Le Corps du livre

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Le Corps du livre


Un corps à corps passionné Marie-Rose Guarniéri Plaidoyer en faveur du corps Jean-Yves Mollier Le vêtement des livres : couvertures et jaquettes Massin

Actes Sud

34

Ne pas tirer la couverture à soi Bertrand Py Les romans n'ont pas de visage, 44 les livres si Laurent Gaudé

Allia

48

Bouquins

56

Christian Bourgois

62

10/18

70

78

Bleu Minuit Anne Simonin 88

Éditions de l’Olivier L'arbre Olivier Cohen

Les deux corps du livre Gérard Berréby 96

P. O.L

Sept pastilles de marbre Paul Otchakovsky-Laurens

Bouquins reste une collection hors norme Jean-Luc Barré 102

Monsieur Toussaint Louverture Quel est le poids d'un pourquoi? Dominique Bordes

Juste une image ? Une image juste Linda Lê

10/18, deux chiffres telle une énigme pour un “grand détective” Jean-Claude Zylberstein

Éditions de Minuit

108

Le Tripode

Diabolus in graphica La Grande Panne : huit essais pour une couverture Frédéric Martin

Pierre Faucheux : un tourbillon d’inventions Annie Le Brun De la couverture Massin Table des illustrations Remerciements


L

a convivialité est une disposition d’esprit qui engage et qui simplifie la vie – un peu comme la bienveillance. Aussi, avant de répondre à toute sollicitation, est-il

judicieux de se demander : cette proposition est-elle conviviale ? Quand la réponse est positive, il ne reste qu’à rendre possible l’initiative. C’est quelquefois difficile, et cela implique de la créativité, de la conviction, de l’attention. Et de la passion. “Oui !”, avons-nous répondu à Marie-Rose Guarniéri. Oui, les équipes d’Actes Sud, partenaires historiques de la journée “Un livre, une rose”, sont heureuses de signer en 2017, au côté de l’association Verbes et de centaines de libraires indépendants, un ouvrage rendant hommage à tous les acteurs – éditeurs, graphistes, typographes, illustrateurs, directeurs artistiques… – qui, depuis Pierre Faucheux et Massin jusqu’aux plus jeunes créateurs, ont permis l’émergence d’un nouvel art : celui des couvertures. Jean-Paul Capitani Actes Sud


J

e dédie à Jean-Paul Capitani ce livre de la Sant Jordi 2017, qu’il nous a inspiré. Je le dédie aussi à Françoise Nyssen, à Thierry

Magnier et à toutes les équipes d’Actes Sud.

Dès l’origine de cette action culturelle qui mobilise notre profession, ils se sont tous magnifiquement engagés à nos côtés. Visionnaires et combattants, ils nous ont aidés avec tout leur talent, tout leur professionnalisme à déployer en France une vraie et grande journée de la librairie indépendante. Tout au long de ces années de travail, je les remercie d’avoir été si fiables et de nous avoir permis de nous renouveler et de durer. Mieux que des partenaires, ce sont des amis ! Marie-Rose Guarniéri Librairie Les Abbesses Association Verbes


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Un corps à corps passionné Marie-Rose Guarniéri

T

ypographes, graphistes, illustrateurs, maquettistes, surgissez des coulisses, car aujourd’hui ce sont vos métiers de l’ombre que nous voulons honorer et mettre en lumière…

À vous, lecteurs, nous avons voulu offrir le récit épatant de la mise au point de tous ces savoir-faire. Notre ambition est de célébrer toutes ces signatures graphiques épousant avec une sobriété sacrée les textes des auteurs. Et de dévoiler la genèse épique de la draperie d’un livre. Que raconte une couverture ? Comment sommes-nous captés par ces graphies déroutantes, par ces images, par ces motifs, par ces logos si familiers qu’ils nous incitent parfois à les collectionner ? Comment déchiffrons-nous les garamond, les bodoni, les italiques, les capitales, les caractères filiformes ou arrondis ? Cette fusion du fond et de la forme interpelle le lecteur et chemine en lui, nous ne savons pas toujours comment… Aussi, nous avons mené une enquête avec les éditions Actes Sud pour élucider ces énigmes en commençant par un hommage nourri aux pionniers de ces métiers en France : Massin et Faucheux. Et en passant ensuite le relais à des éditeurs contemporains aux couvertures mémorables, voire cultes… Actes Sud pour son format allongé, précieux, inimitable et son catalogue du Sud rayonnant ; Allia pour ses livres mettant à portée de main toutes les humanités ; Bourgois et ses couvertures comme des œuvres d’art ; la collection Bouquins, cette Pléiade du pauvre fondée par l'inoubliable Guy Schoeller, flambeau repris haut la main par Jean-Luc Barré ; 10/18 et ses deux chiffres, telle une énigme pour un grand


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détective ; les Éditions de Minuit et leur blancheur étoilée ; P.O.L et

contaminent les visiteurs qui entrent dans notre lieu. C’est à travers

ce jeu sonore entre un prénom et une maison d’édition gravés

ce feu que la librairie est attractive.

dans les sillons d’un blanc côtelé ; Gallimard avec son parfait filet

Un des stigmates du libraire, c’est bien son attachement viscéral à

rouge et noir sur une couverture estampillée de l’éternel logo NRF ;

la substance des livres. Quand il en aime un tout particulièrement,

les Éditions de l’Olivier enracinées sous leur arbre fertile ; le Tripode

il lui arrive parfois d’être déchiré lorsque quelqu’un le lui achète…

aux jaquettes étonnamment renouvelées ; Monsieur Toussaint

Mais notre métier, c’est aussi une grande consolation, celle de tou-

Louverture, enfin, l’épicurien qui exalte tous les artisanats de l’édition.

jours retrouver celui qu’on aime en le faisant revenir…

Une couverture, c’est le visage du livre, une apparence qui nous invite

Notre passion a besoin d’incarnation, elle ne peut être tout à fait

à aller au-delà…

assouvie par un support dématérialisé.

Qu’est-ce qui pousse le lecteur à s’en emparer ?

Le Paradis n’est-il pas, pour Borges, une immense bibliothèque ?

Est-ce le nom de l’auteur, un mot dans le titre, la typographie, la

Notre exaltation, c’est le démon de l’exhaustivité : classer les au-

couleur, la matière du papier (mat, brillant), le logo, le format, la

teurs par sujet, par collection, par époque, par pays, par couleur.

maison d’édition ou la collection ?

Oui, avouons-le, nous aimons tout de l’objet : son papier, son odeur,

Qu’est-ce qui en France, par exemple, nous différencie dans ce

la peau de sa couverture, le noir de l’encre, la silhouette des lettres,

domaine des Espagnols, des Anglais, des Italiens ? Pourquoi les

bref, sa compagnie.

maisons d’édition françaises portent-elles souvent le nom de leur

En vivant parmi les livres, nous démultiplions nos vies… À 10 heures,

fondateur, de leur rue ou d’un moment de l’histoire politique ?

nous nous sauvons des prisons de Venise avec Casanova ; à midi,

Pourquoi tant de blanc sur leurs couvertures ?

nous marchons dans les montagnes de Sils-Maria avec Friedrich

Nous avons rencontré ces éditeurs d’hier et d’aujourd’hui, ils nous

Nietzsche ; à 15 heures, nous partageons la solitude de Franz Kafka ; à

ont entretenu de cet habit qui souvent “fait le moine”.

18 heures, nous marchons dans Lhassa avec Alexandra David-Néel ;

Ce livre est l’épopée de possédés du livre.

à minuit, nous reconstruisons sans cesse avec la mère de Margue-

Parmi eux, les libraires…

rite Duras son barrage contre le Pacifique...

C’est de leur corps à corps passionné avec les livres que j’aimerais

Mais surtout, lorsque des écrivains chéris nous quittent, nous

vous parler maintenant.

conjurons la mort en gardant près de nous, vivantes, leurs voix. En

Le libraire est dépositaire du corps des livres. Lorsqu’il en saisit

touchant leurs livres, nous avons la chance de ne pas les avoir tout

un, tel un pêcheur, il ramène dans ses filets toute la mémoire fré-

à fait perdus.

missante d’un catalogue. Sa librairie est un territoire qui contient

Partout où nous sauvegarderons des librairies demeureront des pa-

et héberge l’infini des textes. En véritable magicien, il compose une

radis retrouvés…

alliance lunaire entre les rêves d’un éditeur, la facture d’un ouvrage et les secousses cosmiques d’un auteur. L’épicentre de notre vocation, c’est d’être possédé par le prodigieux virus de les acheter, ces livres, même s’ils sont coûteux, même s’ils sont volumineux, même si nous ne les lirons pas tous… Cette fringale de lecture et cette inextinguible curiosité, tous azimuts,

Marie-Rose Guarniéri Librairie Les Abbesses Association Verbes


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12 | Maison d’édition

Plaidoyer en faveur du corps Jean-Yves Mollier

E

n intitulant Le Corps du livre le volume offert cette année par les libraires indépendants à leurs clients, Marie-Rose Guarniéri a délibérément placé le livre sur le terrain

où il est né en Occident, celui du sacré. Entre le corps du Christ qu’intériorise le croyant lorsqu’il reçoit l’hostie dans laquelle il s’incarne et τὸ βὶϐλίὀν, le Livre, ou τὰ βὶϐλία, la Bible, s’établit ainsi un lien direct que le lecteur retrouve en communiant avec l’auteur du roman ou du poème qu’il tient dans ses mains. Sans plus filer cette métaphore mystérieuse empruntée aux “religions du Livre”, le judaïsme, le christianisme et l’islam, on rappellera que les tablettes d’argile de Mésopotamie ne possédaient pas de couverture, pas plus que les rouleaux sur lesquels on tenta d’emprisonner le récit de l’aède nommé Homère en dessinant les lettres qui composent l’Iliade. La couverture est née tardivement et ne s’est guère imposée qu’à la toute fin du

XIXe siècle,

lorsque les bibliophiles

ont compris qu’elle faisait corps avec le texte et que l’essence de celui-ci s’évaporait si l’on éliminait son enveloppe. Parce que les livres parvenaient en feuilles à l’éditeur et qu’il faisait confectionner les couvertures des livres par un autre professionnel, les collections de volumes conservées dans les bibliothèques publiques sont souvent reliées sans ce précieux habit primitif du livre. Depuis la Belle Époque et la vogue du Latin mystique de Remy de Gourmont ou des Poètes maudits de Verlaine, ces plaquettes tirées à quelques dizaines d’exemplaires et imprimées sur beau papier, avec un caractère soigneusement choisi, magnifiquement reliées pour les plus recherchées, la couverture a pris une importance qu’elle n’a plus jamais perdue. Les jeunes éditions de la


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nrf – le Comptoir d’éditions comme il se dénommait – confièrent

avant de le lire. Blanches ou noires, laiteuses ou illuminées, utilisant

à Jean Schlumberger le soin de dessiner les trois lettres magiques

les caractères les plus classiques ou les plus sophistiqués, cette parure

et Gaston Gallimard travailla avec son imprimeur pour concevoir

s’est imposée à nous au point qu’un livre sans couverture apparaîtrait

la maquette et choisir le caractère de ses premiers livres. Après

aussi obscène qu’un corps violemment dénudé. Tous les éditeurs qui

lui, aucun éditeur digne de ce nom ne pourra plus se dispenser

s’expriment dans ces pages livrent une part de leur émotion quand ils

d’une intense réflexion sur cet habit de lumière que constitue une

cherchent à faire dire à la couverture du livre à naître quelque chose du

couverture. Tel le matador qui risque sa vie en entrant dans l’arène,

texte qu’ils ont retenu pour représenter leur maison d’édition et porter

le livre exposé sur une table ou en vitrine dans une librairie livre son

ses couleurs, son étendard ou son blason.

premier combat et risque sa vie. Massin et Faucheux dont ce beau

Carte d’identité de l’éditeur, signe visible de son existence, la couverture

livre évoque la mémoire, mais aussi Jérôme Lindon, Jean-Jacques

cache ou révèle le corps que le libraire expose en attendant qu’un visiteur

Pauvert, Christian Bourgois, Hubert Nyssen et leurs émules, tous

ami ou inconnu ne s’en empare et ne l’enlève pour le faire sien. Si le libraire

ont fait leur ce commandement de leur profession. Il y eut bien un

ne peut refuser de vendre un livre, il peut parfois souffrir de cet enlève-

iconoclaste, le patron des Presses de la Cité, Sven Nielsen, pour

ment par un intrus dont il ignore s’il saura prendre le temps de contem-

dénigrer ce qu’il osa appeler “les couvertures en chemises de nuit”,

pler et de caresser, d’effeuiller et de mettre à nu ce corps qui était sien

mais c’était pour leur opposer des produits standardisés aperçus

quelques instants auparavant. Emporté pour être lu mais aussi regardé,

aux États-Unis et relevant d’une autre esthétique, celle qu’avait pri-

touché, humé, le livre est un tout dont l’existence ne cesse d’être réinterro-

vilégiée Arthème Fayard pour lancer “Le Livre populaire” en 1905.

gée depuis que l’ordinateur et le smartphone tentent de lui ravir une part

Destinées à des lecteurs choisis et exigeants, comme l’illustrent

de son héritage. Nul ne peut dire ce qu’il adviendra de cette rivalité, mais

les volumes des éditions P.O.L ou L’Olivier, Allia ou Le Tripode au-

les libraires savent à quel point leur métier souffrirait de la disparition

jourd’hui, ou, au contraire à un public plus vaste que recherchait

du livre physique. Lien entre deux univers, longtemps réservé aux plus

Christian Bourgois quand il prit en charge la collection “10-18”

favorisés puis universellement répandu, refuge et consolation pour ceux

chez Plon, ou que vise Actes Sud quand la maison arlésienne

qui en ont été privés, le livre est comme la rose que l’on offre à ceux qu’on

publie un futur prix Goncourt, la même exigence en faveur de

aime. Elle a besoin d’une enveloppe et de ses pétales pour révéler son

la couverture se devine. Qu’elle soit confiée à Gino Starace pour

parfum le plus secret, comme la couverture, le papier, le caractère – l’œil

répandre dans Paris le visage du criminel le plus effrayant, Fan-

typographique – sont indispensables au poème, au roman ou à l’essai.

tômas, en 1911, ou conçue pour rappeler qu’une petite lumière

Tous ces textes transmués en livres tentent en effet d’attirer le lecteur en

brilla dans la nuit de l’Occupation – l’étoile des Éditions de Minuit

lui faisant “signe” grâce à la magie de la couverture qui parle de la vitrine

apparue en 1945 –, la couverture est le premier signe visuel que

à la rue et hèle le promeneur pour le convaincre de s’arrêter et de venir

perçoit l’amateur de livres quand il franchit le seuil d’une librairie.

passer quelques instants en sa compagnie.

Qu’elle soit typographique comme ce fut longtemps le cas, de la fin du XVIIIe siècle au début du XX e, dessinée, ou qu’elle intègre une photogra-

Jean-Yves Mollier

phie tirée d’un film à succès, la couverture est polymorphe. Le Corps

Historien

du livre en offre plusieurs dizaines à la contemplation du lecteur qui ne se lassera pas de feuilleter, de faire défiler les pages de ce volume

Dernier ouvrage paru : Une autre histoire de l'édition française, La Fabrique éditions, 2015.


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Le vêtement des livres : couvertures et jaquettes Massin

L

orsque je fis mes premières maquettes, je rencontrai des éditeurs qui n’étaient pas encore convaincus de la nécessité de la promotion de leurs livres à l’aide de couvertures ou de jaquettes conçues

par un maquettiste. Certains d’entre eux, pourtant, avaient fait le voyage aux États-Unis, quand ils ne s’y étaient pas exilés, comme Robert Calmann, pendant la guerre. Ils avaient pu être témoins de l’importance commerciale de la chose ; le mot même de jaquette, appliqué au livre, était nouveau en France (où l’on ne parlait autrefois que de “couvre-livre”) puisque traduit littéralement de l’anglais. C’était plutôt pour eux une espèce de luxe qu’ils voulaient s’offrir, une manière nouvelle d’emballer leurs livres ; et des auteurs euxmêmes se montraient réticents, car cette pratique assez racoleuse ne faisait pas très “littéraire”. En ce domaine, pareil état d’esprit s’est maintenu longtemps, s’il n’a pas cours encore : il n’y a guère qu’on ôtait la jaquette pour envoyer un volume aux courriéristes ou aux membres du jury d’un prix comme le Goncourt ou le Femina. De la même manière, le choix initial pour un livre entre la couverture et la jaquette reproduit la démarcation entre un ouvrage réservé à une clientèle d’amateurs de littérature ou, au contraire, destiné à un public plus large et moins exigeant. Il s’ensuit que la conception d’une couverture met en jeu des mobiles assez différents de ceux qui président à l’élaboration d’une jaquette, et dont le créateur a à tenir compte ; de même qu’il ne lui faut pas perdre de vue qu’une jaquette, parce qu’elle ne fait pas corps avec le volume, est périssable : elle peut se défraîchir, se déchirer, ou encore l’acheteur peut l’ôter si elle a cessé de lui plaire. Partant, une jaquette, plus facilement qu’une couverture, pourra


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sacrifier à la mode, typographique ou autre. Il reste que l’adoption

André Chastel n’était pas moins indécis que Pierre Horay ; il lui

du pelliculage, lequel a succédé à un stade intermédiaire, celui du

arrivait de me demander une “petite couverture”, lorsqu’il ne vou-

Kromekote (dont j’ai fait un large usage à mes débuts chez Galli-

lait pas payer trop cher ; toutefois, par une espèce de gentillesse

mard, et qui a peut-être contribué à répandre ce type de support),

qui lui était naturelle, il avait la faiblesse de m’écouter quand je

a considérablement réduit, depuis vingt ans, les risques de dété-

prenais la peine de défendre vaillamment mon projet. Quant à

rioration de la jaquette.

