Respect mag 43

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GRATUIT LE MAGAZINE DIVERSITÉ

NUMÉRO 43

hiver-printemps 2014

olivia ruiz

sans frontières

thomas Ngijol

« Je refuse d’être mis dans des cases »

dossier exclusif

découvrir

Toulouse

yelle

You Enjoy Life

Racisme, laïcité, réseaux sociaux, cultes et politiques…

Constats et perspectives pour 2015

Abd Al Malik, Luc Ferry, Dounia Bouzar, La Licra, inter-LGBT, le CRAN, SOS Racisme...





MOTIVER

Lettre de Romain Rolland à Hardo Bruckner

« Je suis l’ennemi de tous les fascismes » Des Lettres est la première maison d’édition consacrée au genre épistolaire. Elle anime le site www.deslettres.fr et publie des ouvrages du genre. (Re)découvrez leurs plus belles pépites !

Figure aujourd’hui tombée en disgrâce et injustement oubliée, Romain Rolland (1866-1944) fut un intellectuel capital du siècle passé. Lauréat du Prix Nobel en 1915, opposé à toute forme de nationalisme, racisme, fascisme… Il fut une conscience morale de son temps. Pro-européen et pacifiste, fasciné par les autres cultures, Romain Rolland adressa cette lettre mémorable à un partisan d’Hitler en 1933, véritable profession de foi antifasciste.

9 avril 1933, Je professe mon aversion et mon dégoût pour tout racisme. C’est, à l’heure présente de l’humanité, une bêtise et un crime. Sans discuter ici le concept absurde et illusoire de races, qui n’existe plus aujourd’hui à l’état pur, que dans de toutes petites minorités isolées et arriérées, car elles sont coupées du courant de la vie universelle, – toute la civilisation d’aujourd’hui est faite des efforts et des conquêtes associés de tous les peuples, de toutes les races, qui s’interpénètrent. Il est insane et dérisoire de prétendre faire le tri. Il l’est, particulièrement en ce qui concerne la race, ou, plus exactement, les races juives : (car il y en a, pour le moins, trois ou quatre, différentes). Elles sont devenues un élément intégrant de l’intelligence et de la richesse Européenne. Que serait votre Goethe sans Spinoza ? Et ce Einstein, que votre Gœring se donne le ridicule imbécile de dénigrer, du haut de sa brutalité, vous doutez-vous qu’il tient dans la science et la pensée humaine d’aujourd’hui la place d’un Newton, au XVIIIe siècle ? […]. Je le sais, le combat est dur, pour les individualités isolées. Qui l’a su mieux que moi, qui ai dû livrer ce combat, toute ma vie, et qui, jusqu’à quarante ans, ai vécu dans l’étouffement ? Mais quoi ? Cette lutte est la vie, il faut avoir l’énergie de la livrer, – de la livrer avec ses seules forces de l’esprit. Il est d’un lâche d’en appeler à je ne sais quelle gendarmerie, pour vous aider et pour écraser ceux qui vous gênent, à coups de matraques. Les assommades déshonorent les assommeurs, – et davantage ceux qui en bénéficient. Je suis l’ennemi de tous les fascismes. […]

LE MAGAZINE DIVERSITÉ

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édito

Parce qu’on le vœux bien !

N° 43/hiver-printemps 2015/GRATUIT 80, rue de Paris — CS 10025 93 108 Montreuil

10 ans déjà ? 10 années que nous sommes à vos côtés, sur le terrain des racismes et xénophobies, des handicaps et sexismes en tous genres. Alors anniversaire et nouvelle année obligent, c’est le moment de faire des vœux : pour nous, ce sera de continuer à marcher avec ceux qui font bouger les lignes de la tolérance Valérie Aider à coups de plume, de musique ou de spectacles… D’accomRédactrice en chef pagner les associations, les entreprises engagées et partenaires de la diversité. De soutenir les initiatives qui encouragent et promeuvent le respect des différences. En commençant par… S’inspirer de Romain Rolland et tenir tête à tous les fascismes. Suivre Olivia Ruiz, au Burkina Faso, avec l’association Lutt’Opie. Lire les derniers Marvel avec leur Captain América noir et leur Miss musulmane. Se rendre au musée de l’immigration, au spectacle de Thomas N’Gijol, au cinéma avec Abd Al Malik. Rencontrer Ursula Lemarchand, une princesse sans bras qui vous laissera sans voix. Puis s’informer. S’interroger sur ce que signifie « mieux vivre ensemble » dans un pays multiculturel et laïc. Notre dossier exclusif revient sur la période des 10 années passées ensemble. Avec Luc Ferry, Dounia Bouzar, et de nombreuses associations… Entre chiffres et interprétations, nous n’avons pas toutes les réponses, bien sûr. Mais posons-nous, tout de même, les bonnes questions, celles qui soulèvent les contradictions d’un pays si riche de ses diversités. Une majorité composée de toutes ses minorités réunies. © darnel lindor

Courriel : redac@respectmag.com Internet : www.respectmag.com Directeur de publication : Jean-Marc Borello : jmb@groupe-sos.org Éditeur : Groupe SOS / Insertion et Alternatives Directeur général : Valère Corréard : valere.correard@groupe-sos.org Rédactrice en chef : Valérie Aider : valerie.aider@groupe-sos.org Rédacteurs : Valérie Aider, Alexandra Luthereau, Noémie Fossey-Sergent, Célia Coudret, Virginie Bapaume, Louise Pluyaud, Émilie Drugeon, Patrick Cœuru Réalisation : www.presscode.fr Direction artistique : Floriane Ollier : floriane.ollier@presscode.fr Maquettistes : Arnaud Kwiatkowski, Nicolas Naudon, Peggy Moquay Photographe : (couverture et interview Olivia Ruiz) Clémence Demesme Maquillage : Yvette Illustrations : Peggy Moquay Communication et partenariats : Stéphanie Veaux : stephanie.veaux@groupe-sos.org Anola Balthazar : anola.balthazar@groupe-sos.org Régie publicitaire : Mediathic/Respect éditions Chef de publicité : Pierre Pageot : pierre.pageot@groupe-sos.org

Une idée, un pari, un défi

Assistante commerciale : Khadidja Bezzaouya : khadidja.bezzaouya@groupe-sos.org

Chargée de développement numérique : Zoé Leclercq-Muller : zoe.leclercq-muller@groupe-sos.org Abonnements : France Hennique abonnements@respectmag.com - 04 96 11 05 89 ISSN : 1763-5829. Dépôt légal à parution Impression : Imprimé en France par Aubin imprimeur Distribution : Presse Pluriel Tous droits de reproduction réservés. Les articles publiés n’engagent que leurs auteurs. Impression réalisée sur papier PEFC

Respect mag et son équipe s’engagent pour la diversité depuis une décennie. Aujourd’hui, le titre a grandi et doit évoluer dans un contexte qui a sensiblement changé. Le numérique est un nouveau challenge ! Il est une formidable opportunité pour créer une dynamique, se renouveler, innover. Bien sûr, Valère Corréard nous ne restons pas les bras croisés : au printemps, une nouvelle page du magazine diversité va se tourner. Car au-delà Directeur général de l’enjeu économique du média, le Groupe SOS considère que le « mieux vivre ensemble » est un enjeu de société. Vous êtes devant le dernier numéro de Respect mag sous cette forme ! Seules nos motivations ne changent pas : décloisonner, comprendre, partager, échanger, ensemble, tous ensemble. © darnel lindor

Chargée de développement : Léna Leparoux : lena.leparoux@groupe-sos.org

Avec le soutien de :

« Respect mag est disponible en téléchargement gratuit sur lekiosk.fr »

Groupe SOS  102, rue Amelot - 75 011 Paris Tél. : 01 58 30 55 55 — Fax : 01 58 30 55 79 www.groupe-sos.org Avec 12 000 salariés et 350 établissements, le Groupe SOS est une des premières entreprises sociales européennes. Depuis près de 30 ans, il met l’efficacité économique au service de l’intérêt général. Il répond ainsi aux enjeux de société de notre époque en développant des solutions innovantes dans ses cinq cœurs de métier : jeunesse, emploi, solidarités, santé, seniors. Chaque année, les actions du Groupe SOS ont un impact sur plus d’un million de personnes.

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édito

SOMMAIRE LE MAGAZINE DIVERSITÉ

Hiver-printemps 2015

43

dossier exclusif

18

Racisme, laïcité, réseaux sociaux, cultes et politiques…

Constats et perspectives pour 2015

Abd Al Malik, Luc Ferry, Dounia Bouzar, La Licra, Inter-LGBT, le CRAN, SOS Racisme...

3 motiver

34 découvrir

8 l’interview

36 découvrir

Lettre de Romain Rolland à Hardo Bruckner respectable Olivia Ruiz Sans frontières

12 s’interroger

Tu manges ce soir?

14 regarder

Les (super) héros de la diversité

16 Entendre Yelle

LE MAGAZINE DIVERSITÉ

n°43 6

Haute culture au Musée de l’immigration L’expo qui nous regarde au Centquatre

38 découvrir

Arnaud-Bernard, Toulouse

41 comprendre

Tout ce que vous croyez savoir sur… La laÏcité

42 ENTREPRENDRE

Les patrons de la banlieue, ce sont eux

45 r encontrer

Thomas NGijol « Je refuse de rentrer dans des cases prédéfinies »

46 r encontrer

Ursula Lemarchand, la princesse sans bras

48 beautés

Les douceurs de l’hiver

50 partager

Babette de Rozières vous ouvre son Salon


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384 pages. 17 x 23,5cm. Édité par Rue de l’échiquier - 2013 Philippe Chibani-Jacquot et Thibault Lescuyer.

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R43

1 an / 4 numéros + le « guide de l’entrepreneur social »


l’interview l’interview

© clémence demesme

respectable respectable

olivia ruiz

Sans frontières On l’a découverte chanteuse. Aujourd’hui, elle danse, écrit, réalise et planche sur son prochain album. Rencontre avec une artiste attachée à ses racines qui explore tous les champs des possibles et s’engage. LE MAGAZINE DIVERSITÉ

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George ezra Columbia Records, Sony Music

nick cave Mute Records

glass animals Caroline Records

ibeyi XL Recordings

anna calvi Domino Records

LA PLAYLIST IDÉALE D’olivia Ton cinquième album est pour bientôt ? Je n’en suis qu’au stade de la création des chansons. J’ai quasiment terminé les textes et quatre d’entre eux ont des musiques en cours d’écriture. Pour l’instant se dessine un album un peu plus féminin et charnel que les précédents. Ce sont des piano-voix, des guitares-voix ou des yukulélé-voix mais les arrangements permettent de donner des orientations très différentes.

As-tu déjà des idées de duo ? Quand les chansons existeront véritablement, je réfléchirai aux invités. Mais vu la couleur de l’album, je me demande si ce ne sera pas surtout des femmes issues d’univers différents du mien pour

Ecoutez sa playlist

une confrontation pour le meilleur ! Il y a énormément de filles de ma génération qui me fascinent, ça va d’Anna Calvi à Bat for Lashes en passant par Saint-Vincent. Je pense aussi à deux jeunes filles qui s’apprêtent à sortir leur album sous le nom de groupe d’Ibeyi. J’ai complètement craqué sur leur univers !

En plus de chanter, tu as dansé dans le ballet de Jean-Claude Gallota, L’amour sorcier à l’Opéra Comique, à Paris. Raconte-nous… Quand j’ai lu le texte, je suis tombée amoureuse du personnage de Candelas, une femme brisée qui part à travers la forêt trouver des sortilèges pour faire revenir l’amour… Cela a été comme une évidence. Un texte entièrement en

espagnol, ma deuxième langue. Cela a trait au monde de l’étrange qui m’attire tellement. En fait, c’était un petit cadeau du ciel qui me permettait d’être à la fois comédienne, chanteuse, danseuse dans un monde nouveau, celui de l’opéra.

Tu as aussi signé un courtmétrage en mai 2014, « Où elle est maman ? ». D’où est venue cette envie de passer derrière la caméra ? J’ai imaginé l’histoire de trois fils qui perdent leur maman et se retrouvent avec un papa dans un état critique. J’ai voulu raconter la beauté de la folie ordinaire. Cette maladie amène aussi une forme de créativité. Elle est tellement décalée et incompréhensible qu’elle LE MAGAZINE DIVERSITÉ

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l’interview respectable

© clémence demesme

« On a presque tous demandé la doublenationalité, surtout pour le symbole »

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© association lutt’opie

donne lieu à des situations comiques. La personne qui m’a inspirée ce film souffre de la maladie d’Alzheimer mais chacun peut l’interpréter à sa façon…

D’ailleurs, tu as soutenu sur ta page Facebook le projet de ton frère de réaliser un documentaire sur la prise en charge des maladies mentales dans le monde… Oui, c’est un projet voué à donner un autre regard sur la « folie », plus juste et plus grand. Mon frère est psychologue clinicien. Avec sa fiancée, ils ont financé un tour du monde de 10 mois. Ils ont travaillé 3 mois dans un hôpital psychiatrique au Japon, 2 semaines en Argentine, dans une radio où les animateurs sont des psychotiques… Le film est en court de montage.

