienne (vue de dessus non déformée, fuyantes à la verticale), pour les plus courantes, et frontale, dimétrique et trimétrique pour les moins usitées. 130


Pour représenter un volume facilement, on bénéficie de plusieurs conventions graphiques ayant toutes pour même condition le parallèlisme de leurs fuyantes.

Une boîte Film 14 Durée : 10’36 min.

Plusieurs perspectives parallèles d’un même objet


Dessiner :17 films pour apprendre  //  Les volumes simplifiés

Les perspectives parallèles sont une manière simple de représenter les volumes, surtout lorsqu’il s’agit de produire un schéma de montage ou de compréhension d’un mécanisme. Les enfants peuvent commencer à en maîtriser le dessin dès l’âge d’environ 11 ans.

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Une boîte Film 14 Durée : 10’36 min.



Une boîte Film 14 Durée : 10’36 min.



Une boîte Film 14 Durée : 10’36 min.

Crayon sur papier, découpage



Pour expliquer comment un objet est construit, on peut en représenter les différentes parties séparément.

Un schéma de montage Film 15 Durée : 3’26 min.

L’objet du dessin



Un schéma de montage Film 15 Durée : 3’26 min.

La mise en place du dessin



Un schéma de montage Film 15 Durée : 3’26 min.

Les éléments constitutifs d’une chaussure



Un schéma de montage Film 15 Durée : 3’26 min.

Crayons de couleur sur papier


Dessiner :17 films pour apprendre  //  Les volumes conformes

Les volumes conformes Dessiner permet de représenter les objets les plus complexes « comme on les voit ».

Dessins de projet par transformations de photographies. Projet de réhabilitation du Pont Bessières et projet de signalisation des écoles à Lausanne, 2 × 70 par 100 cm, infographies sur papier.

Richard Estes Estes est un peintre américain né en 1932. Il est le principal peintre du courant hyperréaliste (dit aussi photoréaliste). Ses sujets de peinture sont des parties de la ville, ses vitrines et leurs reflets. Il fait plusieurs photos des sujets qu’il recompose pour en peindre avec minutie tous les détails. Si les photographies comportent des zones de flous, les peintures d’Estes sont en toutes leurs parties cliniquement nettes. Ainsi l’impression de profondeur que donne déjà la photographie est fortement accentuée par le traitement pictural d’Estes, qui utilise les moyens conventionnels de restituer le volume jusque dans leurs limites extrêmes. La convention graphique qu’utilise Estes porte le nom de perspective conique ; cette manière de représenter le monde de façon objective, théorisée au 15e siècle, trouve au début du 19e siècle de dignes héritiers avec la chambre obscure et l’objectif photographique. A ce moyen peuvent se superposer les dessins de la perspective dite des ombres et celle subtile de la perspective atmosphérique. Les perspectives conique, des ombres et atmosphérique conjuguées permettent les meilleurs trompe-l’œil. Cette convention est privilégiée des artistes, nécessairement des photographes, de toute personne qui travaille sur l’imitation de la nature, et de toutes celles et ceux pour qui elle est l’assurance qu’ils maîtrisent le dessin. Un adolescent peut commencer vers 13-14 ans à s’initier à ce type de dessin. 146


On peut représenter un objet sous de nombreux angles de vision parmi lesquels il faut choisir.

Un carton à chaussures Film 16 Durée : 4’16 min.

Point de vue fixe sur l’objet



Un carton à chaussures Film 16 Durée : 4’16 min.

Rendu du volume en différenciant la valeur des 3 faces visibles



Un carton à chaussures Film 16 Durée : 4’16 min.

Rendu du volume en augmentant la précision des détails



Un carton à chaussures Film 16 Durée : 4’16 min.

Crayons blanc et gris sur carton gris



Avant de dessiner, il est utile de se documenter pour s’enrichir des points de vues de celles et ceux qui nous ont précédés : cette culture permet paradoxalement des solutions plus personnelles.

Une paire de souliers Film 17 Durée : 9’36 min.

Prises de mesures avec point de vue fixe



Une paire de souliers Film 17 Durée : 9’36 min.

Projet de mise en page générale



Une paire de souliers Film 17 DurÊe : 9’36 min.

Rendu du volume



Une paire de souliers Film 17 DurÊe : 9’36 min.