Edmond Buchet, un homme de tradition mais de grande culture, il

C’est Robert Carlier surtout, puis Gilbert Sigaux, qui m’ont adressé à mes premiers clients.

laissait faire, sans être pour autant persuadé que c’était le bon choix. J’eus d’ailleurs à me poser, dès ma seconde maquette,

Pierre Horay était un homme charmant, un peu pingre,

un curieux problème de déontologie. Corrêa m’ayant commandé

disait-on, avec ses auteurs, mais dont je n’eus jamais à me plaindre

une couverture pour un ouvrage américain intitulé Les soucoupes

sur ce plan-là, encore que je fusse une proie facile, étant jeune et

volantes existent, le lendemain même (à moins que ce ne fût la

débutant. Doué d’un sens graphique indéniable – son bureau, fait

veille, peu importe), je reçus la même commande de Pierre Horay

rare à l’époque, était décoré avec des compositions abstraites –, il

pour un livre qui, dans sa traduction, portait exactement le même

se montrait irrésolu dans ses choix, et je dus apprendre à le forcer

titre – ce qui, commercialement, n’était pas imaginable. Je pris

parfois dans sa décision (on l’a vu avec Faucheux : cela fait partie

donc le parti, après en avoir bien pesé les risques, d’informer

du métier). Horay m’a fait confiance, et je lui en suis reconnaissant.

les deux éditeurs de cette rencontre imprévue ; et Pierre Horay

Avec Corrêa, les choses étaient plus difficiles, car j’avais

renonçant, non sans regret, au mot existent, le remplaça par un

affaire à deux directeurs, à la fois amis et quelque peu opposés.

sous-titre.


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Chez Calmann-Lévy, Gilbert Sigaux, qui était directeur littéraire, m’a considérablement aidé à faire passer mes projets. J’avais affaire, avec Robert Calmann, à un homme affable et doux, mais plus éloigné encore que les précédents de la chose graphique. Il était assisté de Mlle Drouelle, une femme dévouée à l’entreprise et qui avait su défendre avec courage sa maison dans les années de l’occupation. Le seuil franchi, on se trouvait dans un magasin (il existe encore) occupant toute la partie centrale du bâtiment, et qui était à l’image des éditeurs-libraires du temps de Balzac ; sous le plancher ciré, on entendait le ronflement des presses, car on imprimait encore dans le sous-sol, après la guerre, comme on faisait à l’époque de Dumas, de Labiche ou de France. L’on me faisait attendre quelques instants dans un salon meublé de fauteuils et de bergères de style Louis XVI, et dont les murs, tendus d’une soie vieux rose déchirée par endroits, étaient ornés d’aquarelles de Maurice Leloir montrant l’assassinat du duc de Guise ou des

maintenant bien ordinaires) ; et, là encore, j’utilisais l’une des

scènes d’intérieur de la Belle Époque (la lettre accusatrice bran-

recettes de Faucheux, celle des écritures agrandies. Ainsi, la collec-

die sous les yeux de l’infidèle, etc.). Enfin, lorsque je pénétrais

tion “Lettres de…”, basée sur le graphisme de l’auteur, s’inspire du

dans le bureau directorial, tout me paraissait encore plus obso-

Baudelaire du Club français, dont la beauté plastique m’avait étonné.

lète : les meubles, les objets, le téléphone, le presse-papier ou le

J’ajouterai qu’en diverses occasions, au long de ma carrière, j’ai repris

tampon buvard ; seul, dans un angle, un réfrigérateur faisait une

le procédé.

tache blanche et insolite. Le chef de fabrication, qui s’appelait Bel-

J’ai travaillé pour le Scorpion, avec Jean d’Halluin, pilier

goël (qu’il fallait prononcer “Belle Gueule”) travaillait, à l’étage au-

du Tabou et éditeur de Boris Vian, un personnage curieux, myope

dessus, à une espèce de pupitre ; il considérait mes projets de biais,

comme une taupe, à la fois malin et naïf. J’ai fait pour lui, je crois,

comme il eût fait de corps étrangers ou d’une chose monstrueuse,

quelques-unes de mes plus vilaines maquettes.

et ne cessait de me répéter, pour ne pas m’avouer ce qu’il en pensait, qu’il avait, quant à lui, sa “petite conscience professionnelle”.

J’ai dessiné plusieurs couvertures pour Julliard, que je n’ai jamais rencontré ; pour les Éditions ouvrières (installées avenue de

Je fis d’assez nombreuses maquettes pour Calmann-

la Sœur-Rosalie) et pour des éditeurs qui ont disparu, comme les

Lévy. Elles n’étaient pas toutes réussies, loin s’en faut, s’agissant

Éditions de Paris, dirigées alors par le fils de Horace de Carbuccia,

surtout de celles qui comportaient une illustration de mon cru :

réfugié en Amérique du Sud après la guerre ; pour Arthaud où,

j’y passais un temps fou pour un résultat plus que médiocre.

curieusement, on avait le sentiment d’être en dissidence à l’égard

Non, ma vocation était décidément la typographie, que je voulais

de la direction installée à Grenoble ; pour la Table Ronde, où Roland

expressive, comme on verra plus loin. Quelques-uns de mes

Laudenbach me fit longtemps confiance. Et voilà le tour terminé

projets étaient audacieux pour l’époque (ils apparaissent

pour les années cinquante.


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Ah ! j’oubliais Denoël, où l’on m’a commandé en 1953 une couverture pour la collection “Présence du futur”. Ma maquette a tenu le coup vingt ans : c’est vers 1973 qu’on m’a demandé de la remanier, à l’occasion d’un changement de format. J’ai gardé l’illustration (une balle de tennis photographiée par Molinard et simulant une planète avec son ombre portée que beaucoup prirent pour une fusée) ; j’ai conservé l’esprit de la typographie, sans parler du fond blanc, lequel a dû constituer pour la première fois la “couleur” d’une couverture de collection ; et cette nouvelle maquette a été utilisée jusqu’au début des années quatre-vingt. Nous n’étions que quelques-uns à exercer ce nouveau métier, où il y avait peu de concurrence ; mais, comme je l’ai dit, la nécessité de couvertures attractives commençait seulement à se faire jour. Combien, à l’étranger, les choses étaient différentes ! Non seulement aux États-Unis, mais en Angleterre, en Allemagne, en Suisse, en Hollande. C’est que la France, qui a toujours intel-

et le phototitrage en entraînent bien d’autres, au niveau surtout

ligemment assimilé les influences étrangères, avait été bien em-

des approches des lettres, de leur empattement, sans parler de la

pêchée de le faire durant les années de guerre ; de sorte que nous

pasteurisation généralisée de la typographie. Mon attitude pour-

vivions sur des recettes du passé. Les éditeurs anglo-saxons,

tant était logique, dans la mesure où je n’entendais pas faire de

pourtant victimes – dans une moindre mesure – de restrictions de

différence entre une écriture et un titre ainsi agrandis. Et j’avais

papier ou de prix, avaient réussi à imposer au public des couver-

aussi le dédain des retouches, par amour du document brut.

tures en noir et blanc, réalisées à l’aide de photographies ou de

Quant aux dos des volumes, j’étais partisan des titres dis-

photomontages dont la mode s’était répandue largement dans la

posés à l’italienne, c’est-à-dire verticalement, avec une lecture

presse au long des années trente. Parmi ces créateurs, on retien-

de bas en haut. Ce parti pris m’a longtemps opposé aux éditeurs,

dra les noms de Paul Rand et d’Allner, dont Faucheux, dans ses

jusqu’à la collection “Soleil”, pour laquelle j’ai fait valoir à Gaston

couvertures pour les Éditions K et le Sagittaire, se montrait assez

Gallimard (qui n’a su trouver de réplique) qu’un titre à l’italienne

proche.

est nécessairement plus lisible, parce que bénéficiant d’une com-

Je n’hésitais pas déjà à faire des macrophotographies de

position en plus gros corps que dans une disposition horizontale,

titres composés en petit corps, jouant avec le hasard et me réjouis-

où l’espace est fort mesuré. Que de fois les éditeurs m’ont fait la

sant chaque fois de la surprise que me causaient ces agrandisse-

mimique du lecteur qui attrape un torticolis ! Aujourd’hui, il sub-

ments grâce auxquels les lettres, sans cesser d’être elles-mêmes,

siste de cette querelle la controverse entre le titre à l’italienne et

se trouvaient dotées de détails imprévus. La mode en est mainte-

celui à l’américaine, avec une lecture de haut en bas, moins aisée

nant passée, et l’on a tendance à tenir ces bavures et scories pour

selon moi, mais qui présente l’avantage de sauter aux yeux, lorsque

de simples défauts d’impression, encore que la photocomposition

le volume est à plat, sur une table par exemple.


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Grâce à Faucheux encore, que j’avais vu faire, je mis assez vite au point ma technique de persuasion face à l’éditeur, que celui-ci se montrât irrésolu, comme c’était le plus souvent le cas, ou qu’il eût des idées arrêtées. Certes, je me sentais bien incapable de jouer la comédie, de sautiller sur place, de taper du poing sur la table, ou de dessiner dans l’espace des gestes définitifs ; mais j’avais retenu l’essentiel qui était, avec le renfort d’une dialectique parfois subtile, de donner d’entrée le sentiment que le projet que je présentais comportait la solution du problème. Cette façon de faire n’allait pas sans risque, car elle m’interdisait d’avoir recours au deuxième projet qu’on tient en réserve, voire d’utiliser tel autre comme un repoussoir. Je préférais pourtant subir un échec – ce qui arrivait quand je n’étais pas persuadé moi-même de la réussite – plutôt que de courir cet autre risque : voir accepter le repoussoir. Quand je me rappelle les conditions dans lesquelles je travail-

des titres, etc. C’est un peu comme quand on cligne des yeux pour mieux juger du résultat final. Comprenne qui pourra !

lais, je m’étonne que des éditeurs aussi étrangers au graphisme,

Je suis d’ailleurs quelquefois effaré de voir les coûts entraî-

ignorants du métier et imperméables aux problèmes de style que

nés par ces maquettes “finalisées”, qui ne servent à rien d’autre,

je voulais mettre en avant, aient pu faire l’effort d’imagination

tant elles sont séduisantes et donnent l’illusion du volume sorti

nécessaire pour visualiser, à travers les brouillons dessinés sur

des presses, qu’à emporter la décision de l’éditeur ; ensuite, on

calque et rehaussés sommairement de couleur au crayon, l’état

peut bien les jeter à la poubelle, puisque, pour la photogravure, il

définitif de mes maquettes. Nous étions bien loin de disposer des

faut repartir des documents originaux. Quel gâchis ! Le seul avan-

possibilités actuelles de “finaliser” un projet grâce aux techniques

tage qu’on peut y trouver, c’est que ces laboratoires, qui travaillent

qu’utilisent des laboratoires spécialisés, telles que le color-key ou

vingt-quatre heures sur vingt-quatre, vous livrent en quelques

le transfert-color (je me suis servi pour la première fois de ce pro-

heures votre commande, et que cela permet de ne pas casser le

cédé lorsque j’ai présenté à l’éditeur les maquettes de la collection

rythme de la création.

“L’Imaginaire”, en 1977). Mais s’il est vrai qu’aujourd’hui, dispo-

De la psychologie des éditeurs. Il y a le cas – espèce rare –

sant d’un banc de reproduction, je ne dessine plus mes maquettes

de celui qui dit, comme Cocteau à Diaghilev : “Étonne-moi !” Celui

comme autrefois (selon la technique du croquis-calque préconi-

de l’éditeur qui décide seul, souverainement : c’est de loin celui

sée par François Thibaudeau vers 1903 !), j’ai recours encore au

que je préfère avoir en face de moi. Las ! le cas est beaucoup plus

papier-calque. Pour quoi faire ? Simplement pour le poser sur la

courant du chef d’entreprise qui garde le projet en disant : “Je vais

composition une fois en place. Ce que cela m’apporte ? À travers

le montrer à ma femme – ou à la femme de ménage.” (Laforest,

la semi-transparence du papier, je vois mieux se délimiter le for-

la servante de Molière, a été souvent conviée à donner son avis.)

mat de la couverture, le rôle que jouent les blancs, la respiration

Ou, pis encore : “J’ai une nièce qui fait de l’aquarelle. Je m’en vais


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lui demander ce qu’elle en pense.” Plus fréquemment, la décision est prise collégialement, hors la présence de l’intéressé, et à la fin de ces réunions où tout le monde est fatigué ou a hâte d’aller déjeuner. Les participants, sollicités, ou bien n’ont pas d’opinion et, dans ce cas, ils attendent de savoir ce que pensent les autres, ou bien ils sont prêts à dire n’importe quoi, pourvu que leur réponse les mette en valeur (l’attitude à prendre pouvant aller de la moue dédaigneuse à l’obstruction systématique) ou qu’on en finisse, car ces problèmes de présentation ne les concernent pas toujours. Ils veilleront surtout, dans un sens ou dans l’autre, à complaire au patron. Or ce dernier, qui s’est bien gardé de donner d’abord son avis, ne peut manquer de recueillir celui des autres en orientant subtilement la réponse qu’il attend qu’on lui fasse : c’est l’histoire de ce commissaire de police qui demandait à un témoin quelle était la couleur des cheveux blonds du suspect. Ce qui ne laisse pas d’être inquiétant parfois, c’est qu’une décision favorable puisse être prise à l’unanimité, tant il est notoire

le seuil de la boutique, et à tirer de sa poche son portefeuille. C’est

qu’en pareil cas c’est toujours la médiocrité qui l’emporte. Ce souci

un acte simple, mais que ne se décide pas volontiers à accomplir

de plaire au plus grand nombre prend forcément appui sur ce qui

celui qui n’est pas fortement persuadé que son désir d’acquérir tel

a été fait (et qui s’est vendu) ; il ne peut que tirer la qualité vers

ouvrage ne répond pas à autre chose qu’un caprice, ou une espèce

le bas, alors qu’il s’agit au contraire d’imposer une façon de voir

de luxe. À cet égard, bien qu’on parle beaucoup aujourd’hui des

nouvelle : la plupart du temps, le public est prêt à se laisser faire,

“achats d’impulsion”, il ne faut pas surestimer le rôle que joue la

pourvu qu’on oriente ses goûts : on le verra plus loin avec ce qui

présentation d’un livre dans le moteur qui détermine son achat.

s’est passé pour la collection “Folio”. C’est là que réside le véritable

On a fait des statistiques sur ce sujet ; on a dit qu’une couverture,

débat. Savoir être original, sans tomber dans le piège de l’élitisme.

selon qu’elle est bonne ou mauvaise, ne fait pas bouger la vente

Bousculer les idées reçues, bannir les conformismes, fuir ce qui est

de 4 à 5 %, en plus ou en moins. Aussi, nous autres graphistes,

“sécurisant” (mot atroce). Se répéter tous les matins que l’optique

soyons modestes !

“populaire” a changé, que la sensibilité est aujourd’hui différente,

En vérité, il en est dans ce domaine comme de la publicité :

avec tous ces messages en forme de massages. Se persuader

si le livre répond à une demande de la part de l’acheteur, s’il a été

qu’une publicité bien faite, s’aidant au besoin de l’humour, impose

prôné par la presse et les médias, si le libraire a bien fait son tra-

plus aisément ce qui, autrefois, passait difficilement.

vail, si le bouche à oreille surtout a fonctionné, le livre se vendra ;

Les choses, pourtant, ne sont pas aussi simples. Il ne s’agit

et, en pareil cas, une bonne couverture aidera puissamment à la

pas seulement, en provoquant la surprise, d’attirer l’attention du

vente. Dans le cas contraire, la meilleure couverture du monde ne

chaland, mais de le retenir suffisamment pour l’engager à franchir

jouera aucun rôle.


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Or c’est bien là qu’est la difficulté : comment déterminer ce

horizontalement. À partir de ce moment, la réalisation d’une cou-

qui va plaire ? Et pour quelles raisons ? Parce que c’est nouveau ?

verture devient une entreprise aussi vaine que celle contée par

Insolite ? Original ? Inattendu ? On ne va tout de même pas lancer

Courteline dans L’Art de culotter une pipe.

des enquêteurs sur des tests à propos de la moindre couverture :

De la psychologie du vendeur. Autrefois, les fameuses “piles”

les budgets de l’édition – qui ne sont pas ceux du cinéma – n’y ré-

des livres promis au succès n’existaient pas dans les librairies ; on n’y

sisteraient pas. Et s’il fallait surprendre les gens avec ce qu’ils

trouvait d’ailleurs pas de tables, ou bien elles étaient réservées à

connaissent déjà ? (On sait le rôle que joue, dans la musique, la

d’autres utilisations, comme la papeterie ou les journaux. À présent,

récurrence.) À vouloir aller trop loin, ne risque-t-on pas de provo-

l’acheteur a le nez sur la couverture d’un livre dont l’épaisseur n’est

quer le rejet, la répulsion ? N’est-ce point le cas de tel caractère,

point celle de son dos véritable mais, avec cette technique de la su-

de telle couleur ? J’ai connu des éditeurs qui, transférant leur sub-

rabondance des produits célébrée par un Andy Warhol, atteint parfois

jectivité sur l’ensemble des acheteurs, ne supportaient pas la vue

50 centimètres. Comme à Manhattan ou à San Geminiano, avec ses

du violet ; d’autres qui n’aimaient pas le bleu, ou le vert, fronçaient

fameuses tours rivales érigées au

le sourcil devant le marron, étaient réfractaires au fond noir, ou

plus haut. Je me demande bien pourquoi l’on n’a pas eu encore l’idée

restaient hostiles au fond blanc. Sans parler de ceux à qui font

d’utiliser les tranches pour reproduire des slogans, à l’instar de celles

peur les gros corps, ou qui n’admettent pas que des noms propres

du Bottin, car voilà bien de la place de perdue !

xive siècle,

c’est à qui montera le

soient typographiés en minuscules, initiale comprise ; d’autres en-

Ce qu’on appelle le marketing n’existait pas à mes débuts.

core qui se sentaient pris de vertige si le titre n’était pas disposé

On éditait un livre, on le lançait au jugé, on le vendait comme on


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pouvait, avec une publicité qui ne dépassait guère 1,5 % du budget.