Tes grands-parents maternels ont fui le franquisme. Pour ton nom de scène, tu as choisi Ruiz en référence à l’une de tes grand-mères … Cela me semblait évident qu’il fallait que je porte un nom latin. J’ai réalisé, très jeune, que cette culture était en moi. Avec mon frère et mes cousins, on est beaucoup dans la démarche du devoir de mémoire. On a d’ailleurs presque tous demandé la double-nationalité, surtout

Coup de cœur association « Je suis la marraine de l’association de mon frère, Lutt’opie. On est partis ensemble au Burkina Faso reconstruire une école à Diapaga. Cela a permis la scolarisation d’une centaine d’enfants et la création d’un local à Ouagadougou, qu’on loue depuis 7 ans. On y accueille une quinzaine de jeunes qu’on forme, pendant un an, à la musique, à la danse, à la vidéo. La plupart de ceux qui sortent de nos ateliers trouvent du boulot au Burkina. On est dans tout ce qu’on défend dans cette association : tout sauf l’assistanat. On estime que ce pays est assez riche pour ne pas avoir besoin de nous. On peut être juste des passeurs de parole. »

pour le symbole parce que c’était une façon pour nous, vu le traumatisme de nos grands-parents, de leur dire regardez làbas aujourd’hui nous sommes légitimes. C’était une façon de leur rendre leur place et de cicatriser un peu la déchirure.

On fête les 10 ans du magazine. Il y a 10 ans tu étais où ? Et dans 10 ans tu seras où ? En 2004, j’avais 24 ans. J’étais au cœur de la tournée « J’aime pas l’amour ». Je rencontrais Matthias qui allait transformer la chenille en papillon, donc c’était une très belle année ! Dans 10 ans, j’aurai 44 ans. Ce qui serait vachement bien, c’est que je continue à faire ce que j’aime, chanter danser mais aussi jouer, réaliser et avoir un grand mas à rénover près de Montpellier mes enfants qui courent dedans ! Propos recueillis par Noémie Fossey-Sergent

Visionnez notre interview bonus !

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s’interroger

tu manges ce soir ?

1) les restaurants emeraude : accueillent le midi des personnes âgées, se transforment le soir en « restaurants solidaires » dédiés à un public en grande précarité. 2) le glanage : rendu célèbre par le documentaire d’Agnès Varda « Les glaneurs et la glaneuse », désigne à l’origine le ramassage des récoltes oubliées sur les terres agricoles. 3) jardin partagé : conçu, construit et cultivé collectivement par les habitants d’un quartier ou d’un village. 4) le parlement européen a declaré 2014 « Année européenne de la lutte contre le gaspillage alimentaire » 5) la famille johnson est connue Outre Atlantique pour un défi qu’ils relèvent depuis 3 ans : vivre sans générer de déchets. 6) feba : la Fédération Européenne des Banques Alimentaires. 7) disco soupe : est un repas collectif ouvert à tous et où chacun peut venir éplucher, cuisiner et déguster des fruits et légumes rebuts ou invendus sous forme de soupes, salades, jus de fruits, au rythme de la musique. 8) Tristam Stuart mène depuis plusieurs années une campagne internationale très active contre le fléau mondial du gaspillage alimentaire. Il a publié « Global Gâchis », aux éditions Rue de l’échiquier. 9) le silo : ouvert en octobre 2014, c’est le premier restaurant garanti « zéro déchet » du Royaume Uni objectif zéro gâchis, à base de recyclage, compostage et cuisine locale..

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regarder

Les (super) héros de la diversité

© mara

© marvel

© marvel

Vous pensiez que les supers-héros n’étaient que des gros balèzes blancs, hétéros aux gros muscles virils ? Perdu ! Depuis plusieurs années, les personnages de Comics prennent les traits de la diversité. Pour être au plus proche de la société et de ses lecteurs.

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À gauche : le fantasme masculin de la femme sexy revisité par la Lucky Lucy d'Héro(îne)s. En haut : le mariage d'un couple de super héros gays. Ci-dessus, Miss Marvel est musulmane !


D’abord conçu comme une exposition, le projet « Héroïnes » devient un album. En détournant les célèbres héros de BD en personnages femins ou en renversant des situations habituelles (et si le village des Schtroumphs comptait autant de Shtroumphettes que de Schtroumphs ?), Jean-Christophe Deveney, auteur-scénariste BD cherche à « travailler sur les représentations féminines pour faire réagir et faire prendre conscience des clichés et des stéréotypes véhiculés en BD ». Bien souvent, les femmes sont des personnages « passifs » qu’il faut sauver, conquérir voire instruire. Ou elles incarnent le fantasme masculin de la femme sexy et rebondie du buste. Dans Héro(ïne)s, exit donc les Tintin, Corto Maltese, Lucky Luke ; place à Tintine, Coco Maltese, Lucky Lucy…. Toutes aussi charmantes que mystérieuses, aventurières et combatives. Un bon coup (de plume)

Progressiste Comme tous les auteurs, les scénaristes ont souvent le désir de faire passer des messages. Avec le personnage de Miss Marvel, la scénariste, elle-même américaine convertie à l’islam, offre une vision des musulmans loin des préjugés. L’auteur d’Ultimate Spider man a voulu représenter un héros ressemblant à ses enfants adoptés, d’origine latino-américaine. Les auteurs proposent, Marvel suit. La logique étant : plus les personnages refléteront la société dans toute sa diversité, plus cette même société achètera les albums. C’est aussi pourquoi l’éditeur est attentif aux attentes de ses fans. Pour répondre aux demandes faites sur les réseaux sociaux, Marvel a

contre les clichés ! En plus des illustrations, l’album disponible début 2015 fait la part belle à des textes rédigés par des chercheurs du labo junior sciences dessinées de l’ENS Lyon. Pour « aller plus loin que l’image et apporter », une réflexion universitaire critique  précise JC Deveney.

lancé une politique éditoriale de quotas donnant lieu à une douzaine de nouvelles séries avec une femme comme personnage principal. Si les héroïnes sont plus présentes, leur représentation également évolue. « Marvel a fait bouger les lignes : les personnages féminins revêtent régulièrement de nouveaux look, les costumes ressemblent de moins en moins à des maillots de bain mais plus à des combinaisons complètes, explique Antoine Vivès. Si les femmes étaient très stéréotypées dans les années 80, les clichés ont vite été dépassés. » Et l’éditeur n’a pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin, il réfléchit aujourd’hui à introduire un personnage transsexuel de premier plan dans une série. Déjà dans les années 80, Marvel avait eu l’idée de transformer « la bonne amie » de Mistic et d’en faire une figure paternelle pour la fille de Mistic. Mais c’était peut-être un peu trop tôt. « Il faut être dans le bon timing, résume le spécialiste comics. Marvel est progressiste mais pas avantgardiste ». Alexandra Luthereau

© hélène becquelin

Quand la BD croque le sexisme

tolérance » où les mutants menacés d’extermination symbolisent les personnes persécutées de notre époque contemporaine. Du côté de son principal concurrent, DC Comics, la volonté semble identique. Batwoman est juive et lesbienne, Green Lantern est homosexuel et, dans Batgirl, un personnage transgenre de second plan apparaît avec Alysia Yeoh. Tout cela, dans quel intérêt ?

© Florence Dupre latour

e dieu du tonnerre, Thor, est désormais une déesse, la nouvelle version de Miss Marvel est incarnée par une adolescente d’origine pakistanaise et de confession musulmane, le nouveau Captain America est Noir… Si les dernières annonces de Marvel ont fait du bruit dans le monde des Comics, l’éditeur n’en est pourtant pas à ses premiers faits d’armes question diversité. « Marvel a toujours été à l’écoute de ses lecteurs et cherche à être dans l’ère du temps et dans le tempo de la société. Avec l’idée de mieux représenter la société américaine », affirme Aurélien Vives, rédacteur et community manager pour Panini Comics, distributeur des BD Marvel. Pour preuve : « les X-Men sont les chantres de la diversité, résume le trentenaire passionné de Comics depuis ses 11 ans. On retrouve des personnages féminins, noirs, handicapés, homosexuels… ». La série, qui ne date pas d’hier, ne se contente pas de simples représentations mais prône la tolérance. D’ailleurs, selon Antoine Vivès, l’album « Dieu crée, l’homme détruit », récompensé par un prix littéraire , est clairement un « pamphlet pour la diversité et la

L’album Héro(ïne)s : 100 pages d’illustrations de JC Deveney, Catel, Boulet, Jérôme Jouvray, Lucie Albon et bien d’autres, 16 euros - sortie prévue en 2015.

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entendre

You Enjoy Life Le troisième album de Yelle est sorti fin 2014. « Complètement fou » oscille entre pop acidulée et douce mélancolie, textes légers et double sens critique. Des extrêmes qui rappellent la douceur de la voix de sa chanteuse et l’énergie volcanique du groupe en live. Rencontre. Son actu En ce début d’année, un nouveau single et un nouveau clip sont attendus. A partir de février 2015, Yelle repart en tournée dans toute la France puis se rendra en Australie, en Asie, aux Etats-Unis avant d’entamer les festivals d’été.

Sa playlist du moment Mac DeMarco Christine & the Queens Hannah Diamond et son titre « Attachment »

Pourquoi le nom de Yelle ? Deux explications circulent…

Vous marchez bien aux USA alors que vous chantez en français…

Au tout début, c’était Y E L pour You Enjoy Life et puis on a féminisé le nom avec un L et un E. C’est là que nous nous sommes rendus compte que c’était la contraction de “Yeah” et de “Elle”. Donc les deux explications sont bonnes mais elles ne sont pas venues au même moment.

Nous avons l’impression que c’est surtout l’énergie communicative de nos lives qui touche les gens, c’est une espèce de communion, une rencontre.

On compare souvent votre musique à celle des années 80 et de Lio dans ses belles années…

Je communique beaucoup via Facebook, Twitter, Instagram. C’est cool cette spontanéité et cette rapidité entre un artiste et le public ! Mais Internet peut aussi être déstabilisant voire effrayant, c’est un truc impalpable. Plein de choses s’y passent, dont certaines qu’on ignore. Il est important d’éduquer les générations futures à bien utiliser Internet.

© maciek pozoga

J’ai grandi dans les années 80, j’ai été nourrie par cette musique que je trouve expérimentale avec des mélanges de pop, de rock, de sonorités plus électroniques. Cette musique, c’est aussi de la légèreté, des textes à double lecture, un procédé que j’utilise aussi dans mes chansons. Et puis j’ai été ado dans les années 90. J’ai écouté Madonna, Prince, Rage Against the Machine, les Red hot, Snoop Dog et j’en passe. Sur l’album « Complètement fou » on ne s’est pas bridé, on a des morceaux qui sont hyper house et d’autres très pop, d’autres encore sont plutôt rap. LE MAGAZINE DIVERSITÉ

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Yelle s’est fait connaître par Internet. Quel est votre rapport au Web aujourd’hui ?

Votre maman était féministe et votre premier titre s’insurgeait contre les rappeurs machos. Simple coïncidence ? Sans être une féministe activiste, il était évident pour ma mère de défendre la cause des femmes. Je l’ai vue travailler dans ce sens durant toute sa carrière d’éducatrice.

Elle m’a inculquée des valeurs importantes que j’ai envie aujourd’hui de porter. Et effectivement, « Je veux te voir » est un morceau qui résonne d’une manière plus engagée que d’autres.

Vous vous êtes investie dans une association ? Je suis la marraine de la virade contre la mucoviscidose de Erquy [Côtes d’Armor, ndlr]. C’est la rencontre avec la maman d’une petite fille malade qui m’a donné envie de m’engager dans cette association. Je n’ai pas seulement envie de dire que je suis la marraine de ci ou de ça mais véritablement donner du temps et mener des actions. Propos recueillis par Alexandra Luthereau et Alexandre Cussey

« Complètement fou », septembre 2014. Label Because


COMMUNIQUÉ

« La richesse de notre service est liée à la diversité » Le 22 octobre 2004, une poignée d’entreprises françaises s’engageaient à lutter contre toutes les formes de discrimination en ratifiant la Charte de la Diversité. Parmi elles, SNCF, qui démontre depuis que sa démarche n’est pas une simple déclaration d’intentions. En dix ans, l’entreprise ferroviaire a mis en place des politiques ambitieuses pour que ses effectifs reflètent au mieux ses convictions. Plus qu’un concept abstrait, la diversité est un gage de richesse pour l’entreprise mais aussi une garantie de performance au service de ses clients. supplémentaires seront conclus d’ici fin 2014. Enfin, l’année dernière, 18% des recrutements ont été réalisés dans des zones urbaines sensibles.