Crayons de couleur sur carton gris



Nota bene

Dessiner Rappelons que le dessin est constitué de signes élémentaires que sont le point, le cercle, le triangle et le carré, (sphère, tétraèdre, cube pour les volumes) ; de conventions graphiques que sont la projection orthogonale, les perspectives parallèles et la perspective conique ; de techniques de représentation que sont celles du dessin, de la couleur, des techniques de l’estampe, de la photographie et du numérique ; ainsi que de nombreuses thématiques1.

Apprendre Précisons ensuite que l’enseignement est organisé aujourd’hui en termes de compétences ; selon Philippe Perrenoud, professeur à l’Université de Genève : « Une compétence est la faculté de mobiliser un ensemble de ressources cognitives (savoirs, capacités, informations, etc.) pour faire face avec pertinence et efficacité à une famille de situations. » L’enseignement du dessin exerce la compétence de communiquer et de s’exprimer. Cette compétence première, dont le niveau de maîtrise varie naturellement selon l’âge, nécessite des apprentissages au niveau du corps (physique et intellect) et gagne à s’associer aux deux mondes que sont la culture et la créativité. Le corps est important parce que toute activité de dessin demande des capacités psychomotrices, de la concentration, de la sensibilité, de l’habileté et de la dextérité. La tenue du crayon, de l’outil de dessin, la pression exercée sur le support, les mouvements de la main, voire de l’épaule et même du corps entier lorsque l’on dessine debout face à une grande feuille de papier, gagnent à être exercés aussi intensément et souvent qu’un sportif doit le faire pour être à niveau. 1

Cf : Duboux, Charles (2009), Le dessin comme langage, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes.

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Dessiner :17 films pour apprendre

Dans la pratique d’un apprentissage du dessin, les capacités des perceptions visuelles et tactiles devraient être exercées, par exemple : en découvrant, reconnaissant, mémorisant l’environnement visuel ; en touchant, regardant, sentant différentes matières, structures, volumes et objets ; en découvrant leurs variétés, leurs liens et leurs contrastes réciproques ; en prenant conscience de ses propres capacités perceptives ; et en apprenant à tenir, manipuler tout objets ou outils susceptibles d’assister le dessin comme le crayon, le déclencheur de l’appareil photographique ou la souris et le clavier de l’ordinateur. La culture est primordiale parce que le dessin gagne à s’enrichir des nombreuses œuvres, analyses, réflexions et interrogations qui l’ont précédé. Toutes les reproductions ou mieux les originaux de dessins, peintures, estampes, photographies, infographies, tous les traités et manuels de dessin sont bienvenus avant, pendant, et après le travail pour alimenter analyses et réflexions sur une pratique qui offre la possibilité d’une synthèse personnelle. Communiquer implique des conventions communes qui sont le fruit du passé. Se pencher sur ce passé pour le connaître est un nécessaire et utile accès à la culture. Pour comprendre le monde, un apprentissage du dessin devrait donc offrir la possibilité de rencontrer divers domaines de cultures par exemple : en allant à la rencontre des œuvres originales; en apprenant à les analyser ; en étant guidé pour la visite des musées, des espaces artistiques, des ateliers ; en participant de manière active à une exposition ; en parlant d’une œuvre dans un langage courant ; en reconnaissant et en nommant des outils et techniques de représentation et en acquérant la maîtrise des codes et conventions graphiques institués. Finalement, la créativité tient un rôle majeur parce que toute activité de dessin est une nouvelle découverte. L’expression est le lieu privilégié de la créativité, et exercer le dessin concourt à s’enrichir chaque jour. Dans un apprentissage du dessin bien compris, les connaissances culturelles tentent d’offrir une large combinatoire de références susceptibles d’encourager l’expression et l’invention personnelles : un regard éclairé sur ce qui existe est le meilleur gage de progression et d’avenir. User du crayon permet de représenter et de communiquer ses observations les plus objectives comme ses émotions les plus personnelles. Dessinons donc pour se comprendre et comprendre le monde, dessinons pour apprendre !

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Crédits des images Les dessins d’enfants (non scolarisés), d’élèves (de l’école obligatoire), ou d’étudiants (du Gymnase du soir, de l’Ecole normale ou de l’Institut d’Architecture de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne) ont été réalisés lors des cours de dessin ou d’arts visuels dispensés par l’auteur. Les images sans indications sont de l’auteur.

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