Aphorismes, pour lesquels

Il est vrai que la carrière des livres était plus étalée dans le temps,

la couverture de Faucheux

et qu’on pouvait facilement, dans une bonne librairie, se procurer

reproduisait la tête grandeur

un ouvrage paru un an plus tôt, qu’il ait eu ou non du succès. Ce

nature de Lichtenberg, et où

n’est pas le cas aujourd’hui, où la réussite se joue en quinze jours :

le titre entrait par une oreille

la presse doit “sortir” dans ce délai, groupée et orchestrée comme

pour ressortir par la bouche,

elle peut l’être pour la rentrée d’une vedette du music-hall. Passé

j’utilisai le visage de Vidocq

un mois ou six semaines, si rien ne s’est produit, plus rien d’autre

pour ses Vrais Mémoires

n’arrivera, sauf miracle, et le livre est condamné à disparaître des

chez Corrêa, et celui d’Arthur

tables. D’autres déjà auront pris sa place, comme les vagues sur

Koestler – traité en grosse

la grève au moment de la marée.

trame – pour La Corde raide,

Lorsqu’on me passait commande d’une couverture, le livre

chez Calmann-Lévy.

était fabriqué, ou presque ; restait à en concevoir l’emballage. Alors

Pour rompre la monotonie des

qu’aujourd’hui il m’arrive couramment d’élaborer les maquettes

titres à l’horizontale, je les disposai de travers ; je jouai avec les effets

d’un livre qui n’est écrit qu’à moitié, sinon pas écrit du tout. (J’ai

obtenus avec des trames (Jacques Darche s’en est beaucoup servi

eu à assurer la présentation, en juin 1987, d’un ouvrage de Valéry

pour ses pochettes du Club français du disque) ; j’employai des cou-

Giscard d’Estaing dont la parution, tributaire de l’opportunité com-

leurs peu usitées, je recherchai des accords parfois grinçants,

merciale fournie par la campagne pour les élections présidentielles,

rouge et violet, bleu et vert, etc. À dire vrai, je n’avais pas de mal

n’est intervenue qu’au printemps 1988. Je ne disposais que du titre ;

à me singulariser, étant donné le conformisme qui régnait dans

et, naturellement, je ne pouvais ignorer qu’il s’agissait d’un livre de

la présentation des jaquettes à la fin des années quarante. Dans

réflexion et de souvenirs.) À ce sujet, on m’a souvent demandé si

celles qui utilisaient la trichromie ou la quadrichromie, l’illustra-

j’avais lu ou pris suffisamment connaissance de tous les livres dont

tion occupait toute la page ; les titres venaient en surimpression,

j’avais dessiné les maquettes. Bien sûr que non ! Encore que je ne

dessinés tantôt assez gauchement (ce qui ne manquait pas de

sois pas un lecteur invétéré, j’aime bien mettre le nez dans un ma-

charme à l’occasion) par l’illustrateur lui-même, le plus souvent

nuscrit et savoir de quoi il retourne. Alors, je me contente du prière

par un “lettreux”, espèce qui a disparu, dans des caractères sans

d’insérer (quand il est rédigé lui aussi) ou des rapports de lecture

style véritable, des bâtards d’Elzévir ou de Didot allongé, et souli-

(confidentiels par définition) où les qualités du livre, mais aussi ses

gnés par un épais relief.

défauts, sont soigneusement relevés, ce qui est bien intéressant et oriente à l’occasion le parti que je dois prendre.

C’est au tout début des années cinquante que les producteurs de disques, aidés par la vogue soudaine que venait de connaître le

Pour attirer l’attention, j’eus recours à des ruptures d’échelle

microsillon à son arrivée en Europe, substituèrent aux pochettes

inaccoutumées dans le traitement de documents iconographiques ;

passe-partout, inchangées depuis trente ans, des étuis cartonnés,

s’agissant d’un portrait, par exemple, il était tentant d’en faire un

plus solides, donc plus durables, et dont ils confièrent la décora-

cadrage qui fût à la fois un gros plan de cinéma et, dans la réa-

tion à des maquettistes. Ce phénomène socioculturel, concomi-

lité, pût avoir les dimensions du visage humain. À la suite des

tant de l’apparition de jaquettes sur les livres, était la conséquence


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de l’essor prodigieux de la musique enregistrée, lui-même rendu

les ballets de Roland Petit, la vogue des ciné-clubs, les magazines

possible par le développement des techniques nouvelles : l’électro-

féminins et Paris Match, les ouvrages des clubs et les premiers livres

phone remplaçait dorénavant le phonographe, et une symphonie

de poche. C’est l’époque aussi où l’on assiste à une diffusion popu-

tenait maintenant en un seul disque, au lieu de six auparavant.

laire, dans des déclinaisons commerciales (sous la forme de vitrines,

Je passais beaucoup de temps dans la vieille maison Durand

par exemple), du surréalisme ou de ses épigones. Il faut ajouter les

de la place de la Madeleine, où l’un de nos amis, qui y était ven-

affiches de la rue et du métro, qui étaient encore presque toutes dessi-

deur, me donnait des conseils éclairés sur la qualité des enregis-

nées, et non photographiques, comme ce sera le cas dans les décen-

trements proposés ; et je tombais chaque fois en arrêt devant les

nies suivantes ; et l’on s’enchantait de découvrir une nouvelle création

réalisations de la firme Erato : l’intelligence et le goût montrés

de Savignac, de Cassandre ou de Carlu (qui travaillait toujours) ou

dans le choix des musiques avaient leur équivalent dans la présen-

de l’atelier Loupot, dont la campagne pour Saint-Raphaël-Quinquina,

tation qui en était faite, dont la qualité sautait aux yeux. C’étaient

qui s’étendit sur plusieurs années, est d’une audace rare, puisqu’on

La Création, de Haydn, décorée par un détail de Michel-Ange de

y trouvait des mots en liberté comme dans les manifestes futuristes

la chapelle Sixtine, des Vivaldi, un musicien encore peu connu et

lancés trente ans plus tôt. Curieusement, c’est d’ailleurs dans les an-

dont on ne soupçonnait pas l’avenir qui serait le sien, les Leçons de

nées cinquante que les révolutions du début du siècle trouvèrent leur

Ténèbres, de François Couperin, avec un ornement d’époque im-

vraie postérité commerciale : les Demoiselles d’Avignon, les collages

primé en négatif sur un fond de nuit, et toute une série de disques

de Braque et de Picasso, le cubisme, le simultanéisme, le construc-

de Marc-Antoine Charpentier (l’un des plus grands auteurs de son

tivisme, le surréalisme et l’abstraction enfin, mais aussi la “Ville

temps, rival de Lully à la cour, que j’ai découvert moi-même à ce

radieuse” de Le Corbusier, ou des livres comme Le Paysan de Paris

moment-là), dotés d’un décor typographique Grand Siècle repro-

ou Nadja, qui faisaient dès lors figures de bibles de la sensibilité

duit en gaufrage et à l’or sur un fond blanc et qui, quarante ans

contemporaine.

après, n’a pas une ride. On ne saurait en dire autant des pochettes de Decca, Philips ou Colombia de la même époque !

Aujourd’hui, les influences que peut recevoir un graphiste lui viennent tous les jours, et de partout. Il peut voyager autour du monde,

Mais aussi, dans le domaine de la musique de jazz, l’arrivée sur

de Tokyo à New York ou à Rio de Janeiro ; mais il lui suffit d’ouvrir un

le marché français de ces 25 ou 30 cm venus d’outre-Atlantique avait

journal, de se déplacer dans la rue ou d’allumer son récepteur de

provoqué mon admiration. Les Lionel Hampton, les Benny Goodman,

télévision : l’univers est à ses côtés, dans sa chambre ; tout le solli-

les Art Tatum étaient revêtus de pochettes qui étaient pour moi des

cite et risque à tout moment de remettre en cause ses choix. Bandes

merveilles d’invention dans le domaine du graphisme. Et je peux

annonces, génériques, messages publicitaires, vidéo-clips, jeux élec-

bien avouer que, si je me suis un temps intéressé au jazz, c’est parce

troniques… On n’en finirait pas d’énumérer ce qui, en nourrissant son

que, comme beaucoup d’autres, j’avais succombé à l’attraction de la

inconscient, provoquera cette étincelle dont on peut attendre, comme

présentation de ces disques. D’ailleurs, il est indéniable que ces po-

pour la mémoire involontaire, qu’elle soit source de création.

chettes ont contribué à façonner la sensibilité du moment, au même titre que les annonces publicitaires de Gruau ou de Brenot, les ro-

Massin

mans de Céline ou de Sartre, les films de Carné, Grémillon ou Delan-

in L’ABC du métier, Imprimerie nationale, 1988

noy, Paroles de Prévert, les photos de Brassaï ou de Cartier-Bresson,


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Ne pas tirer la couverture à soi Bertrand Py

P

arfois il vous arrive d’évoquer ensemble cette lointaine époque des tout débuts de la maison. Vous vous remémorez qu’il y a (presque) quarante ans les couvertures d’Actes Sud étaient typogra-

phiques. Personne alors ne les trouvait austères, mais

le goût de la création poussait à davantage de raffine-

ment. Il y eut d’abord tel ou tel dessin en noir et blanc, puis des vignettes en couleur. Et bientôt des illustrations pleine page. Toimême, qui écris ces lignes, tu y étais favorable. Un nouveau livre est un événement, et un événement se doit d’être couvert. À l’éditeur de rendre cela manifeste. Varier les illustrations, c’était donner aux textes plus de pouvoir de séduction. La maison se faisait connaître par ses jolis petits livres. L’expression vous irritait tous, mais il y avait des points positifs. Cependant les choses devenaient un peu plus compliquées : trouver la bonne image, acheter les droits, convaincre. Une couverture se fait à plusieurs. Vous progressiez dans le territoire de la négociation, il fallait garder à l’esprit que la recherche de l’absolu – tu avais dû lire cela quelque part – conduit à découvrir la beauté du compromis. Tu y pensais lorsque surgissait la question fatale : “Et pour la couverture… tu verrais quoi ?” Tu réalises qu’à ce jour la maison a publié plus de cinq mille références, et que cette question a dû être posée chaque fois, par les uns et par les autres, à commencer (en général) par l’auteur. Mais les graphistes ou les responsables du service commercial suivent toujours de près. Tu te dis que cette sempiternelle question, selon qui la pose, prend une coloration particulière, plus psychologique, ou plus esthétique,


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ou plus stratégique. Qu’à l’évidence le service commercial privilégie la visibilité, qu’il a besoin de proposer un objet littéraire séduisant, coloré, avec un titre lisible et, si celui-ci est connu, un nom d’auteur en forts caractères. Si l’habit ne fait pas le moine, il lui vaut tout de même de l’estime. Du côté des graphistes, c’est autre chose : on privilégie l’harmonie, la beauté, l’équilibre visuel – mais des positions sont à tenir, telles des redoutes contre les assauts de l’improvisation : il y a des usages maison, un air de famille, parfois une charte graphique dédiée à telle ou telle collection… Tu te remémores que la charte de la collection Actes noirs, méticuleusement réglée avec la collaboration de la graphiste Silvia Alterio, avait d’abord fait, dès son projet et dans toute la maison, presque l’unanimité… contre elle – avant que le succès de Millénium ne vienne balayer toutes les objections. Avoue du même coup combien la couverture du Charme discret de l’intestin (qui par contrat devait être réalisée à partir d’un des dessins de Jill Enders) te parut longtemps exogène, et te laissa franchement sceptique. Souvent un auteur étranger, à des milliers de kilomètres de distance, est en droit de recevoir et refuser maintes propositions – quand il n’en a pas délégué la responsabilité à son agent. Il te brandit en exemple telle version originale qui exhibe ses blurbs, ses couleurs criardes, ou au contraire sa mine déprimante, son incommensurable besoin de consolation. Telle romancière te fait procès de monnayer, sur les couvertures, des corps féminins comme un maquereau de la pire espèce. Autre pays, autre sensibilité ? Mais chez toi aussi, dans la francophonie, tu as fort à faire ! Car si talentueux et délicieux que soit l’auteur, il faut mesurer combien on entre avec lui (au moment du choix de la couverture) sur un terrain névralgique. C’est qu’il a en tête une image qui n’existe pas et va prendre forme par approximations inquiètes, à travers ce qu’il peut en dire, en évoquer, en suggérer. Il verrait plutôt ceci que cela, mais plutôt comme ci que comme ça. Il est, selon l’expression gionienne “comme un chien qui flaire un gigot dans le placard”. Le dialogue qui commence alors peut s’avérer long, et susciter chez lui un peu de déception ; ce qu’on lui propose ne convient nullement, ou pas vraiment, ou pas tout à fait : ses rejets sont

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La règle d’or : ne rien imposer, ne rien se laisser imposer. Partager le droit de refus avec lui, qui est le premier concerné car on n’édite pas un livre à l’encontre du goût de son auteur. À charge pour lui, dans un processus fragile mais essentiel, de traverser peu à peu l’image mentale pour accéder à l’illustration définitive. Il te semble désormais mieux percevoir pourquoi, il y a vingt ans, en se repositionnant sur la collection “Un endroit où aller”, Hubert Nyssen en revint à des couvertures typographiques. Plaisir de la simplicité. Volonté de retrouver l’élan des commencements. De soustraire le texte et son auteur aux afféteries de l’illustration. N’as-tu pas essayé à ton tour – avec Le Sermon sur la chute de Rome de Jérôme Ferrari, avec Pour seul cortège de Laurent Gaudé – de tous vous délivrer du piège de l’image ? Tu resteras toujours reconnaissant envers ces deux auteurs de t’avoir suivi dans… cette impasse. Car quelques libraires eurent tôt fait d’amicalement murmurer – et ils n’avaient pas tort – que les illustrations d’Actes Sud étant en général appréciées, la courtoisement mais fermement exprimés. Pour ta part, tu te foca-

couverture “texte”, ça ne les aidait guère. Le compromis a donc rapi-

lises sur l’instant de la rencontre en librairie, anticipes le coup d’œil

dement pris la forme d’une jaquette couleur : protection rapprochée

que jettera l’éventuel futur lecteur, qui ne saura rien du livre encore,

– faut-il donc sortir couvert ? – pour une couverture typo…

mettra juste en facteurs (au sens mathématique) le titre et le visuel : tu penses être, dans cette recherche de couverture, le garant de ce

Au moment où tu rédiges ces quelques lignes, l’enquête saisonnière

lecteur, et son porte-parole. Mais pour l’heure, depuis son bureau,

de Livres Hebdo indique que les libraires interrogés ont placé deux

le graphiste arpente les banques d’images et les galeries virtuelles,

livres de la maison aux deux premières places de leur palmarès de

il est sur la brèche, se multiplie, s’impatiente – le service commer-

rentrée : Écoutez nos défaites, de Laurent Gaudé, et Un paquebot dans

cial lui réclame un visuel –, argumente, bientôt commencera à faire

les arbres, de Valentine Goby. La couverture de ces livres a-t-elle

le compte des propositions refusées, finissant par les rassembler

contribué à cette réussite ? Auraient-ils reçu le même accueil avec une

sur une planche unique pour preuve de son dévouement… et de

simple couverture typographique ? Aurais-tu rencontré l’assentiment

l’obstination de l’auteur qui, observe-t-il, ne sait plus trop ce qu’il

des auteurs pour un telle ascèse ?

veut. Or ce dernier ne lâche rien. Et il a raison. Lui forcer la main, lui

N’oublie pas combien d’émotions, d’espoirs, d’attentes et d’enjeux

imposer une illustration, ce serait choisir à sa place la maison où va

s’expriment et se cristallisent à travers la réalisation d’une couverture

vivre son texte, plaquer une figure sur sa propre chair. Ce serait une

qui, sans prétendre à faire l’unanimité, veille à ne pas faire obstacle,

greffe de visage. Et voilà qu’à son tour il interroge l’image qu’on lui

et voudrait simplement ouvrir une fenêtre sur le paysage intérieur

présente de son livre. De quoi a donc l’air mon roman à vos yeux ?

du livre. Il s’agit de chercher, avec les uns et les autres, le meilleur

se dit-il. Ah ! c’est comme ça que vous le voyez ?

cadrage. D’entendre et mesurer la pertinence des objections. Mais tu


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le vérifies tous les jours, plus il y a de personnes impliquées dans le processus, plus la tâche est complexe. Tu songes soudain au livre collectif en train de s’élaborer hic et nunc, celui qui va accueillir cette conversation que tu viens d’avoir avec toimême. Tu fermes les yeux et visualises immédiatement une couverture possible…. Oui, ce serait une piste à soumettre à Silvia, Juliana ou David, tes chers collaborateurs du service graphique. Mais tant de contributeurs de qualité sont concernés par cet ouvrage : tu te dis qu’il sera probablement plus sage de les laisser prendre la main. Dans les lieux communs du langage tu puises alors le mantra du jour : ne pas tirer la couverture à soi. Bertrand Py Éditeur


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Les romans n’ont pas de visage, les livres si Laurent Gaudé