Handicap

SNCF/Patrick Messina et Gilles Leimdorfer

Seniors

En prise avec les évolutions de la société, SNCF a adapté sa politique de l’emploi à l’allongement de la vie professionnelle. Et pour que ces carrières plus longues soient à la fois une chance pour les salariés et l’entreprise, des mesures spécifiques ont été mises en place dès 2008 avec notamment des formations cohérentes pour permettre aux salariés de 45 ans et plus de poursuivre un projet professionnel. Plus de 7 100 salariés ont en outre bénéficié d’un aménagement de leur temps de travail pour une meilleure transition vers la retraite.

Insertion professionnelle

Si SNCF compte sur l’expérience et le savoirfaire de ses seniors, elle mise aussi sur son avenir qui passe par le recrutement de jeunes biens formés. 4,8% de ses effectifs sont ainsi des alternants qui préparent un diplôme du CAP à bac+5. Près de 800 sont ensuite recrutés par SNCF chaque année. Pour favoriser l’accès à l’emploi, SNCF a signé 500 emplois d’avenirs en 2013 (CDD de 18 mois renouvelables), et 250

L’intégration des travailleurs handicapés est le plus ancien combat de SNCF. Depuis 1992, l’entreprise a signé, avec les organisations syndicales, six accords pour mieux accompagner les salariés et leur garantir les mêmes parcours professionnels. Elle a également lancé en 2012 un système de recrutement en alternance baptisé Hantrain, qui doit former cent stagiaires d’ici à la fin 2015. 3,5 millions d’euros ont aussi été consacrés à l’aménagement de postes de travail. Avec 6 300 salariés en situation de handicap, SNCF est le premier employeur de travailleurs handicapés en France.

Mixité

SNCF revendique la féminisation comme un facteur de modernisation. Premier engagement en faveur de la mixité : faire en sorte que le nombre de femmes recrutées chaque année (23 % en 2013) soit proportionnel à celui des candidatures féminines reçues. L’entreprise, qui s’est parallèlement lancée dans une opération séduction en invitant chaque année 3000 lycéennes à découvrir les métiers dits « masculins » lors d’un Girls’Day, veille à ce que l’égalité entre hommes et femmes soit inscrite dans la culture d’entreprise. Des actions qui ont valu à SNCF l’obtention du label Afnor Egalité professionnelle.

3 QUESTIONS à Christophe ValentiE

Responsable recrutement, emploi et compétences SNCF Que signifie le mot diversité pour SNCF ?

C.V : Au-delà de notre responsabilité de participer aux politiques d’inclusion dont notre pays a besoin, nous sommes convaincus que la qualité du service que l’on propose est liée à notre propre richesse, à notre diversité. C’est parce que l’on est à la fois jeunes, vieux, hommes et femmes, issus des villes, des campagnes ou des quartiers, d’origines sociales et culturelles diverses, qu’on est capables de bien comprendre nos clients, de bien voir leurs besoins, de bien y répondre.

Comment sont mis en place les programmes de promotion de la diversité ?

Certaines de nos politiques ont fait l’objet d’accords d’entreprise : en faveur de l’emploi des travailleurs handicapés (nous avons signé le 6e accord en 2012) et en faveur de la mixité et l’égalité professionnelle. Nous travaillons ainsi avec les partenaires sociaux de manière régulière, mais la politique de diversité est aussi un axe majeur de notre politique de management.

Vous avez reçu le label Afnor Egalité professionnelle, qu’est-ce que cela représente pour une entreprise comme SNCF ?

Un label récompense une démarche réelle de progrès. Au-delà d’une reconnaissance, c’est un outil d’émulation qui nous encourage à aller encore plus loin : chacun d’entre nous, en central, dans les régions, sur le terrain, doit continuer à faire avancer cette démarche.


dossier

LE MAGAZINE DIVERSITÉ

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10 ans : constats & perspectives


dossier exclusif

Racisme, laïcité, réseaux sociaux, cultes et politiques…

Constats et perspectives pour 2015 10 années se sont écoulées depuis la création de Respect mag, 10 ans qui ont changé le visage de notre société : connectée, rapide, enflammée. 10 ans, c’est le temps d’une génération. Une génération sacrifiée ? Les alertes fusent de toute part mais qu’en est-il vraiment ? Ces 10 années sont celles d’une crise économique qui perdure, et d’un bouleversement des repères : le religieux s’invite dans l’espace politique, la moralité se farde et brouille les repères, des jeunes s’engagent en Syrie, Internet est la porte ouverte à toutes les expressions, dont les plus insupportables. Nous sommes allés enquêter, sur les nouveaux territoires du web et des banlieues, nouvelles ères d’expression et zones de partage… Politiques, associations, responsables de réseaux sociaux, dessinent avec nous le nouveau visage d’une génération et ouvrent les pistes du « mieux vivre ensemble » des 10 prochaines années.

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dossier

10 ans : constats & perspectives

Le poids des chiffres JeanChristophe Rufin

est médecin, historien, écrivain, diplomate français. Membre de l’Académie Française. Ancien président d’Action contre la faim, il a été ambassadeur de France au Sénégal et en Gambie.

Octobre 2014, 77 % des Français craignent un repli communautaire. alors que 78 % affirment ne se sentir aucune appartenance communautaire… Alors comment, au delà des paradoxes annoncés par les différents sondages, dessiner le visage de la France du « vivre ensemble » ? Publiés fin 2014, un sondage Opinion Way pour la Licra (1) et une étude Ifop sur le racisme pour Fondapol (2) sont l’occasion de dresser un état des lieux des 10 dernières années. Entre approches polémiques et réalité des chiffres. acteurs politiques et universitaires concernés.

Il y a 10 ans Jean-Christophe Rufin remettait au ministre de l’Intérieur, Dominique de Villepin, son rapport au sujet du « Chantier sur la lutte contre le racisme et l’antisémitisme » et notait le retour d’une forme de racisme dans l’opinion française. Avec le recul des 10 années écoulées, on constate que ce rapport se situe à une charnière, puisque la période 1994-2004 a présenté deux fois moins d’actes antisémites que la période 2004-2014. Le rapport de 2004, qui soulignait un retour des préjugés dans l’opinion française, semble avoir annoncé, après la pensée, un retour des actes racistes et antisémites. Le préjugé antisémite alimentant le développement d’opinions racistes, et inversement. Selon Jean-Christophe Rufin, ce retour des préjugés racistes était moins porté par le Front National que par un partie de la jeunesse issue de l’immigration. Une analyse, naturellement, fortement contestée. Le diplomate y voyait poindre une nouvelle forme de racisme que Dominique Reynié (3) reprend dans son interprétation de l’enquête Ifop-Fondapol, fin novembre 2014. Cette thèse est très largement combattue par Monna Mayer (4), qui soutient au contraire un déclin des préjugés antisémites et racistes. Une approche confortée par le sondage Opinion Way-la Licra d’octobre 2014. Cependant, quels que soient les chiffres de l’opinion française, les études

L’analyse de… françois pupponi Député-maire P.S de Sarcelles (Val d’Oise)

« Une fracture sociale, culturelle et morale s’est agrandie. La conséquence d’une construction des quartiers dans les années 50 et de la façon dont ils ont été « guettoïsés ». Les événements du 20 juillet 2014 à Sarcelles, on permis de constater que nous n’étions pas dans un affrontement entre Musulmans et Juifs mais face à des jeunes radicalisés qui on basculé dans la haine de LE MAGAZINE DIVERSITÉ

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et leurs interprétations, l’augmentation de la violence observée ces dernières années pose à nouveau, dans nos démocraties, la question du combat contre l’antisémitisme, le racisme et la xénophobie. Ces sondages témoignent surtout d’une société française dans laquelle chaque groupe se fige, se disant victime de préjugés et de racisme… Tout en affirmant ne pas en avoir sur les autres… Pris dans leur ensemble, les chiffres de ces sondages apportent surtout des arguments en faveur d’une action collective de l’État et de la société civile pour apprendre aux différentes communautés à mieux vivre ensemble et à opérer des efforts de compréhension mutuels. Valérie Aider (1) Licra : Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme. (2) Fondapol : Fondation pour l’innovation politique. (3) Dominique Reynié est professeur de sciences politiques à Sciences Po et directeur général de Fondapol. (4) Monna Mayer est directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique rattachée au Centre de recherches politiques à Sciences Po (CEVIPOF). Elle s’intéresse également au militantisme associatif, au racisme et à l’antisémitisme.

l’autre. Ce qui a choqué l’été dernier, c’est la manifestation violente de ce sentiment. Les communautés juives et Musulmanes en ont toutes les deux été victimes : la première a été attaquée, la seconde stigmatisée. Il faut retourner au contact de ces jeunes et les structures sociales doivent regagner du terrain. Les jeunes veulent être représentés. Certains ont le sentiment de ne pas être reconnus par ce pays. Il faut qu’on l’entende et parler de ceux qui réussissent. »

Rencontre réalisée au cours de la table ronde « Lutter contre les fractures en banlieue » tenue lors de la 5e Convention du Crif autour du « Vivre ensemble ».


L’analyse de… Dominique Reynié Dominique Reynié est professeur de sciences politiques à Sciences Po et directeur général de Fondapol.

« Nous sommes face à une déstabilisation existentielle des sociétés démocratiques. Par les effets liés aux conséquences d’une immigration ancienne, ni anticipée, ni préparée. Par la crise durable de l’État, incapable de réparer et de réguler. Par l’ab-

L’analyse de… Camille Bedin Secrétaire générale adjointe de l'UMP et Présidente du groupe d'opposition UMP-UDI-DVD à Nanterre. Elle a cofondé deux associations de soutien scolaire en ZEP et publié un livre : Pourquoi les banlieues sont de droite (Plon, 2012).

«  La question de l'antisémitisme et, d'une manière plus générale, de la haine de l'autre, doit soulever une autre ques: pourquoi en est-on arrivé là  ? tion  Pourquoi constate-t-on un regain de ces phénomènes, notamment dans nos quartiers ? Qu’a-t-on raté, dans notre République, qui ne fonctionne plus ? Je crois qu’à ces questions, une partie de la réponse s’impose : c’est l’éducation.

L’analyse de… Alain Jakubowicz Président de la Licra, Ligue Internationale contre le racisme et l’antisémitisme.

sence de ressources budgétaires, ce qui, depuis 1946 n’était encore jamais arrivé. Gouverner sans avoir l’outil budgétaire à disposition, c’est inédit et les réductions qui commencent à se faire sentir, des budgets associatifs, risquent d’être délétères. Les collectivités locales n’ont plus aucune marge de manœuvre. Les dotations publiques ont été réduites, ça fait partie du plan d’économie présenté par la France à Bruxelles. Mais nous risquons d’en éprouver les conséquences assez rapidement. C’est tout ça qui est en train de travailler la société française. Je l’ai qualifiée de société multiculturelle globalisée. La France est entrée dans un processus qui a produit des effets très profonds sur la désarticulation des formes d’appartenance, d’identité et de reconnaissance. C’est ce qui caractérise le plus aujourd’hui la résurgence de

Nous avons manqué quelque chose, dans notre pays, pour réussir l’éducation collective au vivre-ensemble. Nous n’avons plus réussi à donner, grâce à l’Ecole de la République, l’envie de partager un destin commun. L’Ecole aurait dû, devrait, être le lieu où tous les enfants apprennent à respecter et à vivre avec ceux qui sont différents, qui n’ont pas les mêmes histoires, mais qui partagent le même destin. Là est pour moi le plus important échec des 30 dernières années. Il faut donc permettre à l’Ecole de redevenir ce lieu d’échange, de partage et de respect. Cela passe d’abord et avant tout par une réforme structurelle et globale, pour renouer avec la réussite de chacun et l’égalité des chances ; mais cela

« Les résultats du sondage La Licra-Opinion Way d’octobre 2014 montrent que les Français souhaitent donner la priorité aux moyens de police et de justice. Mais la répression, si elle est importante, ne sera jamais que le signe d’un échec. Toute société équilibrée doit privilégier la prévention. Rappelons que l’Allemagne de Madame Merkel vient de débloquer 40 millions d’euros aux associations pour avancer sur ce terrain. La France doit, c’est indispensable, redoubler de moyens. C’est

formes de racisme et d’antisémitisme. Plus que le retour de formes anciennes, même si elles sont toujours présentes. Il faut ajouter à cela le facteur démographique. La France vieillit beaucoup et cela produit des effets sur la résistance au changement, la peur devant la différence, la réticence devant l’altérité. Notons aussi que les Français s’interrogent à nouveau sur le fait religieux en politique. Ça n’était pas arrivé depuis très longtemps. Et pas simplement le fait Musulman : la manif pour tous fut une forme de résurgence d’une expression catholique en politique. Une forme manifestante, contestataire qui est un peu une surprise pour ceux qui défendent la thèse d’une société française sécularisée et désenchantée. Il y a clairement un retour du fait religieux en France. »

passe aussi par des symboles et des évolutions : la levée régulière du drapeau par exemple, l’apprentissage de l’histoire des religions. Enfin, il est important d'ouvrir l'école aux parents, afin de proposer également à ces derniers des conférences, des apprentissages, des rencontres sur les points principaux de notre modèle républicain. »

l’un des plus grands combats politiques d’aujourd’hui. Un grand Grenelle de la Fraternité est indispensable pour mettre à plat l’ensemble de cette problématique et dégager de nouveaux moyens. Nous appelons à une mobilisation sans demimesure des pouvoirs publics et demandons que la lutte contre le racisme soit une priorité nationale. » Propos recueillis par V. A.

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10 ans : constats & perspectives

des Français n’affichent aucune appartenance communautaire, qu’elle soit fondée sur l’origine ou la religion

estiment qu’il y a « beaucoup de » racisme antijuif

estiment qu’il y a « beaucoup de » racisme antiMusulman

des Français craignent qu’un repli communautaire alimente le racisme

estiment qu’il y a « beaucoup de » racisme antinoir pensent que le racisme est lié aux conflits politiques internationaux qui conduisent les gens à « choisir un camp »

sont aussi convaincus que le racisme est une conséquence de la crise et du chômage estiment qu’il y a « beaucoup de » racisme antiblanc

de tous les actes racistes, sont des actes antisémites alors que la communauté juive représente moins de 1 % de la population de Français demandent aux pouvoirs publics de mettre plus de moyens de police et de justice dans la lutte contre les extrémistes et contre l’embrigadement des jeunes.

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En bleu : Chiffres Opinion Way pour la Licra, octobre 2014. En rouge : Sondage Ifop pour Fondapol, novembre 2014. www.licra.org www.fondapol.org


À votre avis, est-ce qu’un alsacien ou un Breton est aussi Français que n’importe quel autre Français ? Et un Musulman, un juif, un immigré ? Évolution de « oui » en % Un breton Un alsacien Un corse Un français juif Un français Musulman Un français d’origine immigrée NP : item non posé. Fondation pour l’innovation politique, avec l’Ifop (2014).

LES PARTIS POLITIQUES

Ce n’est guère surprenant : selon le sondage Ifop pour Fondapol, les proches du Front national (39 %) et les électeurs de Marine Le Pen (37 %) sont les plus nombreux à dire qu’« un Français Juif n’est pas aussi français qu’un autre Français », contre 16 % en moyenne. Et pour 77 % des sympathisants du Front national « un Français Musulman n’est pas aussi français qu’un autre Français », contre 35 % en moyenne sur l’ensemble de la population. De même, pour 75 % des sympathisants du Front national « un Français d’origine immigrée n’est pas aussi français qu’un autre Français », contre l’avis de 36 % des Français en moyenne.

L’analyse de… Dominique Reynié « Si le Front National progresse c’est parce que les forces qui le portent se déploient : la globalisation, la crise de l’état providence… Ce n’est pas le génie de Marine Le Pen ! Ce sont ces mêmes éléments de fond qui amènent une partie des Français à souhaiter la rétractation, le repli, le retour sur soi, la fermeture. La préférence pour un système autoritaire, pour la fermeture, pour la peine de mort... Ce sont des systèmes de valeurs qui fécondent et qui déploient des opinions et des préjugés de ce type. »

INTERNET Les observations du rapport de 2004 se sont confirmées. Jean-Christophe Rufin notait que les usagers des sites de partage de videos, des réseaux sociaux, des forums de discussions ont une propension beaucoup plus élevée que la moyenne à produire, diffuser et partager des opinions et des préjugés. en 10 ans, le Web a multiplié ses forces. D’apparence égalitaire, spontané, immédiat, universel... Ce nouvel espace public est porté par une liberté singulière où messages et opinions peuvent être diffusés sans que les auteurs aient à décliner leur identité et à engager leur responsabilité. « Une situation inédite dans l’histoire de la liberté de la presse et de la liberté d’opinion confirme Dominique Reynié. Ces outils offrent aux antisémites et aux racistes un statut d’extraterritorialité et une impunité de fait, qui ne permettent plus aux États de droit ni d’assurer la défense des valeurs humanistes ni de punir ceux qui se rendent coupables de les transgresser ». Ce qui avait été considéré comme un phénomène émergent par le rapport Rufin se confirme à présent. Si le Web n’est pas que cela, il est cependant devenu potentiellement un formidable propagateur d’opinions antisémites, xénophobes et racistes auquel il faut rester attentif. V. A. LE MAGAZINE DIVERSITÉ

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10 ans : constats & perspectives

FaceBook, une zone de non droit ? Ces dernières années, nous avons appris à vivre avec, puis à ne plus vivre sans. À l'occasion des 10 ans de Facebook, nous sommes allés voir s’il y a vraiment de quoi faire la fête.

Le développement des réseaux sociaux a installé un nouveau territoire du « vivre ensemble ». Où la liberté de pensée et la liberté d'expression se drapent parfois d’un dangereux sentiment d’impunité. Au pays du grand défouloir circus, à grand renfort d'anonymat, racistes, haters et trolls sont prêts à s’en prendre à n'importe qui (Mélanie Laurent, Christiane Taubira, le voisin Black ou le jeune homosexuel d'en face). Comment le premier réseau social au monde contrôle t-il les appels à la haine ? Comment signaler et faire supprimer un contenu raciste ? Doit-on réguler le Web et les réseaux sociaux ? Rencontre avec Delphine Reyre directrice des affaires publiques de Facebook pour la France.

Facebook est-il un espace réglementé ? Comme toute communauté d’échange, nous sommes régis par des règles. Ce système ne peut se faire qu’en respectant la liberté de chacun. L’internaute s’engage à s’exprimer en son nom réel et nous bannissons les discours racistes et autres appels à la haine. L’engagement à suivre ces règles est du côté des internautes, comme dans la vie réelle finalement. Ces règles, comme celles du code de la route, vous pouvez choisir de ne pas les suivre, mais le risque est de se mettre soi, et les autres, en danger.

Comment contrer les discours haineux ? Pour faire respecter nos règles, nous avons un outil, le signalement. Il suffit de placer son curseur sur le petit onglet présent sur la droite de toute image ou commentaire pour opérer ce signalement. Nos équipes déterminent ensuite s’il y a infraction.

Qu’avez-vous appris en matière de liberté d’expression ces 10 dernières années ? Nous ne laissons pas des propos négationnistes ou racistes se développer. Des contenus haineux, il y en a mais nous travaillons avec la Licra, l’EFJF, SOS Racisme, le Crif... Ils nous aident à être vigilants. Pour nous, ces associations sont des donneurs d’alerte. Nous avons appris à nous appuyer sur leur expertise. En 2014, à la suite des signalements de Marc Knobel (1), pour le Crif et la Licra, nous avons étudié la jurisprudence française qui s’est développée ses dernières années. Et en effet, sans ces signalements et en s’en tenant à nos règles nous ne serions pas intervenus. Pour nous c’est une façon d’être plus efficace. À présent, les contenus susceptibles de tomber sont plus nombreux.

Ne faudrait-il pas une autorité au moins européenne et éviter une Balkanisation du Net ? Vous posez la question de la Net neutralité. Mais notre business model est basé sur la

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confiance de l’utilisateur. Les internautes doivent se sentir chez nous plus en sécurité qu’ailleurs. C’est cette logique économique qui est à mon sens vertueuse.

Finalement, la majorité, qui est contre ces propos, n’est pas assez représentée. Comment peut-elle faire contre-poids ? L’interdiction ne résout pas tous les problèmes. Il faut mener conjointement des actions de promotion et de contre-discours. C’est ce qui se fait aux états-Unis où même les associations anti racistes passent par la promotion d’un discours qui répondra aux attaques plutôt que par des demandes d’interdiction de s’exprimer. Propos recueillis par V. A. Rencontre réalisée lors de la 5e Convention du Crif

(1) Marc Knobel est historien, rapporteur de la CNCDH pour les questions d’Internet et directeur des études au CRIF, il fut viceprésident de la Licra. Dernier ouvrage : « L’Internet de la haine-Racistes, antisémites, néonazis, intégristes et homophobes à l’assaut du web » (Berg International éditeurs).


Question à maître Stéphane Lilti,

avocat de l’Union des Etudiants Juifs de France et vice président de l’association J’Accuse.

Internet serait un média encadré par la loi, mais c’est encore une zone d'impunité. Pourquoi ? « Internet n’est pas une zone de non droit, mais c’est toujours une zone d’impunité. Il est extrêmement difficile d’obtenir une condamnation. En partie parce que nous sommes face à un réseau transnationnal. Il n’y a pas de gouvernance mondiale. Ce qui est interdit chez nous ne l’est pas à l’endroit où se situe le serveur d’où provient l’information, par exemple. Sur Google, les conditions générales parlent de l’interdiction de la pornographie, pas du racisme. Chaque société, privée, et Facebook en fait partie, va rédiger un droit interne basé sur celui de ses valeurs nationales. En l’occurrence, celles des États-Unis. Or, nous n’avons pas tous, dans le monde, les mêmes interdictions. Une autre difficulté tient à l’anonymat. Dire que les gens ne parlent qu’en leur non propre est faux. Nous ne pouvons qu’essayer d’éteindre le feu, pas de le prévenir. Les défendeurs de la sacro sainte liberté d’expression sur Internet sont majoritairement opposés à la levée de cet anonymat. Nous devons aussi nous interroger sur les questions de régulations et de responsables de régulations. Et puis nous sommes face à une absence de moyens. D’un côté, on se demande avec quelle équipe Facebook peut gérer les milliers de signalements : ils se perdent dans un océan d’indifférence. Et de l’autre, au parquet de Paris, ils sont moins d’une dizaine pour traiter les questions liées à la presse, l’édition et Internet. En France, le racisme est un délit et si les réseaux sociaux n’ont pas d’obligation de surveillance, on leur demande en revanche de collaborer. C’est une mission de service publique. Facebook fait plutôt partie des bons élèves. Twitter a encore beaucoup à apprendre. Sur une de mes affaires, il n’a plié que lorsqu’on a menacé d’interpeller leur président la prochaine fois qu’il passera en France ! Ces médias jouent un rôle fondamental dans l’éducation de nos adolescents. Il faut mettre en place un système qui autorise la liberté d’expression, mais une liberté d’expression qui ne détruise pas nos démocraties. » Propos recueillis par V. A. LE MAGAZINE DIVERSITÉ

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10 ans : constats & perspectives

laïcité : le nouvel enjeu

d’une société multiculturelle ?

© didier goupy

À l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage « Ils cherchent le paradis, ils ont trouvé l'enfer », Dounia Bouzar, directrice du centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l'islam (CPDSI) nous livre ses observations des 10 dernières années et sa définition d’un mieux vivre ensemble dépendant de la laïcité. Approche éclairée et polémiste.

Dounia Bouzar, vous avez été éducatrice à la Protection Judiciaire de la Jeunesse, vous êtes anthropologue... Vous vous intéressez aux questions relatives à la laïcité. Est-elle devenue la priorité d’un mieux vivre ensemble ? Vivre ensemble, en France, c’est être laïc. Mais entendons-nous sur ce mot. Il appartient à un cadre légal et signifie que des lois nous régissent. Ces lois permettent de protéger les hommes et les consciences. Et la base de la laïcité, c’est le respect des croyances. Il n’y a pas de laïcité sans liberté et de liberté sans laïcité. Ce cadre doit être enseigné à nos enfants et aux jeunes. Leur rappeller que s’ils ont le droit de pratiquer leur religion en France c’est parce qu’ils doivent respecter la liberté de celui qui LE MAGAZINE DIVERSITÉ

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ne croit pas. Par exemple, enlever le porc des cantines, pour ne pas faire d’histoires, est une erreur pédagogique. L’enfant doit comprendre qu’il a le droit de ne pas manger de porc parce que son petit copain qui est à côté de lui a le droit d’en consommer. Comment vous transmettez la laïcité à un enfant si vous enlevez le porc de la table ? Ici, le porc est à la base de la transmission de la laïcité.

pendant la période du Ramadan s’étaient mis a cracher par terre. Un discours, diffusé sur Internet, leur disait qu’en période de Ramadan ils n’ont pas le droit d’avaler leur salive. Si on ne leur dit pas tout de suite, « L’Islam a 14 siècles, depuis quand un Musulman doit cracher par terre pendant le Ramadan ? » on valide l’islamisa-

Vous réaffirmez aussi le lien entre l’égalité et la laïcité...