I

maginez : vous avez travaillé sur un livre pendant un an, parfois deux. Vous avez sué, lu, relu, jusqu’à ne plus en pouvoir et lorsqu’enfin vous mettez un point final à votre manuscrit, à l’instant même où vous pensez

naïvement pouvoir commencer à souffler, inévitablement, on vous pose cette question qui vous saisit d’effroi : “Pour la couverture, tu as une idée… ?” La couverture… Impossible de balayer cela d’un revers de la main. Vous le savez : c’est le visage du livre, ce sur quoi va tomber le lecteur en premier. Avant même de parcourir la quatrième, de feuilleter une ou deux pages, de lire la première phrase, avant tout cela, il aura sous les yeux une couverture qui accroche ou pas, intrigue, donne envie ou pas… Imaginez donc, cela fait des mois que vous vivez avec votre roman, que les personnages ont un visage, une silhouette, un grain de voix. Vous avez des scènes en tête, des univers et là, on vous demande de tout cristalliser en une photo. Alors, oui, avouons-le : le premier réflexe est de demander l’impossible. Oui, vous voulez une couverture à la fois épique et douce, ouverte, lumineuse, puissante, mais dans laquelle on pourrait sentir une menace ou une mélancolie… Oui, vous voulez un visage fort, un regard profond, mystérieux, mais qui inspire de la joie également… C’est compliqué ? Bien sûr que ça l’est. Il ne peut en être autrement. Parce qu’au fond, ce que vous découvrez à chaque fois, c’est qu’une couverture est le contraire d’un roman. Elle propose une seule image là où le roman invite le lecteur à s’en créer une multitude. Elle fige, là où le roman ouvre. Et pourtant, rien n’y fait : cette couverture, il faut bien la trouver…


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Peut-être alors faudrait-il admettre que dans la longue chaîne de création d’un roman, le choix de la couverture est le premier moment où l’auteur doit abandonner son livre. Peut-être, oui, mais c’est si dur… Les auteurs qui, comme moi, ne s’y résolvent pas, ceux qui ne peuvent s’empêcher de suivre les étapes de ce choix avec tension, le ventre noué, s’en voulant de leurs propres réticences tout en refusant de lâcher prise, font à chaque fois l’expérience de cette réalité : le choix de la couverture est un moment pivot. C’est l’instant de transition entre ces deux temps qui se succèdent chronologiquement mais sont radicalement différents : créer un roman et fabriquer un livre. Le livre peut avoir une couverture, le roman non. Ce qui s’y joue, dès lors, c’est à la fois un abandon – celui de l’auteur qui dit adieu à son manuscrit – et une apparition – celui du livre qui prend corps. La couverture est à la fois un deuil et une naissance. Comment voulezvous que ce soit simple… ? Laurent Gaudé Écrivain


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Les deux corps du livre Gérard Berréby

L’

origine de la conception graphique des ouvrages des éditions Allia est assez singulière, essentiellement issue d’une rencontre. À vrai dire, le premier livre que j’ai publié, avant même la

création d’Allia, est une édition pirate du Traité du style de Louis Aragon, qui s’opposait à la réédition de ce texte. Celui-ci m’avait, pour ma part, tellement enthousiasmé que je tenais à tout prix à le rendre disponible. J’en ai donc réalisé une contrefaçon… Pour réaliser une véritable contrefaçon, et donc reproduire une couverture Gallimard en bonne et due forme, des amis m’avaient conseillé de m’adresser à Patrick Lébédeff, ce qui m’impressionnait beaucoup à l’époque, car son nom avait déjà acquis une certaine renommée dans le monde du graphisme. Or, contre toute attente, il a accepté. Ce vrai faux Traité du style a donc pu circuler, un peu sous le manteau, dans de nombreuses librairies. Seule anomalie : la quatrième de couverture, qui comportait une citation de Scutenaire : “Épitaphe. Ici gît Aragon Louis. On n’est pas sûr que ce soit lui.” Scutenaire est d’ailleurs l’auteur du premier livre publié ensuite par les éditions Allia en 1982. Là aussi, j’avais demandé à Patrick Lébédeff de poursuivre l’aventure avec moi mais, cette fois, dans une orientation tout à fait autre : créer une ligne graphique qui ne ressemblât en aucun cas à ce qui existait déjà, ici ou ailleurs. Le but premier était de se distinguer, d’imaginer un projet graphique original et durable, mais aussi de créer dans l’époque un style qui s’impose. Nous avons toujours été attentifs aux remarques des lecteurs, des libraires ou du distributeur dans la réception de nos couvertures, mais nous avons maintenu notre cap et défendu notre ligne. Ce fut toujours un travail de concertation. Patrick Lébédeff a su s’imprégner


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dépouillement. Insinuer, en somme, des correspondances secrètes entre les images, l’organisation typographique et le contenu des textes. Et Patrick Lébédeff est parvenu à créer un système ouvert, c’est-à-dire avec lequel on peut jongler, que l’on peut faire bouger, tout en respectant sa dynamique d’origine. Les différents éléments de la couverture peuvent circuler en toute aisance dans l’espace de notre page. Par exemple, quand nous avons réalisé la couverture de England’s Dreaming de Jon Savage, ouvrage sur l’histoire des Sex Pistols et du mouvement punk, il aurait été très facile d’appliquer le principe typographique punk. Nous nous en sommes bien gardés. Nous y avons fait allusion en reprenant les couleurs utilisées dans la conception des pochettes d’albums punk, mais nous avons choisi une typographie qui nous était propre. Dans la maquette intérieure, nous tenions à ce que la forme reste très classique, parce que la page doit être solide, comporter de vrais blancs, ne pas tomber. Nous avons essayé de marier le classicisme de la composition intéde la démarche éditoriale et la traduire dans son langage. Son rôle

rieure avec la liberté graphique des couvertures. Je tiens beaucoup

de directeur artistique a été fondateur, à l’égal de celui de l’éditeur.

à ce contraste entre les deux.

Si l’esthétique des dadaïstes ou des constructivistes russes nous a

Mais la mise en pages en général s’affine et continue à évoluer au fil

profondément marqués, si nous nous sommes fortement inspirés

du temps. L’œil s’éduque. Quand on regarde les premiers livres des

des préceptes de Livre et typographie de Jan Tschichold que nous

éditions Allia et qu’on les compare à ceux d’aujourd’hui, il y a une

avons publié, nous ne les avons pas reproduits ou appliqués à la

très grande évolution.

lettre. Nous les avons adaptés à notre propre vision afin que nos

Au niveau du choix des typographies à l’intérieur du livre, du nombre

livres soient reconnaissables au premier coup d’œil en librairie, que

de signes par ligne, de l’interlignage, nous avons d’abord tâtonné

ce soit par la typographie, la couleur ou l’illustration. Le mélange

puis ajusté. À l’usage, il m’est apparu que la justification d’une ligne

que nous opérons entre la typographie et le choix des images que

ne peut dépasser 90 mm ; si l’on va au-delà, une fois en bout de

nous utilisons, qui vont d’un dessin à un graffiti, d’un tableau clas-

ligne, le lecteur est perdu, je le vois moi-même quand je lis des

sique à une photographie contemporaine – il ne faut pas avoir peur

livres. Le pire et le meilleur sont possibles avec la publication as-

de la photographie –, ne correspond pas à l’esthétique d’une école

sistée par ordinateur. Pour ce qui est des espaces entre les mots,

définie ou déterminée. Nous faisons feu de tout ce qui peut exister.

par exemple, il est possible de laisser les espaces un peu aléatoires

Nous savions qu’il fallait surtout se garder du piège de l’ornemen-

réglés par le logiciel ou bien d’essayer de les affiner, paragraphe par

tation, de l’illustration trop littérale ou “passe-partout”. Suggérer

paragraphe, pour éviter d’avoir des blancs trop irréguliers ou dis-

plutôt qu’illustrer, retirer l’inutile, aller le plus possible vers un

gracieux, voire des lézardes. La publication assistée par ordinateur


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n’est qu’un moyen de faire le livre ; ce qui compte, c’est de savoir

Pour la réalisation des couvertures comme pour tout le reste du tra-

ce que l’on veut et de se donner les moyens de l’obtenir. En règle

vail éditorial, il faut innover, réfléchir, trouver les bonnes solutions.

générale, je ne fais bien souvent que mettre en pratique, dans mon

L’obsession du beau nous anime, l’obsession de proposer au lec-

métier d’éditeur, ce que je ressens en tant que lecteur. De même,

teur quelque chose qui ait de la tenue. Plus le temps passe et plus

le sens de l’interlignage, de l’interlettrage, l’usage des petites capi-

notre travail graphique tend à l’épure, à la simplicité. Nos couver-

tales… ou l’utilisation du plantin, qui est devenue quasi systématique

tures peuvent varier à l’infini, mais toujours dans le même esprit. Le

chez nous. Au début, j’employais différentes polices de caractère (du

travail de Patrick Lébédeff est une des rares créations graphiques

garamond, parfois aussi du caslon) et puis, finalement, j’ai décidé de

dont l’identité est mouvante et pourtant immuable. On le reconnaît

ne plus recourir qu’au plantin. Bien composé, le plantin m’a semblé

sur une table de librairie, c’est une certitude. Patrick Lébédeff a su

offrir une lisibilité idéale. Et puis, à force de lire, je suis parvenu à la

donner une identité visuelle à la maison. Le secret, c’est que l’édi-

conclusion que l’œil fatigue quand le texte est en noir sur du blanc ;

teur et le graphiste représentent, d’une certaine manière, les deux

je me suis dit qu’il valait mieux imprimer sur du papier ivoire. Ce

corps du livre.

choix est devenu un invariant. Dans l’idéal, cette attention portée à la mise en pages doit échapper au lecteur, qui doit se laisser absor-

Gérard Berréby

ber malgré lui par le texte. Voilà, pour moi, la définition d’une bonne

Éditeur

maquette.


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Bouquins

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Bouquins reste une collection hors norme Jean-Luc Barré

L’

aventure de Bouquins est entourée d’une sorte de halo romanesque qui doit beaucoup à la personnalité de son fondateur, Guy Schoeller, et à l’histoire même de ses origines. Personnage in-

classable et anticonformiste, pionnier du livre de poche, Schoeller a laissé un bel exemple d’éclectisme, de liberté, d’audace et d’élégance. Il a tracé une voie magnifique, conciliant plaisir et érudition, ouverte à tous les styles et tous les genres, à condition de rester fidèle à une certaine hauteur d’exigence. Avec lui tout était affaire de passion, d’intuition et de sensibilité : l’esprit Bouquins, en somme. Ce qui fait la singularité de cette collection hors norme tient aussi, et peut être avant tout, à ses particularités techniques et éditoriales. Un jour de 1976, Guy Schoeller flâne dans une libraire londonienne, Foyles, sur Charing Cross Road. Il remarque deux épais volumes brochés édités par Penguin Books : ni plus ni moins que Le Capital de Karl Marx. Il saisit le livre, le hume, le soupèse : le papier se révèle aussi souple que le volume est fin en dépit de sa grosseur. De quelque façon qu’on l’ouvre, il ne plie pas et sa couverture ne casse pas. Shoeller, qui ne manque pas de flair, se renseigne aussitôt sur l’imprimeur qui a obtenu ce résultat : il s’agit de Hazell, Watson & Viney. Il court le rencontrer dans la banlieue de Londres. Son interlocuteur lui apprend que le procédé est protégé par un brevet spécifique. Schoeller obtient une exclusivité pour la future collection qu’il envisage de créer en France. Il a trouvé la meilleure façon d’éditer des ouvrages volumineux en demi-poche pouvant offrir une alternative à tous égards plus légère et accessible à l’imposante Pléiade. C’est ainsi qu’en 1989 est née la collection Bouquins dont les premiers titres, qui furent autant de best-sellers – Une histoire de la musique


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de Lucien Rebatet, le Dictionnaire des symboles ou l’Encyclopédie universelle des chiffres –, suffisent à dire la diversité et l’originalité. Depuis le début Bouquins a vocation à accueillir les œuvres majeures du patrimoine littéraire français et étranger. Homère, Shakespeare, Casanova, Hugo, Zola, Proust, Jack London, entre beaucoup d’autres, figurent à son catalogue. Aujourd’hui forte de plus de cinq cents titres, la collection couvre tous les champs de la connaissance. Depuis 2008 elle s’est ouverte davantage à la littérature du XXe siècle et accueille les grandes figures de l’intelligence contemporaine – philosophes, historiens, essayistes, scientifiques… –, de François Furet et Marc Fumaroli à Alain Corbin et Hubert Reeves. Tout en demeurant attachée à ses fondamentaux, elle ne cesse de se renouveler en explorant d’autres pistes afin de rester “la bibliothèque idéale de notre temps”, selon la belle formule de notre ami Jean d’Ormesson, un auteur Bouquins naturellement. Jean-Luc Barré Éditeur


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Christian Bourgois

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Juste une image ? Une image juste Linda Lê

U

ne chose est certaine : jamais Christian Bourgois n’aurait conçu la jaquette d’un livre comme un simple habillage de son contenu. De la même façon, Dominique Bourgois a toujours le souci

d’éviter tout ce qui ne serait qu’ornement. Que ce soit la couverture “historique”, d’une blancheur que d’aucuns doivent juger austère, mais qui pour d’autres est tout simplement d’une grande élégance, avec ses lettres d’un rouge sombre, ou que ce soient les couvertures reproduisant le détail d’un tableau, ce qui s’offre comme porte d’entrée de l’œuvre en train de se dévoiler n’est jamais le fruit du hasard. Il ne s’agit pas d’attirer le regard, de séduire, ou pis, d’allécher, encore moins d’imposer, de façon arbitraire, une vision du texte donné à lire, mais d’inviter le lecteur à tenter l’aventure, à se lancer à la découverte d’un monde qui dès lors apparaît peut-être moins clos, moins hors d’atteinte. Se trouve ainsi proposée non pas juste une image, mais une image juste. Une image qui ne trahisse pas l’esprit du livre mais n’en soit pas non plus une pure illustration. Si l’univers d’un Matta, pas si éloigné de celui de Roberto Bolaño, se révèle une sorte d’ouverture vers ce dernier, le détail des admirables azulejos du palais Fronteira, qui convie à une exploration du Traité des passions de l’âme d’António Lobo Antunes, s’avère trompeur : il n’est un avant-goût que de ce que ne sera pas le livre. Si les ombres figurant sur la couverture de La Panique politique de Philippe Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy produisent d’emblée un sentiment d’oppression, le Petit Soldat Hop Hop de Fortunato Depero rappelle que Journal de guerre et de captivité de Carlo Emilio Gadda se lit aussi comme les carnets d’un « frénétique ». Si la sculpture korwar, qui défie le lecteur


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décidé à entreprendre un voyage en compagnie de l’inquiétante Épouse hollandaise d’Eric McCormack, suscite un certain effroi, la photo, trouvée par Matthieu Messagier dans le magazine Life, rend encore plus énigmatique ce que laisse deviner le titre de son poème de huit cents pages, Orant. Et n’oublions pas d’évoquer les photos de Fernando Pessoa, de Susan Sontag, d’Allen Ginsberg, mais aussi d’Arno Schmidt, de Gertrud Kolmar, d’Ossip Mandelstam, de JeanPierre Duprey ou de Daniil Harms : tous ces visages forment comme une constellation dans laquelle le lecteur peut élire l’écrivain qui lui soit le plus indispensable, celui qui, dirait Conrad, est resté loyal au cauchemar de son choix. Drôle d’impression de constater que ces solitaires, sur les couvertures de ces livres, ont l’air de se faire signe entre eux. Par l’entremise d’un éditeur attentif à mettre un soin extrême dans sa façon de les présenter au curieux, il s’établit, par-delà les années, une connivence souterraine unissant ceux-là mêmes qui ne craignent pas le vertige. Linda Lê Écrivain


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Linda Lê

Aperçu bibliographique

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10/18, deux chiffres telle une énigme pour un “grand détective” Jean-Claude Zylberstein

C’

est durant le second semestre de 1979 que j’ai conçu mon projet de collection “Domaine étranger” consistant à ramener en librarie les grands écrivains “raconteurs d’his-

toires”, tels Somerset Maugham, Forster, Waugh et Wodehouse ou Rosamond Lehmann, ainsi que d’autres auteurs étrangers qui n’étaient plus disponibles ni au format de poche ni en grand format. J’avais évoqué le sujet avec mon ami Bernard de Fallois : il m’avait fait revenir rue Garancière, alors siège du groupe qui s’appelait encore les Presses de la Cité. Y coexistaient, outre Julliard au comité de lecture duquel Fallois m’avait appelé, les Éditions Plon, Perrin, Solar et Le Rocher ainsi que Fleuve noir. Fallois s’occupait personnellement de la collection de poche dénommée “Presses Pocket” (devenue “Pocket” ultérieurement) avec Dominique Goust). Fallois ayant jugé mon projet un peu trop élitiste, il m’avait suggéré de voir si cela pouvait intéresser l’autre collection de poche du groupe 10/18, placée sous la direction du seul Christian Bourgois après le départ précipité de son alter ego Dominique de Roux. Il s’y publiait force thèses de sciences humaines, un peu absconses à mon goût, les écrivains du Nouveau roman, les colloques de Cerisy, les œuvres de Boris Vian. Francis Lacassin y menait deux tâches assez colossales : une quasi intégrale de Jack London et une autre de Robert Louis Stevenson, sans oublier des rééditions fort opportunes d’auteurs comme Kipling. Pour ma part, je n’y voyais pas trop comment mon “Domaine étranger” pourrait s’intégrer dans un tel programme éditorial. Et cela ne serait-ce qu’en raison de la maquette de la collection, austère, forcément austère, de 10/18, compte tenu de la nature de la plupart des


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textes édités. Des à-plats de couleurs vives et une typo qui sen-

rééditer les romans des grands raconteurs d’histoires anglo-

tait bon sa presse militante avec de maigres illustrations. Voilà

saxons des années trente et quarante devenus totalement in-

qui, à mon avis, ne rendait déjà guère justice aux œuvres hautes

trouvables en librairie renforcerait utilement son catalogue. Il en

en couleur d’un London, d’un Stevenson et même de Boris Vian,

avait lu une bonne partie dans sa jeunesse et mon projet lui rap-

et ne correspondait pas du tout à mon idée de collection.

pelait de bons souvenirs.