« Il n’y a pas de laïcité sans liberté et de liberté sans laïcité »

Oui, faire des différences, affaibli la laïcité. Il y a 10 ans, en 2004, on a interdit le port du foulard dans les établissements publiques. Évidemment, maintenant, il n’y a plus de foulards. La belle affaire ! On n’a pas sauvé la laïcité pour autant. Je vous donne un exemple : un certain nombre de jeunes,

tion du crachat. Si un jeune présumé non Musulman crache par terre en disant « ma religion m’interdit d’avaler ma salive », l’équipe éducative va diagnostiquer le crachat comme un symptôme que le jeune met en avant pour attirer l’attention de


l’adulte. On va l’analyser d’un point de vue psychologique. Si le gamin est présumé Musulman il y a une hésitation de l’équipe pédagogique qui se dit : « Qu’est-ce qu’il raconte ? il ne peut pas avaler sa salive pendant le Ramadan ? » Ça provoque un retard en termes de diagnostic. Ce qui serait vécu comme un dysfonctionnement chez un gamin lambda, est validé comme si c’était la production de la religion chez un enfant qui se dit Musulman. On valide le discours qui a fait autorité sur lui, par Internet. L’égalité, c’est poser le même diagnostic sur les deux jeunes.

C’est ce qui se passe avec ces jeunes qui partent en Syrie ? Le retard de diagnostic, qui n’est pas égalitaire, laisse des jeunes s’enfoncer dans une spirale qui les conduit au-delà de nos frontières quelle que soit leur origine sociale ou religieuse au départ.... Toutes ces définitions sont bien à l’origine de notre actualité, en 2014 mais pour les 10 prochaines années, elles seront décisives. La laïcité protège la liberté de conscience, mais nous sommes, début 2015, face à une situation où le fait religieux interpelle les éducateurs parce qu’il vient entraver la socialisation de certains jeunes et qu’elle les met en rupture avec leurs amis, avec leurs activités, avec les parents, avec ceux qui ne pensent pas comme eux, avec ceux qui ne croient pas comme eux. Ils faut aider ces adolescents et jeunes adultes à retrouver leur libre arbitre, réfléchir, raisonner. 99 % des sites Musulmans par exemple, donnent des kits à penser. Des kits a croire. C’est l’effet du discours.

sur les Tablirs pendant 10 ans. Et il y a eu le 11 septembre. On s’est rendu compte que parmi les 19 qui avaient pris part aux attentats, certains étaient passés par ce mouvement-là. Pendant 10 ans ce mouvement n’était pas dangereux : c’était une sorte de catéchisme quiétiste. Dans le contexte actuel, avec les Tablirs ou avec tout discours qui met le jeune en situation de ne pas raisonner le danger est là. L’effet du discours c’est lorsque le jeune se met en situation de reproduction et de mimétisme. On a le même problème aujourd’hui avec les salafistes. Les sociologues vont vous dire qu’ils ne sont pas dangereux et la plupart n’est pas violente. Ils sortent des jeunes de la délinquance, ils ne sont pas pour le califat, ils leur apprennent que le diable va les punir s’ils ne sont pas sages et ils respectent leurs parents, donc tout va bien. Mais le problème des salafistes c’est qu’ils mettent le jeune dans l’illusion qu’il est dans une filiation sacrée. Progressivement ils remplacent la raison par le mimétisme.

Comment s’en protéger ? En entretenant une vigilance éclairée. Les extrémistes ont intérêt à semer la confusion et à se faire passer pour de simples Musulmans orthodoxes. Parce qu’ainsi, ils bénéficient du droit à la liberté de conscience. Et ils savent très bien que les républiques laïques et démocratiques garantissent cette liberté. Quand on dit qu’il faut arrêter les amalgames entre les Musulmans et les radicaux, les gens

croient que c’est parce que l’on veut défendre l’islam. Mais c’est tout le contraire : l’amalgame profite aux radicaux. Depuis 25 ans que je vis dans le milieu Musulman, ça fait 10 ans que je me bats sur ce terrain. Dans la gestion de la laïcité et du mieux vivre ensemble, le gros travail c’est de ne pas tomber dans cette espèce de relativisme culturel dans lequel on est tout le temps et qui est finalement bourré de représentations où les autres ne sont pas nos semblables.

Quelles mesures prendriez-vous si vous étiez au gouvernement ? Je crois que plus que de parler des religions en termes de croyances, il faut parler des interactions, entre untel et untel … Parler de l’histoire de chaque religion est compliqué. L’investissement identitaire est trop fort. Donc c’est vrai que si j’étais ministre de l’éducation, j’inventerais une nouvelle façon de parler de l’interaction qui affirmerait qu’on est semblables au delà des différences. Je mets toujours en avant, devant des jeunes, que je suis Musulmane, élevée par une mère athée... Propos recueillis par V. A. (1) Gilles Kepel est un politologue spécialiste de l’Islam et du monde arabe comtemporain. « Passion française, la voix de cités » est son dernier ouvrage, publié en 2014 chez Gallimard.

Un exemple ? Oui : il y a 10 ans des « hommes en blanc » appartenant à un mouvement qui venait du Pakistan, ont observé les missionnaires chrétiens et se sont rendus compte qu’ils arrivaient à convaincre les pauvres en leur donnant à manger. Les Tablirs ont donc commencé à repérer les noms arabes sur les boîtes aux lettres des cités, ici en France, on été rencontrer des jeunes pauvres ou isolés. C’est devenu, selon Gilles Kepel (1) « la toile d’araignée la plus importante du monde », dont d’ailleurs, le siège est à Saint-Denis. Ils n’étaient pas violents mais fonctionnaient sur un modèle sectaire. les sociologues se sont contredits

À LIRE « Désamorcer l’Islam radical, ces dérives sectaires qui défigurent l’Islam » (Éditions de l’Atelier, 2014). « Ils cherchent le paradis, ils ont trouvé l’enfer » (Éditions de l’Atelier, 2014). LE MAGAZINE DIVERSITÉ

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10 ans : constats & perspectives

Abd Al Malik : « Le changement viendra de nous »

© 2014-FC-les films du kiosque

A 39 ans, le rappeur d’origine congolaise devient cinéaste. Il signe un film autobiographique, « Qu’Allah bénisse la France », adapté de son livre et tourné à Strasbourg, dans la cité où il a grandi. Il raconte, en noir et blanc, son parcours et montre comment l’école l’a sorti de l’impasse. Portrait d’une jeunesse concernée.

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Votre playlist du moment ?

© 2014-FC-les films du kiosque

En ce moment, j’écoute la musique de ma femme Wallen qui signe en partie la BO du film, Big crit et la BO du film Interstellar.

Le rapport de D. Reynié est plutôt pessimiste sur le vivre-ensemble. L’antisémitisme est en hausse. Qu’en dites-vous ? Il faut aller au-delà des rapports et des statistiques. Il y a plein de gens qui œuvrent pour le vivre-ensemble et dont on ne parle pas. On parle plus des choses qui ne fonctionnent pas que des choses qui fonctionnent. Or le négatif appelle le négatif. Moi, j’ai grandis en m’entendant dire que j’étais le plus beau et le plus intelligent, et bien j’y ai cru et ça m’aide à le devenir. A l’inverse, si on te dit que t’es étranger, qu’ici, c’est pas chez toi et que t’es potentiellement un poseur de bombes, tu vas rentrer dans une sorte de réflexe pervers. C’est ce que j’ai voulu montrer dans mon film justement, qu’on peut transcender sa condition. Parler d’amour, toucher ce qu’on a tous en commun, notre humanité. Je ne suis pas

Écoutez sa playlist

de ceux qui constatent l’obscurité mais de ceux qui allument des bougies. Le changement viendra de nous, chacun où il se trouve.

Vous slammez, vous écrivez. Quelle dimension supplémentaire êtes-vous allé chercher en passant à l’image ? Le cinéma, comme la télévision, c’est l’outil de l’universel du XXIe siècle par excellence. Les grands cinéastes d’aujourd’hui sont les grands romanciers du siècle précédent. Dans la musique, il y a différentes chapelles, ceux qui aiment le rap, le classique, la variété. En littérature, il faut, je crois, être pris par le virus littéraire. Mais le cinéma, peu importe. C’est direct, ça touche tout le monde. C’était important de me raconter, de nous raconter. Je voulais faire simple, sortir des fantasmes qui entourent la banlieue.

Comment a été accueilli votre film par les gens de Neuhof ?

Une association que vous soutenez ? Le Club XXIe siècle qui encourage des jeunes de cités à viser haut et à avoir de l’ambition. www.21eme-siecle.org

Je n’ai pas débarqué là-bas puisque cette cité je ne l’ai jamais vraiment quittée. 80 % des acteurs du film sont issus de ce quartier. La personne qui gérait la cantine était aussi du quartier… C’est un film pour nous et par nous. Et surtout pas pour nous isoler mais pour montrer qu’on est capable d’avoir un regard sur nous-mêmes. C’est la banlieue qui se raconte. Au final, on s’en fout d’Abl Al Malik, mon histoire c’est un prétexte pour raconter celle des autres. Beaucoup de films sur la banlieue ont été faits avec un regard extérieur. Je voulais sortir de ce regard statistique. Je voulais montrer

une cité où on rigole, où on pleure, où on vit tout simplement. Je voulais nous redonner de la complexité.

On sent Régis, le héros, lutter pour rester droit dans ses bottes. Il refuse d’abord de dealer pour financer son projet de groupe de rap avant d’y céder… Ma vie était un peu schizophrénique, en fréquentant deux milieux l’école et la cité. Finalement, on ne peut pas être à la fois un grand lecteur de Sénèque, Epictète et Camus qui ont une haute idée de la morale et de l’autre côté être dans un état d’esprit « la fin justifie les moyens ». Ce n’est même pas une histoire de « résister aux tentations ». C’est seulement qu’à force de lectures, je ne pouvais pas ne pas sortir du compromis moral voire même de la compromission. Mais sans fréquenter Socrate et Sénèque, on reste dans une manière de voir le monde où on bascule petit à petit dans l’obscurité. C’est pour ça que, pour moi, l’éducation est fondamentale.

Vous évoquez votre conversion à l’islam dans le film. Modérée pour vous. Plus extrême pour Samir. Cela fait écho à l’actualité… Oui l’intégrisme existe mais c’est une minorité. Il faut mettre la focale sur le positif. La plupart des Musulmans ont parfaitement intégré les concepts républicains. L’éducation permet de rééquilibrer les choses. L’intégrisme est lié à l’ignorance. Noémie Fossey-Sergent

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dossier

10 ans : constats & perspectives

Comment mieux vivre ensemble en 2015 ? Ancien ministre, militants associatifs, jeunes et moins jeunes…. Ils réfléchissent à la question du vivre-ensemble ou la vivent au quotidien, sur le terrain. Ils nous livrent ici leurs réflexions, leurs pistes, leurs convictions et leurs bonnes pratiques pour que ce concept devienne réalité.

« En faisant de l’éducation un rempart contre la haine » Luc Ferry, ancien ministre de l’éducation et philosophe. Dernier ouvrage paru : « Sagesses d’hier et d’aujourd’hui » aux éditions Flammarion, 2014. « La culture n’empêche pas la barbarie. L’Histoire nous en apporte la preuve. Heidegger était antisémite et extrêmement cultivé. Des nazis torturaient des juifs en écoutant Beethoven. Ben Laden était tout sauf un inculte. On peut être parfaitement cultivé et être une crapule. Que faire alors ? Il faut distinguer, je crois, éducation et enseignement. Ce sont deux choses vraiment différentes. L’éducation est donnée par les parents aux enfants, dans un cadre privé qu’est la famille. L’enseignement est assuré par des professeurs pour des élèves dans un cadre public, l’établissement scolaire. Pour lutter contre la barbarie, il faut une éducation morale qui doit être faite avant l’âge de 7 ans non pas par des professeurs mais bien par les familles. Il faut apprendre à nos enfants, dès leur plus jeune âge, que le racisme est une horreur et le faire avec autorité mais aussi amour. Car si vous n’aimez pas votre enfant, vous ne lui donnez pas la « résilience », comme le dit Boris Cyrulnik. Une résilience qui permet de rebondir face aux difficultés de la vie et conserver esprit ouvert et tolérance. » LE MAGAZINE DIVERSITÉ

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« Il faut enrichir le principe d’égalité de l’article 1 de la Constitution » Sylvie Fondacci et Nicolas Rividi, porte-parole de l’Inter-LGBT « Les LGBT-phobies commencent dès l’école et c’est là qu’un travail de pédagogie doit être mené en amont pour éliminer les stéréotypes, les préjugés et les discriminations. C’est le travail des associations mais cela devrait aussi être celui de l’état. Nous devons mettre en place un plan national de lutte contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle et l’identité de genre. L’Inter-LGBT travaille en ce moment sur une grande campagne de lutte contre le suicide des LGBT qui connaissent un taux quatre fois supérieur à la moyenne nationale, notamment du fait des injures et du rejet subis. C’est par une prise de conscience du public que ces risques pourront être prévenus. En outre, nous proposons que dans l’article premier de la Constitution française, soit enrichi le principe d’égalité, pour qu’il s’applique « sans distinction de sexe, d’orientation sexuelle, d’identité de genre, d’état de santé ou de handicap ».