Fallois m’ayant donc conseillé d’aller en parler à Christian

Il n’y avait qu’un obstacle, mais il était de taille : j’étais persuadé

Bourgois, je ne tardai pas à me rendre dans le bureau aux fe-

que publier “mes” auteurs sous la présentation que j’ai dite

nêtres en demi-lune de l’éditeur aussi amène que distingué à

conduirait fatalement mon projet au fiasco. Je lui en fis part très

qui, quelques années plus tôt, j’avais fait publier deux romans

fermement, bien décidé à tenter ma chance ailleurs s’il s’obs-

de Leonard Cohen lors de mon bref passage aux Presses de la

tinait à conserver ses fameux à-plats ! J’avais apporté l’édition

Cité, à la fin des années soixante. Nous avions gardé de cordiales

Penguin de Route des Indes et j’avais dit : “Je voudrais quelque

relations : il avait même fait appel à mes services d’avocat

chose de ce genre”, ce qui n’était pas sans rappeler quelque peu

quelques années plus tôt dans le cadre d’une sombre histoire de

la maquette des débuts de 10/18 en 1962, laquelle s’était pas mal

droits d’auteur, où s’affrontaient tout à la fois 10/18, Gallimard

inspirée – c’en était quasiment la copie conforme – des volumes de

et Champ libre ! Bourgois fut très vite convaincu que l’idée de

la maison allemande DTV. Bourgois eut l’air ennuyé. “Ma maquette,


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c’est tout ce qui me reste de solide !” Là, il exagérait. Je dus être bon avocat car quelques jours plus tard il me déclara : “Tu as raison, il faut que je change tout ça.” Et dans la foulée des premières publications, il annonça à une presse assez stupéfaite : “La théorie, c’est fini.” Avec le goût exquis de Christian et l’aide de son directeur de fabrication, par ailleurs excellent iconographe, Arnoux de Rémusat, les plus belles années de 10/18 étaient bien parties. Avec Hopper, Lindner, Tamara de Lempicka et bien d’autres, nombreux furent nos lecteurs qui ne résistèrent pas à prendre les volumes en main dès leur arrivée en librairie. J’ai toujours pensé que la couverture d’un livre, elle aussi, devait être séduisante. Trois ans plus tard, lorsque Bourgois accepta de se lancer dans l’aventure de mes “Grands détectives”, les couvertures décalées que nous donnâmes à de “simples” romans policiers allaient achever de faire de 10/18 l’une des plus belles collections de poche jamais apparue en librairie. D’autant que, dans l’intervalle, tous les titres du catalogue avaient subi ce ravalement de façade imprévu, de sorte que les livres de Vian et de bien d’autres auteurs furent réimprimés à leur tour sous les belles images dont on retrouvera certaines reproduites ici. J’ai pris goût à l’exercice et l’ai poursuivi longtemps, et j’ai la vanité de croire que d’aucuns plus tard n’ont pas manqué de s’inspirer de nos créations. Jean-Claude Zylberstein Éditeur


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Les Éditions de Minuit

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Bleu Minuit Anne Simonin

Q

uand, en 1942, sous l’Occupation allemande, paraît le premier livre des Éditions de Minuit clandestines, Le Silence de la mer par Vercors, pseudonyme de l’illustrateur Jean Bruller, il eût été difficile de faire plus simple et plus épuré que

cette couverture blanche et noire. Sans concession, la lutte que les Éditions de Minuit clandestines entendent mener contre l’occupant nazi et la censure préalable n’a pas besoin d’ornement. Tout en signifiant

leur opposition radicale aux conditions de production imposées à la librairie française en zone occupée, les fondateurs des Éditions de Minuit clandestines, Pierre de Lescure et Jean Bruller-Vercors, ambitionnent de rester fidèles à un projet littéraire : ils entendent se distinguer, y compris par la qualité formelle de leurs publications, des autres entreprises de la Résistance qui privilégient le fonds sur la qualité des impressions. Le caractère luxueux des livres clandestins des Éditions de Minuit fera grande impression à Londres et dans le monde quand ces livres seront connus. À cette sobriété d’origine, les Éditions de Minuit sont demeurées fidèles.


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En 1945, Vercors dessine l’étoile appelée désormais à figurer sur le

En 1949, un vieux résistant de vingt-quatre ans, Jérôme Lindon,

plat, la tranche et la quatrième de couverture des livres imprimés

nouveau président-directeur général de la maison, stabilise la

par Minuit, avec cette variante que l’on connaît moins destinée aux

couverture en introduisant un filet. L’inspiration provient du filet

livres spécialement imprimés pour l’éphémère association de bi-

rouge présent sur la couverture de littérature de la maison Gal-

bliophiles engagés, les “Amis des Éditions de Minuit” (1947-1952).

limard. Les Malheurs imaginaires de Jacques Brenner (1950) est le premier livre à afficher la nouvelle couverture à filet. Ainsi que l’écrit Henri Vignes, cet ouvrage revêt “toutes les caractéristiques de la présentation définitive de la collection Blanche” (Bibliographie des Éditions de Minuit, Éditions des Cendres, 2010), à ceci près que c’est avec Molloy de Samuel Beckett, publié en 1951, que les Éditions de Minuit découvrent à la fois leur premier grand auteur et inventent leur tonalité de bleu.

À la Libération, l’impression matérielle des livres est, pour les Éditions de Minuit, certes moins dangereuse mais paradoxalement plus compliquée que sous l’Occupation : le rationnement et la mauvaise qualité du papier disponible obligent les chefs de fabrication à faire des prodiges. La simplicité devient alors aussi une ressource économique. On fait avec peu, en accordant une attention particulière à la typographie des couvertures. La couleur apparaît. L’association du bleu au noir domine mais c’est le jeu sur la variation des tailles et des polices de caractères qui est alors particulièrement soigné et inventif.

Autant la couverture typographique des Éditions de Minuit varie peu sur la longue durée, autant les couvertures illustrées sont diverses et échappent à toute charte graphique. Liées aux circonstances, aux liens privilégiés avec tel graphiste ou tel maquettiste, les couvertures illustrées et les jaquettes Minuit méritent mieux qu’une évaluation esthétique. Leur présence manifeste la volonté explicite de l’éditeur de publier des livres à rentabilité immédiate, tentation à laquelle les Éditions de Minuit ont peu souvent cédé – la rareté de ce type de livre l’atteste – et qui fut rarement couronnée


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de succès pour des raisons liées à la spécificité de la structure (voir les analyses de Pierre Bourdieu1). Deux collections à couvertures illustrées se distinguent par leur qualité graphique. L’une est “L’Honneur des poètes” (1946-1947), collection de recueils poétiques reprenant le titre d’un volume publié dans la clandestinité, en 1943. Au cœur du Poétique, le Politique : son directeur, Paul Éluard, réconcilié avec les communistes et leur héraut, Louis Aragon, confirme sa prise de distance avec les surréalistes. Et ce à double titre : il retient comme titre de sa collection celui d’un volume clandestin incendié par Benjamin Péret (Le Déshonneur des poètes, 1945) et sollicite, pour la couverture, le peintre Mario Prassinos, lui aussi en rupture de ban avec ses anciens amis surréalistes. L’autre collection dont le graphisme est très contemporain est les cahiers “Forces vives” que Jean Petit consacre, à partir de 1954, à la diffusion des écrits théoriques et à l’analyse des réalisations marquantes de l’architecte Le Corbusier (Catherine de Smet, Le Corbusier : un architecte et ses livres, Lars Müller Publishers, 2007). À partir des années quatre-vingt, l’arrivée de la collection de poche “Double” fait disparaître les jaquettes et couvertures illustrées au profit de la photographie (noir et blanc et couleur). Anne Simonin (CNRS, CESPRA) Elle est notamment l'auteur de Les Éditions de Minuit, 1942-1955 : le devoir d'insoumission, IMEC, coll. “L'édition contemporaine”, 2008.

1. Pierre Bourdieu, “La production de la croyance. Contribution à une économie des biens symboliques”, Actes de la recherche en sciences sociales, 1977, vol.13, n° 1, p. 3-43.


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ALAIN ROBBE-GRILLET

LES GOMMES

ALAIN ROBBE-GRILLET

LA JALOUSIE


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Éditions de l’Olivier

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L’arbre Olivier Cohen

C

omme je demeurais réticent à l’idée d’utiliser mon nom, un ami me suggéra de “me faire un prénom”. Pourquoi pas “L’Olivier” ? Restait à imaginer un logo, une couverture. C’est John McConnell,

un des designers les plus brillants de l’agence Pentagram, qui eut l’idée de cette signature. Je compris que cet arbre en ombre chinoise était comme un diagramme qui réconciliait les contradictions du projet que j’avais eu tant de mal à formuler : le haut et le bas, l’immobilité et le changement, le proche et le lointain, tout s’accordait enfin. La maquette contenait d’autres secrets, que je découvris progressivement. Les solutions préconisées par McConnell allaient à l’encontre de ce qui se pratiquait alors : une illustration ou photographie en haut à droite, sous cette image le titre et le nom de l’auteur, l’arbre logo en bas à gauche qui se déploie à la fois sur le plat 1, la baguette de dos et le plat 4. Des caractères gris et noir. Un parti pris revendiquant une certaine sobriété tout en se distinguant : dans les rayons d’une bibliothèque ou sur la table d’une librairie, les livres de L’Olivier sont facilement repérables. Le développement du catalogue a bousculé l’immuabilité de cette couverture unique. Il arrive qu’elle soit enveloppée d’une jaquette. Ou que la typographie reste sage tandis que l’image se déplace. Elle descend dans un bandeau de couleur en bas des couvertures de la “Petite Bibliothèque de l’Olivier”, occupe une grande partie des couvertures de la collection “Soul Fiction”, devient acidulée le temps de quelques livres en “Marges”, se fait discrète pour introduire le sujet d’un essai littéraire, ou disparaît totalement au profit des titres d’une collection telle que “penser/rêver”. Quoi qu’il en


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soit, la couverture imaginée par McConnell reste la référence, à présent soigneusement entretenue par un graphiste, Cédric Scandella, qui veille sur l’équilibre typographique et l’originalité des images invitant à pénétrer dans le livre. Olivier Cohen Éditeur in 20 ans et des poussières, 1991-2011, catalogue hors commerce, Éditions de l’Olivier, 2011


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Association Verbes. — Pourquoi avez-vous fait appel à John McConnell, le designer anglais ? Olivier Cohen. — J’admirais son travail et je l’avais rencontré à la fin des années quatre-vingt, chez Payot. Les couvertures étaient complètement démodées. J’avais proposé de concevoir un nouveau design global de la maison, et cette mission lui avait été confiée. Lorsque j’ai été licencié, en 1989, John McConnell m’a dit : “La prochaine fois, c’est la maquette de TA maison d’édition que j’inventerai.” Sur le coup, j’étais absolument incrédule, mais sa prédiction s’est avérée juste. Peu de temps après, Le Seuil m’a donné les moyens de créer ma propre maison d’édition. A. V. — Quelle a été votre réaction quand McConnell vous a montré son projet ? O. C. — Comme je lui faisais totalement confiance, je me suis borné à quelques indications : “Quelque chose de beau mais pas intimidant, et surtout ni chichiteux ni pseudo-artistique. Et que ces livres trouvent leur place aussi bien dans une grande librairie littéraire que dans un supermarché.” Je dois dire que j’ai eu un moment de stupeur devant la taille de l’arbre… Il a alors répliqué : “Un jour ce logo sera aussi célèbre que la coquille de la Shell !” C’était faux, bien sûr, mais qu’importe ? J’ai été très touché qu’il choisisse de reproduire les premières couvertures de l’Olivier dans un livre que les éditions Phaidon ont publié sur le design : “L’Olivier, c’est la création dont je suis le plus fier !” A. V. — Vous évoquez des secrets que cette maquette vous aurait révélés au fil du temps… Lesquels ? Vous attisez notre curiosité ! O. C. — Oui, mais c’est secret… Bon, en voici un. Un jour, je me suis aperçu en disposant par hasard trois livres en épi, que l’arbre soudain surgissait en entier...

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Sept pastilles de marbre Paul Otchakovsky-Laurens

C’

est en septembre 1982, il faisait un temps magnifique. Henri Flammarion m’avait convoqué chez lui pour me dire qu’il était d’accord avec son fils, Charles-Henri, pour m’aider à créer

une maison d’édition. Comme elle prenait la suite de ma collection chez Hachette, Hachette/P.O.L, mes initiales lui donneraient son nom. Parce que le maître d’hôtel qui avait les joues bleues comme un mafioso ou comme Nixon m’avait servi un énorme whisky, et que je l’avais entièrement bu, je suis sorti dans la rue Barbet-de-Jouy complètement ivre. Complètement ivre, mais heureux. Je ne me souviens pas que nous ayons parlé maquette. Je me souviens que sur la terrasse où nous avions discuté, il y avait des rosiers magnifiques, plein de fleurs.


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Une des raisons pour lesquelles j’ai décidé de tenter l’aventure, c’était

tout de même ! Et c’est lui qui a eu l’idée d’aller chercher le carac-

la mort de Georges Perec, en mars 1982. Chez Hachette, la maquette

tère de la signalétique du métro de Londres pour les titres (gill).

de couverture de ma collection était magnifique, je l’adorais. J’en

Cela fait trente ans maintenant et nous n’avons fait aucun ajuste-

avais eu l’idée mais c’est Jean-Pierre Reissner, que j’avais connu

ment : ça tient toujours, ça tiendra.

chez Flammarion, qui l’avait réalisée. Le Æ qui avait enthousiasmé Pascal Quignard, c’est lui, et le choix des caractères et les équilibres.

Paul Otchakovsky-Laurens

Pour la couverture de P.O.L je voulais rendre hommage à Georges

Éditeur

Perec dont je mesurais bien l’importance qu’il avait eue dans ma vie, et je voulais, littérairement, placer la maison sous son patronage. Alors j’ai cherché dans La Vie mode d’emploi qui fourmillait d’illustrations, de vignettes choisies et/ou mises en pages là aussi par Jean-Pierre Reissner. Et page 566…

“Sept pastilles de marbre, quatre noires et trois blanches disposées sur le palier du troisième étage de manière à figurer la position que l’on appelle au go le Ko ou Éternité.” Et ça me plaisait aussi, ça m’amusait d’invoquer l’éternité… JeanPierre a travaillé et nous avons commencé avec une première maquette. Mais ça n’allait pas, aussi nous avons essayé les couvertures illustrées, avec toujours cette figure du jeu de go. Malheureusement, je n’avais pas le talent de Denis Roche ou de Christian et Dominique Bourgois pour le choix des images. Jean-Pierre Reissner est mort. J’ai pensé à demander conseil à mon amie Colline Faure-Poirée qui m’a indiquée Maurice Coriat. On était en 1992. Maurice Coriat est un directeur artistique formidable, il écoute, il a plein de belles idées, il recommence jusqu’à ce qu’on soit content. Le papier côtelé, c’est lui – le premier que nous avons utilisé, c’était du Becket, oui, c’était son nom, Becket Ridge, il manquait un t, mais


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Monsieur Toussaint Louverture

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Quel est le poids d’un pourquoi ? Dominique Bordes

J

e pourrais vous dire comment je fais mes couvertures, vous donner quelques secrets de fabrication, vous expliquer la manière dont je rends hommage et à qui je vole des idées, pourquoi je me sens mieux

avec certaines esthétiques plutôt que d’autres, quelle philosophie sous-tend chacune de ces tentatives de plaire ou pas aux lecteurs. Je pourrais, mais ce serait mentir – pas que mentir me dérange, mais si c’est pour être ennuyeux, à quoi bon ? Il est donc hors de question d’expliquer comment je dessine tel ou tel livre. De toute façon, ça n’a rien de sorcier : il suffit d’avoir en tête que je suis un être faillible, à la mémoire courte, brouillon et incapable d’écouter le moindre conseil. À ça, ajoutez que je suis, à parts égales, égocentrique et prétentieux, et qu’à chaque fois que j’entreprends quelque chose je veux, comme l’écrivain seul dans sa chambre dont parle Don DeLillo, que ça éclipse tout le reste. Puis mêlez ceci à tout un tas de connaissances techniques inutiles, un peu de maladresse, autant de laisser-aller et d’heureuses collaborations avec des gens bien plus doués que moi, et vous obtiendrez des couvertures comme celles que je produis. Voilà, c’est aussi simple que ça. De fait, il est peut-être plus intéressant mais diablement plus compliqué d’expliquer pourquoi j’agis de la sorte – en vous épargnant la flemme et le reste, on est tous pareils, non ? Il y a une anecdote – qu’elle soit plus ou moins authentique n’a aucune importance, car à mes yeux elle résume une idée profonde, difficile à formuler, mais à la fois juste et vivace. J’ai grandi dans un environnement où la lecture n’était ni une valeur ni même une activité divertissante. En revanche, jouer au foot en était une, tout comme réparer des


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mobylettes, sortir avec des filles, se crever le cul dans un champ avec son paternel, passer de longs après-midi d’été à la piscine municipale à rouler des mécaniques, aller chasser avant le lever du jour, démonter inutilement des trucs utiles, sortir la nuit pour se sentir tout à la fois immense et invisible, ou dormir le moins possible. Dans cet univers de tensions adolescentes, toutes m’apportaient quelque chose, mais aucune n’était ma préférée. Puis, j’ai commencé à lire. Pourquoi, comment, on s’en fout. Sachez seulement que je me rendais à pied au seul supermarché de la région, et parmi les livres entreposés sous les néons, je choisissais le plus gros et le plus brillant, celui avec des dorures, des gaufrages, des effets. Car j’en voulais pour mon argent. Et sur le trajet du retour je pouvais, sous le soleil, ressentir le poids physique du livre. D’ailleurs, au fond, je jetais mon dévolu sur un bouquin plutôt qu’un autre pour pouvoir ressentir ce poids, pour pouvoir me dire que cette histoire que j’allais lire existait bel et bien – qu’elle avait une vie à part entière, avant d’en avoir une dans ma tête, car elle avait une réalité tangible, lumineuse, massive, lourde –, alors s’y plonger, lui consacrer du temps, quoi qu’en pensent les autres, avait du sens. Et ces livres, ces centaines de pages reliées de façon un peu tapageuse, ces objets qui attiraient invariablement le regard, lorsque j’étalais ma serviette à la piscine, dans un brouillard de testostérone, de plaisanteries et de maillots de bain, ces livres représentaient plus qu’un symbole : si les romans qu’ils dissimulaient étaient une sorte de coton pour amoindrir les angles trop aigus de la vie, ses éclats trop aveuglants, ses pulsions trop fortes, les livres eux-mêmes étaient pour moi bien autre chose, leur présence me rassurait, éloignait mes démons, les livres étaient physiquement – pour moi et moi seul – des boucliers. Et depuis que je publie, malgré mes infinies faiblesses et mon manque de recul, si je cherche à susciter toutes sortes de sentiments chez la personne qui prend possession de l’un de mes livres, par-dessus tout je voudrais que naissent chez elle ces mêmes émotions que je ressentais : qu’elle tienne entre ses mains

non seulement un objet de plaisir intellectuel mais aussi une force bien particulière, un alliage de mots, de technologies et de sensations. Lire est une expérience sensuelle et, quelle que soit la façon dont on s’y prend, il faut chercher à amplifier cette expérience en donnant un poids spécifique à chaque œuvre, une texture particulière que l’on peut effleurer, une existence que l’on peut palper, que l’on peut manipuler, que l’on peut aimer. Et qui nous aime. Le pourquoi est là. Dominique Bordes Éditeur


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Le Tripode

nouveauté 2017


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Diabolus in graphica Frédéric Martin

L

e Tripode a pour habitude d’inventer pour chaque auteur qu’il publie une maquette spécifique. Concrètement, cela signifie que la maison d’édition remet en question pour chacun d’entre eux le format du

livre, la typographie du texte, mais aussi la mise en pages de l’œuvre et le choix du papier. Cette pratique, qui peut prendre beaucoup de temps (un an de travail pour Vie ? ou Théâtre ? de Charlotte Salomon) est tout sauf une coquetterie. Pour l’expliquer, je voudrais raconter une expérience très concrète, faite il y a dix ans, et qui a forgé ma sensibilité d’éditeur sur cette question. Je travaillais alors à la publication d’un projet qui, pour la première fois, m’obligeait à réfléchir à la maquette d’un ouvrage. Il s’agissait d’une nouvelle édition du Surmâle d’Alfred Jarry, qui devait se situer à mi-chemin entre le roman et le beau livre – elle devait être illustrée par des dessins de l’artiste Tim – et posait donc d’importantes questions de mise en pages. Or, pour me documenter, j’étais parti en quête de toutes les éditions de ce texte depuis sa première parution au début du XXe siècle. J’en trouvai une dizaine. L’envie bizarre me prit alors de lire le roman dans toutes ces éditions. Eh bien, de la première édition entreprise par La Revue blanche en 1903 à celle lancée en 1993 par les éditions P.O.L, dans feue leur collection de poche, j’eus la surprise de lire dix textes différents. Les mots étaient les mêmes – enfin presque : certaines éditions, jusqu’à celle de 1977 par Éric Losfeld se révélaient légèrement fautives –, mais leur répartition sur la page, l’épaisseur des lettres, l’allure générale du livre, donnaient au texte une tonalité à chaque fois différente. Certaines rendaient l’œuvre lumineuse (notamment celle de 1963 entreprise par Le Club français du livre), d’autres me semblaient


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illisibles et l’une frisait même le contresens (une édition illustrée des années quarante pour bibliophiles érotomanes). Depuis ce jour, je suis convaincu que la forme d’un livre est une affaire capitale. Elle peut révéler une œuvre ou la trahir. Bien sûr, un livre hideux éloignera le lecteur d’un texte, mais un livre peut être très beau et malgré tout faire obstacle à la lecture – ah, ces graphistes qui adorent les caractères tout petits ou les lignes serrées qui nous épuisent au bout de quelques pages ! En définitive, le graphiste qui conçoit un livre me semble se trouver dans la même position qu’un traducteur : la force de son travail est d’autant plus grande qu’elle reste humble, qu’elle se fait complètement transparente entre l’œuvre et son lecteur. Dans la recherche de cette perfection, où la forme d’une livre serait tellement juste par rapport à son contenu qu’elle atteindrait l’évidence, qu’elle ne se remarquerait plus, le graphiste peut garder en tête cette phrase de l’écrivaine Goliarda Sapienza : “Qu’est-ce que la beauté, sinon de la cohérence ?” Frédéric Martin Éditeur


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1

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2

La Grande Panne Huit essais pour une couverture

3

4

Essai 2 – la couverture “tendre” La graphiste contre-attaque. On passe à la douceur d’un rivage – une bonne partie du roman se passe sur l’île de Sein – avec une technique

La Grande Panne est l’exemple même du livre simple à lire mais

façon papiers collés et une typographie plus posée. Mais le livre

horriblement difficile à illustrer. Le roman commence par un scé-

n’est pas une romance tout de même, il y a beaucoup de péripéties…

nario catastrophe : après l’explosion d’une mine, un nuage géant

L’auteur, à qui on soumet la couverture, est d’accord. Tout est à

de graphite oblige la France à couper tout son réseau électrique. Il

refaire.

se transforme en un polar – est-ce un attentat ? la France va-t-elle plonger dans le chaos ? –, mais devient insensiblement une fable

Essai 3 – la couverture “énigmatique”

pleine d’humour sur un pays perdu. Pour ne rien arranger, on y parle

On part sur une tentative de couverture purement “typographique”.

aussi beaucoup d’amour et d’amitiés. Comment incarner tout cela

Puisque le livre repose sur la stupeur que provoque une panne de

en une seule image ?

courant, pourquoi ne pas essayer de le manifester par des guillemets vides, un peu comme dans une bande dessinée ? La pro-

Essai 1 – la couverture “thriller”

position de la graphiste est enthousiasmante. Mais, en revoyant

La graphiste du Tripode s’essaie tout d’abord à dessiner le nuage

cette couverture un doute naît : n’est-ce pas un peu élitiste ? Ce

de graphite. L’éditeur trouve cela très beau, mais le roman a trop

roman se lit comme du petit-lait, il ne faudrait pas faire croire aux

d’humanité pour être réduit à un thriller. On renonce.

lecteurs qu’il s’agit d’un essai de métaphysique. Bref, on renonce.


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Essai 4 – la couverture “petit bateau”

Essai 7 – la couverture “gag”

Une tentative de synthèse pour faire sentir à la fois le chaos de l’his-

La graphiste commence à fatiguer. Elle gribouille quelques am-

toire, l’humour du texte et le milieu marin dans lequel se déroule l’action. Bon, en fait, personne dans l’équipe n’est vraiment fan. On passe.

poules et fait une couverture idiote pour nous faire rire. L’éditeur, qui n’a pas compris la blague, étudie sérieusement la proposition et la trouve intéressante. Horrifiée, la graphiste fait savoir que, elle

Essai 5 – la couverture “BD” La graphiste, qui a décidément beaucoup d’imagination, change radicalement d’atmosphère et réussit à faire un paysage de lignes à haute tension qui nous semble à la fois original, un peu inquiétant et doux. C’est bon ! Malheureusement, non : l’auteur est moins enthousiaste, sans pouvoir bien expliquer pourquoi. Son avis est décisif : la quête reprend.

vivante, le livre ne sortira jamais avec un truc pareil.

Essai 6 – la couverture “américaine” En gardant l’idée des lignes à haute tension, la graphiste propose cette fois-ci un traitement en bannière et nous offre une couverture qui fait penser à certaines tendances que l’on voit dans l’édition aux États-Unis. C’est beau. Mais il y a un hic : le titre est peu lisible. On hésite et puis on se dit que c’est rédhibitoire. Au rebut.

l’impression d’être dans le livre, précisément. C’est bon signe. On

Essai 8 – fiat lux ! Nous étions à deux doigts de réussir avec l’essai n° 5. Et vient alors une nouvelle idée : pourquoi ne pas plonger ce paysage dans la nuit ? En quelques manipulations, la graphiste change la tonalité des principales couleurs. Le résultat est intriguant. Nous avons envoie à l’auteur, qui dit “oui !” tout de suite. Voilà, c’est fait ! Le texte a trouvé sa forme. Mais il faudra encore quelques jours à la graphiste pour fignoler tous les détails. Frédéric Martin Éditeur


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Pierre Faucheux : un tourbillon d’inventions Annie Le Brun

T

ypographe, graphiste, metteur en page, affichiste, scénographe, architecte…, Pierre Faucheux aura été tout cela à la fois. Et beaucoup plus encore, dès lors que, se refusant à s’en-

fermer dans une activité au détriment des autres, il n’aura cessé de découvrir ce qui les relie et, du même coup, d’éclairer le fondement de chacune d’une lumière nouvelle. Pourtant, du début à la fin, Pierre Faucheux s’est revendiqué typographe. “Pour toujours, aimait-il à dire. Je suis né typographe comme on naît rôtisseur1.” Mais non sans préciser : “L’invention de nouveaux signes, la découverte et l’intégration de nouveaux signes me passionnent car leur emploi transforme non seulement l’espace graphique à deux dimensions mais aussi l’espace mental, le champ mental2.” Chez lui, tout part de là, de cette reconnaissance spontanée du signe typographique comme de la forme qui donne sens mais qui en même temps a le pouvoir d’engendrer tous les sens. “Seuls m’intéressent la signification du contenu et l’art de le signifier3”, dira-t-il en effet. Telle est la raison profonde qui aura, d’un bout à l’autre de sa vie, déterminé son parcours – je devrais dire : la quête de ce fou du sens qui aura été le chercher dans le secret des formes. Je ne sais si quelqu’un a jamais mesuré à l’égal de Pierre Faucheux ce qu’il pouvait y avoir de vertigineux dans ce projet auquel il s’est donné corps et âme. Car son ambition aura été rien de moins que d’“écrire l’espace”, comme il s’est plu à l’affirmer en titre de son livre-mémoires, quitte à y impliquer non seulement l’homme tout entier, mais en même temps sa relation à l’univers. Aussi certains auraient-ils cru Pierre Faucheux excessif, ils n’auront pas compris que, parmi ses nombreux dons, il avait celui,


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très rare, de percevoir quelle force de vie lie les extrêmes, le gigantesque et l’infime, le subtil et la violence, le désespoir et le rire… “D’où son égale passion et sa stupéfiante aisance à passer du microcosme de la typographie au macrocosme de l’architecture4”, a justement remarqué Radovan Ivši´c, au moment où Pierre Faucheux imaginait le décor de sa pièce Aiaxia ou Pouvoir dire. C’est d’ailleurs à cette époque, au début des années quatre-vingt du siècle dernier, que lui comme moi avons eu la chance de voir Pierre mener de front deux projets apparemment opposés. Qu’il s’agisse du découpage des photos monumentales de la façade du théâtre de Zagreb pour en retourner l’espace intérieur ou qu’il s’agisse de l’édition des œuvres complètes du marquis de Sade à laquelle j’avais travaillé avec Jean-Jacques Pauvert, Pierre se sera plongé pareillement dans le monde nouveau qu’il percevait, pour donner à celui-ci l’espace qu’il n’avait pas encore. Espace scénique, espace typographique, c’est avec la même virtuosité qu’il


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aura su faire du théâtre le lieu du renversement poétique où tout

pour retrouver en toute chose le mouvement de la liberté. Nous

recommence, comme du livre celui d’où la violence de la pensée

voici au plus loin de l’esthétique qui n’a pour but que de figer la vie

est en train de naître. Qu’il ait été “l’homme dont cent millions

dans le filet de ses formes normatées. “Je déteste autant l’esthé-

de couvertures peuplent nos bibliothèques, nos librairies et nos

tique que j’aime la beauté7”, écrivait-il encore superbement, nous

kiosques5” n’y change rien, au contraire même. Ce n’est pas par

incitant tout simplement à penser la beauté comme la liberté à

hasard qu’il aura été le plus inventif scénographe des expositions

l’état naissant.

de la seconde moitié du

e

xx

siècle, à même de réinventer des an-

nées durant la Biennale de Paris et de réussir à exalter dans une

Annie Le Brun

profusion de projets aussi bien l’art cinétique que le surréalisme.

Écrivain

Comme il a construit en tant qu’architecte des “maisons-portraits”,

Dernière parution :

il a porté la même attention passionnée à faire advenir autour des idées, des êtres et des choses l’espace dont ils avaient besoin pour se déployer. En fait, tous ceux qui ont travaillé avec lui auraient pu témoigner de sa fascinante manière de trouver la rigueur dans le foisonnement. Non pas en élaguant, mais au contraire en remontant à sa source vive. “Le livre, l’ai-je entendu dire, est un développement plastique dans le temps.” Et ce pourrait bien être là le secret de ce “magicien du livre6”, liant indissolublement l’espace au temps

1. Pierre Faucheux, Écrire l’espace, Robert Laffont, 1978, p. 440. 2. Ibid., p. 389. 3. Ibid., p. 393. 4. Radovan Ivši´c, “Sous le signe de l’écart absolu, Pierre Faucheux”, préface pour l’exposition “Archipels” (Zagreb, 1982), rééd. in Cascades, Gallimard, 2006, p. 147. 5.Jean-François Revel, “Faucheux ou l’innovation perpétuelle”, préface à Pierre Faucheux, Écrire l’espace, op. cit., p. 15. 6. Marie-Christine Marquat, Pierre Faucheux, le magicien du livre, Éditions du Cercle de la librairie, Paris, 1995. 7. Pierre Faucheux, op. cit., p. 372.


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Annie Le Brun Aperçu bibliographique

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De la couverture Massin

C

e n’est pas parce qu’un peintre tiendra un compte rigoureux des canons du nombre d’or qu’il fera nécessairement de la bonne peinture ; ni parce qu’un musicien connaît l’écriture musicale qu’il

sera capable de diriger un orchestre ; ni encore parce qu’un chef de cuisine dispose de produits frais et d’une qualité irréprochable qu’il saura préparer d’excellents plats ; ni enfin parce qu’on voudra suivre à la lettre (sans jeu de mots) les quelques conseils qui suivent, qu’on réussira à dessiner les meilleures couvertures. Comme dans les auberges espagnoles, il faut apporter son manger. Tout d’abord, il importe de savoir qu’une couverture de livre est soumise aux mêmes lois optiques qui valent pour une affiche. Les deux sont à l’épreuve de la rue ; elles sont vues en passant, qu’on soit pressé ou non ; il n’y a entre elles qu’une différence d’échelle, due à l’espace où elles prennent leur place ; pour l’une comme pour l’autre, il s’agit, au départ, d’une surface à aménager, et d’un rectangle à remplir. Y a-t-il, dans ce dernier, des endroits privilégiés ? J’ai pensé longtemps que l’un de ceux-ci se situait en haut et à droite ; mais à présent, plus j’avance, curieusement, plus les choses me paraissent faciles, et moins je ne suis sûr de rien… En outre, je me suis fait à l’idée, des années durant, que ce rectangle – l’espace utile – se réduisait encore à n’être plus qu’un carré, du fait que les libraires, faute de place, faisaient se chevaucher dans leurs vitrines les volumes à l’image du tuilage sur les toits. Ce n’est plus tout à fait vrai, dès lors que les livres sont, la plupart du temps, exposés à plat – encore que la présence fréquente d’une bande nous ramène parfois au problème précédent.


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D’une manière générale, les

juxtaposées cinq affiches, du même format, du même style (bien

conditions d’exposition des ou-

que de créateurs différents) et d’une qualité équivalente. À cause

vrages sont si différentes, d’un

de cela, aucune d’elles ne se distinguait des autres. Comme on

lieu à l’autre, et les points de

voit, la qualité, également répartie, peut sécréter l’académisme.

vente si nombreux et divers, de la

Une couverture ne peut tout dire ; elle ne saurait raconter une

boutique qui vend des journaux,

histoire ; tout au plus peut-elle en livrer un instantané significa-

des boutons ou des cartouches

tif, ou en proposer une allégorie. Elle ne peut jouer le rôle d’un

pour la chasse jusqu’aux hyper-

sommaire ou d’une table des matières. Elle doit se borner à sug-

marchés, qu’il est malaisé de les

gérer, à poser un problème. Il ne lui est pas interdit d’intriguer,

prévoir et d’en tirer des lois in-

voire de créer le mystère. Par voie de conséquence, il est mala-

tangibles. Comment imaginer de

droit de traiter plusieurs thèmes à la fois. Deux idées, c’est déjà

quelle manière ce qu’on a conçu

trop, car l’une nuit forcément à l’autre. Cette idée doit être simple,

dans l’intimité d’un atelier sera

grossière même, ou schématique. Elle doit être parlante, car le lan-

livré aux regards du public ?

gage de l’image est si ambigu qu’une légende est souvent néces-

Pour paraphraser le mot célèbre de Savignac sur l’affiche, une

saire, comme on fait pour les meilleures photos du monde dans les

bonne couverture devrait être un scandale visuel. La seule ques-

grands magazines. Or, ici, pas question de placer la légende ailleurs

tion est pourtant de savoir si la devanture du libraire, riche de

qu’en dernière page, où il faut aller la chercher. De la même ma-

dizaines de volumes, pourrait comporter autant de scandales à la

nière, on se défiera de ces documents – dessins ou photos – qui,

fois sans qu’ils s’annulent l’un l’autre. Car si tout le monde parle

mis à l’intérieur d’un livre, y trouvent naturellement leur place, mais

aussi haut, comment se faire entendre ? En pareil cas, et à l’in-

qui, utilisés pour la couverture, perdent tout leur intérêt parce qu’ils

verse de ce qui se passe dans un endroit bruyant, il y a une chance

manquent de force ou d’accent, qu’ils ne sont pas, comme on dit

que ce soit celui qui parle à voix basse qu’on entende le mieux :

dans notre jargon, suffisamment “graphiques”. C’est pourquoi un

la couverture fait un “trou” dans la vitrine ; elle crée une plage de

peintre de talent à qui l’on commande une illustration pour une

silence qui peut attirer l’attention, par un simple effet de contraste.

couverture ne saura pas forcément ce qu’il convient de faire, igno-

En fin de compte, on le voit, tout repose sur des contrastes, d’une

rant qu’il est des problèmes spécifiques du graphisme – et de leurs

couverture à l’autre. Contrastes de formes, contrastes de couleurs,

servitudes. Ou bien alors, c’est au maquettiste de le diriger, ou de

contrastes entre les caractères – sans parler des différences dans

choisir à sa place parmi les partis qu’il propose. Je crois en avoir

l’inspiration, le style, la réalisation technique. Contraste enfin

fait récemment l’expérience, avec un peintre (qui se trouvait être le

entre la réussite visible et l’échec patent, tant il est entendu que

propre frère de l’auteur du livre) qui me livra une gouache, laquelle,

la chance supplémentaire d’une couverture, c’est de trancher sur

sous le prétexte de représenter les différents sites où se dérou-

la médiocrité de ses rivales. À cet égard, le pire qui peut arriver,

lait l’action, montrait à la fois la mer, la montagne, un fleuve, une

à nous autres graphistes, serait un nivellement dans la qualité.

plaine, des forêts, etc. C’était, en somme, une table des matières.