« En déconstruisant les préjugés. Sans morale mais en provoquant un déclic » Judith Cohen-Solal, psychologue clinicienne, formatrice et co-fondatrice du module CoExist pour les établissements scolaires « Déconstruire les stéréotypes des jeunes sans être dans un cours de morale, c’est l’idée du programme CoExist qui lutte contre le racisme et l’antisémitisme en milieu scolaire. L’objectif c’est bien de provoquer un déclic et de déconstruire le préjugé avec les élèves car cela ne suffit pas de rappeler les faits. On cherche donc à interpeller l’élève pour qu’il remette en question ce qu’il considère comme un fait, une certitude. Pour cela, deux médiateurs issus de l’une des associations à l’origine du projet, SOS Racisme et l’Union des étudiants juifs de France (UEJF), interviennent pendant deux heures dans une classe. Ils commencent par soumettre aux élèves (de 3e ou 2de généralement) une liste de mots (black, français, juif, homo, femme, handicapé…). Les élèves, en petits groupes, sont invités à y associer le mot que cela leur inspire. Suit un temps en plénière où chacun présente son travail devant les autres. La discussion s’enclenche avec les médiateurs. Le professeur ne peut pas intervenir. Exemple : un élève dit « moi je ne suis pas Français ». On lui répond : « mais alors tu as des papiers d’identité français » ? Lui : « oui ». Nous : « Alors tu es Français ? »… On n’est pas dans l’intercommunautaire, le religieux mais dans l’identitaire ; le laïque. Car on peut être Musulman par exemple et ne pas faire le Ramadan. Avec Joëlle Bordet, psychologue également, nous avons élaboré ce module en 2004. Nous formons une soixantaine de médiateurs par an à cette pédagogie. Une centaine de classes en bénéficie chaque année. En 2007, CoExist a reçu le Prix national des valeurs de la République. »

« En mettant de la diversité dans la foi et de l’unité dans l’action » Victor Grezes, directeur Développement et vie associative de l’association CoExister « CoExister est née en 2009 de la volonté d’utiliser l’interreligieux non pas comme une finalité mais comme un outil au service du vivre ensemble entre croyants, athées et agnostiques. Nous pensons que l’interreligieux est l’un des leviers indispensables d’une laïcité inclusive. Depuis six ans, les groupes CoExister mettent en place, un peu partout en France, des actions fondées sur la devise « diversité dans la foi, unité dans l’action ». Ces actions concrètes reposent sur trois fondamentaux : le dialogue pour apprendre à se connaître, des actions de solidarité mais aussi sportives, culturelles réalisées ensemble… et enfin le partage vers l’extérieur pour sensibiliser sur le bienvivre ensemble. Au printemps 2014 nous avons lancé l’Interfaith Tour avec l’idée de mettre en pratique cette coexistence interreligieuse, en la poussant à son extrême : cinq jeunes de croyances différentes, dix mois autour du monde, sept jours sur sept, 24h/24. Notre objectif était d’aller à la rencontre des gens qui mettent en œuvre des projets interreligieux dans la même dynamique que ceux de CoExister. À notre retour, nous avons entamé un tour de France pour parler de notre expérience et rapporter les 435 initiatives rencontrées. Nous sommes intervenus dans le milieu scolaire, des entreprises, des mairies... De ces conférences, de nouveaux groupes CoExister locaux se sont créés à l’initiative de jeunes un peu partout en France.»

Une de leurs initiatives à retouver ici.

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illustrations © peggy moquay

dossier

« Il n’y aura pas de paix sans justice » Louis-Georges Tin, président du Conseil représentatif des associations noires de France (Cran) « Pas de paix sans justice. Voilà le message à répéter inlassablement. La colonisation a donné lieu à des massacres, à des crimes contre l’humanité, à l’esclavage, à des génocides. Mais les anciennes puissances coloniales ne veulent guère en entendre parler. Dès lors, les rapports Nord-Sud restent marqués, pour ne pas dire gangrenés par ces crimes de l’Histoire. Ainsi, il faut évidemment mettre en place une politique de réparation au sens large du terme, ce qui commence par l’éducation, qui est, comme chacun sait, la mère de toutes les batailles. Mais il faut parler aussi de culture, de réforme agraire, de coopération équitable, de financement de projets, de restitutions.... C’est ainsi que l’on pourra bâtir un monde plus juste. « Reconnaissance, Justice, Développement », c’est exactement ce à quoi nous appelle la décennie des personnes d’ascendance africaine décidée par l’ONU à partir de 2015. »

sos-racisme.org

www.inter-lgbt.org

www.le-cran.fr

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www.coexist.fr

www.coexister.fr

« les jeunes générations sont capables de réussir là où les aînés ont échoué » Dominique SOPO, Président de SOS Racisme « Notre pays semble être depuis quelques années, et singulièrement depuis quelques mois, en proie à des tensions exploitées par les replis en miroir auxquels des groupes extrémistes travaillent avec ardeur, et en premier lieu le Front national et la galaxie qui l’entoure. Ces tensions, si elles sont favorisées par la crise, s’expliquent également par l’existence de passions qui n’ont jamais été travaillées à haute intensité dans l’espace politique. C’est ainsi, pour ne prendre que ces exemples, que les sujets de la Guerre d’Algérie, de l’esclavage et du colonialisme restent des blessures ou des réservoirs à préjugés et à rancœurs que la société française doit être capable de travailler. Non pas pour des questions de « repentance », mais pour vider le substrat sur lequel se déploie le racisme. Un projet qui me semblerait utile serait d’organiser un voyage en Algérie et en France, qui réunirait des jeunes Algériens et des jeunes Français, dans la diversité de leurs horizons et de leurs origines, qui pourraient faire la démonstration que les jeunes générations sont capables de réussir là où les aînés ont échoué : commencer à écrire une vision partagée de l’Histoire. »


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Le thème s’est imposé comme une évidence. Car pour Olivier Saillard, commissaire de l’exposition « Fashion Mix - Mode d’ici. Créateurs d’ailleurs », la France est restée terre d’accueil des stylistes étrangers. Quant à Paris, éternelle capitale de la haute couture, elle entretient sa superbe.

© spassky fischer

© anne de vandière

Haute culture

« L’art s’enrichit quand il n’y a plus de frontières » Pourquoi cette exposition au musée de l’histoire de l’immigration ? Parce que la haute couture a été inventée par Charles Frederick Worth, un Anglais qui s’est installé à Paris. Et depuis cette incongruité de l’histoire, de nombreux couturiers d’origine étrangère ont alimenté son histoire de manière décisive. L’exposition revient sur ce phénomène, intégré par la mode sans jamais le contester. Ces créateurs sont venus trouver à Paris une forme de réalisation à leur ambition.

Qu’ont-ils apporté à la mode française ? Cette industrie d’excellence est un patrimoine lourd de presque 2 siècles. Les couturiers étrangers redonnent de la fraîcheur à ce qui est peut-être, très « installé » pour nous. Un créateur français est plus respectueux, moins audacieux. Lorsqu’Azzedine Alaïa fait de Paris une source d’inspiration, la mode LE MAGAZINE DIVERSITÉ

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devient presque exotique. Lui ou Cristóbal Balenciaga, par exemple, ne sont pas venus ici faire de l’orientalisme ou de l’espagnolade : ils donnent leur regard sur ce que peut être une mode française et se permettent de la déconstruire.

Et en termes de techniques ? Au début du XXe siècle, l’aristocratie russe va ouvrir de nombreux ateliers de broderie et travailler pour des maisons de mode françaises. Les fourreurs ou les cordonniers sont souvent arméniens, les tailleurs de costumes, plutôt italiens. On voit qu’il y a des courants migratoires à l’intérieur des métiers de la mode. Même aujourd’hui, on peut s’interroger sur le prêt-à-porter de grande diffusion, qui est largement chinois.

Aujourd’hui, est-ce grâce à ces créateurs que Paris garde son statut de « capitale de la mode » ? À New York, Londres ou Milan, c’est assez standard d’un défilé à l’autre. Paris

est la seule ville où il y a autant de disparités stylistiques. Cette particularité fait d’elle la capitale de la mode, car l’art s’enrichit quand il n’y a plus de frontières. Il faudrait même encourager les créateurs à venir s’installer ! « Dans les autre pays, on te donne une chambre mais pas la clé. À Paris, on te donne tout », m’a dit Alber Elbaz, qui dirige la maison Lanvin. Propos recueillis par Émilie Drugeon

Ils feront la mode de demain Haider Ackermann (Colombie) Rick Owens (USA)Iris van Herpen (Pays Bas) Fashion Mix - Mode d’ici. Créateurs d’ailleurs. Jusqu’au 31 mai 2015, au musée de l’histoire de l’immigration www.histoire-immigration.fr



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L’expo qui nous regarde Organisé par l’association Fetart, le 5e Festival Circulation(s), dédié à la jeune photographie européenne, s’expose dès le 24 janvier 2015 au Centquatre, à Paris. L’occasion de porter un regard croisé sur l’Europe à travers l’objectifs de près de 46 artistes concernés et parfois engagés. Focus sur trois photographes militants.

DEGIORGIS Nicolò (Italie)  Hidden Islam

POLINA Alexandra (Ouzbékistan). Sélection du jury et de Fetart 2015. Génération 60

© BURCHARD Hellena

« L’impact de l’installation d’un immigrant dans un nouveau pays est proportionnel à son âge : plus il est âgé, plus il éprouvera des difficultés à modifier son mode vie habituel. Arrivés en Allemagne quand ils avaient déjà une soixantaine d’années, chaque personnage photographié se trouve confronté à cette situation. L’idée de cette série est de mettre à jour le monde intérieur des personnages et de montrer à quel point on peut être piégé entre passé et présent ».

« La Ligue du Nord, avec sa campagne contre l’immigration, a gagné en popularité dans le NordEst de l’Italie. La religion musulmane n’y a plus guère de place. Comment vivre l’islam dans un pays hostile, avec deux mosquées officielles pour plus d’un million de musulmans ? Ces prises de vues permettent de découvrir des lieux de culte souvent improvisés dans des hangars, sous-sols, garages, anciens supermarchés ou zones industrielles. » V. A.

Le Festival Circulation (s) Du 24 janvier au 08 mars 2015 Au Centquatre, 5 rue Curial, à Paris. www.festival-circulations.com

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« Le point de départ est une réalité quotidienne, le sommeil des sans domicile fixe ». Cette question du repos dans un environnement hostile a touché l’artiste dès son arrivée à Paris. « L’objectif est de créer une collusion entre l’espace de la rue et celui de l’exposition. Interroger le spectateur sur ce qu’il voit au quotidien ».

© DEGIORGIS Nicolò

© polina alexandra

BURCHARD Hellena (France) SDF


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© célia coudret

Arnaud-Bernard, haut-lieu du trafic culturel et festif à Toulouse

Derrière sa réputation de plaque tournante du deal, le quartier est un haut-lieu de la vie associative et culturelle toulousaine. Foyer historique de l’immigration, Arnaud-Bernard est un « village » au cœur de la ville rose, où règne une culture populaire et métissée. Quand on parle de sécurité au centreville, on entend souvent dire qu’il vaut mieux éviter Arnaud-Bernard, réputé pour ses deals de cigarettes de contrebande et de shit depuis les années 2000. Ce n’est pas un mythe, le quartier regorge de trafics. Sauf que c’est aussi, et surtout, un lieu populaire, avec ses associations culturelles actives et métissées. « Un vrai melting-pot ouvert au monde, le contraire d'un ghetto. Un exemple LE MAGAZINE DIVERSITÉ

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unique de convivialité tous azimuts : on dit ici "conviviença" », nous explique David Brunel, pour le Carrefour Culturel, une des principales associations d’ArnaudBernard.