C’est ce qui m’a frappé en Suisse, au premier voyage que j’y fis :

Sans me décourager – car le peintre avait un talent agréable – je

sur des panneaux prévus à cet effet, dans les rues, étaient

fis un cadrage extrêmement resserré sur un petit village aux toits


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rouges autour de son clocher, que j’agrandis à peu près dix fois. La couverture était trouvée ; l’image était éclatante, insolite et spontanée, car la touche du peintre devenait visible, et elle donnait une vie réelle à la composition. Cette idée (on dit maintenant concept, qui fait plus distingué ; ou encore visuel, qui fait professionnel) que va s’employer à exploiter la couverture sera prise naturellement dans le livre, encore qu’elle puisse se situer un peu en marge du sujet : un symbole puissant, habilement utilisé, ramènera à celui-ci par les vertus de l’analogie. Cela reste toutefois une entreprise périlleuse, ne serait-ce que parce que l’auteur est fondé à se récrier : “Quoi ! ce n’est pas dans mon livre !” Il aura raison ; et pourtant, semblable en cela au médecin qui ne saurait se soigner lui-même, l’auteur n’est-il pas le plus mal placé pour savoir quelle image on doit donner de son

Je ne m’étendrai pas sur le rôle des blancs : ils sont là pour mettre

livre ? Cette image est faite pour le lecteur, c’est-à-dire pour un

en valeur les titres et l’illustration. Je dis “les blancs” pour dési-

autre. D’ailleurs, dans la plupart des contrats, il est stipulé que la

gner ici ce qui peut être noir ou aplat de couleur. Quant au fond

couverture appartient à l’éditeur, ce qui veut dire que l’auteur n’a

blanc, je l’ai, pour ma part, comme on sait, beaucoup utilisé, et

pas à s’en mêler, l’éditeur étant seul responsable de la promo-

dans un temps où il était incongru de s’en servir. Pourquoi ? Parce

tion. Dans la pratique, il est vrai, l’éditeur, par simple courtoisie,

que les supports courants étaient d’un blanc incertain, pas assez

soumet le projet à l’auteur ; mais il ne le fait généralement que

franc pour tout dire. Mais les choses ont changé, comme on l’a vu,

lorsqu’il a lui-même choisi. C’est ce qui se passait pour “Folio” :

avec le Kromekote, puis le pelliculage. Il a fallu toutefois amener

que de projets, que je jugeais excellents, ont été ainsi écartés, qui

les éditeurs à aller à contre-courant des préjugés (le blanc était

avaient reçu l’accord de l’éditeur et des vendeurs ! (À l’inverse, des

froid ; il faisait sérieux, mais triste, ou officiel, ou élitiste, etc.). Il

auteurs comme Sartre et Simone de Beauvoir laissaient l’éditeur

a fallu ensuite, et j’en ai fait l’expérience avec “Folio”, faire com-

seul juge de ce qu’il convenait de faire, même si tel projet ne leur

prendre aux illustrateurs que cette nouvelle façon de donner à

plaisait pas, ce dont ils s’abstenaient de faire part.)

voir, en proposant un regard neuf sur leurs œuvres, leur apportait

Une couverture ne peut comporter de nuances, de demi-teintes ;

des chances supplémentaires. Le cas le plus typique est celui de

elle dit, elle affirme ; et ce message doit être unique, simple, presque

Siné, qui avait dessiné un certain nombre de couvertures du “Livre

manichéen. C’est pourquoi elle ne s’embarrassera pas d’ornements

de Poche”, traitées en pleine page, et au demeurant fort réussies.

inutiles : tout ce qui, sur ce plan-là, relève de la décoration et ne

Pour “Folio”, il lui fallait se remettre en question, faire un effort,

concourt pas directement à renforcer le message qu’on veut faire

jouer avec un élément qui ne lui était pas familier. Il s’y soumit

passer est à proscrire. Filets, enjolivures et autres fioritures (sauf,

sans protester. Et ce n’est qu’au bout d’un an ou deux, après qu’il

bien entendu, s’il s’agit d’un pastiche) sont donc à rejeter, car ils

eut réalisé une bonne demi-douzaine de couvertures, qu’il me fit

encombrent la couverture et attirent l’attention pour rien.

cet aveu : “Sais-tu que tu m’as embêté [il usa d’un mot plus cru]


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avec ton fond blanc ? Je t’ai maudit parfois ; mais à présent, je reconnais que tu avais raison. Mes dessins, sur fond blanc, ont trouvé une nouvelle jeunesse.” D’autres dessinateurs, et non des moindres – Wolinski, Cabu, Reiser, mais aussi Ronald Searle, André François –, m’ont dit la même chose. Il reste qu’il ne faut pas abuser du blanc, si l’on ne sait le discipliner. Qui n’a présente à l’esprit cette manie, au demeurant cohérente, de telle grande maison d’édition où l’on juchait les titres tout en haut des couvertures, près du bord supérieur, créant ainsi dans le reste de la page un immense blanc qui n’était qu’un désert – ou du vide ? Dans ce domaine de l’expression graphique, il est aussi de ces préjugés ou des modes tenaces, qu’on prend parfois à contre-courant, et avec une obstination telle qu’on en vient à propager un conformisme autre, souvent pire que le premier.

J’expose là un cas personnel ; mais le processus peut varier sui-

Non, il n’y a pas de lois dans ce domaine. Il n’y a que des cas d’es-

vant les individus, la culture qu’on a reçue, les moyens dont on dis-

pèce : chaque couverture pose un problème nouveau, qu’il faut

pose, etc. Je le répète : il n’y a pas de recette. Il importe toutefois

s’employer à résoudre. Mais, demandera-t-on, que faut-il faire

de se préparer, d’être réceptif, puisque le message que vous avez

pour réussir une couverture ? Rien. Avoir de l’invention, du talent,

à délivrer dépend pour une bonne part de ceux que vous recevez

et croire à la réussite possible.

à tout moment, et que vous pouvez utiliser à votre profit. Aussi

Si vous n’avez aucune idée lorsque vous êtes attelé à un projet, pas-

serait-il présomptueux de ma part, voire malhonnête, d’ériger des

sez à autre chose. Cela risque de venir fortuitement – ou pas du

préceptes infaillibles pour aboutir à coup sûr à un résultat toujours

tout. Non que je croie qu’on puisse être visité par l’inspiration : il n’y

problématique.

a pas de miracle ; mais, durant le temps que vous consacrez à autre

Enfin, si vous avez du talent et que les éditeurs qui vous passent

chose, votre esprit travaille à votre insu ; la pensée voyage parfois

des commandes en sont aussi persuadés que vous, il est inutile de

à 200 à l’heure ; des stimuli divers viennent se loger dans votre in-

tenir le moindre compte de ce que j’avance : vous êtes capable de

conscient, qui peuvent favoriser la création, en s’aidant de ce bric-

n’en faire qu’à votre tête et d’imposer votre propre façon de voir.

à-brac de matériaux que vous avez emmagasinés. Je l’ai dit ailleurs, quand je n’ai pas eu l’idée d’une couverture dans le quart d’heure qui suit le moment où l’on m’en a exposé le thème, cela ne marche

DE LA COUVERTURE DE COLLECTION

pas, cela se traîne, et le résultat n’est pas bon. Car il ne suffit pas

C’est bien l’entreprise la plus difficile, ce type de couverture jouant

de s’installer à sa table de travail pour que l’idée vous vienne ; et ce

habituellement sur deux registres, ceux de l’éphémère et du per-

n’est pas en sollicitant l’imagination que vous provoquerez à coup

manent. C’est dire que la présentation qui en est faite doit durer tout

sûr l’étincelle créatrice. Celle-ci naîtra le plus souvent malgré vous,

en traversant les modes. De plus, elle doit comporter, intimement

grâce à des influences extérieures que vous ne pouvez contrôler.

mêlées, des notions aussi antinomiques que celles de l’identité et


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voire dans l’absence même de couleur, dans l’agencement général de la couverture dessinant une image aisément identifiable et facile à mémoriser ; ou encore dans le style de l’illustration – si illustration il y a. C’est au créateur de proposer chaque fois des solutions nouvelles à ce problème difficile : la réussite ne s’obtient que si les couvertures créent entre elles un écho ou un jeu de miroirs. Ce qui revient à dire que chaque nouvel avatar doit comporter un enrichissement du thème initial. Je suis responsable, pour ma part, d’un certain nombre de ces couvertures de collection, dont plusieurs dizaines chez Gallimard. Si quelques-unes d’entre elles ont eu une existence éphémère, c’est qu’elles étaient tributaires de l’actualité ; ou que les tentatives qu’elles devaient promouvoir s’étaient réduites ensuite (comme il arrive aussi chez les grands éditeurs) à des tentatives de laboratoire. de l’altérité : j’ai parlé, à propos de “L’Imaginaire”, de ce problème

S’agissant de couvertures littéraires, qui sont un peu l’équivalent

du même et de l’autre, et de la récurrence du thème au travers

de ce qu’étaient jadis les reliures dites “d’éditeur”, et dont le rôle

des variations, en donnant pour référence la composition musi-

est, comme on sait, de livrer au public une image à la fois at-

cale, domaine où la variation est née au XVIe siècle, où elle s’est

trayante et sérieuse, j’ai dessiné, au début des années soixante, la

épanouie ensuite dans tous les pays et à toutes les époques, aussi

couverture du Mercure de France (en même temps, au reste, que

bien dans la partition même que dans l’instrumentation. Mais on

celle de la revue publiée par la même firme) ; elle a été plus tard

trouverait pareillement, dans la peinture et le dessin, des séries

abandonnée au profit d’une reprise de la couverture archaïsante

comparables, qu’il s’agisse de Callot, de Goya, de Delacroix, de

d’il y a cent ans. Mon projet comportait en effet l’utilisation d’un

Cézanne (avec le paysage de l’Estaque) ou de Picasso. Il paraît

support constitué par un papier ivoire à fort grain, dont la matière,

évident à cet égard que la reconnaissance du thème ne peut se

agréable à l’œil et à la main, compensait la simplicité voulue du

faire que s’il existe un invariant dans les différents développe-

titrage. Las ! ce papier “accrochait”, me dit-on, la poussière sur

ments de ce dernier (cf. L’Art de la fugue ou L’Offrande musicale de

les volumes en stock, ce qui suffisait à condamner l’entreprise. Pa-

Bach, ou encore les Cento partite sopra passacagli de Frescobaldi).

radoxalement, c’est le même type de support que j’ai choisi en 1983

La comparaison pourrait enfin s’étendre à la littérature où, entre

pour la nouvelle couverture de Denoël (dernier avatar d’une cou-

autres, Exercices de style et Cent mille milliards de poèmes, de

verture que j’avais eu à remodeler dix ans plus tôt, et qui succédait

Raymond Queneau, sont le prétexte de brillantes variations.

elle-même à la maquette établie par Jacno au début des années

Ce lien, ce dénominateur commun, on les trouvera dans la per-

cinquante) ; et l’inconvénient signalé par les services commerciaux

manence d’un élément typographique suffisamment fort (caractère

du Mercure ne semble pas, jusqu’alors, avoir été pris en compte par

des titres, cadre, filets, etc.), dans la présence obligée d’un logotype

Denoël. Ce qui est d’autant plus étonnant que les volumes des deux

jouant le rôle d’une basse contrainte, dans le choix d’une couleur,

firmes passent dans les mains du même diffuseur !


De la couverture | 136

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Pour Denoël également, j’ai créé, en 1953, les maquettes de “Présence du futur”, que j’ai modifiées légèrement quinze ans plus tard lorsqu’il fallut les adapter à un format de poche ; et cette nouvelle version a fait place, vers 1978, à une nouvelle maquette comportant une illustration. Récemment enfin, j’ai assuré la présentation de la couverture des Éditions Fixot, dont l’idée première revient à l’éditeur. De son côté, Pierre Faucheux a dessiné la couverture des ouvrages romanesques du Seuil, d’Albin Michel, de Mazarine, de Calmann-Lévy, de La Table ronde, de la collection “Points”, d’autres encore ; cependant que Pascal Vercken créait la couverture du “Cabinet cosmopolite” de Stock, ainsi que celle d’innombrables collections. J’ai échoué plusieurs fois, notamment pour la présentation des livres publiés par Odile Jacob. Il est enfin une couverture pour laquelle, vingt ans après, je garde une grande tendresse : c’est celle que m’avait demandée Jean-Jacques Pauvert pour une série littéraire où avaient commencé de prendre place André Breton, Georges Bataille et quelques autres ; elle était, quelques années avant “Folio”, titrée en baskerville, tirée en noir sur fond blanc, avec un cadre gaufré. Elle fut malheureusement abandonnée à la suite des déboires financiers de son éditeur. Ce qui montre assez que la réussite d’une couverture de collection dépend largement de la multiplication des titres qu’elle comporte, de la régularité et de la cadence de la production – en un mot, de sa fortune commerciale.

lisible mais non visible encore une fois, cela n’a pas de sens dans une couverture où tout, comme dans une affiche, est organisé pour être perçu à distance. Cela encombre pour un profit nul, et le danger existe que l’attention soit inutilement mobilisée sur ce qui n’est qu’un détail, un accessoire. C’est la raison pour laquelle, par exemple, André Fermigier m’ayant demandé, en cours de route, d’introduire, dans la série classique de “Folio” dont il était le responsable, la mention d’un préfacier, j’ai composé celle-ci dans un corps assez généreux dont il a pu, au début, me faire reproche. J’ai tenu bon, avançant l’argument que, si l’on estimait nécessaire de faire figurer cette information (précédemment cantonnée dans la page de titre), c’est qu’elle pouvait aider à la vente, quand bien même le nom du préfacier en

DE LA COUVERTURE (Suite)

Je reviens sur le problème de ce qui, dans une couverture, doit être à la fois lisible et visible. On m’a souvent demandé, une fois le projet retenu, d’ajouter une mention qui n’était pas prévue au départ, celle d’un sous-titre, ou d’un préfacier par exemple. Outre que cela risque parfois de bouleverser l’agencement de l’ensemble en déséquilibrant les masses typographiques, je ne voulais pas me résoudre à composer ce texte supplémentaire en petit corps, comme on me suggérait de le faire. Parce qu’un petit corps,

question – qui se trouvait être aussi parfois l’éditeur du texte, au sens anglo-saxon du mot – n’était pas toujours connu d’un large public. Or, il l’était souvent de la clientèle universitaire, qui avait alors à faire un choix entre des éditions concurrentes d’œuvres du domaine public, La Cousine Bette ou Guerre et Paix, et proposées en même temps par “Folio”, le “Livre de Poche” ou Garnier-Flammarion. Massin in “Conseils pratiques aux débutants”, L’ABC du métier, Imprimerie nationale, 1988


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Table des illustrations

Table des illustrations | 139

p. 7 Illustration pour la couverture de Confiteor, roman de Jaume Cabré, traduit du catalan par Edmond Raillard, Actes Sud, 2013 © Xabier Mendiola p. 16-33 Sauf mention contraire, toutes les couvertures et jaquettes ont été conçues par Massin. Georges Arnaud, Le Salaire de la peur, Club du meilleur livre, 1953 Josef Martin Bauer, Aussi loin que mes pas me portent, Calmann-Lévy, 1956 Robert Gaillard, Alexandre Dumas, CalmannLévy, 1953 De Chirico, Mémoires, La Table ronde, 1965 Jean-Marie Thiveaud, Azur, Albin Michel, 1987 Yves Navarre, Romans, un roman, Albin Michel, 1988 Jeanne Bourin, La Chambre des dames, La Table ronde, 1979 Maud Marin, Le Saut de l’ange, Fixot, 1987 Philip Roth, Ma vie d’homme, Gallimard, 1976 Camus, L’Étranger, Gallimard, coll. “Folio”, 1972 (couv. Alexis Ossenko, d’après Massin) Dante, Vita Nova, Poésie/Gallimard, NRF, 1974 La collection “L’Imaginaire” publiée par Gallimard à partir de 1977 Massin, La Lettre et l’Image, Gallimard, 1970 (couv. André François) p. 34-47 Valentine Goby, Un paquebot dans les arbres, Actes Sud, 2016 David Lagercrantz, Millénium 4. Ce qui ne me tue pas, Actes Sud, 2015 Carla Guelfenbein, Être à distance, Actes Sud, 2017 Nina Berborova, Le Livre du bonheur, Actes Sud, 1996 Jérôme Ferrari, Le Sermon de la chute de Rome, Actes Sud, 2012 Alaa El Aswany, L’Immeuble Yacoubian, Actes Sud, 2006 Siri Hustvedt, Un été sans les hommes, Actes Sud, 2011 Mathias Énard, Boussole, Actes Sud, 2015 Giulia Enders, Le Charme discret de l’intestin, Actes Sud, 2015 Stieg Larsson, Millénium 1. Les hommes qui n’aimaient pas les femmes, Actes Sud, 2006 Stieg Larsson, Millénium 2. La fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une allumette, Actes Sud, 2006 Stieg Larsson, Millénium 3. La reine du palais des courants d’air, Actes Sud, 2007 Olivier Py, Les Parisiens, Actes Sud, 2016 Erik Axl Sund, Persona, Actes Sud, 2013 Laurent Gaudé, Danser les ombres, Actes Sud, 2015 Laurent Gaudé, Eldorado, Actes Sud, 2006 Laurent Gaudé, Cris, Actes Sud, 2001

Laurent Gaudé, Dans la nuit Mozambique, Actes Sud, 2007 Laurent Gaudé, Le Soleil des Scorta, Actes Sud, 2004 Laurent Gaudé, Écoutez nos défaites, Actes Sud, 2016 p. 48-55 Boris Souvarine, Controverse avec Soljenitsyne, Allia, 1990 Gilian McCain et Legs McNeil, Please Kill Me. L’histoire non censurée du punk racontée par ses acteurs, Allia, 2006 Patrik Ourednik, La Fin du monde n’aurait pas eu lieu, Allia, 2017 Kazimir Malevitch, La Paresse comme vérité effective de l’homme, Allia, 1995 Henry Miller, Lire aux cabinets, Allia, 2000 Jan Tschichold, Livre et typographie, Allia, 1994 Nik Cohn, Awopbopaloobop Alopbamboom, Allia, 1999 Giacomi Leopardi, La Théorie du plaisir, Allia, 1994 Coplas, poèmes de l’amour andalou, Allia, 1993 Potlatch, 1954-1957, Allia, 1996 Giacomo Leopardi, Correspondance générale, Allia, 2007 Valérie Mréjen, Eau sauvage, Allia, 2004 p. 56-61 Casanova, Histoire de ma vie, Robert Laffont, coll. “Bouquins”, tome 1, 2013 Pauline Peretz, New York, histoire, promenades, anthologie et dictionnaire, Robert Laffont, coll. “Bouquins”, 2009 Matthieu Galey, Journal intégral 1953-1986, Robert Laffont, coll. “Bouquins”, 2017 San-Antonio, tome 10, Robert Laffont, coll. “Bouquins”, 2012 Victor Hugo, Poésies 1, in Œuvres complètes, Robert Laffont, coll. “Bouquins”, 2002 Georges Ifrah, Histoire universelle des chiffres, Robert Laffont, coll. “Bouquins”, tome 1, 1994 André-Marie Gerard, Dictionnaire de la Bible, Robert Laffont, coll. “Bouquins”, 1990 Jean d’Ormesson, Ces moments de bonheurs, ces midis d’incendie, Robert Laffont, coll. “Bouquins”, 2016 Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Robert Laffont, coll. “Bouquins”, 1997 Hubert Reeves, Les Secrets de l’univers, Robert Laffont, coll. “Bouquins”, 2016 Gustave Kobbe, Tout l’opéra, Robert Laffont, coll. “Bouquins”, 1999 p. 62-67 Laura Kasischke, À Suspicious River, Christian Bourgois, 1999


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James Agee, photographies de Walker Evans, Une saison de coton. Trois familles de métayers, Christian Bourgois, 2014 Claude Eveno, Revoir Paris, Christian Bourgois, 2017 Sarah Hall, Le Michel-Ange électrique, Christian Bourgois, 2004 Jim Harrison, Retour en terre, Christian Bourgois, 2007 Mick Jackson, Cinq garçons, Christian Bourgois, 2003 Carlo Emilio Gadda, Journal de guerre et de captivité, Christian Bourgois, 1993 Gertrud Kolmar, Lettres, Christian Bourgois, 2001 António Lobo Antunes, Traité des passions de l’âme, Christian Bourgois, 2015 John Fante, Grosse faim, Christian Bourgois, 2001 p. 68-69 Linda Lê, Roman, Christian Bourgois, 2015 Linda Lê, Les Aubes, Christian Bourgois, 2000 Linda Lê, Lame de fond, Christian Bourgois, 2012 Linda Lê, In memoriam, Christian Bourgois, 2007 Linda Lê, Les Dits d’un idiot, Christian Bourgois, 2011 Linda Lê, Cronos, Christian Bourgois, 2010 p. 70-77 Edward Morgan Forster, Route des Indes, 10/18, coll. “Domaine étranger”, 1982 Boris Vian, L’Automne à Pékin, 10/18, 1964 Tennessee Williams, Le Boxeur manchot, 10/18, coll. “Domaine étranger”, 1996 Anne Perry, Des âmes noires, 10/18, coll. “Grands détectives”, 2000 Giorgio Scerbanenco, Les Enfants du massacre, 10/18, coll. “Grands détectives”, 1984 Victor Segalen, Lettres de Chine,10/18, coll. “Odyssées”, 1993 Trotsky, Les Questions du mode de vie, 10/18, 1976 Édouard Dujardin, Les Lauriers sont coupés, 10/18, coll. “Bibliothèque”, 1968 Herman Melville, Israël Potter, 10/18, 1963 Wodehouse, Oncle dynamite, 10/18, 1989 Louis-René des Forêts, Le Bavard, 10/18, 1963 Nathaniel Hawthorne, La Lettre écarlate, 10/18, 1963 Sade, marquis de, Les 120 Journées de Sodome, 10/18, coll. “Domaine français”, 1975 p. 78-87 Éric Chevillard, Le Vaillant Petit Tailleur, Les Éditions de Minuit, coll.“Double”, 2003 Gilles Deleuze et Félix Guattari, Qu’est-ce que la philosophie ?, Les Éditions de Minuit, 1991

Éric Chevillard, Ronce-Rose, Les Éditions de Minuit, 2017 Marguerite Duras, Moderato Cantabile, Les Éditions de Minuit, coll.“Double”, 1958 Éric Laurrent, Les Découvertes, Les Éditions de Minuit, 2011 Vercors, Le Silence de la mer, Les Éditions de Minuit, 1942 Étoile du logo des Éditions de Minuit, dessinée par Vercors en 1945 Jean Paulhan et Dominique Aury, La patrie se fait tous les jours, Les Éditions de Minuit, 1947 Jacques Brenner, Les Portes de la vie. III. Le Hasard fait bien les choses, Les Éditions de Minuit, 1950 Jacques Brenner, Les Malheurs imaginaires, Les Éditions de Minuit, 1949 Samuel Beckett, Molloy, Les Éditions de Minuit, 1951 François Boyer, Jeux interdits, Les Éditions de Minuit, 1947 Le Canal de Suez, préface d’André Siegfried, Les Éditions de Minuit, coll. “Les grandes réussites françaises”, 1954 Austerlitz, préface du maréchal Juin, Les Éditions de Minuit, coll. “Les grandes réussites françaises”, 1954 Panorama du film noir américain, préface de Marcel Duhamel, Les Éditions de Minuit, 1955 Alain Robbe-Grillet, Glissements progressifs du plaisir, Les Éditions de Minuit, 1974 Robert Desnos, Choix de poèmes, Les Éditions de Minuit, coll. “L’honneur des poètes”, 1946 Jean Petit, Un couvent de Le Corbusier, Les Éditions de Minuit, coll. “Forces vives”, 1961 Michel Butor, La Modification, Les Éditions de Minuit, coll. “Double”, 1957 Alain Robbe-Grillet, La Jalousie, Les Éditions de Minuit, coll. “Double”, 2012 Alain Robbe-Grillet, Les Gommes, Les Éditions de Minuit, coll. “Double”, 2012 Jean Echenoz, Je m’en vais, Les Éditions de Minuit, coll. “Double”, 2001 Laurent Mauvignier, Apprendre à finir, Les Éditions de Minuit, 2000 p. 88-95 Richard Ford, Canada, Éditions de l’Olivier, 2013 Valérie Zenatti, Jacob, Jacob, Éditions de l’Olivier, 2014 Lauren Groff, Les Furies, Éditions de l’Olivier, 2017 Raymond Carver, Poésie, in Œuvres complètes, Éditions de l’Olivier, 2015 Alice Munro, Fugitives, Éditions de l’Olivier, 2008 Cormac McCarthy, La Route, Éditions de l’Olivier, 2008 Luke Rhinehart, L’Homme-dé, Éditions de l’Olivier, 2014

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Jay McInerney, La Belle Vie, Éditions de l’Olivier, 2007 Catherine Poulain, Le Grand Marin, Éditions de l’Olivier, 2016 Florence Seyvos, Le Garçon incassable, Éditions de l’Olivier, 2013 Inceberg Slim, Mama Black Widow, Éditions de l’Olivier, 2000 James Salter, Une vie à brûler, Éditions de l’Olivier, 2016 p. 96-101 Atiq Rahimi, Syngué sabour. Pierre de patience, P.O.L, 2008 Patrick Lapeyre, Le Corps inflammable, P.O.L, 1984 Rebecca Lighieri, Les Garçons de l’été, P.O.L, 2017 Mathieu Lindon, Ce qu’aimer veut dire, P.O.L, 2011 Belletto, L’Enfer, P.O.L, 1986 Georges Perec, La Vie mode d’emploi, Hachette/P.O.L, 1978 Robert Bober, Quoi de neuf sur la guerre, P.O.L, 1994 Marie Darrieussecq, Truismes, P.O.L, 1996 Charles Juliet, L’Année de l’éveil, P.O.L, 1989 p. 102-107 Ken Kesey, Et quelquefois j’ai comme une grande idée, Monsieur Toussaint Louverture, 2013 Richard Adams, Watership Down, Monsieur Toussaint Louverture, 2016 Jan Kjærstad, Le Séducteur, Monsieur Toussaint Louverture, 2017 Steve Tesich, Karoo, Monsieur Toussaint Louverture, 2012 Ricˇardas Gavelis, Vilnius Poker, Monsieur Toussaint Louverture, 2015 Steve Tesich, Price, Monsieur Toussaint Louverture, 2014 p. 108-117 Charlotte Salomon, Vie ? ou théâtre ?, Le Tripode, 2015 Le tout va bien. Le monde en 2015 vu par la presse, anthologie par Adrien Gingold, Le Tripode, 2015 Bérengère Cournut, Née contente à Oraibi, Le Tripode, 2017 Andrus Kiviräkh, L’Homme qui savait la langue des serpents, Le Tripode, 2013 Valérie Manteau, Calme et tranquille, Le Tripode, 2016 Edgar Hilsenrath, Fuck America, Le Tripode, 2009 Jacques Abeille, Les Jardins statuaires, Éditions Attila, 2010 Cécile Briand, Où faire pipi à Paris ?, Le Tripode, 2012 Edward Gorey, Les Enfants fichus, Le Tripode, 2014

Hadrien Klent, La Grande Panne, Le Tripode, 2016 (8 essais de couverture) p. 118-123 Sauf mention contraire, toutes les couvertures et jaquettes ont été conçues par Pierre Faucheux. Sade, marquis de, Œuvres complètes, sous la dir. d'Annie Le Brun et Jean-Jacques Pauvert, Jean-Jacques Pauvert, 1991 Annie Le Brun, Soudain un bloc d’abîme, Sade, Jean-Jacques Pauvert, 1986 Léon Bloy, Belluaires et porchers, JeanJacques Pauvert, collection “Libertés”, 1965 François Mauriac, Thérèse Desqueyroux, Club français du livre, 1951 Alphonse de Chateaubriant, La Brière, Club du meilleur livre, 1954 Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles, Club français du livre, 1948 Lewis Carroll, La Traversée du miroir et ce qu’Alice trouva de l’autre côté, Club français du livre, 1948 Baudelaire, Les Fleurs du mal, Club français du livre, 1948 p. 124-125 Annie Le Brun, Les Châteaux de la subversion, Gallimard, coll. “Tel”, 2010 Annie Le Brun, Du trop de réalité, Gallimard, coll. “Folio Essais”, 2004 Annie Le Brun, Si rien avait une forme, ce serait cela, Gallimard, coll. “NRF”, 2010 Annie Le Brun, Sade, Musée d’OrsayGallimard, 2014 Annie Le Brun, Les Arcs-en-ciel du noir : Victor Hugo, Gallimard, coll. “Art et artistes”, 2012 p. 126-137 Sauf mention contraire, toutes les couvertures et jaquettes ont été conçues par Massin. Robert Neumann, Sur les pas de Morell, Calmann-Lévy, 1952 Mireille Sorgue, Lettres à l’amant, Albin Michel, 1986 Malcolm Lowry, Ultramarine, Denoël, 1983 Jorge Semprun, Le Grand Voyage, Gallimard, coll. “Folio”, 1972 Antoine Blondin, L’Europe buissonnière, Gallimard, coll. “Folio”, 1978 Émile Ajar, Gros-Câlin, Gallimard, coll. “Folio”, 1976 Raymond Queneau, Un rude hiver, Gallimard, coll. “L’imaginaire”, 1977 George Du Maurier, Peter Ibbetson, Gallimard, coll. “L’imaginaire”, 1978 Louis Aragon, Le Libertinage, Gallimard, coll. “L’imaginaire”, 1977 Marcel Duhamel, Raconte pas ta vie, Mercure de France, 1972


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Remerciements Ni le livre, ni cette Fête de la Librairie par les libraires indépendants n’auraient vu le jour sans la chaîne chaleureuse de toutes ces personnes, sans leur engagement, leur passion, leur amicale collaboration…

L’association Verbes remercie : Massin l’enchanteur, pionnier insurpassable. Nous sommes fiers d’arborer ses couleurs et ses mots qui enluminent notre ouvrage et, pour longtemps encore, d’innombrables livres de nos librairies… Merci à lui d’avoir accordé gracieusement à cette journée de la librairie indépendante l’autorisation de reproduire de nombreux extraits de son ouvrage mythique : L’ABC du métier (Imprimerie nationale, 1988). Laurent Gaudé, Linda Lê et Annie Le Brun : tous les trois, vous nous avez permis d’exaucer un rêve : éditer de vous un texte inédit. Nous vous avons choisis car nous sommes admiratifs de l’ingénierie de vos livres, que nous accueillons toujours avec la même soif. Jean-Yves Mollier, notre ami, historien inimitable, érudit, généreux et toujours imprévisible... Anne Simonin, historienne de talent : la belle surprise de ce livre. Mémoire des Éditions de Minuit, elle a su dénicher pour les libraires des archives visuelles inespérées. Les éditeurs Jean-Luc Barré, Gérard Berréby, Dominique Bordes, Olivier Cohen, Frédéric Martin, Paul Otchakovsky-Laurens, Bertrand Py, Jean-Claude Zylberstein : vous n’avez pas hésité à rejoindre ce mouvement de libraires indépendants en dévoilant la genèse de vos identités graphiques. Françoise Nyssen et Jean-Paul Capitani, des éditions Actes Sud. Ils sont non seulement de géniaux et infatigables entrepreneurs, mais aussi des personnes de parole et d’engagement. C’est grâce aux moyens humains qu’ils mettent à notre disposition que cette journée de la librairie indépendante sans cesse se déploie. À travers eux, nous remercions également Union Distribution, qui fait parvenir à chacun de vous ce livre.

Anne-Laure Exbrayat : elle s’est plongée avec passion et patience dans la conception de la maquette. Anne Bresson-Lucas : avec une bienveillance et une conviction exigeante, elle n’a pas compté son temps pour veiller sur notre livre. Diane Fonsegrive, Sarah Bourguignon, Pascale Gélys, Laurence Gibert, Géraldine Lay et Apolline Odonne, des éditions Actes Sud. Un grand salut à vous, les filles, nos solides comparses professionnelles ! Vous avez œuvré contre vents et marées afin que l’ouvrage soit diffusé en temps voulu à tous les libraires. Thierry Magnier : notre ange-gardien des premiers jours est un éditeur aussi talentueux que combatif, qui construit sans concession un immense catalogue pour les nouvelles générations. Merci pour sa jeunesse éternelle et aventureuse ! Caroline de Salaberry et Camille Seube, ses acolytes enthousiastes, qui nous prodiguent d’immenses services. Florence Robert, éditrice, secrétaire de l’association Verbes, et toujours notre meilleure amie pour toujours. Damien Laval, fidèle, endurant et fin collaborateur qui assure les relations presse et la coordination avec les libraires. Olivia Goudard et Pauline Pierre, les libraires des Abbesses : mes complices de tous les jours, passionnées, constantes, et dans tous les secrets de cette aventure. Xavier Person, Isabelle Reverdy et Laurence Vintejoux du Conseil régional d’Île-de-France. Alexia Annequin, Anne-Sophie Havard, Clarisse Normand, Fabrice Piault et Vincy Thomas de Livres Hebdo. Vincent Monadé, Luc Derai, Thierry Auger, Elisabeth Redolfi et Marc Guillard du Centre national du livre. Le Syndicat des libraires francophones de Belgique, le Syndicat de la librairie française, ainsi que les libraires suisses et luxembourgeois, qui donnent de l’ampleur à notre combat et dont la présence nous touche et nous honore.


Cet ouvrage a été composé en Din pour le texte et en AW Conqueror Didot pour les titres. Il a été imprimé en février 2017 sur les presses d’Egedsa, à Barcelone, sur du Munken Kristall 120 g (intérieur) et du Munken Kristall 300 g (couverture), papiers fabriqués par Arctic Paper à partir de fibres issues d’une sylviculture responsable.

© Association Verbes © Actes Sud, pour les textes de Massin ISBN : 978-2-330-07597-2 Dépôt légal : avril 2017

le corps du livre BAT 14/02.indd 144

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