Un tissu associatif créatif Maison Blanche (1) est un des derniers établissements à avoir ouvert dans le quartier. Le nom du café fait référence à

l’aéroport d’Alger, du pays dont vient son créateur Rachid Belallaoua. On y joue de la musique du Maghreb, mais aussi occitane, espagnole et brésilienne. Par le biais de cours de langues, de danse et de musique du monde, Maison Blanche se veut un lieu ouvert et accessible, à l’image du quartier qu’il anime : « Le métissage culturel fait partie de nos objectifs, et vient à nous très simplement, par la diversité des projets qui nous


© anahi martenot

© pierre selim © martin clément

À gauche, le marché des bouquinistes En haut, la place Arnaud-Bernard, de jour et un concert au café Maison Blanche Ci-dessus, deux policiers et un dealer de dos, Sur le mur, des graffs signalant le théâtre du Fil à plomb et un lieu de concert.

sont proposés » explique Junie, une des responsables du lieu. à quelques rues de là, on entre Chez ta mère (2), le café culturel de l’association Divines Comédies. Naturellement tourné vers la scène, milieu d’où vient son créateur Olivier Chatellier, passionné de théâtre et de chanson. À l’affût de tout ce qui se passe sur Toulouse, le café permet aux artistes émergents de monter pour la première fois sur les planches. Le bar propose des produits locaux à petit prix pour les adhérents, et les spectacles sont au chapeau. Plus loin, on trouve le théâtre du Fil à Plomb (3), fondé à l’aube des années 2000 par Badradine Reguieg. à l’origine de sa création : des comédiens inconnus cherchant un espace de création et de représentation. Le projet est alors soutenu par le patron de la Kasbah et Claude Sicre, président de l’association Escambiar, avec le regard bienveillant de

la bande à Zebda. Une ambiance « maison » y règne, le Fil à Plomb accueille avant tout des auteurs et des projets locaux. Facteur d’intégration culturelle au sein du quartier, le théâtre collabore avec d’autres associations comme Escambiar (4). Créée en en 1981, cette dernière est une des plus anciennes d’Arnaud-Bernard. Son créneau : la musique, celle du monde et de l’Occitanie. Avec un objectif : Permettre à de nouvelles activités musicales et culturelles d’émerger. Une volonté qui passe par l’accompagnement de groupes (Les Fabulous Trobadors, Bombes 2 Bal...), l’organisation d’ateliers et du festival « Peuples et musiques au cinéma ». à deux pas de là, une autre des institutions du quartier : le Carrefour Culturel (5) d’Arnaud-Bernard, association créée en 1991 pour mettre en œuvre le « Forom des Langues » et soutenir le lancement des fameux Repas

Les repas de quartier sont nés ici C’est à Arnaud Bernard que sont nés les fameux « repas de quartiers» devenus « fête des voisins », à l’initiative de Claude Sicre et des Fabulous Trobadors dans les années 90. Ces repas de rue sont désormais devenus un rite exporté à travers la France et l’Europe. de quartiers. Le Forom vise à présenter la pluralité des langues du monde, rassemblant près de 250 associations chaque année sur la place du Capitole. Pour David Brunel, coordinateur de l’association, ces actions culturelles s’inscrivent dans un véritable engagement « elles sont pour nous des actes de décentralisation culturelle ». En lien avec le Comité LE MAGAZINE DIVERSITÉ

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6 - le communard le marché

1 - la maison blanche 5 - carrefour culturel

4 - escambiar

2 - chez ta mère 3 - théatre du fil à plomb 7 - la kasbah

de quartier, le Carrefour Culturel organise aussi des « Conversations socratiques », rendez-vous permettant à chacun d’échanger sur l’art de vivre ensemble. Une question d’autant plus pertinente, alors que les habitants doivent aussi cohabiter avec les noctambules et les fêtards.

Une identité festive et populaire Des concerts, de la musique, sur la place des Tiercerettes ou dans les bars... La place Arnaud-Bernard, c’est aussi celle qui s’éveille à 21 h. Le quartier compte à lui seul sept établissements membres du collectif Bar-Bars qui rassemble toutes les structures ayant le titre de « cafés culturels... Loin des boîtes de nuit, la notion de QG trouve ici son sens, avec des bars alternatifs , véritables lieux de rencontres. Sur la place, Le Communard (6) est un bar à l’identité très marquée, ouvertement politisé. Deux drapeaux antifascistes sont épinglés au plafond, LE MAGAZINE DIVERSITÉ

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tandis que les murs sont recouverts d’affiches de slogans de lutte. à quelques rues de là, derrière le Breughel, ses spiritueux et ses concerts, se cache le restaurant La Kasbah (7). Ses « Lundis populaires » sont devenus un rendez-vous incontournable. 5 euros l’assiette de couscous, le concert en prime... Un quartier qui perpétue une forme de tradition, celle d’être un modèle réduit d’exemplarité interculturelle et démocratique. Mais dont le dynamisme dépend aussi des choix de la mairie : « des lieux comme le nôtre pourraient fleurir comme disparaitre en fonction de la politique de la ville » prévient Junie, de MaisonBlanche. La vigilance reste d’actualité : le marché solidaire, dit « des précaires », vient tout juste d’être supprimé. Une décision de la mairie, désormais dirigée par la droite locale. Célia Coudret

Arnaud-Bernard, un foyer d’immigration historique : Dès les années 20, ce sont les Italiens fuyant le régime mussolinien qui viennent y trouver refuge. Les Espagnols les suivent après avoir traversé les Pyrénées pour échapper à l’armée franquiste. Viendront ensuite les populations maghrébines au lendemain de la guerre d’Algérie, les harkis puis les algériens et les marocains.


comprendre

Tout ce que vous croyez savoir sur… LA Laïcité En octobre 2014, la ministre de l’Éducation Najat Vallaud-Belkacem , a autorisé les mères voilées à être accompagnatrices scolaires. Une décision prise au nom de la laïcité qui n’a pourtant pas fait consensus. Définition en trois points d’un principe devenu aujourd’hui, en France, sujet à polémique. 9 décembre 1905 Loi de séparation des Églises et de l’État

1958 Le principe de laïcité est inscrit dans la Constitution

31 décembre 1959 La loi Debré accorde des subventions aux écoles privées sous contrat

octobre 1989 Première affaire du voile. Un principal du collège de Creil exige qu’une élève retire son foulard

mars 2004 Loi sur la laïcité / interdiction des signes religieux à l’école publique

mars 2007 Création par décret d’un Observatoir de la laïcité

11 avril 2011 Entrée en application de la loi sur l’interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public

juin 2013 Affaire Baby Loup / La Cour de cassation confirme le licenciement d’une employée de crèche voilée

La laïcité est une invention française

La laïcité s’attaque à la religion

la laïcité c’est pour les grands

Si le mouvement des Lumières et la Révolution française ont favorisé l’idée de liberté de conscience (chacun est libre de penser et de croire en ce qu’il veut), le principe de laïcité n’est pas une exception française. « La liberté de conscience est certes née en France mais la non discrimination pour des raisons liées aux religions est aussi un idéal européen. Récemment, le Canton de Genève vient par exemple d’inscrire la laïcité dans sa Constitution » précise Jean Baubérot, spécialiste des religions. Historiquement, la France est le premier pays à avoir donné un sens juridique à la laïcité dont les grands principes furent énumérés dans la loi de 1905. Elle est devenue ensuite, dès 1958, l’un des fondements du pacte républicain (1) et continue aujourd’hui de s’adapter aux évolutions de la société française.

« La laïcité peut être instrumentalisée contre des communautés religieuses. Aujourd’hui, on s’exprime en son nom pour masquer une intolérance vis-à-vis de l’islam notamment. » dénonce Nicolas Cadene, rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité. Or, ce principe ne consiste pas à combattre les religions mais à renvoyer les idées spirituelles dans la sphère privée. L'Etat laïc ne doit ni favoriser ni dénigrer un culte. Ainsi, entre 1999 et 2003, il a encouragé la création du Conseil français du culte musulman, au même titre que la Conférence épiscopale, la Fédération protestante et le Conseil représentatif des institutions juives de France. Mais les réactions ont été nombreuses, certains voyant dans cette action une entorse à la loi de 1905.

Depuis 2013, une Charte de la laïcité (2) trône dans toutes les écoles publiques de France. Sa vocation : « rappeler les règles qui nous permettent de vivre ensemble dans l'espace scolaire (…) » Une initiative encourageante qui toutefois « ne suffit pas à faire comprendre aux enfants ce qu’est réellement la laïcité » estime Marine Quenin, présidente d’Enquête, une association qui promeut la découverte de la laïcité à destination des jeunes. Le principe est encore peu abordé dans les programmes scolaires et par les enseignants. Or, les enfants sont confrontés au quotidien à la manifestation des faits religieux. « il faut pouvoir les ouvrir à la laïcité, à vivre ensemble de façon respectueuse, et cela passe par la connaissance de l’autre. » Louise Pluyaud

(1) « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. » (Article 1er de la Constitution de 1958)

(2) Les 15 principes de la « Charte de la laïcité » énoncent des principes généraux de la Constitution, de la Déclaration des droits de l’Homme et de la loi de 1905.

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entreprendre

Les patrons de la banlieue, ce sont eux Akram et Saba vivent tous les deux en banlieue. Le premier est un ancien chômeur. Le deuxième, originaire du Mali, est passé par les foyers de Montreuil. Accompagnés par une branche de l’ONG Planet Finance, ils ont chacun pu monter leur entreprise grâce au programme Entreprendre en banlieue.

De gauche à droite Akram Rezig, Saba Traoré et Florian Lacoste

a banlieue ? Un territoire où l’environnement de la création d’entreprise peut paraître opaque pour les gens qui y vivent », résume Florian Lacoste, directeur pour l’est parisien de Planet Adam. La structure est implantée dans différentes zones urbaines sensibles de France. Elle aide de jeunes entrepreneurs issus de ces territoires « à transformer la bonne idée en projet puis en société ». À Montreuil, l’antenne, ouverte en 2013 a déjà accompagné 182 personnes et 56 boîtes ont été créées. Business plan, élaboration de la stratégie, financement, statut juridique… rien n’est laissé au hasard. A condition que l’idée soit bonne. « On a un devoir de lucidité », rappelle Florian Lacoste. L’accompagnement est gratuit, le financement passe LE MAGAZINE DIVERSITÉ

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par d’autres organismes comme l’Association pour le droit à l’initiative économique (Adie) qui prête sans apports aux personnes bénéficiant de minimas sociaux. Akram Rezig, 44 ans, a créé sa société de transport de personnes grâce au programme. « Après avoir été licencié de mon poste de technicien dans l’aéronautique, je me suis retrouvé au RSA », explique-t-il. C’est lors d’une réunion d’information sur la création d’entreprise, au Pôle emploi de Romainville, que cet ancien patron d’une société de taxis en Tunisie a été mis en contact avec la Planet Adam de Montreuil. « Pendant 4 mois environ, une fois par semaine, je voyais Monsieur Lacoste. On a travaillé sur mon business plan, l’étude de marché… Et j’ai obtenu le financement d’une formation pour passer ma capa-

cité professionnelle de transport de personnes. J’ai pu lancer, ma société, AR Voyage, en août. » Autre bénéficiaire, autre projet. Saba Traoré, 32 ans, est originaire du Mali. S’il habite maintenant à Lognes, il a d’abord « fréquenté les foyers de migrants de Montreuil ». « J’ai réalisé que 10 % de la population de la ville était malienne. J’ai pensé qu’il y avait là un marché pour ceux qui envoient une partie de leur salaire à leurs proches au Mali. » Son idée ? « Permettre aux Maliens de ravitailler leur famille en denrées alimentaires via un paiement sécurisé qui peut se faire de son portable ». Son entreprise, Tjiwara Services a pu démarrer grâce aux fonds que Planet Adam l’a aidé à trouver. Noémie Fossey-Sergent


La diversité en entreprise : une richesse incontournable ? En partenariat avec : LE MAGAZINE DIVERSITÉ

trois questions à Elena Mascova, responsable des études à l’Afmd. Qu’est-ce que la diversité pour les entreprises ? La définition de la diversité ne fait pas l’unanimité. Lorsqu’on pose cette question aux professionnels en charge de ce sujet, certains citent les mots inclusion, équité, égalité des chances, respect des autres, richesse… d’autres handicap, origine, orientation sexuelle, etc. Le champ lexical couvert renvoie tantôt à l’idée du vivre ensemble, tantôt à certains publics. L’AFMD – espace de réflexion réunissant des entreprises de tous secteurs et tailles confondus – offre un lieu d’observation privilégié pour suivre les dernières tendances et développements des pratiques en matière de gestion de la diversité. Cette question a fait l’objet d’un ouvrage que nous avons publié en 2012 et téléchargeable sur notre site www.afmd.fr.

Comment les entreprises s’organisent pour gérer la diversité ?

1 € investi dans le programme =  1,30 € de valeur sociale créée C’est le résultat de l’étude d’impact social menée par la Fondation Accenture sur le programme Entreprendre en banlieue. En interrogeant toutes les parties prenantes du programme, la fondation a comparé ce que chaque personne a pu acquérir comme compétence et ce que cela aurait coûté en dehors de tout programme. Conclusion : investir dans le social est rentable pour la société. www.planetfinance-france.org www.accenture.com

Depuis la mise en place de la Charte de la diversité en 2004, point de départ symbolique des engagements des employeurs français en faveur de la diversité, de plus en plus d’entreprises se donnent les moyens de formaliser la gestion de la diversité au niveau organisationnel. Concrètement cela se traduit par la création d’une fonction diversité dédiée, avec les missions, les outils et les objectifs qui lui sont propres. Souvent rattachée aux directions de gestion des RH, la fonction diversité peut couvrir une variété de missions et d’activités (mise en place d’une politique diversité, actions de formation et de sensibilisation, …).

Quelles sont les perspectives d’évolution du management de la diversité ? Il faut noter que les sujets de la diversité évoluent au rythme des changements réglementaires mais aussi en fonction du degré de maturité acquis par les entreprises en la matière. Si certains thèmes comme l’égalité professionnelle femmes/hommes, l’emploi des personnes en situation de handicap, ou encore les générations au travail, découlent des obligations légales, de nouveaux sujets ont émergé ces dernières années : orientation sexuelle, apparence physique, conciliation des temps de vie... De plus en plus, la gestion de la diversité signifie la capacité d’une entreprise à intégrer et faire évoluer une variété des profils, en mettant les compétences au cœur de cette démarche. Loin d’être une mode managériale vouée à l’oubli, la gestion de la diversité se positionne aujourd’hui comme la pierre angulaire d’un management des ressources humaines responsable. LE MAGAZINE DIVERSITÉ

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APPRENDRE

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rencontrer

Thomas NGijol: « Je refuse de rentrer dans des cases prédéfinies »

« THOMAS NGIJOL 2 » est joué du mardi au samedi à 20h30 au théâtre Dejazet à Paris Jusqu’au 17 avril 2015

Comment avez-vous travaillé votre nouveau spectacle ? Avant tout, j’avais envie de remonter sur scène. Entre mon premier spectacle et maintenant, j’ai évolué en tant qu’homme, j’ai construit un petit cocon familial. J’ai donc de nouvelles choses à raconter.

Vous êtes beau-papa et depuis quelques mois papa d’une petite fille… Oui, cela a changé des choses en moi, mais pas ma façon de voir les choses ni de faire de l’humour. Forcément en vieillissant on est concerné par d’autres sujets, notamment la famille. Et puis je refuse de rentrer dans des cases prédéfinies, au rôle du jeune mec, célibataire… qui ne me correspond plus. Je n’ai pas envie de mentir en fait.

Sur scène , on vous sent sincère. C’est compliqué de parler de sincérité. J’ai pas envie d’en faire une marque déposée. Je pense que je ne serai jamais aussi drôle et efficace qu’en me rappro-

chant de ma vérité et de ce que je suis profondément.

Par exemple… ? L’année passée pendant une semaine, il y a eu tout un brouhaha autour de Nabilla et de son coup de couteau. C’est le genre de sujet qu’il suffit d’évoquer sur scène pour que tout le monde rit. Et en même temps, quand je me pose vraiment la question de savoir si ça m’intéresse d’en parler, je me rends compte que non, ce type d’histoire j’en ai rien à foutre.

Dans votre spectacle, vous traitez du conflit israélo-palestinien, des médias… Quand je parle d’un sujet sur scène, c’est que j’ai une petite réflexion dessus et que j’ai envie de la partager, de façon drôle bien sûr. Après, faire réfléchir je ne sais pas, je suis avant tout dans le divertissement. Je ne suis pas un prêcheur, je ne milite pour aucune cause. Je ne m’adresse pas un public en parti-

© john waxx

Fini le personnage du mec un peu branleur et beaucoup dragueur, place à l’homme, celui qui a mûri et qui a fondé une famille. Sans fard et sans complaisance, l’humoriste au sourire enjôleur, nous parle de lui et de son dernier spectacle. De la Fast life (1) à l’homme tranquille. culier, ni à une communauté. J’ai eu une éducation très ouverte avec des parents qui n’ont jamais chercher à sectoriser ou communautariser les choses.

Vous dites que fonder une famille, ça sauve la vie… À être centré que sur soi-même et ses petites ambitions, on passe à côté de choses fortes et riches, parfois même on passe carrément à côté de sa vie. On peut danser avec les stars, remplir l’Olympia, faire 50 millions d’entrées au box office… je pense que rien ne vaut la famille. On a besoin d’argent pour vivre mais je ne pense pas que ce soit le plus important, même si notre société a tendance à dire l’inverse. Et c’est peut-être bien de le rappeler de temps en temps notamment dans le cadre d’une salle de théâtre. Propos recueillis par Alexandra Luthereau

(1) Fastlife, son dernier film, sorti en juillet 2014.  LE MAGAZINE DIVERSITÉ

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rencontrer

La princesse sans bras Amputée des deux bras, Ursula Lemarchand a monté, quelques mois après son accident, une pièce de théâtre. Auteure et comédienne, elle nous interpelle, nous, valides, sur nos propres handicaps.

© ursula lemarchand

Prochaines représentations : le 16 janvier à Peyrehorade (40 300) et le 17 avril 2015 à Biarritz. Plus d’infos sur la-princesse-sansbras.fr et apresdeuxmains.fr (association créée par son père pour financer l’achat de prothèses). LE MAGAZINE DIVERSITÉ

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« Soit j’acceptais mon handicap, soit je devenais aigrie »

© ursula lemarchand

ans sa pièce de théâtre, il manque quelque chose à tous les personnages. « Il y a les sans cervelles, les sans amis, les sans émotions…», énumère Ursula Lemarchand, 23 ans. Elle, ce sont ses bras qu’elle n’a plus. La conséquence d’un grave accident dans le métro parisien, en 2013. « Pour financer mon année au Cours Florent, je faisais des petits boulots. La fatigue ajoutée au stress des examens… J’ai fait un malaise sur le quai et suis tombée sur les voies. » Vivante, elle se réveille à l’hôpital, amputée des deux bras. « Ma mère m’a dit : tu as le choix. Soit tu n’acceptes pas ce handicap et tu deviens triste et aigrie. Soit tu l’acceptes et tu essayes d’avancer. » Passées les premières semaines de sidération et les médicaments à dose de cheval, la jeune fille, alors âgée de 22 ans, se met à écrire sa première pièce de théâtre, « La princesse sans bras », avec ses doigts de pied. « La mise en scène, c’est ce qui m’a toujours intéressée, confie Ursula. Au Cours Florent, on nous prépare à être comédien mais moi ce que je voulais, c’est monter ma troupe ». Elle invente une histoire de princesse enfermée par sa mère qui a honte que sa fille soit née

sans bras. Sa grand-mère lui souffle de partir dans la forêt trouver la bonne fée qui lui donnera « ce qu’elle désire le plus au monde ». En route, la princesse croise d’autres « sans », joués par ses amis du Cours Florent. Chacun a ses tares, ses faiblesses. In fine, la princesse réalise qu’elle a eu à travers ces aventures « ce qu’elle désire le plus au monde » : des amis et des moments de vie vécus intensément. « C’est une pièce avec deux niveaux de lecture, reprend Ursula Lemarchand. C’est un vrai conte pour les petits et en même temps elle permet aux parents d’aborder le sujet du handicap avec leurs enfants ». Cette pièce écrite en 2 mois a

été sa thérapie. « Remonter sur scène, c’est la première chose que j’ai écrite dans la liste que ma sœur m’a demandé de faire au lendemain de l’accident. » Aujourd’hui, Ursula est retournée vivre chez ses parents, dans le Maine-et-Loire. Sa vie est évidemment différente : « J’ai perdu en autonomie, j’ai dû réapprendre à trouver mon équilibre car sans bras, le centre de gravité n’est plus le même. Mais j’ai gagné en confiance en moi. Je fais des sports de combats, je refais du cheval avec mes sœurs. Et puis cette troupe que je rêvais de monter, je l’ai créée plus tôt que prévu finalement. » Noémie Fossey-Sergent


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beautés

Les douceurs de l’hiver Virginie (ou Vivi sur la toile) tient le blog ivy-mag.com, un blog lifestyle avec une forte place pour la beauté noire et métissée. Elle est aussi chroniqueuse pour ELLE.fr où elle parle de la beauté en mode diversité.

Toutes les conditions météorologiques de cet hiver sont réunies pour mettre votre peau et vos cheveux a rude épreuve. Vous allez devoir vous équiper, changer vos soins habituels contre des formules plus riches. Une saison qui peut faire mal a notre porte-monnaie. Alors, pour passer cette phase en douceur, voici mes 5 bons plans, pour des soins adaptés aux petits budgets.

Les coffrets Mysekit

Myse en beauté Un minimum de 5 soins en taille réelle pour 30 euros ! Ce coffret nouvelle génération, et sans abonnement est le compromis idéal entre plaisir et petit prix. Dans un joli contenant, il propose plus de 150 euros de soins a un prix défiant tout les e-shop !

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pour VOS cheveux

Le Beauty Club

Cette nouvelle crème vous fait rêver mais son prix, moins ? La solution est sur ce site de cosmétiques neufs à prix cassés. Vous pourrez aussi revendre ce parfum que l’on vous a offert pour les fêtes mais qui ne vous plaît pas vraiment.

Qu’ils soient défrisés, ou non, c’est le site à garder dans vos favoris. Sa sélection de produits pour les cheveux crépus est parfaite pour les réparer, les renforcer et affronter le mauvais temps.

Inscrivez-vous pour tester gratuitement les soins du moment ! Apres votre test, vous pourrez donner votre avis sur le site. Sérum hydratant, ou crème pour peaux sensibles vous attendent.

bellebene.com

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Babette de Rozières vous ouvre son Salon

© arety

Animatrice des « P’tits plats de Babette » sur France Ô et dans « C à vous » sur France 5, Babette de Rozières porte haut les saveurs de la cuisine créole. Cette passion, elle a voulu nous en faire partager les goûts et les arômes en organisant le premier Salon de la gastronomie d’outremer, les 7,8 et 9 février 2015, Porte de La Villette, à Paris.

« Ce salon, je l’ai imaginé aussi accueillant qu’une belle demeure créole ! »

Le blanc manger à la noix de coco de Babette ingrédients 4 noix de coco 8 feuilles de gélatine

Pourquoi organiser un Salon des gastronomies d’Outre-mer ? Pour faire découvrir les territoires d’Outre-mer que j’ai voulu réunir dans toute leur diversité. Ce sera pour les hexagonaux l’occasion de découvrir les multiples facettes que recouvre le mot « créole ». Les repas créoles des Antilles et de La Réunion sont différents. Ce salon, c’est l’occasion de se « rapprocher » des Dom Tom pour découvrir la richesse de leurs cultures et la variété des « savoirs créoles ».

Comment vous est venu le goût de la cuisine ? J’ai eu la chance d’avoir une grand-mère « cordon bleu », enfant je n’avais pas le droit d’aller dans la cuisine, mais je goûtais tout ce qui en sortait, ce qui a éduqué mon palais ! Arrivée à Paris, j’ai cherché à retrouver ces goûts, d’abord pour moi, ensuite pour mes amis. J’ai réalisé que la cuisine n’est pas seulement quelque chose qu’on apprend, mais qu’on possède en soi.

En 1979, vous étiez la première femme à cuisiner devant des caméras... Et ça n’a pas été facile! J’étais non seulement la première femme à cuisiner devant des caméras, mais aussi à parler d’épices exotiques ! J’ai dû me battre pour faire connaître les saveurs des outre-mer, et rappeler aux téléspectateurs que les Dom Tom sont des départements français ! Je ne pouvais quand même pas renier mes origines !

Un plat et un condiment fétiche ? Je suis une fille des Îles, j’adore le poisson ! Et un court-bouillon à l’Antillaise avec des légumes racines est le plat le plus merveilleux que l’on puisse manger lorsqu’on est aux Antilles ! Et j’adore le rocou, qui est avant tout un colorant alimentaire, et qui servait aux Indiens de crème anti-UV d’ailleurs ! Mais il a un petit goût de noisette que j’adore. Plus d’informations sur : www.sagasdom.com V. A. LE MAGAZINE DIVERSITÉ

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200 g de lait concentré sucré 200 g de lait concentré non sucré 20 cl d’eau

préparation Cassez les noix de coco, récupérez la chair, râpez-la finement et réservez. Mettez la chair dans un saladier, ajoutez 20 cl d’eau chaude puis, à l’aide d’un torchon, pressez la chair pour extraire le lait de coco. Mettez les feuilles de gélatine à tremper dans une bassine d’eau chaude pour les ramollir. Dans une casserole, mettez le lait non sucré à bouillir, rajoutez les feuilles de gélatine ramollies ainsi que le lait de coco et le lait concentré. Remuez bien. Faites cuire à feu moyen pendant 3 min et laissez refroidir complètement. Versez dans un moule et placez une nuit au réfrigérateur. Servez frais avec un coulis de fruits exotiques


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